28. septembre 2020 · Commentaires fermés sur Le rôle de l’imagination dans Les Fables · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags:

Définir le rôle de l’imagination dans le recueil des Fables et plus généralement au sein de l’oeuvre de La Fontaine, c’est d’abord définir ce qu’on entend par imagination. S’agit -il du récit fantaisiste et plaisant qui nous détourne de la réalité   ou tout simplement de notre faculté à mettre   en images nos idées et qu’on pourrait nommer création artistique au sens large ? Il est incontestable que la part de l’imagination au sens restreint, varie dans les Fables et que certaines seulement  , montrent des personnages en proie aux songes et pris au piège de leur imaginaire . Cependant le choix même de la forme de la fable qui mêle récit imaginaire et morale didactique nous amène à penser que pour le fabuliste, l’imagination, au sens large, permet d’atteindre la Vérité , par le détour de la fiction ; Dans un premier temps, nous verrons les délices de l’imagination avant d’en entrevoir les dangers et nous terminerons par la puissance des fables qui mêlent imaginaire et pensée.

Alors que Pascal condamne l’imagination en la qualifiant de “maitresse d’erreur et de fausseté ” et de “superbe ennemie de la raison ”  , La Fontaine en montre les délices pour l’esprit  dans  Perrette et le pot au lait . La jeune femme imagine, en allant vendre son lait au marché, tout ce qu’elle va acheter avec le prix de la vente; Elle s’imagine à la tête de nombreuses vaches, volailles et achète, même en rêve, un cochon. Elle est littéralement “transportée ” par son imagination et trébuche sur le chemin. Le pot se casse et la dame va être battue par son mari pour avoir été maladroite . Le fabuliste qualifie alors l’imagination de “flatteuse erreur qui emporte nos âmes ” ; Mais loin de la condamner, il en vante les délices ” Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux ” lit-on au vers 34 . Tout au plus, faut- il apprendre à garder les pieds sur terre et à ne pas confondre rêve et réalité ! Le retour à la réalité est douloureux pour Perrette mais le fabuliste montre avant tout la puissance du rêve

L’imagination permet  , en effet , à de nombreux animaux d’avoir la vie sauve face à des prédateurs qui s’apprêtent à utiliser la force; Quand leur vie est menacée, ils doivent faire preuve d’imagination pour duper leurs  puissants ennemis. Ainsi Le Cerf invente un brillant mensonge lors des obsèques de la Lionne : il fait croire au monarque que la reine lui est apparue , réjouie, en songe et lui a confié qu’elle prenait plaisir à voir, quelque temps, le roi triste. Le mensonge du Cerf permet ainsi à la Cour de cesser la comédie des larmes ; Le roi récompense celui qu’il s’apprêtait à exécuter car il a su lui dire ce qu’il avait envie d’entendre ” Amusez les Rois par des songes, flattez-les, payez-les d’agréables mensonges, ….vous serez leur ami ” L’imagination est ici, avec le mot songe, une arme au service des intérêts des plus faibles ;

On retrouve une situation similaire dans Le loup et le chien maigre . Un chien habile trompe son prédateur en lui expliquant qu’il doit engraisser lors d’un prochain mariage et qu’ainsi, il sera meilleur à manger. Il obtient non seulement un sursis mais lorsque le loup revient chercher sa proie, il lui envoie un chien de garde de ses amis qui parvient à le mettre en fuite. Le fabuliste démontre à la fois la sottise et la naïveté du loup et l’habileté du chien “ chacun dit ce qu’il peut pour sauver sa vie ” Dans bien des circonstances, La Fontaine justifie le mensonge, le récit imaginé, par la nécessité de sauver sa vie. Nous pourrions multiplier les exemples dans ce sens mais il est des cas où l’imagination peut avoir de graves conséquences et nuire à celui qu’elle vise.

 

En effet, La Fontaine montre , dans plusieurs fables , des mensonges inventés afin de nuire ou de tromper . Le Cormoran, par exemple, invente un récit imaginaire pour capturer les petits poissons; Certes , il a lui aussi besoin de manger . Dans le Dépositaire infidèle, nous rencontrons une situation complexe; Un marchand imagine une histoire invraisemblable pour justifier la disparition du fer qu’il devait garder. Il accuse un rat de l’avoir volé; La victime lui rend aussitôt la monnaie de sa pièce en enlevant le fils du marchand et en prétextant avoir aperçu un hibou soulever l’enfant dans les airs . Le voleur comprend la leçon et rend la marchandise ; Seul ici la surenchère imaginaire permet  de faire entendre raison au voleur.

Le renard est souvent un animal qui , grâce à son imagination et à ses belles paroles, réussit à se sortir de situations périlleuses ; Dans Le chat et le renard cependant, son trop plein d’imagination lui a été fatal car il n’a pas su choisir un moyen pour échapper aux chiens qui le poursuivaient ; il a  voulu tout faire et a fini étranglé alors que le chat lui a réussi à monter sur un arbre. Avoir la cervelle “matoise ” ne suffit donc pas : il faut adopter la bonne stratégie; Un trop plein  d’imagination ici est fatal au goupil. Dans Un animal dans la Lune, La Fontaine nous met également en garde contre les dangers de l’imagination lorsqu’elle dupe nos sens; L’homme doit savoir rectifier ses erreurs en prenant en compte tous les éléments avant de “crier merveille ”  Il raconte l’histoire du roi d’Angleterre qui a cru apercevoir un monstre dans la lune alors qu’il s’agissait en fait d’une souris “cachée entre les verres ” de la lunette; L’anecdote se termine par des rires  et le roi rit de son erreur de jugement.Contrairement à Pascal, La Fontaine pense  que “ mon âme en toute occasion développe le vrai caché sous l’apparence ” l’imagination serait, en quelque sorte, une enveloppe qui entourerait une vérité cachée . 

Cependant , il est facile de la détourner de ce but initial car la nature de l’homme est de s’enflammer pour les mensonges qui flattent son désir ; C’est ce qu’illustre La Fontaine avec la fable de du statuaire et de la Statue de Jupiter. L’artisan imite l’apparence du Dieu à la perfection et tout le monde la confond avec le vrai Dieu ; Pourtant ce n’est qu’une chimère  mais ” Chacun tourne en réalités/ Autant qu’il peut, ses propres songes :/l’homme est de glace aux vérités / il est de feu pour les mensonges . ” 

Dans Le Loup et le renard, le fabuliste montre le renard pris au piège d’une image : celle de la lune qu’il a prise pour un fromage; il est descendu dans le puits et es trouve prisonnier au fond d’un seau.Il est “tiré d’erreur mais fort en peine ”  Il doit alors attendre qu’un autre animal soit “de la même image charmé ” . Lorsque le loup se présente, le renard lui vante les délices de ce fromage exquis et voilà le loup , à son tour, prisonnier au fond du puits ; Il a permis au renard de remonter grâce au système de poulie des deux seaux. Le fabuliste conclut alors qu’il ne faut pas trop se moquer du loup car nous aussi ” nous nous laissons séduire /sur aussi peu de fondement” . 

 

De nombreux hommes et beaucoup d’ animaux sont ,en réalité, victimes de leur naïveté et ce n’est pas tant l’imagination que raille La Fontaine mais plutôt l’absence de raison et d’esprit . Il se sert d’ailleurs du pouvoir de l’imagination en optant pour le genre de la fable . Dans Le Pouvoir des fables, il démontre que les récits imaginaires parviennent à captiver les auditeurs là où les discours sérieux échouent . Il accorde donc de véritables pouvoirs à l’imagination; Ce “trait de fable ” permet non seulement d’amuser le monde mais surtout d’avoir son attention . La Fontaine, dans sa dédicace à Madame de Montespan, dit que la fable possède un charme puissant : celui de rendre l’âme attentive ; La fiction est mensonge mais elle est mise , par le fabuliste,au service d’une noble cause : nous faire atteindre la Vérité.  Il se sert donc des pouvoirs de l’imagination pour enseigner des vérités aux hommes . 

Dans le Songe d’un habitant du Mogol, La Fontaine nous apprend qu’il ne faut pas se fier à nos a priori mais faire confiance à nos rêves qui parfois disent la Vérité; Ce mogol pensait s’être trompé car dans son rêve , il voyait un vizir au Paradis et un ermite en Enfer ; En réalité, le vizir était un saint homme et l’ermite un courtisan obséquieux. Chacun a bien obtenu ce qu’il méritait et le rêve disait vrai. Sur ce modèle, la fable proposerait des vérités cachées sous les habits du mensonge; Les récits imaginaires permettraient d’atteindre des vérités essentielles à condition de faire confiance au fabuliste .

Ainsi l’imagination est vue comme une alliée de la pensée : le lecteur doit s’y fier car elle n’est qu’un moyen inventé pour rendre la morale plaisante , une feinte pour instruire et plaire. Dans le recueil, l’imagination sert tantôt à raisonner, tantôt à punir, tantôt à se sauver ; Au lecteur de choisir s’il plaint le pauvre loup abusé ou s’il admire le renard habile manipulateur ! Dans Le Lion le loup et le renard , la leçon est complexe ; Le lion demande l’impossible : l’éternelle jeunesse; Le renard se tient “clos et coi” à l’écart de la Cour car il mesure que son imagination ne suffira pas à satisfaire le roi; Dénoncé par le loup malveillant, il invente alors un faux remède contre la vieillesse : s’envelopper d’une peau de loup écorché. Le lion, cruel ,  sacrifie sans hésiter son courtisan sur la foi d’un récit imaginaire . Que faut il comprendre ? On lit, à travers ce subterfuge, à la fois la cruauté du lion, la méchanceté des courtisans calomniant leurs rivaux et l’habileté du renard qui exploite la naïveté du roi et lui sert un mensonge qu’il a envie d’entendre  car ce vieux lion “décrépit ” ne veut pas mourir .

L’imagination, en contournant la réalité,  ou en lui tournant le dos,nous ramène à l’essence de notre désir, qui par nature, est inépuisable. Dans les fables, La Fontaine la montre sous toutes les coutures; Il en révèle les plaisirs mais aussi les dangers ; Elle est un ingrédient indispensable de la Fable , un rouage essentiel du fonctionnement de l’apologue.