23. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Trois grands fauves · Catégories: Le livre du mois

Qu’y a-t-il de commun entre Danton, Victor Hugo et Churchill ? Rien a priori et pourtant ces trois portraits révèlent trois grands fauves. Hugo Boris, jeune écrivain quadragénaire , signe ici son quatrième roman en 2013. 

   Il choisit de présenter trois facettes de la vie de ces trois grands hommes, facettes pour le moins inattendues. De Danton, il trace un portrait attachant en peignant les drames de l’enfance du jeune Danton, défiguré par la charge d’un taureau,  atteint gravement par la vérole qui lui laisse des cicatrices sur le visage; Rien pourtant ne semble pouvoir l’atteindre et  il rejoint Paris a l’âge de 21 ans avec un visage palimpseste ; Remarqué par son tale,t d’orateur,il devient avocat au parlement en 1786. En dépit de sa laideur, il attire les filles et devient un homme célèbre : “le tocsin qu’on va sonner n’ est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de “l’audace,encore de l’audace, et la France est sauvée.”  Avril 1794, assis dans sa cellule de la Conciergerie, Danton attend l’issue de son procès . Comment réagira-t- il à l’annonce du verdict ? Autre grand homme et autre parcelle de sa vie; Nous sommes en  1802 : Sophie Hugo met au monde un bébé , son troisième fils, un bébé  tout petit et qui semble si fragile.  Les années passent et le bébé a grandi; En  1843: Hugo est célèbre lui aussi et voyage avec Juliette Drouet lorsque de retour à Paris place Royale, il apprend la mort de Leopoldine sa fille aînée. Cette blessure le poursuivra . Exilé à Jersey, il devra encore survivre à la folie d’Adèle sa seconde fille et au décès de son autre fils Francois Victor qui a suivi celle de Charles. Il a donc survécu à tous ses enfants comme si sa force les avait anéanti, comme un ogre qui dévorerait ses petits. 

Le dernier fauve, c’est le jeune Churchill qui grandit seul, en 1883, dans le château familial de Lord Randolph Marlborough, sans amour et sans attention.Son père est le leader conservateur de la Chambre des Communes et il ne croit pas en son fils. Winston échouera deux fois au concours d’entrée d’ une école de cavalerie ,celle de Sandhurst ,avant de partir guerroyer en Afrique où il s’illustre par son courage. Le jeune homme semble ignorer la peur  et tous les hommes se mettent à lui obéir, effrayés par son courage. Il va très vite découvrir que la guère le fascine. Élu député à 26 ans, il marche alors dans les traces de son père . Durant la première guerre, au front, il lance à ses officiers : ” La guerre est un jeu qu’il faut jouer avec le sourire. Si vous êtes incapables de sourire,grimacez. Si vous êtes incapable de grimacer,tenez- vous à l’écart jusqu’à ce que vous en soyez capables.” (p144) Son black dog, c’est ainsi qu’ il appelle l’ombre qui descend sur lui, une ombre dangereuse qui le pousse à boire et à noyer ses humeurs sombres. Un jour de 1945, un sommelier débouchera pour lui et pour fêter la victoire,un flacon inestimable Après avoir lu ces trois portraits, vous comprendrez mieux ce que ces trois fauves ont finalement en commun.

23. décembre 2015 · Commentaires fermés sur On ne voyait que le bonheur . Vite lisez le ! · Catégories: Le livre du mois

Grégoire Delacourt avait déjà signé un roman qui  envisageait la cruauté d’une relation de couple minée par un phénoménal gain au loto : La liste de mes envies. Avec ce nouveau récit, il va bien au-delà .

Antoine a vécu dans l’ombre du départ de sa mère.  ” Ma mère nous a laissés là, comme trop de vaisselle dans l’évier, trop de linge dans le panier. ” Un drame familial a mis fin à son enfance: le décès de sa petite sœur .  ” Et toute notre famille a implosé.”  p 39. Désormais il va prendre en charge le chagrin de son père qu’il noie dans l’alcool, la solitude de son autre petite sœur, jumelle de la disparue . Les années passent et Colette , la nouvelle compagne de son père , s’installe chezeux mais ils la rejettent farouchement , continuant à espérer que leur mère leur donne des nouvelles. Antoine grandit dans la haine de ce père qu’il considère comme un lâche. Les années passent et Antoine découvre à son tour les cruels mensonges de l’amour. Il aime Nathalie qui le trompe mais n’ose pas vraiment le quitter définitivement. Il perd son travail, se met lui aussi à boire de plus en plus et regarde , impuissant son père s’éteindre peu à peu. Jusqu’à la nuit où tout bascule: la nuit du chien, la nuit qui va décider de son destin et de celui de ses enfants. Comment peut- on accepter l’inacceptable,? Peut- on réparer l’irréparable et guérir de blessures qui nous rongent de l’intérieur ? Joséphine discute avec son psy  des mots à employer pour définir le monstre. “ Barbare, par exemple. J’ai dit qui n’a plus de morale, qui n’appartient plus à la civilisation.Quand un père ne veut plus de vous, c’est forcément de votre faute. Longtemps j’ai pensé ça : je ne l’ai pas rendu heureux, je l’ai déçu, j’étais moche..” Joséphine cherche à comprendre et pose sans cesse la QH (question horrible).Vous irez sans peine au bout de ce récit haletant qui parfois vous laissera sans voix. Vous vous retrouverez sans doute dans les portraits des adolescents qui traversent le roman et vous y verrez peut-être vos parents avec un regard nouveau . “Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ”  Cette citation d’Henri Calet donne bien le ton de ce roman que je vous recommande vivement.

30. octobre 2015 · Commentaires fermés sur 22 personnages en quête de roman : Peine perdue par Olivier Adam. · Catégories: Le livre du mois

Olivier Adam a composé une histoire touchante autour de 22 personnages et chacun des chapitres de son dernier roman a comme titre un prénom. Au lecteur de recomposer le kaléidoscope de ces 22 morceaux de vies le plus souvent  brisées par des vents contraires. Antoine, Marion, Jeff, Louise et Sarah ont grandi ensemble dans ce petit coin de paradis au bord des calanques mais leur vie leur file entre les doigts..

La construction du roman est particulièrement originale car les 22 personnages participent chacun à leur manière au déroulement de cette intrigue; Un soir, un fort coup de vent va bouleverser l’existence des ces êtres déboussolés , que la vie a déjà tellement malmenés; Antoine est un jeune footballeur qui vit de petits boulots et qu’une rage intérieure précipite vers la violence; sa jeune femme Marion l’a quitté pour un autre et leur fils Nino est la seule chose qui le rattache désormais à la vie. Son meilleur ami Jeff qui se défonce tellement qu’il en perd la mémoire va l’entraîner vers des  eaux troubles : lorsqu’il découvre qu’il cache une arme sous son lit , Antoine pense : “certains ont la chance d’être assez forts pour être sûrs qu’ils n’en feraient rien. Lui n’en est pas convaincu. parfois il vaut mieux savoir ce dont on est capable ou pas.”  Un soir, Antoine est laissé pour mort dans le camping où il vit, le crâne fracassé à coups de batte de base ball. Le lendemain matin, Nino attend son papa qui lui avait promis de l’emmener voir les dauphins et Marion s’inquiète : elle repense au temps om ils étaient heureux, avant le chômage et le manque d’argent, avant les reproches et la rancœur ; “ Ces images qui reviennent, ces petits bouts d’eux qui se sont évaporés mais qui étaient comme de la lumière brute, c’est des morceaux de verre en plein cœur.”

En arrivant à l’hôtel où elle est femme de manage, Marion croise Coralie dont le mari est partie avec une autre , la laissant avec deux boulots à mi-temps pour régler les factures et une ado qui ne lui adresse plus la parole. Elle rêvait de devenir une star de la chanson mai selle n’a pas réussi son audition face au jury de la Nouvelle Star, quelques années plus tôt. Coralie va prévenir Marion qu’Antoine est à l’hôpital et elle découvre que durant la tempête un couple de personnes âgées a tenté de se suicider; Hélène est morte noyée et son mari qui s’en est sorti, n’a qu’une envie : la rejoindre. Sa fille va venir le rechercher. Pendant ce temps , Sarah nettoie les dégâts du coup de mer de la nuit et fait défiler se souvenirs leurs 17 ans : “un monde de sel et de résine. De peau; De danse. d’herbe et d’alcool. Une vie tendue. Une vie magnétique.” Ils ne s’intéressaient pas à l’école “elle ne connaît personne de ce temps-là qui ait même songé un jour à devenir un bon élève” et n’imaginaient pas vivre ailleurs ni différemment. Delphine, elle , exerce le métier d’assistante sociale et elle prend son travail un peu trop à cœur : jeune couples avec enfants, ex taulardes junkies en réinsertion, elle tente de réconforter des existences fragiles mais c’est bien souvent peine perdue. Et tous les autres :ces jeunes sans avenir qui sombrent dans la délinquance et font honte à leurs parents,  ces hommes et ces femmes brisés par les deuils, les séparations, les trahisons, le vague à l’âme; la sensation d’être passés à côté de leur vie. Et au delà de cette ambiance triste et sombre, les dernières lueurs d’espoir: un beau-père qui chante une berceuse à son beau-fils, une adolescente en rupture qui accepte de se poser aux côtés d’une vieille dame, un homme qui fait un choix douloureux . Des bribes d’humanité comme autant de lueurs dans la nuit ..et tant d’autres destins entrelacés : frères et sœurs, parents et enfants, amants et amours se croisent , les liens se tissent et se dénouent, aussi fragiles que le fil de nos existences; Au final, qui a voulu tuer Antoine ? Léa va -t-elle s’en sortir ? Clémence réussira-t-elle à sauver son père du chagrin ?  Eric fera-t-il le bon choix ?  Tony trouvera-t-il sa place ? Au final, c’est peut-être ce que réussit le mieux à nous faire partager ce romancier : la fragilité de nos existences et, paradoxalement, la force de surmonter le pire comme le fait au quotidien Louise dans sa maison de retraite : ” Presque tous les patients sont seuls  quasi abandonnés. Ils souffrent. Vont mourir dans quelques mois, semaines , jours, heures. Elle est là pour les soigner. Les écouter. Les accompagner. C’est son rôle. Sa place. Et d’une certaine manière, elle mesure sa chance. Elle sait quel est son rôle. Où est sa place.”

20. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Cannibale de Didier Daeninckx · Catégories: Le livre du mois

Le 15 janvier 1931 un navire quitte Nouméa à destination de Paris, où va se tenir l’exposition Universelle. A son bord, des Kanak, représentants de la culture ancestrale de l’océanie.

Gocéné raconte à son petit fils son éprouvant voyage à Paris où il a été envoyé pour représenter son peuple ” en voie de civilisation” aux Français . Après un éprouvant voyage en bateau, les kanak arrivent à Paris et découvrent qu’on leur a menti : ils sont ” parqués derrière des grilles dans un village reconstitué au milieu du zoo de Vincennes entre la fosse au lions et le marigot des crocodiles.” ( p 21) 

Devant leur enclos, un simple panneau : “Hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie. Gocéné est séparé de Minoé qu’ils emmènent soi- disant visiter la ville ; ce dernier qui a juré au village de veiller sur elle , se lance à sa poursuite et découvre qu’elle est partie en Allemagne pour servir d’attraction exotique dans un cirque. Le numéro s’intitule les cannibales français. Leur tentative d’évasion échoue et le compagnon de Gocéné est tué par un policier mais un français s’interpose entre Gocéné et les  forces de l’ordre.  C’est  ‘un homme qui ne supportait pas qu’on tue des innocents noirs ou blancs. ” A la mort de sa femme, cet homme Francis Caroz décide de partir vivre à Nouméa et il devra affronter d’autres combats et d’autres injustices en compagnie de celui à qui il  a sauvé la vie.

Un récit qui révèle le racisme sous plusieurs formes.

12. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Ce qu’il advint du Sauvage blanc · Catégories: Le livre du mois

Ce roman est basė sur une histoire vraie qui paraît extraordinaire et qui vous fera réfléchir à ce qui fonde notre identité d ‘homme.

Inspiré d’une histoire vraie, ce roman de Français Garde raconte l’histoire de Narcisse Pelletier, un jeune matelot français de 17 ans, abandonné par l’équipage de son navire sur une plage d’Australie. ” Alors seulement il prit conscience de sa situation et eut peur: abandonné sur une côte sans ressources, environné peut-être de bêtes fauves ou de sauvages anthropophages qui n’attendent que la nuit pour le dévorer. Il n’avait rien à voir ni à manger, rien pour faire du feu.” p 16 . 

Sur le point de mourir , il est recueilli par une tribu aborigène qui le soigne et dont il s’efforce , peu à peu, de comprendre les moeurs; “Qu savait-il des Sauvages du Pacifique ? les récits que l’on partageait dans l’entrepont étaient imprécis, contradictoires, parfois incroyables.” (p 63) ” des tribus barbares à la peau noire comme l’enfer, toujours en guerre, défendant pied à pied avec des case-têtes et des sagaies leurs laiderons, leur poulets et leurs légumes.” (p 63) Narcisse va devoir lutter contre ses préjugés et notamment sa hantise du cannibalisme :  “la  terreur de servir de repas dans une grande fête de sauvages l’envahit.”  

Au fil des mois,Narcisse s’intègre à sa nouvelle famille tout en espérant qu’un bateau viendra le rechercher. Il se lie d’abord d’amitié avec un enfant  prénommé Waiakh qui lui sert de guide pour apprendre la langue aborigène et qui l’initie aux coutumes australiennes.Vingt ans plus tard, Narcisse est recueilli par des marins australiens et revient en France; Il doit alors réapprendre à être “blanc” et le parcours de cette réadaptation sera douloureux. ” Au fond de ses yeux , j’avais lu une peur absolue, la terreur d’un animal traqué.“(p 52), dira le jeune explorateur français qui prend la décision de le ramener avec lui à Bordeaux.

L’originalité de ce récit repos sur l’alternance des chapitres qui racontent la vie de Narcisse en Australie, rebaptisé Amglo par les membres de la tribu, et ceux qui, sous forme de lettres écrites par Octave de Vallombrun, le protecteur de Narcisse, témoignent de l’incompréhension des Occidentaux, déconcertés par ce Sauvage Blanc qui refuse de parler leur langue .Les lettres évoquent, de manière chronologique, son  retour en France ainsi que son installation sur l’île de ré, comme gardien du Phare des baleines;Les iliens le prennent pour un fou parce qu’il pêche au harpon et qu’il passe se journées à observer l’horizon. “Là où les autres voyaient un phénomène de foire ou une source de différend, je commençais à le considérer comme un sujet de pitié.”(p 42) Les scientifiques de la société de géographie, ancêtres des ethnologues, aimeraient que Narcisse leur raconte comment il vivait chez les aborigènes mais ce dernier s’y refuse : “Il avait paru souffrir dès que je l’avais interrogé sur ces deux moments où il avait été contre son gré projeté d’un monde vers l’autre – et plus mes questions se rapprochaient de ce basculement ,plus il semblait éprouvé, déchiré anéanti. Sa mémoire, son corps tout entier refusaient ardemment de se souvenir.” (p 349), précise le narrateur qui  a recueilli Narcisse et cherche à comprendre ce qu’il a vécu. Narcisse s’enfuit , Octave meurt en laissant des notes qui attestent qu’il a compris l’âme de Narcisse et le combat intérieur du  Sauvage blanc.

Ce qui a commencé sur une plage déserte d’Australie oblige à penser autrement l’Homme (p 335) ; le risque majeur pour le personnage est celui de “Mourir de ne pas pouvoir  être en même temps  blanc et sauvage.” (p 350) . Un très beau récit qui ne vous laissera pas indifférent et où les Sauvages ne sont pas ceux que l’on pourrait  croire.

ils en parlent ..