04. octobre 2016 · Commentaires fermés sur La Montre de Théophile Gautier · Catégories: Première
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Lorsque les poètes abordent le topos de la fuite du temps, ils le font le plus souvent dans un registre mélancolique et Théophile Gautier n’échappe qu’en partie à cette tendance . Toutefois, à la différence des poètes romantiques qui expriment très souvent des sentiments exacerbés, on sent dans ce poème l’influence du Parnasse et de l’art pour l’Art qui fait la part belle à la beauté formelle et tend à restreindre le lyrisme personnel. Voyons de plus près comment le poète exprime ce qu’il ressent face au temps qui passe. 

La montre est  un poème composé de 10  quatrains d’octosyllabes aux rimes croisées qui égrènent les instruments de mesure du temps ; Comme le titre l’indique la montre va nous permettre de prendre la mesure du temps et de réaliser que nul ne peut en arrêter la course;  Comment le Tems est-il représenté dans ce poème ?  Par un système de personnifications et grâce à un réseau de métaphores, Théophile Gautier nous fait prendre conscience de cette course folle des heures. Nous examinerons tout d’abord les différents instruments utilisés par le poète pour rendre compte de la mesure du temps avant d’aborder l’histoire racontée par cette montre en panne et nous terminerons l’étude du texte poétique en tentant d’analyser les sentiments éprouvés par le poète . 

Plan détaillé : (attention il ne figurera pas sur votre copie rédigée, uniquement sur votre brouillon ) 

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I  Les instruments de mesure du temps : des symboles du temps qui passe

a) des instruments variés et nombreux

Le poète évoque tout d’abord cette montre aux aiguilles immobiles avant de passer à la pendule qu’il personnifie  et transforme en un personnage moqueur “la figure de la pendule “ peut-on lire au vers 5 ; cette pendule rit de lui et lorsqu’elle  sonne son “timbre d’argent module /deux coups vibrant comme un tocsin” ; cette mention fait référence à un alerte, une sorte d’ alarme car le tocsin sonne en cas de danger. Après viendront le cadran solaire, l’église et son clocher qui rythme les journées . Le poète fait ainsi référence à la variété des instruments qui permettent à l’homme , depuis l’Antiquité , de chercher à rendre compte de l’écoulement du temps . Il semble cerné de toutes parts par tout ce qui lui rappelle que le temps ne s’arrêt jamais. 

b) le poète victime  d’une illusion

L’idée de moquerie est reprise dans le quatrain suivant par le verbe railler et le poète est la victime du cadran solaire, lui aussi personnifié avec “son long doigt” ; cet instrument de mesure ancien semble montrer au poète au moyen de son ombre qui s'allonge, que le temps ne peut jamais s'arrêter.  Après la pendule, le cadran solaire , on passe cette fois à l'échelle supérieure avec le clocher et  le beffroi qui domine la ville; Le cloches ne mentent pas et le poète est , une fois de plus, désigné comme la victime d'une illusion. L'ironie du clocher personnifie lui aussi appelle la "bêtise "du poète qui  a oublié de remonter sa montre . C'est en effet ce que nous comprenons très vite avec le vers 3 "l’aiguille au même endroit se montre ” 

II la montre arrêtée au coeur de l’histoire 

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a) la montre 

En effet, ce poème semble raconter une anecdote : le poète a tout simplement oublié de remonter le mécanisme de sa montre et cette dernière a cessé de marcher . Cette erreur est soulignée dès les premier vers par une formule énigmatique : “il est une heure..une heure après” ; la reprise des mêmes groupes de mots matérialise cette confusion et cet arrêt des aiguilles de la montre. Le quatrain central nous apprend que le poète a oublié de remonter sa montre la veille : la périphrase "au trou de rubis la clef d’or ” évoque le mécanisme d’horlogerie  et le transforme en un objet précieux et merveilleux et l’expression “la petite bête est morte” au vers 17 peut faire sourire car elle transforme l’objet en animal. On retrouve d’ailleurs cette même idée qui peut faire sourire  avec le  balancier  métamorphosé en “papillon d’acier

b) un poète rêveur 

La distraction du poète est mentionnée à plusieurs reprises dans le poème comme étant un défaut important  : au vers 2 où ce sont ses yeux qui sont qualifiés de distraits ; au vers 19 où il est question d'une forte rêverie qui l’a empêché de penser à remonter sa montre; Au vers 25, ce trait de caractère semble même le caractériser quand il écrit “c’est bien de moi.;quand je chevauche /l’hippogriffe au pays du Bleu /mon corps sans âme se débauche..” perdu dans se rêves, le poète perd ainsi la notion du temps en même temps qu celle du devoir; Le pays des songes est désigné par la métaphore Pays du Bleu, sans doute pour évoquer le ciel et l’image chevaucher l’hippogriffe rappelle le caractère irréel des rêveries ; Un hippogriffe étant un animal mythique et dangereux , être capable de le chevaucher signifie croire à des chimères ,à des mondes oniriques; le poète trouve ici refuge dans se songes et perd contact avec la réalité à tel point qu’il en perd son âme. Gautier joue également avec l’idée qu’on se fait habituellement d’un poète: un rêveur toujours la tête dans les nuages. 

III Le coeur du poète 

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gautier4.jpg, oct. 2016

a) Plus le poème avance et plus le ton devient mélancolique : ce qui n’était au départ qu’une anecdote plaisante devient peu à peu une plainte sur la fuite du temps; la montre devient alors l’image d’un coeur qui bat avec le tic tac de son horlogerie; l’enfant d’ailleurs s’y laisse piéger et devient lui aussi la victime d’une illusion : il croit que la montre vit ; l’objet se transforme en coeur humain et désigne l’approche de la mort; par un subtil glissement métaphorique qui s’opère dans les deux derniers quatrains, la montre et le coeur du poète se confondent; le terme pulsation qui devrait plutôt être employé pour indiquer l’activité cardiaque est remplacé par le terme vibration qui lui rappelle davantage l’activité d’une sonnerie ; le coeur du poète est alors désigné comme le grand frère de celui de sa montre et cette fois c’est le verbe palpiter qui indique la présence de la vie en lui. Dieu est désigné par la périphrase : ” celui que rien ne peut distraire ” par opposition au poète distrait . 

b) les images de la mort

En y regardant d’un peu plus près, nous trouvons en effet des références à la mort ; tout d’abord, autrefois , quand quelqu’un mourait, on arrêtait la pendule dans sa demeure pour marquer l’arrêt de sa vie ; cette montre silencieuse est devenue un “cadran muet ”  et le temps apparaît alors comme une sorte de rôdeur avec cette image de “l’oreille collée au couvercle”; le verbe chercher lui -même est inquiétant ; on peut penser qu'il désigne la mort qui vient chercher une vie au vers 32; Et le verbe remuer pour indiquer l’action du coeur qui bat rappelle la présence de la vie comme celle d’un animal pris au piège; Dieu fait deux apparitions dans le poème : la première sous la forme d’une boutade ” comme il plait à Dieu” ; cette phrase sonne un peu comme le rappel mais sur un ton amusé, de la toute puissance divine; l’homme ne doit pas craindre la mort s’il remet sa vie entre les mains de Dieu 

A partir d’une anecdote plaisante, Théophile Gautier construit une réflexion sur la mort et le temps qui passe; le tic tac de la montre devient le coeur qui bat dans  la poitrine du poète et qui pourrait s’arrêter à chaque instant. Le ton léger employé par Gautier s’accorde bien dans avec les préceptes du Parnasse qui recommande , à cette époque, l’abandon du lyrisme pour un langage plus symbolique et contraste ainsi avec les effusions romantiques baignées de mélancolie; Toutefois , cette réflexion amusée sur le temps n’échappe pas à une forme de fatalité.