17. mars 2017 · Commentaires fermés sur Montaigne et l’humanisme : des cannibales. · Catégories: Première · Tags:
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Montaigne

Michel Eyquem de Montaigne est un auteur du seizième siècle qui entreprit de rédiger des Essais pour exprimer ses pensées ; il  représente le courant humaniste qui s’efforce de repenser la juste place de l’homme dans le monde.  Les Essais forment un ensemble de réflexions sur des thèmes , un peu comme des discussions ou des conversations entre lettrés. Montaigne y mêle des propos sur sa vie (ce qu’il a mangé, son état de santé ) et des propos plus généraux sur la Vie en général: de l’amitié, des ennuis, de la mélancolie, de la guerre.. Les Essais appartiennent au genre argumentait: l’auteur tente d’y saisir sa pensée en mouvement . 

  

 En 1492, on découvre, grâce aux voyages maritimes que tous les hommes ne se ressemblent pas forcément et ne vivent pas de la même manière. Ce choc des civilisations et des cultures est raconté par l’auteur dans un chapitre de ses Essais intitulé Des cannibales.

 Il s’y met en scène sous la forme d’un témoin et raconte l’arrivée à la cour des Sauvages, source d’étonnement pour les courtisans occidentaux. L’écrivain nous amène à  réfléchir sur le sens du mot sauvage et raisonne à partir  de différents arguments : il va , par exemple; dans certains chapitres qui évoquent les Cannibales, raisonner du caractère fondé ou pas de leur appellation de Sauvage. Montaigne explique que , dans la nature, des fruits sauvages que l’on trouve  ne sont pas inférieurs aux créations de l’homme : la plante qui pousse à l’état sauvage dans la Nature serait même supérieure à une création artificielle car plus robuste, plus naturelle. Cette argumentation se fonde sur un raisonnement analogique et conduit Montaigne à affirmer paradoxalement la supériorité des Sauvages , plus proches de la Nature , adeptes de lois naturelles, sur les Civilisés, corrompus par les vices. Montaigne entend ainsi nous convaincre que la nature humaine est foncièrement bonne et digne de confiance : à l’état de Nature, les rapports humains se passent de lois et de règlements; cette thèse est à l’origine, deux siècles plus tard  du mythe du Bon Sauvage.qui sera repris par les philosophes des Lumières comme Rousseau ou Diderot dans Son Supplément au Voyage de Bougainville notamment. Vous trouverez, à propos de ce mythe, des explications supplémentaires dans le fichier joint ….

08. mars 2017 · Commentaires fermés sur Commentaire littéraire : Rhinocéros : L’exposition · Catégories: Commentaires littéraires, Première · Tags:

 En guise d’introduction …

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La pièce de Ionesco, Rhinocéros est quelque peu étrange pour le spectateur à l’image de son titre énigmatique ;  Elle fait partie du théâtre de l’absurde qui se donne comme objectif de montrer  une certaine forme d’absence de sens de l’existence . Une épidémie de rhinocérite transforme brusquement les habitants d’une petite ville en pachydermes brutaux ; tous vont-ils y succomber ou certains résisteront-ils à cette épidémie. L’exposition s’ouvre avec comme décor la place d’un village , plus précisément la terrasse d’un café; deux amis  Jean et Béranger discutent et leur conversation va être interrompue par l’arrivée d’un troupeau de rhinocéros . Comment Ionesco parvient-il à faire surgir l’absurde d’une situation qui paraît banale?..Nous verrons tout d’abord qu’il s’agit d’une scène de la vie quotidienne perturbée par un événement fantastique qui annonce la tragédie à venir. 

Vous trouverez ci -dessous le plan détaillé du commentaire littéraire de ce texte proposé au bac blanc …

 

A Une scène de la vie ordinaire

1/ Des personnages ordinaires aux relations stéréotypées 

  • Personnages nombreux sur la scène.
  • Déterminant défini générique qui renvoie à un ensemble, à une catégorie que les personnages représentent : L’épicière…
  • Désignation des personnages fantaisiste : prénoms ou fonction ou désignation vague « Le vieux monsieur »
  • Des rapports de force marqués entre les personnages (sexe/social/ professionnel)

2/ Une dispute entre amis  

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  • Discussion autour de thèmes en apparence banals : la routine du travail « Tout le monde travaille […] tous les jours » ; les congés.
  • Ton véhément de Jean qui introduit un rapport agonistique dans la conversation : répétition de « moi aussi », répétition du marqueur d’opposition « pourtant », interjection « que diable !… » ; comparatif de supériorité « mieux que… » ; interrogation rhétorique « seriez-vous une nature supérieure ? » # Négations de Bérenger.
  • Jean est jaloux des relations sociales de Bérenger : ton ironique « Si vous vous en souvenez » et acrimonieux avec la répétition de « notre ami Auguste ? » + interrogations rhétoriques « Y suis-je allé moi ? » = mauvaise foi de Jean marquée par l’absence de logique de sa réfutation. 

 

3/ Une action routinière dans un cadre spatio-temporel réaliste

  • Un café ; une épicerie 
  • « Bonjour, Messieurs que désirez-vous boire ? » 
  • Une identification qui se fait par les lieux et le mode vestimentaire : chapeau mou, canne à pommeau d’ivoire ; petite moustache grise 
  • « La poussière soulevée par le fauve, se répand sur le plateau »➔Il n’y a plus rien à voir : scène peu importante…
  • Réduction de l’importance de la scène : « Il me semble, oui, c’était un rhinocéros »

 

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ion1.jpg, mar. 2017

B Un événement fantastique

  1. Un événement préparé et prolongé par le hors-scène
  • « A ce moment on entend le bruit très éloigné, mais se rapprochant vite, d’un souffle de fauve et de sa course précipitée, ainsi qu’un long barrissement. » ➔L’action est soustraite aux yeux des spectateurs, seule une bande sonore capte notre attention annonçant un bruit insolite et animal qui reste indéterminé.
  • « Bruits devenus énormes ; bruits de galop d’un animal puissant et lourd ; tout proches ; très accélérés » ➔ maintien du suspens + accroissement de la tension du spectateur et du lecteur à mesure que les bruits se rapprochent.
  • « en provenance de la gauche des “oh ! des “ah des pas de gens qui fuient. La poussière, soulevée par le fauve, se répand sur le plateau » ➔ les didascalies externes indiquent encore que l’événement se résume aux conséquences du passage du rhinocéros. Les spectateurs ne semblent pas le voir, ils ne peuvent que se l’imaginer en entendant les cris d’effroi ou de surprise des personnages qui se trouvent maintenant dans le hors scène côté cour. Mais à la bande sonore s’ajoute ici l’élément visuel de la poussière qui explique sans doute pourquoi le rhinocéros ne paraît pas à nos yeux. Cela accentue le mystère qui entoure cette apparition fugace.

 

2 Un événement inexplicable

  • Onomatopées + Phrases nominales + Modalités interrogative et exclamative ➔ surprise des personnages qui ne s’attendait pas à voir un rhinocéros en liberté.
  • « Oh ! un rhinocéros ! » ➔ caractère insolite de la présence du pachyderme dans une petite ville de province, où il n’y a ni cirque ni zoo.
  • « Les bruits produits par l’animal s’éloigneront à la même vitesse » + « tomber » x2 + « une bouteille se brise » ➔ Un événement fugace et violent. Nous ne savons d’où vient le rhinocéros, il renverse tout sur son passage et d’ailleurs il disparaît aussi vite qu’il apparaît nous laissant dans l’incapacité d’expliquer quoi que ce soit. Rien ne justifie sa présence et sa course effrénée.

3 Un événement bouleversant

  • « Mais qu’est-ce que c’est ? » x2 ; « Oh ! », « ah ! » ; « il remue les lèvres ; on n’entend pas ce qu’il dit » ➔ Cet événement provoque l’incompréhension et le désordre dans les discours des personnages qui devient cacophonique et inaudible.
  • « fait tomber sa chaise » « laisse tomber son panier, ses provisions se répandent sur la scène » ➔ Les objets se renversent comme le laisse entendre les verbes tomber et répandre et manifestent sans doute, de façon symbolique, le bouleversement des personnages qui ne se maîtrisent plus et ne les maîtrisent plus.
  • « Le Vieux Monsieur élégant […] se précipite dans la boutique des épiciers, les bouscule, entre, tandis que le Logicien ira se plaquer contre le mur » </i>; « des pas de gens qui fuient » </i>; « Ce que j’ai eu peur ! »➔ L’événement est encore une source d’actions qui traduisent la peur des personnages comme le dénotent les verbes ainsi que la forme exclamative et emphatique de la réplique finale de la ménagère.

C/  Une scène qui révèle l’absurdité des hommes et annonce le tragique à venir

  1. Une existence humaine comique
  • Le comique du langage : répétitions
  • Comique de situation : « Bérenger, toujours indolent » ; « il remue les lèvres ; on n’entend pas ce qu’il dit ».
  • « se lève d’un bond, fait tomber sa chaise en se levant »# « Bérenger, toujours un peu vaseux, reste assis »// « se précipite », « les bouscule », « le logicien ira se plaquer contre le mur du fond » ; « éternue »/ « éternue »/ « se mouche » ➔ Comique de farce

 

2 . Des répliques qui marquent la faillite du langage

  • Impossibilité de s’entendre : « criant presque pour se faire entendre ».
  • Le  sens du mot « devoir » est ramené à son degré le plus bas (décalage entre l’abstrait et le concret)
  • Décalage que l’on retrouve dans les postures des personnages
  • Une parole appauvrie qui se réduit à des monosyllabes
  • Une parole illogique : « et pourtant vous me voyez » conclusion étrange si on ne se réfère pas à la situation d’énonciation et à la gestuelle qui doit accompagner le discours (ici l’absence de didascalies nourrit l’équivocité et souligne l’absurdité d’un logos déraisonnable) // « Tout le monde doit s’y faire. Seriez-vous une nature supérieure ? » // « C’est peut-être justement que vous n’avez pas été invité ! »

 

3. Une existence dont la vacuité semble devoir être comblée par la violence.

  • « Tout le monde travaille […], moi aussi […] je fais tous les jours mes huit heures de bureau » ; « je n’ai que vingt et un jour de congé par an » ➔ sentiment d’asservissement au travail
  • « Et pourtant vous me voyez »➔ l’absence de didascalies qui explique la situation d’énonciation dans laquelle est prononcée cette réplique rend possible l’interprétation philosophique ou ontologique selon laquelle l’existence de Jean et des gens qui lui ressemblent (l’homonymie nous autorise encore cette explication) se réduit à une simple présence sans véritable pensée digne de ce nom.
  • « je ne m’y fais pas, à la vie » ➔ Difficulté de vivre et souffrance de l’homme obligé de supporter sa condition.
  • « bruits forts », « énormes », « Il fonce droit devant lui, frôle les étalages ! », « Viens voir ! », « Tous suivent du regard […] la course du fauve » ➔ Attirance et fascination pour la violence comme le traduisent les jeux de regards et la curiosité des personnages spectateurs de leur propre Histoire. Ce jeu de regard reflète d’ailleurs le public encouragé à réfléchir sur sa position devant la scène mais également devant le théâtre du monde (il s’agit là d’une mise en abyme). Dans ce cadre le rhinocéros serait une manifestation métaphorique des totalitarismes qui sévissent encore après la Seconde Guerre mondiale.

CCL. : Résistance de Bérenger qui agit à contre-courant mais cela est-il dû aux effets encore persistants de ses libations ? Est-il un original ou s’oppose-t-il consciemment aux réactions de la foule ? 

 

 

 

06. mars 2017 · Commentaires fermés sur Comparer Antigone pour Sophocle et Antigone pour Anouilh …. · Catégories: Première · Tags:
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Comparer deux oeuvres qui sont aussi éloignées dans le temps est sans doute un pari risqué mais nous allons tenter de comprendre, à travers ces confrontations, comment Anouilh réécrit Antigone . Ces analyses proviennent essentiellement du livret audio dans lequel Jean Anouilh lit sa pièce et donne des explications sur son projet de réécriture de la tragédie antique . 

 

  Voyons d’abord leur composition : La suite des scènes chez Anouilh est à peu près la même que chez Sophocle. Il y a cependant quelques différences. Chez Sophocle, la pièce commence par la scène Ismène-Antigone qui oppose les caractères des deux soeurs et nous explique la mort des frères ainsi que la décision de Créon.

Anouilh lui commence par le choeur qui présente les personnages un par un et le sujet de la pièce, et tout de suite Antigone entre, venant au petit matin de tenter d’enterrer son frère Polynice. Le personnage de la nourrice, qui ne fait  pas partie du la tragédie de  Sophocle, l’accueille et s’inquiète de son absence nocturne. Anouilh ne fait pas intervenir le devin Tirésias.

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Oedipe guidé par Antigone 

Leur signification : La pièce de Sophocle est une pièce religieuse. Il faut l’imaginer dans le climat de ferveur religieuse des Grecs de cette époque, pour qui les Dieux et les lois sacrées de la Cité étaient une réalité vivante. Antigone, au-delà du cas de son frère, s’attache à faire la différence entre la loi écrite (la loi de Créon) et la loi non-écrite (celle des Dieux). L’Antigone de Sophocle meurt pour être fidèle à la loi divine : « J’aurai plus longtemps à plaire aux morts qu’aux vivants », dit-elle.

La pièce d’Anouilh semble plus proche de nous car les mobiles d’Antigone ne sont qu’humains. C’est une petite-fille qui ressent dans sa chair l’injustice faite à son frère. L’Antigone d’Anouilh meurt par fidélité pour elle-même.  C’est surtout une enfant qui refuse les compromissions  pourtant nécessaires du monde des adultes.

Les personnages: C’est sur le rôle de Créon que les différences entre la tragédie de Sophocle et la pièce d’Anouilh sont tranchées. Le Créon de Sophocle est un tyran borné. Il fait appel aux lois de la cité mais son langage est celui d’un homme politique, on sent que c’est surtout son orgueil qui est en jeu. Il demeure sourd aux arguments humains.

Le Créon d’Anouilh  a profondément pitié d’Antigone et il tente tout pour la sauver. Créon a pour devoir de respecter la loi écrite et pense qu’il ne peut pas écouter son coeur. Il agit en homme d’Etat qui fait passer la raison d’Etat avant sa famille.

 Ecoutons ce que dit Anouilh :  « L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges1. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre »

 Si l’on en croit cette déclaration de l’auteur,le personnage d’Antigone est l’allégorie de la Résistance s’opposant aux lois édictées par Créon / Pétain, qu’elle juge iniques. Elle refuse la facilité et préfère se rebeller, ne voulant pas céder à une prétendue fatalité… Créon pour sa part, revendique de faire un « sale boulot » parce que c’est son rôle et qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Anouilh s’inspire du geste de Paul Collette, un résistant français qui avait tiré sur Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le 27 août 1941. Jean Anouilh, en écrivant cette pièce de théâtre, trouve ainsi le moyen de dénoncer la passivité de certains français face aux lois dictées par les nazis. Antigone symbolise alors la résistance qui s’obstine malgré les dangers encourus et les risques pris. 

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 En résumé, les faits et l’intrigue sont les mêmes : Antigone qui a rendu à son frère les honneurs funèbres malgré l’ordre de son oncle Créon, paiera de sa mort sa désobéissance. Certaines s’inspirent directement de leur modèle grec : la conversation entre les deux soeurs, le récit du garde, la venue finale du messager annonçant la mort d’Antigone, d’Hémon et d’Eurydice. Les circonstances mêmes du dénouement n’ont pas été altérées.

 La pièce nous frappe par la familiarité du ton. Rien ou presque ne doit nous écarter de l’époque de la représentation.  : “Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas… L’orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats…” Les “petits voyous” se retournent dans la rue quand passe Antigone… Créon confie à sa nièce qu’il ne pouvait tout de même pas “s’offrir le luxe d’une crapule dans les deux camps”. Ne parlons même pas du langage de la nourrice ou de celui des gardes, il est normal qu’il soit vulgaire.  

  Anouilh use abondamment de l’anachronisme. On parlera donc de carte postale, de café, de tartines, de bar, de fusils, de film, de cigarettes, de pantalons longs, de voitures de course…

 Pour la mise en scène :

Le décor et  les costumes. C’est “un décor neutre” dit Anouilh. Donc aucune référence, ni à la Grèce, ni à un pays quelconque, ni à une pièce précise dans une maison. 

 Du point de vue vestimentaire, il faut naturellement oublier la pièce grecque. Les costumes ne seront pas modernes mais intemporels. Des vêtements de soirée pour le Choeur et Créon qui, ce dernier, portera en plus une cape. Des cirés noirs pour les gardes, une robe claire pour Ismène, sombre pour Antigone, très simple. 

 La pièce d’Anouilh n’offre plus aucune référence religieuse; elle est désacralisée et perd toute transcendance. Créon, cynique et railleur, n’a aucun mal à faire admettre à Antigone que son geste est dénué de toute valeur religieuse, qualifiant le cérémonial public de “passe-port dérisoire”, de “bredouillage en série” sur la dépouille du défunt. “Geste absurde”, dit-il, et le mot “absurde est repris par Antigone elle-même. Et si Créon a décidé de refuser la sépulture à Polynice, ce n’est pas pour des raisons morales, mais pour des considérations politiques très opportunistes : il s’est trouvé qu’il a eu besoin de faire un héros de l’un des deux frères : “J’ai fait ramasser un des corps, le moins abîmés des deux, pour mes funérailles nationales, et j’ai donné l’ordre de laisser pourrir l’autre où il était. Je ne sais même pas lequel. Et je t’assure que cela m’est égal.” 

 L’Antigone d’Anouilh n’est plus l’héroïne du devoir et de la piété filiale. Pour elle il n’est plus question de défendre la part sacrée du monde. Elle court à la mort, animée par le sentiment orgueilleux d’un devoir à remplir vis-à-vis d’elle-même. Et encore au dernier moment, le doute s’insinue en elle : “Je ne sais plus pourquoi je meurs”. L’acte d’Antigone semble avoir perdu tout contenu positif. 

 Dans cette existence, la mort est finalement la seule impasse, mais une mort privée de sens. Antigone est morte, entrainant avec elle Hémon et Eurydice pour une cause à laquelle elle ne croyait plus, condamnée par un homme au nom d’une cause à laquelle il ne croit plus. 

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  Le Créon de Sophocle reconnaissait sa faute, ébranlé par les menaces du devin Tirésias; le Créon d’Anouilh retourne tranquillement à ses activités quotidiennes. Il a le sentiment d’avoir vieilli et attend la mort lui-aussi ; tout se solde par un immense vide intérieur qu’il comble par l’action ( va au Conseil ). 

 L’oeuvre d’Anouilh est amère. Coupée de tout arrière-plan moral ou religieux, elle débouche sur une tragédie qui remet en question les valeurs de l’idéal et de l’héroïsme qui sous-tendaient la tragédie grecque. 

  

 

08. décembre 2016 · Commentaires fermés sur RUY BLAS m’a tué : le meurtre de Salluste sur scène · Catégories: Première · Tags:
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Le spectateur a vu progressivement la relation se dégrader entre le maître et son valet qui a pris goût à la liberté et qui a également pris de l’assurance grâce à son déguisement de ministre et à l’amour partagé de la reine d’ Espagne ; Il pressent donc que l’issue sera fatale d’autant qu’avec le retour de Salluste, le piège se referme sur les deux amants . Hugo va-t-il aller jusqu’à faire mourir le méchant sur scène , en rupture avec la tradition du théâtre classique ? 

Tout d’abord , précisons le contexte et la situation exacte. Il s’agit de montrer sur scène la vengeance de Salluste comme l’indique le dramaturge : “ma vengeance est assez complète de la sorte” ; Ce point est à mettre en relation avec le début de la pièce; le spectateur assiste à une partie du dénouement qui voit la victoire de Salluste dont le plan a fonctionné. 

Le personnage est présenté sous un jour particulièrement sarcastique et il se moque de la naïveté du héros tout en se montrant irrespectueux envers la souveraine; les anaphores révèlent , à la fois , le passé et les sentiments du personnage qui met en relation ce qu’on a lui a fait avec ce qui s’accomplit sous les yeux du spectateur : “Vous m’avez cassé ! je vous détrône; Vous m’avez banni,  je vous chasse” On note que dans le premier hémistiche, on trouve une action mise en relation avec les agissements de Salluste qui sont ainsi présentés comme les conséquences logiques de ce qu’a fait la reine; Mais la faute initiale a été commise par le marquis de Finlas et les deux vers suivants , construits à la fois sur des antithèses et sur un chiasme, donnent à lire la nature de cette vengeance : “vous m’avez pour femme offert votre suivante /” moi je vous ai donné mon laquais pour amant.”

Ruy Blas a donc été l’instrument de la vengeance de ce grand d’Espagne dont le mépris est affiché ainsi que les préjugés de classe : la didascalie “éclate de rire ” montre que pour Salluste il est inconcevable qu’une telle union entre deux personnes de rang social différent, soit réalisée; l’amour tiendrait donc compte de la position sociale de la personne aimée; le marquis es montre clairement menaçant à la fin de sa réplique et la gradation qu’il emploie traduit sa fureur : “vous m’aviez brisé, flétri, mis sous vos pieds” ; il termine en traitant la reine de folle "vous dormiez en paix, folle que vous étiez ” ; Folle ici est à prendre au sens d’insensée ; Salluste veut dire que la reine ne s’est pas suffisamment méfiée de lui et qu’elle a sous-estimée l’offense qu’elle lui avait faite en lui ordonnant de s’exiler .

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Ruy Blas va réagir violemment après cette insulte qui déclenche sa propre colère; les didascalies nous montrent les préparatifs de ce qui s’apparente à un meurtre prémédité: il a condamné la porte en poussant le verrou et s’avance l’épée à la main “terrible ” ; cette indication fait de lui un héros de tragédie. Sous l’effet de cette colère, on sent le personnage capable de tout: c’est à son tour de se montrer menaçant et de justifier ce qu’il s’apprête à faire; Hugo multiplie les analogies avec le Diable et Salluste devient une incarnation diabolique : ” Satan te protégea, on écrase un serpent ou même “personne n’entrera ni tes gens ni l’enfer.” Le héros doit faire en sorte que le public le soutienne et qu’aux yeux de la reine, il passe pour un protecteur ou un justicier et pas pour un vulgaire assassin.

Ruy Blas se livre alors à un portrait charge de Salluste pour rappeler le danger qu’il représente pour la jeune femme : “c’est un monstre..il n’a point d’âme ” ou bien , “il m’étouffait ” et il m’a broyé le coeur” ; Ici les métaphores renvoient d’une part, à l’image diabolique du serpent ou à une figure surhumaine à la force herculéenne, et d’autre part, à la capacité de destruction du personnage. Mais on sent bien que le valet n’agit pas seulement pour protéger la reine du danger de la calomnie, il agit également pour se venger des offense subies qu’il rappelle, quelques vers plus bas : “il m’a fait fermer une fenêtre et j’étais au martyre. ” Hugo fait ici référence au retour de Salluste à la scène 5 de l’acte III.

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La détermination du valet est marquée par des images telles que “talon de fer”  ou un peu plus loin, il mentionne que le marquis vit ses derniers moments. Pourtant Ruy Blas semble conscient qu’il risque de franchir une frontière déterminante et Hugo rappelle les règles en vigueur par l’intermédiaire du valet qui déclare “je me blâme d’accomplir devant vous ma fonction Madame ” En assimilant le meurtre à une chose à faire de manière obligatoire, Ruy Blas se place en défenseur de la reine outragée. De plus, il affirme qu’il ne discutera pas ni n’argumentera avec Salluste ; Il se contentera de l’exécuter .

Pourtant Hugo débute un plaidoyer en faveur du fait de se rendre justice soi-même et les mots employés donnent une forme de légitimité au meurtre : ” noble ou manant, écrit-il, tout homme a droit..de venir lui cracher sa sentence au visage ” De plus, comme pour mieux se convaincre que le meurtre est nécessaire, il rappelle les méfaits du marquis : vous osez l’outrager ” “Misérable ” L’assassinat découle donc , selon la manière dont il est justifié, des insultes de Salluste envers la reine . Mais Ruy Blas semble déplorer de devoir en arriver à une telle extrémité et c’est sous cet angle qu’on peut lire la sentence suivante : “Pardieu, j’étais laquais! quand je serais bourreau ? On peut y voir en effet, le rapprochement entre le statut d’opprimé et le meurtre qui figure une forme de libération; En effet, Ruy Blas représente symboliquement le personnage du peuple et Salluste incarne l’aristocratie ; La suite de la scène prend des allures de règlement de comptes. 

Le face à face entre le maître et le valet tourne à l’avantage cette fois du second et le motif du meurtre s’apparente plutôt à une vengeance personnelle.

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08. décembre 2016 · Commentaires fermés sur Ruy Blas et la visée politique: 4 lectures analytiques · Catégories: Première
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Dans la Préface de Cromwell, Hugo prétend que le drame romantique parvient à toucher trois types de public et à leur plaire ; les femmes parce qu’il leur donne de l’émotion, le peuple parce qu’il lui fournit de l’action, des rebondissements et enfin les penseurs, les intellectuels parce qu’il leur donne matière à réfléchir. Le point commun des passages que nous avons étudié, c’est justement leur dimension politique et leur critique d’une société inégalitaire dominée par une poignée de nantis. Voyons cela plus en détails …

Dans notre premier extrait situé à l’acte III, scène 1 , le spectateur assiste à la mise à sac du royaume d’Espagne déliquescent par une bande de conseillers malhonnêtes qui ne songent qu’à comploter, qu’à s’enrichir à titre personnel, à profiter des avantages liés à leur fonction sans jamais se soucier du bien public ou des intérêts collectifs; Hugo fait donc la satire d’un mode de gouvernance fondé sur l’ambition . Les Grands y sont dépeint issu un jour critique : ils complotent, se déchirent et se jalousent les uns les autres. Leurs marchandages nous paraissent abjects et leur âme vile. le plan d’étude peut se fonder sur la dimension critique avec une question du type : quelle est la visée critique de cette scène ? il s’agit alors de répondre en proposant une organisation qui montre les différents aspects de la critique : critique des courtisans, leurs complots, leurs marchandages, leur appât du gain et leur pouvoir de nuisance sur le royaume : découpé, affaibli et qui leur appartient totalement : ils sont présentés comme des prédateurs avides et la scène se termine par une querelle qui les divise ; 

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C’est alors qu’intervient le héros et son entrée en scène constitue l’un des sommets du drame : sa longue tirade fustige les Grands et se présente comme un réquisitoire (acte d’accusation) contre leur vilenie; Le héros , sous l’habit de Don César de Bazan, fustige les vices dépeint et dresse un tableau pathétique du déclin du pays moribond, sous les coups portés par les ministres; Hugo y dévoile également sa critique du gouvernement de la Restauration. le plan d’étude de l’extrait qui va du début jusqu’à “L’Espagne est un égout où vient l’impureté de tout nation ”  peut se fonder sur les différents aspects de la critique ; Voilà quelques titres possibles de parties : une accusation véhémente ou éloquente avec le relevé des procédés oratoires et de la violence des accusations proférées par Ruy Blas , un tableau pathétique de la situation avec la diminution du territoire, son affaiblissement provoqué par les décisions politiques les guerres incessantes (L’Etat est épuisé de troupes et d’argent ou notre église en ruines est pleine de couleuvres” et les risques encourus notamment pour le peuple ( le peuple misérable et qu’on pressure, suant sang et eau ) ; Une troisième partie peut porter sur la décadence , l’idée d’une dégenérescence et reprendre les thèses historiques en vogue (rois incompétents et monarchie héréditaire condamnable ).

Notre troisième lecture analytique reprend la fin de cette tirade éloquente et peut être étudiée selon les mêmes axes d’étude : des accusations véhémentes, des critiques ciblées, un royaume sur le déclin ou en danger . Le héros s’y adresse sous la forme d’une prosopopée à l’ancien chef légendaire de l’Espagne glorieuse , le roi Charles -Quint,  et il prend à témoin les Espagnols présentés comme les anciens vainqueurs du monde . L’extrait commence d’ailleurs par cette adresse aux Espagnols, procédé oratoire qui consiste à s’allier son auditoire. Le héros poursuit par une série de questions oratoires dites questions rhétoriques , procédé qui permet justement la réflexion ou qui la suscite artificiellement . Le tableau de la situation présente se dresse en opposition avec la grandeur passée ; ce contraste est résumé , par exemple, avec la double métonymieCe pays qui fut pourpre n’est plus que haillon. ” La pourpre est le symbole de la gloire et le haillon décrit l’état actuel de délabrement du pay qui est ainsi personnifié avec cette image. Les descriptions de la décrépitude actuelle du pays se basent sur des constats historiques comme la diminution du nombre de soldats et leur transformation en bandits de grand chemin (soldat douteux- vont pieds nus) ; Hugo insiste sur la ruine  du pays et ses causes : "siècle funeste ” souvent associées à des défaites militaires ou à des guerres de conquêtes coûteuses et inutiles. Le champ lexical de la mort est très présent. L’Etat prend alors l’apparence d’un lion agonisant; Ici le dramaturge emprunte l’image et le symbole du lion qui représente la royauté pour rendre concret le déclin de l’Espagne: ce lion ‘couché dans l’ombre ” “expire dans cet antre où son sort se termine “; Par analogie, dans ce système comparatif, les conseillers devient la “vermine ” qui le dévore . Pour donner de la force à ses accusations, le personnage s’exprime au moyen d’images et de répétitions : l’Espagne se meurt, l’Espagne s’éteint et multiplie les exclamations “hélas,(deux fois )  O géant, Oh lève toi, Voilà ; la fin de la tirade est saisissante avec la transformation ridicule de l’aigle impérial, symbole de la gloire passée et étendard de Napoléon Premier, grand chef de guerre admiré par Hugo,  en “pauvre oiseau plumé”; La dislocation de l’alexandrin permet également de donner au discours une force oratoire peu commune :  Penche est rejeté au début du vers suivant provoquant ainsi un effet d’enjambement ; ainsi que On les souille . qui répond au terme splendeurs du vers précédent; Tout ce qui peut rappeler ou évoquer la gloire de la grande Espagne est ridiculisé, mis à sac: ainsi le manteau royal est découpé par “des nains difformes ”  et le “soleil éblouissant ” autre symbole qu’on retrouve pour désigner l’éclat du pouvoir absolu est devenu un “astre mort, une lune aux trois quart rongée et qui décroît ” ; Cette tirade est donc construite pour avoir un effet sur le public, susciter la réflexion grâce au tableau du déclin de l’Espagne et faire du personnage de Ruy Blas , un justicier vertueux prêt à agir au nom de l’intérêt collectif ; on imagine bien l’acteur indigné prononcer sur un ton grave les accusations contre les Grands et émouvoir aussi avec ses accents pathétiques .

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Notre quatrième extrait se situe un peu plu loin au cours de ce troisième acte (III, 5 de D’ailleurs regarde-t-on le profil d’un valet …fait sortir tout le vent de ces billevesées ) : il ne s’agit plus cette fois d’une tirade mais plutôt d’un face à face entre Salluste et son ancien valet qu’il va chercher à humilier ; au cours de ce duel , Hugo reprend les thèmes abordés dans les scènes précédentes ; Ruy Blas continue à dresser les listes d’accusations contre les Grands   (Monsieur de Priego a grand tort d’aggraver les charges..et propose des solutions politiques ( mettre une armée en campagne..probités ) mais , en face de lui, son maître cherche à le faire sortir de ce rôle pour lui faire comprendre qu’il demeure un valet . Ce qu’il est intéressant d’étudier dans cet affrontement c’est la manière dont le dramaturge illustre l’oppression du maître sur le valet ; on peut par exemple expliquer dans une première partie comment Salluste cherche à humilier Ruy  Blas en étudiant les demandes du Marquis de Finlas , les didascalies mises en place par le dramaturge et surtout la visée politique de la tirade de Salluste qui raille les prétentions de son valet , sur un ton sarcastique . En effet, il semble considérer que toutes les accusations légitimes proférées par Ruy Blas à l’encontre des Grands d’Espagne, ne valent rien et se moque des prétentions de ce dernier à vouloir sauver le Peuple; On retrouve bien ici, mis en scène par Hugo, l’affrontement symbolique entr elle Peuple te les Grands qui le méprisent et ne le considèrent pas encore comme un acteur politique.  Salluste fait ici de l’humour au détriment de son valet qu’il cherche à ridiculiser : “pousser des cris sinistres..bouffi d’orgueil et rouge de colère ..gaillard populaire ” Il multiplie les attaques contre sa personne et dresse de lui un portrait extrêmement dévalorisant . La morgue du personnage le rend ici détestable aux yeux du public qui prend le parti du héros, malmené au cours de cette scène et qui se soumet encore à son ancien maître. De plus son discours idéologique en fait le méchant de l’Histoire : “vertu ? foi ? probité ? c’est du clinquant déteint. ” Il semble se placer au-dessus des valeurs  communes admises comme des qualités incontestables ; Le public prend fait et cause pour Ruy Blas et condamne à l’avance Salluste; Ce qui permet à Hugo de préparer le meurtre de ce dernier qui va, ainsi, aux yeux du spectateur,paraître justifié et vraisemblable. 

Ces quatre extraits explosent donc sur scène des affrontements politiques et idéologiques qui font du valet un héros populaire et du maître un méchant homme, l’homme à abattre pour restaurer la justice.  

25. novembre 2016 · Commentaires fermés sur Le théâtre comme tribune : l’exemple de Ruy Blas et des ministres III, 1 · Catégories: Première · Tags:
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Lorsqu’il compose son drame romantique en 1838, Hugo n’a pas seulement comme objectif d’évoquer la situation politique de la France mais il utilise la dimension historique de son intrigue afin de reprendre un certain nombre d’arguments au moyen desquels sil vise le mode de gouverment de la France sous la Restauration et la monarchie de Charles X ; les personnages qui s’affrontent sur scène, au cours de l’acte III, représentent les aristocrates et leurs privilèges et d’autre part, le peuple qui entend prendre part aux débats publics. Voyons quels arguments s’opposent dans cet acte central qui voit Ruy Blas, sous l’identité de Don césar, interrompre le conseil privé du roi  ?  Quelle image des courtisans Hugo dépeint-il ici et quels défauts critique -t-il au cours de cette première scène  ? 

Un portrait peu flatteur des courtisans : Hugo les montre tout d’abord médisants ; ils ne cessent de se jalouser les uns les autres et de dire du mal des absents, de soupçonner des secrets inavouables et des complots : Ainsi ils admettent mal être dirigés par une femme (la reine ) et soupçonnent cette dernière d'être sous la coupe de Don César.  Ils font de César un portrait caricatural : ce dernier serait un être singulier qui vit dans le noir, entouré de serviteurs muets et qui a la réputation d’avoir été “le plus grand fou que la lune eût vu naître ” ; les ministres rappellent alors sa vie dissolue “il changeait tous les jours de femmes, de carrosses” et imaginent des secrets peu avouables qui pourraient justifier sa fortune ;  ils sont en réalité extrêmement jaloux de son ascension fulgurante car il est devenu leur maître :” le voilà secrétaire universel, ministre et puis duc D’olmedo“: on mesure ici toute la rancoeur des propos tenus par le Comte de Camporeal . Pour le public qui connaît les origines du personnage de Ruy Blas devenu Duc, les soupçons des conseillers créent un effet dramatique car le secret de ce dernier risque d’être découvert; On obtient même un effet comique quand il est question de sa “grande race ” selon l’intervention de Don Ubilla . Les spectateurs mesurent alors l’erreur commise par les conseillers et réfléchissent  aux compétences de Ruy Blas ainsi qu’à son rang social ; Quelles sont les qualités indispensables pour bien gouverner ?

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Tel est l’enjeu de ce passage de la pièce . Pour les ministres, la réussite de ce récent Duc d’Olmedo serait liée à la préférence que la reine lui accorderait et l’expression “on le sert derrière le rideau ” au début du passage, sous- entend qu’il obtient des faveurs  intimes de la part de la souveraine. De plus, lorsque Ubilla prend sa défense pour expliquer qu’il le croit “homme probe” ; les autres conseillers se moquent de lui et de sa naïveté  ; la cour apparaît alors comme un lieu où règne la médisance et les courtisans ne sont pas de modèles d’honnêteté : loin de là !

Entre eux, ils se querellent et se jalousent et s’invectivent à plusieurs reprises ; Les didascalies externes indiquent clairement que le ton monte par moments : les groupes d’hommes causent “à voix basse ” , signe qu’ils ne veulent pas être entendus par tous; les apartés sont fréquents comme l’indique bas; Covadenga est montré "s’échauffant”  et Montazgo “se récriant ” ; les rires moqueurs entrecoupent les prises de paroles à trois reprises : ” éclatant de rire ” par exemple pour marquer l’intervention du Comte de Caporeal; la scène se termine par une sorte de brouhaha où note le dramaturge:  “tous se lèvent et parlent à la fois, se querellant” 

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Le conseil privé du roi prend alors des allures de marché, une véritable foire d’empoigne  et les tractations entre les ministres nous paraissent sordides : l’Espagne est alors comme un gâteau dont chacun chercherait à se tailler la meilleure part.

La cupidité des conseillers est mise en évidence par de nombreux indices et il est en effet, beaucoup question d’argent dans cette scène; nous notons d’abord que ,des sommes précises  sont rappelées comme par exemple le coût de l’entretien des gens au service de la reine : “six cent soixant quatre mille soixante -six ducats ” et ce montant est prononcé “en appuyant sur les chiffres “;  ce pactole est considéré comme une proie dont on chercherait à s’emparer; la métaphore “jeter le filet à coup sûr “désigne l’idée selon laquelle Ruy Blas serait intéressé par la fortune de la souveraine; le Comte du Caporeal poursuit sa réplique en ajoutant une sorte de maxime : “eau trouble, pêche claire ” qui discrédite les intentions du Duc d’Olmedo, qualifié implicitement ici d’homme vénal; ce type de commentaire traduit, en fait , pour les spectateurs, la cupidité des ministres qui sont présentés comme avides d’accroître leurs richesses personnelles au détriment de l’intérêt public; Tous les moyens leur semblent indiqués pour augmenter leurs privilèges : le népotisme est mentionné . Montazgo cherche à placer son neveu à un poste d’alcade et il a payé pour cela Ubilla , ou plutôt ce dernier a détourné de l’argent public à des fins personnelles. La corruption est pratiquée à tous les échelons du royaume : Ubilla, en échange attend en retour la nomination de son cousin, à un poste de bailli. Ces emplois publics étaient rémunérés grassement et ne pouvaient s’exercer sans l’intervention d’un parent , d’une personne ami haut placée. 

Le lecteur a l’impression d’assister à la mise à sac du royaume d’Espagne comme si ce dernier était totalement morcelé; les hommes se déchirent pour obtenir la plus grosse part ; les énumérations vous indiquent déjà clairement l’importance des biens possédés : ” Camporeal reçoit l’impôt des huit mille hommes, l”almojarifazgo, le sel, mille autres sommes; le quint du cent de l’or, de l’ambre et du jayet. ” Lorsque Covadenga se plaint de ne rien avoir, il est aussitôt traité de “vieux diable ” par le Comte de Camporeal , celui là même qui possède de très nombreux biens et qui l’accuse de prendre “les profits les plus clairs” ; Chacun jalouse donc la fortune de ses concurrents et s’estime lésé, à tort; Le dramaturge montre par ces énumérations et ces disputes la grande cupidité des conseillers et leurs tractations s’achèvent symboliquement par le poison  (celui là même qui va tuer Ruy Blas ) et les esclaves considérés comme de vulgaires marchandises : ” Donnez-moi l’arsenic, je vous cède les nègres. ” C’est à ce moment que Ruy Blas va intervenir pour fustiger l’attitude des courtisans. 

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Hugo fait donc ici un portrait critique des ministres qui n’ont aucun sens de l’intérêt collectif et mettent à sac les richesses du royaume en cherchant uniquement à placer les membres de leur famille à des postes clés; montrés comme cupides, oisifs et querelleurs, ils représentent un danger pour le peuple ; Hugo rejoint ainsi la tradition du portrait critique des courtisans et l’intervention de Ruy Blas va représenter l’introduction du peuple en politique; en effet, ce dernier qui n’est pas né noble , va prendre la défense des classes laborieuse qui sont écrasés par les impôts et dont la sueur enrichit les Grands.  

24. octobre 2016 · Commentaires fermés sur Symphonie des parfums: se plonger dans le passé ..oublier le temps · Catégories: Première
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violette mystique 

 Poétesse novatrice qui a choisi le vers libre, Marie Krysinska compose un hymne mélancolique  aux souvenirs qui a des accents tristes :  on ne parvient pas vraiment à savoir s’il célèbre les joies du passé amoureux, ces beaux souvenirs qui forment pour le poète un rempart ou un refuge contre le présent menaçant  ou  le désir de l’oubli , une figure de la mort salvatrice comme une sorte de doux sommeil. Nous étudierons d’abord le déclenchement des souvenirs qui forment ensuite un tableau animé où parfums , couleurs et mouvements se mêlent harmonieusement avant de rendre compte de l’emprise de la mort et de l’évanescence  des réminiscences qui laissent place à un  terrible spleen. 

 

Pour construire vos introductions, se souvenir des différentes problématiques ainsi que des idées de  plans sur vos fiches, reportez- vous au polycopié donné en correction (en pièce jointe de cet article ) N’oubliez pas sur votre fiche texte de bien notre les numéro sise vers pour les citations (en rouge) et de faire apparaître titres des parties et de sous-parties...

 Pour construire le plan du commentaire , on pouvait partir de ses impressions de lecture : une tonalité  mélancolique, un poème qui évoque la résurgence des souvenirs et la présence du  spleen  ainsi que les nombreuses images de la mort ; Ce sont évidemment les thèmes essentiels mais un plan bien organisé les met en relation les uns avec les autres et répond à la problématique choisie : comment les souvenirs ressurgissent -ils ici ? 

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 Mon plan répond à la question posée  : les souvenirs  sont déclenchés par les parfums (étape1) et font renaitre le passé (étape 2) pour lutter contre la menace du présent et la présence  de la mort ( étape 3) 

En effet, cette symphonie est avant tout un ballet de senteurs et c’est l’odorat qui déclenche la remontée des souvenirs : le mot parfum sert de point de départ à cette brusque remontée du passé; ce sont des parfums forts comme l’encens ou le jasmin , la violette ou le lilas; D'autres évoquent l'Orient ou l'exotisme  comme le musc, l’ambre et la vanille; D’autres évoquent un climat mystique, une sorte de climat d’adoration des divinités , une ambiance sacrée comme la myrrhe et le santal et bien évidemment les encens “lointains et oubliés”. Ces sensations olfactives nous font voyager  et transportent  nos sens  pour faire renaître des moments du passé heureux comme l’odeur du foin coupé qui grâce à la comparaison ” sereine et splendide comme un soleil couchant ” dessine un tableau romantique , vision idyllique d’un bonheur passé. 

Chaque parfum est associé à une fleur qui est personnifiée dans le poème et  chacune des fleurs se transforme en une jeune femme qui incarne un type d’amoureuse : ainsi la violette par sa couleur foncée est associée à la tristesse du veuvage et à  la solitude : ces chères douleurs à jamais ignorées ” ; les roses, symboles de l’amour sont certes fanées mais par une métonymie, leur couleur fait allusion aux lèvres rouges des femmes qui se font belles pour aller danser et rencontrer leurs amoureux ; l’héliotrope fait renaitre “les belles dames poudrées ” qui évoquent un tableau du dix-huitième siècle avec ces bals , lieu des rencontres amoureuses et associés à la sensualité 

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scabieuse

A ces associations parfums et fleurs- femmes , il faut ajouter le mouvement des danses et la présence de la musique dans cette orchestration ; Les souvenirs se transforment ainsi en un ballet multicolore et sonore. On y entend différents instruments comme les orgues et les violons, le piano de Chopin et ses valses romantiques, et ces différents rythmes forment des accords à la fois grondants et berceurs. Cette  antithèse nous montre bien l’ambivalence ici du ressurgissement des souvenirs qui font du mal et du bien en même temps dans la mesure où ils réveillent des douleurs et des joies passées.  

Ces accord musicaux sont également obtenus par le biais des rimes intérieures et des répétitions qui scandent le poème : on y entend un refrain spleenétique d’une part avec l’image de l’hiver    et les nombreuses allitérations forment la musique du texte lui même : Ainsi les souvenirs doux, par opposition avec ce froid mortel sont  sont associés à des chuintantes qui marquent la chaleur et la douceur comme par exemple, chers et charmeurs, chanteront,chantant, chansons, Chopin, couchant , chaud et sachets

Quant au mouvement, il est obtenu par les danses : les fleurs s’enlacent comme des amoureux et forment des figures comme des arabesques; la valse est évoquée ainsi que les rondes des jeunes filles et les mouvements lents et gracieux des héliotropes. Le poème est formé de cette symphonie à la fois colorée et parfumée et la synesthésie ; c'est à dire le mélange des sensations, parcourt l'ensemble du poème.

Dès le début du poème, il est bien question de se laisser bercer par les souvenirs et d’y trouver un apaisement  sans réveiller les regrets mais est-ce bien le cas ? En effet, on peut se demander si les réminiscences ne provoquent pas , à leur tour , une forme de  mélancolie. Tout d’abord , on note la présence d’objets qui évoquent l’approche de la  mort comme la fleur fanée, le sachet vieilli; les adjectifs ont des connotations péjoratives parfois comme l’héliotrope avec son parfum vieillot et sa couleur défraîchie et on entend des pleurs à la fin du tableau des souvenirs :  une fleur est qualifiée de reine des tristesses et l’oponax est “dépravé” 

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muguet

Ce tableau qui pouvait , dans un premier temps, paraître joyeux et réconfortant, finit par laisser place à des visions “cruelles et douces ” et le poème se clôt sur le retour du refrain ; la vision semble s’achever avec une disparition totale des différents objets ; les extases sont désormais évanouies ; les valses, mortes et les cassolettes éteintes, les lunes disparues. La magie a, semble -t-il, cessé pour faire place au néant : cette énumération marque la fin du souvenir et chaque sensation est “morte” :  le tableau qui s’était animé sous nos yeux s’est désormais décomposé et chaque symbole fait allusion à une parti edu cet ensemble ; ainsi extase évoque le plaisir amoureux, la valse la danse et la musique, les cassolettes, la présence des parfums et des fleurs, et les lunes disparues : le temps qui a passé et qui ne reviendra plus ;la fin d’une lune marquant la fin d’un cycle saisonnier . Les Anciens comptaient le temps en lunes: c’était l’unité de mesure principale du temps qui passe  et cela le demeur encore lorsque nous sommes privés d’instrument de mesure plus précis .

La poétesse utilise le langage des symboles pour traduire sa mélancolie et sa difficulté à maintenir vivace cette plongée dans les souvenirs réconfortants; le caractère éphémère du souvenir est bien marqué avec cet effacement du tableau coloré ; de plus, si on examine attentivement les éléments qui composent ces visions, on note dès le début la présence d’éléments peu réconfortants en lien avec les sentiments amoureux ; en effet, si chaque fleur peut symboliquement suggérer un type de relation amoureuse ou un souvenir amoureux, on aperçoit très tôt de la tristesse et des regrets ; si, au départ les roses sont superbes et éclatantes, comme si elles retrouvaient leur beauté passée et leur fraîcheur qui indiquerait la force de la jeunesse , on constate que les chansons ,elles, demeurent vieilles ; quant aux  voluptés, qui désignent le plaisir amoureux, elles sont qualifiées de  mortelles ; cependant, par une sort ed mouvement inverse, lorsque le mot  douleurs apparait, il est aussitôt atténué par la présence de l’adjectif chères; point d'amour triomphant ici mais des souvenirs amoureux où on devine encore la douleur tapie dans l'ombre du souvenir ;  il s'avère donc impossible de ne pas réveiller ces regrets en même temps qu'on réveille les souvenirs; Ce qui voudrait dire que nous ne pouvons entièrement contrôler nos réminiscences, ni filtrer notre passé. Comment ces instants morts car passés peuvent-ils encore éveiller en nous des sentiments ? C'est justement  la magie des souvenirs qui nous permet presque de revivre à l'identique les émotions qui appartiennent à notre passé. 

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héliotrope 

Peut être qu’aimer ne se fait pas sans une certaine douleur  ? C’est ce qu’évoquerait le poème en ressuscitant ces sentiments amers à l’image des parfums des liserons et les pleurs des iris suggèreraient que les chagrins amoureux demeurent encore vivants; Toutefois,  si la mélodie  demeure mélancolique et nostalgique, elle constitue malgré tout  une forme d’apaisement qui peut être interprété comme une préparation au long sommeil ; Il s’agirait d’apprivoiser , en quelque sorte, l’approche de la mort et  d’amortir sa violence, marquée symboliquement dans le texte par les images de dévastation du refrain.

La douleur de ce refrain semble émaner de la terre elle-même te de chacun de ces éléments personnifiés  : tout d’abord, l’hiver pleure le vent hurle comme un fou et les arbres avec leurs membres nous font penser à des corps suppliciés sous l’effet de la torture; l’adjectif grêle marque leur fragilité et leur faiblesse et le verbe tordre traduit cette force destructrice des éléments déchaînés; De plus, la conjonction tandis que peut marquer un effet durable : on a la sensation que cette saison est rendue éternelle . Cet univers cauchemardesque entoure la poétesse à l’image de sa place dans le poème, au début et à la fin et pour y échapper, elle tente de se plonger dans les souvenirs heureux de son passé qui entrainent à leur tour d’autres souvenirs .

Antidote au présent mortifère, le ballet des souvenirs déploie ici toutes les couleurs de sa séduction pour nous faire oublier que nous sommes soumis au cours inexorable du temps dévastateur mai cec visions finissent par disparaître , par s’évanouir à nouveau pour rejoindre les ombres de notre passé et nous devons recommencer indéfiniment cette opération de réminiscence qui , en dépit de nos efforts, ne nous permet pas toujours de séparer les visions cruelles des plus douces , nous remontons donc le cours du temps, par le biais du souvenir,  pour  retrouver dans notre passé nos joies disparues.  A nos risques et périls . 

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iris 

 

09. octobre 2016 · Commentaires fermés sur Saisir l’instant · Catégories: Première
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Poétesse belge née en 1927 et survivante de l’holocauste, Esther Granek est partie vivre en Israel où elle a exercé le métier de secrétaire comptable à l’ambassade  de Belgique;  elle a composé 5 recueils poétiques qui ont ét publiés à partir des années 1980 et elle est décédée au mois de mai dernier en 2016. Son recueil Je cours après mon ombre  est paru aux éditions Jean -Louis Curtis en 1981. Elle compose une poésie personnelle et intimiste très musicale et parcourt des thèmes universels comme l’amour, le temps , la place de l’homme .

Saisir l’instant se présente comme une belle tentative de briser la linéarité du temps afin d’en extraire de merveilleux moments. Le poème se présente sous la forme de quatre quintils aux vers irréguliers et d’un quatrain : cette composition symbolique rappelle les 24 heures d’une journée. On remarque l’anaphore en début et en fin de strophe de l’expression saisir l’instant qui est répétée 9 fois au cours du poème; On pourrait penser que la poétesse cherche effectivement à extraite l’essence d’un instant . 

Pour approcher cet instant et en isoler la quintessence , elle cherche à lui donner une forme , une contenance; le premier quintil propose ainsi l’analogie avec une fleur “qu’on insère entre deux feuillets ” ; on peut penser au herbiers qui permettent de conserver la beauté des fleurs séchées entre deux feuilles mais on peut également penser à l’écriture du poème , des mots qu’on insère sur des feuillets ;

L’oxymore avant après  nous frappe d’abord par sa construction par juxtaposition et contraste avec la suite infinie des heures que rien ne semble pouvoir briser; En fait la signification du poème joue sur la possibilité d’interrompre la linéarité du temps et d’en isoler des fragments. par une sort d’opération magique, l’instant ainsi isolé se dilate est devient un refuge pour l’lhomme; on retrouve ainsi dans la seconde strophe, le champ lexical du sauvetage; l’homme vogue sur la mer de la vie tel un navire fragile et les instants représentent des planches de salut, une épave pour s’y accrocher;  l’instant salvateur évite la noyade au sein de cette métaphore;  Un autre oxymore  termine le quintil avec le paradoxe que forme l’ expression l’éternel présent car le présent par définition est  très limité, encadré par le  passé et l’avenir. 

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Le trois!ème quintil met l’instant au centre du monde  comme un point de départ; le verbe construire indique ici qu’il sert de fondement , de base, à la fois aux rêves et au monde dans son quotidien; l’homme  se nourrit alors de cet instant ce qui inverse l’image commune  selon laquelle c’est le temps qui dévore notre vie; la poétesse ici renverse le cliché du temps en monstre dévorateur pour montrer,au contraire, que notre vie est tissée d’instants , que le temps sert de trame à notre vie (nous avions déjà vu cette idée avec le poème Fata temporum de Sicard qui mettait en place le champ lexical de la couture pour désigner l’action du temps . La fréquence des tournures pronominales: “s’en saisir, s’en nourrir, s’en repaître ” peut laisser penser à une action autocentreé, tournée vers le sujet ; 

On constate également la présence d’un champ lexical de la nourriture avec même un excès mentionné: l’homme semble vouloir absorber le temps, l’ingérer comme on se nourrit de ce qui nous fortifie; d’abord il  tente de le saisir  et s’en repait ; le verbe se repaître indique l'action de ne plus pouvoir absorber de nourriture comme si l'homme était repu , avait assez mangé ; dans la strophe suivante, l'expression s’en nourrir inlassablement traduit un peu la même idée d’une absorption en continu comme si l’homme tentait de conserver actif le lien vital qui le relie eau temps: on retrouve une variante de cette même idée avec le verbe s’imprégner qui ajoute à l’idée d’une absorption physique celle d’une imprégnation mentale; en effet, s’imprégner de quelque chose signifie le garder toujours présent à l’esprit, ne jamais s’en détacher, le conserver éternellement présent en mémoire , ne pas pouvoir l’oublier; On retrouve ainsi dans ce poème l’idée qu’il faut lutter contre l’oubli qui efface la trame de nos vies en faisant disparaître nos souvenirs .  Le dernier verbe se gaver complète le champ lexical et intensifie cette idée d’absorption . 

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Les instants dérobés constituent d’abord une nourriture, un matériau mais également une richesse pour l’homme qui doit se fixer comme objectif de les saisir ; la difficulté d’une telle opération apparait , à plusieurs reprises, dans le poème et notamment dans la dernière strophe; l’exclamative de l’avant -dernière strophe laissait deviner le regret , la nostalgie de l’état passé mais les interrogatives finales contribuent à éclairer la quasi- impossibilité de saisir ces instants fugaces ; la comparaison avec un nouveau-né a pour but de nous convaincre de la fragilité de ces instants qui peuvent nous filer entre les doigts; il faut donc les rassurer, les “bercer “pour les retenir comme on endort et rassure un enfant ; Les deux questions qui terminent le poème semblent ainsi nous renvoyer à son début : pourquoi ne puis-je ..saisir l’instant a envie d’ajouter le lecteur . Du coup le poème se termine sur cette difficulté laquelle nous nous heurtons tous : isoler un segment du temps et le garder avec nous sans qu’il puisse nous échapper . Les allitérations en s peuvent traduire cette menace de laisser les instants s’enfuir sans pouvoir les rattraper ..

L’originalité de ce poème consiste donc à nous donner du temps une image positive: il est la nourriture de notre vie et nous avons le devoir de nous en emparer afin d’en conserver la quintessence : chaque étapee de notre vie baigne dans un espace temporel,de notre naissance à notre mort qu’on peut lire à travers l’expression “pourquoi ai-je cessé ” et nous devons en fixer les formes et les couleurs afin de garder vivants à jamais ces instants .

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04. octobre 2016 · Commentaires fermés sur La Montre de Théophile Gautier · Catégories: Première
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Lorsque les poètes abordent le topos de la fuite du temps, ils le font le plus souvent dans un registre mélancolique et Théophile Gautier n’échappe qu’en partie à cette tendance . Toutefois, à la différence des poètes romantiques qui expriment très souvent des sentiments exacerbés, on sent dans ce poème l’influence du Parnasse et de l’art pour l’Art qui fait la part belle à la beauté formelle et tend à restreindre le lyrisme personnel. Voyons de plus près comment le poète exprime ce qu’il ressent face au temps qui passe. 

La montre est  un poème composé de 10  quatrains d’octosyllabes aux rimes croisées qui égrènent les instruments de mesure du temps ; Comme le titre l’indique la montre va nous permettre de prendre la mesure du temps et de réaliser que nul ne peut en arrêter la course;  Comment le Tems est-il représenté dans ce poème ?  Par un système de personnifications et grâce à un réseau de métaphores, Théophile Gautier nous fait prendre conscience de cette course folle des heures. Nous examinerons tout d’abord les différents instruments utilisés par le poète pour rendre compte de la mesure du temps avant d’aborder l’histoire racontée par cette montre en panne et nous terminerons l’étude du texte poétique en tentant d’analyser les sentiments éprouvés par le poète . 

Plan détaillé : (attention il ne figurera pas sur votre copie rédigée, uniquement sur votre brouillon ) 

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I  Les instruments de mesure du temps : des symboles du temps qui passe

a) des instruments variés et nombreux

Le poète évoque tout d’abord cette montre aux aiguilles immobiles avant de passer à la pendule qu’il personnifie  et transforme en un personnage moqueur “la figure de la pendule “ peut-on lire au vers 5 ; cette pendule rit de lui et lorsqu’elle  sonne son “timbre d’argent module /deux coups vibrant comme un tocsin” ; cette mention fait référence à un alerte, une sorte d’ alarme car le tocsin sonne en cas de danger. Après viendront le cadran solaire, l’église et son clocher qui rythme les journées . Le poète fait ainsi référence à la variété des instruments qui permettent à l’homme , depuis l’Antiquité , de chercher à rendre compte de l’écoulement du temps . Il semble cerné de toutes parts par tout ce qui lui rappelle que le temps ne s’arrêt jamais. 

b) le poète victime  d’une illusion

L’idée de moquerie est reprise dans le quatrain suivant par le verbe railler et le poète est la victime du cadran solaire, lui aussi personnifié avec “son long doigt” ; cet instrument de mesure ancien semble montrer au poète au moyen de son ombre qui s'allonge, que le temps ne peut jamais s'arrêter.  Après la pendule, le cadran solaire , on passe cette fois à l'échelle supérieure avec le clocher et  le beffroi qui domine la ville; Le cloches ne mentent pas et le poète est , une fois de plus, désigné comme la victime d'une illusion. L'ironie du clocher personnifie lui aussi appelle la "bêtise "du poète qui  a oublié de remonter sa montre . C'est en effet ce que nous comprenons très vite avec le vers 3 "l’aiguille au même endroit se montre ” 

II la montre arrêtée au coeur de l’histoire 

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a) la montre 

En effet, ce poème semble raconter une anecdote : le poète a tout simplement oublié de remonter le mécanisme de sa montre et cette dernière a cessé de marcher . Cette erreur est soulignée dès les premier vers par une formule énigmatique : “il est une heure..une heure après” ; la reprise des mêmes groupes de mots matérialise cette confusion et cet arrêt des aiguilles de la montre. Le quatrain central nous apprend que le poète a oublié de remonter sa montre la veille : la périphrase "au trou de rubis la clef d’or ” évoque le mécanisme d’horlogerie  et le transforme en un objet précieux et merveilleux et l’expression “la petite bête est morte” au vers 17 peut faire sourire car elle transforme l’objet en animal. On retrouve d’ailleurs cette même idée qui peut faire sourire  avec le  balancier  métamorphosé en “papillon d’acier

b) un poète rêveur 

La distraction du poète est mentionnée à plusieurs reprises dans le poème comme étant un défaut important  : au vers 2 où ce sont ses yeux qui sont qualifiés de distraits ; au vers 19 où il est question d'une forte rêverie qui l’a empêché de penser à remonter sa montre; Au vers 25, ce trait de caractère semble même le caractériser quand il écrit “c’est bien de moi.;quand je chevauche /l’hippogriffe au pays du Bleu /mon corps sans âme se débauche..” perdu dans se rêves, le poète perd ainsi la notion du temps en même temps qu celle du devoir; Le pays des songes est désigné par la métaphore Pays du Bleu, sans doute pour évoquer le ciel et l’image chevaucher l’hippogriffe rappelle le caractère irréel des rêveries ; Un hippogriffe étant un animal mythique et dangereux , être capable de le chevaucher signifie croire à des chimères ,à des mondes oniriques; le poète trouve ici refuge dans se songes et perd contact avec la réalité à tel point qu’il en perd son âme. Gautier joue également avec l’idée qu’on se fait habituellement d’un poète: un rêveur toujours la tête dans les nuages. 

III Le coeur du poète 

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gautier4.jpg, oct. 2016

a) Plus le poème avance et plus le ton devient mélancolique : ce qui n’était au départ qu’une anecdote plaisante devient peu à peu une plainte sur la fuite du temps; la montre devient alors l’image d’un coeur qui bat avec le tic tac de son horlogerie; l’enfant d’ailleurs s’y laisse piéger et devient lui aussi la victime d’une illusion : il croit que la montre vit ; l’objet se transforme en coeur humain et désigne l’approche de la mort; par un subtil glissement métaphorique qui s’opère dans les deux derniers quatrains, la montre et le coeur du poète se confondent; le terme pulsation qui devrait plutôt être employé pour indiquer l’activité cardiaque est remplacé par le terme vibration qui lui rappelle davantage l’activité d’une sonnerie ; le coeur du poète est alors désigné comme le grand frère de celui de sa montre et cette fois c’est le verbe palpiter qui indique la présence de la vie en lui. Dieu est désigné par la périphrase : ” celui que rien ne peut distraire ” par opposition au poète distrait . 

b) les images de la mort

En y regardant d’un peu plus près, nous trouvons en effet des références à la mort ; tout d’abord, autrefois , quand quelqu’un mourait, on arrêtait la pendule dans sa demeure pour marquer l’arrêt de sa vie ; cette montre silencieuse est devenue un “cadran muet ”  et le temps apparaît alors comme une sorte de rôdeur avec cette image de “l’oreille collée au couvercle”; le verbe chercher lui -même est inquiétant ; on peut penser qu'il désigne la mort qui vient chercher une vie au vers 32; Et le verbe remuer pour indiquer l’action du coeur qui bat rappelle la présence de la vie comme celle d’un animal pris au piège; Dieu fait deux apparitions dans le poème : la première sous la forme d’une boutade ” comme il plait à Dieu” ; cette phrase sonne un peu comme le rappel mais sur un ton amusé, de la toute puissance divine; l’homme ne doit pas craindre la mort s’il remet sa vie entre les mains de Dieu 

A partir d’une anecdote plaisante, Théophile Gautier construit une réflexion sur la mort et le temps qui passe; le tic tac de la montre devient le coeur qui bat dans  la poitrine du poète et qui pourrait s’arrêter à chaque instant. Le ton léger employé par Gautier s’accorde bien dans avec les préceptes du Parnasse qui recommande , à cette époque, l’abandon du lyrisme pour un langage plus symbolique et contraste ainsi avec les effusions romantiques baignées de mélancolie; Toutefois , cette réflexion amusée sur le temps n’échappe pas à une forme de fatalité.

26. septembre 2016 · Commentaires fermés sur Fata temporum : le temps est un ogre au visage de fée… · Catégories: Première

 

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Du côté de sa biographie : Francis Etienne Sicard est un poète contemporain né en 1952; il  se passionne, dès l’adolescence, pour la littérature, et en particulier pour Marivaux et Marcel Proust. Des études de lettres classiques le conduisent à Lyon, où il complète sa formation d’enseignant avant de  rejoindre, en 1977, Berlin, où il choisit de résider pendant plusieurs années, pour écrire son premier texte en prose Le Voyage Bleu, qu’il ne publiera cependant qu’en 1986 .Il voyage  ensuite en Europe, en Asie et aux Etats Unis et commence  une importante correspondance.En 1983, il s’installe à Londres, d’où il publie trois recueils de poèmes, Contrepoint, Ecritoire Vécue, et Ariane, En 1998, il se retire dans le Languedoc, et publie quelques textes dans la presse.

Fata Temporum (la fée du temps )  est un sonnet qui nous confronte à différentes représentations du Temps; certaines peuvent nous sembler courantes mais la modernité du poème est à rechercher essentiellement dans l’utilisation du langage poétique et la création, à la manière surréaliste, de certaines associations d’idées qui renouvellent le matériau poétique classique. Commençons par tirer quelques fils d’interprétation à partir de repérages simples dans le texte poétique .

La figure du Monstre : le Temps apparait d’abord comme une sorte de rôdeur inquiétant qui “coule lentement le long des cimetières”  : on repère bien le champ lexical de la mort  qu’on retrouve avec  la métaphoreéteint la flamme” et la cloche des morts : le glas dans le premier tercet. Ce monstre est doté de griffes qui au lieu d’être aiguisées , aiguisent le silence;   la transformation ici du qualificatif en verbe d’action est surprenante. Cette figure démoniaque ronge la peau de la bouche des rois et celle des lèvres des meufnières; on peut sans doute ici retrouver une variante de la figure vampirique de la goule qui entre dans la bouche et dans l’âme de se victimes pour les aspirer, les vider de leur substance vitale. Ce Temps a des allures de  roi car son règne dure depuis l ‘éternité , image de son pouvoir sans limite; un roi puissant et tyrannique donc qui impose sa loi aux hommes et qui les dévore; On retrouve , en effet, dans ce poème, la trace d’une dévoration avec le verbe “nourrit sa chair ” qui désigne le Temps comme une créature qui absorbe les hommes ; C’est le dernier vers qui révèle un des paradoxes les  plus intéressants de ce poème ; l’ogre a un visage de fée donc il trompe l’homme doublement: d’une part, en lui cachant sa véritable nature et d’autre part, en en lui montrant des atours séducteurs et magiques . 

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Cette première piste  peut être complétée par le retour du symbolisme de l’alternance jour/nuit qui est une des unités de mesure du temps; en effet, le Temps est une sorte de couturière qui “attache ” la nuit au jour et qui “ourle” le matin avec un “galon”; ce champ lexical de la couture complété par le mot écheveau présente la continuité du temps comme inattaquable : aucune faille ne peut avoir lieu dans ce déroulement qui mène inexorablement à la mort:cette figure énigmatique de la porte , l’huis médiéval , représente peut être l’idée chrétienne d’une vie après la mort , d’un passage vers l’au-delà. A la rime avec huis, on note la présence du symbole du puits qui représente  le gouffre avec toute son étrangeté ; l’idée est celle d’un temps qui renforce le silence ; d’une part à cause de l’oubli et du non dit mais également l’idée que seul temps qui passe permet d’oublier ce qui a blessé ou ce qui a pu causer de la douleur; la référence aux étrivières qui sont les parements en cuir qui relient la selle aux étriers , évoque une forme du cinglage, un peu comme si on fouettait un cheval.

Dans le premier tercet, le Temps est représenté à l’échelle de l’univers et on pense à la formation du monde avec des mots aux connotations philosophiques comme néant, gouffres d’univers et étoiles à naître; Ce feu des origines  peut faire  penser au magma de la naissance du monde et ce Temps se mesurerait à l'échelle géologique.  Il s'agirait d'y lire le Temps de la Création, celui du début des Temps.

Les dernières images du second tercet demeurent énigmatiques : ce temps  nourrit sa chair (alors qu’on attendrait se nourrit de chair )  de la soif de nos yeux; Si , dans un premier temps, on pense aux larmes à cause de l’association automatique entre le liquide (la soif) et les yeux , on peut toutefois se demander s’il n s’agit pas plutôt d’ une désignation de l’envie de vivre, de notre instinct de vie. Le poète penserait ici à ceux qui profitent de leur temps , qui ne le laissent pas passer sans essayer d’en tirer parti. D’un certain point revue, plus on lui accorde de l’importance et du crédit et plus il nous fait mesurer notre condition mortelle. 

Des associations sont parfois difficiles à comprendre comme l’or des temps qui peut évoquer le soleil selon le symbolisme des saisons ; l’éclat de la lumière présent dans les connotations du mot or se double de référence à quelque chose de précieux .

Alors à vos idées pour la suite et l’organisation ….

Le plan proposé :

On rappelle la problématique : comment le poète représente-t-il le Temps ?

Consigne 1 : les titres des parties répondent à la question posée

I Le double visage du Temps

1. Un temps vu comme un monstre

ogre,chair, griffes, aiguisées

2. Le temps magique comme la Fée

ourle, galon, attache,visage de fée, or , étoiles

3. L’ambivalence du temps

 l’alternance du Jour et de la Nuit : cache une cruauté sous un aspect fééerique , finit par nous dévorer donc indice d’une victoire du temps .(paradoxe)

II L’homme face au Temps ou la victoire finale ou le combat de l’homme

1. La puissance du temps

son règne dure éternité, gouffres d’univers, Néant,

2. La présence de la mort

cimetière, coule, huis (image énigmatique) , éteins la flamme

3. Une victoire finale

les silences , enfouir, les étrivières  l’au delà demeure une croyance