Le personnage d’Hélène dans la pièce de Giraudoux La Guerre de Troie n’aura pas lieu , se présente sous différents aspects : froide et détachée de tout forme de sentiments, beauté fatale, inconstante en amour et volage, douée de capacités d’adaptation hors du commun, comment le dramaturge a t-il décidé d’incarner cette femme dont on a souvent pensé qu’elle était à l’origine de la guerre ?![tro42.jpg, fév. 2016](https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/tro42.jpg)
Hélène
n’apparaît qu’à la scène 7
de
l’acte I, mais dès leurs premières répliques dans la scène 1,
Andromaque et Cassandre parlent d’elle et montrent qu’elle est
l’enjeu de la guerre et de la pièce, confirmant ainsi ce que savent
déjà les spectateurs informés qui connaissent L’Iliade.
Mais
Giraudoux va au-delà du récit homérique en utilisant pleinement
les ressources du théâtre : quel va être ce personnage, cette
femme si belle qu’elle a déclenché la guerre ? Le spectateur attend
avec impatience de la voir enfin, et ce d’autant plus que jusqu’à
la scène 7, tous en parlent abondamment.
Tous
les hommes, de l’adolescent (Troïlus) aux vieillards, en sont fous
et clament sa beauté (« Vive la beauté ! Vive Vénus ! »,
crient les vieillards, acte I, sc. 4). Cassandre explique : « Ils
ont imaginé que c’était Vénus qui nous donnait Hélène pour
récompenser Pâris de lui avoir décerné la pomme », et
prévient Hector : « Priam est fou d’Hélène. Il livrerait
plutôt ses filles. Et tous nos frères, et tous nos oncles, et
tous nos arrière-grands-oncles. »
Hélène
est l’objet de tous les fantasmes masculins : les hommes
l’idéalisent à tel point qu’ils font paradoxalement de cette
femme grecque l’incarnation de leur terre troyenne, leur Muse
patriotique ; en effet, selon le Géomètre, « depuis qu’Hélène
est ici, le paysage a pris son sens et sa fermeté » (acte I, sc.
6).
Les femmes la considèrent, sans doute avec une pointe de jalousie, comme une courtisane : « elle
fait le chemin de ronde », s’exclame Hécube à l’acte I, scène
4, et Cassandre note dans la même scène : « Elle rajuste sa
sandale, debout, prenant bien soin de croiser haut la jambe. » Mais
leurs réserves, leur ironie et leur mépris ne font en définitive
que confirmer sa beauté, qu’amplifier l’attente du spectateur.
À
ce dernier en définitive de juger s’il y a quelque chose derrière
la beauté d’Hélène ou si ce n’est qu’une ravissante idiote,
conformément à l’adage « Sois belle et tais-toi ». Dans la
légende, Hélène est l’incarnation de la beauté de la femme
grecque ; elle se réduit par là à une fonction : la séduction.
Et, par bien des aspects, l’Hélène de Giraudoux est conforme à
ce modèle ; on pourrait même dire qu’elle s’y conforme
complaisamment.
Est-elle
intelligente ? Dans la scène 7, elle se soumet aux volontés de
Pâris, répète ce qu’il lui dit de dire sans réfléchir. «
J’adore obéir à Pâris », dit-elle à Hector, mais elle
n’hésite pas à se contredire et, alors qu’elle a repris, comme le
lui demandait Pâris, « Ménélas ? Je le hais », à la scène
8, elle dit à Hector : « Pourquoi le haïrais-je ? » Elle semble
ne pas penser par elle-même.
À l’acte I, scène 9, Hector
parle de « cette tête obtuse », et Ulysse, à l’acte II, scène
13, du « cerveau le plus étroit ». Elle se dit paresseuse à
l’acte I, scène 8, paraît insensible, indifférente aux autres,
et Pâris confesse à l’acte I, scène 4 : « Même au milieu de
mes bras, Hélène est loin de moi. » Superficielle, frivole,
infidèle : « Je n’aime pas beaucoup connaître non plus mes
propres sentiments » (acte II, sc. 8).
Hélène a connu de nombreux hommes : « quelques-uns » avant Pâris, et Hector constate : «
Vous n’aimez pas Pâris… Vous aimez les hommes ». Oui, dit-elle,
« c’est agréable de les frotter… ». Pour elle, l’amour n’est
pas une exigence, une passion, il est un plaisir.
L’épisode
avec Troïlus, à l’acte II, scène 1, confirme ce besoin de
séduction, non sans une certaine cruauté. Elle joue avec ce
dernier, se joue de lui, le cajolant, le menaçant faussement, le contraint à se
contredire (« Je ne veux rien… Je veux tout »). À Pâris qui
s’étonne dans la scène suivante : « Quel est ce baiser inédit
que tu me donnes, Hélène ! », elle lui répond, en présence
de Troïlus : « Le baiser destiné à Troïlus. » Quel que soit
le destin qui lui est réservé, elle est constante dans sa
volonté de plaisir, ce que confirme son apparition, embrassant
Troïlus, à la fin de la pièce.![tro54.jpg, fév. 2016](https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/tro54.jpg)
Il
est impossible néanmoins de réduire l’Hélène de Giraudoux à
cette seule dimension de séduction. Elle est en effet beaucoup plus
complexe, voire ambiguë. Elle est avant tout l’instrument du
destin ; et sans doute le sait-elle : « Je laisse l’univers penser
à ma place », « Je n’y peux rien. (Cette obstination) n’est pas
la mienne. » Ulysse, à l’acte II, scène 13, nous confirme
qu’elle est l’incarnation de la fatalité : « Elle est une des
rares créatures que le destin met en circulation sur la terre pour
son usage personnel. Ainsi sa soumission et son désir de séduire ne sont
pas de l’inconscience ou de l’inconstance, mais une forme de sagesse
: d’ailleurs, comme Cassandre, elle a un don. Pour elle le monde
n’existe que par des images : « Entre les objets et les êtres,
certains sont colorés pour moi. Ceux-là je les vois. Je crois en
eux. Je choisis (les événements) que je vois », dit-elle à
Hector dans la scène 9 de l’acte I. « Je ne lis pas l’avenir. Mais
dans cet avenir, je vois des scènes colorées, d’autres ternes.
Jusqu’ici, ce sont toujours les scènes colorées qui ont eu lieu.
» Ainsi, elle voit la bataille, la chute et l’incendie de Troie, la
mort de Pâris et d’Hector : Ah vous croyez que c’est Pâris ? »
En «
voyant », elle est aussi miroir de l’univers, avec lequel elle est
en harmonie. Hector s’étonne devant ses yeux : « Qu’elle est pure,
la lentille du monde », et se bornant à voir et à recevoir,
Hélène a accès à une vérité qui échappe aux autres.
Elle
accepte néanmoins de céder à la demande d’Hector et cela lui
confère une indéniable humanité. Elle va faire comme si elle
avait le choix et prendre le parti de la paix. Elle va soutenir
Hector (acte II, sc. 10 et 11) face à Ulysse. Elle montre même
une certaine sensibilité et ménage Hector en esquivant ses
questions : « Personne n’est infaillible. » À Cassandre, elle
avoue : « Je ne l’ai pas dit à Hector. Mais le cou de son fils est
illuminé (…) où bat l’artère. »
On
peut constater aussi qu’elle ne manque ni de sensibilité poétique
(témoin ce qu’elle dit de la mort de Pâris à l’acte I, scène
9 : « Je vois un morceau d’aurore qui roule dans la poussière »),
ni de sens de la repartie (« S’il suffit d’un couple parfait (…),
il y a toujours le vôtre, Andromaque
Hélène a compris, peut-être mieux
qu’Andromaque, que les guerres se nourrissent de symboles,
d’illusion, d’apparence et non de vérité. Mais ces qualités
humaines, elle les exerce avec distance. En amour, elle oppose sa
vérité à celle d’Andromaque : « Je suis commandée par lui,
aimantée par lui. L’aimantation, c’est aussi un amour, autant que
la promiscuité. » Elle refuse d’y verser « la jalousie, la
tendresse et l’inquiétude ». Et elle refuse aussi la pitié.
Hélène a une connaissance du malheur, mais une connaissance
lucide, comme d’une loi du monde. Elle évoque avec des détails
réalistes les malheurs qu’elle a côtoyés dans son enfance et
elle se dit solidaire des malheureux : « Tous ces malheureux, je les
sens mes égaux (…) Je les admets. » Cette
distance en fait un personnage scandaleux, mais doué d’une
indiscutable sagesse, une femme à la fois forte et fragile, froide
mais entière et disponible, « bloc de négation qui dit oui »
comme le dit Hector à l’acte I, scène 9, et finalement paisible
et pacifiste dans ses soumissions successives.
![tro56.jpg, fév. 2016](http://devblog.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/.tro56_s.jpg)
Un commentaire de bac : les points à suivre
Ce billet vous propose une forme de compte -rendu établi à partir de vos copies de bac blanc sur le théâtre : il s’agissait pour ceux qui ont choisi ce sujet , de faire le commentaire des scènes 16 à 19 de l’acte II du Mariage de Figaro , une comédie de Beaumarchais , écrite en 1784.![disp2.jpg, mar. 2016](http://devblog.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/.disp2_s.jpg)
Composer une introduction
En introduction, parlez du théâtre est certes une bonne idée mais inutile de remonter jusqu’à l’Antiquité et de détailler chaque période de l’histoire du genre ; les connaissances doivent aider à l’identification des registres, du courant littéraire mais elles ne doivent pas se substituer à l’analyse précise et rigoureuse des scènes données à commenter ; la parenté avec Molière était bienvenue ainsi éventuellement que l’évocation de la critique sociale à travers la satire du Comte . Cependant les élèves qui ont cherché à voir une critique sociale dans ces extraits ont été amenés à forcer le texte et à déformer certaines interprétations ; ainsi Suzanne n’est pas insolent eparce qu’elle conteste l’autorité de la noblesse et envisage une révolution : l’insolence du valet est un motif traditionnel que Beaumarchais emprunte aux comédies de Molière te le but de ce conflit est de faire rire le spectateur
Musset est un auteur du dix-neuvième siècle donc il peut être rattaché au romantisme mais pas Beaumarchais , qui n’a pas connu la révolution française de 1789 ni la préface de Cromwell de Hugo, rédigée en 1827.
Un topos au théâtre est un motif qui est très souvent utilisé : la dispute amoureuse et le soupçon d’adultère sont des topoi (c’est un mot grec donc il a un pluriel en oi )
Ne pas oublier de décrire l’extrait et ce dès l’introduction : Le Comte , jaloux , fait une scène à son épouse qu’il pense surprendre en flagrant délit d’adultère mais lorsqu’il pousse la porte de son cabinet, (un cabinet désigne une petite pièce attenante à la chambre à coucher où les femmes rangeaient leurs bijoux , leurs accessoires de toilette et se changeaient ) ( c’est la femme de chambre de la Comtesse qui apparaît te se moque des soupçons du mari jaloux.
Le choix des axes d’étude : trop larges généralement
A proscrire absolument : quel message veut faire passer l’auteur 0/ 5
Quelle est l’originalité de cet extrait ? 0,5 /5![disp11.jpg, mar. 2016](https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/disp11.jpg)
Comment Beaumarchais renouvelle-t-il la comédie ? 2/5 : le problème avec cet axe d’étude c’est qu’il ne prend pas en compte la particularité de ces scènes : elles retranscrivent un retournement de situation au sein d’une scène de ménage dictée par la jalousie du Comte
Un peu passe-partout mais efficace : quels sont les effets comiques de cette scène 3,5 /5
Par exemple , si vous choisissez d’étudier la dimension comique de cette scène, vous devez le faire en prenant en compte uniquement les éléments comiques qui participent à la mise ne scène du conflit et à sa résolution finale.
Il est parfois possible de se fonder sur ce qu’on nomme le mouvement du texte :
L’évolution du conflit : la colère du Comte et la peur de la Comtesse : une dimension tragique ; le retournement de situation opéré grâce à l’intervention de Suzanne et le triomphe de la Comtesse : le jaloux confus .
Certains élèves ont été particulièrement sensibles au mélange des genres et ont aperçu l’influence de la tragédie au début de cette scène ; en effet, les plus perspicaces ont noté la présence d’un champ lexical de la mort et ont montré à quel point la situation semble tragique pour la Comtesse, démasquée et coupable d’adultère ; le Comte furieux menace de tuer son amant ; néanmoins cette ambiance tragique ne va pas durer ; lorsque Suzanne fait son entrée en scène, le spectateur rit de soulagement ; la nature du rire est ici complexe car le public se sent, à la fois complice des deux femmes et se moque de la déconfiture du mari jaloux et repentant (alors même que sa jalousie est fondée ) Ce rire de toute puissance provoque une sorte de contentement du public qui rit aux côtés des deux femmes aux dépens du Comte abusé.
Attention également à ne pas réécrire vos questions de synthèse : le conflit est certes un élément central qui va servir de base à vos commentaires mais il ne faut pas se contenter d’en décrire superficiellement les procédés ; il faut en mesurer les effets sur le public et prendre conscience des enjeux des scènes .
L’étude des effets comiques pouvait reposer sur les types de comique : le comique de situation (incontournable avec l’apparition du personnage de Suzanne, l’effet de surprise, le retournement de situation ) ; le comique de geste exploite les nombreuses didascalies et le comique de langage ou de mots mentionne le vocabulaire injurieux ;
Quant au personnage de Suzanne, confidente dans la tragédie et femme de chambre dans la comédie, elle facilite le passage entre les deux univers avec sa raillerie et son aparté avec la Comtesse à laquelle elle vient de rendre un grand service ; les deux femmes , en effet, se liguent contre le Comte par solidarité féminine ; (Suzanne fiancée à Figaro et qui va se marier avec lui au début de la pièce, souffre de devoir supporter les avances que lui fait le Comte à l’insu de la Comtesse ;
De l’utilité des connaissances : bon nombre d’entre vous ont utilisé leur connaissance de l’auteur ou du genre de pièce pour composer le commentaire , c’est un très bon réflexe.à condition de ne pas déformer le texte de départ ;
Par exemple, vous savez que Beaumarchais a renouvelé le genre de la comédie : comment allez-vous pouvoir utiliser cette information ? En montrant notamment que les caractères varient au cours de la pièce ; en effet, Beaumarchais a étoffé les personnages du mari jaloux ou de la servante rusée et leur a attribué une épaisseur qui les fait ressembler à des personnages romanesques ; une partie du commentaire pourrait s’intituler : les changements des caractères des personnages
a) un Comte en mari jaloux qui devient un mari humilié et repentant
b) une femme apeurée qui reprend , peu à peu, le contrôle de la situation et en profite pour faire la leçon à son époux ;
Attention aussi au vocabulaire : le mot tragi-comédie que beaucoup emploient abusivement désigne une pièce à fin heureuse qui comporte des scènes tragiques ; L’exemple canonique est celui du Cid de Corneille : à la fin de la pièce, Chimène et Rodrigue se marient alors que Rodrigue est le meurtrier du père de Chimène. D’ailleurs les spectateurs ont souvent critiqué ce mélange des genres ; Pourtant, il va finir par s'imposer au théâtre et devenir de plus en plus fréquent à partir du drame romantique et avec le théâtre contemporain .
Les points à revoir
Le théâtre dans le théâtre : c’est une bonne idée d’évoquer la mise en abyme à condition d’en démontrer les effets comiques : Le Comte croit que la Comtesse joue la comédie alors qu’elle est sincèrement surprise ; ce n’est donc pas tout à fait une pièce dans la pièce mais une référence aux mensonges amoureux et à la duplicité des menteurs .![disp3.jpg, mar. 2016](https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/files/2020/04/disp3.jpg)
Suzon n’est pas un sobriquet péjoratif mais un diminutif affectueux que la Comtesse emploie dans l’intimité figurée ici par cet aparté entre les deux femmes. Suzanne détourne l’attention du Comte afin de permettre à sa maîtresse de reprendre ses esprits.
La position du spectateur : le paratexte vous informe que Chérubin s’est enfui n grâce à Suzanne mais dans la pièce, cet élément n’est pas à la disposition du public qui sera lui aussi surpris en même temps que le Comte.
La notion d’ironie : vous confondez parfois humour et ironie ; A quel moment de ces scènes peut -on vraiment parler d’ironie ? Lorsque Suzanne imite le Comte et reprend ses menaces de mort, on peut effectivement évoquer une forme d’ironie.
La Comtesse triomphe à la fin de la scène 19 et critique l’attitude de son époux : ce dernier lui fait remarquer la virulence de ses propos : « Ah Madame c’est sans ménagement » .