14. juin 2019 · Commentaires fermés sur Des écrits de Résistances aux poètes de la Résistance : quelques données historiques de l’Humanisme à la seconde guerre mondiale · Catégories: Première · Tags: ,

De nombreux artistes tentent, à travers leurs oeuvres, de dénoncer une forme d’oppression qu’ils trouvent injuste : dès l’Humanisme, on réfléchit avec la découverte de nouvelles civilisations comme les Indiens d’Amérique, à la manière de vivre  avec des étrangers qui ne nous ressemblent pas forcément . La pseudo-supériorioté de l’Homme blanc et de l’Européen sur la Sauvage , va alimenter des siècles de colonisation. Pourtant Montaigne avait déjà mis en évidence l’ethnocentrisme coupable des Européens dans les Essais où il relate l’arrivée à la cour du Roi d’une délégation de Sauvages venus du Brésil. Jean de Léry racontera dans ses Mémoires les années passées au Brésil et fera l’éloge des peuplades indigènes dont il souligne l’habileté et la connaissance de la Nature. Les Lumières dénonceront , un peu plus tard, la colonisation et ses massacres perpétrés au nom du racisme .

Montesquieu , dans un article polémique , dénoncera l’absurdité des arguments employés par les français pour justifier la traite des noirs et le commerce des esclaves. Voltaire , dans Candide, fera rencontrer à son héros un jeune esclave martyrisé et montrera ainsi, la cruauté des esclavagistes. Diderot, dans son récit : Supplément au Voyage de Bougainville , révélera les massacres et la violence  perpétrée par la colonisation française à Tahiti. Le siècle suivant poursuivra la dénonciation de l’oppression sous toutes ses formes ; Les écrits peuvent alors prendre une dimension politique comme les poèmes de Hugo dans les Châtiments  qui dénoncent l’iniquité du régime de Napoléon III qui l’obligera à vivre en exil durant 15 ans . Zola se fera journaliste pour condamner la position du gouvernement dans l’affaire Dreyfus qu’il accuse  de mensonge dans un article demeuré célèbre: J’accuse  .  Le vingtième siècle débute par une guerre sanglante qui est suivie d’un second conflit tout aussi marquant dans les esprits .Le déclenchement de seconde  Guerre Mondiale et l’occupation du territoire français par l’armée allemande après l’armistice de 40, vont donner lieu à de nombreux écrits de résistance . Mais quand on évoque la Résistance à cette époque, de quoi parle-t-on au juste ? 

  Qui sont les résistants en 1940 ?  

Les écrits des poètes de la Résistance s’inscrivent tous dans un contexte singulier, qu’ils soient datés de 1940 ou des années suivantes, à savoir celui des années de l’occupation allemande en France et du régime autoritaire de Vichy.

Dès le second semestre de 1940 de jeunes Français (isolés ou un peu plus organisés) manifestent leur refus de l’occupation et parfois rejoignent le général de Gaulle à Londres : peu à peu , face aux brimades de l’occupation et au durcissement du régime de Vichy .dse cercles de résistants s’organisent et se regroupent. La Résistance dans son ensemble a concerné une infime minorité de Français, et certains d’entre eux n’avaient même pas conscience qu’ils faisaient de la résistance ; le mot lui-même de « résistance » est popularisé seulement à partir de 1942.

Dans la mémoire collective, que les historiens ont pris pour objet d’histoire, la Résistance garde une place à part. Elle est devenue un mythe fondateurqui a permis aux Français de se donner des valeurs et d’élaborer un projet de société pour l’après-guerre. La Résistance, c’est avant tout des hommes et des femmes, très souvent désintéressés, héros anonymes pour beaucoup, animés par des convictions patriotiques et humanitaires.

À l’origine, les premiers gestes de refus sont symboliques et minimes. Les premiers résistants sont issus de tous les milieux sociaux et agissent dans toutes les régions. Pour beaucoup, il s’agit avant tout de « faire quelque chose » pour ne pas subir le joug nazi. Ils réagissent en leur âme et conscience, sans suivre aucun ordre de mobilisation générale insurrectionnel. Leur combat est fou, car ils interviennent contre l’opinion commune et en dépit de la présence des occupants. .
Le point de départ des premières actions résistantes tient davantage du ressort du réflexe viscéral que de la réponse idéologique au nazisme. Écrasé par la peur et l’incertitude, dans une société décomposée, le résistant des premiers mois de l’occupation est très rare. Le sens du devoir semble l’emporter soit en distribuant des tracts, soit en coupant des lignes téléphoniques (l’ouvrier agricole Étienne Achavanne, sera le premier résistant français fusillé, le 20 juin 1940), ou encore en refusant d’amener le drapeau français aux Allemands (le maire de La Rochelle le 23 juin 1940). D’autres rejoignent de Gaulle qui a lancé son appel de Londres le 18 juin ; 
Progressivement, des groupes d’hommes et de femmes, pour la plupart jeunes et sans vie sociale et familiale encore bien assise, s’organisent, par exemple au musée de l’Homme à Paris, ou dans plusieurs lycées parisiens ; le 11 novembre 1940, des étudiants manifestent aux Champs-Élysées et déposent une gerbe de fleurs au pied de l’Arc de Triomphe, prenant des risques incroyables. La répression sera très dure. À Londres, avec l’appui de Churchill, de Gaulle avance à pas lents. Mais rien n’est facile. Il faut non seulement trouver des leaders plus âgés, mais accepter également de tout abandonner, le plus souvent une vie professionnelle – quand elle ne sert plus de couverture pour cacher ses activités résistantes – et parfois une épouse et des enfants.

En 1941–1942, de part et d’autre de la ligne de démarcation, les résistants cherchent de l’argent et des armes, mais organisent aussi des mouvements et des réseaux. Les premiers (Franc-TireurCombatLibération-SudDéfense de la France, entre autres) ont des visées politiqueset se préparent à prendre en mains les destinées politiques de la France de l’après-guerre. Les seconds effectuent des missions militaires et de renseignement. Par ailleurs, la France libre est en lutte contre les Américains pour faire reconnaître sa légitimité, tandis que les chefs de la résistance intérieure s’affrontent pour le pouvoir. 
Avec l’invasion de l’URSS par les nazis, en juin 1941, des communistes organisés en triades commettent plusieurs attentats contre l’armée allemande, occasionnant des mesures de rétorsion cruelles : exécutions d’otages, arrestations de centaines de résistants par les polices françaises . Lesecond semestre 1941 marque bien le passage à la Résistance arméeen métropole.
À l’automne 1942, les résistants ont enfin conscience qu’ils œuvrent pour la Résistance. Grâce à Jean Moulin – arrêté à Caluire en juin 1943, puis tué sous les coups de Klaus Barbie à Lyon – qui sait réunir les différentes obédiences de la Résistance intérieure, de Gaulle devient le chef de la France résistante. Pour nombre de résistants, non seulement il faut chasser désormais les Allemands, détruire le régime de Vichy, mais il faut également réfléchir aux méthodes de restauration de la République après la Libération.

Ils se nommaient Paul Eluard, Louis Aragon, Philippe Soupault, Robert Desnos , René Char , Jean Casson , Robert Seghers , René Guy Cadou ; vous en saurez plus en suivant ce lien … bonne lecture 

https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/accueil/

Après la seconde guerre mondiale, partout dans le monde, des artistes et des écrivains continuent à prendre la plume ou le stylo pour résister à ce qu’ils   entendent dénoncer et notamment la colonisation et le racisme: poètes des Caraïbes et poètes africains s’unissent ainsi pour combattre l’hégémonie de l’homme blanc : ils fondent des concepts baptisés négritude (fierté d’être noir ) et créolité (identité métisse revendiquée ) ; Ils s'appellent Senghor, Aimé Césaire, Rene Guy Tyrolien , René Depestre et ils continuent le long combat de leurs ancêtres pour affirmer leurs droits et dénoncer les mentalités esclavagistes de certains Européens ou Américains. En Orient, les poètes palestiniens comme Samir El Qassim dénoncent l'occupation  armée de leur pays et entendent,  de cette manière, résister

30. mai 2019 · Commentaires fermés sur L’entrée en scène de Pozzo et Lucky · Catégories: Première · Tags:

 Avant d’aborder l’explication de cette entrée en scène spectaculaire, n’oubliez pas de présenter le théâtre de l’Absurde, la pièce de Beckett et précisez bien  que Vladimir et Estragon, depuis qu’ils sont entrés en scène , passent leur temps à attendre l’arrivée d’un certain Godot . Leur espoir va être de courte durée car ils vont découvrir que Pozzo n’est pas celui dont on leur a promis l’arrivée . Pour surprendre le spectateur , Beckett a mis en scène, ici, de manière très exagérée, un lien de dépendance et de servitude entre deux individus; Pozzo fait figure de tyran et martyrise son esclave, un certain Lucky et ce nouveau couple va faire naître des échos avec celui formé par les deux vagabonds. Comment Beckett met-il en scène cette arrivée ? 

L’importance des didascalies : dans le théâtre moderne, elles jouent un rôle très important : celui de préparer la mise en scène du texte 

a) une arrivée préparée et dramatisée 

La première didascalie mentionne « un cri terrible » : le public s’attend donc à une entrée en scène dramatique et , à première vue, les deux personnages sont spectaculaires dans le couple qu’ils forment. La présence d’une « corde passée autour du cou » et  la présence d’un seul personnage sur scène, celui qui est enchaîné, est clairement indiquée par les longues didascalies «  corde assez longue pour qu’il puisse arriver au milieu du plateau avant que Pozzo débouche de la coulisse. » (l 7 et 8 ) .Le dramaturge accorde donc beaucoup d’importance à cette arrivée en deux temps et le public peut ainsi s’interroger sur celui qui va tenir la corde : à quel tortionnaire va-t-il être confronté car le symbole de la corde qui relie les deux personnages fait immédiatement penser à une relation maître-esclave. Le fouet qui apparaît dans la main de Pozzo confirme cette première analyse ; Le valet apparaît chargé et comme croulant sous le poids de son fardeau : « une lourde valise,un siège pliant, un panier à provisions et un manteau » Ces accessoires spectaculaires et pourtant quotidiens  évoquent un voyage effectué par les deux hommes : l’un étant clairement au service de l’autre. La suite de la scène et les paroles échangées vont confirmer certaines hypothèses . Le « plus vite » asséné par Pozzo à son serviteur , suivi du bruit de fouet ( l 14 ) et d’un jeu scénique avec la corde en tension (l16 ) est aussitôt suivi par la première agression de Pozzo qui donne lieu à une chute ( l 19 ). Les paroles de Pozzo vont clairement dans le sens d’une relation maître -esclave avec dans un premier temps les insultes verbales : Charogne (l 26 ) et les ordres donnés de manière péremptoire avec une cascade d’impératifs : « Arrière , tourne, Tiens ça » . Ces ordres sont entrecoupés par des formules de politesse échangées avec Estragon et Vladimir. Lucky semble méprisé , carrément animalisé par son maître qui l’accuse de « puer » (l 81 ) . Cette indication donne un sens nouveau aux injonctions « recule » « là »  réitérées durant toute la scène ( l 36, 71, 73, 81 et 82 ) ; Beckett introduit ici une dimension comique au beau milieu d’une scène plutôt dramatique et qui enclenche la pitié du spectateur. 

b) un couple qui attire l’attention 

Après une entrée en scène remarquée , le couple attire  également l’attention du public à cause de l’attitude dominatrice de Pozzo et surtout du silence de Lucky , totalement soumis aux ordres de celui qui le tient en laisse comme un animal .   Tout en se faisant servir , Pozzo confie à son esclave son fouet que ce dernier est obligé de tenir entre ses dents ( l 53);  Lucky lui sert à la fois de valet de chambre et de domestique  avec le jeu sur le manteau qu’il lui porte et qu ‘ il l’aide à enfiler (l 49 et 55 ) ; Le même jeu de scène sera réitéré avec successivement le pliant ( l 64 )  et  le panier ( l 76 et 79 ) On constate que le dramaturge utilise à la fois le comique de répétition car un même jeu de scène se reproduit et le comique de situation car un même ordre correspond à différents gestes : et Lucky se tient totalement aux ordres de son maître et le public le voit exécuter les mêmes gestes plusieurs fois ; Cette chorégraphie peut sembler étrange et en partie, absurde . Beckett a-t-il voulu, à sa manière, scéniquement, nous faire visualiser l’éternel recommencement ; Lucky serait une sorte de Sysyphe moderne qui recommencerait, en vain, sans cesse, les mêmes gestes, et  son supplice ne finirait jamais . Est-ce une image de l’homme moderne esclave d’une société absurde  ? 

c) les réactions de Didi et Gogo : des spectateurs sur scène ou la mise en abime 

Un autre point qui capte l’attention du public et rend encore plus spectaculaire l’entrée en scène du curieux couple , c’est la présence , en tant que spectateurs , du couple formé par Vladimir et Estragon. Cette mise en abime renvoie aux véritables spectateurs ,  et à leurs propres interrogations . Tout d’abord, Vlamidir et Estragon sont figés et se précipitent  vers la source du bruit : ils  sont  alors confrontés à Lucky . La didascalie note  leur réaction : ils sont partagés  « entre l’envie d’aller à son secours et la peur de se mêler de ce qui ne les regarde pas » Cette indécision peut renvoyer à celle du public dont la curiosité ici est éveillée par le martyr de Lucky et qui aimerait peut être savoir ce qu’il a fait pour mériter ce sort . Beckett nous fait ainsi réfélchir à la nécessité pour beaucoup d’entre nous de comprendre pourquoi le mal est commis alors que parfois, l’existence du Mal ne repose pas sur une série de causes logiques. De plus,cette attitude de Vladimir et Estragon peut nous faire penser au malaise que nous éprouvons face à la souffrance infligée à autrui sous nos yeux. Vladimir et Estragon ne réagissent pas de la même manière : Vladimir fait un pas vers Lucky mais son compagnon le « retient par la manche « (l 22 ) et ils paraissent sur le point de se disputer : « Lâche -moi » s’écrie Vladimir et Estragon lui ordonne « reste tranquille » ( l 24 ) . Le couple se reforme ensuite pour se demander , en aparté (l 28 ) si Pozzo est bien celui qu’ils attendent, c’est à dire Godot ; Ils assistent, sans  plus intervenir, à toute la scène jusqu’ au début du repas de Pozzo (rappelons qu’à l’entrée en scène des deux personnages, Estragon a lâché la carotte qu’il mangeait et que le panier plein de victuailles représente pour eux un intérêt non négligeable.  (l 2 ). Ils finissent  donc par s’approcher : « s’enhardissant peu à peu, tournent autour de Lucky, l’inspectent sur toutes les coutures » La peur semble dominer chez Vladimir et Estragon d’autant que Pozzo les a mis en garde : « Attention! Il est méchant ..avec les étrangers » (l 25 ) Ces paroles assimilent davantage Lucky à un chien, une bête féroce qu’il faut tenir en laisse et dont il faut se faire obéir.

Vladimir et Estragon s’interrogent à haute voix et se font ainsi le relais des questions que peut se poser le public.  « qu’est-ce qu’il a » (l 92) ; Vladimir propose une réponse : il dort sous l’effet de la fatigue car la charge qu’il transporte est lourde et ils ne comprennent pas pourquoi il ne pose pas les bagages . Ensuite, ils remarquent les marques de la corde sur son cou qui matérialise sa souffrance et pourrait faire basculer la scène dans la dimension pathétique : « à vif » « c’est la corde » « à force de frotter » . Les deux dernières répliques de notre extrait sont à double sens et évoquent l’univers théâtral en même temps qu’elles désignent la situation de Lucky. « c’est le noeud » (l 108 ) désigne soit la manière dont la corde est attachée soit au théâtre le centre d’un problème, la mise en place de l’action dramatique . On appelle ainsi dénouement au théâtre le moment où l’action se dénoue et laisse entrevoir une fin possible  La dernière réplique d’Estragon : « c’est fatal » fait référence à l’univers tragique et à la mort inévitable qui se profile . L’une des particularités , en fait du théâtre de Beckett, c’est que nous hésitons souvent  entre le rire et les larmes ; certains aspects de cette scène sont touchants comme la souffrance de Lucky victime d’un maître sans coeur alors que d’autres font davantage penser à un numéro de clown avec notamment ce comique de gestes. 

En conclusion , cette entrée en scène est très spectaculaire pour différentes raisons. Le spectateur ignore l’identité des nouveaux venus. La mise en scène montre un rapport de force et une étrange sujétion de Lucky dont la souffrance peut toucher le public. Pozzo paraît  vraiment ne pas se rendre compte du mal qu’il fait subir et se montre étrangement aimable avec Vladimir et Estragon . Enfin,une attente commence afin de savoir si Pozzo peut être celui qu’attendent Vladimir et Estragon. Le public attend également de connaître l’explication de cet esclavage et les premières paroles de Lucky qui e lancera quelques minute plus tard dans un étrange discours dépourvu de sens. Quant à Pozzo, il sera bientôt physiquement diminué et lorsque le couple reparaîtra sur scène, il aura  bien changé .

29. mai 2019 · Commentaires fermés sur L’entrée en scène des personnages dans En attendant Godot · Catégories: Première · Tags:

En quoi cette scène d’exposition est-elle originale ? 

Pour un dramaturge, l’entrée en scène d’un personnage est toujours un moment important et la scène d’exposition joue plusieurs rôles : elle doit présenter les personnages et donner des informations sur leurs liens et leurs fonctions, présenter le cadre de l’action et lancer l’intrigue. Le théâtre classique convoque , le plus souvent, des retrouvailles ou imagine des scènes de rencontre qui permettent au public , à travers les propos échangés par les personnages , de comprendre les enjeux du spectacle. Issue du théâtre de l’absurde, la pièce En Attendant Godot, qui est la première pièce écrite en français par Samuel Beckett, nous délivre une vision grotesque de la condition humaine. Peut-on dire que cette exposition remplit les fonctions attendues ? Que nous apprend-t-elle sur les personnages, le cadre de l’action et les enjeux de la représentation ? 

 

Un étrange duo 


Au lever du rideau, le spectateur ne sait donc rien des 2 personnages – l’un est déjà en scène et – l’autre arrive peu de temps après. Les informations sont transmises au public par les personnages selon des procédés traditionnels: le Nom du personnage est par exemple prononcé lorsque Vladimir se parle à lui-même (l.6) et Estragon est surnommé Gogo. 
Leurs liens peuvent également sembler problématiques pour le public; même si l’ évocation d’un passé commun montre qu’ils reconnaissent depuis de longues années , les références demeurent obscures . On sait juste que leur état s’est dégradé car à la ligne 25 Vladimir avoue « on portaitbeau alors » 

De plus, leur relation semble marquée  par une séparation initiale : ils se retrouvent au début de la pièce après une disparition énigmatique d’Estragon ; A noter qu’Estragon est pourtant présent seul sur scène et c’est Vladimir qui le rejoint . Beckett semble ici inverser le sens des retrouvailles ; « le te revoilà toi » est suivi d’une réplique étonnante d’Estragon qui paraît douter de sa propre identité ou remettre en cause son identification : le « tu crois ? » est étonnant . 

La contradiction entre les gestes effectués et les didascalies internes l’est tout autant;   Le personnage se lève pour l’embrasser et lui tend finalement la main. De nombreuses autres contradictions émaillent ces retrouvailles . Vladimir se réjouit ostensiblement du retour de son ami et propose de « fêter cette réunion »  ( l 8 ) mais sa joie se heurte à l’irritation d’Estragon et quelques secondes plus tard, Vladimir est passé de l’enthousiasme à la froideur : « froisséfroidement » ( 11) . Il se lance alors dans un interrogatoire afin de savoir où ce dernier a passé la nuit. Cette technique pour but de donner, à travers l’échange dialogué ,les informations dont le public a besoin pour comprendre ce qu’il voit . Mais Beckett brouille certaines pistes et fournit aux spectateur des informations contradictoires ou changeantes . Ainsi Estragon fait allusion à un incident durant la nuit précédente: il a été battu mai pas trop et ne sait pas par qui ni où. 

Le duo comique formé par Vladimir et Estragon s’inspire des numéros du cinéma muet américain notamment des figures de Charlie Chaplin ou Laurel et Hardy et on va les voir, durant la pièce, effectuer des gestes de clown en jouant notamment avec leurs chaussures et leurs chapeaux. 

Pourtant dès l’entrée en scène des personnages, l’accent est mis sur la souffrance avec des références à leur douleur et à leur désir de mourir . Ainsi si l’expression « main dans la main » ( l 25 ) fait état de leur complicité; cette dernière est évoquée à propos d’une tentative de suicide dans un passé lointain « on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers”  

L’entrée en scène des personnages présente également des indices sur leurs conditions de vie : elles sont précaires. Ils se trouvent dehors, le «soir », sur une « route de campagne », et paraissent donc sans domicile puisqu’ Estragon a passé la nuit dans un « fossé» 
Leur aspect physique est peu engageant : Vladimir marche « à petits pas raides, les jambesécartées. » ce qui peut faire penser à un vieillard 
 ; de plus , Estragon fait remarquer à Vladimir qu’il n’est pas correctement boutonné et ce dernier lui répond « c’est vrai. Pas de laisser-aller dans les petiteschoses » l 38 comme s’il était conscient de son aspect physique peu engageant ; L’entrée en scène des personnages nous fait penser à des SDF qui sont dans la rue depuis un moment et ne savent pas vraiment où aller . Qu’en est-il du cadre de l’action ? 

Tout d’abord, il faut noter dans ce type de théâtre ,l’importance des didascalies pour préciser le jeu et le cadre :
de type externe , notées par des parenthèses , ou internes , c’est à dire que les indications font partie des répliques des personnages , c’est à dire que les indications font partie des répliques des personnages . 
Certaines indiquent le décor et le temps.

On dirait que Beckett a choisi un lieu indéterminéce qui sous entend que l’action de la pièce pourrait avoir lieu partout ; Il mentionne un cadre vagueet l’époque elle aussi est indéterminée . Les personnages évoquent des souvenirs et mentionnent « il y a une éternité » vers 1900( l 23 ) comme si la notion de temps était, en quelque sorte, abolie, ou tout au moins suspendue . En revanche, les personnages font , à plusieurs reprises, mention de leur futur ; Vladimir pensait qu’Estragon était parti pour toujours ( l 6 ) ce qui peut faire référence à sa mort ; cette idée réapparaît à travers l’interrogation de Vladimir ; « depuis le temps je me demande ce que tu serais devenu sans moi… Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est. » l 20 

Les didascalies font également état des gestes des acteurs et montrent notamment, dans cette entrée en scène, les difficultééprouvées par les personnages : Estragon ne parvient pas à enlever sa chaussure et va être contraint de demander de l’aide à Vladimir . Il s’acharne en «en ahanant »paraît à bout de forces , se repose « en haletant », recommence » ; Estragon a subi des violences durant la nuit et Vladimir lui aussi affirme avoir souffert : «  Mal, il me demande si j’ai eu mal ! » Le point d’exclamation ici paraît refléter l’indignation du personnage qui ne supporte pas que sa douleur soit mise en doute . Il est également question d’un combat à reprendre et à première vue, ce combat , c’est tout simplement la vie. 

Le volume des indications scéniques est l’une des caractéristiques du théâtre contemporain : leur présence indique que les auteurs accordent de l’importance à la mise en scène de leurs œuvres . 

Cette scène d’exposition donne un certain nombre d’informations essentielles pour le spectateur mais elle crée une impression d’attente et soulève quelques incohérences. 

Quelle intrigue se dessine ? 



Les quelques références vagues à un passé commun ne semblent pas pouvoir constituer une piste intéressante 
 : les personnages paraissaient en meilleure forme mais le suicide est mentionné comme une solution qu’ils avaient envisagée alors que désormais, ils paraissent résignés ; Vladimir ainsi est accablé et se désespère « c’est trop pour un seul homme » sans qu’on sache vraiment de quoi il se plaint et ce qui le fait souffrir. Il reproche à son ami de ne pas suffisamment prendre en compte sa douleur « Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles. » ( l 35 ) Le spectateur assiste à une sorte de surenchère dans la douleur : chacun pensant avoir plus mal que l’autre et refusant presque de considèrer la douleur de son vis à vis

Un dialogue qui tourne à vide ? 

Un certain nombre de remarques peuvent paraître éparses et « déplacées » car il nous manque une partie du contexte pour les comprendre : ainsi une réplique comme : «à quoi bon se décourager à présent » (l23) paraît énigmatique ; Le public a l’impression que la conversation est décousue et que les personnages parlent pour meubler le temps et passent , sans transition, d’un sujet à un autre, échangent des banalités et ne s’écoutent pas vraiment . On peut évoquer, à certains moments, une sorte de dialogue de sourds. 




Le comique du désespoir ? 
Le comique de gestes est présent à plusieurs reprises dans cette scène et il est symbolisé par la lutte difficile d’Estragon avec sa chaussure.
 On trouve également un comique de répétitions avec le jeu sur le chapeau et les répétitions des répliques.

Le comique de mots et de situation est également exploité dans l’ouverture de la pièce et notamment la première réplique ainsi que la dernière sont  à double sens ; On peut dire, en effet, que c’est un quiproquo qui ouvre la pièce ; Estragon ne parvient pas à enlever sa chaussure : « Rien à faire »(l.1)
qui exprime son échec et Vladimir comprend cette phrase comme une réflexion générale sur la vie, une sorte d’ennui généralisé ; Il enchaîne donc avec une réplique qui ne peut se comprendre que si on considère qu’il s’ennuie lui aussi ou qu’il est désespéré « Je commence à le croire...»(l.4)
 Le personnage pourrait ainsi révéler d’emblée son désespoir comme quand on annonce à un patient condamné qu’il n’y a plus rien à faire et que la mort ne saurait tarder . Cette idée d’attente tragique de de la mort est peut être le point à mettre en évidence dans cette étrange exposition . L’extrait se termine par “ il n’y a rien à voir ” ( l 50 )  alors que justement le théâtre est l’art de montrer : que peut -on montrer s’il n’y a rien à voir ? 

Une autre forme de comique de situation cette fois est liée à la notion de décalage entre la situation mentionnée : retrouvailles de 2 vagabonds sur une route et l’ expression de sentiments avec notamment leur volonté de fêter leur retrouvaille alors que leur situation est plutôt tragique

Le tragique existentiel très présent 

Cette dimension tragique provient tout d’abord de la situation des personnages et de leur combat existentiel que le spectateur devine à travers une série de champs lexicaux qui mélangent souffrance et lutte pour la vie : « résisté » « le combat » « t’a battu » « tas d’ossements », « jeté en bas », « as mal »( « souffres »
. Les personnages semblent s’agiter en vain et font des efforts pour s’en sortir mais se savent condamnés .Leur dialogue semble à la fois vide et désespérant et la dimension tragique est renforcée par des moments de silence et d’immobilisation
. On entend aussi un appel au secours d’Estragon qui demande avec une voix faible à son ami de l’aider ; : « aide-moi »(l.30 ) : le verbe est construit sans complément d’objet et le public peut comprendre qu’il a besoin d’aide pour réussir à ôter sa chaussure ou qu’il s’agit simplement d’un appel à l’aide . Difficile de passer de la chaussure au destin mais c’est pourtant ce curieux mélange qui confère à cette pièce et à cette première scène son originalité. 


A retenir 
Texte représentatif du théâtre de l’absurde:
. Scène d’exposition « insolite » qui laisse planer de nombreuses questions :
- qui sont ces personnages ?
 parole qui tourne à vide – banalités et tragique existentiel , attente de la mort ? Ou de Dieu ? 

– quelle intrigue ?
. Sentiment de découragement et de vide qui se dégage de ce début.
. Représentation de 2 anti-héros, 2 bouffons qui ne parviennent pas à masquer une profonde détresse, de 2 pantins cassés par la vie et qui cherchent à alléger leur souffrance en la partageant 

27. mai 2019 · Commentaires fermés sur Des entrées en scène spectaculaires : comment faire son entrée en scène ? · Catégories: Première

Le théâtre antique prépare le spectateur à entendre le prologue lui exposer les faits et lui raconter l’histoire qui va se dérouler sur scène ; Le personnage du prologue s’efface pour laisser entrer les acteurs et l’action est déjà lancée par ce qu’il vient d’expliquer . Le choeur lui aussi, élément fondamental de la dramaturgie antique, présent sur scène avant le lancement de l’action , commente ce qui es déroule sous les yeux du public et dialogue avec les personnages qu’il conseille ou met en garde; Il représente, en quelque sorte, la présence symbolique du spectateur au sein des événements . Avec la disparition de ces éléments de scénographie, la scène est vide lorsque les acteurs font leur apparition et le spectateur ne dispose alors d’aucune information . Les dramaturges doivent donc rapidement imaginer des moyens de leur faire comprendre les enjeux du spectacle auquel ils vont assister ; Ils doivent présenter à la fois les personnages et leurs liens, leurs fonctions, le cadre de l’action et les grandes lignes de l’intrigue. Le théâtre classique va mettre au point certains procédés que nous allons découvrir ensemble ….

Tout d’abord, il faut distinguer comédie et tragédie. En effet, dans la comédie, l’action est plus rythmée, plus au centre du spectacle alors que la tragédie se nourrit essentiellement de paroles qui font appel à l’imagination . Les auteurs de comédies privilégient un certain nombre de procédés d’écriture qui se déclinent de siècle en siècle comme le quiproquo , l’aparté ou le personnage caché . La dimension comique naît ainsi de la supériorité du spectateur qui a eu accès à des informations cachées à l’un des personnages ; parfois, cependant , le spectateur lui aussi, va être surpris par des révélations inattendues  ou des retournements de situations qu’on nomme coups de théâtre . Voyons comment Molière met en scène le début de Georges Dandin : ce dernier  est un  riche bourgoeois qui a choisi d’épouser une  femme originaire de la noblesse pour posséder son titre ; méprisé par son épouse, il regrette ce mariage et surprend un homme qui sort de chez lui ; cet émissaire , sort d’entremetteur masculin, était porteur d’un message de son maître qui courtise la dame du logis; sans connaître l’identité de son interlocuteur, il lui confie l’objet de sa mission et le public se trouve alors das une position où il peut rire la situation de dupe de Georges Dandin et de l’imprudence du valet, trop bavard . Non seulement  le personnage principal est présent sur scène dès relever du rideau et l’objet de la comédie est connu d’emblée : il va être question du mariage et particulièrement du mariage d’intérêt, souvent au centre de la comédie avec Molière .  Le comique va s’exercer , semble-t-il, aux dépens du héros et le monologue du ce dernier a la valeur d’un prologue ” j’aurais bien mieux fait tout riche que je suis de m’allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi.” Le spectateur est plongé dans le vif du sujet et la dimension spectaculaire peut tenir aux apartés qui inaugurent la scène de rencontre entre Lubin et Georges. Dans Le Barbier de Séville , Beaumarchais pousse encore plus loin la dimension visuelle et sonore du spectacle en introduisant un personnage de valet-chanteur .

  Les deux entrées en matière se ressemblent d’ailleurs beaucoup : dans les deux cas, un personnage est seul sur scène au lever du rideau et il en rencontre un autre quasi immédiatement après avoir, au moyen d’un monologue, transmis des informations essentielles au public. Le Comte tient à ce que son identité demeure secrète car il souhaite être aimé pour lui -même et il a fui les plaisir faciles . Le public s’attend donc à voir évoluer son histoire d’amour avec Rosine et se demande quel rôle va pouvoir y jouer son ex-valet Figaro. Beaumarchais a ici organisé des retrouvailles entre deux personnages dont les rapports sont transformés car ils n sont plus maître -valet mais vont devenir complices au sien d’une machination contre le vieux docteur Bartolo qui séquestre la jeune Rosine ; La dimension spectaculaire de l’entrée en scène de Figaro est  liée à son activité de compositeur ; il cherche les paroles de sa nouvelle chanson et le dramaturge peut concilier ainsi comique de situation et comique de geste. Figaro est ainsi rattaché au caractère traditionnel du valet amoureux de la bouteille , cliché comique depuis la comédie antique et médiévale. 

L’entrée en scène imaginée par Musset pour  son drame romantique ,On ne badine pas avec l’amour, , emprunte elle aussi des clichés dramaturgiques ; l’auteur s’inspire de la tradition antique et réintroduit le personnage du choeur sur scène comme une sorte de  récitant qui présente le personnages ; Il s’agit de mettre en scène l’entrée rocambolesque de deux serviteurs qui précèdent leurs maîtres, les héros de la pièce , Camille et Perdican. Leur portrait est construit sur des ressemblances et une opposition. Le comique de caractère est très présent .  Cependant la dimension visuelle pourrait ne pas être traduite par la mise en scène comme dans une tragédie ou ce qui est hors scène est pris en charge par les paroles des messagers . En effet, les commentaires du choeur ont une dimension poétique incontestable et Musset prétendait écrire du théâtre sans tenir compte des contraintes scéniques . De plus, le drame romantique mêle des aspect traditionnels empruntés à la comédie avec des éléments qui s’apparentent davantage au spectacle tragique ; On peut évoquer le ton prophétique du choeur qui évoque une menace future   “Puissions -nous retrouver l’enfant dans le coeur de l’homme ” ou les prières de dame Pluche . Le dramaturge met en place une annonce spectaculaire qui retrace ainsi l’apparition des héros, annoncée par leurs serviteurs. 

A première vue, rien de spectaculaire dans l’entrée en scène des vagabonds Vladimir et Estragon, créatures imaginées par le dramaturge Samuel Beckett pour figurer l’angoisse de l’homme contemporain confronté à l’absence de Dieu. L’espace scénique est  quasi vide : une route à la campagne avec arbre autant dire n’importe où et les  descriptions des personnages sont réduites à quelques accessoires symboliques: des chaussures trouées , un chapeau , une démarche clownesque ” à petits pas raides, les jambes écartées ” . Pourtant le dramaturge prend soin de chorégraphies l’échange laconique entre les deux personnages et instaure un espace de contradiction qui ne laissera pas le public insensible; paroles et gestes ne sont plus accordés : Vladimir veut embrasser son ami et lui tend la main ; Estragon feint de donner des précisions sur le fossé où il a passé la nuit mais son geste reste en suspens.  (sans geste ) ” par là “ Le public assiste à une sorte de ballet  silencieux composé de gestes  du quotidien  : lenver ses chaussures, ôter et nettoyer son chapeau ) et ces petits riens donnent à l’apparition des deux héros une dimension spectaculaire.  De plus la relation être eux est complexe et paraît instable : à la différence de l’amitié solide de Pylade et Oreste présentée comme inamovible dans la scène d’exposition de la  tragédie de Racine , la relation entre Vladimir et Estragon oscille sans cesse de l’affection à l’animosité . Le théâtre de Beckett nous donne ainsi à voir ce que nous sommes : il nous réfléchit en même temps qu’il nous pense . 

 

19. mai 2019 · Commentaires fermés sur Beckett : un théâtre surprenant qui montre le tragique de la condition humaine ; Eléments de présentation générale: En attendant Godot · Catégories: Première · Tags:

Il est difficile de définir le théâtre de l’absurde et en particulier les pièces de Beckett ; Passons en revue quelques critères : certains ont affirmé qu’il s’agit de mettre en scène le néant : le néant de l’homme et le néant de l’existence. Mais comment cette idée peut-elle prendre forme sur une scène de théâtre ? Que va-t-on montrer au public pour qu’il comprenne cette intention ?  A propos de En attendant Godot, Sartre , déclare en 1960,  que c’est « la pièce qu’[il] trouve la meilleure depuis 1945 » mais ajoute que c’est une pièce « expressionniste ». Il signifie par là qu’elle repose sur un conflit entre l’homme et le monde.   Mais de quel conflit s’agit-il au juste ? Beckett a glissé dans ses dialogues des références à l’Histoire mais également à sa propre vie. Cet auteur considère  le théâtre comme un langage où on utilise des symboles pour renvoyer à une réalité concrète, triviale et douloureuse.  Nous verrons ainsi comment Beckett se sert du réel pour en créer une représentation.

 

Un thème fondamental : montrer  la violence dans l’histoire.

La première expérience à laquelle fait allusion le dramaturge est celle de la seconde guerre mondiale  dont les horreurs ont bouleversé nos représentations du monde. Aussi En attendant Godot se présente d’abord comme un témoignage douloureux de cette faillite existentielle illustrée à la fois dans les dialogues mais également dans la mise en scène.

Une expérience tirée d’éléments  personnels .

En effet en parlant de la seconde guerre mondiale, Beckett renvoie à son histoire. Au moment où la guerre éclate, il se trouve en Irlande,  mais plutôt que d’ accepter la neutralité  de ce pays qui lui assure confort et sécurité, il décide de s’engager dans la résistance et s’installe à Paris. Il échappe in extremis à la gestapo grâce à la femme d’un ami, au moment où celui-ci est fait prisonnier et est interné au camp de Mauthausen où il mourra  en 1945. Beckett se réfugie alors immédiatement  en zone libre dans le Vaucluse, à Roussillon d’Apt où il restera de 1942 à 1945. C’est cet espace qu’évoque Vladimir lorsque ce dernier tente de rappeler à Estragon le souvenir d’un passé heureux : « Pourtant nous avons été ensemble dans le Vaucluse […]. Nous avons fait les vendanges, tiens, chez un nommé Bonnelly, à Roussillon.» Ce passage est inspiré de  l’existence de Beckett. Ce dernier nomme notamment la personne qui l’a accueilli et  lui a donné du travail . Le spectacle ici  se nourrit de la réalité.

Un univers à l’image de l’univers concentrationnaire.

Dans les répliques des personnages, les mots se dérobent souvent à la situation de communication sur le plateau  pour  renvoyer à une autre situation connue du public:celle des camps de concentration et des exodes de population. Les « ossements », les « charniers », les histoires de « carottes », de « radis » et de « navets », les préoccupations d’Estragon relatives à ses  chaussures n trouées ou qui le font souffrir  sont des allusions à l’extermination, la famine et les conditions de vie dans les zones occupées. On sait d’ailleurs que le dramaturge désirait dans un premier temps donner à Estragon le nom juif de Lévy : le personnage aurait ainsi fait penser immédiatement aux victimes juives du nazisme . Cette réplique d’Estragon, « Je ne sais pas. Ailleurs. Dans un autre compartiment. Ce n’est pas le vide qui manque. »,  renvoie  ainsi indirectement aux trains de la mort mais également, par double sens, à la vacuité de l’existence. Derrière ce propos  en apparence banal se cachent des considérations philosophiques: il s’agit de dire combien l’homme est prisonnier de sa condition : il vit dans un univers clos, hermétique, sans transcendance possible (où les Dieux sont attendus en vain et ne sont plus d’aucun secours )  ;  il ne peut  échapper  à son existence et progresse inexorablement vers sa mort. Cette pièce, tout en rappelant l’Histoire tragique  la dépasse pour montrer, à travers ces deux vagabonds , la condition tragique de l’homme.

 Un univers de fin du monde

Ces références à l’histoire sont en fait utilisées pour créer une représentation du monde qui correspond à celle d’une génération qui a vécu le traumatisme de cette seconde guerre mondiale.Le monde apparaît comme un enfer. Il s’agit d’un « enfer dans les nuées », celui d’Hiroshima et de Nagasaki, mais également celui des ruines de notre humanité où les rapports humains sont autant de supplices, où l’échange verbal  peut s’apparenter parfois à des séances de torture,  « Voilà encore une journée de tirée » dit Estragon, « Pas encore » lui répond Vladimir. Cette évocation de l’enfer sur terre  ressort également dans la mise en scène. : un lieu vide  en ruines comme après la fin du monde. Le thème du jugement dernier est suggéré par la représentation de l’arbre seul décor sur scène  ; il s’agit là sans doute de l’arbre du purgatoire condamné à la stérilité par la faute du premier homme.

Les personnages.

En perte d’identité.

Les personnages de Beckett sont à la fois particuliers et universels. Ils ont des noms propres : Vladimir, Estragon, Pozzo, Lucky, Godot, et les deux premiers semblent bénéficier de noms affectifs qu’ils se donnent l’un l’autre : Didi, Albert ; Gogo.  Par ailleurs leur identité n’est pas assurée comme le révèle Estragon lorsque Vladimir l’interpelle : « Alors te revoilà, toi »/ « Tu crois ». Estragon semble  mettre en doute l’affirmation même  de son existence Cela est d’autant plus problématique que les personnages paraissent parfois amnésiques: ce qui les condamne à répéter sans cesse la même vie, sans évoluer,. Le temps les empêche de se penser, « . Le temps fuit sans laisser d’empreinte dans la mémoire et dans leur être friable « de sable » (p. 81). Polo déclare : « Un jour nous sommes nés, un our nous mourrons, le même jour, le même instant, ça ne vous suffit pas ? »

Cette perte d’identité produit plusieurs résultats. D’abord les personnages peuvent figurer divers couples : ils peuvent être amis,  frères, parents . Ensuite leur amitié semble impossible puisque cette relation nécessite à la fois une durée et une mémoire ce qui n’est pas le cas. Le semis partagent des souvenirs et leur relation évolue.

L’impossible amitié

Les personnages principaux semblent  tout d’abord se connaître et éprouver une certaine affection l’un pour l’autre. Ils se donnent des surnoms comme pour en témoigner. Cependant très rapidement nous voyons que leur relation est plus complexe. Elle est faite à la fois de haine et d’amitié. Dès la scène d’exposition, nous  le constatons  : « V.- Je suis content de te revoir. Je te croyais parti. / E.- Moi aussi. ». Il ne s’agit que de formules de politesse insignifiantes, si bien qu’on ne sait si Estragon est heureux de revoir V. ou s’il se croyait lui-même parti. Tout de suite après, le même Estragon refuse à Vladimir de l’embrasser et s’irrite.  La relation entre les personnages oscille ainsi entre douceur et agressivité.

La même relation de politesse et d’indifférence intervient entre ces deux personnages et Pozzo et Lucky. D’abord d’une extrême politesse avec Pozzo, lorsqu’il tombe, ils hésitent à le ramasser et à lui demander de l’argent en échange de leur aide. Quant à Lucky, alors qu’il suscite, dans un premier temps, des sentiments de compassion chez Vladimir et Estragon, les deux compères deviennent ensuite agressifs  pour se venger des coups qu’il a donnés à Estragon. Enfin, ils peuvent être tout à fait indifférents à son sort au point de le considérer comme une bête de foire.

Leur solitude impose à Estragon et Vladimir deux solutions, soit de se séparer ; soit de se suicider en se pendant. Ils ne peuvent se résoudre ni à l’une ni à l’autre. D’une part, ils sont irréductiblement attirés l’un par l’autre, d’autre part ils tiennent trop à leur vie pour se pendre,  Ainsi, ils semblent obligés de vivre ensemble que cela leur soit agréable ou non. Cette situation apparaît comme un miroir de l’existence humaine qui permet à Beckett de dénoncer la précarité de la vie en société . De plus, ces hommes ne peuvent pas même se tourner vers Dieu.    

Dieu ne viendra finalement pas

La venue de Dieu est est également remise en question dans En attendant Godot. La relation entre Dieu et ses fidèles devrait être une relation de confiance; or Vladimir et Estragon ont beau attendre leur salut  de son apparition, celui-ci ne vient pas pour les sortir de leur prison alors qu’il avait promis de venir et qu’ils passent leur temps à l’attendre.  Dès lors l’idée de paradis ne peut être qu’une carotte pour le croyant , un mensonge qu’on lui fournit pour qu’il continue à avancer. La véritable relation entre Dieu et les hommes est sans doute symbolisée par le couple Pozzo-Lucky. « Pozzo paraît », sa voix est « terrible » et il se dit être « d’origine divine ». Ce personnage incarne ainsi  un aspect de la figure divine, une figure profondément injuste et hautaine à l’égard de Lucky qu’il maltraite. Dans ce contexte, la corde attachée au cou de Lucky indique que le lien qui les relie de sujétion. Enfin, cet abandon de l’homme par Dieu apparaît encore avec le jeu du personnage du jeune garçon. En effet celui-ci est normalement censé annoncer la venue de Godot, mais à chaque fois il disparaît aussi vite qu’il était apparu, apeuré par Vladimir et Estragon. Or en grec « celui qui annonce » est dit angelos et ce jeune garçon révèle combien l’humanité fait fuir les anges, combien les cieux ont déserté la terre.

La représentation et le public.

Depuis Aristote et sa Poétique, la tradition théâtrale établit un lien  avec les spectateurs. Il s’agit à la fois de plaire et de toucher, c’est-à-dire de divertir et de ne pas ennuyer. Beckett semble aller à l’encontre de ces recommandation.

Les personnages refusent le spectacle.

Les personnages refusent de sourire aux spectateurs. Leur présence sur scène ne leur procure aucun plaisir. Il se déclarent malheureux, qu’on pense à Luky, esclave de Pozzo, réduit à une bête de foire ; ou qu’on songe aux autres personnages qui sont « sur un plateau », « servis sur un plateau ». Cette réplique de Vladimir a plusieurs sens : un sens  géographique ou sténographique : ils sont sur un plateau de théâtre /  et un sens gastronomique : les personnages sont soumis à l’avidité des regards du public comme de la nourriture servie sur un plateau . Par ailleurs, le premier sens exprime l’enfermement tragique ; les personnages ne peuvent échapper à cet espace. x.Ils ont une attitude défiante à l’égard de ce qui les entoure. Mécontents de leur situation, ils agressent le public. Nous pouvons tout d’abord évoquer les insultes dont sont victimes les spectateurs, ces « gens sont des cons » (p.15), ils constituent cette « tourbière » dont parle ensuite Vladimir en « se tournant vers le public ». pas décomposée, d’origine végétale ».  Cette idée est développée lorsque les personnages regardent vers le public et voient des « cadavres ».

Ces insultes se poursuivent dans ce qui est offert à entendre et à voir, dans les dialogues et dans la représentation. Les personnages provoquent le public en usant de gros effets qui ressortissent au bas corporel : il s’agit des mictions de Vladimir (qui fait pipi), des pets de Pozzo, du jeu équivoque de succion , lorsqu’Estragon suce ses carottes. De façon générale, les personnages se moquent du public en le frustrant du spectacle qu’il est venu voir au théâtre et la représentation peut déclencher un malaise chez certains.

    

    1. Beckett déçoit les spectateurs

 

C’est d’abord la tradition théâtrale du rire que nient les personnages. Alors que certaines situations peuvent prêter à rire, les personnages l’interdisent aux spectateurs. C’est Vladimir qui impose cette attitude sérieuse en affirmant qu’ « on n’ose même plus rire ». Le tragique contamine le comique.

Les épisodes comiques se présentent alors comme des mouvements à réprimer. V. « part d’un bon rire qu’il réprime aussitôt en portant sa main à son pubis, le visage crispé ». Ces didascalies expriment cette même idée que notre condition de mortels,   nous écarte toujours de la spontanéité du rire ; mais elles révèlent encore le projet du dramaturge de présenter au lecteur/spectateur des objets de distraction qu’il lui retire aussitôt. Il en va ainsi de la blague inachevée des Anglais. La représentation renvoie ainsi le public à sa position de voyeur

A la place du spectacle que le public attend , l’auteur propose une représentation de l’ennui. Cet ennui est annoncé dès le silence initial, qui n’est pas ce qu’est venu entendre l’auditoire, illustré par l’exclamation d’Estragon « rien à faire ». La pièce se refuse une fois de plus aux ressorts habituels de la représentation théâtrale : il n’y a pas d’action ni d’intrigue. Les personnages, privés de fonction dramatique, sont alors condamnés à répéter les mêmes propos et les mêmes gestes, dans une organisation scénique elle-même répétitive (chaque acte est divisé de cette façon : V. et E/ arrivée de P. et L./ le messager). Enfin, c’est l’écriture qui achève de frustrer l’auditeur et le lecteur.      

Le théâtre de l’absurde n’est pas un théâtre divertissant .

La pièce offre toutefois une dimension visuelle puisque Beckett parlait d’un côté « ballet » de son œuvre. Le jeu des personnages apparaît comme une chorégraphie avec des objets du quotidien : chaussures, chapeau . L’entrée en scène surprenante de Pozzi et Lucky a une dimension spectaculaire et certains metteurs en scène ont imaginé des décors de fin du monde (ruines, terrain vague, maisons éventrées ) et des costumes qui suggèrent que Vladimir et Pozzo vivent dans la rue comme des sans -abri.

Une pièce surprenante donc qui évoque le tragique de la condition humaine et la difficulté d’établir des relations de confiance et d’amitié . Elle montre également la violence des rapports humains .

 

 

 

09. mai 2019 · Commentaires fermés sur Je vous salue ma France : Aragon tente de redonner de l’espoir à la Résistance · Catégories: Première

Version 1  :  Lorsqu’on envisage la notion d’engagement en poésie , ou plus généralement , en littérature, on fait souvent référence à un engagement politique pour défendre une cause, notamment en cas de conflit.; La poésie de la Résistance est née de la volonté de certains poètes d’utiliser leurs mots comme une arme de résistance mais il fallait le faire de manière allusive afin que les Allemands ne censurent pas les textes ou ne fassent pas emprisonner leurs auteurs . En août-septembre 1943, Aragon, sous le pseudonyme de François la Colère, fait imprimer clandestinement, pour courir moins de risques , Le Musée Grévin. Le poème est ensuite distribué à Paris sous forme de tract. Les six  strophes, des quatrains d’alexandrins aux rimes croisées, sont les dernières du poème. Le poète, imaginant que la guerre est achevée, fait le tableau d’une France victorieuse afin de galvaniser l’esprit de Résistance des Français victimes de l’occupation .  Comment dépeint-il la France ? Nous étudierons d’abord les images de la Guerre et des souffrances endurées  avant de montrer la France victorieuse et l’hommage que lui rend le poète . 

 

 Version 2  : Contrairement à Benjamin Perret  et à d’autres auteurs , qui refusent par principe toutes poésies de circonstances, Aragon fait partie de ces poètes comme Desnos ou Eluard  , qui choisissent de s’engager dans leur poème. Ainsi, dans «  Le Musée Grévin  », paru clandestinement pendant la seconde  guerre mondiale alors qu ‘une partie de la France était occupée par les Allemands , Aragon exprime son patriotisme et sa foi dans l’avenir. Dans une partie de ce long poème de facture traditionnelle, composé de six  quatrains d’alexandrins aux rimes croisées, il imagine le pays libéré des ombres de son passé et il fait un portrait de la France qu’il aime. Nous verrons comment l’Histoire vient s’inscrire dans ce texte qui, à bien des égards, ressemble à un hymne ou à une prière. Enfin, en analysant l’éloge qu’il fait de la France, nous tenterons de préciser l’ « idée » que le poète se fait de son pays. 

Les paragraphes ci-dessous permettent de répondre à différentes problématiques: à vous de les organiser en fonction de la question qui vous sera posée …

 I  Images de la France 

Les souffrances de la France 

Dès le  premier vers , les années d’occupation sont rappelées par l’expression “arrachées aux fantômes “ : le verbe arracher connote la violence de cette période et l’image du fantôme évoque , à la fois la peur qu’on pouvait ressentir devant les nazis mais également l’idée qu’ils font maintenant partie du passé et qu’il ne faut plus les redouter. La Guerre prend la forme symbolique d’une tempête avec notamment les images du Déluge au dernier vers, déluge qui rappelle la catastrophe biblique qui a failli détruite l’humanité car seuls quelques hommes , choisis par Dieu, ont été épargnés et ont pu sortir du navire échoué au sommet du mont Ararat , au bout de 40 jours de pluies diluviennes qui ont recouvert le monde; En utilisant ce mythe de l’Arche de Noé , le poète rappelle l’ampleur de la catastrophe et incite les hommes à la combattre. Au vers 9 , on trouve l’image de l’accalmie avec les vents qui représentent les assauts violents des ennemis . L’avant dernière strophe fait des allusions plus précise à l’Occupation avec l’image de Paris et des exécutions des résidants : “Paris, mon coeur , trois ans vainement fusillé ” : avec la périphrase en incite, mon coeur, Aragon montre son attachement à sa ville qu’il a été contraint d’abandonner justement en 1943 par peur d’être arrêté comme le fut son ami Robert Desnos qui était demeuré dans la Capitale et que la gestapo est venue chercher chez lui pour le déporter à Auchwitz et qui décéda, fortement affaibli, peu après la libération des camps de concentration. 

Une France victorieuse 

 Pour faire échec à ce désastre, Le poète imagine alors un Pays victorieux qui se reconstruit alors que la réalité historique est très sombre parce que les alliés commencent à peine à obtenir quelques victoires militaires . C’est ce que les historiens nommeront le tournant de la guerre. La France dont rêve  le poète est une France en paix et un pays qui  chante : on peut ici penser à la fois aux chants de victoire qui retentiront à la libération et qui sont des témoignages de joie mais également aux hymnes que les combattants entonnent pour se donner du courage avant la grande  bataille ou simplement dans les moments difficiles . Et cette France , le poète en fait l’éloge : il vante le soleil de sa diversité , au vers 16 : peut être une allusion aux populations française des colonies ou aux divergences d’opinions des français entrés en résistance qui réussiront à surmonter leurs clivages politiques pour faire cause commune contre l’ennemi; cette union sacrée de la résistance est rappelée par le drapeau arc-en ciel, qui rappelle les écharpes des maires et les couleurs du drapeau français ; Cette France est personnifiée mai ile poète n’oublie pas de saleur le courage de ses habitants : “ma France où le peuple est habile / à ces travaux qui font les jours émerveillés ” . Il s’agit ici d’évoquer les beautés du patrimoine mais également les exploits de la Résistance qui à son échelle, accomplit chaque jour des miracles en cachant des juifs, en donnant de faux papiers à ceux qui ont en besoin, en s’affublant de fausses identités ou en vivant clandestinement . 

II Hommage à la France 

Un hommage à une  France éternelle 

L’anaphore “je vous salue ma France ” peut se lire à la fois comme un hommage appuyé au courage d’un pays mais également comme une sorte de prière , d’hymne qui rappelle l’invocation du “je vous salue Marie “chrétien . Saluer, au sens étymologique, c’est avant tout  s’incliner devant celui qu’on respecte et lui rendre hommage. Le ô lyrique du vers 2 et les formules exclamatives accompagner ce témoignage de dévotion et la France d’Aragon, est une France éternelle, victorieuse d’autres combats ; En effet, la mention au vers 3, d’anciennes batailles: Orléans, Beaugency, Vendôme remportées par les Français contre les Anglais  : en effet, durant la guerre de cent ans, Jean d’Arc réussit à sauver Orléans ; Vendôme fut le théâtre de violents affrontements entre le roi de France et Richard coeur de Lion et ensuite entre armée anglaise et armée française commandée par Charles VII  ; et Beaugency marque une éclatante victoire militaire de Jeanne d’Arc. Le poème d’Aragon prend ainsi  des allures de ballade médiévale avec son refrain, les références historiques et le souvenir de la chanson du troubadour Charles d’ Orléans qui s’intitule en regardant le doux pays de France et qui évoque le bonheur de la paix retrouvée et l’amour du prince-poète pour son pays. Cette France de toujours c’est celle qui a déjà réussi à triompher des périls du passé ; En rappelant l’histoire de France; Aragon présente une image d’une France  “heureuse et forte ” ; 

Un vibrant éloge 

L’hommage est appuyé par des procédés rhétoriques comme l’anaphore , le ô lyrique, l’utilisations d’ images, la musicalité des nombreuses allitérations et assonances  comme aux vers 2 “vaisseau sauvé des eaux ” ou au vers 24 en “d’au-delà le déluge salut ” ; on notera aussi l’utilisation du chiasme au vers 6 “jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop ” qui oppose en les rapprochant, amour et tourment c’est à dire la peine du poète lorsqu’il pense aux malheurs de sa patrie. Tourment est ici employé au sens originel de ce qui peut causer la mort de quelqu’un, ce qui le fait souffrir profondément physiquement et moralement . Les sentiments du poète te le lien qui l’unit à son pays apparait à travers  les images choisies. Tout d’abord ces cloches de la victoire qui sont associées à l’angélus des oiseaux peuvent faire penser à une sorte de musique céleste et on peut les associer au paradoxal “silence des harpes ” que la Liberté fait frémir ; C’est à dire que la Liberté retrouvée va permettre d’entendre à nouveau la musique divine de ces instruments à corde comme si elle apportait le souffle capable de les faire vibrer .Le verbe frémir est utilisé ici au sens de début d’un mouvement comme une eau qui commence à frémir sou l’effet de la chaleur, les harpes commencent à bouger et ce sera le Paradis retrouvé Ainsi la poésie elle même est , par sa musique, une ode à la France et à la liberté. 

III Poème engagé 

Un poème engagé : une poésie de circonstances 

Poème de circonstances écrit à faveur du départ d’Aragon de Paris pour se réfugier en zone libre , le Musée Grévin exalte le patriotisme de son auteur mais , à la différence de son poème, j’écris dans un pays dévasté par la peste , Aragon se montre beaucoup plus allusif et ne cite aucun nom précis ; En fait il s’intéresse surtout au futur de la France et occulte volontairement les souffrances du passé pour se consacrer à la peinture d’un avenir radieux. En ces temps troublés,  en effet, les français ont surtout besoin  d’avoir confiance en l’avenir et de croire qu’une victoire est encore possible . Donc l’occupation est suggérée à travers les fantômes et les oiseaux symbolisent des messages d’espoir . Le poète est lui-même un messager porteur de bonnes nouvelles  comm eues sort d’hirondelle. Les yeux de tourterelle de la France en font une femme triste et les passereaux dans le ciel peuvent faire référence à tous ceux qui sont partis ou ont du quitter la France  : soldats, prisonniers, déportés , déplacés , exilés volontaires ; Quant à l’oiseau du large, au vers 12, qui désigne-t-il au juste ? On peut penser au message poétique, à une sorte d’esprit francophone comme un souffle sacré ou éventuellement à l’action du général De Gaulle et des forces française libres passées en Angleterre juste après l’appel du 18 juin 1940. La colombe et l’aigle représentent tous deux deux facettes de la France : celle qui lutte pour la paix car la colombe est le symbole de lapais mai c’est également l’oiseau qui annonce que les hommes sont sauvés car elle aperçoit la terre après le Déluge ; l’aigle est un oiseau de combat qui est certes l’emblème de l’armée allemande mais aussi celui des légions romaines et napoléoniennes. Donc on peut plutôt aux deux facettes de la France : l’audace pour les résistants et le chant pour donner des forces à ceux qui ont peur .

Un lien patriotique très fort 

Tout au long du poème Aragon chante son amour pour la France et cet amour prend différentes formes ; D’abord il personnifie le Pays sou else traits d’une femme aimée avec le possessif “Ma farce ” qui affirme leur proximité et le vouvoiement qui traduit une forme de respect . Le poète compare son pays à  un amour et avoue son très grand attachement avec des adverbes comme toujours et jamais qui confèrent un caractère absolu au sentiment amoureux ” mon amour jamais trop ”  au vers 6  et “mon coeur ” pour traduire son affection pour Paris, sa ville . Au vers 7 “Ma France mon ancienne et nouvelle querelle ” , Aragon tente justement de dépasser le cadre d’un simple poème de circonstances en indiquant le caractère éternel de son amour pour un pays dont il rappelle justement les origines avec les allusions aux événements historiques du passé  médiéval; Ce n'(est pas seulement à la France de 1943 qu’in pense mais à la France de Charles X le prince poète et soldat ; Il célèbre également la mémoire et le souvenir de tous les héros mort pour la patrie avec cette image du  “sol semé de héros ” comme si chaque homme tué devenait une graine qui donne de la force à la terre elle-même pour résister à de nouveaux assauts .

 Conclusion :  Ecrit à l’origine pour redonner de l’espoir à toutes les familles dont l’un des membres a été déporté, les premières strophes du poème font allusion au retour des prisonniers dans leur pays et à la joie  des retrouvailles avec leur famille . Sur la même lignée utopique, le poète imagine alors une France radieuse, belle et libre , débarrassée de ses envahisseurs et prête à célébrer une éclatante victoire . Cette création imaginaire contraste avec les tonalités pathétiques des poèmes d’occupation dans lesquels les poètes chantent leur colère , leurs douleurs et invitent au combat et à la résistance contre l’oppression ; Aragon a trouvé ici une manière originale , en puisant dans la tradition de la balade médiévale, de regonfler le moral des Français . On peut alors se demander , en temps de guerre , quelle est l’arme la plus efficace pour chanter son amour pour son pays et le faire partager ?

25. mars 2019 · Commentaires fermés sur Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage …l’attachement au pays natal . · Catégories: Première

Le premiers vers du sonnet pourrait nous entraîner sur une fausse piste: en effet, l poète ne célèbre pas la joie de voyager mais au contraire, la joie de revenir parmi les siens goûter le véritable bonheur . Parti accompagner le voyage à Rome de son cousin, Du Bellay mesure à quel point la France lui manque. 

Le poète se compare ainsi au célèbre héros grec et souhaiterait retrouver le village angevin qu’il a quitté pour accompagner son oncle à Rome à l’occasion de la nomination de ce dernier au poste de cardinal. Voyons comment le sonnet marque à la fois les regrets du départ  et l’attachement au pays natal .

En fonction des 4 questions posées à l’oral, essayez de détailler, de  combiner et de recomposer les plans suivants afin qu’ils répondent le mieux possible aux attentes de l’examinateur . 

a) en quoi ce poème est-il lyrique ?

b) en quoi ce poème évoque-t-il la mélancolie ?

 c) comment sont exprimés les regrets du poète et de quelle nature sont -il s?

 d) en quoi ce poème peut il être qualifié d’humaniste ?

Examinons tout d’abord deux plans de commentaire littéraire issus de deux sites différents afin de comprendre comment il est possible de les réutiliser pour répondre à la question posée . Sur commentairecompose.fr, voilà le plan proposé ..

 I. Un sonnet pour exprimer la douleur de l’exil

a) lyrisme et complainte

b)un exil douloureux

II La comparaison entre Rome et le village natal

a) une opposition rythmée

b) le contraste entre froideur romaine et douceur angevine

III Un poème qui témoigne d’un projet poétique humaniste

a) valeurs et références humanistes

b) défense de la patrie et de la langue française

Deuxième possibilité : sur le site de l’académie de Versailles : un travail très complet autour de ce poème

 

 

 

 

 

 I  Le poète voyageur

a) le leitmotiv du voyage

b) la figure d’Ulysse

c) une lecture autobiographique

 II Voyage et mélancolie 

a) les procédés de la nostalgie

b) l’évocation des lieux

c) la tonalité élégiaque

III La signification du regret

a) le mythe du voyage

b) un regard Humaniste sur l’Histoire

c) du singulier à l’universel

Quelques éléments qui pourront être utilisés dans l’introduction :

Des éléments biographiques en relation avec le poème :1550-1557 : Du Bellay està Rome pouraccompagnerson cousin, le cardinal Jean du Bellay, à Rome et lui servir de secrétaire. En1553, ilécrit Les Antiquités de Rome, des vers latins et des poèmes d’amour dédiés à une jeune romaine .

Circonstances de la composition des Regrets: on y litl’amertume d’un homme déçu quirêvait de débuter une carrière diplomatique et se retrouve chargé de l’intendance : “Je suis né pour la Muse, on me fait messager.” (sonnet 39). Ilsouffre du mal du pays, regrette l’indépendance et l’inspiration de jadis, la cour et la faveur du roi, les amis notammentRonsard, le foyer, la France, sa province natale. Ildécouvre les “vrais” romains, les distractions, l’hypocrisie, l’ambition, les turpitudes de la ville des cardinaux, leur vie futile et médiocre.

L’oeuvre : Le recueil des Regrets est composé de 191 sonnets publiés en 1558 ; la plupart ont été écrits en Italie . On y retrouve des imitationsde poètes grecs et latins, mais égalementl’expression d’une poésie personnelle ; c’est une sorte de journal de voyage d’une âme douloureuse et sincère, tantôt élégiaque et tantôt satirique. 

Construction du poème :sonnet

1er quatrain : l’aspiration au voyage contraste avec aspiration au retour vers la terre natale (généralité)

2ème quatrain : expression de la nostalgie du poète exilé (cas personnel)

1er et 2ème tercets : comparaison et opposition entre le pays d’exil et le pays natal

Analyse linéaire :Heureux qui !(en latin “Félix qui !”…) exclamation à la manière antique. Du Bellay a d’abord écrit ce sonnet en latin .Son inspiration est antique car l’ humanisme est une période où on redécouvre les oeuvres  des Latins et des Grecs. Le modèle et la source d’inspiration possible seraient les poèmes “Les Tristes”  d’Ovide, écrits à bord du bateau qui l’emmenait vers l’exil sur les bords de la Mer Noire . Le poète y exprime sa nostalgie  et son souhait de revenir.

Ulysse :référence mythologiqueà un voyage de retour long et douloureux en raison de la vengeance de certains Dieux de l’olympe qui avaient soutenu les Troyens contre les Grecs. 

Cestuy-là”: celui-là qui conquit la toison = Jason. C’est la seconde référence à un mythe antique:Jason est un navigateur qui a réussi à rapporter la fabuleuse  toison d’or . Jason vient prolonger la référence aux héros antiques avec Ulysse au premier vers. Le poète rêvait de leur ressembler . 

Le premier quatrain montre  les aspirations  de l’enfant qui rêvait d’être héros et  l’ambition de l’homme jeune  qui voulait faire une carrière diplomatique . Mais la réalité de la situation du poète est différente et cela justifie la présence de deux tons différents 

“Plein d’usage et raison: usage = expérience, mais le mot connoteaussi l’idée d’usure. Ulysse est un homme “plein d’usage et raison”, mais qui a perdu ses illusions ; son expérience a été acquise au prix de souffrances et d’épreuves comme Du Bellay qui se compareà lui (comme..)

Quand reverrai-je, hélas...” : soupir, cri du cœur. L’interjectionhélas!” est le maître mot de l’élégie.Elle se caractérise par une nostalgie douloureuse et révèle lebonheur perdu.”Reverrai-je” : le verbe est au futur pour montrer l’espoir du retour et les incertitudes qui l’accompagnent.

Fumer la cheminée”:Icicheminée est une métonymiepour désigner la maison ; Les mots mis en rejets (“Fumer”, “Reverrai-je”) prennent un relief particulier.

Leclos désigne le jardin, l’enclos ; noter l’opposition entre “ma pauvre maison” et “qui m’est une province (c’est-à-dire un royaume), ainsi quel’hyperbolebeaucoup davantage“. Le mot “clos” est peut-être la “clé” de ce poème fondé sur l’opposition entre l’ouverture(la jeunesse, le voyage, la mer, Rome…) et la clôture(l’âge mûr, les parents, la maison…), opposition que l’on retrouveexpriméedans la pointe du sonnetEt plus que l’air marin la douceur angevine.

La” cheminéeest égalementun mot qui renvoie allusivementà la notion de   foyer , defamille,  les parents.Le foyer est étymologiquementle lieu où brûle un feu et particulièrement l’âtre de la cheminée. Le foyer ou “feu” était l’unité dans le décompte de la population des villages tenu par le clergé, à partir des cheminées des bâtisses ( on estimait environ 10 personnes par foyer).La cheminée qui fume est lamétaphoredubonheur perdu ;la fumée étant signe de présence vivante ; La vision de “la” cheminée qui fume est l’anticipation du moment magique  qui précède les retrouvailles, riche de tous les souvenirs familiers.

Vivre entre ses parents le reste de son âge” :  Ils’agit ici d’une projection d’un nouveau bonheur à venir qui découlerait des retrouvailles avec les siens. 

2ème quatrain : comme le veut la tradition ,le poète aborde ici une dimension plus personnelle.

Plus me plaît”.”Plus que le marbre”…”Plus mon Loire gaulois...” (prononcer “Loi-re” :(en latin le nom de fleuve est masculin et ici le poète a conservé cet usage)”Plus mon petit Liré…””Et plusque l’air marin…”L’anaphore de “plus” au début desvers permet de créer une série d’oppositions  avec un effet rhétorique de répétition et de symétrie.Remarquer que dans le deuxième et le dernier vers, qui constitue la “pointe” du sonnet,  la structure symétrique est inversée, ce qui rompt la monotonie du procédé.

 La périphrasele séjour qu’ont bâti mes aïeux n’est pas une simple reprise analogique, de “pauvremaison” ; elle importe une information supplémentaire, l’idée de patrie et peut-être aussi la revendication orgueilleuse de l’appartenance à une “lignée” ; la “maison” de du Bellay était prestigieuse ;Il est en effet issu d’une noble lignée mais appauvrie par des revers de fortune.

Noter le caractère majestueux de ce vers de “Que des palais romains le front audacieux,” avec l’inversionsyntaxique : le complément de détermination est antéposé au groupe nominal et ladiérèse (dissociation des éléments d’une diphtongue) : “au-da-ci-eux” = 4 syllabes)

“Tibre latin”, “mont Palatin” : ces lieux sont en ruines au XVIème siècle, mais demeurent des noms prestigieux liés à des souvenirs antiques.Les adjectifs possessifs “mon” Loire, “mon” petit Liré  sont opposés aux déterminants définis “le” Tibre,  le Mont palatin. Ils ont une valeur “hypocoristiques”qui expriment la tendresse, l’affection et personnalisent les choses. Le poète évoque les lieux de son enfance comme des personnes aimées.

Et plus que l’air marin…” : Rome est située à 20 kilomètres de la mer, et le vers renvoie ainsi au premier quatrain, aux périples d’Ulysse et de Jason, qui sont tous deux des marins célèbres : le premier pour avoir su résister aux sirènes et le second pour avoir ramené l’équipage de l’Argos.

L’adjectif “marin”qui évoque l’air iodé et salé, au goût désagréable est opposé à “douceur”


 

Ledernier vers Et plus que l’air marin la douceur angevine”renvoie au premier : “Heureux quicomme Ulysse a fait un beau voyage” ; on peut parler de “bouclage”(fermeture) ; il s’agit aussi d’une “clausule” (dernier vers d’une strophe, d’un poème). Techniquement la clausule est définie dans l’artoratoire comme une  une structure rythmique dont la nature est d’arrêter l’élan de la phrase .Ce dernier vers contient également des images ;on imagine l’Anjou avecses maisons de craie, ses toits d’ardoise, ses étangs, les beaux arbres, un paysage légèrement vallonné, couvert de champs et de vignes (le vin d’Anjou), une nature paisible. De nos jours d’ailleurs, l’expression douceur angevine”reste associée à une atmosphère douce et vaporeuse, une certaine qualité de lumière.C‘est la “pointe” du sonnet qui se termine par un tableau qui lance l’imagination vers l’infini.

En conclusion , loin de condamner l’idée même de voyage, le poète illustre plutôt l’idée toujours actuelle que les voyages forment la jeunesse et nous permettent de mieux apprécier ce que nous avions sous les yeux sans parfois nous en rendre compte. Le poète a pu mesurer, grâce au déracinement, la valeur de son attachement à son foyer : il lui tarde de retrouver les siens et le sol qui l’ a vu naître.

 

 

24. mars 2019 · Commentaires fermés sur Poésie et Irlande: bref aperçu de la poésie gaélique · Catégories: Première

L’Irlande est très fière de ses poètes et te de son histoire littéraire et aujourd’hui encore , la parole et l’écriture poétique demeurent présentes. Les documents d’accompagnement de votre séquence consacrée au roman Retour à Killybegs sont extraits d’un recueil de poésies intitulé ” voix irlandaises ” . Des femmes poètes y écrivent leur relation avec leur pays . Elles se nomment Breda Sullivan, Maureen Martella, Linda Anderson  ou écrivent parfois anonymement . Chacune à sa manière , elles célèbrent l’Irlande , ses beautés et ses drames . Avant d’évoquer ces poèmes , un petit aperçu de l’ histoire de la poésie en Irlande ..

Voyage dans un fauteuil composé de 5 tercets de vers irréguliers évoque avec tendresse, dans un registre intimiste , une aïeule qui n’a jamais vu la mer ; le poème, avec des mots simples , souligne ainsi la ruralité de ce pays et l’amour de ces petits entants pour leur Grand-Mère qui déposent l’océan à ses pieds comme un  dernier cadeau . Le poème de Maureen Sullivan évoque la condition féminine avec humour et s’efforce de briser des stéréotypes ; l'auteur y fait parler une jeune femme qui brosse un portrait idéalisé de l'épouse parfaite "traditionnelle"  du point de vue d'un homme irlandais : bonne ménagère, docile, , qui rend hommage à son homme , le valorise; lui lave les pieds et lui cire se chaussures  et se tient toujours à sa disposition, offerte avec un grand sourire .  La chute comique du poème vient détruire cette image et nous révèle que la poétesse ne partage pas du tout cette vision de la condition féminine; elle dénonce ainsi de manière plaisante le machisme de certains irlandais. Le poème est construit avec 5 quatrains et les vers varient entre l’octosyllabe et le décasyllabe.L’absence de rime est liée à la traduction

Le long poème intitulé Motif brode l’histoire d’une relation mère/fille en revenant sur des souvenirs d’enfance; Le lyrisme personnel dessine le portrait d’une mère irlandaise qui a connu la pauvreté et sa fille lui rend hommage à travers cette poésie de forme libre où on aperçoit néanmoins quelques quatrains . Ce poème peut également être considéré comme une sorte d’éloge funèbre car la mère y est célébrée à titre posthume (  elle est morte ) ; On y décèle également un ton nostalgique : la poétesse exprime des regrets car leur relation était devenue difficile . A travers le souvenir de la confection d’une robe et des tâches ménagères que sa mère effectuait inlassablement, elle brosse le portrait de toutes les mères irlandaises que “l ‘histoire a mise(s) à genoux ” : élèves une famille nombreuse (nichée ) avec peu d’argent (recoudre les anciens habits ) ; elle choisit le tissu d’une de se anciennes robes pour fabriquer à sa fille qui retourne à l’école  sa tenue du rentrée et pour cette dernière ce vêtement symbolise sa pauvreté Pour moi elle signifiait pauvreté, “stigmate des vieux habits ” .  

Dans un registre dramatique, Linda Anderson nous fait partager une autre image de l’Irlande : celle de la violence d’un viol commise sur une femme dont le cadavre est découvert par une ronde policière ” visage contre terre, inerte dans un fossé, ” La poétesse évoqué des détails réalistes de l’Irlande du Nord avec des noms comme Belfast ou Long Kesh, la prison où sont détenus les membres de l’IRA et souligne l’indifférence des passants avec leurs “ visages de pierre ” confrontés à ces scènes . La violence entre les deux communautés catholiques et protestantes,  est suggérée notamment à travers des images comme “ barrée par des barbelés, voisins meurtriers “. La ville de Belfast est personnifiée et semble elle aussi souffrir de ces exactions qui la défigurent ; La poétesse montre ainsi que cette violence est pour beaucoup de gens attachée à l’image qu’on peut se faire de ce pays endeuillé par de longues années de guerres .Le modèle métrique du poème combine les  différents types de strophes : huitain, neuvain, deux sizains et un quintil; 

Ile reprend la forme traditionnelle du blason héritée de l’Antiquité et modernisée au Moyen-Age ; Le pays s’y confond avec le corps de l’ être aimé dans un système d’analogies qui débute dès le premier vers avec la parataxe: ton corps , une île; Le corps de l'être aimé est ainsi le lieu où l'on se réfugie  et où l'on se sent à l'abri , le lieu idéal, le locus amoenus des Anciens qui reproduit sur terre l’image du Paradis, du jardin d’Eden.   ; Les beautés et les bienfaits de la nature sont ainsi directement associés à des parties du corps : les tempes deviennent des puits d’eau fraîche, les yeux des lacs de montagne; Le poète rend ainsi un double hommage , à la fois à la beauté de l’aimée et à la beauté du pays ; L’amour pour l’Irlande et ses beautés naturelles se confond ici avec le désir amoureux ; La dernière strophe évoque un embarquement pour cette île magique qui peut se lire comme une union avec le corps aimé rejoint  ”  : dans tes champs verts, comme une île ” . 

La vierge de Granard parle est formé de strophes irrégulières aux vers libres et se fonde sur les contemplations et les observations, teintées de regrets  d’une statue de pierre qui désire s’incarner en femme véritable et se faire renverser sur un “lit de miel ” . La poétesse déplore l’existence de ce conflit meurtrier en Irlande qui oppose catholiques et protestants  et le champ lexical de la guerre contamine la Nature elle-même où les arbres gambadent à l’agonie : le cycle symbolique des saisons est utilisé pour matérialiser les transformations du pays : le froid glacial de novembre balaie la frontière mais lorsque les conflits s’apaisent, la Nature redevient bienfaitrice avec les odeurs des arbustes en fleurs et l’été qui appelle à l’amour : les cérémonies du calendrier religieux rythment le temps  qui paraît immuable ; la communion, le mariage et l’enterrement en automne ; la vie humaine semble dérisoire et “la mort n’est qu’une récolte de plus dans le théâtre des saisons ” ; Nous retrouvons deux grands thèmes de la poésie universelle  : la fuite du temps , l’impossibilité d’échapper à sa finitude ainsi que l’idée que le monde est un théâtre au sein duquel l’homme est en représentation un court instant ; Ces topoi sont connus sous le nom latin  de tempus fugit  ( Rossard le matérialise par la devise Carpe Diem ..profitons du jours présent  ) et de theatrum lundi (mouvement baroque ) . 

Chacun de ses poèmes évoque donc un aspect de l’Irlande et des Irlandais : la tendresse maternelle , l’image de la femme , l ‘attachement aux beautés de cette île  et les conflits  meurtriers entre catholiques et protestants qui endeuillent cette terre . Le poètes peuvent célébrer leur attachement à leur terre natale avec le registre du lyrisme personnel ( des souvenirs d’enfance teintés de nostalgie, la maison natale, les plaintes de l‘exilé volontaire ou contraint comme Hugo dans Les Châtiments , Du Bellay dans Les Regrets  ou adopter , dans des poèmes engagés la position d’un porte-paroles d’une collectivité ou d’un peuple pour déclarer leur amour à leur pays attaqué ou à leur Patrie en danger . ( Aragon dans Je vous salue Ma France

04. mars 2019 · Commentaires fermés sur Tyrone Meehan : un héros et un traître · Catégories: Première

Inspiré de faits réels, le roman de Sorj Chalandon retrace  l’histoire douloureuse d’une trahison ;  Tyrone Meehan activiste irlandais, membre de l’ IRA dès l’âge de 18 ans, va peu à peu accepter de livrer des renseignements aux services de contre-espionnage britannique en échange de leur silence dans sa participation à un crime. Installé à la place  du personnage principal de ce récit à la première personne  , le lecteur est emporté malgré lui, dans les tourments du héros et découvre le traître de l’intérieur. Néanmoins, l’auteur ménage, çà et   là ,des zones d’ombre et diffère la révélation de la cause principale de la trahison   comme pour nous signifier qu’on ne sait jamais vraiment pourquoi on peut être amené à trahir les siens, son pays et ses idéaux. L’écrivain permet ainsi au lecteur de se mettre, provisoirement , dans la peau d’un traître , au demeurant fort sympathique . Découvrons ensemble qui est vraiment Tyrone Meehan et comment il est construit …

 Le prologue  rédigé la veille de Noël 2006 , quelques mois avant l’assassinat du héros dans son cottage de Killybegs , parait une tentative de justification ; Le personnage a l'intention de “dire la vérité ” et le premier chapitre s’ouvre sur une plongée dans ses souvenirs d’enfance . Enfant battu et rudoyé par un père au double visage : à la fois  patriote et conteur d’histoires mais également alcoolique violent et rongé par l’amertume te le sentiment de défaite ; Soldat du Donegal, volunteer de l’IRA, Patraig Meehan, le père de Tyrone est sur le point d’abandonner sa famille pour aller combattre en Espagne en 1936 contre les troupes du général Franco, dans les rangs des Brigades internationales . Mais il restera pour subvenir aux besoins de sa famille; Homme brisé,  rapidement surnommé “bastard” par les habitants du village de Killybegs , il représente pour son fils, le modèle de l’homme qui a sacrifié sa vie pour son pays. Sa mort “lesté de sa terre ”  , plonge la famille Meehan dans la misère et les oblige à déménager.

.  (2-) A la suite d’une agression contre Kevin, le petit frère de Tyrone, la famille accepte l’hospitalité de l’oncle maternel et part vivre à Belfast dans le ghetto catholique de Cliftonville. Tyrone est alors âgé de 16 ans et il fait   rapidement la connaissance de sa voisine Sheila Costello qui deviendra sa femme et qui, dès leur premier rencontre, le surnomme affectueusement “weeman”. (petit homme – ) parce qu’elle est un peu plus grande  que lui.   Après un bombardement allemand, Tyrone contemple son premier mort et ce jour là , le 16 avril 1941,  il décide qu’il n’est plus un enfant et qu’il est , à son tour , prêt à se battre.

<p style="text-align: justify;">3 ; Le roman oscille entre récit de la vie de Tyrone et écriture de ses souvenirs à Killybegs , une ville de l’Irlande du Sud ; Tyrone a décidé de ne pas se cacher car il sait qu’ils viendront un jour le tuer . Il évoque ses souvenirs tout en caressant le sliotar usé, cadeau de Tom Williams 60 ans plus tôt .

4. A Belfast, la vie est devenue difficile pour la famille de Tyrone : le drame vécu par son oncle Lawrence l’a rendu silencieux mais en avril 42, quand la maison est incendiée par des loyalistes , il décide de mettre sa famille à l’abri dans Dholpur Lane, un ghetto protégé par l’IRA. Tyrone rencontre alors Tom Williams âgé de 19 ans et déjà lieutenant ; Pour Tyrone et les siens, l’IRA représente une protection et il rejoint quatre jours tard les Na Fianna, les scouts de l’armée républicaine. Il es lie d’amitié avec Danny Finley dont le frère jumeau Declan a été battu à mort par des jeunes protestants à Short Strand. Leur insulte préférée contre les catholiques  est Taig :  “saleté de papiste ” . Tyrone participe à sa première opération de guet en février 1942 et c’est à cette occasion que Tom Williams lui donne le sliotar qu’il gardera précieusement toutes ces années . Au cours d’une  autre opération , alors qu’il porte sur lui une arme chargée , il se surprend à sourire à une jeune soldat anglais et a honte de ce qu’il ressent alors ” cette preuve d’humanité m’a longtemps poursuivi . Et dérangé longtemps. Sous ce casque de guerre, il ne pouvait pas y avoir un homme mais seulement un barbare. Penser le contraire, c’était faiblir, trahir. Mon père me l’avait enseigné. Tom me le répétait.“( p 71) A

A Killybegs, , Tyrone tente de survivre ; Il rencontre le père Gibney qui l’informe de la visite prochaine de Joshe, Joseph Byrne, devenu franciscain et qui a combattu avec Tyrone . 

Après la mort de son oncle , tué par sa chute d’un toit en mars 1942, Tyrone poursuit son engagement au sein de l’IRA et participe à la marge des Fianna en avril 42 pour commémorer l’insurrection de Pâques 1916. Mais ce jour là, Tom Williams est arrêté pour avoir ouvert le feu sur une patrouille de police et tué un policier catholique qui portait l’uniforme anglais . Il est exécuté par pendaison en septembre 42 ; Il a 19 ans . Très vite, le quartier s’enflamme ; Sean et Tyrone sont arrêtés par les B Specials et emprisonnés à Crumlin. Tyrone réalise alors que sa vie “suffoquerait entre ces murs captifs et sa rue barbelée. “J’entrerais, je sortirais jusqu’à mon dernier souffle. Mains libres,entravées, libérées de nouveau pour porter un fusil en attendant les chaînes .” (p 105) . Le jour de ses 18 ans, il prête serment en prison à l’IRA. Il sera libéré en 1945 seulement. Et il constate alors que leur guerre à eux n’est pas finie. ” enfants de ce désastre; Pas vaincus mais désemparés. Les seuls en Europe à ne pas avoir de drapeau vainqueur à accrocher à nos fenêtres. ” (110) 

Après l’attaque d’un poste de police sur la   frontière, Tyrone est arrêté et emprisonné pour la seconde fois :  il a 32 ans et retrouve son frère Seanna en prison. Ce dernier souhaite émigrer et ne veut pas sacrifier sa vie pour son pays (texte 2 ) . Tyrone sera libéré en 1960 et à sa sortie du prison, il épouse Sheila qui lui donnera un fils unique: Jack.  En 1969, au cours d’une attaque de police contre des manifestants qui revendiquent l’égalité des droits civiques entre catholiques et protestants , Tyrone tue accidentellement Danny Finley ( p 134 ) La famille de Tyrone quitte Dholpur Lane pour aller vivre à Drogheda. Tyrone lors de l’enterrement de Danny est célébré comme un héros . Un an plus tard, il est hanté par le souvenir de la mort de Danny. En 1979, Jake est emprisonné pour la mort d’un policier et passera 20 ans en prison . 

Deux visites douloureuses sont racontées en marge de la reconstitution de la vie du Tyrone : celle du père Joseph Byrbe ( chapitre 9 ) et celle de son fils à Killybegs ( (chap 11) ; 

En 1979, dénoncé par un habitant du quartier pour avoir frappé un dealer , Tyrone retourne en prison pour 15 mois ; Il a alors 54 ans et découvre que 300 irlandais vivent nus dans leurs excréments car on leur refuse le statut de prisonnier de guerre. Il est libéré le 7 janvier 1981 au moment où Bobby Sands commence sa grève de la faim . Le lendemain l’armée vient l’arrêter et il est emmené dans les locaux du contre-espionnage où on lui montre les douilles qui ont été retrouvées le jour où Danny Finley a été tué. Tyrone est soumis à un chantage : soit il collabore, soit la vérité est révélée. Il choisit alors de trahir l’rlande et de demeurer un héros aux yeux de tous.  Trahit-il pour sauver sa réputation ? C’est en partie ce que suggère le roman. 

Lors de leur voyage à Paris en avril 1981, Sheila et Tyrone sont accompagnés de deux agents du Mi 5 et, comme pour vaincre ses dernières réticences, ils lui font la promesse que sa trahison “n’entraînera ni arrestation ni victime. Tes informations serviront à sauver des vies pas à en gâcher d’autres”. ( 196 ) Les noms de code des agents sont issus de l’opéra Arabella ; Tyrone est Ténor et Walder son interlocuteur, un policier assisté de Dominik . A Paris, Tyrone rencontrera Honoré.  

Le chapitre 15 raconte repassage d’un journaliste qui réussit à dérober quelques images de Tyrone devant son cottage: désormais on lui refuse l’accès au pub et sa solitude est complète. Sheila vient le rejoindre pour le réveillon et lui avoue son désarroi. 

En 1981 , Tyrone participe aux préparatifs de l’assassinat de Popeye, un gardien de la prison de Long Kesh. Il s’assure tout d’abord que ce dernier avait bien donné aux parents de Aidan , son codétenu , la lettre de leur fils.  Il décide alors d’aller avertir le gardien en personne. ( 226) et il se fait sermonner par le MI 5 qui réussit à lui faire avouer que Devlin a pour nom de code Mickey; En partant , ils lui donnent de l’argent pour le taxi , sa rémunération dérisoire de traître. ( p 232 ) Il décide immédiatemment de dépenser les 30 livres dans les bars de la ville en tournées . (texte 3 ) 

L’ivresse devient pour le héros un moyen d’oublier qu’il trahit ; A la fois salaud et chic type selon Walder, il donne des renseignements sans intérêt aux anglais afin de sauver Mickey mais découvre que Walder en sait déjà bien plus que  ce qu’il pensait . Mickey alias Franck Devlin est arrêté , torturé parce qu’il a été dénoncé par un violeur que l’IRA a corrigé publiquement . Les parents de  ce dernier ont porté plainte à la police royale . En août 81, Tyrone se rend à Paris où il rencontre Honoré un jeune analyste politique de 35 ans, qui travaille sur le Sinn Fein . ” c‘était un chapardeur de moutons qui profite de la barrière ouverte. Il allait passer après les autres, me presser comme un fruit. Lui avait la pâleur du fonctionnaire d’ambassade. Il avait de l’encre sur les mains. pas du sang.”  Il pense qu’il va réussir à lui faire détester Paris.

Le chapitre 18 relate la visite d’Antoine le jeune luthier français héros de Mon Traitre , à Killybegs. Une dernière étreinte unit les deux hommes et le chapitre suivant relate le parcours de leur amitié : de leur rencontre en 1977 à ce geste d’adieu en janvier  2007. La relation entre Tyrone et Honoré évolue peu à peu ( 266)  : ils se rencontrent d’abord dans des cafés ou des sites touristiques avant de prendre eleusr habitudes à la faculté de Jussieu où ils déjeunent de sandwichs et de sodas. Tyrone prend goût à ces échanges . En 1991, ils se rencontrent dans les bus de touristes ; Ils montent à l’étage et conversent à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes . Paris me donnait le courage d’affronter Belfast. Il y’a fait du respect dans le regard d’Honoré. En 1994, Tyrone sent même le regard admiratif d’Honoré à l’annonce de la décision de la cessation totale des hostilités de l’IRA; Et l’agent anglais nomme alors Tyrone par son  véritable prénom et pas par son nom d’agent Ténor.(272) 

Douze ans plus tard, lors d’un mariage , Tyrone , en surprenant certains regards de se anciens amis, se sent découvert . Dominik, le policier anglais lui demande de le retrouver au cimetière , sur la tombe de Henry Joy Mac Cracken, leur ancien lieu de rendez-vous . Il lui avoue que son nom a été donné à l’IRA  lui propose de l’exfiltrer ; Tyrone refuse , persuadé que l’IRA ne le fera pas exécuter pour respecter le processus de paix . Le 14 décembre des soldats de l’IRA, ses anciens compagnons d’armes, viennent le chercher à son domicile mais il refuse de les suivre. Le bruit  de la trahison de Meehan se répand dans le quartier et leurs bouteilles de lait sont cassées, leurs journaux ne leur sont plus livrés . Un soir Tyrone décide de se livrer à l’ IRA ( p 309 ) Aprè des aveux publics, ils le gardent quatre jours . Il part ensuite es réfugier à Killybegs dans sa maison natale . ( 319 )  Il y trouvera la mort moins de quatre mois plus tard, à l’âge de 80 ans,  le 05 avril 2007.  Il est ivre en permanence, parle avec les rats, a des amis cloportes .   Juste avant de mourir, il se remémore une de ses trahisons les plus terribles ; Il a  indiqué à Walder en 1981 que l’ IRA  préparait un attentat pour la cérémonie du 11 novembre; Trois bombes allaient exploser durant la commémoration.   Et le MI5 a actionné , à distance, le sytème de mise à feu, tuant ainsi les trois artificiers .  Tyrone est alors devenu un assassin. Son  assassinant sauvage sera perpétré le 05 avril 2007 : il a été nié par l’IRA. Sera revendiqué par un groupuscule opposé au processus de paix autre ans plus tard, en 2011. (331) 

01. mars 2019 · Commentaires fermés sur Ultima Verba : Hugo dénonce le tyran et déplore son exil forcé.. une poésie de combat ! · Catégories: Première · Tags:

Avant de pouvoir rédiger le commentaire, partons de quelques observations concrètes .

De quel type de texte s’agit -il ? 

  • Poème en vers formé de quatrains d’alexandrins en rimes croisées 

  • Poème engagé, qui dénonce la tyrannie de Napoléon III : une dimension satirique 

  • Appel à la lutte et à la résistance contre le tyran 

  • Registre lyrique pour l’expression de la plainte (tonalité élégiaque de l’exil forcé ) 

  • Le titre indique une forme de gravité et désigne les derniers mots avant la mort ou ici, le départ . 

Les axes d’étude : on peut observer un mélange des genres entre l’expression du combat et celui de la douleur de l’exil ; le poète comme porte-parole de la dénonciation de l’oppression et l’appel au collectif (le Je face aux autres ) 

Exemple de titres possibles pour des parties : la dénonciation de la tyrannie , une parole épique, une parole poétique politique , un portrait satirique de l’Empereur , la lâcheté des courtisans , le courage des proscrits, l’élégie de l’exil, la souffrance du banni, la solitude du poète , la force de la parole poétique, la solennité de l’engagement .

  • Entrainez-vous à recomposer le plan de cette version du commentaire et à retrouver des titres possibles pour chaque sous-partie ..
  • Entrainez-vous également à rédiger l’introduction …

Exemple de développement …

Hugo s’adresse d’abord directement à Napoléon III et lui exprime son mépris : il le tutoie (indices personnels de la 2e personne du singulier : « te, ton »). Le nom de « César » (v. 8) dont il l’affuble prend alors une valeur d’antiphrase ironique et contraste avec le croquis burlesque d’un bien piètre « César » dans son misérable « cabanon ». Par l’antithèse ironique – d’autant plus visible que les deux mots sont à la rime – entre ce « cabanon », qu’il mériterait vraiment, et le « Louvre », qu’il occupe indûment, le poète dénonce la folie, mais aussi la mégalomanie et l’usurpation de l’empereur.

Plus avant dans le poème, la désignation implicite de Napoléon III par l’évocation de « Sylla » (v. 26), dictateur romain qui a multiplié les proscriptions et les massacres, dénonce sa cruauté sanguinaire et fait de lui une figure légendaire dont la postérité gardera le souvenir au même titre que les pires tyrans. Le poème se fait satire.

Après l’avoir tutoyé, Hugo prend ses distances par rapport à Napoléon III, comme pour l’annihiler : l’utilisation du pronom « il », pronom de l’absence (« tant qu’il sera là », v. 13), marque son refus de nommer cet ennemi, son désir de lui ôter son identité, de le renvoyer dans le néant.

La critique s’étend à l’entourage de Napoléon III : Hugo dévoile la vérité sous l’apparence officielle et révèle la contagion des vices de l’empereur à tous ses partisans.

La métonymie des « têtes courbées » (v. 9), le terme péjoratif de « valets » (v. 7) pour désigner l’entourage de l’empereur, la lourdeur des sonorités en « on » qui reviennent par six fois dans les vers 6-7 et le rythme régulier que leur imprime la répétition du son « t » (« tandis, tes, te, montreront, ton, te, montrerai, ton ») suggèrent la soumission des courtisans et fustigent leur servilité. Le terme « trahisons » (v. 9) – dont le pluriel indique qu’il s’agit d’une pratique courante – dévoile la vraie noirceur de ce milieu.

Le clergé qui « bénit » (v. 4) l’empereur n’est pas exempt de cet « opprobre » : Hugo le désigne implicitement par l’indéfini « on » (v. 4), désireux d’en rejeter les membres dans l’anonymat et l’oubli, ce qui sera l’un de leurs « châtiments ». Il dénonce ainsi indirectement la complicité coupable de l’Église avec Napoléon  III.

Mais Hugo sait marier satire et lyrisme, et change de ton quand il évoque son sort d’exilé qu’il partage avec ses « nobles compagnons » (v. 1). 

Le poème répond à la rumeur d’amnistie proposée par Napoléon III aux proscrits qui reviendraient en France. Hugo fait ici allusion à ce « piège » qui peut faire vaciller des volontés moins fortes, et peut-être même la sienne…

Le ton religieux, la solennité à l’antique : le thème de l’exil est abordé par le biais de l’apostrophe solennelle à ses pairs en exil, qui rappelle les exhortations à l’antique : le ton est quasi religieux. Ainsi, « culte » (v. 1), terme du vocabulaire religieux, évoque celui des Mânes antiques ; l’apostrophe collective « bannis » (v. 2) semble sortie d’un sermon  ; enfin, la « République » qui « nous unit » (v. 2), personnifiéepar la majuscule, renvoie à une valeur antique essentielle. Ces références au bannissement, qui renvoient à la tradition politique de la République romaine antique, sont reprises par la mention de « Sylla » (v. 26) pour désigner Napoléon qui ne sort pas grandi de cette comparaison .

Le mouvement final de la dernière strophe est préparé par la désignation successive des proscrits dans le poème, la relation de Hugo avec eux étant marquée par un détachement progressif. Hugo part d’une sorte de fusion suggérée par les indices personnels de la 1re personne (« mes compagnons, nous unit, nous tente »), puis, de cette idée collective, il passe à une certaine individualisation (« si quelqu’un a plié », v. 23) et marque la distance instaurée avec ceux qui ont « plié » par le pronom indéfini « on » (v. 25). Si on ne sent de la part de Hugo aucun reproche, l’emploi au vers 26 de « ils », pronom de l’absence, et la formule impersonnelle « s’il en demeure dix » (v. 27) suggèrent cependant la séparation entre lui et ses anciens « compagnons » (v. 1).

Lorsqu’il répète comme un leitmotiv le nom de la « France », Hugo exprime son mal du pays avec des accents nostalgiques  Ainsi, des expressions « ta terre », « ta rive » (v. 15 et 17) se dégage une impression de nostalgie . Le mot nostalgie est à prendre ici dans son sens étymologique de « désir de retour », comme en témoigne la forte opposition du vocabulaire du départ (« reverrai, s’en vont, tente ») et de la fixité (« croiserai les bras, planterai, resterai, rester, demeurer, être »).

Par endroits, le ton et le rythme se font élégiaques : la répétition de certains mots, l’anaphore de « Je ne reverrai pas » (v. 15 et 17) qui met en valeur la négation – et, par là, la souffrance du manque –, l’interjection « hélas » (v. 18) ou le vocabulaire de la douleur (« âpre exil », v. 21) font de ces vers une plainte douloureuse. Les sonorités mêmes contribuent à cet effet : les rimes féminines (v. 13, 15, 17…), les « e » muets (à l’intérieur des vers 14, 15, 17), sonorités douces, et le son « s » (v. 13-14, 15 : « sera, cède, persiste, France » deux fois, « douce, triste ») donnent à ces vers un ton nostalgique.

La  peine toutefois est atténuée par le recours à la prétérition, qui consiste à présenter sa nostalgie par la négation. 

Les sentiments passent par de discrètes allusions personnelles : la référence au « tombeau [de mes aïeux] » (v. 16) suggère implicitement celui de sa fille Léopoldine ; l’évocation du « nid de [s]es amours » (v. 16) est une métaphore qui rappelle son attachement à son pays natal

En contraste avec cette délicatesse affective, le ton se fait parfois poignant et ferme.

La triple apostrophe à la France personnifiée, qui se développe sur un ample groupe ternaire, rythme de l’émotion, et est mise en relief par la coupe et le hiatus (« aimée // et », v. 14), prend des accents épiques.

L’abondance tout au long du poème de verbes, conjugués pour la plupart au futur de certitude, insuffle élan et amplitude à la parole de Hugo.

Enfin, les bras croisés (v. 10), associés au verbe « Je resterai » (v. 20) qui suggère la permanence et la solidité, la solennité du dernier vers font penser à la statue d’un héros car ils évoquent une attitude méditative, mais ferme. La parole du Poète devient une force .

 À travers l’expression de ses sentiments et la force de ses vers, Hugo se pose en figure emblématique du poète engagé dont l’arme est la parole.

La fréquence du pronom « je » (répété treize fois, le plus souvent en tête de vers) ou de sa forme tonique « moi » témoigne d’une forte présence de l’auteur qui se met lui-même en scène pour mieux affirmer son originalité.Hugo se présente dans la posture du héros romantique-type : il est « debout » (v. 20), les bras croisés…Complétant ce portrait physique, de nombreuses comparaisons soulignent son originalité : il apparaît ainsi sous les traits de personnages très divers, tantôt gardien de l’autel du souvenir, sorte de Romain chargé du « culte » de la « République » (v. 1-2) ; tantôt prophète à travers la mention du « sac de cendre qui [le] couvre » (v. 5) ; tantôt héros d’épopée évoquant Achille retiré à l’écart sous « sa tente » (v. 19) ; tantôt statue avec « mon pilier d’airain » (v. 12) ; 

Ces diverses images composent le portrait théâtralisé et impressionnant du poète héroïsé.

Le poème progresse sur le mode de la gradation descendante qui focalise le lecteur sur le personnage du poète mis en scène. Le jeu sur les chiffres, reposant sur une progression qui va s’accélérant de « mille » à « cent », puis « dix », puis « un », crée un mouvement qui semble irrépressible. À cette gradation correspond le jeu sur le rythme des vers : le vers 25 est fragmenté (les troupes sont nombreuses, les rangs instables) ; la relative stabilité du vers 27, coupé à l’hémistiche, soutenue par un parallélisme dans la place de « dix » et « dixième » en fin d’hémistiche, amorce un équilibre qui suggère force et stabilité ; enfin le vers 28 obéit à un équilibre parfait dans son rythme ferme et tonique et l’adéquation entre « un » et « celui-là ».

Hugo joue aussi sur les rimes pour donner plus de force à ce final épique : les rimes masculines sonores en « a » de « Sylla » et « celui-là » qui portent l’accent tonique, s’opposent fermement. Les sonorités orchestrent ce tableau : aux vers 25 et 27, la répétition de la voyelle aiguë « i » (9 occurrences) alliée à des sons forts (« que » répété, « qu’un », « [celui-]là ») met progressivement l’emphase sur le dernier vers, très théâtral.

Cette mise en scène spectaculaire a pour but de montrer que la parole du poète est aussi forte que des actes. Par la répétition du verbe dire (au sens plein de « proclamer », v. 6), Hugo signifie que la parole a un puissant pouvoir sur le monde.

La parole dévoile, perce les apparences, renverse l’échelle des valeurs : ainsi, par la puissance du verbe, l’« insulte » deviendra « gloire » (v. 3), ce qu’on « bénit » sera entaché d’« opprobre » (v. 4) ; la réunion de ces contraires dans un même vers matérialise le pouvoir du poète.

La parole confère aussi l’identité et la suprématie, comme en témoigne l’utilisation des pronoms personnels : ainsi le « je » du poète en début de vers 3 et 4 s’affirme fermement, face à un « on » anonyme, derrière lequel se profile implicitement le tyran, Napoléon III.

Le dire du poète est enfin détenteur du futur, synonyme d’espoir et de sa confiance dans l’efficacité de sa mission : les futurs « Je jetterai l’opprobre » (v. 4), « Je serai […] la voix » (v. 5-6) s’opposent au passé ou au présent des « traîtres » qui se soumettent au tyran, celui qui « a plié » (v. 26), ceux qui « s’en vont » (v. 27). Le ton se fait ici prophétique et rappelle une des missions du poète romantique : il éclaire le peuple et sert de guide pour l’avenir.

 Pour conclure ,le changement de la date de composition du poème (2 décembre au lieu du 14  décembre 1852) est significatif : la date choisie – celle du coup d’État – prend une valeur symbolique et révèle l’importance du poème. De même, son titre latin, très solennel, lui donne l’importance d’une déclaration solennelle placée sous l’autorité de l’Antiquité et des grands orateurs et proscrits. Hugo, le républicain, se bat avec son arme – les mots – et avec force, contre le criminel politique, tout en montrant sa détermination inébranlable, sa destinée unique face à tous. Il s’investit du rôle suprême de modèle : la bouche qui dit « non », par un effet de mise en abyme résonne comme un écho à sa propre voix. Le poème montre l’efficacité de la poésie engagée, pour peu qu’elle ne soit pas trop ancrée dans les événements auxquels elle se réfère et accède à un degré d’universalité qui lui fasse transcender le temps. Le poème de Hugo peut être le chant de tout opposant (Napoléon III n’est pas nommé), de tout exilé insoumis, une leçon de démocratie. Il a son écho au siècle suivant dans les poèmes résistants d’Aragon (« L’Affiche rouge ») ou d’Eluard (« Liberté ») qui dénoncent les atrocités commises par l’occupant allemand .