20. février 2021 · Commentaires fermés sur Parcours autour du spleen baudelairien dans Les Fleurs du Mal · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Si tous s’accordent à définir le spleen baudelairien comme un univers à part entière, il peut prendre diverses formes selon les poèmes; Effectuons ensemble un rapide tour d’horizon des composantes du Spleen en repérant, à travers l’oeuvre, les principales pièces qui abordent cet univers sombre. Son lien avec l’alchimie peut être défini de la manière suivante: sous l’effet du spleen le monde se transforme en une source d’ennuis:  les paysages se métamorphosent , des créatures inquiétantes naissent de l’esprit tourmenté du poète et son Moi prend des allures de tombeau . 

Les Fleurs du Mal s’ouvrent sur une première section intitulée Spleen et Idéal  qui comporte plus de 80 poèmes : Baudelaire y dessine des frontières mouvantes entre deux mondes; Le monde Idéal est lumineux, aérien , ensoleillé et rempli d’amour “ Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ” écrira- t-il dans Invitation au Voyage; Le seconde versant , celui du Spleen est marqué par l’obscurité, la tristesse et la solitude .  Le malaise existentiel du poète culmine avec l’allégorie de l’Angoisse , cette figure atroce qui terrasse l’esprit du poète . Alors son esprit cherche à s’élever, à fuir la noirceur du quotidien , cette “existence brumeuse ” peuplé de “miasmes morbides “  ( Elevation ) mais il a l’impression de demeurer prisonnier, de ne  pas pouvoir s’échapper  . La Muse malade décrit ces “visions nocturnes” qui mêlent horreur et folie, dans les matins “froids et taciturnes”; Le poète personnifie souvent les éléments du décor et compose des paysages  intérieurs , qui reflètent l’état de son âme ; Beaucoup de pluie donc dans son Spleen et l’automne et l’hiver sont ses saisons mentales . Le analogies avec les cauchemars sont également nombreuses.  La Muse vénale  évoque ces “noirs ennuis des neigeuses soirées “ et le froid mortel qui semble envahir le poète , qui se voit contraint de mendier pour ne pas mourir de faim. Dans le  sonnet suivant , le Mauvais moine,le poète compare d’ailleurs son âme à un “tombeau que mauvais cénobite, depuis l’éternité je parcours et j’habite” . La laideur et le sentiment d’enfermement sont les dominantes de cette description et l’artiste rêve justement de pouvoir transformer  le “spectacle vivant de ma triste misère  ” en façonnant des poèmes  qui montreront une image différente de ce Mal qui le ronge  .

Le spleen peut donc être défini comme le matériau de départ, la matière brute que la poésie va transformer en autre chose, en fleurs , par une sorte d’opération alchimique: la boue y devient de l’or, la laideur de la beauté. Dans L’ennemi, Baudelaire fait coïncider son âme avec l’image d’un jardin d’automne dévasté par les pluies; L’eau , écrit -il a “creusé des trous grands comme des tombeaux. ” La dimension macabre, morbide est constamment présente dans les évocations du Spleen. Ici la  source principale de la douleur provient du  le sentiment  de fuite du temps;Ce thème antique est connu sous plusieurs formes Fugit irreparabile tempus  et Memento Mori sont les deux appellations latines de cette idée que nous sommes tous condamnés, à une mort certaine et inéluctable.  Le poète se désespère de ne pouvoir retarder la vieillesse “le Temps mange la vie ” écrit -il au début du second tercet. L’écriture poésie constitue alors une forme d’antidote à l’angoisse et au mal de vivre ; Le poète rêve de composer des “fleurs nouvelles “ qu’il considère comme un “mystique aliment” . Le succès dans son travail poétique lui redonnerait de la vigueur mais son désespoir paraît un poids bien lourd à porter comme le suggère dans Le guignon, les références à Sisyphe, condamné à cause de la colère des Dieux à porter une pierre énorme en haut d’une montagne; cette pierre ne s’arrête jamais au sommet : elle dévale la pente et tout est alors à recommencer; Baudelaire se compare à cet homme maudit et malheureux condamné à répéter indéfiniment le même geste ; Son cœur note -t-il “ comme un tambour voilé, va battant des marches funèbres ” et il se dirige “ vers un cimetière isolé “ L’artiste  représente ici sa mort , au fond d’une tombe anonyme et regrette le caractère confidentiel de son oeuvre , ces fleurs dont le “parfum est doux comme un secret ” .

La série de poèmes qui suit évoque la conception de l’amour , de la femme et de la beauté,  trois éléments qui feront l’objet d’un second parcours et qui semblent capables de dissiper, momentanément, les angoisses du poète . Et cette série de chants d’amour se clôt sur Une charogne  (XXX) , un étrange poème de 11 quatrains qui démontre que la mort a raison de toutes formes de beauté terrestre mais que seule l’écriture, grâce à l’alchimie poétique, préserve la quintessence de cette beauté car les poèmes sont ” la forme et l’essence divine ” des amours décomposées. La mort culmine ici et voisine avec l’immonde mais  il demeure l’espoir  de la métamorphoser par le biais de l’alchimie poétique et de conserver des traces de sa présence, sa quintessence.

Les séries suivantes ont des tonalités élégiaques qui peuvent rappeler certains accents romantiques : le cœur du poète est tombé  dans un “gouffre obscur ” et il implore les Dieux de le sauver sous la forme d’un hymne dont le titre  latin évoque les chants religieux célébrés durant les enterrement et les marches funèbres ” de profundis clamavi” : Le requiem , en effet, qui matérialise le chant des morts, est un motif fréquent dans Les Fleurs du Mal  pour suggérer la dimension musicale du spleen. L’univers dans lequel erre le poète demeure sombre  “c’est un univers morne à l’horizon plombé où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème” ;ce paysage intérieur est une sorte de désert aride et nu comme une terre polaire ; L’homme égaré souffre de “la froide cruauté de ce soleil de glace L’oxymore ici traduit bien la coalition des éléments naturels contre le poète et un monde bouleversé  qui ressemble à “cette immense nuit semblable au vieux Chaos” . La référence mythologique désigne ici le monde avant la création, un espace vide et informe, où régnaient la discorde et la confusion.

La Mort dont l’approche est redoutée peut parfois apparaître comme la seule issue pour le poète : il s’agit d’une issue, certes, fatale mais cette tentation du suicide symbolique est un motif fréquent dans le recueil et il importe de le distinguer de l’ambiance morbide des paysages spleenétiques. Le poète s’adresse parfois à la mort qu’il personnifie sous différents aspects; Elle peut prendre l’allure d’un vampire comme dans le poème du même nom : Le Vampire ( XXXI). Il se sent lié à cette horrible créature comme un “forçat à la chaîne” et évoque le recours au poison et au glaive pour se délivrer mais il se sent condamné à vivre , indigne d’échapper à son “esclavage maudit ” Sa proximité avec la mort prend l’allure de confidences  échangées avec le tombeau , ici métonymie de la mort dans Remords posthume. Mais la Mort n’est pas une créature immobile et solitaire : le plus souvent, elle est accompagnée d’un cortège de divinités infernales : des spectres, la figure de la Nuit  qualifiée de “maussade hôtesse ” dans Un fantôme ( XXXVIII) . “Vivre est un mal” ne cesse de répéter le poète car l’homme est constamment en proie à une “tristesse étrange montant comme la mer sur le roc noir et nu ” écrit-il dans Semper aedem, expression latine qui signifie que rien ne change jamais. Parfois les poèmes ressemblent à des prières adressées à de mystérieuses divinités comme ici les Anges dans Réversibilité ; l’artiste s’y plaint et énumère ses souffrances  : tout d’abord la peur de vieillir et  la crainte des fièvres , synonyme d’amertume, sentiment personnifié et  comparé à des “exilés qui cherchent des rayons de soleil rare le long des grands murs de l’hospice blafard” : il s’y confesse et avoue , en même temps que ses peurs, ses fautes. Son cœur tendre “qui hait le néant vaste et noir ” frémit comme violon mélancolique et  le paysage devient fantastique ” le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige “ En empruntant la forme orientale du pantoum, Baudelaire fabrique une “Harmonie du soir ” qui garde des accents de spleen . Le poète se transforme en un flacon qui recueillera les souvenirs et termine l’évocation des parfums par son Invitation au voyage.  Les poèmes redisent indéfiniment cet espoir d’apporter de la lumière dans le noir et le néant : “Peut on illuminer un ciel bourbeux et noir? Peut on déchirer des ténèbres plus denses que la poix sans matin et sans soir sans astres sans éclairs funèbres ” Cette lutte entre la force du Spleen qui attire le poète vers le Gouffre et les lueurs fugitives de l’Idéal, se poursuit dans la plupart des compositions poétiques  qui redisent, fréquemment  la perte de l’espoir et la victoire des ténèbres sur l’âme du poète .Comme le suggère le titre l’Irréparable dont est extrait cette citation, le Spleen remporte souvent le combat .

De nombreuses compositions ont pour principal sujet  la peinture de ce vague à l’âme même si seuls quelques uns  seulement  portent explicitement le titre Spleen . A partir de Chant d’automne (LVI), Baudelaire décline les ambiances spleenétiques. On y retrouve bien sûr les froides ténèbres ” et les “chocs funèbres” ‘tout l’hiver va entrer dans mon être ” s’exclame le poète désespéré. Il sent en lui la tristesse monter comme la mer , image récurrente de cet envahissement progressif de l’esprit en proie aux idées noires ; Partout “la tombe attend; elle est avide “ rappelle-t-il ; Les images de dévoration sont à nouveau convoquées pour exprimer les ravages du temps ce monstre qui se nourrit de nos vies et de notre  sang.  Le cœur blessé prend des allures de   paysage triste : tantôt une noire sibérie dans Chanson d’après-midi ( LVIII) ou un “noir océan” dans Moesta et errabunda, poème qui réaffirme l’espoir d’une évasion , au delà de “l’immonde cité “  .Ici la boue est faite de nos pleurs, constate l’homme mais le paradis semble hors de portée. 

La cloche fêlée ouvre la série des Spleen: elle fait entendre cette fausse note, cette dissonance, ce cri plaintif; Pour Baudelaire , amateur de musique, les instruments  permettent d’exprimer des émotions que les mots , parfois, ne peuvent traduire . Cette cloche à demi -brisée reproduit la chanson mélancolique de son âme  dans la brume du soir :  “moi mon âme est fêlée” , se désole le poète et sa voix est affaiblie; Elle imite “ le râle épais d’un blessé qu’on oublie/ au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts/ et qui meurt sans bouger, dans d’immenses efforts. ”  Vision désespérante ici de la douleur comparée à l’agonie d’un soldat sur un champ de bataille déserté après l’hécatombe.  Les Spleen font se succéder des paysages pluvieux , des faubourgs brumeux; Le poète s’y métamorphose en vieux  chat de gouttière frileux et on retrouve ce cri plaintif , cette “triste voix d’un fantôme frileux” qui émet un son désagréable, comparé à la voix aigüe et discordante d’un fausset, terme musical pour la fausse note .Dans le poème suivant, l’aède est transformé en une sorte de gros meuble à tiroirs, un secrétaire qui enferme de vieux souvenirs ; Son cerveau ressemble à un “immense caveau” ; Assailli par les tristes souvenirs des défunts, le poète  mélancolique ,est vaincu par l’Ennui des “boiteuses journées ” et “les lourds flocons des neigeuses années “  Il se métamorphose en vieux sphinx, créature taciturne et à l’humeur farouche : Baudelaire reprend ici un mythe grec qui évoque une mystérieuse statue du Dieu Memnon, fils de l’Aurore; Selon la légende cette statue égyptienne,  en quartz, était fissurée  et avait l’étrange particularité d’émettre des sons au soleil . Cette légende est célèbre au dix-neuvième siècle et Baudelaire la mentionne donc au milieu de références mythologiques  .

Le Spleen se décline toujours selon les mêmes motifs qui reviennent avec des variations dans la plupart des pièces : Baudelaire s’inspire notamment des éléments naturels comme la pluie, les saisons, le froid, la neige et les mélange avec des thèmes musicaux et des références mythologiques ou historiques ; par exemple, Spleen LXXVII a pour cadre le Moyen-Age ; le personnage central du poème est “ le roi d’un pays pluvieux” que rien ne parvient à égayer ; Il est submergé par un Ennui profond qui le fait ressembler à un “cruel malade un cadavre hébété ” un “jeune squelette ” et l’ alchimiste, “le savant qui lui fait de l’or ” ne peut rien pour lui car il ne parvient pas à extirper de son être l’élément corrompu ”  .Spleen LXXVIII 

L’un des tableaux les plus célèbres dans Les Fleurs du mal peint le SpleenIV comme un emprisonnement global de l’individu au moyen des anaphores qui décrivent le “ciel bas et lourd” dans le premier quatrain; la terre “changée en un cachot humide ” dans le second et la pluie qui devient “une vaste prison” dans la strophe suivante. L’esprit du poète est alors terrassé et il visualise son propre enterrement “de longs corbillards, sans tambours, ni musique ”  défilent lentement dans son âme ; L’affreux hurlement des cloches a fait place , dans la dernière strophe, à un silence de mort. Vous pouvez lire l’analyse de ce poème dans le podcast à la fin de ce cours , podcast extrait du site Mediaclass. 

L’expression du Spleen revêt donc différentes formes : l’homme  y est , le plus souvent , victime des éléments qui se liguent contre lui ; dans Obsession ( LXXIX ), par exemple, le poète est effrayé par les “grands bois”  comparés à  des cathédrales , symboles de l’esprit religieux; l’Océan et ses tempêtes lui fait également peur ; Il ne se plait que dans les plus noires des nuits car dit -il ” je cherche le vide, le noir, le nu “: cette quête est traduite par le titre du poème suivant : Le goût du néant. En philosophie, le mot néant renvoie à ce qui n’a pas d’être , une sorte de vide parfait dans lequel aucune existence n’est possible. Le cœur du poète pourrait ainsi s’endormir et se laisser engloutir par le Temps “comme la neige immense un corps pris de roideur” On mesure à quel point la tentation de la mort qui met un terme à la souffrance existentielle , est fréquente dans le recueil.  Dans le sonnet Alchimie de la douleur, Baudelaire décrit le combat permanent qui se déroule dans l’esprit du poète entre le désir de Vivre, défini comme de  l’ardeur, et la tentation du deuil , de l’acceptation de la mort; Il s’identifie à Midas “le plus triste des alchimistes “ qui transformait tout ce qu’il touchait en or et mourut de faim. A l’inverse , l’opération décrite ici  consiste à changer l’or en fer : la douleur opère donc des changements importants , à la fois dans l’esprit du poète et dans sa vision du monde qui l’entoure. L’Enfer devient un lieu commun pour dépeindre les souffrances du spleen et celles ci semblent culminer avec L‘héautontimorouménos, composition dans laquelle Baudelaire se décrit comme un bourreau pour lui-même: il s’y présente comme ” un faux accord dans la divine symphonie” , un esprit secoué par la vorace ironie; Son sang est un poison noir qui le fait mourir lentement et nous retrouvons, dans le dernier quatrain, l’image du Vampire “je suis de mon cœur le vampire ” . Une série de poèmes décrivent les formes les plus aiguës du spleen en insistant particulièrement sur les conséquences à la fois spirituelles et physiques. Le Diable apparaît alors comme le maître de cet univers infernal à la géographie mythologique et dantesque : “styx bourbeux et plombé, lieu plein de reptiles, gouffre dont l’odeur trahit l’humide profondeur où veillent des monstres visqueux. ” L’irrémédiable ( LXXXIV). La section Spleen et Idéal se clôt sur l’Horloge qui est une sorte d’hommage au Dieu du Temps, éternel vainqueur ” joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup “ Le dernier vers  est annonciateur de la fin “ Meurs vieux lâche ! il est trop tard” .

Dans la section suivante, intitulée Tableaux Parisiens, qui contient 18 poèmes , le poète évoque ses sources d’inspiration et sa manière de travailler : même dans les jours pluvieux, il s’efforce de “tirer un soleil “de son coeur et il “ennoblit les choses les plus viles” ; A l’image du Soleil, il s’introduit partout aussi bien dans les palais que dans les hôpitaux; Sensible aux changements de la ville, Baudelaire songe avec mélancolie à tous ceux qui sont seuls, oubliés ou qui ont perdu ce qui ne se retrouve pas; Son spleen prend alors la forme de ces pensées tristes et nostalgiques dans Le Cygne    Perdue dans le tourbillon de ses pensées, l’âme du poète est comparée à un fragile esquif , petit bateau perdu dans le vaste océan qui “dansait , vieille gabarre sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords. ” Les créatures qu’il choisit de peindre sont souvent méprisées: aveugles , vieillards, mendiants, prostituées, passants anonymes ; Au crépuscule, Paris se transforme et les hommes deviennent des bêtes fauves : le Mal se répand et la Mort vient rôder “ c’est l’heure où les douleurs des malades s’aigrissent! la sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent leur destinée et vont vers le gouffre commun. ”  Baudelaire décrit ainsi un phénomène  reconnu par la médecine qui se nomme l’angoisse crépusculaire ou vespérale . Il évoque souvent les morts inconnus et parfois certaines figures familières comme le souvenir de sa nourrice Mariette dont il souhaite aller fleurir la tombe. Le tableau Brumes et pluies reprend les éléments des paysages intérieurs évoqués dans les différents Spleens  : les saisons et le temps  sont à l’image de l’âme du poète “ ô fins d’automne, hivers, printemps trempés de boue, endormeuses saisons ”  ; Cette âme déploie des ailes de corbeau et cherche à s’envoler vers un Ailleurs . Seul dans son taudis, il a senti, rentrant dans son âme, la pointe des soucis maudits” ; ce retour à la sordide réalité marque la fin de son Rêve parisien . L’imagination transfigure la réalité et fait naître, l’espace d’un instant , des images éblouissantes ; le poète devient ainsi un architecte de fééeries mais il finit par être rattrapé par la réalité. Le dernier poème de la section intitulé Crépuscule du matin ” décrit un lever du jour bien triste : “l’essaim des rêves malfaisants ” s’empare de l’âme des hommes et le chant du coq ressemble à un “sanglot coupé par un sang écumeux ” . Le monde prend dès l’aube la couleur du Spleen .

La Section Le Vin ne comporte que 5 pièces: l’alcool et la griserie qu’il procure,  effacent un court instant les douleurs de vivre : le vin roule de l’or et berce les hommes d’espoir ; Fils du Soleil, il est le cousin du Sommeil . Le poète  s’adresse à la bouteille profonde et la remercie de lui verser ” l’espoir, la jeunesse et la vie ” Saoul, il triomphe de tous ses maux et découvre , avec l’esprit du vin, l’existence des Paradis artificiels. 

Dans la section Fleurs du Mal qui compte 9 poèmes , Baudelaire décrit de macabres tableaux : femmes damnées ou décapitées, femmes aux allures de démon ; Un sonnet La Fontaine de sang représente une vision d’horreur :  le poète en train de se vider de tout son sang inonde le monde  “colorant en rouge la nature ” ; Il cherche alors à oublier la terreur qui le mine en se réfugiant dans le Vin ou dans l’ Amour qu’il compare à un “matelas d’aiguilles “ ; cette image montre le lien entre le chagrin amoureux et le Spleen . Il ravive les blessures du poète. Le poème La Béatrice, hommage à la Muse de Dante , est une sorte d’autoportrait de Baudelaire qui s’y représente en “ombre d’Hamlet” ; Une troupe de démons lui apparait alors afin de se moquer de son projet de vouloir intéresser la Nature “au chant de ses douleurs “; On peut le lire comme une interrogation sur la légitimité de son travail poétique  : suffit-il d’aiguiser lentement sur son cœur le poignard de sa pensée pour devenir un poète ? La poésie se résume-t-elle à une alchimie de la douleur ? Dans  Un voyage à Cythère, Baudelaire peint cette île paradisiaque, refuge de tous les amoureux, comme un territoire désolé “désert rocailleux troublé par des cris aigres ” , ceux des corbeaux qui se nourrissent des cadavres , aidés par un troupe de panthères noires . Le poète semble prisonnier de ces visions infernales “ le ciel était charmant, la mer était unie, Pour moi, tout était noir et sanglant désormais ; Hélas, et j’avais comme en une suaire épais, le cœur enseveli dans cette allégorie.” Le poète se décrit ici comme la victime des illusions amoureuses : son cœur est dévoré par la souffrance et il ne croit plus en la puissance réconfortante et enchanteresse de l’Amour. Ce dernier dans le Poème qui clôt la section est d’ailleurs représenté comme un “monstre assassin ” qui éparpille en l’air la cervelle, le sang et la chair du poète

L’avant- dernière section intitulée Révolte ne comporte que trois poèmes qui font le portrait de trois personnages  emblématiques : Saint- Pierre qui a renié Dieu, Caïn qui représente le premier meurtrier de l’Histoire biblique et Satan, ange révolté contre Dieu , qui prend le commandement des forces du mal . Baudelaire lui adresse une émouvante prière afin qu’il abrège ses souffrances.

La Mort est le titre de la dernière section du recueil : consolatrice, elle apparaît comme “un portique ouvert sur les Cieux Inconnus” , un Soleil nouveau qui pour les artistes, “fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau ” ; à l’origine, dans une première édition, la Mort des artistes était le dernier poème du recueil; L’homme cesse de lutter et de combattre : il accepte enfin cette “nuit voluptueuse ” qui apaise et efface tout. Le voyage est un long poème métaphysique  de 26 quatrains qui résume les étapes du voyage d’une âme  en employant des métaphores maritimes. On peut le lire comme une sorte de testament  “notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie “; L’homme , au gré des houles et des marées , tel un navire en haute mer, cherche à éviter les écueils et les naufrages ; Il rapporte de ses voyages de curieuses visions :  “la gloire du soleil sur la mer violette ” mais aussi “le spectacle ennuyeux de l’immortel péché” “une oasis d’horreur dans un désert d’ennui” A la fin de ce voyage, le port est le même pour tous  “nous embarquons sur la mer des Ténèbres ” et le Temps “ce rétiaire infâme ” nous prend dans ses filets . O mort vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! ce pays nous ennuie , ô Mort! Appareillons .. nous voulons, ajoute le poète “ plonger au fond du gouffre , Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Ce parcours des différentes  facettes du Spleen baudelairien est maintenant terminé; Arthur Rimbaud, jeune poète prodige, s’est fortement inspiré de cette sombre pièce  Le Voyage pour écrire son voyage à lui , un poème nommé Le Bateau ivre qui retrace, lui aussi, l’aventure d’une âme . En voici un court extrait ; le bateau est encore vigoureux mais les tempêtes auront raison de lui et il finira par rentrer au port , revenir au point de départ après avoir parcouru le vaste monde .

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Composez un nuage de 40 mots dont la notion de Spleen formera le centre  et écoutez l’explication de Spleen IV.