Le dix-neuvième siècle est marqué par la succession de différents mouvements littéraires : le romantisme est contesté par les fondateurs du Parnasse et après eux, les Symbolistes définiront un nouvel art poétique. Charles Baudelaire se trouve précisément au carrefour de ces trois courants . Son recueil Les Fleurs du Mal qui paraît 1857 fit scandale et lui vaudra un procès retentissant ; Le poète sera contraint de censurer des pièces jugées scandaleuses et de livrer ainsi , au public, une version expurgée de son recueil . Dans la continuité du mouvement romantique, on retrouve des thématiques communes et notamment l‘expression du mal de vivre, qui chez Baudelaire, s’amplifie et devient le Spleen . Nous verrons comment Baudelaire, dans « l’Albatros », propose une image du poète en oiseau; Il oppose l’Idéal au Spleen, et met en scène une vision pessimiste de la société, dans laquelle le poète ne trouve pas sa place. Plus »
Le drame romantique, inventé par Victor Hugo , est un type de spectacle qui tente d’effectuer la synthèse entre des éléments issus de la tragédie , et d’autres issus de la comédie. En 1827 Hugo dans la Préface d’une de ses pièces , définit ce théâtre comme un mélange de sublime te de grotesque. Avec son drame Ruy Blas , en 1838 il mêle une intrigue amoureuse et une trame politique; Un valet, manipulé par son ancien maître chassé de la cour, va révéler progressivement son amour à la reine d’Espagne mais il cache un terrible secret: son identité véritable. Lorsque Don Salluste revient à la Cour et fait éclater la supercherie, il le tue sous les yeux de la reine. Cette dernière est atterrée par ce qu’elle vient d’apprendre et demeure sans voix “immobile te glacée” ; Quel dénouement Hugo a -t-il choisi ? la passion va-t-elle triompher ? On peut en douter . Commençons la lecture linéaire …
Ruy Blas reste à distance comme l’indique la didascalie interne du vers 2 : “je n’approcherai pas “ . Cet aspect solennel est celui de la tragédie classique dans laquelle les personnages s’expriment avec solennité. Le personnage de Ruy Blas tente de se faire pardonner ce qui peut être qualifié de “trahison ” comme on le lit au vers 6 . Il a, en effet, accepté de se faire passer pour un noble alors qu’il est d’origine modeste et a menti sur sa véritable identité, allant même jusqu’à accepter les fonctions de premier ministre en l’absence du roi . On remarque que les alexandrins sont “disloqués ” ainsi que le voulait Hugo qui a tenté de créer ainsi un langage théâtral plus naturel . L’agitation du personnage se traduit également par un bouleversement de la syntaxe et de nombreux enjambements comme aux vers 5 et 6 . Le champ lexical de la faute est très présent au début du passage avec le terme trahison déjà mentionné au vers 6. Ruy Blas se sent fautif mais il tente de se justifier et on le remarque notamment l’atténuation de sa culpabilité avec la négation partielle “ je ne suis point coupable autant que vous croyez ” au vers 3. L’aveu explicite de la faute apparaît au vers 9, à la fin de la première tirade et la cause est précisée : “cet amour m’a perdu ” ; On retrouve un thème important dans la tragédie classique: les dangers de la passion qui mène les hommes à leur perte; Il n’est plus question ici de fatalité ou de malédiction divine comme dans Phèdre mais le personnage, sous l’effet de sa passion amoureuse pour la reine, est devenu malhonnête et a renoncé à des valeurs comme la droiture, la sincérité. Il a, malgré lui, accepté de participer à la tentative de disgrâce de la reine; Il est devenu complice d’un criminel et criminel à son tour, en devenant le meurtrier de Don Salluste.
A genoux, dans une attitude de supplication , devant la reine, il ne la laisse pas s’exprimer et poursuit, au vers 11 , ses aveux , qu’il diffère pourtant à plusieurs reprises “ je vais de point en point tout dire ” lit-on aux vers 13 et 14 avec un nouvel enjambement qui marque une sorte d’étirement de la révélation. Le personnage répète, comme pour mieux nous en convaincre qu’il n’a pas l’âme vile ; l'adjectif vil rappelle qu'il est de basse extraction (c'est un valet au départ, un serviteur ) ; Hugo veut montrer dans ce drame que les qualités morales et intellectuelles d'un homme ne sont pas liées à sa condition sociale et qu'on peut devenir un dirigeant politique même lorsqu'on n'est pas de haute naissance. Les idéaux révolutionnaires ont fait leur chemin et au moment où la France est redevenue provisoirement une royauté, Hugo marque ici son engagement pour le peuple qu'il souhaite associer au pouvoir. Le personnage de Ruy Blas se transforme , à ce moment , en une sorte de figure christique et le dramaturge utilise des symboles pour accentuer la ressemblance entre son héros et le Christ; Ainsi, “une femme du peuple “ au vers 18 est venue essuyer la sueur de son front; Ce geste symbolique rappelle celui de la Passion . Dans ce récit religieux qui décrit le parcours du Christ qui a du porter sa croix jusqu’au mont Golgotha , on distingue 13 étapes qui sont les 13 stations du chemin de croix; A l’étape 6, une femme prénommée Véronique s’approche et brave l’hostilité de la foule pour essuyer le visage du Christ souffrant sous le poids de son fardeau; A l’époque romantique, les auteurs se servent des images de la passion du Christ pour décrire leurs héros. Ici, Hugo cherche à faire naître la pitié du spectateur et applique ainsi le principe que recommande Aristote pour réussir une tragédie . La tirade d’ailleurs se termine avec un vers pathétique : “Ayez pitié de moi, Mon Dieu, mon coeur se rompt ” La métonymie finale illustre à la fois la douleur du personnage mais préfigure également sa mort et la rend imminente.
Les échanges vont alors devenir plus intenses et plus resserrés comme une sorte de duo final . Au mots vont bientôt succéder les gestes tragiques car au théâtre , la parole se fait geste et devient action. Les didascalies externes qui précèdent les vers 25 et 27 montrent le héros qui se lève et avale un liquide ; Hugo s’est ici fortement inspiré de la tragédie classique et notamment de Phèdre qui offre un dénouement du même genre ; La coupable s’empoisonne de remords et sa mort purifie le jour qui se lève ; Ruy Blas se comporte donc comme un personnage de tragédie : il met fin à ses jours pour expier sa faute et demande le pardon de ses offenses. Alors que Phèdre se punit par sa mort , d’avoir provoqué celle d’un innocent, Ruy Blas se punit d’avoir menti, sur son identité et trahi celle qu’il aimait ; D’autant qu’il risque de provoquer sa perte car si leur liaison est découverte, elle sera déshonorée et contrainte d’abdiquer ainsi que l’avait prévu Don Salluste.
Le suicide dans le drame romantique était préparé et il apparaît comme la conséquence directe du refus du pardon de la reine qui, par deux fois ,affirme qu’elle ne pardonnera “jamais ” vers 23 et 26. C’est pourquoi le revirement de situation qui suit a pu paraître un peu étrange aux spectateurs de l’époque qui étaient habitués aux dénouements tragiques plus classiques. Lorsque Ruy Blas s’écrie ” Triste flamme , Eteins -toi ” , on pourrait penser que ce sont ses dernières paroles . Il indique qu’il meurt d’amour ; La construction ici associe la métaphore amoureuse à l’image d’une vie qui s’arrête; En effet, la flamme désigne à la fois le sentiment amoureux mais également la vie du personnage: ils ne font plus qu’un .La fin de l’amour marque donc irrémédiablement la fin de la vie.
A partir de ce moment, la tragédie devient un drame et offre aux spectateurs des moments déconcertants . Tout d’abord le changement d’attitude de la reine peut surprendre : elle se précipite vers le héros mourant pour l’entourer de ses bras et d’ailleurs , il donnera d’abord l’impression de mourir dans ses bras : “ l’entourant de ses bras”, tenant la reine embrassée “la reine le soutient dans ses bras ” au vers 45; Hugo reprend ici l’image du Christ avec plusieurs allusions comme l’obtention du pardon qui évoque les dernière paroles du Christ adressées à son père . La reine qui jusque là , était demeurée stoïque, se met alors à vibrer d’une passion qui a pu surprendre ; Elle lui dit qu’elle l’aime et l’appelle dans un premier temps , César, qui était son faux nom avant de lui donner , au dernier vers, sa véritable identité. Mais ce pardon arrive trop tard ! Et c’est aussi ce qui rend ce dénouement particulièrement tragique !
Qu’a t-on reproché encore au dramaturge dans ce dénouement inédit ? En plus du revirement de la reine, on a également reproché au dramaturge d’avoir “allongé “la mort du personnage sur scène avec une agonie spectaculaire et surtout un dernier merci qui a été critiqué de nombreuses fois, pour son caractère invraisemblable. On se souvient en effet qu’une des règles du théâtre classique insistait sur le caractère vraisemblable des actions qui devaient être montrées au public; Ici, ce n’est pas du tout vraisemblable et les gens ont trouvé que Victor Hugo en faisait trop avec le risque que cela devienne ridicule. Il faudra, en effet, attendre des dizaines d’années, pour que ce drame obtienne un certain succès. En accentuant la dimension spectaculaire, le dramaturge prive le public d’une partie de ses repères ; Jusque là habitué à voir dans les tragédies des personnages exprimer des souffrances “dignement ” et en se touchant à peine, le public a réagi assez mal à cette fin : Hugo livre ici sa version théâtrale de la mort passionnelle .
Le héros , au moment de mourir, se retrouve lui-même : “je m’appelle Ruy Blas ” et semble ne plus réagir aux marques d’amour de la reine ; Il ne la regarde pas mais se tourne , comme l’indique la didascalie externe vers Dieu “levant les yeux au Ciel ” qu’il implore . La dimension christique du héros est réaffirmée avec la mention de son “coeur crucifié ” au vers 48 . La construction du vers 49 précise les enjeux du drame et reflète les contradictions . ” vivant par son amour ,mourant par sa pitié “; Il faut comprendre ici que l’amour de la reine a réjoui le coeur du héros quand il était vivant et que maintenant la pitié de la reine réjouit son coeur au moment où il est mourant . Le caractère inexorable de la mort du héros est reprécisé sur scène dans les répliques finales; Alors que la reine se sent, à son tour , coupable et se demande ce qui se serait passé si elle avait pardonné plus tôt, Ruy Blas rappelle d’une manière claire que cela n’aurait rien changé . L’avant dernière réplique “ je ne pouvais plus vivre ” souligne cette idée . On remarque que si les personnages se tenaient à distance respectueuse l’un de l’autre au début de cette scène , ils se sont très vite rapprochés pour s’étreindre et l’ une des dernières didascalies montre la reine “ se jetant sur son corps ” ; On peut retrouver dans ce choix l’influence d’un dramaturge comme Shakespeare que Hugo admirait particulièrement.
Ce final comporte donc de nombreux éléments tragiques : certains sont habituels et d’autres le sont un peu moins pour le public. La mort du héros est , à la fois prévisible et attendue ; elle vient sceller une passion impossible entre deux personnages qui s’aimaient sincèrement mais qui n’ont pas d’avenir ensemble; Si le dramaturge montre, sur scène, et pour la première fois, la possibilité d’un amour entre un “ver de terre “et une “étoile ” il ne permet pas à ces deux personnages d’être heureux; la mort demeure l’unique issue pour un homme qui a menti sur ce qu’il est et cette femme pourra toujours se reprocher de ne pas avoir choisi l’amour à temps; Le drame romantique tente une synthèse entre un héritage tragique et des préoccupations contemporaines et il est parfois difficile de comprendre ce nouveau genre. La passion amène toujours l’homme à effectuer des choix souvent irréversibles et qui le condamnent à se perdre .
Dès sa première apparition sur scène, Phèdre veut mourir pour échapper à sa passion dévorante et interdite. Oenone, sa vieille nourrice, qui a peur pour elle, décide de la faire renoncer à ses noirs projets et réussit à la convaincre de la laisser mentir à Thésée . Au début de l’acte IV, Oenone, en brandissant l’épée d”Hippolyte comme preuve accuse ce dernier d’avoir tenté de violer sa belle-mère: Phèdre ne dément pas. Thésée, furieux, accable son fils et demande à Neptune de le punir. Ce dernier est banni et Phèdre, quant à elle, se sent terriblement coupable d’avoir sali la vertu d’un innocent :elle accuse Oenone et la chasse; Cette dernière se suicide en se jetant dans la mer. Hippolyte dans sa fuite mais il meurt, est tué par un monstre marin. le récit de sa mort est relaté par Théramène, son plus fidèle serviteur . C’est en père éploré que Thésée vient annoncer à son épouse la mort de son fils. Phèdre es décide alors à tout lui avouer.
En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ? L’extrait que nous étudions débute au vers 1622 et se termine au vers 1644. “De : les moments me sont chers …à toute sa pureté”
Juste avant la dernière tirade, on entend l’aveu de la culpabilité de Phèdre : On note d’abord la fermeté du ton : – « Non » est son premier mot au vers 1617 et il marque, à la fois , une rupture et annonce négation. L’utilisation de la forme injonctive avec « il faut » qui est répété deux fois (v.1617-1618) souligne la détermination du personnage qui exécute son devoir .Elle coupe la parole de Thésée qui est dans la lamentation : elle n’a pas le temps d’écouter Thésée et sa douleur car il lui faut agir , et donc parler vite .
L’emploi de l’impératif présent : « écoutez-moi » traduit le fait que Phèdre est consciente de l’urgence de la situation; sa mort est proche, et elle ne peut pas perdre du temps : « les moments me sont chers » reprend cette idée d’urgence . Phèdre vient rendre justice à un innocent : Le champ lexical de la justice : « injuste », « innocence », « coupable », « condamné » illustre ce point . Avant d’expirer, Phèdre veut rétablir la vérité. On assiste à une sorte de plaidoirie et elle se désigne comme la principale coupable avec une forme emphatique : “ c’est moi qui “qui semble faire peser tout le poids de la culpabilité sur le personnage ; L’objet est séparé du verbe comme pour accentuer l’horreur de son crime “jeter un oeil profane, incestueux. L’adjectif profane rappelle ici qu’elle n’a pas respecté les liens sacrés de la famille : elle a donc offensé les Dieux et son crime s’apparente à une forme de sacrilège. Le contraste est alors maximal entre les deux personnages : l’innocent mort injustement et la coupable dont la vie paraît injuste. L’idée est peut -être de faire davantage accepter cette mort par le public en la justifiant ici de manière naturelle.Ce n’est plus seulement l’héroïne qui cherche à échapper à sa passion en se donnant la mort, c’est une femme criminelle qui mérite de mourir pour le mal qu’elle a fait. Phèdre reprend alors l’enchainement dse faits qui ont mené à la tragique mort d’un innocent : au vers 1625 : « le ciel mit dans mon sein » : les deux métonymies rappellent l’origine de sa funeste passion, cette malédiction dont elle fut ma victime . C’est une manière de rejeter en partie sa culpabilité car elle est seulement en position d’objet : « dans mon sein ». Elle se présente,une fois de plus , victime de cette cruauté des Dieux qui s’acharnent à punir son sang pour une faute commise par les ses ancêtres ( le Soleil, son grand-père qui a dénoncé les amours secrètes de Mars et Vénus ) . Ensuite, dans un second temps, le personnage dresse un véritable réquisitoire contre Oenone qu’elle qualifie, au moyen d’ un vocabulaire dépréciatif: de «détestable», au vers 1628 et de « perfide » au vers 1630. – Elle l’accuse d’avoir “conduit ” la trahison et même d’avoir abusé de la situation car elle se trouvait dans une “faiblesse extrême ” v 1629 . Le dramaturge rappelle une dernière fois les circosntances qui ont mené à cet enchaînement tragique : l’aveu de l’amour de Phèdre s’est déroulé alors qu’elle croyait son époux mort et le retour de Thésée a modifié la donne ; le danger , c’est désormais que le jeune homme confie à son père, à son arrivée, les révélations de sa belle-mère; c’est pour prévenir ce danger que la nourrice a alors l’idée d’accuser Hippolyte; Phèdre peut-elle vraiment passer pour une victime de la fidélité poussée à l’extrême d’Oenone ? Elle apparaît en position d’objet, comme si elle subissait la volonté de la vieille femme: « abusant de ma faiblesse » tandis qu’Oenone est le sujet de tous les verbes d’action : « a conduit », « a craint », « s’est hâtée »: Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher ; “elle s’en est punie” : la mort est ici un choix assumé lié sans doute au remords de la nourrice; Ensuite, elle a été chassée par Phèdre qui évoque sa colère “fuyant mon courroux” Cette réécriture n’est pas totalement fidèle dans la mesure où Phèdre cache , en partie, sa complicité : elle n’a rien fait pour dissuader Oenone : acte II, scène 4 : elle lui confie en effet ” fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien pour moi” En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité. Quant à la périphrase qui désigne la mort comme un « supplice trop doux » , on peut entrevoir le caractère identique de la situation des deux femmes .
La mort semble cerner le personnage qui évoque sa première véritable tentative de suicide : lorsqu’elle a demandé à Hippolyte de lui ouvrir la poitrine et, symboliquement de lui percer le coeur; : « Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée » Dans ces vers, Racine rompt avec la tragédie de Sénèque dans laquelle Phèdre se donne la mort avec une épée. Ce refus d’une mort prématurée s’explique par sa volonté de prendre la parole pour rétablir l’innocence d’Hippolyte te le choix du poison peut sans doute renvoyer à cet amour qui l’a littéralement empoisonné. Elle présente Hippolyte comme l’incarnation de la vertu : « la vertu soupçonnée », rétablissant ainsi l’honneur qu’elle a bafoué. On peut aussi penser qu’il s’agit d’une forme de repentir : elle ne peut réparer le mal commis mais elle s’efforce de rendre au jeune homme sa dignité. D’ailleurs elle prononce le terme remords et justifie le délai qu’elle s’accorde pour disparaitre : elle peut prendre le temps de s’expliquer face à Thésée. Pour le spectateur, c’est aussi l’occasion de découvrir une forme de sacrifice : la précision « chemin plus lent » : peut être interprétée de deux manières : on peut, en effet, comprendre qu’elle a agi pour retarder sa propre mort mais cela montre également une forme de souffrance plus longue car on imagine le poison qui se diffuse, goutte à goutte, dans ses”brûlantes veines” . On retrouve également l’image de la descente aux Enfers qui peut évoquer les voyages de Thésée .
En précisant l’origine du poison “que Médée apporta dans Athènes » 1638 , Racine introduit une autre figure de femme meurtrière : la magicienne Médée, première femme de Thésée et sorcière qui elle aussi, sera victime d’une passion pour son nouvel époux, le perfide Jason, passion qui va la conduire à tuer sa rivale, le père de cette dernière avant d’immoler ses propres enfants . Les deux figures féminines dessinent une sorte de filiation, qui rappelle la dimension monstrueuse de la famille de Phèdre: un demi-frère taureau qui mourra sous les coups de Thésée et une mère, Pasiphaé qui mit au monde un monstre.
La tirade s’achève avec l’agonie du personnage qui est détaillée : elle indique avec précision l’écoulement du poison dans son corps Sur scène , le spectateur assiste à chaque étape de sa mort : “j’ai pris, j’ai fait couler » : la dimension pathétique est mise en oeuvre ici avec le parallélisme de construction ; L’héroïne met en scène sa mort et le dramaturge doit ici, mimer l’agonie. Ce qui explique que le discours de Phèdre se fait moins assuré et un peu plus maladroit comme le montrent les répétitions de l’adverbe « déjà » (1639-1641) :la parole semble se ressentir des effets du poison comme si elle se déréglait. Les conséquences physiques des effets du poison sont précisées elles aussi : elle ressent un « froid inconnu » qui atteste de l’approche de la mort; sa vue se trouble également : « je ne vois plus qu’à travers un nuage » . La nuit, métaphorique de la fin de la vie, tombe en même temps que le rideau qui viendra marquer la fin du spectacle .L’ annonce de la mort apparaît encore comme un soulagement pour le personnage : c’est la fin de la brûlure incessante causée par la passion amoureuse. Phèdre s’éteint en chrétienne avec la présence du champ lexical de la réparation de la faute : « outrage », « souillaient ». La faute est rappelée dans sa double dimension : religieuse et conjugale : « et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». L’héroïne rappelle qu’elle a offensé les Dieux par la faute de ses ancêtres et qu’elle a offensé son époux en laissant condamner un innocent après l’avoir laissé accuser d’un crime odieux. L’imminence de la mort se lit aussi à travers le champ lexical de l’ombre : « dérobant la clarté », je ne vois plus qu’à travers un nuage » mais cela s’oppose avec avec la lumière retrouvée, celle de la pureté : « rend au jour (…) toute sa clarté ». Ce retour de la lumière peut être interprété comme le signe que, par sa mort, Phèdre atteint la rédemption.
Si on se réfère aux règles du théâtre classique et notamment à la règle dite de bienséance, les personnages ne devaient pas offrir leur mort , à la vue du public: : « Elle expire, seigneur » :ces quelques mots peuvent laisser penser que Phèdre meurt bien sur scène : cela accentue le pathétique mais aussi le tragique . Cette mort agit presque comme une fin moralisatrice : la passion conduit à la perte, à la destruction et à la mort. Les spectateurs doivent alors se purger de cette émotion.
En conclusion : La fin répond au début de la pièce où Phèdre apparaissait déjà comme une mourante. Cette mort sans cesse reculée a permis de mettre en scène tout au long de la pièce la honte, la culpabilité et le tragique. Cette agonie du personnage est cependant ambiguë car jusqu’au dernier moment elle ne semble pas vraiment se remettre en question en rejetant la faute sur Vénus ou bien sur Oenone. Par ailleurs, elle ne mentionne pas la mort d’ Hippolyte et ne fait nullement référence au chagrin de son époux. Elle ne revient que sur son malheur et choisit de quitter la vie comme on sort de scène , par un dernier éclat .
La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une forme de transgression : Hippolyte avoue, dès la première scène, un amour interdit pour Aricie et cet aveu est suivi de très près par les confidences de Phèdre à sa nourrice Oenone; cette dernière recueille la parole de la reine malade, qui brûle d’une passion dévorante pour le fils de Thésée, son mari; fils que ce dernier a conçu avec la reine des Amazones, la fière te farouche Antiope; Le dramaturge, construit ainsi en parallèle deux parcours amoureux qui vont s’entrecroiser lorsque Phèdre fait l’aveu, malgré elle, de sa passion face à Hippolyte. Au moment où elle sort de sa chambre , elle croise celui-ci qui s’apprête à quitter le palais pour partir à la recherche de son père . La tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , une passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui . Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend alors de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour .
Cette lecture linéaire débute au vers 671 et se termine au vers 701 de ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle les souffrances de sa passion et son caractère monstrueux ?
Situation du passage : Phèdre est venue trouver Hippolyte pour plaider la cause de ses enfants qu’elle croit en danger suite à la mort supposée de Thésée. En effet, son fils est en lice dans la succession au trône, au même titre que son demi-frère Hippolyte et Aricie que ce dernier à délivrée. Bien malgré elle, confrontée à celui pour lequel elle brûle d’une passion effroyable, Phèdre lui déclare sa flamme.
Le premier mouvement – V.670 à 682 :présente , une fois de plus , Phèdre comme la victime d’une fatalité incontrôlable.
– On note un changement de ton brutal et de registre avec la tirade précédente. Phèdre retrouve , en partie, sa lucidité grâce à la réplique d’Hippolyte qui la ramène à la réalité. L’émotion poussée à son paroxysme, prend le dessus ainsi que le montre les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici peu approprié pour désigner le jeune homme qui vient justement de présenter des excuses . On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue. La ponctuation expressive marque ici la violence verbale, voire physique.-La présence de verbes injonctifs pourrait cependant traduire une forme de colère qui serait libérée par l’aveu mais il s’agirait plutôt d’un emportement contre la fatalité de cette passion. . Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . – D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur ne désigne pas tant la colère que l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion .Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime » ressemble à une bombe à retardement. La précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre comme s’il emplissait la scène. Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un caractère infamant (dégradant ) : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ».
Phèdre se présente donc , avant tout, comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur, ressort essentiel du spectacle tragique. Il est en effet, important que le spectateur puisse, sous certains aspects, considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse. Phèdre évoque d’ailleurs la cruauté des Dieux et cette cruauté fait écho à celle manifestée par le personnage d’Hippolyte qui ne partage pas les sentiments de Phèdre. Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » : formule frappante où on note , à la fois une gradation descendante et des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
– On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins au vers 687 ” ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie est souvnet décrite comme un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. – Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le système du passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister » et son échec est marqué par le vers 688 ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ” Le dramaturge a combiné ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour ; ce vers illustre ainsi les limites de cette lutte interne.Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ” Le vers 690 illustre par le chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière. Elle aimerait qu’il al regarde afin d’être convaincu de al sincérité de ses sentiments Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corp sdéfendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .
Le vers 692 marque une nouvelle étape dans cet aveu : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques des v. 693/694 réaffirment qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine rappelle, avec lucidité, les circonstances de son aveu tragique au vers 695 et 696 ; Elle fait retour sur sa situation qui vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice. Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent. La cause de la mort est rappelée à travers cet “odieux amour ” qui fait justement du personnage, une femme odieuse Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père . Le dernier vers de notre extrait , le vers 701 contient cette idée « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le registre amoureux trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique : « ne le point haïr », « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments. Le dernier vers résonne comme une sentence irrévocable. Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner « la veuve de Thésée » mettant en lumière les relations familiales qui unissent malheureusement les protagonistes et nomme explicitement Hippolyte. C’est l’inverse de l’aveu fait à Oenone I,3 « Ce fils de l’amazone, ce prince si longtemps par moi-même opprimé » .
En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris. A la fois victime et se jugeant coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments. La réaction d’Hippolyte ne es fait pas attendre : un mélange de honte et de dégoût. Phèdre cherche alors à flatter son orgueil pour qu’il devienne son bourreau mais cette dernière a pris soin de lui arracher l’épée avec laquelle elle l’enjoignait de la tuer. Cette épée va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone va accuser Hippolyte . ‘III 3 : elle demande à Phèdre d’accuser Hippolyte la première et évoque ” son épée en vos mains heureusement laissée” . Le quatrième acte s’ouvre avec l’entrevue Thésée/ Oenone et les fausses accusations d’Oenone : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” ( vers 1009/1010 ) Thésée va alors convoquer son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . ( ” IV, 2 v 1084)La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte et signe son arrêt de mort.
En guise d’introduction : Le XVII eme siècle s’illustre par une profusions d’œuvres théâtrales comiques et tragiques. Racine, écrit en 1677, une tragédie Phèdre en s’inspirant de la mythologie et notamment de deux tragédies antiques : Hippolyte de Euripide et Phèdre de Sénèque. Il choisit de recentrer l’action tragique autour des tourments de l’héroïne Phèdre
L’auteur place au centre de l’intrigue le personnage éponyme déchiré entre la raison et une passion qui la pousse à vouer un amour incontrôlable à son beau-fils Hippolyte.
Dans la scène 3 de l’acte I, nous sommes encore dans l’exposition et assistons au difficile aveu de Phèdre. Cette dernière, pressée par les questions d’Oenone, sa nourrice, avoue, un peu malgré elle, sa passion coupable . La machine tragique est ainsi lancée. La tirade de l’héroïne révèle qu’elle est déjà prête à mourir.
Ce qui précède notre extrait ( en résumé )
I Le coup de foudre / La naissance d’un amour violent causé par Vénus v.269 – 278
1. Le bonheur du mariage avec Thésée aussitôt troublé par le coup de foudre pour Hippolyte – coup de foudre qualifié péjorativement, amour = douleur : « mal » : « Mon mal vient de plus loin ». Phèdre va exposer les origines de son amour; Il faut remonter jusqu’à la malédiction dont elle est la victime- « Mon mal » s’oppose à « Mon repos, mon bonheur », deux vers plus loin. L’amour pour Hippolyte fait une irruption violente au milieu d’un amour plus calme, traditionnel et légitime car scellé par les liens du mariage. Le personnage tente de retenir la vérité : cet aveu qui lui brûle les lèvres : la périphrase « superbe ennemi » monter que la passion est l’enjeu d’une lutte : l’adjectif « superbe » veut dire fier et le substantif ennemi renvoie non pas au champ lexical de l’amour mais à celui du combat. Phèdre se sent donc vaincue par cet amour qu’elle sait coupable. .Les symptômes de la passion sont alors rappelés .Depuis les philosophes Grecs, on considère la passion comme une émotion forte qui prend le contrôle de notre corps. On le voit ici par – l’énumération « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » => rythme ternaire, allitération en « i », propositions juxtaposées => soulignent la précipitation des réactions qui succèdent immédiatement la vue de l’être aimé. – « Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue » : la raison est enrayée ; on remarque d’ailleurs que le je n’est plus sujet des phrases, il subit l’action, subit le trouble qui va jusqu’à la perte des sens : « Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler » : une fois encore, la juxtaposition des propositions souligne la rapidité de cette invasion croissante d’un amour qui paralyse le sujet. – Le je ne redevient sujet que pour sentir, faire l’expérience de la douleur : ce qui nous renvoie à l’étymologie du mot passion « patior » = souffrir : « Je sentis tout mon corps et transir et brûler » : la construction parallèle de termes antithétiques montre que Phèdre passe du chaud au froid sous le coup du vif sentiment qui l’anime. « Je reconnus Vénus et ses feux redoutables » : Vénus a lancé sur la famille (« d’un sang ») une malédiction dont Phèdre est la nouvelle victime. « Feux » renvoie ici à l’amour associé au champ lexical de la brûlure pour souligner la douleur que l’amour procure. – On note les adjectifs à la rime « redoutables » « inévitables » qui mettent en place la dimension tragique. Phèdre apparaît ainsi , dès l’exposition ,comme une héroïne tragique, qui subit pleinement un destin qui la dépasse, ici un amour terrible qui lui cause du tort et la déchire.
II. Un amour idolâtre et obsessionnel v. 279 à 290
L’héroïne pense pouvoir adoucir Vénus en lui offrant des prières et des sacrifices — Phèdre ne se contente pas de faire des prières : « vœux assidus », elle fait construire un lieu de culte pour Vénus « Je luis bâtis un temple », qu’elle décore « et pris soin de l’orner », elle multiplie ensuite les offrandes « Des victimes moi-même à toute heure entourée La description de al passion est alors liée à la maladie – « incurable » « remèdes » :sont deux termes en chiasme dans le même vers désignent cet amour comme un mal qu’on ne peut soigner. Ainsi ,au moyen de ces adjectifs « incurable » et « impuissants » nous voyons que les tentatives de Phèdre sont vouées à l’échec,ce que laissait percevoir aussi le verbe « croire » dans la proposition « je crus les détourner » : c’était une illusion que de penser pouvoir infléchir Vénus. On remarque même que le culte se destine, en réalité, à Hippolyte. – «- « Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse, / J’adorais Hippolyte » => Phèdre ne maîtrise plus sa propre parole (ce qui explique ses révélations en partie involontaires), mais ici elle se rend coupable d’impiété,; Elle prend un simple mortel pour un dieu, comme le montre le verbe « adorer ». + « J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer ». « ce dieu » : il s’agit ici d’une nouvelle périphrase pour ne pas nommer le jeune homme , objet de son culte et à cause duquel elle devient sacrilège- – La vue même joue des tours à Phèdre : « le voyant sans cesse » ; « Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ».=>Phèdre perd peu à peu sa lucidité qui est justement l’art de la clairvoyance et ainsi sa raison .
Notre extrait commence au vers 291
Phèdre rappelle qu’elle fut une marâtre pour son beau-fils , pensant ainsi vaincre sa passion en le tenant à distance ; « j’excitai mon courage à le persécuter » ; Il devint ainsi la victime, à son tour, de la passion de sa belle-mère . Pour l’éloigner, elle doit le bannir et feindre d’éprouver de la haine ; Ainsi, elle joue publiquement le rôle d’une méchante belle-mère « injuste marâtre » jalouse d’un enfant qui n’est pas le sien et soucieuse de préserver les intérêts de son union avec Thésée , notamment les enfants de leur mariage. Elle rappelle alors les souffrances endurées par le jeune homme séparé de son père ; Le verbe arracher traduit la violence de cette séparation imputable à Phèdre qui peut ainsi trouver un repos momentané “depuis son absence ” <strong>; je respirais : Racine insiste sur le caractère oppressant de la passion et on retrouve les symptômes physiques qui traduisent la force du sentiment : A l’abri de l’agitation des sens , Phèdre apparaît comme une épouse modèle : “soumise ” à son époux; Néanmoins, elle tait ses tourments et trouve une forme de consolation dans les soins accordés à ses enfants:l’expression “cultivais les fruits ” semble indiquer qu’elle s’occupe de l’éducation des enfants nés de son union avec Thésée. La double exclamative traduit sa colère et sa tristesse : le registre tragique est dominant avec “vaines précautions ” qui démontre l’échec du personnage et le second hémistiche “cruelle destinée ” ravive la compassion du spectateur. L’être aimé prend alors les traits de l’ennemi ; le champ lexical de la guerre, du combat est dominant avec le terme blessure au vers suivant associée à l’hyperbole “trop vive ” et à la conséquence funeste : “a saigné” On retrouve cette idée d’une physiologie des transports amoureux : la souffrance se matérialise et s’expose aux yeux de tous . Ce qui était caché devient alors visible : c’est ainsi que la révélation se manifeste ; la déesse Venus devient le bourreau de Phèdre au vers 306 ; elle devient “victime” ainsi que l’indique le substantif “proie” ; cette présentation permet d'atténuer la dimension monstrueuse de la jeune femme et de renforcer la pitié que nous éprouvons pour elle et les fautes qu’elle confesse . En effet, Phèdre paraît consciente de mal agir; lorsqu’elle évoque son amour incestueux, elle le nomme “crime” et ne cherche pas à atténuer la portée de son geste ; Elle en conçoit une “juste terreur” ; L'adjectif ici, peut se comprendre au sens de légitime; Il est donc logique qu'elle soit effrayée et le châtiment paraît ainsi justifié. Elle présente alors ,une nouvelle fois, son désir de fuir la vie pour se punir ; Elle a pris sa "flamme en horreur “; A la rime avec terreur, ce mot , loin de chercher à minimiser le geste de Phèdre, en révèle toute l’atrocité et renforce, une fois de plus, la dimension pathétique de la tirade. La mort seule permettrait de préserver la “gloire” du personnage et d’éviter le déshonneur qui pourrait rejaillir sur sa lignée. L’euphémisme “dérober au jour une flamme si noire ” , combiné ici avec une antithèse, fait presque apparaître la mort de l’héroïne comme un effacement et rappelle qu’elle n’ose plus se montrer à la lumière ; Elle souhaite se terrer dans l’ombre;
La dernière partie de la tirade est adressée à Oenone qui a provoqué la libération de cette parole : “je n’ai pu soutenir tes larmes” Phède a avoué parce qu’elle souhaitait réconforter sa nourrice et calmer ses inquiétudes; Au lieu de cela, elle a déclenché la stupeur de celle-ci. Ses aveux n’ont donc servi à rien dans la mesure où elle semble plus que jamais déterminée à se donner la mort : elle s’adresse d’ailleurs à Oenone en lui demandant de la laisser faire ” pourvu que de ma mort respectant les approches ” : la subordonnée marque ici le but et interdit l’action à la nourrice qui devient , par le fait, spectatrice d’une mort annoncée comme inévitable. La tragédie devient le lieu de l’inaction souhaitée : “tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches ” Phèdre a souhaité parler pour éclaircir , auprès de sa nourrice, les motifs de son désir de disparaître et elle entend désormais faire cesser les reproches ; On retrouve l’adjectif “vain” qui qualifie cette fois les secours ; Racine désigne ainsi les tentatives d’Oenone pour maintenir Phèdre en vie; cette dernière demande à ce qu’on ne l’aide plus et sa mort paraît inévitable; Le dernier alexandrin ” un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler ” rappelle le dernier souffle avant d’expirer et rend cette mort d’autant plus imminente; Plus rien ne fait désormais obstacle à la disparition programmée du personnage .
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Jean de La Bruyère est un moraliste français, qui a rédigé une œuvre unique et originale Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle ; Ce livre est composé essentiellement de portraits et maximes, regroupés parfois sous forme de chapitres qui présentent une unité thématique . Les “traits” dépeints dans les Caractères révèlent un esprit critique et indépendant, celui d’un homme de la fin du dix-septième siècle . Ses observations, souvent impitoyables envers la nature humaine, conservent une valeur intemporelle. Malgré l’objectif affiché par le titre de l’ouvrage, le moraliste recourt à l’imagination et à la fiction pour permettre l’exercice de la pensée critique . C’est ce que nous voyons à l’oeuvre dans cet extrait où il critique avec férocité les mœurs de la Cour en adoptant une sorte de regard étranger . Nous verrons d’abord le portrait des jeunes gens avant d’évoquer les reproches qu’il adresse aux femmes et celles qui visent l’adoration du Roi
Le premier procédé utilisé par le moraliste est celui du regard étranger sur une contrée imaginaire . Le narrateur , volontairement dissimulé sous un on global et indéterminé, évoque la Cour comme s’il s’agissait d’un pays éloigné dont il précisera d’ailleurs la position géographique avec les coordonnées de latitude et de longitude, à la fin de sa description, aux lignes 21 et 22. La peinture critique débute par une opposition entre les qualités des vieillards et les défauts des jeunes gens qui composent une partie de la population de ce pays imaginaire; Alors que les premiers sont galants, polis et civils, les jeunes ‘au contraire ,marque de l’antithèse, sont qualifiés de “durs, féroces, sans moeurs ni politesse” . Défauts et qualités s’opposent en tous points et on constate que les défauts l’emportent car ils sont au nombre de quatre. Le moraliste affine sa critique en précisant que ces jeunes gens ne se comportent pas de manière habituelle et il les compare à tous les autres qui se trouvent “ailleurs” ; Leurs moeurs seraient donc propres à ce pays imaginaire uniquement; Il leur reproche d'être déjà dégoutés de l'amour des femmes très tôt et cela lui semble une aberration; Il utilise un terme plutôt mélioratif, le verbe s’affranchir qui signifie être capable de se détacher d’une passion, s’en libérer , pour montrer que ces jeunes hommes sont , prématurément, blasés et ne cherchent plus à connaître l’amour; Serait- ce le signe de trop de galanteries à la Cour ? La Bruyère nous renverrait ici une image proche de celle de Madame de La Fayette qui dépeint les dangers des amours à la Cour et la multiplication des intrigues amoureuses;
Au lieu de se tourner vers les femmes , ces jeunes gens “leur préfèrent des repas ” peut on lire à la ligne 3, ainsi que des viandes; Ce choix peut paraître discutable d'un point de vue moral et il présente la nourriture , la bonne chère comme une alternative préférée à la chair , c'est à dire à l'amour. Néanmoins, à la fin de cette proposition, on découvre la mention d’amours ridicules ; ( ligne 4 ) Que veut indiquer ici le moraliste? Etablit-il , par allusion, une différence entre amours sérieux et amours ridicules ? Est-ce une critique des nombreuses aventures adultères ou aux amours homosexuelles qui désigneraient une partie de la Cour, autour de Monsieur, Philippe d'Orléans,frère du roi, réputé pour ses liaisons masculines et son goût de la fête , qui mettait fort en colère la reine . En effet, de nombreux mémorialistes et notamment Saint -Simon, qui était pourtant un ami personnel du frère du roi , notent son goût immodéré pour le vin et pour la débauche en général . S’agirait-il donc d’une généralisation, dans l’extrait de La Bruyère d’une forme de décadence à la Cour , marquée à cette époque par le faste . En 1682, rappelons que lorsque Louis XIV s’installe à Versailles, il est entouré au quotidien de près de 10000 personnes.
La critique de l’alcoolisme outrancier des jeunes gens à la cours fait l’objet de plusieurs remarques sous la forme de notations paradoxales : ne boire que du vin est ainsi assimilé, chez eux , à de la sobriété car ils ont besoin d’alcools de plus en plus forts comme le traduit le superlatif de la ligne 6 “liqueurs plus violentes ” pour terminer par l’eau- forte associé à la débauche, lignes 6 et 7 . L’eau -forte désigne l’acide nitrique dont se servent les graveurs pour dessiner dans le cuivre ; mélangé à de l’eau, l’acide nitrique est un puissant décapant corrosif, mortel s’il est ingéré et La Bruyère fait- il référence aux nombreuse tentatives d’empoisonnement à la Cour en nommant un poison toxique capable de tuer l’homme. Il joue avec la parenté du mot eau de vie qui renvoie à des alcools très forts .
La seconde partie de la critique s’adresse particulièrement aux femmes de la Cour accusées d’être trop artificielles : Ces dernières , en effet, “précipitent le déclin de leur beauté “paradoxe pour signaler que leur maquillage excessif les enlaidit au lieu de les embellir. La Bruyère goûtait sans doute peu, les évolutions de la mode à la Cour qui avaient imposé ,des transformations dans les tenues féminines. Sous l’influence d’Anne d’Autriche, régente de son fils Louis XIV, la mode à la Cour était plutôt austère mais , dans la seconde moitié du règne du roi Soleil, les costumes avaient changé : les manches étaient devenues plus courtes, les coiffures plus travaillées et le maquillage avait fait son apparition ; La Bruyère note surtout le manque de pudeur de certaines tenues : le verbe étaler à la ligne 9 est péjoratif et reflète le comportement amoral des femmes de la Cour ; une fois de plus, le moraliste recourt à un paradoxe pour souligner sa critique de l’impudeur “comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire “ ; il monter qu'elles sont très dénudées et que leurs tenues sont impudiques. En révélant publiquement , par leurs toilettes, les parties jusque là cachées de leur corps notamment les bras, le haut de la poitrine et le cou;
L’évolution de la mode masculine est également fustigée avec une nouvelle coutune qui choque la Bruyère: il s’agit du port de la perruque alors en vogue; cette dernière est qualifiée, à juste titre de “cheveux étrangers “ à la ligne 12; En effet, les perruques sont composées de cheveux qui n’appartiennent pas, en propre, à ceux qui les portent et le terme étrangers peut ainsi renvoyer au contexte imaginaire de cette “région “étrange et lointaine. Le moraliste reproche au port de la perruque de rendre la physionomie “confuse ” ligne 11 ce qui est présenté comme un défaut contraire à la netteté et au naturel ( ligne 12) ; De plus, la perruque est également accusée de modifier l’aspect de la personne qui la porte d’en “changer les traits ” ; Les apparences prennent ainsi le dessus sur le naturel ce qui est quelque peu contraire à l’esprit de l’honnête homme , le modèle que défendent les moralistes . De plus, les perruques brouillent les repères et semblent empêcher “qu’on connaisse les hommes à leur visage” ; Est-ce ici une référence à l’expression montrer son vrai visage qui signifie être franc , ne rien dissimuler. On retrouve ainsi les mêmes reproches que ceux formulés à l’encontre des courtisans par l’auteure de La princesse de Clèves: des hommes et des femmes qui dissimulent leurs véritables sentiments.
La dernière partie de notre texte est consacrée à la critique du culte personnel rendu au roi. A la ligne 14, La Bruyère met d’ailleurs sur le même plan les deux entités associées par la coordination : “leur Dieu et leur roi “; Il décrit ensuite le culte catholique et le rituel des célébrations religieuses comme s’il s’agissait d’étranges cérémonies païennes; Le vocabulaire qui est employé rappelle celui de la Grèce antique avec la mention à la ligne 15 du temple, devenu “église” et de la liturgie qui est désignée au moyen de l’expression “ célébration des mystères” ; La religion catholique est définie au moyen de trois adjectifs : “saints, sacrés et redoutables ” : si les deux premiers d’ailleurs qeulque peu redondants, sont laudatifs et rappellent la dimension sacrée des rites; le dernier ferait plutôt référence à la peur qui animerait certains fidèles ; En effet, à la cour il est plus prudent d’assister aux offices et de ne pas être accusé d’hérésie comme le furent les Protestants; La période , en effet, est agitée et de vives tensions sont perceptibles dans l’entourage même du roi : en 1685 ce dernier, sous la pression de la reine, révoque l’Edit de Nantes et interdit ainsi aux protestants, de plus en plus nombreux à la cour, d’afficher et de pratiquer leur religion . Notons que La Bruyère est proche de la famille du Prince de Condé, cosuin du roi et qui fut l’un des principaux opposants politiques de Louis XIV; il fut lle précepteur et ensuite le secrétaire de Louis III de Bourbon -Condé, petit-fils du grand Condé ; il donna également des leçons à l’épouse de ce dernier (le mariage eut lieu alors qu’elle n’était âgée que de 11 ans ) Mademoiselle de Nantes , qui était la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. ) A la ligne 19,l e narrateur met en doute la sincérité de la foi de certains courtisans qui “semblent avoir tout l’esprit et tout le coeur appliqués ” Il leur reproche de ne pas s’intéresser au déroulement même de l’office mais de préférer regarder le roi alors qu’ils tournent le dos au prêtre . Son dernier commentaire évoque une “espèce de subordination ” qu’il juge déplacée ; N’étant pas lui-même d’une grande noblesse, La Bruyère épingle la morgue de certains grands du royaume qu’il fréquentait mais en tant que subalterne ; Il dénonce ici l’affectation de leur piété: leur dévotion semble se tourner davantage vers la figure du roi que vers Dieu ; la construction de la phrase de la ligne 20, avec ses parallélismes, traduit cet état de fait ” ce peuple paraît adorer le Prince et le prince adorer Dieu “. La révélation de la localisation de cet étrange pays est donnée sous forme de devinette à la fin du texte et rappelle que La Bruyère enseignait l’histoire et la géographie; La référence aux Iroquois et aux Hurons fait passer les courtisans pour d’étranges personnages aux moeurs tout aussi étranges que celles des peuples cités qui font l’objet de la curiosité des Français .
En conclusion de ce court extrait , on peut voir que La Bruyère aime le juste milieu et refuse tous les excès. La dimension morale des Caractères repose sur cette invitation au lecteur à ne pas imiter ses personnages décrits dans leur démesure. Il critique également les dangers de vivre dans les apparences et les fausses valeurs, comme c’était le cas à la cour de Louis XIV. Les courtisans se souciaient plus de leur apparence que de ce qu’ils étaient réellement, prêts à tout pour se faire une place dans la société, quitte à passer à côté de la morale. Il prône l’idéal de l’honnête homme, qui sait rester fidèle à ses principes sans tourner le dos à son prochain, qui est cultivé mais ne tombe pas dans le pédantisme, qui représente un idéal social d’équilibre, en somme. Du point de vue politique, La Bruyère dénonce tous les excès de la monarchie absolue, qu’il s’agisse de l’exaltation de la grandeur et de l’argent ou de la tyrannie hiérarchique exercée sur les classes sociales inférieures telles que celle des paysans. Les Caractères parurent de manière anonyme et l’écrivain a utilisé le pouvoir de l’imagination pour permettre, aux aristocrates, public lecteur , de réfléchir aux moeurs de leur temps ; Lorsque la critique est virulente et touche de près les lecteurs, le détour par l’imagination permet de mettre la distance nécessaire à la réflexion.
La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moraliste, tout comme Jean de La Fontaine ou François de La Rochefoucauld car si son écriture vise à plaire, elle vise avant tout à instruire son lecteur, à lui délivrer une morale. C’est en cela qu’il s’inscrit aussi pleinement dans le classicisme, prisant la mesure et refusant les excès. De plus, il défend la théorie des « Anciens » et se méfie de la nouveauté car il pense que la littérature de l’Antiquité a atteint la perfection ; Dans la querelle des Anciens et des Modernes qui divise les Académiciens, , il prendra le parti de Racine, de Boileau et de La Fontaine contre Perrault et Fontenelle dont il fera le portrait à charge dans l’un de ses caractères.
A titre de complément, voilà un autre extrait qui dépeint la Cour comme un pays imaginaire
ll y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels.
La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des passions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.
Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan d’autant plus parfaite, qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.
Un exemple maintenant, pour préparer l’écrit du bac, de plan de commentaire littéraire donné sur ce site https://francaiscourbac.skyrock.com/2835430708-DE-LA-COUR-74-LECTURE-ANALYTIQUE.html
1. Un narrateur étranger. les indices de l’énonciation
Plusieurs formulations laissent penser que celui qui parle rapporte des paroles entendues et décrit ce qu’on lui a présenté mais qu’il n’a pas vu lui-même.
A. L’utilisation du « on ».
Ce pronom ouvre le texte sans que le lecteur puisse savoir si le narrateur s’inclut ou non dans le groupe. Ce n’est donc pas un indice révélateur à lui seul.
On remarque la présence d’un deuxième « on », « où l’on commence ailleurs à la sentir », qui peut poser le même problème, mais de l’un à l’autre, certains éléments laissent penser que cet emploi fait du narrateur le rapporteur d’un message relatif à des lieux qu’il ne connaît pas.
B. les références à une région étrange.
Le mot « région », caractérisé par la présentation de ceux qui y vivent, est repris par l’expression « cette contrée », puis par « pays ».
Le terme « peuple » (au singulier ou au pluriel), ou la périphrase « Ceux qui habitent » font également penser à un pays étranger dont la population aurait des comportements inattendus.La localisation géographique qui termine le texte, par rapport au pôle d’une part, de l’autre à des tribus indiennes, termine sur une note exotique qui accentue l’aspect « pays lointain » et inconnu de la région décrite.Le texte se trouve ainsi ouvert et fermé par l’évocation d’un pays original, dans lequel les comportements sont constamment dépaysants.
C. Les périphrases et l’insistance sur l’apparence.
Le pays n’étant pas nommé, on ne peut appeler ses habitants par leur nom.La périphrase « Ceux qui habitent cette contrée » permet de les désigner en jouant sur l’ignorance.D’autres expressions vont dans le même sens : « les cheveux étrangers » désignent les perruques.Par ailleurs la formulation « qu’ils nomment », « qu’ils appellent » insiste sur le fait qu’il s’agit de pratiques et de terminologies peu connues.La récurrence des verbes soulignant l’apparence joue le même rôle : « semblent », « paraît ».Ces différentes formulations se combinent pour brouiller l’énonciation : le lecteur ne sait pas de quoi il est question, ni dans quelles circonstances celui qui parle émet son message.Il ne sait pas non plus comment ce dernier se situe par rapport à ce qu’il rapporte des éléments de présentation entendus à propos d’un pays lointain dont les coutumes, présentées un peu approximativement, ne sont pas clairement élucidées : utilisation de « comme si » à propos des femmes (« comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire »), interprétation erronée de l’emploi des perruques (« (…) empêche qu’on ne connaisse les hommes à leurs visages »).L’emploi de ce procédé est de nature à créer l’étonnement du lecteur et sa curiosité : il devient de ce fait plus réceptif à un message qui présente l’intérêt de l’exotique ou de l’insolite.
2. Une présentation organisée et structurée. la structure du texte
Malgré l’absence de mots de liaison, on peut observer une organisation de la présentation, qui va de la « région » au « pays », en passant en revue les habitants à travers leurs façons de vivre, puis le roi et les relations qu’ils entretiennent avec lui.Cette structure se met en place par simple juxtaposition.
On observe successivement :* La présentation des jeunes gens, avec leur manière d’être en général, leur manière de manger puis de boire.
Cette présentation se fait par comparaison de ce groupe avec celui des vieillards (« L’on parle… de l’eau-forte »).* La présentation (« Les femmes… à leur visage ») des apparences vestimentaires des femmes d’abord (maquillage, vêtements) puis des hommes en général, avec une insistance sur les perruques et sur leur utilité (ici, empêcher que l’on reconnaisse ceux qui les portent, ce qui est une interprétation volontairement erronée).* L’existence de « grands », d’un prince, d’un dieu : c’est l’occasion de rapporter un rituel en le déformant et en le représentant sous un jour volontairement naïf . L’exposé est précis, relevant de ce qui est visuel, avec des notations brèves et simples qui traduisent un peu naïvement des cérémonies empreintes de toute la pompe versaillaise.
La progression qui suit le texte est donc perceptible :Le présentateur commence par des catégories d’âge et par ceux qui sont le plus éloignés du roi, pour aborder ensuite les courtisans plus proches, puis le roi lui-même.Cette hiérarchie inversée se retrouve dans l’analyse de la subordination : « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu ».Or, c’est précisément l’ordre suivi par le présentateur de cette « faune » insolite : peuple, femmes, grands, prince, Dieu.Cette classification permet à celui qui parle de mettre en relief de nombreux éléments critiques.
3. Les éléments de la critique.
La présentation de chaque catégorie est caractérisée par l’utilisation d’un vocabulaire très nettement dépréciatif : adjectifs connotés négativement, insistance sur les défauts, mise en relief des contradictions ridicules.
A. Les caractérisations négatives.
On observe l’emploi d’adjectifs comme « durs », « féroces », eux-mêmes hyperboliques, ou comme « pas nette », « confuse », « embarrassée ».
L’expression « sans mœurs ni politesse » marque également l’absence.Tout le comportement alimentaire et amoureux des jeunes gens souligne qu’ils sont blasés, excessifs, comme s’ils avaient déjà tout connu. Le narrateur fait ici le portrait rapide de libertins, comme le souligne le terme « débauche ».
B. L’expression des comportements outrés ou contradictoires.
L’utilisation de verbes d’action met en relief des gestes et des actions présentées sous une forme critique.
Toute l’attitude des femmes est rendue par l’activité (présentée comme néfaste) du maquillage. La première phrase qui leur est consacrée met en relief, par l’opposition « déclin de leur « beauté » / « servir à les rendre belles », les contradictions de choix qui conduisent à l’opposé des effets cherchés, sous l’influence de la mode, la « coutume ».
Les attitudes contradictoires et étonnantes, pour cette raison, sont aussi celles des courtisans qui sont avec le roi à l’Église : « les grands forment un vaste cercle… et tout le cœur appliqués » : au lieu de se tourner vers l’autel et vers le prêtre, ils regardent le prince dans une attitude d’idolâtrie.
C. Le ton naïf de certaines formulations.
La présentation du roi dans un rituel religieux est faite dans une tonalité presque naïve que l’on perçoit d’une part à la simplicité du vocabulaire, d’autre part au souci de précision :« les grands de la nation… faces élevées vers le roi ».
La simple juxtaposition des remarques, l’insistance sur les apparences donnent une apparente importance feinte à des comportements qui sont ceux, habituels, des courtisans.En affectant de faire passer pour insolite ce qui est usuel, La Bruyère en souligne les ridicules et les outrances.
D. La présence de critères, d’éléments de comparaison présents ou sous-jacents.
En utilisant constamment la référence au « pays » à la « contrée » particulière dont il est question, le narrateur attire l’attention sur le fait que tout ce qui est décrit pourrait être autre, ou autrement, ailleurs.Les démonstratifs font référence à une région précise, ce qui n’exclut pas d’autres pays et d’autres modes de comportement.Ainsi, ailleurs, les jeunes gens pourraient être polis, les femmes simplement belles, sans « étalage » inutile, les hommes pourraient ne pas se cacher derrière des perruques et le roi ne pas se faire adorer par des courtisans.
La dénonciation de ce qui se passe à un endroit précis, identifiable comme étant Versailles, laisse imaginer ce qui pourrait exister à la place.
La manière de procéder de La Bruyère est donc à double effet.
Parmi les critiques énoncées, beaucoup relèvent de la vie de cour et sont donc historiques (ce qui touche au roi et à ses relations avec ses courtisans).
Il en est de même pour la mode féminine ou celle des perruques. Parallèlement, on peut considérer que certains comportements stigmatisés sont simplement humains : le goût de l’excès chez les jeunes libertins se retrouve à diverses époques, l’hypocrisie des courtisans avides de montrer leur adoration du roi appartient à toutes les hiérarchies sociales, la coquetterie féminine et le goût du maquillage ne sont pas typiques de la cour de Louis XIV.
En ce sens, on peut dire que le texte, au-delà d’une critique de la vie de cour, et plus précisément de Versailles, s’applique à de nombreux comportements sociaux de tous les âges et de toutes les époques.Il est alors intéressant de faire le bilan des effets nés du « regard étranger » dans ce texte : le mélange d’insolite (dans la formulation) et de familier (dans la réalité réellement présentée) crée une distorsion entre l’apparence (ce qui est supposé vu par le regard inhabitué) et la réalité (connue des lecteurs).La non – coïncidence exacte attire l’attention sur ce qui est montré sous un jour nouveau, et qui est alors vu différemment.Le ridicule ainsi perçu devrait conduire à regarder Versailles comme une sorte de « zoo » monstrueux : peuplades bizarres, comportements incompréhensibles, décalages et contradictions.
CONCLUSION.
Par le biais d’une présentation insolite et dépaysante, La Bruyère dénonce dans ce texte les comportements des courtisans. Le tableau, d’un réalisme caricatural, passe par un regard qui dit ce que les courtisans ne voient plus à force d’habitude. Il est intéressant de remarquer que La Bruyère utilise, pour rendre sa critique plus mordante, et plus efficace, un procédé qui sera largement repris après lui, avec l’objectif de souligner le poids des traditions et des préjugés, par les partisans des modernes, les philosophes. Il est paradoxal que ce soit un partisan des « Anciens » qui en ait donné le modèle.
En 1635, un jeune dramaturge, Pierre Corneille décide de construire une pièce de théâtre en exploitant certains aspects du mythe de Médée . Il reprend des éléments utilisés par le grec Euripide et le latin Sénèque et met l’accent sur la dimension spectaculaire de l’intrigue. Blessée par l’abandon de Jason qui est décidé à épouser sa nouvelle fiancée Créüse , Médée va se venger d’une manière terrible en empoisonnant la robe de sa rivale et en provoquant la mort du père de cette dernière; le roi Créon. Toutefois, Corneille place le spectateur face à une figure de femme poussée par sa vengeance meurtrière. Alors que dans la tragédie antique, la fatalité semblait peser sur les hommes et les accabler, dans la tragédie baroque, les personnages se trouvent confrontés à des choix cruciaux et prennent des décisions qui engagent leur destin. Ainsi Corneille choisit de mettre en scène le suicide de Jason à la fin de sa pièce comme pour montrer que le traître n’a pas survécu à sa trahison et à l’assassinat de ses enfants. Fidèle au principe de catharsis défini par Aristote, Corneille tente de provoquer la pitié du spectateur en montrant une femme qui souffre et en tentant de justifier ses agissements .
Le passage que nous étudions se situe à la fin du premier acte et complète les éléments d’exposition. La magicienne s’ adresse aux Dieux et les implore de l’aider à accomplir sa vengeance contre celui qui l’a trahie. Ses origines divines et monstrueuses sont rappelées par Corneille qui la présente toutefois comme une femme bafouée et blessée. Ce sont ces deux aspects qui composent la tragédie intime de Médée. La lecture linéaire commencera , au dernier tiers du texte , à partir du vers Tu t’abuses Jason ..elle comportera 28 vers
1 . C’est d’abord une femme monstrueuse et dangereuse
Ses origines maléfiques sont rapelées dans le premier mouvement de la tirade .
La colère de Médée éclate dès le début de sa tirade et elle en appelle à ses” soeurs” “les Furies” . En effet, la mère de Médée, Idyie était la soeur de la célèbre magicienne Circé qui transformait les hommes en porcs . Toutes deux sont filles d’un Titan et elles représentent la génération des anciens Dieux qui précèdent les Olympiens. Médée est également fille d’un roi , celui de Colchide, Aétés et elle s’enfuira avec Jason et la Toison d’Or bravant la colère d’Aetés. Elle ira jusqu’à découper son propre frère en morceaux pour ralentir la poursuite du roi lancé à leurs trousses. Les déesses qui sont invoquées par la magicienne sont toutes maléfiques : elles sont des sorcières “troupe savante en noires barbaries” et poursuivent les criminels comme les Furies. En effet, dans la mythologie romaine, les Furies sont l’équivalent des Erynies chez les Grecs , divinités persécutrices infernales qui apparaissent souvent sous la forme de hideux spectres comme les larves et les pestes. Les Erynies sont trois avec Mégère à leur tête: on les représente sous la forme de femmes aux cheveux de serpent et aux yeux rouges . Corneille mentions d’ailleurs les serpents et les enfers au vers Quant aux filles de l’Acheron, elle sont comme Médée, des Océanides car l’Acheron est un Dieu fleuve qui a été précipité aux Enfers par Zeus car il a étanché la soif des Titans. Il est le fils de la Terre Gaîa et du Soleil Hélios. . Médée a donc un aspect effrayant pour le spectateur à cause de ses origines maléfiques et sa dimension infernale est rappelée à plusieurs reprises . Sa colère pourrait donc aisément être mortelle ce qui apporte une première dimension tragique à ce passage .
2 Mais c’est aussi une femme meurtrie qui souffre
Rappelons tout d’abord les faits : Médée est bien mal récompensée de l’aide apportée à Jason car elle lui a apporté une aide précieuse à plusieurs reprises; Il lui doit la vie et un amour envoyé par Vénus la lie à lui.
La colère mortelle de Médée peut, en partie, être justifiée par le rappel des faits : Jason s’est montré parjure et déloyal comme l’indique l’adjectif perfide a. Médée rappelle le rôle qu’elle a joué lors de la conquête de la Toison : elle a en effet, utilisé sa magie pour que Jason puisse affronter le feu du dragon en fabriquant pour lui un onguent qui le met à l’abri des blessures des flammes ; Elle a accompli “tant de bienfaits “ et Corneille met à la rime ce mot avec le parallélisme de construction au vers suivant “tant de forfaits ” ; On a l’impression que Jason a remercié la jeune femme de tout ce qu’elle a accompli pour lui, en la trahissant et en la délaissant pour une autre . Médée n’avait pas hésité à sacrifier son propre frère, qu’elle a découpé en morceaux pour ralentir la poursuite menée par leur père , et toujours dans le but permettre la fuite de Jason . Incontestablement, elle se trouve ainsi, bien mal récompensée des meurtres accomplis contre son propre sang. On peut noter également que dans sa vengeance, elle fera périr sa rivale en la brûlant , punition symbolique inverse de ce qu’elle a accompli pour protéger Jason.
Elle se veut menaçante lorsqu’elle rappelle l’étendue de ses pouvoirs : “ sachant ce que je suis, ayant vu ce que j’ose, croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ? ” Les questions rhétoriques ici ont pour but d’effrayer les spectateurs et de leur faire prendre conscience des pouvoirs du personnage . En effet, la tragédie baroque ne cherche pas à écarter le surnaturel mais se propose plutôt ici de considérer la dimension surnaturelle de cette femme et de la mettre en scène en tant que magicienne puissante. C’est un autre aspect tragique de cette scène : la souffrance de la magicienne est liée à une trahison amoureuse. L’amour malheureux est souvent associé au registre tragique.
3. Et c’est surtout une femme qui se venge
Le déferlement de colère est la caractéristique de la fin ce passage qui révéle le caractère passionné de Médée.
La trahison de Jason est bien présentée comme la cause de la colère de la magicienne ; Le faux serment rappelle son mensonge et sa trahison: alors qu’il a juré un amour éternel à la jeune femme après lui avoir fait deux enfants, il la répudie pour épouser Créüse. Et la mort semble bien le prix à payer pour cette trahison amoureuse comme : “la mort de ma rivale et celle de son père ” sont deux actions présentées par la magicienne comme seules capables d’apaiser le courroux de Médée. Quant à Jason, il est condamné à l’exil et à la solitude éternelle “ qu’il courre vagabond de province en province ” ; rappelons toutefois que pour les Grecs, l’exil était considéré comme un châtiment plus dur que la mort car le criminel expiait plus longtemps ses fautes . On se souvient d’Oedipe exilé après la découverte de son double crime (il a tué accidentellement son père et provoqué le suicide de sa mère ) et d’ Oreste poursuivi sans repos par les Furies après le meurtre de sa mère Clytemnestre. Le sort tragique de Jason est prédit : ” banni de tous côtés, sans bien et sans appui / accablé de frayeur de misère et d’ennui ” . L’énumération et la gradation montrent ici un personnage poursuivi par d’éternels remords et qui vit un véritable enfer. C’est ce qui est rappelé avec ce présent dramatique : ” Jason me répudie ” et qui l’aurait pu croire ? Le spectateur paraît ici partager l’étonnement de la jeune femme , sa stupéfaction. La colère de la magicienne éclate à grands coups d’imprécations : elle prend d’abord les Dieux anciens comme appuis et les appelle à l’aide pour accomplir sa vengeance. Ainsi elle se définit comme l‘éternel bourreau de Jason qu’elle compte bien poursuivre d’ailleurs jusqu’à la mort , figurée ici par le tombeau .
Analysons maintenant la dernière partie de la tirade qui fait l’objet de la lecture linéaire : le premier vers peut s’entendre comme une menace et la magicienne y rappelle ses pouvoirs. “je suis encore moi-même “ manifeste son orgueil et sa puissance.L’adjectif à la rime “extrême ” qui qualifie l’amour de Médée est une périphrase pour désigner la passion désormais transformée en haine au début du vers suivant. Les verbes de volonté sont nombreux ce qui met en lumière la détermination sans faille de Médée : “je veux” dit-elle au vers 4 ; le dramaturge met en relation , grâce aux antithèses, le passé et le présent : après avoir tué pour Jason et pour faciliter leur union , elle va désormais commettre un “forfait ” synonyme de crime , pour entériner leur séparation. ” Sépare ” et “joints” sont opposés au vers 4 ainsi que mariage et sanglant divorce aux vers suivants. La relation d’égalité est invoquée au début du vers 6 “s’égale ” afin d’unir le présent et le passé dans l’abomination; Médée s’apprête à réitérer d’horribles crimes à l’image de ceux qu’elle a déjà commis et qu’elle ne cesse de rappeler aux spectateurs . La même idée est reprise avec l’identité du “commencement” de leur union et de sa fin pareille au vers 8; On remarque d’ailleurs que Racine mentionne la fin avant le début car c’est bien de ce dont il s’agit sur scène. La faute de Jason apparait une fois encore : le pronom tu est ici accusateur : ton changement au vers 7, est bien à l’origine de la rupture . L’idée de vengeance est alors complète . De plus; cette sorte de vengance paraît suivre une logique implacable qui va s’accomplir avec préméditation et calcul. L’abomination du crime est précisée au vers 9 et constitue une sorte d’acmé dans la scène : il s’agit de déchirer l’enfant aux yeux du père ” ; rien de moins qu’un infanticide présenté comme la première étape du plan : l’expression “le moindre effet de ma colère” tend à minimiser l’ampleur de ce qui va être accompli et le spectateur redoute alors bien pire; Corneille livre ici, comme il l’explique dans sa Préface une Médée “toute méchante ” ; Cette femme semble monstrueuse et redoutable ; Elle décrit d’ailleurs ses anciens meurtres abominables comme des ” coups d’essai” au vers 11 ; ce qui laisse présager une nouvelle montée dans l’horreur avec le “chef d’oeuvre ” qu’elle promet au vers 13. Le dramaturge étonne ici le spectateur avec l’utilisation de termes mélioratifs sur le plan artistique pour rendre compte de la “perfection d’une criminelle ” ; Médée devient une virtuose dans le Mal et s’apprête à montrer ce qu’elle sait faire ; Le verbe savoir en fin de vers “sai” donne du personnage l’image d’une experte qui s’est d’abord initiée avec un “faible apprentissage “ au vers 14. Elle devient ainsi une exécutante avec un projet de grande envergure , une sorte d’héroïne chargée de l’extrême dans le Mal; pour le moraliste, la Passion amène l’individu à adopter des positions extrêmistes et pour le dramaturge, l’héroïne qui se laisse diriger par sa passion, devient un monstre au sang froid. La dernière partie de la tirade est un retour au divin: Médée y sollicite, à nouveau , l’aide des Dieux mais cette fois, elle ne s’adresse plus aux Dieux chtoniens, des Enfers ; elle invoque et implore son ancêtre le Soleil; En effet, ce projet est tellement démesuré qu’elle a besoin de “grands secours ” ; les feux des Enfers ne suffisent pas pour son projet car ils torturent le plus souvent les ombres, c’est à dire les morts voués aux flammes des Enfers; elle a besoin du Soleil qui est présenté, à la fois comme l’auteur de sa naissance donc son ancêtre et l’auteur du jour, périphrase qui le désigne souvent dans la mythologie; La mention du Char du Soleil fait référence au mythe qui explique qu’Hélios, le Dieu soleil ,effectue chaque matin et chaque nuit le tour de la terre avec son quadrige pour ramener le jour et apporter la nuit . Elle implore son grand-père de lui venir en aide car un “affront “ est fait ” à sa race ” au vers 21 : en effet, chez les Grecs, la notion de génos, de lignée , était primordiale . De plus, le terme affront présente le projet de la magicienne comme une vengeance de sa famille , ce qui donne une forme de légitimité à sa propre vengeance : on dépasse ainsi le cadre strictement individuel pour aborder une dimension collective. Médée nomme sa soif de meurtre “désir bouillant “: l’adjectif désigne ; à la fois, l’intensité de son désir et par métaphore, rappelle le feu , qui sera , dans un premier l’arme du double crime ; elle va enflammer Créüse sa rivale avec un cadeau empoisonné, une robe; cette robe qui va prendre feu tuera également le père de cette dernière Créon , qui va tenter de sauver sa fille qui brûle sous ses yeux et ensuite elle mettra le feu à leur palais . La jeune femme se fait implorante en demandant au Dieu de lui accorder une “grâce “ : le Soleil ne prête pas volontiers ses chevaux car les conduire nécessite un véritable savoir-faire et les quelques mortels qui ont essayé, ont provoqué des catastrophes. La fin de la tirade la montre en action: elle s’imagine , en train de réaliser sa vengeance: “je veux choir sur Corinthe” : Racine évoque ainsi, par anticipation, la tragédie qui va s’abattre sur la totalité de la ville ; la passion de Médée se transforme en folie meurtrière et elle s’apprête à détruire une ville toute entière par déception amoureuse; On mesure ici à quel point la passion sera funeste pour les Corinthiens; Afin de rassurer son grand-père, Médée précise qu’elle limitera sa destruction aux murs de la cité corinthienne . Les “odieux murs” (on note ici la personnification de la ville à travers la métonymie des murailles ) marquent les limites de sa vengeance de femme blessée. Elle conclut en ajoutant qu’elle agit, mue par un “juste courroux ” : elle cherche à nouveau à justifier ses futurs meurtres et à les présenter comme la conséquence logique de la trahison de Jason, qui passe ainsi pour le véritable coupable. Le caractère inexorable de ce dénouement funeste est marqué par l’emploi de l’adjectif “implacable” : rien ne semble pouvoir arrêter Médée et faire obstacle à sa volonté.
En conclusion de cette partie , la colère vengeresse de Médée sera l’objet du reste de la tragédie et le spectateur qui sait que Jason a réussi à s’enfuir dans le mythe antique, sera étonné de voir que Corneille le fait mourir à la fin de sa version . C’est Médée qui, après avoir égorgé leurs enfants, réussit à s’enfuir dans un char envoyé par son aïeul, le Soleil. On peut donc définir cette Médée baroque comme une tragédie de la vengeance qui s’abat sur un homme coupable, à ses yeux, de la plus haute des trahisons : avoir méprisé son amour passionnel et l’avoir quittée pour une autre femme . La trahison initiale de Jason est présentée comme la cause de tous ces tourments . L‘amour extrême de Médée se transforme alors en haine et elle va s’efforcer de lui rendre la monnaie de sa pièce. Les meurtres à venir s’inscrivent comme l’envers de ceux qu’elle a commis autrefois pour préserver son époux; Le sacrifice du frère deviendra infanticide et au lieu de le protéger, il détruira l’homme que désormais elle hait plus que tout. Avec Médée , Corneille a mis en scène une passion destructrice .
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