12. septembre 2016 · Commentaires fermés sur Le ballet des heures de Nerval : apprendre à faire un plan détaillé · Catégories: Première
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De la lecture analytique au plan de commentaire composé : à partir des axes de lecture et des remarques effectuées sur le texte poétique de Nerval , il est temps maintenant de mettre un peu d’ordre dans nos idées et de répondre de manière organisée à la problématique donnée : comment le poète représente-t-il le Temps ? 

Notre plan va s’articuler autour de grandes parties nommées en chiffres romains et de sous- parties habituellement notées en chiffres arabes (mais on peut également utiliser des lettres A, B C et a, b, c ) ; Ce plan ne s’écrit pas sur la copie de commentaire. En revanche, je vous suggère de le noter à l’oral du bac sur votre feuille quand vous préparez votre réponse sous forme d’exposé. ce document se nomme un conducteur d’oral de bac ou plan détaillé

I Le temps est l’Ennemi du poète 

1. images de destruction : les ravages du Temps

2. brièveté et fugacité

II Les Symboles du Temps

1. la dimension linéaire : le mouvement incessant des heures                      

 

2. la dimension cyclique : les saisons et l’éternel retour

3. cueillir les roses de la vie : l’épicurisme du poète

III le triomphe de l’Amour 

1. l’amour confère l’immortalité

2. le temps du rêve est éternel

3. la métempsycose comme idéal 

04. septembre 2016 · Commentaires fermés sur Le temps est un mystère .. comment représenter le Temps ? · Catégories: Première
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Le temps est un mystère pour l’homme qui le regarde passer sans pouvoir ni le ralentir ni bien sûr l’arrêter. On dit souvent qu’on a perdu son temps à faire des choses inutiles ou lorsque le résultat d’une action n’est pas conforme à nos espoirs. Lorsqu’on vit un instant de bonheur , on voudrait pouvoir arrêter le temps et à l’inverse, quand on traverse une épreuve difficile on a le sentiment que les secondes durent des heures . Comment représenter le temps ? 

De nombreux artistes , peintres ou poètes, ont cherché à traduire notre perception du temps. La première pensée de l’homme , est , en règle générale, liée à son vieillissement car il a conscience que chaque jour qui passe le rapproche de l’heure de sa mort. Il est donc fréquent d’associer des symboles de mort lorsqu’on cherche à illustrer le temps comme dans les natures mortes, ces tableaux qui reposent sur une lecture symbolique. Plusieurs éléments se retrouvent souvent dans ces oeuvres d’art très à la mode au dix-septième siècle  appelées « Vanités ». Ainsi la fuite du temps , la brièveté de la vie, sont évoquées par des sabliers, des bougies qui se consument ou des horloges. Le crâne, bien entendu, évoque la mort prochaine, du moins la mort qui ne manquera pas d’arriver un jour. Les effets du temps sont aussi souvent représentés à travers les fleurs (qui se fanent rapidement), les fruits (qui s’abiment), les pierres (qui se lézardent)…

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Exemple de Vanités

A d’autres époques, comme dans l’Antiquité , les divinités associées au Temps sont accompagnées d’yeux, d’instruments tranchants comme la traditionnelle faux ou les ciseaux qui symbolisent la rupture du fil de la vie. Mais on trouve également des figures du Temps associées à des monstres dévorateurs comme pour rappeler que Chronos dévora ses enfants dans certaines versions du mythe . 

Je vous propose de vous mettre en quête de représentations du temps, d’explications qui nous guideront dans la lecture des images ou des tableaux  et de présenter rapidement  le fruit de vos recherches à la classe. Vous préciserez bien à quelle date a été fabriquée l’oeuvre et à quel courant artistique elle appartient.  A l’issue de vos exposés qui pourront être réalisés à deux, la classe sélectionnera 3 ou 4 oeuvre d’art qui figureront dans le lutin de bac et sur lesquelles vous pourrez être interrogés. La liste suivante n’est donnée qu’à titre indicatif pour ceux qui n’ont pas trop d’idées ou qui ne savent pas comment chercher …

représentations du Dieu Chronos  et des Parques : statues ou tableaux 

• Jacques Henri Lartigue, André Haguet dit Dédé mon cousin, Rouzat (photographie, 1911, http://acver.fr/1-b).
• Giacomo Balla, Fillette courant sur le balcon (huile sur toile, 1912, http://acver.fr/1jd).

• Marcel Duchamp, Nu descendant un esca- lier (huile sur toile, 1912, http://acver.fr/2cf). 

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Les croquis d’Antoon Van Dyck (http:// acver.fr/2ch)
• Les carnets de croquis de Picasso (http:// acver.fr/1jg) 

Gustav Klimt, Les trois âges de la femme (huile sur toile, 1905, http://acver.fr/1jh).

• Camille Claudel, L’âge mûr (sculpture bronze, trois parties, vers 1902, http://acver. fr/1ji). 

Nils Udo, Toile d’araignée de fougères, feuille de fougère (1986, http://acver.fr/1jj). 

 Le impressionnistes , par exemple, ont inventé les principes des Séries pour montrer les effets du temps et les changements subis par les objets.

Claude Monet (3 huiles sur toile) http://acver. fr/1jk :
• Cathédrale de Rouen, le portail, soleil mati- nal, harmonie bleue, 1893.

• Cathédrale de Rouen, le portail et la tour

Saint Romain, plein soleil, harmonie bleue et or, 1894.
• Cathédrale de Rouen, le soir, 1894. 

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Cherchez du côté de Goya, Picasso,  de Dali avec se montre molles par exemple. Vous pouvez aussi évoquer les créations des artistes contemporaines cherchant où leurs oeuvres sont exposées. 

Le site histoiredel’art.net  vous sera fort utile ainsi que  des sites spécialisés en analyses artistiques comme d’artdart par exemple

Ce portail vous présente le principales émissions artistiques à la télévision. Bon courage pour vos recherches…  http://www.canaltheatre.com/tv_arts.html

30. mai 2016 · Commentaires fermés sur Le triomphe l’héroïne romantique : Corinne de Madame de Staël · Catégories: Première · Tags:
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 1766/1817 : Germaine Necker , baronne de Staël est la fille du riche banquier  Necker, ministre des Finances du roi Louis XVI . Elle fut élevée avec  par une mère protestante . Étonnamment précoce, elle  lisait à quinze ans Montesquieu et  Rousseau. Elle épousa, âgée de vingt ans, le baron de Staël Holstein, mais se sépara de lui peu d’années après. Elle eut une  liaison avec Benjamin Constant et voyagea dans toute l’Europe.  Madame de Staël accueillit d’abord la Révolution avec enthousiasme, détesta les crimes commis pendant la Terreur.En 1796, elle publia un ouvrage moral et politique : De l’influence des Passions sur le bonheur des individus et des Nations.Son salon devient en 1802, un centre d’opposition contre Bonaparte et elle fut persécutée sous le Consulat et l’Empire.Son premier roman  Delphine, confession émue , eut un grand succès en 1807, comme Corinne  .

Madame de Staël occupe dans l’histoire littéraire une place importante : elle et Chateaubriand sont les deux grands initiateurs du romantisme.

Résumé du roman  : Un jeune Ecossais, Oswald, lord Nelvil, voyage en Italie. Froid, relativement simple, fier, indifférent à tout et profondément mélancolique, il se lie avec un jeune émigré français, le comte d’Erfeuil, tout son contraire : gai, insouciant, content de lui et très infatué de sa qualité de Français.   Le lendemain de leur arrivée à Rome, ils assistent à un événement solennel : Corinne, mystérieuse poétesse italienne, est couronnée au Capitole pour sa beauté et son génie. Lord Nelvil s’éprend d’elle, Corinne répond en silence à cet amour. Elle lui propose de lui montrer les beautés de l’Italie. Oswald est ébloui. Mais la supériorité intellectuelle de Corinne et ses sentiments passionnés l’intimident.    Elle lui révèle alors qu’elle est Anglaise, fille de lord Edgermond et de sa première femme, une Italienne. Fut même un temps où lord Edgermond et son vieil ami lord Nelvil (le père d’Oswald) faisaient le projet d’unir leurs enfants. Mais la vivacité de Corinne avait effrayé lord Nelvil père qui était mort en souhaitant qu’Oswald épousât Lucile Edgemond, née d’un second mariage de son ami.   Oswald se souvient en effet de ce souhait importun. Il décide de retourner en Angleterre pour mettre fin à cette situation trouble et préparer l’opinion à son mariage avec Corinne.   Mais une fois de retour, il est repris par l’influence de la société anglaise, épouse Lucile qui promet d’être ue mère de famille parfaite, selon la tradition.   Corinne s’abstient de troubler le bonheur de sa soeur et meurt de chagrin.

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cérémonie du triomphe

Ce roman présente pour le première fois les revendications “féministes”. Corinne a quitté l’Angleterre pour fuir une société médiocre attachée aux convenances qui la condamnait et la rejetait. En Italie, elle a refusé de se soumettre aux bienséances et conventions sociales, vivant librement sans cacher son amour pour Oswald, suivant sa nature passionnée, chantant les beautés du monde dans ses poèmes. 

   Corinne est en même temps le premier roman international qui ait paru en France. Mme de Staël est foncièrement cosmopolite.    On peut donc insister sur l’un des grands services qu’elle rend aux Français de son temps : élargir leur horizon intellectuel en les renseignant sur l’étranger, non seulement l’Allemagne (De l’Allemagne), mais aussi l’Italie, où elle fait deux séjours, en 1804-1805 et en 1812-1813.      Chateaubriand visite bien l’Italie un peu avant elle (il va en Rome en 1803-1804 comme premier secrétaire d’ambassade) mais il ne publie son Voyage en Italie qu’en 1826 

   Dans Corinne, Mme de Staël mêle les aventures de son héroïne aux descriptions de ce pays : son amour pour Oswald se double des émotions artistiques ressenties devant paysages et monuments. 

Plan de l’extrait : Le triomphe de Corinne  

Comment le personnage de Corinne est -il construit ? 

1 Un triomphe à l’Antique : l’importance du cadre et des références

la jeune femme est sur un char comme un général romain, construit à l’antique 2 : nombreuses analogies avec la cérémonie du triomphe guerrier des généraux romains mais là il s’agit du triomphe de l’Amour 

le cadre romain très important avec les lieux et les références : le Capitole = l’une des 7 collines de Rome où montaient les généraux victorieux pour célébrer leur victoire ; statue de César : enthousiasme des Romains, beau ciel, lieu fécond en souvenirs 28 ; le cadre ajoute au triomphe du personnage 

la présence d’une foule enthousiaste et de nombreuse manifestations d’admiration la foule l 2, partout, chacun, tout le monde : objet d’une admiration de tous et cette admiration est visible :   on jette des parfums, on cherche à la voir, on lui dresse un tapis rouge  (écarlate l 5); cris d’acclamation et émotion générale (l 6) : cette admiration allait croissante ; on a préparé son triomphe 

2. Une héroïne magnifiée

un portrait laudatif :  le portrait physique cheveux du plus beau noir 11 ; costume pittoresque : rappelle beauté idéalisée des héroïnes du siècle classique  (La Princesse de Clèves) 

ses bras étaient d’une éclatante beauté 19, sa taille grande comparée à une statue antique et des qualités comme jeunesse et bonheur : idéal antique des statues, proportions admirées et incarne la féminité 

une déesse : 24 prêtresse d’Apollon et temple du Soleil , l 10 la Sybille = prêtresse qui lit l’avenir , ainsi qu’un regard inspiré 21 (signe divin)  rappelle ce lien avec la divinité 

présence de qualités morales : contente d’être admirée mais modestie ,absence de fatuité 15

paradoxe : semblait demander grâce pour son triomphe : mélange de timidité te de retenue 

3. Un objet d’admiration 

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La naissance de l’héroïne romantique : des qualités d’âme en plus des qualités physiques et une héroïne qui sait rester modeste 

l’admiration qu’elle suscite est générale : la foule l 2, partout, chacun, tout le monde : objet d’une admiration de tous et cette admiration est visible :   on jette des parfums, on cherche à la voir, on lui dresse un tapis rouge  (écarlate l 5); cris d’acclamation et émotion générale (l 6) : cette admiration allait croissante 

elle se trouve dans une situation extraordinaire (l 23 ) en même temps déesse et l 25 paradoxe: femme parfaitement simple (sait demeurer naturelle ce qui est une qualité ) ; absence d’orgueil : une sorte de naturel 22

elle produit un effet sur le héros : d’abord ne la partage pas (l 7 ) ; ensuite subjugué l 18 et son imagination comme électrisée 28 (indice d’un coup de foudre ? ) 

La victoire d’une femme : première fois qu’il était témoin des honneurs rendus à une femme  31; le triomphe d’une femme comparée à celui d’un chef d’Etat en mieux car larmes en moins ; son triomphe est celui du génie

Ici une héroïne triomphante qui célèbre les vertus de cette femme hors du commun en montrant qu’elle échappe aux défauts de certains grands hommes ; la romancière met en valeur son héroïne féminine en la dotant de nombreuses qualités qui ne font un modèle et un objet d’admiration. 

« Le classicisme, c’est la santé; le romantisme, c’est la maladie », dit Goethe. Des pâles figures alanguies de poètes lunatiques et de jeunes filles guettées par la phtisie hantent en effet les pages de la littérature romantique. Chateaubriand aperçoit dans ce “vague des passions” un symptôme essentiel du désenchantement propre à une génération dont les «facultés, jeunes actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet.» (Le Génie du Christianisme). Le mal sera ravageur, inspirant plus tard le spleen baudelairien comme l’ironie flaubertienne.

 

28. mai 2016 · Commentaires fermés sur Les dernières paroles du poète en prison : René Daumal cherche à avoir le dernier mot.. · Catégories: Première · Tags:
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Ce poème de René Daumal a été composé en 1936 et fait écho à la Guere d’ Espagne qui oppose les républicains (rouges espagnols ) aux troupes commandées par le  général Franco (les franquistes  surnommés les blancs ) .

Il est formé de prose poétique avec quelques retours à la ligne qui pourraient encore faire penser à des vers et sa dimension poétique ne provient pas de la versification mais de la présence d’images fortes et d’un rythme particulier. Daumal y pose le problème des fonctions du poète dans la société , notamment en temps de troubles. Il tente également de mesurer  l’utilité de la poésie comme parole de combat. Nous pourrons nous demander ce qui caractérise la poésie de cet extrait et comment le poète réagit-il dans son cachot  à sa condamnation.

Sous la forme d’un poème en prose, Daumal met en scène les dernières heures d’un poète condamné à mort ; Ce dernier avant de mourir, cherche deséspèrement, les mot justes , les ultime paroles qu'il pourrait délivrer à ses semblables . Nous étudierons la première page des  lignes 1 à 51 de " D'un fruit qu'on laisse pourrir à terre ..jusqu'à je serai pendu."

Le texte s’ouvre sur un système de métaphores  qui vante les vertus du poème ; ce dernier est rapproché d’un fruit pourri à partir duquel la vie va pouvoir se développer à nouveau, renaître sous la forme d’un arbre. On note que la métaphore usuelle pour désigner la mort paraît comme renversée ici avec cette renaissance de la pourriture. De plus, cett nouvelle vie est très prolifique car elle donne elle même naissance à “des fruits nouveaux par centaines ” l 2 Ainsi la poésie a le pouvoir , comme une graine qu’on sème, de donner de nouvelles récoltes ; Sa force est d’emblée mise en évidence. Toutefois pour que le nouvel arbre puisse pousser, une condition est nécessaire : la collaboration des lecteurs. Dans une sorte de préambule, ou d’avertissement au lecteur, avant de commencer son histoire de poète prisonnier, Daumal nous met en garde contre l’oubli ou l’indifférence face à la parole poétique; Le poème est bien le fruit mais pour que la parole du poète soit féconde, il a besoin d’être lu, et ses poèmes diffusés. 

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Après la métaphore de l’arbre et du fruit, Daumal évoque celle du couple parental qui enfante ; le poète est le père, le lecteur la mère et l’échange entre les deux, l’enfant; Le mot semence employé à la ligne 6 découle de ce contexte d’enfantement et rappelle par ses connotations, à la fois l’acte sexuel et plus largement l’idée de mise au monde : semer la graine et récolter le fruit a ainsi une dimension symbolique qui peut être rapprochée des théories qui voient dans les poètes  des messager pour les hommes , des sortes de guides spirituels; des consciences en éveil et qui sont plus clairvoyantes que le commun des mortels. Le lecteur a ainsi un rôle de premier plan à jouer dans la mesure où il est “fécondateur de l’oeuf ” ‘l 7) Le passage se termine avec la référence à l’oeuf pourri qui non seulement ne sera jamais fécondé mais qui , de surcroît, dégage une odeur pestilentielle. De plus l’idée d’ oeuf pourri stérile rappelle la mention du fruit pourri qui a inauguré le poème te qui lui , est source de vie. 

Le poète condamné à mort apparait à la ligne 9 et il est introduit par ses songes : le verbe songeait  peut signifier tout simplement penser mais il connote également la dimension onirique avec le songe qui est synonyme de rêve . Beaucoup de poètes voient en l’activité poétique un substitut du rêve  éveillé, notamment avec l’influence du mouvement surréaliste.Le contexte politique et historique est précisé juste après : “un petit pays qui venait d’être envahi par les armées d’un conquérant” . En 1936, on peut évidemment penser à la guerre d’Espagne mais plus généralement à toutes sortes d’épisodes marqués par des guerres de conquêtes sanglantes. La condamnation du poète est mentionnée avant même son motif qui est signalé aux lignes 11 et 12. Ce dernier a d’abord été arrêté à cause d’une chanson qu’il chantait sur les routes. Le mot chanson fait référence  à un type de poésie qui comporte des couplets et des refrains et qui peut s’accompagner de musique . L’idée d’un poète errant qui s’efforce de répandre ses paroles rappelle l’image de l’artiste nomade qui parcourt le monde . Le poème à cause duquel il a été condamné évoquait la douleur liée à cette invasion : Il y est question de tristesse qui ronge jusqu’à l’os la chair mise en relation avec les fumées meurtrières brûlent jusqu’au roc la terre de son village. L’analogie met en évidence des correspondances poétiques entre la chair de l’homme et la terre du village: toute deux souffrent beaucoup ainsi que le suggère l’expression jusqu’à l’os qui fait écho, par le jeu des sonorités , à jusqu’au roc. La profondeur de la tristesse est traduite par cette métaphore anatomique et l’adjectif meurtrières appliqué aux fumées montre en personnifiant la fumée, le caractère dévastateur de cette invasion. Le poète a donc été enfermé pour avoir dénoncé les conséquences de la conquête et son arrestation semble bien politique. Durant sa détention, on lui accorde la grâce avant de mourir de s’adresser au peuple une dernière fois. Le fait que le poète s’adresse au peuple, à un collectif, montre que la poésie n’est pas pour Daumal l’expression d’un sentiment individuel mais qu’elle doit se doter idéalement d’une ambition collective. Le poète se fait ainsi une sorte d’interprète (selon la définition de Supervielle )  qui met des maux en mots et tente de provoquer du changement. 

Ce condamné à mort va donc devoir réfléchir à ce dernier poème, son testament en même temps que ses dernières volontés et il a peur de ne pas savoir quel dernier mot prononcer. Il cherche donc quoi dire et comment ses  dernières paroles pourraient le sauver . La première idée du poète est de s’adresser au peuple  en lui rappelant son rôle de fécondateur : “prenez ces paroles qu’elles ne soient pas une graine perdue” ligne 17; On retrouve ici la métaphore de la semence qui germe : le verbe couvez rappelle lui l’image de l’oeuf fécondé et le verbe croître peut faire référence à la croissance d’un végétal qui rappelle l’arbre et ses fruits. Toutefois le poète semble chercher son inspiration et être à court d’idées ; l’interrogative directe crée un contact entre le poète et ses supposés auditeurs ; S’il n’a droit qu’à un mot, on mesure l’importance de ce dernier : un mot simple comme la foudre; Cette métaphore de la ligne 19 marque le caractère fulgurant de la parole poétique souvent assimilée à une sorte de feu sacré . L’association entre simple et la foudre paraît étonnant car la foudre est l’instrument des Dieux, elle détruit ou rend instantanément amoureux , et brûle tout sur son passage ; elle rappelle aussi peut être la violence des fumées meurtrières laissées par les envahisseurs.

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le poète malade

Ce mot est ensuite associé à différentes émotions : d’abord il gonfle le coeur et ensuite, en suivant une sorte de mouvement d’expulsion, il monte à travers la gorge pour finir non pas sur les lèvres du poète ou sur son papier mais dans sa tête. Le trajet du travail poétique partirait donc du coeur, siège des émotions, avant d’être intellectualisé dans le cerveau qui est lui aussi considéré comme la prison des mots :, “un mot qui tourne dans ma tête comme un lion en cage”  Les mots sont comparés à des fauves qui ne parviennent pas à sortir de leur prison.  A la ligne 20  , l’image du lion laisse deviner une certaine forme de violence dans l’expression poétique telle que peut la concevoir Daumal : il ne s’agit pas d’une parole consensuelle  mais d’une parole sauvage et dangereuse presque. Les deux phrases négatives qui suivent confirment cette idée avec le rejet d’une parole de paix, d’une parole apaisante. Pour Daumal, la poésie n’a pas pour vocation de soigner ou de d’être facile à entendre mais ; paradoxalement, elle doit mener à la paix . Ce paradoxe permet de mesurer les effets  puissants et réparateurs de la parole poétique mais à une condition, énoncée ligne 22 : “pourvu qu’on la prenne comme la terre reçoit la graine et la nourrit en la tuant ” . L‘antithèse marquée ici par le contraste nourrir et tuer peut être dépassée si l’on se réfère au geste du semeur qui enfouit la graine avant de laisser le terreau agir pour que la graine devienne l’arbre. Et cette transformation qui marque le processus créateur est rappelée dans la ligne suivante lorsque le poète mourra et sera enseveli dans la terre :  sa postérité, ses paroles lui survivront et sèmeront, à leur tour, de nouvelles graines. Daumal utilise ici l’image de l’arbre à paroles (ligne 23) pour rendre concrète cette transformation. Baudelaire , lorsqu’il évoquait le processus d’écriture poétique, parlait d’une alchimie qui transforme la boue en or . Mais à la différence de Daumal, il n’attribuait pas un rôle politique à la parole poétique qui devait rester l’expression d’un rapport au monde .  En revanche, tous deux sont d’accord sur l’idée que la poésie peut naître de la boue, de la charogne et pour Daumal , de la pourriture  qui résulte de son corps en décomposition dans la terre. 

Ce mot crucial a pour objectif la vérité et c’est sur cette indication que se termine le paragraphe central du texte , ligne 25. Pour qualifier ce mot déterminant, Daumal  recours à de nouveaux détails anatomiques : ce mot le démange et le dévore . On retrouve  ici l’idée d‘une douleur liée à la création , douleur qui irait en augmentant . Les nombreuses répétitions du mot mot attestent de son caractère central: la poésie est d’abord une affaire de mots et ces paroles pour Daumal sont réelles . La comparaison avec la corde qui le pendra montre bien le risque encouru par le poète : ce ne sont pas des paroles anodines mais des paroles capitales que doivent prononcer les poètes.  La nécessité d’une langue poétique simple est liée au fait que pour pouvoir s’adresser au plus grand nombre, il faut en être compris ; le poète qui veut toucher le peuple doit choisir des mots qu’il comprendra. 

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Daumal croit au caractère définitif de la parole poétique et une fois de plus, il en souligne les effets puissants  en évoquant les miracles qu’elle provoque des lignes  27 à 46 . Sous la forme d’une longue énumération qui introduit quelques vers , Daumal détaille les conséquences de ce dernier mot. Alors que les paroles de Dieu , dans l’Ancien Testament , font ressusciter les justes lors de l’Apocalypse et périr les méchants,  les paroles du poète éradiquent les mauvais esprits : ” on verra rentrer sous terre les fantômes et les vampires et tous les voleurs les tricheurs au jeu de la vie…” Le poète se pose ainsi en justicier pour défendre les valeurs qu’il considère comme importantes. Il incrimine ceux qui se réfugient dans le spiritisme pour correspondre avec les morts, ceux qui préfèrent chercher dans le ciel et dans les étoiles des réponses à leurs préoccupations terrestres : l’anaphore ceux qui semble mêler tous ces spéculateurs de la mort . Le suffixe en eur de rêvasseur  marque ici la désapprobation du poète ; il semble en vouloir à tous ceux qui refusent de vivre ici et maintenant, qui fuient les problèmes du monde dans le passé ou le divertissement; Quand il mentionne "ceux qui cherchent dans les astre des raisons de ne rien faire ” cela sonne comme une accusation contre ceux qui refusent de prendre parti ou de s’engager pour une cause ou une idéologie. Les accusations se font plus précises au fur et à mesure de l’énumération avec la répétition du mot maniaques pour qualifier le comportement des artistes qui refusent que la poésie soit faite pour les temps présents : “maniaques des beaux arts qui ne savent pas pourquoi ils chantent dansent peignent ou bâtissent Loin de défendre comme les poètes du Parnasse ou le partisans de l’Art pour l’Art  un art gratuit, au seul service du Beau, le poète pour Daumal doit être l’homme des circonstances et la poésie ne peut tourner le dos au réel ; Il oppose ainsi l’au-delà , territoire des rêves avec l‘ici-bas, domaine de prédilection du poète; Il refuse ainsi le caractère sacré du poète qui n’est, pour lui, qu’un homme parmi les autres qui s’adresse aux autres hommes avec des mots qu’il doit choisir du mieux qu’il le peut . Contrairement à Hugo et au poètes romantiques  qui pensaient que le poète devait être un rêveur sacré avec les pieds sur terre et les yeux levés au ciel , Daumal désacralise totalement la fonction poétique. 

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La fin du texte s’apparente pourtant à une sorte d’apocalypse avec des références aux textes religieux : comme le verbe de Dieu, le mot du poète va provoquer un véritable séisme: les yeux des survivants se retourneront dans leurs orbites (ligne 40) Les images se succèdent et évoquent une sorte d’avénement fantastique avec une lumière aveuglante : “Abîme de Lumière! lumière centrale, soleil unique, feu d’un soleil unique ” Cette illumination  (du nom d’un recueil de poésies d’Arthur Rimbaud, poète admiré par Daumal) représente en fait la lumière de la vérité. Les yeux de ces hommes “se retourneront vers le monde” et “ils verront que le dehors est à l’image du dedans. ” La poésie est ainsi une vision qui mène à la révélation au sens mystique ; L’être y saisit sa vérité, il est délivré des apparences et des erreurs pour entrer pleinement en communion avec l’esprit du monde. Rimbaud disait déjà que le poète devait se faire voyant mais il doit aussi mettre sa clairvoyance au service des autres ; Pour Daumal, ce n’est pas le poète lui-même qui se transforme mais ce sont ses mots qui sont porteurs de Vérité; Le travail poétique consiste donc à chercher à dire les mots qui pourraient avoir de tels effets . Cependant , la fin de notre extrait est marqué par une sorte de désespoir et de retour à la réalité de son sort : le poète condamné est conscient qu’il est extrêmement difficile d’obtenir ces effets ; il pense qu’il mourra  car on le croit fou et on pensera que ce sont des “paroles de démon” ; souvent incompris, parfois maudits et en marge de leur époque, les poètes qui refusent la poésie de célébration du monde , et qui prennent leurs distances avec l’opinion la plus répandue, peuvent parfois le payer de leur vie.

En refusant de chanter les louanges du vainqueur et en prenant le parti des plus faibles, le poète s’expose à être rejeté par ceux là même qu’il veut défendre et il peine à trouver les mots qui le délivreraient. Dans sa prison, le poète se tape la tête contre les murs “le tam-tam funèbre de sa tête contre le mur fut son avant-dernière chanson” Lorsqu’il est emmené pour être pendu, le mot ne veut toujours pas sortir de son coeur ni de sa gorge et au moment où il sent la corde autour de son cou, il lance un chant de guerre en implorant le peuple de combattre à ses côtés; mais il est trop tard et le peuple le pend; La dernière phrase du poème résonne comme un morale : ” c’est souvent le sort ou le tort des poètes de parler trop tard ou trop tôt.” 

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Ce texte est bien plus qu’une anecdote sur un poète condamné pour avoir osé critiquer le pouvoir politique en place, c’est une sorte de parabole qui contient un enseignement et résume la conception de la poésie pour son auteur. Daumal prend ainsi ses distances avec la position romantique et refuse totalement la position des Parnassiens. Le surréalisme renoue avec une vision politique de la poésie qui est avant tout au service de la Révolution. 

La langue utilisée est proche de la prose avec des mots simples, de nombreuse répétitions et anaphores et des systèmes de métaphores et de correspondances qui permettent de rendre plus abordables des notions philosophiques et métaphysiques. Daumal tente ainsi de se mettre à la portée de tous. 

27. mai 2016 · Commentaires fermés sur L’enfer de la déportation : un poète enfermé dans un wagon qui roule vers les camps de la mort · Catégories: Première
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Wagon souvenir 

Jean-Pierre Voidies a 17 ans lorsqu’il est arrêté et torturé par la Gestapo. Avec quelques camarades de lycée, ils ont monté un petit groupe du résistants et sabotent les véhicules allemands garés dans la ville de Caen . Lorsqu ‘il entreprend ce voyage qui a pour destination un camp de concentration situé près de Hambourg (Neuengamme ) , il ne s’attend pas à ces conditions épouvantables. Ses compagnons d’infortune sont  entassés comme des animaux et souffrent de la promiscuité, et surtout ils meurent de soif. 50  à 60 personnes sont parquées dans des wagons de marchandises pour ce qui sera sans doute leur dernier voyage, car des camps,  de ces usines de la mort échafaudées par les esprit des tortionnaires du Reich , très peu reviendront. 

Pour expliquer ce poème et montrer comment le jeune poète tente de restituer l’horreur de cette incarcération , nous pouvons procéder de différentes manières. Les plans qui permettent de répondre à la problématique doivent être construits à partir des thèmes principaux du texte . La question pourra porter soit sur la manière dont le poème évoque cette incarcération soit sur la dimension poétique du texte ; Par exemple : de quels outils dispose le poète pour traduire la dureté de cet emprisonnement ? 

N’oubliez pas de bien vous concentrer sur la question posée et adaptez votre plan à la problématique proposée par  l’examinateur. 

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 Statue du souvenir de Neuengamme

Le poème se présente sous la forme de 10 strophes irrégulières, avec quelques rimes éparses mais surtout de très nombreuses répétitions et on note la présence d’un refrain ; il est assez proche d’un poème en prose mais le poète a conservé une séparation des strophes et des retours à la ligne qui marquent la présence de versification. Les thèmes à développer sont le sentiment d’emprisonnement avec l’étouffement, les coups, la souffrance, les cris; Cette souffrance est mise en scène avec des jeux d’ombres et de lumière, des déplacements (le wagon roule) , les notations auditives et les sensations. Toute une partie du poème est une image fantasme d’une évasion à partir d’une vasque d’eau qui se remplit et d’un train qui roule vers l’eau : le poète passe d’une situation réelle (il meurt de soif dans sa cellule mobile) à une dimension imaginaire et onirique  (une vasque se remplit d’eau , de champagne ) suivie d’un brutal retour à la réalité (les allemands ont distribué de l’eau aux prisonniers qui es sont bousculés et ont tout renversé) ; Ensuite le train passe sur un pont et le bruit de la rivière déclenche à nouveau des images fantastiques des déportés qui rêvent de sauter dans l’eau . La poésie organise ainsi des transitions entre le rêve et la réalité. 

Voilà un exemple de plan détaillé 

CAGE

Ecrit par un déporté, ce poème évoque les souffrances des prisonniers durant le voyage en train qui les conduit dans les camps .Il est composé en vers libre, proche d’une prose poétique et contient de nombreuses images de violence. Entassés dans des wagons à bestiaux, privés d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours, les déportés ont voyagé dans d’atroces conditions et pour beaucoup d’entre eux, ce fut leur dernier voyage . Jean-Pierre Voidies tente ici de restituer , au moyen d’un matériau poétique, la réalité de la condition des prisonniers en nous montrant comment on peut  tenter d’échapper à la dureté de son sort en s’évadant par l’imagination et le rêve.

  1. Des conditions épouvantables : le rappel de la dure réalité

  1. La violence avec les coups, les chocs, les blessures physiques

Morsures, pincer, variété des coups reçus (masse, écrasement), broie : une infinité de coups reçus et donnés 21 choc, mesure

  1. L’importance des cris

Divers et variés : soif, chair, écrasé, hurlement, gémissements, (25 geint  = cri faible)  des cris des cris des cris (15), bcp répétitions ; cris= musique , comme un concert avec 11 et 90  refrain cri de soif, cri de chair qui meurt, cri d’écrasé ..qui revient s’étaient, prend une autre voix, une autre langue , tombe retombe .; on a l’impression d’entendre un soliste , ensuite un chant choral, un concert de cris et des modulations , des cri plus ou mois forts ; 

  1. Etouffement et promiscuité

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les déportés sur le quai 

Les corps sont serrés et les mouvements du train accentuent les souffrances des prisonniers : aiguillages frottent la peau, peau sur le bois, les passages en gare déclenchent des rais de lumière dans les wagons ; 35 ils m’enserrent, ils m’écrasent et je suis serré (36) je suis tout tordu (86) soulevé, bousculé (83/84 ) Des mouvements de panique provoqués par la cohue sont notés aux  mêmes vers (58 vous me piétinez, vous me mordez) : une violence animale qui se traduit par les verbes utilisés. Les prisonnier sont déshumanisé et réduits à n’être que  des morceaux de corps ( têtes qui hurlent, main qui griffe (32)  d‘autres pied qui frappent (85) 

  1. L’agonie apparait de manière  nette et parfois brutale  : mourir de soif , s’affaiblir, ne plus pouvoir se relever sont les principales craintes des déportés ; on les retrouve dans le poème avec la lutte pour la survie (je veux vivre répété), les répétitions des brûlures de la soif, la montée en puissance des cris et de la souffrance (crescendo final); C’est un véritable combat auquel se livrent les prisonniers ; ils luttent de toutes leur force pour rester en vie est parfois ils peuvent tuer pour atteindre leur objectif: rester vivant. Le poème utilise ici les nombreuses répétitions comme au vers 30 je veux vivre répété 3 fois ainsi qu’au vers précédent , les 5 occurrences de je la secoue pour montrer la volonté du poète de se libérer de cette masse qui l’oppresse, ce corps sur le sien .

  2.  

  3. C’est véritablement  un voyage épouvantable dont on cherche à s’échapper par l’évasion dans l’imaginaire et la poésie montre ce passage de la terrible réalité qu’elle exprime à une dimension rêvée, fantasme qui se nourrit d’images du souvenir ou de l’espoir . 

  4. Les images du souvenir : réconfort par la pensée ( des images réconfortantes eau, fruits, argent, rafraîchissement, champagne vers 43 les petite filles, les caniches ); elles sont déclenchées par la pensée (pensons à l’eau mes amis 40 et 43)

  5. Les images du fantasme : le prisonnier voyage par la pensée dans un monde idéal qui contraste avec la dure réalité (il peut boire à volonté, a frais, ne souffre plus, imagine que le train déraille dans la rivière); ces images sont restituées au présent et au futur immédiat (je vais boire 54) 

  6. Le dur retour à la réalité : le poème organise un va et vient entre le fantasme et la réalité : les événements qui rythment le voyage sont transformés par l’imagination ; le passage sur un pont (70 le pont va craquer quelles belles éclaboussures cela va faire ) , l’arrivée à une gare, la distribution d’eau par les allemands à l’occasion d’un arrêt  ( vous avez tout renversé ) deviennent des occasions de rêver 

En conclusion, le wagon forme une terrible prison dont on ne peut s’échapper et qui présente  la mort comme horizon.

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les trains à l’arrêt 

 Dès les premiers mots Cage, cage : les déportés sont pris au piège dans leur wagon et l’espace semble se réduire de +en + au fil du texte ; ce qui accroit les sensations d’écrasement et la dimension pathétique ; De plus, le poète s’adresse à ses compagnons avec les apostrophes 43,53,61) dans des sortes de prières pour conjurer ces assauts de violence animale .Les détenus sont totalement déshumanisés et se battent pour ne pas mourir écrasés : seuls les + forts survivront comme on peut le pressentir .La structure circulaire du poème et La NUIT évoquent un cercle de souffrances infinies avec la mort qui s’approche ;  on retrouve la même idée avec les modulations du poème qui est formé de la musique des cri des détenus . Le poète montre également que la force des images permet momentanément de s’évader en pensée d’un monde terrible. Il montre ainsi le pouvoir de images : conjurer le réel momentanément . On peut donc fabriquer de la poésie à partir de n’importe quelle situation comme le montre ici Voidies qui parvient à restituer à la fois sa peur,  sa douleur , la naissance de l’épouvante et  ses lueurs d’espoir , des lueurs intermittentes (v 3) 

 

 

17. mai 2016 · Commentaires fermés sur Poésie et prison : du plan type au commentaire · Catégories: Première
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ll est difficile de concevoir des plans uniques pour chaque texte du groupement mais il est possible de dégager , dans chacun des poèmes étudiés, des points communs . On distinguera ainsi pour les poèmes de Verlaine, Apollinaire et Voiries une première partie qui se fonde sur l’examen et le classement des notations réalistes , une seconde partie qui regroupe les éléments lyriques et enfin une partie qui évoque , de manière plus large, les images liées à l’univers carcéral . 

Verlaine choisit de décrire la cour de la prison et présente l’endroit comme un lieu de regroupement pour les détenus qui y bénéficient d’une liberté toute relative. Le décor souligne la présence du mur v 7 , fou de clarté: comme si les rayons du soleil le meurtrissaient; Le mur marque ici la frontière entre le dedans et le dehors et souligne le caractère infranchissable de la lumière . L’idée est que le soleil ne parvient pas à dépasser ce mur qui ferme le cercle de la cour et enserre ainsi les prisonniers.

Ce décor est marqué , en effet, par l’omniprésence des cercles : les prisonnier forment une ronde au vers 4 : ils vont en rond, et le cercle infernal réapparaît sous la forme de la meule : cette meule au destin  par analogie avec les meules de pierre qu’on utilisait pour moudre le blé, semble écraser les prisonniers et en faire des victimes , des vaincus (vers 13) ; L’image de la meule destructrice est renforcée par la répétition de Tournez au vers 9 et 11; Ce mouvement incessant est repris également dans la figure de la piste du cirque au vers 25 . Les prisonniers tournent en rond comme des animaux en cage dans cette cour étroite et ruminent leurs soucis .

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Ils ont certes le droit de fumer comme en témoigne la notation réaliste pipe au bec au vers 20 mais doivent respecter le silence sou sein d’être punis : pas un mot sinon le cachot au vers 21. On imagine bien la frustration de ces détenus qui n’ont pas le droit de communiquer entre eux même durant cet espace de promenade quotidien. Le poète incite également sur l’apparence des prise,noirs , vêtus de pauvres souliers au vers 17 qui font un bruit sec. On imagine ici les sabots et leurs semelles en bois qui claquent durant la promenade. Le participe passé à valeur d’adjectif humiliés au vers 19 peut faire référence évidemment aux détenus sommés de se taire et surveillés par des geôliers peu amènes mais il peut également se lire comme un prolongement des souliers : on les a dévêtus de leurs habit civils pour leur faire enfiler des tenues de bagnards qui traduisent leur condition carcérale. 

Tout au long du poème , Verlaine utilise l’ambivalence liée à la proximité syntaxique du certains éléments de la phrase: amphibologie avec souci , fleur et préoccupation au vers initial, débilité au vers 5 qui peut s’associer aux détenus comme au système carcéral jugé inique , contristé au vers 29, en fleur au vers 35 qui reprend l’amphibologie initiale. Le monde carcéral appart ainsi comme un endroit où l’on souffre de plusieurs maux. 

Les éléments lyriques du poème sont disséminés à l’intérieur des huitains ; le ton de la complainte est parfois sous-jacent avec ces airs des chansons d’enfance qui sont rappelés de manière dérisoire et qui contrastent avec l’idée qu’on se fait de cet  univers  où règne la souffrance sous plusieurs formes. 

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La souffrance des prisonniers apparait tout d’abord avec leur aspect physique : les détenus sont amaigris et n’ont plus que la peau sur les os comme l’indique l’emploi du mot fémur au vers 4 , os de la jambe , pour désigner le fait qu’il peinent à se tenir debout. Ils flageolent et l‘allitération en f mime leur faiblesse.  Ils ont l’air préoccupés comme l’indique dès le premier vers le souci sur leur front et leur supplice prend la forme de cette énorme meule qu’il semblent condamnés à faire tourner et qui va broyer leur coeur, leur foi et leur amour. Verlaine marque ainsi les étapes d’un processus bien connu des sociologues : la perte pour le détenu des repères et des valeurs . Ce dernier , isolé, fragilisé, se met à douter et à désespérer . (voir le billet qui évoque l’expérience carcérale de Verlaine)

En guise de conclusion : ce poème reprend des thèmes tels que l’ennui, la souffrance des prisonniers, leur solidarité et l’image de l’enfermement mais il ajoute également une dimension sociologique sur l’univers carcéral, lieu d’isolement et espace de réflexion  pour le poète. Transféré de Bruxelles quelques jours plus tard, après son jugement à la prison de Mons, Verlaine poursuivra son travail pour restituer les différentes facettes de l’incarcération. Dans Réversibilités,  Verlaine évoque les tristes décors, les mornes séjours et les rêves épouvantés, les grands murs blancs et les sanglots répété, fous et dolents ! la souffrance semble augmenter au fur et  à mesure des mois d’incarcération durant lesquels le poète se dit condamné à une mort lente : Tu meurs doucereusement,Obscurément, et  sans testament ajoute-t-il. Dans un poème adressé à sa femme, il décrit “ce pavé captif et “ce lieu de juste douleur ” .  Il prétend ensuite gémir sur la paille humide des cachots , et réfléchir “dans le silence doux et blanc de tes cellules” De nombreux poèmes portent ensuite les marques de son péché et de son repentir: âme égarée, il cherche à se racheter et à laver ses fautes en retrouvant la foi. ”  “Les écrevisse ont mangé mon coeur qui saigne ” écrit-il dans une lettre à un mai  en 1873 pour rendre compte de ce qu’il ressent en cellule. 

12. mai 2016 · Commentaires fermés sur Verlaine en prison : une expérience douloureuse ? · Catégories: Première
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 Paul Verlaine (1844/1896)  a  été le premier poète à être qualifié de poète maudit ; Incarcéré suite à sa tentative d'homicide sur son ami et amant Arthur Rimbaud, Paul Verlaine effectuera, à l'âge de 30 ans,  un séjour marquant en prison; D'abord enfermé  à Bruxelles dès juillet 1873 jusqu'à son procès, il sera ensuite condamné et transféré à   à Mons en Belgique  où il passera  un peu plus de deux ans. Durant son emprisonnement, il retrouvera la foi et écrira beaucoup plus tard ses  Confessions. Pendant son incarcération, il compose  un recueil poétique   intitulé Cellulairement. La citation espagnole, empruntée à Cervantes, l’auteur de Don Quichotte, qui ouvre ce  recueil évoque son expérience de la détention : “il fut  captif où il apprit à prendre quelque patience dans les adversités “. Il s’adresse au lecteur et le prévient  d’emblée que “ces vers maladifs furent faits en prison” 

 Il dresse un portrait de lui en honnête homme et pas en criminel et rappelle qu’il est né sous le signe de Saturne qui est, pour Verlaine, la planète du malheur.  Depuis son premier recueil Poèmes Saturniens composé et publié à l’âge de 22 ans, Verlaine  se sent né sous une mauvaise étoile et  se bat pour une poésie musicale “De la musique avant toute chose  Et pour cela préfère l’Impair /Plus soluble dans l’air/ San rien en lui qui pèse ou qui pose.”  Il est également partisan de la simplicité : sur le plan formel, il ne souhait pas renoncer à la rime parce qu’il la considère comme un bijou mais il plaide pour une variété des mètres et des formes .  Son idéal de poésie est la chanson grise , une poésie impressionniste où les mots n’ont plus tout à fait le même sens que dans le dictionnaire et où leurs associations créent de nouvelles images .  

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Comment la prison est-elle évoquée dans ce poème ? Le titre initial Promenade au préau fait état du cadre dans lequel se situe cette composition: les détenus sont saisis durant ce moment de détente, à l’air libre, hors de leur cellule et ensemble; Pour évoquer  l’ambiance qui règne durant cette promenade dans la cour de la prison, Verlaine procède par petites notations réalistes ; Il assoit un détail et compose un tableau, une composition d’ensemble animée  à partir de ces notations éparses . Les prisonniers arrivent dans la cour et le poète établit une analogie avec une composition florale : la métaphore “se fleurit” au vers 1 les associé à une fleur des champs : le souci dont Verlaine utilise une amphibologie, le fait d’utiliser un seul mot dans deux sens différents ; en effet, le souci marque également leur front , c'est à dire  qu'ils ont un air préoccupé, ils ne sont pas joyeux; Ainsi le poète utilise un seul mot pour traduire deux types de sensations; L'image suivante de la première strophe repose sur le même procédé: d'abord le poète fabrique  l'image du la ronde avec le vers 4 "vont en rond” ,  On peut alors penser à une danse enfantine et joyeuse qui est effacée dans le vers suivant par celle de la danse macabre avec la mention du fémur au vers 5 et du verbe flageolant. C’est un portrait pathétique ici des détenus qui ressemblent à des cadavres soit en raison de leur maigreur (on peut évoquer la malnutrition) soit parce qu’ils sont ankylosés; comme ils ne sortent pas assez, ils ont du mal à marcher et leurs muscles tremblent; ils tiennent à peine sur leurs jambes ; ce qu’indique très exactement le verbe flageoler.  L’allitération en f prolonge l’image de la faiblesse physique de ces prisonniers .

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Cette dimension pathétique est complétée par le mot débilité qui forme le vers 6. Il peut s’agir ici d’une critique du système carcéral qui contraint les prisonniers à marcher les uns derrières les autres et maintient , en quelque sorte, une sensation de prison, à l’intérieur même de la cour de promenade qui doit être de petite dimension. La notion de liberté est alors toute relative..

Le récit de l’expérience carcérale es double d’une réflexion sur le rôle de al prison au sein de la société : ces détenus sont  qualifiés de frères mais également de bons vieux voleurs ou de doux vagabonds au vers 34 . Le poète marque ainsi sa solidarité avec eux et sa désapprobation face au traitement qu’ils subissent; La prison apparaît davantage comme un lieu d’isolement qui écrase les individus dangereux et les empêche de nuire; Or, Verlaine marque bien le caractère inoffensif de ces prisonniers , essentiellement des pauvres gens ; la morale a été bafouée et la société se venge des offenses commises en punissant les coupables; L’emploi du verbe contrister au vers 29 va dans le sens d’une réflexion sur le rôle de la punition. Les détenus ne sont guère choyés en prison mais ils ne peuvent se plaindre de leur sort car ils ont commis des fautes et sont donc punis. L’avant dernier huitain marque l’acceptation du prisonnier : soumis d’ailleurs et préparé à tous malheurs. Les vers 26 et 27 attestent de ce sentiment dominant qui est la culpabilité: la notion de faute et de péché facilite l’idée qu’il faut accepter son sort; Cependant la dernière strophe dément en partie ce sentiment avec le recul de la philosophie qui peut traduire une forme de distance ironique du poète; la prison serait ainsi à l’image de cette société de la fin du dix-neuvième, très inégalitaire , qui protège mal les individus fragilisé par la pauvreté et qui ne traite la délinquance , sous toutes ses formes (vol, infractions à la loi et à la morale sexuelle ) que par l’enfermement. Les deux dernier vers évoquent, sans doute en partie ironiquement, le caractère paisible de ce séjour carcéral marqué par la douleur mais cette tentation lyrique semble combattue , à l’intérieur même du poème , par une forme de détachement philosophique proche du stoïcisme . La prison devient ainsi un espace de méditation et pourra permettre au poète de développer de nouveau thèmes d’inspiration.

12. mai 2016 · Commentaires fermés sur Des séjours en prison qui se transforment en poésie : comment évoquer poétiquement l’univers carcéral ? · Catégories: Première

L’évocation de la prison et des conditions de détention peut faire l’objet de descriptions qui semblent puiser dans un fonds commun

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d’images et de sensations; en effet, la plupart des prisonniers partagent des sentiments analogues et évoquent l’ennui, la solitude, le regret de leur liberté perdue, la monotonie des journées qui se ressemblent toutes , la perte de leur famille, de leurs repères , parfois même de leur identité avec le danger de la déshumanisation. 

Certains prisonniers qui ont souffert de conditions de détention particulièrement éprouvantes durant la guerrre notamment ,  vont faire référence à la promiscuité, à la violence , à la torture qui va parfois accompagner la privation de liberté. Les sensations seront traduites par un monde sonore (bruits de l’extérieur qui attisent la nostalgie ou bruits subis qui provient souvent de leurs codétenus; Certains bruits semblent symboliques (trousseaux de clés des gardiens qui renvoient à la fois à l’emprisonnement mais connotent aussi la liberté avec l’ouverture des portes, bruits du quotidien (voitures qui passent et qui indiquent que la vie continue dehors, cris d’enfants qui sortent de l’école , indice là encore de la vie qui s’écoule sans eux ) . Certains bruits  reviennent fréquemment ; On pense notamment aux bruits des chaines , des portes des cellules, les cris .

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Cet univers est également visuel et le regard des prisonnier semble d’abord faire le tour de leur cellule : si la laideur est le sentiment dominant (couleurs sales, grisaille, délabrement, vétusté ) , on retrouve aussi une sensation de dénuement et de vide; L’attention de certains prisonniers va es focaliser sur un objet extérieur qui assure le lien avec le dehors, comme le ciel, un arbre, un horizon.La vue qu’il ont de leur cellule est souvent limitée et forme un cadre étroit découpé par des limites strictes (fenêtres, grillages, barreaux, soupirail, judas) 

L’oppression sera souvent traduite par des figures géométriques notamment celle du cercle qui matérialise cet enfermement et le fait de tourner en rond comme un animal en cage (ours chez Apollinaire, tournons tournons tournons, v 23 ronde pour Verlaine avec tourner en rond, la meule, le cirque, cage chez Voiries ) Le ralentissement du temps accompagné par les références à l’ennui peut prendre la forme poétique d’un étirement des vers ( que lentement passe les heures avec Apollinaire et la comparaison avec un enterrement ) mais il peut aussi être traduit par des répétitions de mots ou de sons  (les anaphores de Baudelaire, les  rimes , les allitérations et les assonances, les rimes intérieures  ) La forme du poème est également un paramètre important car elle est modulable (vers longs, vers courts, alternance des rythmes et des mètres pour assurer des variations rythmiques, des cadences différentes, des ralentissements et des accélérations) 

Le champ lexical de la mort peut se faire discret ou plus présent : notations éparses chez Verlaine (on croit mourir,v 24 supplice) , références directes ou métonymiques avec Baudelaire (corbillards, drapeau noir ) ; La plupart du temps, l’ambiance est morbide et inspire un sentiment de désolation qui peut s’exprimer au moyen du lyrisme ou avec une certaine distanciation comme chez Verlaine et Apollinaire. 

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Au delà des thématiques communes, les poètes adaptent la forme de leur écriture pour traduire des sensations qui vont du simple ennui au désespoir le plus profond. Les notations réalistes qui évoquant leurs conditions de détention cèdent parfois la place à des notations oniriques  (hallucinations chez Voiries, images des bonheurs disparus) qui traduisent un désir d’évasion et l’espoir d’une libération. L’écriture poétique leur permet de s’évader le temps de l’écriture et de faire ressentir la souffrance de l’emprisonnement .

12. mai 2016 · Commentaires fermés sur Une enquête sur l’incarcération d’Apollinaire A la Santé · Catégories: Première
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Lorsque le poète est incarcéré en 1911, il passera six jours et six longues nuits en prison et son incarcération sera commentée dans la presse écrite de l’époque notamment dans le Journal de Paris auquel il collaborait. Après sa libération , il évoquera les conditions de sa détention et ajoutera en 1913 à son recueil Alcools, ces six poèmes courts auxquels il donnera comme titre A la Santé.

Dans ces petits poèmes aux tons variés, il donne certains détails réalistes sur son emprisonnement et la tentation était grande de vérifier si les plans de la prison de la Santé en 1911 correspondaient aux indications données par le poète. 

Les détails relevés et vérifiés concernent tout d’abord l’emplacement de sa cellule ; le 15 de la onzième (v 11 et 12) ; Elle se situait probablement sur le chemin de ronde des gardiens ce qui explique que le détenu entendait le bruit des clés (29 et 30 )  ; La fontaine de la cellule voisine (28 et 32)  désignerait le robinet dont l’établissement avait doté les nouvelles cellules qui contenaient , en outre, un tabouret attaché avec une chaîne au mur (40)  une table et un lit. Le poète était seul dans sa cellule (56) et  sortait effectuer une promenade quotidienne dans la cour de la Santé qu’il compare à une fosse ( 21 et 22) On lui aurait donné de quoi écrire ( v 15 et 36 ) et cela peut supposer que le poème a été rédigé en partie durant sa détention . La position de sa cellule à proximité de la rue Jean Dolent a même été vérifiée (50 ) : il était au premier étage et avait donc une cellule au dessus de la sienne ( 19 et 20) . 

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Ce court séjour en prison sur laissé des traces sur le poète qui reprend les thèmes majeurs de l’incarcération (solitude, ennui, laideur du cadre, tristesse) sur un ton un peu décalé et sans grandiloquence dans l’émotion. 

 

 Lisez l’Enquête sur les cellules de la maison d’arrêt de la Santé (1898) menée par Franck Balandier 

…Les meubles de la cellule se composent d’un lit en fer dont une partie est fixée au mur et dont l’autre est mobile de façon à pouvoir s’appliquer contre le mur pendant le jour, d’un escabeau retenu au sol par une chaîne en fer, d’une table fixée au mur et d’un rayon placé au-dessus de la porte… 

Ce quatrain est fondamental pour la vérification d’un certain nombre d’hypothèses concernant la localisation de la cellule 15 de la 11ème. D’abord, on peut affirmer définitivement que la cellule 15 se trouve au rez-de-chaussée de la division : “je ne vois rien qu’un ciel hostile”… Nous avons tenté l’expérience. Nous sommes entrés dans la cellule présumée du poète. Nous avons pu vérifier que la fenêtre située en hauteur ne donnait à voir, même en levant les yeux, qu’un bout de ciel. Les “murs nus” représentent le mur d’enceinte dont le poète est seulement séparé par la largeur du chemin de ronde. 

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De l’autre côté du mur, se trouve la rue Humbolt, aujourd’hui rue Jean Dolent. Depuis la cellule 15, fenêtre ouverte, on peut écouter, en pleine après-midi, les bruits de la rue étouffés. On peut imaginer les roues des fiacres sur le pavé, les sabots des chevaux, les pétarades des premières voitures, les cornes, les sonnettes, des voix peut-être. Guillaume s’est tenu là, tout près de cette liberté.

Ainsi, les dernières incertitudes tombent : sa cellule donne bien sur le chemin de ronde.

Mes prisons

Dans Mes prisons, l’article que Guillaume Apollinaire écrivit pour Paris Journal deux jours après sa mise en liberté provisoire, des indications de lieux supplémentaires, des confirmations et des précisions viennent encore éclairer, un peu, ce que fut l’incarcération du poète.

Assurément, Apollinaire fut privilégié. Incarcéré à la Maison d’arrêt de La Santé dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 septembre 1911, il bénéficia, dès le lendemain, des services de la bibliothèque (les services sont fermés durant le week-end). C’était le signe d’une faveur personnelle (l’avait-il, lui-même, sollicitée ? ) ou l’indice d’une détention préventive qui risquait d’être longue. En tout cas, cet élément semble contredire certains journaux qui affirment à l’époque que “Guillaume Apollinaire […] s’éveille à l’aube dans une cellule nue où il a des plumes, de l’encre, du papier mais pas un livre”…

J’eus une émotion […] en lisant quelques vers naïfs laissés par un prisonnier […]. J’en composais aussi … 

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On sait aujourd’hui ce que fut cette composition. Et si le poète posséda bien le nécessaire à écrire dans sa cellule (comme précisé ci-dessus), la question reste posée de déterminer ce qui y fut réellement composé. Le poète prit-il des notes, ébaucha-t-il quelques vers ou rédigea-t-il l’intégrale de cette suite ?

Le poète signe le 15 de la 11ème. Il date ce passage du 9 septembre 1911, soit du samedi, deux jours après le début de son incarcération. En haut, à gauche au-dessus du texte, le poète a inscrit le mot “Santé” entouré. A droite, au-dessus du texte, le chiffre “5” est dessiné. 

 

09. mai 2016 · Commentaires fermés sur L’utopie : un instrument de critique pour les Lumières ? · Catégories: Première
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Le sujet du bac blanc portait sur la question de l’homme dans les textes argumentatifs  : trois auteurs , à travers leurs apologues , avaient imaginé un choc culturel pour faire réfléchir leurs contemporains sur leur mode de vie et leurs défauts . La quête du bonheur, en effet, est un sujet de préoccupation important pour les hommes des Lumières qui comparent les vertus de différents modèles de civilisations. 

Plusieurs thèses s’opposent : Rousseau pense, par exemple, que l’homme est naturellement bon et que la société le corrompt en faisant naître la jalousie, l’envie des richesses et la cupidité. Voltaire s’oppose à cette idée en montrant qu’il est possible de vivre heureux , en communauté , à condition de renoncer à certains vices; dans Candide, il illustre cette hypothèse avec l’ Eldorado (chapitre 19 de Candide ) , une contrée utopique où les habitants sont hospitaliers et se désintéressent totalement de l’or et de l’argent qu’on trouve pourtant en  abondance sur leurs terres.

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Voltaire s’est sans doute d’ailleurs inspiré de la Bétique de Fenelon  inventée 60 ans plus tôt : cet univers paradisiaque qui évoque le jardin d’Eden: climat tempéré, fruits à profusion, fertilité exceptionnelle des sols et habitants à l’image de leur terre. Précepteur du futur roi, Fenelon s’efforce de former l’esprit de son royal élève en inventant des fictions qui facilitent la réflexion et l’appropriation des valeurs philosophiques qui prônent la modération et la simplicité. Le bonheur paraît à portée de mains pour les gens qui vivent simplement, sans besoin superflu et en accord avec les ressources naturelles de la terre. Ils ne sont ainsi pas esclaves de leurs passions ni de leurs désirs . Cet idéal philosophique se retrouvera au siècle suivant avec les philosophes des Lumières ou leurs précurseurs qui prônent déjà  la tempérance et se méfient des passions .

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Montesquieu, par exemple, se livre à une critique des parisiens en montrant leurs moeurs corrompues par les yeux de deux étrangers, des persans exilés  à Paris, fort étonnés de ce qu’ils constatent. Le romancier invente alors le mythe des Troglodytes, un peuple ancien qui a su conserver un mode de vie simple et qui trouve son bonheur dans un esprit de partage et une piété sans faille . Il dénonce ainsi les dangers d’un Progrès qui négligerait la dimension humaine et d’une dérive vers une société où les valeurs individuelles l’emporteraient sur l’idéal  d’harmonie collective. Ce danger est illustré par Voltaire avec son personnage de sage oriental, qui doit servir de modèle et nourrir la réflexion des lecteurs; dans un monde où règne la guerre et où les luttes politiques sont meurtrières, le sage se doit de demeurer à l’écart pour y trouver la sérénité; et il lui importe alors de cultiver son jardin . Le bonheur ici passe par un idéal de société où chacun se contente du ce qu’il peut produire et fait fructifier ses talents; les compétences des individus sont mises au service de la collectivité dans une forme d’autarcie , rempart contre le désordre du monde. 

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Ces trop textes obéissent donc au même principe  : plaire et instruire ;

Mots clés : apologue, conte philosophique, utopie, critique implicite, argumentation indirecte, fiction, réflexion. 

Ci -dessous un modèle de corrigé officiel  pour les 4 sujets : la synthèse et les 3 sujets d’écriture . En pièce jointe, d’autres sources de corrigé sur le net.

 Un monde isolé  et clos
– un pays qui semble béni des dieux : « Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein ».
– un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses lacunes : « Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d’Hercule et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis d’avec la grand Afrique ». Un havre de paix face aux incertitudes de la nature.
– la terre elle-même est porteuse de modération : « Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais. L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l’air vers le milieu du jour » (peut-être évocation du climat de l’Andalousie ?).
– la terre est source de vie ; personnification du paysage (« dans les vallons et dans les campagnes unies ») et métaphore filée de la fertilité : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson ». – univers hors du temps, mythique et placé sous le signe d’un plaisir sain : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or ». Le présent semble abolir le temps dans l’éternité ; récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».

2. Le paradis sur terre

– La nature elle-même est un pays de Cocagne préservé de toute atteinte et qui pourvoit en abondance à la subsistance de ses habitants : procédé de l’accumulation et usage du pluriel suggèrent la profusion : « Les montages sont couvertes de troupeaux. » Surenchère : « une double moisson ». Vitalisation de la nature.

– la négation restrictive exclut tout accident : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main ».
– topos du locus amoenus </i>; mention d’éléments types : le fleuve et l’eau ; la brise (« zéphyrs rafraîchissants ») ; les fruits (« grenadiers ») les fleurs (« arbres toujours verts et fleuris », « lauriers, jasmins » qui confirment par leur présence la douceur du climat).

– la description fait voir un lieu où tout n’est qu’agrément pour le regard : appel aux sens donc et fusion heureuse des quatre éléments. Aspect merveilleux d’un Eldorado où l’on trouve en abondance des mines d’or et d’argent. Dimension esthétique du tableau : la poésie est aussi une peinture (« ut pictura poesis »), une ekphrasis : « peindre, c’est non seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d’une manière si vive et si sensible que l’auditeur s’imagine presque les voir. » Fénelon, Dialogue sur l’éloquence.

 

II Un modèle de société

1. Le lieu, métaphore de l’être

-cadre pastoral : l’innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor. – l’évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants à travers leurs propriétés et réalisations.
– procédés de la louange, marques d’évaluation, en particulier adjectifs et adverbes : « un pays fertile, un ciel doux, toujours serein ».

– rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux; inutilité de l’urbanisme ; êtres d’avant la Chute, marqués par l’innocence originelle.
– une société de pasteurs et d’agriculteurs presque primitive.

2. Un idéal de société et de vie

– idéal de modération, de frugalité, de raison.
– vie rustique et rudimentaire ; des bergers : une Arcadie retrouvée ? Physiocratie caractéristique de l’époque des Lumières.
– mépris du matérialisme, malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « il y a plusieurs mines d’or et d’argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses : ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme.
– symboliquement, l’or est employé à la construction d’outils agricoles : l’agriculture est ainsi placée au dessus de toute richesse. On privilégie ce qui est utile, l’argent n’est pas une fin en soi.
– défense de la vertu et de la morale comme fondement d’une société qui se veut à la fois rationnelle et idéaliste.
– dénonciation de l’illusion et de la vanité humaine, danger de l’hybris, recherche d’une « vie simple et frugale ». Une vision qui est l’œuvre d’un moraliste.

III Valeur pédagogique de l’utopie

1. Un miroir inversé du monde réel
– L’existence d’un locus amoenus laisse sous-entrendre l’existence en filigrane d’un locus terribilis qui ne tarde pas à être évoqué plus explicitement au moyen d’une accumulation extrêmement négative : « Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l’ambition, par la crainte, par l’avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu’ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur. » Mise en évidence d’un paradoxe : l’homme moderne, croyant se libérer ne fait que construire les chaînes de son aliénation.
– critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés : « Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l’injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? » Tableau satirique et antithétique d’une société absurde, mondaine, faussée, celle que Fénelon et ses contemporains ont sous leurs yeux à la Cour et qui déstabilise l’ensemble de la société.
– une leçon : le discours direct traduit l’évidence de cette conception du monde ; série de questions rhétoriques pour suggérer l’absurdité d’une autre façon de vivre par l’usage systématique de la comparaison « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » Progression du propos : d’abord préoccupation physique ensuite morale.

 

2. Un univers chimérique
– danger d’uniformité d’un univers hautement utopique : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs ». Tous proposent la même vision du monde, ce qui est la condition pour que cette société puisse continuer à fonctionner harmonieusement.
– refus de l’industrie dont la créativité est pourtant suggérée par l’accumulation et les pluriels et les termes laudatifs : « des peuples qui on l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies et des pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme ». Danger régressif.
– en fait, ce qui est gênant, ce n’est pas la création industrieuse en elle-même, c’est l’usage immodéré qu’en font les hommes et son absence de finalité humaine.
– risque de l’autarcie : « ils ne faisaient aucun commerce au-dehors ».
– la véritable richesse tient à la qualité du cœur des habitants proches de la figure mythique du « bon sauvage ». C’est une élite morale capable de se discipliner et de s’autogérer. Caractère improbable et hautement chimérique du lieu. Le plaisir du rêve est étroitement lié à celui de la pensée politique.

 

 

Commentaire de texte rédigé avec indication du plan

 

Introduction

L’utopie, genre créé au xvie siècle par Thomas More, présente un lieu imaginaire afin de donner l’image d’une société idéale et, par contrecoup, une critique du monde réel. Ce genre connaîtra encore un grand succès au xviiie siècle, repris par exemple par Montesquieu ou Voltaire. Fénelon, déjà, à la fin du xviie siècle, en propose une dans son roman Les Aventures de Télémaque. Au cours du septième livre, Télémaque et son précepteur Mentor rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur décrit un pays merveilleux : la Bétique. Dans cette contrée reculée et imaginaire, les habitants mènent une vie frugale et heureuse, éloignée de toute corruption et de tout vice, générés selon eux par le superflu. Comment cette description d’une société utopique se révèle-t-elle porteuse d’une dimension argumentative ? Nous étudierons tout d’abord le portrait idéalisé de la Bétique brossé par le narrateur, puis celui des habitants de ce pays. Enfin, nous montrerons comment ce texte offre une critique de notre société.

I. La Bétique : un pays utopique

1. Un monde isolé

La Bétique est présentée d’emblée comme un pays isolé du reste du monde, un lieu clos et éloigné. En effet, il est bordé d’une part par les « Colonnes d’Hercule » et d’autre part par « la mer furieuse […] [qui] sépara autrefois la terre de Tharsis d’avec la grande Afrique ». Le pays est donc situé spatialement à la charnière entre l’Europe et l’Afrique, mais ces précisions évoquent surtout son caractère plutôt inaccessible. D’un point de vue temporel, la Bétique semble également bien éloignée du monde du lecteur, même contemporain de Fénelon. Cette contrée est ancrée dans un univers antique et même mythologique. Les expressions utilisées pour le situer géographiquement appartiennent à l’Antiquité et, surtout, ce récit est adressé à Télémaque, le fils du héros de la mythologie grecque, Ulysse. De même, le pays est présenté au début comme ayant « conservé les délices de l’âge d’or ». D’ailleurs, toute la description est menée au présent et semble s’inscrire dans une temporalité immuable et impossible à dater : comme éternellement « le fleuve Bétis coule dans un pays fertile ». La Bétique affirme ainsi sa différence par son caractère éloigné à la fois spatialement et temporellement. Ce premier trait propre à l’utopie est accentué par l’abondance qui caractérise par la contrée.

2. Un pays d’abondance

La Bétique est une terre riche et propice aussi bien à l’agriculture qu’à l’élevage. On peut d’ailleurs remarquer la présence des quatre éléments, dont l’union harmonieuse est source de fertilité pour tout le pays. Ainsi, la région est irriguée par « le fleuve Bétis », le feu et l’air se modèrent mutuellement : « L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs », et : « La terre, dans les vallons et les campagnes unies » est travaillée. Ainsi, la végétation de la Bétis est luxuriante, comme en témoigne l’accumulation de végétaux dans la phrase suivante : « Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris », la répétition de « toujours » accentuant encore l’impression que cette fertilité est immuable. La régularité de cette abondance est notable, puisque la terre produit « chaque année une double moisson ». De même, l’hyperbole « les montagnes sont couvertes de troupeaux » souligne la prospérité du bétail. D’autre part, même si les habitants s’en désintéressent, le sous-sol lui-même se caractérise par sa grande richesse, puisqu’il « y a plusieurs mines d’or et d’argent », l’association de ces deux métaux précieux étant d’ailleurs répétée trois fois dans le texte. Cependant, ce ne sont pas ces richesses qui comptent dans ce pays, mais la fertilité de la nature, qui, par sa constance, apparaît comme idéale.

3. Un pays serein et constant

Le climat de la Bétique se présente comme tout à fait remarquable et se distingue par sa grande douceur. En effet, les saisons perdent leurs caractéristiques extrêmes et se modèrent de façon harmonieuse : l’hiver, « les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais » et la chaleur de l’été est « toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants ». L’antithèse entre « jamais » et « toujours » accentue encore la constance immuable de ce climat. Un champ lexical de la douceur est par ailleurs développé dans le texte, avec des termes comme « doux », « tièdes », « tempérée » ou « adoucir ». Le climat se fait donc doux et régulier pour favoriser les cultures et la vie des habitants de la Bétique. Cette impression de douceur est renforcée par la personnification des saisons révélée par la métaphore suivante : « […] toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. » Ce mariage des saisons évoque de façon très suggestive la fécondité de cette terre véritable alma mater et souligne aussi la concorde et l’harmonie qui règnent naturellement dans ce pays à l’image de la population elle-même. Cette nature utopique, fertile et sereine, se fait à la fois écrin et miroir d’une société idéale.

II. Une société idéale

1. Le bonheur simple des habitants

La Bétique, pays d’exception qui prête au rêve, abrite une population elle-même remarquable. Ses habitants se caractérisent tout d’abord par leur grande simplicité et par leur mode de vie frugal. En effet, l’adjectif « simple » est répété et apparaît même sous forme de polyptote dans l’expression « les habitants, simples et heureux dans leur simplicité ». Surtout, le narrateur insiste sur le fait que cette société a cerné ses besoins et ne cherche à satisfaire que ceux-ci, renonçant à tout ce qui n’apparaît pas comme essentiel. Ainsi, une formule presque identique est reprise à quelques lignes d’intervalle : « ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme » et « ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ». Dans les deux cas, la négation restrictive souligne bien l’extrême modération des habitants de la Bétique, qui distinguent absolument besoins véritables et désirs superflus. Cette frugalité est à l’origine du bonheur de cette population. En effet, le champ lexical du bonheur, associé d’ailleurs à la nature comme aux habitants, jalonne tout le texte avec des termes comme : « serein », « délices », « heureux » – qui est répété – « tranquille » ou « gaie ». Ainsi, le narrateur donne l’image d’une société heureuse, dont le bonheur est fondé sur un idéal de simplicité et de modération. Cette société rurale vit simplement en harmonie avec la nature.

2. Une société rurale uniforme

Se contentant de ce que leur offre la nature et ne recherchant que ce qui est leur est véritablement nécessaire, les habitants de la Bétique refusent tout matérialisme. Ils n’ont aucune considération particulière pour l’or et l’argent, qui sont, pour eux, des métaux ordinaires « employés aux mêmes usages que le fer ». Ils ne sont pas perçus comme des biens en soi mais comme de simples outils. L’exemple surprenant et éloquent donné par le narrateur, ces métaux sont utilisés « pour des socs de charrue », souligne de façon très symbolique que l’or et l’argent sont « rabaissés » et sont aux pieds de l’agriculteur dont le métier apparaît alors comme primordial. Les habitants de la Bétique se consacrent uniquement aux travaux agricoles, culture et élevage, c’est-à-dire aux « arts nécessaires pour leur vie simple et frugale ». Cette vie rustique adoptée par tous renvoie bien au mythe de l’âge d’or dont il est question au début du texte mais révèle aussi l’uniformité de cette société utopique. En effet, aucun individu ne se distingue dans cette population, puisqu’ils « sont presque tous bergers ou laboureurs » et sont toujours évoqués par le narrateur au moyen du pronom « ils », même en répondant à Adoam. Ainsi, les habitants de la Bétique mènent une vie simple et rustique, gage de bonheur et de sérénité, et offrent au lecteur l’image d’un monde idéal, d’un modèle de société bien éloigné de sa réalité, évoquée d’ailleurs de façon très critique.

III. La critique du monde réel

1. L’opposition entre les deux mondes

Le narrateur dresse un portrait très rapide et plutôt élogieux de sa propre société aux habitants de la Bétique. Ce tableau du « monde réel » est constitué d’une énumération de différentes réalisations humaines associées chaque fois à des termes mélioratifs. Le narrateur parle ainsi « des bâtiments superbes, […] des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme ». Cette énumération des différentes richesses fournies par l’art ou l’artisanat peut d’ailleurs rappeler les réalisations fastueuses du Versailles de Louis XIV. Cependant, elle ne provoque que le rejet de la part des habitants de la Bétique. Leur critique est d’ailleurs rendue plus sensible encore par l’usage du discours direct pour rapporter leurs paroles. Ces habitants opposent ce monde à leur propre société, notamment par le biais d’une série de questions rhétoriques visant à comparer les deux populations. « Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » La suite de comparatifs utilisés dans ces différentes questions souligne bien la qualité de leur mode de vie, par opposition au mode de vie moderne européen. Le contraste est également perceptible avec la reprise du terme « nécessités », cette fois associé à « fausses » en ce qui concerne les mœurs de ces peuples. Les habitants de la Bétique leur reprochent surtout d’être corrompus par leur goût du superflu.

2. Le blâme du superflu

Le discours qui vient clore l’extrait se présente comme un blâme très net du matérialisme et des richesses. En effet, ce « superflu » apparaît ici comme la source du vice et du malheur, comme le souligne bien l’exclamation initiale : « Ces peuples sont bien malheureux d’avoir employé tant de travail et d’industrie à se corrompre eux-mêmes ! » ou encore l’inquiétante gradation des verbes dans l’expression suivante : « ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent ». De façon générale, tout le discours des habitants de la Bétique condamne le superflu en l’associant au vice et même aux péchés capitaux, puisqu’il « amollit », « enivre », provoque la « violence », « l’envie » et « l’avarice ». L’accumulation dans la dernière phrase d’adjectifs ou de participes passés connotés de façon très négative, « jaloux », « rongés », « agités » et « incapables », forme une gradation remarquable et insiste bien sur l’ampleur des ravages provoqués par ce superflu. Ainsi, ce peuple étranger porte un regard très sombre et critique sur notre société matérialiste et nous incite à mettre à distance ce désir d’obtenir et d’accumuler des richesses qui n’ont rien d’essentiel et ne sont que de « fausses nécessités ». Avec un certain bon sens, les habitants de la Bétique pointent un paradoxe éloquent : « Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? » La simplicité de ce peuple utopique nous pousse à porter un regard distancié et critique sur notre monde.

Conclusion

La Bétique offre le tableau d’un monde champêtre idéal, peuplé d’une société au mode de vie plutôt rudimentaire. La frugalité et la modération de celle-ci apparaissent ici comme sources de bonheur et s’opposent fortement au monde réel, et en particulier à la vie à la Cour au temps de Fénelon. L’auteur dépeint une sorte d’âge d’or, antérieur à la corruption et au vice générés par les richesses et le raffinement des mœurs. Cependant, cette utopie, d’où l’art est présenté comme absent, offre aussi l’image d’une société uniformisée et repliée sur elle-même : en tant que telle, elle peut présenter des aspects quelque peu inquiétants et affirme en tout cas son caractère irréel, dont la vertu est surtout de nous pousser à porter un regard distancié sur notre monde.

 

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Idées et plan à rédiger

  • Amorce : ancienneté des « utopies » : récits qui se déroulent dans un monde idéal qui n’existe pas ou plus : descriptions de l’âge d’or chez les Anciens – notamment Hésiode –, époque où l’homme vivait dans le bonheur et la paix ; Utopia de Thomas More…
Le texte : à la fin du XVIIe siècle, Fénelon, dans Les Aventures de Télémaque – imité de l’Odyssée et de l’Énéide –, s’inscrit dans cette lignée. Télémaque, fils d’Ulysse, rencontre Adoam qui lui décrit un pays extraordinaire : la Bétique. Cette description idyllique vise à dépayser le lecteur mais aussi – c’est un apologue – à l’édifier (but pédagogique, didactique)  il pose le problème de la différence entre la nature et la culture.

  • Problématique : d’où vient l’efficacité argumentative de cet apologue ?

  • Annonce des axes : 1. Le pittoresque de l’utopie bétique : un paradis merveilleux ; 2. derrière ce tableau, un dessein didactique et pédagogique : un éloge de la société et de la vie naturelles ; 3. la critique efficace des bienfaits de la civilisation.

I. Le pittoresque de l’utopie bétique : un pays merveilleux, un « âge d’or » à l’antique

1. La localisation géographique et temporelle : un pays entre réel et imaginaire

Le XVIIe siècle est nourri des textes de l’Antiquité (notamment des épopées ; voir titre de l’œuvre) : Fénelon présente ce pays apparemment merveilleux selon le mode des Anciens, d’où une double réécriture : à l’intérieur d’une réécriture d’épopée (Les Aventures de Télémaque), réécriture du mythe de l’âge d’or, traité par Hésiode, Ovide et Virgile.

  • Situation géographique apparemment précise (et réelle ?), mais renvoyée dans les temps anciens

    • Dans « le grand Océan assez près des Colonnes d’Hercule » (référence mythologique) : périphrase à l’antique qui désigne une région d’Espagne (Andalousie, sans doute) proche du détroit de Gibraltar ;

    • « la terre de Tharsis » = dénomination antique de la péninsule ibérique ;

    • « qui commerce avec les Grecs (« faire notre commerce chez ces peuples »).

  • Cependant l’ancrage dans la réalité est très mince et très flou.
À la manière de l’épopée antique, Fénelon donne l’étymologie du nom du pays : « la Bétique » (« le pays a pris le nom du fleuve »).
 Dépaysement dans le lieu et le temps : un âge d’or.

  • Un pays hors du temps : un temps indéfini et comme suspendu

    • Le présent semble avoir aboli le temps dans l’éternité (« coule, se jette… »).

    • Récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».

    • Pas de vrai cycle des saisons : absence des saisons, qui sont confondues (métaphore de « hymen » + notations des « arbres toujours verts, toujours fleuris »).

2. Une région « tempérée » et clémente : le juste milieu et l’harmonie

Le XVIIe siècle privilégiait le juste milieu et l’harmonie : la Bétique répond à cette attente.

  • Des conditions climatiques douces

    • Vocabulaire du juste milieu : « (hivers) tièdes », « (ardeur) tempérée ».

    • Métaphore filée poétique à l’antique (un petit air d’Homère…) : « toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne qui ­semblent se donner la main » (les saisons sont personnifiées = divinités). Noter qu’il s’agit de demi-saisons.

    • Clémence suggérée par la mention des vents (toujours à l’antique) : « zéphyrs » (vents doux et agréables) ; la rigueur (« rigoureux ») de « l’aquilon » est niée (« n’y soufflent pas »).
(Cf. la fable du « Chêne et le Roseau » [La Fontaine, Fables, I, 22] : « Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr ».)

    • La négation restrictive exclut tout accident : « ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen ».

  • La nature elle-même est porteuse de modération : un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses tourmentes, un havre de paix face aux incertitudes de la nature

  • Un relief varié et harmonieux
Harmonie qui s’étend tous les aspects du lieu, à la région entière : « les vallons et les campagnes unies » ; « montagnes ».
Tout cela concourt à renvoyer à l’Andalousie, mais le pays est peint comme un lieu fictif et merveilleux.

3. Une région idyllique : une nature généreuse : l’abondance

Impression de profusion donnée par :

  • La mention de tous les « règnes »

    • Minéral : sous-sol riche en métaux précieux : « mines d’or et d’argent ».

    • Végétal : une végétation luxuriante (« double moisson »), énumération des différentes sortes d’arbres (« lauriers, grenadiers, jasmins »), description à valeur esthétique (« verts et fleuris »), arbres fruitiers (« grenadiers ») + suggestion d’odeurs agréables  cadre méditerranéen.

    • Animal : « troupeaux »/« laines ».

  • La mention de tous les éléments naturels qui font partie de la représentation traditionnelle du paradis : eau (le « fleuve », « la mer ») ; air (les vents) ; terre (« montagnes »).

  • La nature semble produire d’elle-même

    • Sensible dans la syntaxe : les « montagnes » (sujet du verbe) nourrissent « les troupeaux » (sujet du verbe « fournissent ») qui semblent produire la laine d’eux-mêmes.

    • Métaphore filée qui suggère la fertilité à travers « hymen ».

  • La nature produit à profusion

    • Accumulation des expansions du nom (adjectifs, compléments du nom…).

    • Répétition de « toujours ».

    • Vocabulaire qui connote l’abondance : « bordés de », « couvertes de ».
 La nature subvient aux besoins en nourriture et en habillement (les besoins élémentaires).

II. Une société idéale idyllique

Les adjectifs « serein » (l. 2) et « heureux » (l. 10, rappelé l. 17) et l’image « se donner la main » (l. 11) suggéraient déjà l’idée de bonheur et de concorde : les relations entre les habitants sont annoncées par le climat fusion nature-homme suggérée.

1. Des habitants à l’image de la région et en harmonie avec le décor

L’évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants :

  • procédés de la louange : marques d’évaluation, en particulier adjectifs qui peuvent s’appliquer aux hommes : « (un ciel) doux, toujours serein » ;

  • la personnification des saisons qui se « donnent la main » annonce dès le début la concorde entre les habitants qui vivent dans une totale communion (autre thème de l’âge d’or antique) ;

  • cadre pastoral : l’innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor.
 Rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux.

2. Une société primitive

Activités en relation avec la nature :

  • société de pasteurs et d’agriculteurs : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs » (une Arcadie retrouvée ?) ; « la plupart des hommes […] étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux » ;

  • champ lexical de l’agriculture et de l’élevage : « terre », « moisson », « soc de la charrue », « troupeaux » (deux fois).
 Référence à la tradition pastorale biblique (êtres d’avant la chute, marqués par l’innocence originelle).

  • Société restée à l’âge du troc (pas de monnaie, rappel du reproche biblique adressé à l’argent).

  • Inutilité de l’urbanisme.

  • Symboliquement, l’or est employé à la construction d’outils agricoles : agri­culture placée au-dessus de toute richesse : l’argent n’est pas une fin en soi.

3. Des qualités exceptionnelles : un idéal de vie : un éloge

  • Mépris du matérialisme
Malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses ».

  • Idéal de modération, de frugalité
Cette société privilégie ce qui est utile :

    • abondance de négations surtout restrictives : « n’estiment que », « ne faisaient aucun », « n’avaient besoin d’aucune », « ne (veulent souffrir) que », adverbe qui exprime la parcimonie : « peu (d’artisans) » ;

    • vocabulaire de l’utilité « servir » (deux fois) ;

    • vocabulaire de la nécessité/l’essentiel/l’indispensable : « besoin(s) » (deux fois), « nécessités », « nécessaires » 

    • intensifié par les mots : « véritablement », « v&
acute;ritables ».

  • L’insistance sur la « simplicité »
Répétition du mot :

    • « encadre » la description des habitants (l. 17-29) ;

    • clôt le paragraphe (groupe binaire équilibré : « simple et frugale ») ;

    • redondance : « simples et heureux dans leur simplicité ».

  • Dénonciation et de la vanité humaine et de l’illusion, danger de l’hybris.
 La vision d’un moraliste.

III. La stratégie argumentative de Fénelon : l’autre volet du diptyque

Souci pédagogique et didactique : après le tableau idyllique (idéal de vie), la comparaison par contraste, technique du repoussoir : les « peuples qui… » = les Grecs.

Préparé dans le 1er paragraphe par la mention implicite des liens avec les populations voisines plus puissantes (« aucun commerce », « aucune monnaie », « peu d’artisans », « souffrir que les arts… » = techniques).

1. La technique du repoussoir et le regard de l’étranger : la société miroir

Tableau du peuple voisin en contraste avec celui de la Bétique.

  • Apparemment élogieux dans la bouche d’Adoam (qui représente un peuple civilisé) [l. 30-34] :

    • termes laudatifs : « superbes », « ornées », « précieuses », « exquis », « délicieux », « harmonie », « charme » ;

    • procédé de l’accumulation (rappel du 1er paragraphe) qui donne l’impression de profusion.

  • Mais tableau aussitôt contrecarré par le discours de l’habitant de la Bétique  procédé du regard de l’étranger :

    • termes très dépréciatifs en accumulation : « jaloux, rongés, lâche, agités, incapables, fausses (qui s’oppose à “véritables” du 1er paragraphe) » ;

    • métaphore (à tonalité antique) : « esclaves » ;

    • vocabulaire du malheur : « malheureux », « tourmente ».

2. Du tableau vertueux à la critique des voisins : reproches adressés aux peuples civilisés

Postulat de départ : « travail et industrie »  corruption (« corrompre »), développé par la suite du discours.

  • L’inutilité et la nocivité des arts, tout particulièrement des arts du luxe (« superflu ») : ameublement : « meubles d’or et d’argent » (rappel du 1er paragraphe), décoration, musique (« instruments »), joaillerie (« pierres précieuses »), parfumerie, gastronomie (« mets délicieux »), « l’art de faire des bâtiments superbes ».
 Critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés.

  • Critique (satire ?) de Versailles et de la cour de Louis XIV (reprise par ­Montesquieu au XVIIIe siècle dans les Lettres persanes) :

    • société absurde, mondaine, faussée ;

    • rôle néfaste de cette cour sur les autres classes sociales (« ceux qui en sont privés » : petite noblesse et bourgeoisie) rongées par l’envie ;

    • cour esclave de ses passions : elle a perdu le « bonheur » véritable de la mesure.

  • Mise en évidence d’un paradoxe : l’homme civilisé croit se libérer mais en fait il construit son propre « malheur ».

3. L’habileté et l’efficacité de la « leçon »

À ce procédé rigoureux et efficace du diptyque en contraste, Fénelon ajoute d’autres procédés qui donnent sa force à sa « leçon ».

  • Des moyens pédagogiques et didactiques efficaces
La mise en abyme : un discours qui donne la parole à l’étranger dans le récit d’Adoam (enchâssement) : irruption du discours direct, comme dans tout apologue.
Les procédés de la généralisation :

    • présent de vérité générale ;

    • pronom indéfini « on ».

  • Les vertus pédagogiques de la répétition insistant sur les termes essentiels de la démonstration : « simple/simplicité », « nécessaire/nécessités » ; de l’antithèse : « malheureux/bonheur » (dernier mot).
La force des images : détails visuels pour frapper l’imagination (dans les deux tableaux en contraste)  plus faciles à mémoriser.

  • Le regard d’un étranger primitif mais qui manie bien la rhétorique classique…
Habileté du réquisitoire en creux (rhétorique classique) :
Construction oratoire du discours : assertions sur le mode affirmatif + questions rhétoriques, suivies d’un mouvement en antithèse (« au contraire ») + envolée de la période (latine) finale.
Ton oratoire et solennel :

    • implication forcée du lecteur : les questions rhétoriques juxtaposées amènent le lecteur à se poser des question et à y répondre par lui-même ;

    • usage systématique de la comparaison : « plus sains et plus robustes (que nous) ? » ;

    • recours au groupe ternaire oratoire : « amollit, enivre, tourmente », « plus libre, plus tranquille, plus gaie », « par l’ambition, par la crainte, par l’avarice » ;

    • procédé de l’accumulation (dernière phrase) ;

    • progression étudiée : du physique au moral (« sains »/« libre/gaie »).

  • On sent Fénelon derrière cet étranger qui annonce le vieux Tahitien du Supplément au Voyage de Bougainville

  • Une habileté qui fait oublier les limites de la « leçon »
L’habileté de l’apologue occulte les limites de la leçon : cet univers est bien chimérique et utopique, c’est-à-dire impossible :

    • danger d’uniformité d’un univers hautement utopique (« presque tous bergers ou laboureurs »)  uniformité – condition pour que cette société fonctionne harmonieusement – improbable ;

    • danger de régression : refus de « l’industrie », dont les bienfaits sont pourtant suggérés (accumulation et termes laudatifs, l. 30-33) ; en fait, le danger ne vient pas de l’industrie, mais de l’usage immodéré qu’en font les hommes ;

    • risque de l’autarcie (« aucun commerce au-dehors ») ;

    • la véritable richesse tient à la haute vertu morale des habitants (annonce le « bon sauvage), capables de se discipliner et de s’autogérer, ce qui est totalement improbable dans la réalité.

  • Donc Fénelon sait que cet âge d’or est irréalisable ; mais ce thème lui permet de parler en moraliste prônant une aimable austérité qui combine sagesse antique et modèle biblique.

Conclusion

  • Texte qui présente de multiples intérêts :

    • variation sur le thème littéraire de l’âge d’or : dépaysement ;

    • critique implicite de Louis XIV et de la vie à la cour ;

    • mais un enjeu plus important du moraliste.

  • Tout un faisceau d’idées qui alimenteront la réflexion des philosophes des Lumières : le luxe, le bonheur, nature et culture.

  • Mais, au XVIIIe siècle, les temps ont changé, les mentalités ne sont plus marquées par le goût classique du juste milieu et de la mesure et par le pessimisme de Fénelon.

  • Les Lumières choisiront :

    • tantôt de suivre Fénelon : multiplication des utopies (Troglodytes de ­Montesquieu, Eldorado dans Candide) ; satire de la monarchie et de la cour, des abus (Montesquieu) ; débat sur nature et culture (mythe du bon sauvage de Rousseau et du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot) ;

    • tantôt de s’en démarquer : Voltaire fait l’éloge du luxe dans Le Mondain, les « arts » et l’« industrie » sont à l’honneur.T

    •  

    •  

    • Consignes et suggestions des examinateurs pour la dissertation 

    •  

      I L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre

      1. Les procédés du dépaysement

      – dépaysement géographique, voire spatial ;
      – « dépaysement » temporel ;
      – dépaysement vers des contrées improbables : création de système utopiques ;
      – dépaysement peut aller du lointain à l’imaginaire pur ; invite à découvrir des êtes différents, soit par leurs pratiques et leur représentations, soit même par leur nature (des géants, des lilliputiens, des animaux…).

      2. La fiction du regard éloigné

      – pour que ces univers puissent être évoqués, il faut mettre en œuvre un regard qui soit le support de la description : soit le regard faussement naïf de celui qui découvre, soit la perspective de « l’étranger » Persan, Huron, Inca, Tahitien, picaro…
      – l’antithèse entre le connu et l’inconnu est favorable à la mise en œuvre de l’intrigue ;

      – sur le plan de la fiction, le personnage qui découvre un univers très éloigné du sien donne à son voyage une valeur initiatique.

      3. Le caractère séduisant des univers lointains

      – dimension poétique et esthétique des descriptions inédites : il s’agit par exemple de faire voir des univers d’une beauté incomparable (procédé de l’ekphrasis), de laver le regard de ses scories, de le purifier ;
      – plaisir de la découverte ;

      – sur le plan de la réception, il s’agit d’amener le lecteur à rêver (le caractère merveilleux de l’Eldorado, la sensualité de l’Orient, la douceur de l’exotisme…) ;
      – donc séduire le lecteur au sens étymologique du terme.

      II Pourquoi ? Le monde très éloigné du nôtre nous parle néanmoins de nous

      1. Proposer de notre société un miroir inversé

      – renvoyer à notre société une image très différente de ce qu’elle est permet de lui faire prendre conscience de son vrai visage ;

       

      – il ne s’agit pas de faire advenir l’univers ainsi décrit mais de proposer d’autres possibilités, d’autres manières d’être que celle en usage, de faire voir des « contre-exemples » ;
      – mettre en évidence la relativité culturelle.

      2. Délivrer une leçon

      – corriger notre monde en lui faisant prendre conscience de ses défauts ;
      – proposer un modèle : politique, social, économique, religieux, philosophique ;
      – mettre en scène des figures qui incarnent sagesse et philosophie en ce qu’elles ont su se détacher des atteintes du monde ordinaire : valeur emblématique des personnages de vieillards, d’ermites ;
      – prévenir d’une menace : cas de la contre-utopie.

      3. Dimension réaliste prompte à revenir même dans ce qui semble le plus lointain

      – la réalité se rappelle à nous par les effets de similitude, des allusions, de l’ironie ;
      – l’univers lointain mis en place nous invite à une double lecture ;
      – il nous alerte sur le fait qu’il n’est qu’un outil et non une fin en soi, par l’usage des stéréotypes qui signalent son caractère artificiel.

      III Une stratégie du détour

      1. Démarche paradoxale

      – c’est en détournant l’attention de son lecteur qu’un auteur parvient paradoxalement à le conduire à ses véritables fins :
      – mise en œuvre d’une démarche dialectique qui permet à l’esprit de se mettre en mouvement : sortir de notre univers certes… mais pour mieux y revenir et y revenir plus riche de ce qu’on a découvert.

      2. Un lecteur qui participe à l’élaboration du sens

      – mettre en place un autre rapport au texte qui sollicite l’intelligence du lecteur par l’adoption d’une démarche inductive ;
      – le processus du décodage : l’univers inventé se présente comme un rébus dont il faut décrypter la signification ;

      – attitude ludique, complice du lecteur ; plaisir de l’élucidation.

      3. Fonction et valeur du détour

      – la stratégie du détour à travers le motif du voyage, du dépaysement ne vise pas à diminuer la portée de l’analyse critique mais au contraire à la renforcer.
      – ainsi, loin d’ « éviter la censure », le détour rend la charge plus visible et provocante et montre que la censure est condamnée à s’incliner devant la force des idées. On prendra garde à ce que la formulation de cet argument par les élèves évite les lieux communs vides de sens.

      – finalement, sous une forme métaphorique, la littérature est toujours la mise en œuvre d’un dépaysement qui permet une prise de distance et une découverte : « Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et donc les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. » M. Proust

    • Exemple de copie rédigée …..

    • Introduction

       

      La découverte des Indes occidentales à la fin du xve siècle a ouvert le champ de la littérature au thème du voyage, en même temps qu’il a fait prendre conscience aux hommes de la possibilité d’un ailleurs où vivent des sociétés plus proches de la nature, aux mœurs plus frustes, peut-être, mais moins corrompues. Pour certains philosophes comme Montaigne ou Diderot, le « bon sauvage » mythique et le monde dans lequel il vit mettent en évidence le degré de corruption et le manque de relativisme de nos « nations policées ». Sans pour autant prôner un retour à l’état de nature, de nombreux écrivains ont, par la suite, dépeint des contrées, souvent imaginaires, très éloignées des nôtres, à des fins didactiques. En quoi l’évocation de ces univers permet-elle de faire réfléchir sur la réalité de notre société ? En d’autres termes, quels éléments propres à la peinture de sociétés parfaites, très différentes des nôtres, nous renvoient, paradoxalement, à une perception plus aiguë et plus critique de notre propre civilisation ? Nous montrerons en premier lieu la capacité de séduction qu’offre la peinture des univers exotiques. En deuxième lieu, nous verrons en quoi cette peinture renvoie, en creux, à notre propre monde. Nous tenterons en dernier lieu de mettre en avant l’efficacité et la force critique d’une argumentation qui passe par le détour de l’utopie.

      I. L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre transporte le lecteur dans un ailleurs séduisant

      1. Elle dépayse totalement le lecteur

      La littérature est peuplée de mondes très éloignés du nôtre. Cet éloignement conduit à un dépaysement, qui peut être géographique ou temporel. Dans Candide, conte philosophique de Voltaire, le pays d’Eldorado est situé en Amérique du Sud, une région qui, au xviiie siècle, est associée à la mystérieuse civilisation inca, mais aussi au Pérou et ses mines d’or. Dans l’imaginaire du lecteur, ce voyage est de toute façon en rupture évidente avec la civilisation occidentale. Les romans de science-fiction jouent souvent sur un dépaysement dans les deux dimensions, en présentant des mondes extraterrestres, dans un contexte de conquête intersidérale. Il appartient alors à l’écrivain de donner une cohérence à cet univers, en évoquant non seulement l’espace géographique lui-même, mais aussi les mœurs de ses habitants, leur système de pensée, leur rapport au temps, ou à l’argent. Dans Les Aventures de Télémaque, Adoam évoque par exemple le peuple de Bétique, et son rapport aux arts, dont « ils ne veulent souffrir que [ceux] qui servent aux véritables nécessités des hommes ». L’invention peut aller jusqu’à concevoir une nouvelle forme de vie, où l’infiniment grand croise l’infiniment petit. Ainsi, Voltaire n’hésite pas à créer le personnage de Micromégas, habitant de Sirius, et géant de quelque trente-deux kilomètres de hauteur ; dans Le Voyage de Gulliver, l’écrivain anglais Jonathan Swift imagine au contraire la rencontre du héros avec le peuple des Lilliputiens, êtres aussi grands que le pouce. Transportés dans ces contrées improbables, dans lesquelles les repères référentiels sont totalement bousculés, le lecteur est implacablement confronté à l’expérience de l’Autre, expérience d’autant plus séduisante qu’elle est mise en scène le plus souvent dans un cadre parfait.

      2. La peinture de mondes exotiques est souvent séduisante

      La plupart des évocations de mondes éloignés a un évident caractère séduisant. Pour l’auteur, il s’agit de soumettre au lecteur un modèle d’univers indépassable, incomparable, un monde parfait, dominé généralement par l’idée d’harmonie et de profusion. Ainsi, Adoam dans Les Aventures de Télémaque évoque les chemins « bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris », les collines « couvertes de troupeaux », ou encore la douceur du climat. À l’image de Baudelaire, l’écrivain peint une véritable « Invitation au voyage » : « Là tout n’est qu’ordre et beauté. » Cette invitation est magnifiée par la poésie de la forme, où l’harmonie des lieux est rendue sensible par le rythme équilibré des phrases, telles que celle-ci, au rythme ternaire régulier : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or. » Il s’agit d’amener le lecteur dans un espace rêvé, dans une réalité nouvelle, vierge de toute impureté, et de l’étonner à chaque phrase par des descriptions incroyables. L’évocation du monde éloigné, en effet, ne craint pas le spectaculaire, à l’image du pays d’Eldorado, dans lequel Voltaire accumule les hyperboles et les énumérations pour dire l’abondance, la richesse ou la démesure d’un monde habité, à l’inverse, par des hommes tout en modération. Fénelon, avec la description de la Bétique, est plutôt dans la retenue pour évoquer les possessions et les désirs des habitants ; cependant, il souligne la fertilité de la nature, capable de produire une « double moisson », nous donnant ainsi l’impression d’entrer dans un véritable paradis terrestre. Au fond, le plaisir du lecteur est surtout celui de la découverte ; nous pénétrons dans un monde nouveau et notre plaisir consiste à faire l’épreuve de la différence radicale, en même temps que d’évaluer l’imagination de l’écrivain. Cependant, pour radicalement différent que soit ce monde éloigné, il renvoie à notre société.

      II. L’évocation de mondes très éloignés renvoie à notre propre monde

      1. Elle se construit par le regard étranger à ces mondes

      La peinture des univers utopiques renvoie à notre propre monde. En effet, lorsque le lecteur découvre un monde imaginaire, c’est pratiquement toujours par le relais d’un personnage étranger : celui qui décrit met en place sa description en fonction d’un système de références communes, partagées par le lecteur. C’est ainsi que le monde de Bétique est décrit de manière lyrique par un personnage extérieur, Adoam. Commerçant lui-même, il est très étonné que la société de Bétique puisse fonctionner sans monnaie. En fait, ce narrateur est en quelque sorte un relais, un médiateur avec le lecteur ; ses étonnements, ses marques de surprise sont les nôtres, même si le narrateur de Candide se plaît souvent à adopter la focale des habitants de l’utopie eldoradienne, et feint de trouver ordinaires des pratiques et des coutumes qui ne le sont pas pour nous. Parfois, le récit peut être fondé sur l’idée que ce monde très éloigné… c’est le nôtre, mais perçu par un regard étranger ou naïf. On pense aux héros des Lettres persanes de Montesquieu, qui posent sur notre société un regard nouveau et critique ; les mœurs des Français prennent soudain une teinte d’exotisme ridicule. Ce procédé n’est pas neuf : La Bruyère a déjà mis en scène « Le regard d’un Huron » ; plus tard, Voltaire écrira L’Ingénu, conte philosophique organisé autour des péripéties d’un Indien découvrant les mœurs de notre pays. Il s’agit dans tous les cas, par le biais d’une perspective particulière, de nous donner à voir l’inconnu et, dans le même temps, de nous tendre un miroir critique de notre société.

      2. Elle tend un miroir critique de notre société

      Évoquer un monde imaginaire, c’est tendre au lecteur un miroir, mais au reflet inversé. Ce que nous découvrons, en creux, à travers toutes les beautés, la douceur du monde décrit ou celle des mœurs de ses habitants, ce sont les aspects les plus haïssables de notre société, ses défauts, ses travers. L’utopie propose un autre champ de possibles, nous invite à relativiser le bien-fondé de nos choix de société, à comprendre qu’en matière de civilisation, nous pouvons toujours, sinon nous réformer complètement, comme le suggère Fénelon à travers les mœurs des habitants de Bétique, du moins nous améliorer. Les Troglodytes des Lettres persanes, comme d’ailleurs les habitants de la Bétique, ont ainsi un mode de vie très rudimentaire, réduit à leurs besoins vitaux ; le pays d’Eldorado ne possède pas de prisons, et dispose d’un extraordinaire matériel de mesures scientifiques. Dans tous les cas, il s’agit de proposer un système, des idées, des visions amplifiées et magnifiées de ce vers quoi devrait tendre notre société. Certains récits, à travers des contre-utopies, descriptions de mondes effrayants et cauchemardesques, cherchent au contraire à nous mettre en garde. Dans Le Meilleur des mondes, roman écrit en 1933, l’écrivain Aldous Huxley peint un monde dans lequel les humains ne sont plus conçus naturellement et sont déterminés dès leur « naissance » à servir la société, selon qu’ils sont l’élite de la nation ou de simples opérateurs. À travers ce récit, le romancier nous alarme contre les dérives possibles d’une science dont les progrès sont alors d’une rapidité foudroyante. L’évocation de ces mondes plus ou moins improbables est donc une leçon, dont nous comprenons d’autant mieux la portée que, constamment, elle nous ramène à notre propre monde.

      3. Elle est un monde « impossible » qui nous ramène à nos propres usages

      Les mondes imaginaires sont souvent émaillés de notations réalistes qui, plus ou moins subtilement, nous ramènent à nos propres mœurs. Dans le monde de la Bétique, par exemple, Adoam fait intervenir les habitants du pays, qui, devant l’évocation des richesses de notre monde, pointent les contradictions de la société, sous forme de questions : « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? » De même, lorsque Candide est accueilli par le roi d’Eldorado, il demande si, pour le saluer, il faut se mettre à plat ventre ou lécher le sol. Cette ironie est une manière, pour le narrateur, d’entretenir avec le lecteur, sur le mode plaisant, une complicité, tout en étayant la charge critique. Il faut également noter que la description de mondes utopiques prend généralement place dans un récit plus large. Le plus souvent, il n’est qu’une étape dans le périple initiatique du héros, et non un aboutissement. Ainsi, la découverte du pays d’Eldorado se situe exactement au centre du conte de Voltaire, indiquant par là que, si ce lieu a une place centrale dans la formation du jeune naïf, il constitue un endroit dont il faut sortir. Le narrateur de Candide le suggère d’ailleurs à travers le caractère stéréotypé et artificiel de son évocation : si la mention de fontaines de cannes à sucre a quelque chose de séduisant au premier abord, elle est, à la réflexion, quelque peu écœurante. L’utopie nous invite donc à opérer un mouvement de retour, de réflexion au sens premier du terme. Elle se présente donc comme une argumentation indirecte, dont la force critique est indéniable.

      III. Une argumentation indirecte : quand le voyage vaut le détour

      1. Donner matière à réflexion au lecteur sans lui imposer une thèse : le détour du monde lointain

      Le monde dépeint au lecteur est une « forêt de symboles » qu’il s’agit de décrypter. N’oublions pas que Fénelon, en bon didacticien, a l’intuition, en créant Les Aventures de Télémaque, que la meilleure façon d’éduquer le jeune duc de Bourgogne est de passer par le détour de la fiction. Ainsi, dans la peinture de la Bétique, même le climat, qui est pourtant une donnée non maîtrisable par l’homme, renvoie à l’idéal classique de modération, que l’on retrouve ensuite, de manière plus explicite, à travers l’évocation des pratiques frustes des habitants. Le lecteur est invité, plus que dans une forme d’argumentation directe, à participer à l’élaboration d’un sens, à travers tout un subtil et prolifique réseau de significations. Dans Candide, la découverte d’Eldorado est pour le lecteur, comme pour le personnage, un moyen radical de porter un nouveau regard sur le réel. C’est ainsi que la scène de l’esclave de Surinam nous est d’autant moins supportable que nous venons de quitter l’utopie. Ce passage dans un monde extraordinaire, paradoxalement, donne au héros une lucidité nouvelle ; pour la première fois, il définit négativement la philophie optimiste : « C’est la rage de soutenir que tout est bien quand tout est mal. »

      2. Détour fictionnel : un potentiel philosophique exploité par la littérature moderne

      Le thème du voyage et de la découverte d’une terre inconnue est d’une force et d’un potentiel critiques tels que la littérature moderne s’en est elle-même emparée. Ainsi, Jacques Sternberg, écrivain hédoniste et « misanthrope », en fait ainsi le thème central de son recueil de nouvelles intitulé 188 contes à régler. Relayé soit par le procédé du regard étranger – extraterrestre –, soit par le regard du Terrien sur un monde autre, il se plaît ainsi à dénoncer férocement et ironiquement la violence des hommes, ou à rêver tout haut de son idéal d’humanité. Le conteur explique que, pour les « Agrages », peuple indolent, ignorant toute notion de commerce et de profit, « s’aimer entre eux, se griser d’eau et de brise, rêvasser, se laisser dériver au fil du temps ou se divertir paraissaient leurs uniques préoccupations ». On voit par là que l’utopie moderne est porteuse d’un message pacifiste, à une époque où la barbarie humaine a franchi l’impensable. Certains écrivains, cependant, vont plus loin dans l’exploitation du thème, à l’image de Michel Tournier et sa réécriture de Robinson Crusoë intitulée Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Ce roman, qui nous projette dans une île quasi déserte, cherche moins à dénoncer les dérives consuméristes de la société moderne qu’à mettre en scène l’expérience radicale de la vie sauvage vécue par un homme pétri de certitudes et de principes. L’écrivain, à travers ce cheminement, place le personnage face à cet autre qui est lui-même. Le détour fictionnel a donc cette vertu de nous permettre non seulement de rêver à une possibilité d’un monde différent, mais aussi, de nous faire accéder, par le biais d’un récit captivant, à des réflexions philosophiques profondes sur les rapports de l’homme avec le monde qui l’entoure, et dont, trop souvent, il croit être le maître.

      Conclusion

      Ainsi, le sentiment de dépaysement plaisant qu’éprouve le lecteur qui découvre un monde très éloigné peut le conduire subtilement à reconsidérer le sien avec un œil critique et distancié. « Meilleurs des mondes impossibles », ces mondes imaginaires, en se présentant comme des horizons inatteignables où s’écoulent des printemps éternels, jettent un puissant éclairage sur les travers de notre civilisation. Loin de chercher à contourner, par ce biais, la censure, l’utopie rend celle-ci inopérante : il n’y a pas de discours, pas d’idées imposées, juste la force des idées en mouvement dans un scénario de monde rêvé. Finalement, cette terra incognita, cet ailleurs, cet espace exotique, n’est-il pas, métaphoriquement, le monde de la littérature, qui offre chaque fois au lecteur une expérience inédite de dépaysement ?

       

      En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/corpus-fenelon-montesquieu-voltaire_1-frde44.html#2ZuyZxGPkcYFSSF7.99

       

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