09. avril 2018 · Commentaires fermés sur Robespierre : la Révolution au service des citoyens (texte 3 ) · Catégories: Première
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Alors que les deux précédents discours de Maximilien Robespierre concernaient des points précis : la réforme du droit de la propriété et l’extension du vote par l’adoption du suffrage universel, le discours que nous allons étudier maintenant,  évoque de manière plus générale l’entreprise révolutionnaire , sa nécessité , ses modalités et ce qu’elle apportera à l’ensemble des citoyens. Il s’adresse aux législateurs et leur confie la mission  difficile d’apporter aux hommes le bonheur et la liberté ; c'est donc un discours fortement idéologique dans lequel Robespierre s’efforce d’adopter un point de vue qui dépasse le cadre des événements qui sont en train de se jouer  ; pour ce faire, il remonte aux causes historiques de certains phénomènes et adopte un regard à la fois d’historien mais aussi de politologue en observant avec précision le comportement des gouvernants. Voyons plus en détails comment ce discours est construit et quels arguments emploie l’orateur ? 

Les idées du texte 

Premier paragraphe : il commence par poser un fait général dont il déduit un constat ; Le raisonnement est logique et se fonde donc sur un constat  qui pourrait sembler objectif mais qui semble quelque peu exagéré en raison de la formulation généralisante ;  L'orateur joue ici sur un effet de chiasme et d’antithèse en opposant bonheur ( l 1)  à malheureux ( l 1) et liberté à esclave (1) . La seconde phrase a également une valeur universelle et comme dans son entrée en matière, Robespierre oppose l’idéal à la réalité en établissant un contraste saisissant entre les deux par le biais des oppositions terme à terme; conservation des droits  (2) et perfection de son être  (2) viennent ainsi contraster avec deux verbes aux connotations négatives : dégrader et opprimer ; Avec toujours cet effet de chiasme car dégrader signifier diminuer la valeur de quelqu’un donc s’oppose à perfection alors qu’opprimer signifie ne pas respecter les droits d’un individu: ce qui contraste avec la première partie de la première phrase: conservation des droits . Après avoir posé ces deux séries de propositions antithétiques en guise de préambule, l’orateur s’adresse avec un ton prophétique  (Partie I  ) à l ‘assemblée : la formule ..le temps est arrivé (3)  ainsi que le mot destinées (3)..peuvent faire penser qu’il s’agit d’une sorte de mission sacrée que Dieu , l’être Suprême dans le langage de Robespierre, lui aurait confié. C’est donc investi d’une sorte de volonté divine ,sacralisé en quelque sorte, que Robespierre présente ici ses idées et sa thèse principale qui clôt le premier paragraphe: accélérer  l’entreprise révolutionnaire (4)  ; Pour le public contemporain, cette formule a une résonance particulière car nous savons que Robespierre est en train de justifier la création des organes politiques  qui vont faire régner la terreur ,notamment le Comité de Salut Public, instance exceptionnelle formée de 12 hommes et spécialement  chargée de juger les contre-révolutionnaires . Le terme devoir ici est un appel à la responsabilité de l’assemblée ; c’est un argument de type moral qui fait appel à des valeurs éthiques comme la notion de devoir . ( A classer dans la partie II ) 

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L’arrestation 

Le second paragraphe précise comment procéder: Robespierre y donne , en quelque sorte, le mode d’emploi de la mission (5 ) et fonde , une fois encore, son raisonnement sur un paradoxe ou une antithèse : il invite les députés à  faire précisément tout le contraire de ce qui a existé ( l 5 ) ; Il se fonde ici sur une opposition logique entre le passé et le présent en opposant jusqu’ici l 6 à maintenant l 8 (Partie III )   Ce postulat de base peut paraître choquant mais Robespierre va ensuite clarifier sa pensée en prenant des exemples historiques soigneusement choisis (partie III )  ; il commence d’abord par  une généralité invérifiable; Le fait de formuler ses idées avec une tournure qui les rend universelles est déjà un moyen de persuasion car les auditeurs ne peuvent vérifier la validité de ses affirmations; Il choisit également des formules quelque peu provocantes : “l ‘art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le plus grand nombre au profit du petit nombre ”  C’est bien sûr une vision réductrice simplificatrice de l’Histoire car au fil des siècles, les gouvernements n’ont cessé d’évoluer et de rechercher l’intérêt de la Nation toute entière; mais il se trouve que l’équilibre des forces politiques est en train de se modifier suite à l’ascension, tant en nombre qu’en puissance ,  de la bourgeoise majoritairement issue du Tiers Etat et qui conteste les privilèges de l’Aristocratie et du Clergé.  Robespierre exploite dans son raisonnement ce sentiment d’injustice que ressentent de nombreux députés; Il formule des accusations (partie II )  en employant les termes dépouiller et asservir  (6) pour qualifier l’entreprise monarchique qui , selon lui, faisait prévaloir les intérêts d’un petit nombre au détriment de ceux du plus grand nombre.  Sans citer les aristocrates ou le clergé , Robespierre oppose dans une sorte de logique purement mathématique (Partie III et donc incontestable, le petit nombre au  grand nombre ( 6) qui représente le Tiers- Etat.  Il reprend ainsi les principales accusations contre les régimes oligarchiques qui privilégient effectivement les intérêts des classes dominantes. Robespierre met  ensuite, dans un rapport logique de cause-conséquence ,sur le même plan l’art de gouverner et la création des lois qu’il définit comme étant au service des gouvernants eux-mêmes : les lois édictées par la monarchie devaient ainsi “réduire ces attentats en système ” (7)  ; Le mot attentat montre ici le crime commis par les gouvernements monarchiques et surtout leur volonté de dissimuler leurs agissements en les systématisant : la loi devenant ainsi l’expression de la volonté de quelques uns et elle leur permet de transformer un crime en lui conférant l’apparence d’un devoir . La critique est ici virulente .  (Partie II ) Robespierre , par ce raisonnement mêlé de critiques  , démontre donc la nécessité de changer les lois et il met les députés face à leurs responsabilités une fois de plus en s’adressant à eux : “c’est à vous maintenant de faire le vôtre” (Partie I )   (8) ; Il oppose ainsi le métier de législateur actuel au mode de gouvernement de l’Ancien régime en montrant qu’il va servir de contrepouvoir, de garantie . Il utilise également l’ironie pour ridiculiser les rois et les aristocrates dont il affirme qu’ils ont “très bien fait leur métier ” .  (Partie II ) Il en arrive alors à la double difficulté à laquelle se trouvent confrontés les hommes de loi : elle est  énoncée  l 9 et 10 : voilà à mon avis le double problème .  Il faut , selon lui, à la fois que le gouvernement soit fort pour assurer le respect des droits des citoyens tout en ne commettant pas d ‘abus de pouvoir. S’il est trop fort, il devient tyrannique et s’il est trop faible, il devient incapable d’assurer sa mission; Robespierre reprend ainsi l’idée développée par Montesquieu, un avocat précurseur des Lumières , qui souhaitait réformer l’exercice du pouvoir et  qui  a émis l’idée d’une séparation nécessaire des organes du pouvoir jusqu’alors réunis dans la personne du roi : Montesquieu souhaitait un système politique qui se fonderait sur  l’équilibre et l’indépendance des pouvoirs en séparant notamment le pouvoir législatif du pouvoir exécutif ; C’est bien la même idée que celle que défend Robespierre ici mais dans des circonstances bien particulières car nous sommes au coeur de l’entreprise révolutionnaire et cette dernière est violemment contestée par une partie de la société . 

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Robespierre à l’ Assemblée 

Pour résoudre le problème du législateur, Robespierre propos d’examiner les causes historiques : il utilise ici, une fois de plus,  l’argument d’expérience . “parcourez l’histoire ” l 13 (Partie  III )  mais il reste volontairement vague et emploie des termes qui ne désignent pas une époque en particulier ” magistrats, peuple, citoyens “ . Il évoque l‘excès de l’oppression comme principale cause de la révolte du peuple et établit un lien direct  entre l‘excès de l’oppression et l‘énergie et l’indépendance du peuple. Il utilise volontairement des termes négatifs pour qualifier la monarchie (excès) et des termes positifs pour caractériser la révolution populaire (énergie,indépendance ) (Partie II ,vocabulaire dépréciatif )  ; Il termine sa démonstration en invoquant à nouveau Dieu et sa volonté sous la forme d’une prière adressée à Dieu en faveur du Peuple  “Plût à Dieu  qu’il pût les conserver toujours ” ” l 16; Cette manière de procéder rappelle le caractère  sacré  de la mission qu’il confie aux législateurs mais elle  illustre aussi son caractère désespéré et la rend particulièrement exceptionnelle ; Robespierre  procède une fois de plus  au moyen d’une opposition ; Il met en balance la fragilité du règne du peuple ( qui ne dure qu’un jour ) dont il rappelle le caractère éphémère et la force de la tyrannie qui “embrasse la durée des siècles “ . Les deux expressions font entrevoir la nécessité de transformer cet état  de faits et Robespierre présente ainsi la révolution comme une transformation sans précédent dans la société française voire dans le monde entier.

Dans le paragraphe suivant, il aborde enfin le danger de l’anarchie qui est l’argument majeur des contre-révolutionnaires pour revenir à un état monarchique stable où le poucvoir est clairement identifié avec la personne du roi qui l’exerce au nom de Dieu et dans l’intérêt de la Nation dont il est le représentant . Robespierre rappelle simplement les dates des principales émeutes : la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et l’attaque  du palais des  Tuileries qui va conduire à l’emprisonnement de la famille royale le 10 août 1792 ( le roi Louis XVI  est alors déchu de l’ensemble de ses pouvoirs ) (Partie III les exemples historiques )  ; par analogie, l’orateur minimise le danger de l’anarchie qui selon lui, n’est qu’un état temporaire du corps politique alors que l’aristocratie et la monarchie sont assimilées à une “maladie ” (18 ) (partie II )  ; Il prend ensuite la défense de la révolution qu’il présente comme une victime de l’opinion publique qui la critique injustement  ” époque tant calomniée ” ( l 20) ; Il en rappelle alors les qualités ” un commencement de lois et de gouvernement “, allusion à la déclaration des droits de l’homme et du Citoyen qui va servir de base à la Constitution de la première  république française . Il minimise ensuite les conflits qu’il a cités et les présente comme de simples “troubles “ , euphémisme certain, dont il précise la cause ” les dernières convulsions de la royauté expirante ” ; Il accuse ainsi la royauté d’être tout simplement responsable des conflits issus de la révolution et néglige d’évoquer les dissensions entre factions révolutionnaires, qui sont pourtant à l’origine de sanglantes émeutes . Il termine son argumentation en assimilant la tyrannie à la monarchie de droit divin, vue comme le principal obstacle à l’égalité des hommes ; en traitant la monarchie de gouvernement infidèle ( 21 ) , il tente également  de mettre le véritable droit divin de son côté , du côté du peuple et renverse la définition de l’anarchie en qualifiant justement la monarchie de Clovis jusqu’au dernier des Capet (Louis XVI ) comme une véritable anarchie où un homme, un tyran  remplace abusivement la nature et la loi (23) (partie II les critiques de l monarchie ) 

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Dans le paragraphe suivant, les questions rhétoriques (partie I )  se succèdent à l’appui  d’affirmations présentées une fois de plus comme incontestables avec un ton catégorique : “jamais les maux de la société ne viennent du peuple mais du gouvernement “ ( 24 ) ; Robespierre nie ici toute forme de responsabilité à l’entreprise révolutionnaire qu’il s’efforce de présenter comme un mission purificatrice pour le bienfait du plus grand nombre; On peut parler de vision angélique de l’Histoire ; en tout cas, il s’agit d’une vision subjective et partiale qui sert la cause de la Terreur  dont il  se fait ici le fervent défenseur . Il emploie des arguments fondés sur une logique qui peut paraître incontestable mais il présente des faits historiques sous un jour contestable ; En opposant intérêt du peuple et intérêt des gouvernants (homme en place ) , il introduit la distinction entre bien public et intérêt privé et place le Peuple dans la position d’un nouveau Dieu; Il va même jusqu’à recommander au magistrat de s’immoler au peuple ( l 27 ) On retrouve ici avec ce verbe l’idée d’un sacrifice accompli pour une divinité; L’argument éthique utilisé est celui de la bonté mais fait-on de la politique avec cette qualité et n’est ce pas là encore une vision naïve de l’histoire qui part d’un bon sentiment mais qui simplifie les forces et les intérêts en présence .

La fin du discours de Robespierre montre une  fois de plus des oppositions simplificatrices : il feint de partir des préjugés absurdes et barbares ( 28 )  de ses adversaires qu’il disqualifie ainsi   …le paragraphe tout entier se fonde sur une opposition entre les riches et les pauvres, les puissants et les faibles ; là encore,on note une vision manichéiste et une fois de plus simplificatrice de l’histoire car les arguments de Robespierre, s’ils semblent logiques procèdent d’amalgames dangereux . A la ligne 28 il oppose vices et vertu en mettant du côté des vices les hommes riches et puissants (pouvoir et opulence ) et du côté de la vertu (c’est à dire du Bien ) , les hommes travailleurs, de condition sociale modeste (médiocrité désigne les classes populaires ) et pauvres; Ce raisonnement peut tout à fait sembler abusif . Mais il permet à l’orateur d’amener la formulation de son sytème de pensée et sa thèse finale : Son raisonnement se fonde sur une série de liens logiques marqués par la répétition des subordonnées : que ..qu’il ..enfin ..(l 30,30,3132) (Partie I et III ) : les lois doivent servir à protéger les citoyens les plus faibles alors que les puissants cherchent à s’élever au -dessus des lois ou à en créer qui servent leurs propres intérêts .

Le dernier paragraphe du discours comporte un syllogisme c’est à dire un raisonnement logique  basé sur deux propositions dont on tire la troisième .  (Partie III ) Robespierre emploie un syllogisme juridique : Il énonce une loi (le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale) ; Ensuite il ajoute une seconde proposition qui apporte une précision :  les gouvernants obéissent à leur volonté individuelle qui s’oppose à la volonté générale et le public en déduit donc  la troisième étape du raisonnement : que le peuple a le droit et même le devoir  de destituer  les gouvernements quand ils se montrent favorables uniquement aux volontés de ceux qui en font partie . Robespierre est donc convaincu de la nécessité d’exercer un contrôle sur les membres des gouvernements afin que les intérêts du plus grand nombre soient toujours pris en compte. La conclusion à laquelle il nous fait aboutir : Concluez donc que le premier objet de toute constitution doit être de défendre la liberté publique te individuelle contre le gouvernement lui-même  (l 37) peut sembler paradoxale mais elle justifie les actions menées par le Comité de salut Public . 

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rev60.jpg, avr. 2018

 En conclusion :  en ces temps fortement troublés, Robespierre se donne l’image d’un justicier qui remplit une sorte de mission sacrée : protéger les plus faibles contre les Puissants qui ne pensent qu’à exercer le pouvoir à des fins d’enrichissement ou de bénéfices personnels; certes l’Histoire est parsemée d’abus de pouvoirs et de nombreux dirigeants ont tiré profit, à toutes les époques , des responsabilités qu’ils exerçaient . Cependant il s’agit d’une vision simplificatrice de l’Histoire car Robespierre y dépeint les gouvernants comme des êtres remplis de vices alors que beaucoup d’entre eux ont à coeur de défendre et de servir leur pays au mieux. Son discours  éloquent utilise toute la palette des procédés oratoires pour créer une connivence avec le public et l’orateur alterne raisonnements logiques (partie III )  et critiques virulentes de la monarchie et de la corruption des institutions politiques;(partie II )  Il tente éclairement de justifier les actions en cours de son parti qui sème la terreur dans les rangs de toux ceux qu'ils considèrent comme des ennemis de l'Etat. Sous prétexte de moraliser la vie politique et de la rendre plus favorable aux petites gens , il persuade les députés qu'il est de leur devoir de maintenir une vigilance entre les gouvernants et de ne pas hésiter à renverser les gouvernements qui agissent contre l'intérêt du plus grand nombre . L'Histoire lui a donné tort te l'a rangé du côté des vaincus; Il a été balayé par la Tempête qu'il a déclenchée et on a vu en lui un tyran dont la volonté cherchait à dominer les autres.