05. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Livres, lecteurs et lecture dans Madame Bovary · Catégories: Divers

Emma a semble-t-il , lu beaucoup de livres dès son plus jeune âge mais lesquels ?  Quel rôle joue la lecture dans sa vie et dans le roman ? Nous évoquerons d’abord ses lectures au couvent avant de montrer comment évoluent ses goûts littéraires et quelle place joue la lecture dans sa vie. 

Certaines
de ses
lectures favorites sont mentionnées dans le roman ;
d’autres sont simplement évoquées de manière allusive :
« Elle
avait lu Paul et Virgine et elle avait rêvé la maisonnette de
bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle…
 »
(I ,6)

Commençons
par les lectures religieuses d’Emma. La jeune fille, dès son
arrivée au couvent, est transportée par le Génie du
christianisme
: « Comme elle écouta […] la lamentation
sonore des mélancolies romantiques se répétant à tous les
échos de la terre et de l’éternité
! » Mais durant la
messe, elle est occupée à regarder les vignettes dans son livre ;
Déjà, la force des images triomphe. Or, au XIX siècle, savoir
médical et savoir religieux prononcent une même condamnation de
la littérature et en particulier du genre romanesque.Après
Paul et Virginie, les premiers livres qu’Emma fréquente
sont des catéchismes : Emma « comprenait bien le catéchisme,
et c’est elle qui répondait toujours à M. le vicaire dans les
questions difficiles »
Cependant, elle préfère rêver à
partir des illsutrations des livres plutôt que de suivre la
liturgie. : « Au lieu de suivre la messe, elle regardait dans son
livre les vignettes pieuses bordées d’azur »
. Quant au
missel, il apparaît comme un objet liturgique détourné ,
dénué de toute parole efficace. Devenu simple réceptacle, le
missel n’est pas lu : Emma y contemple les images qu’elle y a
serrées, à l’instar d’un keepsake.Au
contraire, lors de la « lecture religieuse » faite « le soir,
avant la prière », des ouvrages précis sont mentionnés : «
C’était, pendant la semaine, […] les Conférences
de l’abbé Frayssinous, et, le dimanche, des passages
du
Génie du christianisme » . L’imagination
d’Emma, renfermée toute la semaine dans les limites étroites
d’ennuyeux récits bibliques s’épanouit brusquement le
dimanche dans la prose colorée de Chateaubriand. L’ouvrage sert
de point de bascule entre bibliothèque purement religieuse et
bibliothèque littéraire : les livres évoqués ensuite seront
les romans tout profanes que la vieille lingère fournit en
cachette à Emma
.

A
15 ans, elle découvre Walter Scott et rêve d’être une châtelaine
qui regarde son prince charmant venir du fond de la campagne sur son
cheval noir. Elle se met à admirer les femmes célèbres te martyrs
de l’Histoire et lit en cachette les albums, d’auteurs inconnus pour
elle mais qui signent comte ou vicomte et écrivent sur du papier de
soie, des poèmes amoureux illustrés. Ces images vont devenir pour
elle, celles du monde réel Son esprit aime la lecture pour « ses
excitations passionnelles
 » (I,7) Après son
mariage, et après le Bal, elle s’achète un plan de Paris qu’elle
parcourt du doigt, s’imaginant arpenter les rues de la Capitale. Elle
s’abonne à des revues : La Corbeille, journal des femmes et le
Sylphe des Salons. « Elle dévorait , sans en rien passer,
tous les comptes rendus des premières représentations. » ;
Elle lut Balzac et George Sand.
Dans
Eugène Sue, elle étudia les descriptions d’ameublements. Elle
apporte ses livres à table et les lit pendant que Charles mange ;
Au fond de son âme , elle
semble attendre un événement : «
 j’ai tout luse disait-elle »
. Lorsqu’elle arrive à Yonville, Homais lui offre de partager sa
bibliothèque : « Voltaire, Rousseau, Delille, Walter
Scott » ainsi que différents journaux périodiques. »
Aux soirée
s
de M Homais, Emma
feuilletteavec
ostentation
L’Illustration
car c’est un signe de consécration sociale de faire partie des
abonnés. (II,4) Avec Léon, elle entretient un commerce de livres
e
t cela
crée entre eux une complicité.
Après
son départ à
Paris,
malheureuse, pour chasser
son vague à l’âme,
elle
essaie les lectures sérieuses : de l’histoire e
t
de la philosophie ; « 
Mais il en était de ses
lectures comme de ses tapisseries, qui toutes commencées,
encombraient son armoire.Elle les prenait, les quittait, passait à
d’autres  » (II,7) L
a
mère de Charles pense que sa bru souffre parce qu’elle est
désœuvrée ; Elle accuse les livres qu’elle lit d’avoir un
effet pernicieux sur Emma : il faut qu’elle cesse de « l
ire
des romans, de mauvais livres, des ouvrages qui sont contre la
religion. » (II,7) Donc il fut résolu qu’on empêcherait Emma
de lire des romans.
Sa
belle-mère propose de mettre un terme à tous ses abonnements et
traite le libraire d’empoisonneur.
Mais
Charles ne parvient pas totalement à obéir à sa mère et Emma
continue à lire.

Au
moment où elle devient la maîtresse de Rodolphe, Emma repense aux
femmes
adultères
de ses livres et elle se considère désormais comme leur
sœur
« a
lors elle se rappela les héroïnes des livres
qu’elle avait lus. »
Il
faut attendre la crise mystique de la fin de la deuxième partie du
roman pour retrouver chez elle un quelconque intérêt pour les
choses spirituelles et elle change de type de lectures. Après la
fuite de Rodolphe, Emma sombre dans la maladie au point qu’elle
croit mourir et demande à communier. Le sacrement lui procure un
apaisement immédiat, et pour cultiver les délices qu’elle y a
trouvées, elle ambitionne la sainteté. Inquiet de la tournure «
extravagante » que prennent les événements, le brave abbé
Bournisien veut « ramener [Mme Bovary] à la raison et lui
conseille des lectures édifiantes . Mais ces livres sont d’emblée
présentés dans la fiction comme ne pouvant être d’aucun
secours pour la pauvre Emma. Flaubert fait recommander trois types
d’ouvrages ; le premier est appelé «une pastorale de la peur
» ; il rend, le discours catholique menaçant afin d’obtenir
la conversion massive des populations, et insiste sur les thèmes
du péché, de la mort, du jugement et de l’enfer. Madame Bovary
entreprend ses lectures avec trop de précipitation et les livres
pieux lui tombent des mains (II, 14)Le
troisième livre retenu par le romancier s’intitule : les «
Erreurs de Voltaire, à l’usage des jeunes gens ». Dénué
d’auteur, il est intéressant pour son contenu ouvertement
polémique (la controverse avec l’idéologie des Lumières) .En
tout cas, l’envoi du « libraire de Monseigneur » – ou plutôt
la manière dont Flaubert en élabore la description du contenu –
présente un intérêt car elle évoque, le négoce des livres
pieux » à la fin de la monarchie de Juillet, c’est-à-dire une
librairie de propagande. L’arrogance du contenu polémique de cet
ouvrage déplait fortement à Emma.

Mais
Emma n’est pas la seule à lire ou à évoquer des livres
religieux dans le roman. Homais convoque implicitement des textes de
l’Ancien et du Nouveau testament lorsqu’il prononce son credo
de libre-penseur (p. 79-80). Quant à l’abbé Bournisien, il
les appelle à son secours pour contrer les assertions du pharmacien
;utilisés comme caution argumentative, ils doivent permettre de
répondre à la charge menée par la partie adverse.

Justin ,
le commis de Homais est surpris avec un livre d’initiation sexuelle
dans sa poche intitulé Tableau de l’ ‘amour…conjugal.et
Homais s’emporte contre ce livre infâme pourtant
écrit par un médecin ajoute-t-il
et
qui contient des enseignements pour les hommes.

Pendant
la veillée mortuaire du corps d’Emma, Homais et Bournisien
s’affrontent ainsi à coup de livres :
— Lisez Voltaire !
; lisez d’Holbach, lisez l’Encyclopédie !

— Lisez
les Lettres de quelques juifs portugais ! disait l’autre ;
lisez la Raison du christianisme, par Nicolas, ancien
magistrat !

Homais
lit essentiellement des revues médicales et le fanal de Rouen et
Charles son journal de médecine pour essayer d’apprendre à lire à
Berthe.

On
retrouve dans le roman la plupart des arguments contre la littérature
romanesque et Emma lit beaucoup durant son adolescence mais
finalement assez peu de romans lorsqu’elle rencontre Charles. Ses
lectures lui ont donné une vision déformée du monde et de l’amour
et ont façonné ses rêveries et son imaginaire.