28. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Une mort tragique : la mort de Georges dans Le Quatrième Mur · Catégories: Première · Tags:
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L‘épilogue du roman nous présente le récit complet de la mort du personnage principal qui avait déjà été annoncée dès le premier chapitre du roman; le dénouement du roman referme la boucle et nous ramène, en quelque sorte au point de départ: Tripoli , Liban , 27 octobre 1983 un an après le massacre de Sabra et Chatila. Le premier chapitre nous le montre en pleine action : Marwan son guide vient d’être tué dans une explosion et il a trouvé refuge dans un trou où il rencontre un vieux combattant palestinien; Il sait alors qu’il va mourir. Les premiers mots du chapitre 24 intitulé Georges reprennent les derniers mots du chapitre 1 : le palestinien se trompe quand il affirme que Georges a croisé la mort sans jamais tuer.

Comment le romancier nous présente-il la mort du héros ? Tout d’abord il s’agit d’une mort tragique qui prend une dimension symbolique et qui est mise en scène par le romancier en faisant directement référence à la tragédie d’Anouilh Antigone, qui joue un rôle très important dans le roman. Axe possibles ; une mort annoncée, Une mort mise en scène, une mort tragique, une mort théâtralisée, une mort qui entre en résonance avec d'autres morts …

La dimension symbolique : Georges meurt accompagné d’un  nouveau personnage qui représente la durée de cette guerre enter Israël et la Palestine; Ce combattant est issu de Bethléeem (17) : une ville de Cisjordanie peuplée essentiellement de palestiniens musulmans; située au sud de Jérusalem, elle est également la ville où le Christ est né et  donc occupée à l’origine par une population juive. Un autre symbole important c’est la terre de Jaffa : en effet, Georges offre un peu de la terre de Jaffa qu’il a reprise dans la maison d’Imane tuée sauvagement  lors de l’attaque du camp; cette terre représente pour le palestinien un peu de sa patrie perdue et cette terre vient de Samuel qui la destinait aux palestiniens : “j’ai versé la poussière au creux de ses rides noires ” (20) ;

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Ce don a beaucoup de valeur : il représente une identité perdue ; Avant de se lever et de mourir, Georges met sur sa tête la kippa  (44 ) de son ami Samuel, celle qu’il devait porter lors de la représentation d’Antigone car il jouait le rôle du choeur . Il aurait ainsi représenté sur scène” le juif” et le personnage collectif antique témoin du déroulement de la tragédie. D’ailleurs le personnage  du choeur apparait à la fin du roman comme pour prendre le relais du personnage de Georges au moment où ce dernier s’apprête à franchir le quatrième mur (69) ;cette image désigne à la fois le passage du monde des vivants au monde des morts mais aussi le passage de la réalité à la fiction de la scène. Un autre symbole important c’est la clé de Jaffa que Georges garde sur lui. Cette clef représente à la fois l’origine de la guerre car ce conflit a débuté en 1948 juste après la création de l’ Etat d’ Israel qui a entraine l’exode massif des populations de Jaffa; ces palestiniens se sont donc retrouvés privés de terre, sans patrie; beaucoup sont restés attachés à leurs origines et cette clef rappelle l’importance de nos origines; mais cet objet symbolique peut également être considéré comme ce qui va permettre d’ouvrir le passage entre les vivants et les morts ; d’ailleurs dans l’Antiquité, les Anciens possédaient de nombreux rites de passage dont s’inspire ici le romancier. Saint Pierre détient par exemple les clés du paradis et on l’appelle parfois le portier 

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La mise en scène de la mort : le romancier met soigneusement en scène la mort de son personnage principal; Elle intervient au terme de son parcours de personnage et avait été longuement préparée, dès le premier chapitre comme nous l’avons constaté en lisant le roman. Cette mort attendue, redoutée également par le lecteur a des allures de tragédie au sens où on savait déjà ce qui allait se produire; elle est dramatisée par la mort de Marwan et par cette dernière rencontre avec Mahdi: rencontre qui se transforme en un dialogue de théâtre comme nous pouvons le voir avec la mention des prénoms des personnages (MAHDI/ GEORGES/ ) et surtout l’apparition du choeur qui rappelle à la fois celui de la tragédie mais également celui de la pièce d’Anouilh , qui intervient dans l’épilogue. La mort de Georges correspond à une sortie de scène : il a traversé le quatrième mur ( 69) mais le romancier refuse de la décrire “la mort l’a pris comme ça” (70): il ne nous donnera aucun autre détail à l’exception des objet qu’il portait : ” une kippa sur la tête et une clef dans la main ” On se souvient de l’importance des objet symboliques dans le roman: le chandelier qui représente l’amour entre Aurore et Georges, la nippa de Samuel, le foulard d’ Imane; Chaque objet est un peu de l’identité du personnage . 

 Une mort avant tout tragique : Cet épilogue comporte de nombreuses références directes à la pièce d’Anouilh : en plus des noms des acteurs et du choeur, il est fait mention de passages empruntés au texte d’Anouilh ; la tragédie est décrite comme “commode, reposante” (60) et comparée au drame qui lui est “utilitaire et ignoble parce qu’on espérait s’en sortir ” (63) Georges devient donc un personnage à part entière de tragédie et cela lui confère une sorte de majestéc’était pour les rois la tragédie ” (66), une forme de noblesse dans l’acceptation de ce destin ; Les lignes finales sont particulièrement émouvantes avec une sorte du chemin de croix accompli par le héros qui est sorti de sa cachette : “Deux fois Georges est tombé. Il s’est relevé “ (67) Ce parcours fait penser  au calvaire du Christ qui a du porter sa croix et qui est tombé à plusieurs reprises en chemin vers la mort. L’image finale semble adoucir la réalité de cette mort et le romancier fait disparaitre son personnage un peu comme un fantôme. Pour clore son récit, Chalandon a repris intégralement l’épilogue d’Anouilh qui donne une résonance particulière  à sa propre fiction : “toux ceux qui avaient à mourir sont mots; ceux qui croyaient une chose et ceux qui croyaient le contraire -même ceux qui ne croyaient en rien et qui se sont  trouvés rapidement pris par l’Histoire ” cette citation s’applique bien sur au contexte de la seconde guerre mondiale et rappelle certains poèmes de résistance notamment celui d’Aragon intitulé la Rose et le Réséda qui met en scène des combattants réunis dans le même camp au delà de leurs différences initiales. On notera ici la parenté des expressions : ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas ” avec ceux qui croyaient une chose et ceux qui croyaient le contraire ” (voir le poème d’Aragon en pj )

Cette citation  peut tout aussi bien désigner le conflit au Moyen -Orient ; en effet, Marwan est mort, le frère de Charmel est mort, Imane a été sauvagement tuée; aucun d’entre eux n’appartenait au même camp; leur mort atteste de l’impossibilité de réunir les hommes des factions ennemies sur scène pour jouer une même pièce qui justement représente des conflits insurmontables ; C’est la guerre qui a triomphé et non la bonne volonté des hommes ; Antigone demeurera éternellement tragique mais la guerre l’ est encore plus.

Avant de mourir Georges dit qu’il n’est plus rien,  ( 48)  qu’il n’est plus de nulle part qu’il n’appartient plus à aucune terre, aucune patrie; la guerre lui a pris ses racines, lui a volé son identité mais lui a fait rencontrer des frères d’armes et de sang; pourtant il rentre chez lui comme si la mort était désormais son unique refuge; ses dernier mots sonnent comme un adieu et résument une sorte de fatalité tragique   : “personne ne quitte ce monde vivant ”  (52) 

23. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Autour de la guerre : quelques points de vue ..Voltaire, Céline, Giraudoux et Lemaître · Catégories: Première, Terminale spécialité HLP · Tags: ,
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Pour cette étude qui porte sur  l’homme au centre de la guerre ou face à la guerre , ont été réunis différents témoignages qui attestent de la pluralité des visions de la guerre; Nous allons donc comparer les définitions données par Voltaire dans Candide, Céline dans Voyage au bout de la nuit, Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu et Pierre Lemaître dans Au Revoir là hautLe conte philosophique adopte plutôt une dimension critique ; le roman de Céline prend appui sur des élements autobiographiques et se veut le témoignage d’un combattant ; la pièce de Giraudoux se présente comme une réflexion sur les causes de la guerre et tente de répondre à la question: pourquoi les hommes font- ils la guerre été pourquoi aiment-il cela ? Quant au roman de Pierre Lemaître, la guerre n’y occupe pas un rôle central ; elle est le déclencheur d’un drame humain, celui d’un jeune artiste qui ne parviendra pas à surmonter le handicap crée par sa blessure au visage. Le romancier y montre surtout les traumatismes engendrés par les mutilations des corps .

Le siècle des Lumières voit apparaître un renversement de l’opinion publique: siècle belliqueux, il amorce une réflexion sur la nécessité de certaines guerres ; Les philosophes, en effet, combattent la guerre en s’appuyant sur son caractère non nécessaire Ils accusent ,la plupart du temps, les Princes et les Puissants de se laisser emporter par leurs passions, leur orgueil et leur soif de pouvoir qui les conduisent à amorcer des conflits dans leurs seuls intérêts. Voltaire est l’un des premiers à développer une critique systématique de la guerre afin d’en démontrer , à la fois le caractère néfaste mais aussi l’absurdité véritable. Dans Candide, son héros s’est engagé dans l’armée uniquement pour gagner de l’argent car il n’a nulle part où aller et il se retrouve,enrôlé , face à la réalité d’une guerre atroce: un conflit destructeur entres abares et Bulgares; Voltaire dresse un tableau apocalyptique du massacre en accumulant les détails sordides : “les vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes . ” Le point de vue du personnage est d’abord utilisé pour décrire, sur un ton élogieux , la préparation des troupes et le cérémonial : “rien n’était si beau si leste si brillant et si bien ordonné que les deux armées” La dimension spectaculaire est ici mise en valeur mais très vite , le spectacle se transforme en massacre : ” les canons renversèrent à peu près  six mille hommes de chaque côté ” et Voltaire emploie l’oxymore “boucherie héroïque “ pour rendre compte de cette contradiction . De plus, il montre bien la réciprocité des destructions en précisant que les pertes subies dans chaque camp sont identiques ; Le héros décide alors de déserter et Voltaire le montre s’enfuyant “en marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines ” “hors du théâtre de la guerre ” . La critique des horreurs de la guerre se manifeste de différentes manières et on note que  la désertion de Candide est montrée comme un choix raisonnable : “ il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes “ ; vue de l’extérieur, avant le déclenchement des hostilités, la guerre peut paraître admirable mais lorsqu’on se retrouve au front, à l’intérieur des combats, elle devient horrible.

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Louis Auguste Ferdinand  Destouches a choisi lui aussi de consacrer une partie de son roman à la description d’une guerre qu’il a lui même effectuée: la première Guerre Mondiale. Son héros Bardamu se retrouve aux premières lignes ,  dans le conflit tout comme son auteur qui choisit de s’engager dans l’armée à 18 ans devançant ainsi l’âge légal du service militaire obligatoire . Il montre l’horreur des assauts ,la lassitude des soldats et l’acharnement des officiers; Blessé , le héros est évacué et  effectue sa convalescence à Paris ; Il devient alors un adversaire acharné de la guerre et se fait traiter de lâche par sa fiancée. ” vous êtes répugnant comme un rat “lui lance cette dernière et elle se range derrière l’argument de la  nécessaire défense de la Patrie( l 9) . Bardamu persiste  dans son refus en prenant comme illustration l’oubli des morts  tombés sur le champ de bataille  “ils sont morts pour rien ces crétins” et “il n’y a que la vie qui compte “ajoute-t-il ‘ (ligne 16 ) .  Cette confrontation des points de vue se retrouve , sous une autre forme, dans la pièce de Giraudoux où deux camps s’affrontent avec des arguments puissants :.

Jean Giraudoux est un diplomate français qui, parmi les premiers, a pressenti les risques d’un nouveau conflit. En 1935, juste avant le déclenchement de la Guerre d’Espagne, prélude à la seconde guerre mondiale, Giraudoux mesure la montée des nationalismes et se sert d’un conflit légendaire, la guerre de Troie, pour mettre en scène une réflexion sur la  possibilité d’éviter la guerre. Il fait dialoguer bellicistes et pacifistes jusqu’à l’issue tragique : l’ouverture des portes de la guerre en dépit des efforts conjugués d’Hector, qui a rallié l’avis de son épouse Andromaque et d’Ulysse ,le négociateur envoyé par les Grecs. L’extrait que nous étudions se situe au début de la tragédie : Hector vient de rentrer victorieux d’une guerre éprouvante et découvre que son épouse attend leur premier enfant.  Cette dernière set farouchement opposée à une nouvelle guerre qui risquerait de coûter des vies mais son mari se moque de sa sollicitude maternelle en affirmant que le désir de faire la guerre l’emportera toujours “si toutes les mères coupent l’index droit de leur fils, les armées de l’univers se feront la guerre sans index.”( l 1) Andromaque se déclare prête à tuer son propre fils plutôt que de lui faire courir le risque de se faire tuer à la guerre ; ce qui peut paraître quelque peu excessif ..elle demande ensuite à son mari s’il aime la guerre et la réponse d’Hector est étrange :il définit d’abord la guerre par ses aspects négatifs “ce qui nous délivre du bonheur, de l’espoir, des êtres les plus chers. ” avant d’ajouter qu’il se sent invincible juste avant de combattre grâce à cette délégation que les Dieux  lui donnent . Leur discussion se clôt sur un nouveau paradoxe ; L’homme se sent à la fois un Dieu et moins qu’un homme et respecte la vie au moment où il s’apprête à l’ôter à d’autres hommes.

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Pierre Lemaître revisite à sa manière  les affrontements de 14/18 en inventant un point de départ tragique à sa fiction. Albert , l’un des deux héros du roman , constate , au cours d’un assaut  que deux des hommes du bataillon ont été abattus de deux balles dans le dos et il soupçonne alors son officier :le lieutenant Pradelle , de les avoir exécutés pour faire croire à des tirs allemands. Avec un certain cynisme, le romancier critique les officiers qui se croient des Dieux au moment du combat ; le lieutenant est qualifié de “Messie “; Le décor de la guerre ressemble à un décor “de fin du monde “. Les soldats sont présentés comme terrifiés ” des types hurlent comme des fous pour s’enivrer, pour se donner du courage.” Il sont armés d’une colère définitive et d’un désir de vengeance : ” même Albert terrorisé par l’idée de mourir, étriperait le premier venu ” . Les hommes ont le ventre noué, la gorge sèche et courent baissés, par réflexe d’offrir le moins de prise possible comme si l’on faisait tout le temps la guerre dans la crainte du ciel ” . Pierre Lemaître reprend la plupart des clichés sur la guerre des tranchées : la terre épaisse , la boue, la peur et la colère ; Il utilise un narrateur omniscient à la différence de Laurent Gaudé qui dans Cris, ne nous offre que les pensées de ses personnages sans jamais aucun commentaire .

22. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le quatrième mur : la découverte du massacre …des visions d’horreur · Catégories: Première · Tags: ,
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Photos de presse 

Le passage de la découverte du massacre perpétré dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila est sans doute l’un des plus difficiles à lire à l’intérieur de ce roman ; le romancier nous dépeint  une réalité sans fard  et nous entraîne à la suite de son héros dans une  véritable plongée au sien de l’horreur; Il déploie un registre réaliste et pathétique et nous nous sentons véritablement touchés par cette description sans concession de la guerre et de la souffrance;

Rappelons tout d’abord les faits historiques tels qu’ils se sont déroulés en 1982…

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne a envahi le Liban dans ce qu’elle a décrit comme étant des “représailles” pour la tentative d’assassinat sur l’Ambassadeur israélien à Londres.Le 18 juin 1982, Israel avait cerné les forces armées de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) dans la partie occidentale de la capitale libanaise. Un cessez-le-feu a eu comme conséquence l’évacuation de l’OLP de Beyrouth le 1er septembre 1982.Le 11 septembre 1982, le ministre de la défense israélien, Ariel Sharon, a annoncé que “2.000 terroristes” étaient restés à l’intérieur des camps de réfugiés palestiniens .Le mercredi 15 septembre, le lendemain de l’assassinat du chef de la milice phalangiste alliée des Israéliens et président élu libanais, Bashir Gemayel, l’armée israélienne a occupé Beyrouth-Ouest, “encerclant et bouclant” les camps de Sabra et Chatila.

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L’armée israélienne a alors désarmé, dans la mesure où elle le pouvait, les milices anti-israéliennes à Beyrouth-Ouest, alors qu’elle a laissé ses armes aux milices phalangistes chrétiennes de Beyrouth.Le jeudi 16 septembre 1982 vers midi, une unité d’environ 150 Phalangistes armés (c’est ce que prétend Israël) est entrée dans le premier camp.Pendant les 40 heures suivantes, les membres de la milice phalangiste ont violé, tué et blessé un grand nombre de civils non-armés, dont la plupart étaient des enfants, des femmes et des personnes âgées à l’intérieur des camps encerclés et bouclés. L’estimation des victimes varie entre 700 (chiffre officiel des Israéliens) et 3.500.

Les journalistes qui ont couvert les reportages dans cette région du monde ont pu alors découvrir lorsqu’ils sont entrés dans les camps, des visions d’horreur et ce sont ces visions que s’efforce de reconstruire le romancier dans ce passage. Comment le romancier décrit-il cette scène d’horreur ? comment cette description est-elle organisée ? 

Le romancier utilise différents procédés pour dépeindre  cette vison : tout d’abord , il nous entraine dans le sillage d’un personnage et nous voyons à travers ses yeux; Ce procédé appelé focalisation interne facilite grandement l’identification par le lecteur au personnage et grandit l’illusion réaliste. 

Georges se déplace : c’est ce qu’on appelle une description en mouvement ou ambulatoire et nous le suivons pas à pas . Le texte est construit selon une organisation spatiale facilement repérable ; Nous avançons ainsi “plus loin” : nous pénétrons “à l’intérieur”  ( 5) de cet univers cauchemardesque ; J’ai vu , j’ai marché (1)  ; Les verbes de vision sont nombreux ainsi que les connecteurs spatio-temporels : dans un angle ( 15), là-bas (11) , partout des morts (19) . 

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Les camps palestiniens 

Le registre pathétique est particulièrement marqué dans cet extrait avec tout d’abord la mention des victimes : ce sont des vieux, des jeunes et même des enfants ; Nous avons ici une sorte de gradation de l’horreur . Le lecteur ne peut s’empêcher de prendre parti contre les miliciens et les exactions commises; Le romancier dénonce ici les massacres perpétrés par les combattants contre des civils sans défense.

La multitude des  petits détails réalistes contribue à renforcer cette dénonciation: la position des corps, les souffrances subies augmentent notre émotion; les cadavres sont présentés dans des positions humiliantes : sur le dos, bras ouverts, ” un bébé torse nu, en couches déchiquetées ( 29)  “un corps coupé en deux ” (10) ; les victimes sont montrées comme cueillies par la mort et aucun détail trivial ne nous est épargné : “la merde séchée , (18 )  les plaies béantes, les trainées de cervelle (21) 

De plus, la description est dramatisée par les réactions du personnage -témoin : Georges qui a bien du mal à ne pas se laisser déborder par l’émotion : “ je le redoutais, je le craignais ” ; ces deux verbes montrent son appréhension ; Profondément troublé par la scène, il semble marquer, malgré lui, un temps d’arrêt : “je me suis arrêté; j’étais sec” ; ( 32)  Aucune larme ne parvient à sortir de son corps : " le visage sans rien ” Tout es passe comme si Georges ne ressentait plus rien, comme si son coeur s’était vidé ; Il ose à peine respirer car selon lui “inspirer, c’était bouffer de la mort “ . Le lexique est ici imagé et le romancier recourt à la crudité de certaines expressions pour mieux peindre fidèlement ce qu’il voit : ” chairs et vêtements arrachés” (l 50) ; le narrateur peu à peu perd pied et semble se perdre au fond de la guerre ; il est guidé par des anges et échappe de peu à la mort mais cette dernière est déjà annoncée. 

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Un texte poignant qui révèle une description organisée visuellement autour du personnage de Georges et de la découverte de ces massacres qui , à l’époque, ont ému considérablement l’opinion publique; C’est cette émotion que tente de restituer le romancier en utilisant diner moyens lexicaux et stylistiques. 

22. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le quatrième mur : approche générale ..roman de guerre et roman sur la vie · Catégories: Première · Tags: , ,
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Le roman de Sorj Chalandon, Le quatrième mur porte un titre qui d’emblée précise l’un des thèmes majeurs du roman: la vie est-elle un songe ? quelle est la frontière qui sépare nos rêves de la réalité; En effet, le quatrième mur c’est celui qui au départ sépare les comédiens de la salle lors de la représentation théâtrale mais à la fin du récit, c’est celui qui “protège les vivants ” (p 326) et c’est celui que franchit le personnage principal, Georges au moment de choisir de mourir . Ce roman nous emporte , en compagnie de quelques personnages attachants comme Georges, son ami Samuel, son guide Marwan , au coeur d’une guerre terrible qui fait rage au Liban et en Palestine; le romancier nous montre jusqu’où la guerre emporte les hommes et comment elle les transforme : il est alors des régions d’où l’on ne revient jamais  ….

Le roman se présente le plus souvent  sous la forme d’un  récit chronologique : l’histoire de Georges le héros, sa rencontre avec Aurore sa femme, la naissance de sa fille, son projet de mise en scène d’Antigone à Beyrouth pour accomplir les dernières volontés d’un ami gravement malade et son arrivée au Liban , ses découvertes de la réalité de cette guerre , des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, de sa blessure, de son retour à Paris et de sa décision de repartir mourir à Tripoli. L’écrivain ménage néanmoins un certain effet en plaçant à l’ouverture du roman le chapitre de la mort du héros qu’il reprend et termine 300 pages plus loin ,au chapitre 24. Lorsqu’il reconstitue le parcours de Georges , l’auteur motive chaque évolution de son personnage , à la manière des écrivains réalistes: il lui confectionne un passé, organise des rencontres décisives dans sa vie et nous place au centre de ses pensées auxquelles il nous donne souvent accès. Le récit  des aventures de Georges constitue ,en quelque sorte, un roman d’initiation (Bildungsroman) mais le roman nosu permet aussi de nous interroger sur la place et le rôle de l’art dans le monde et notamment du théâtre; 

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En effet, le fil conducteur de l’intrigue, c’est avant tout le projet de mettre en scène la pièce de Jean Anouilh Antigone à Beyrouth même, au coeur des combats, avec des acteurs de chaque camp ennemi ; Sorj Chalandon revient à plusieurs reprise sur le projet de Anouilh, sur la réception de la pièce par les différents membres des communautés en présence et sur le sens même de cette tragédie; en tant que journaliste, le romancier décrit souvent les lieux dans lesquels ses personnages se déplacent avec beaucoup d’émotion et le registre patéhqtieu est présent dans de nombreux chapitres. Il sert sans doute à nous sensibiliser sur la tragédie qui es joue au Moyen-orient à cette époque ; l’action du roman se situe dans les années 80 et plus particulièrement en 1982, date de l’escalade de la violence au Liban et des représailles d’ Israël.

En plus de s’attacher à un parcours individuel, l’écrivain retrace des existences croisées qui dressent une sorte de panorama des idéologies qui se combattent en France à partir de Mai 68: de nombreux étudiants  voulaient changer le monde et pensaient que l’engagement politique était une voie possible sur le chemin de la transformation de la société. Georges va se retrouver à la croisée des chemins, et il devra choisir entre deux voies, deux directions , deux mondes.  La force de ce roman et son caractère atemporel vient des grandes questions existentielles qu’il soulève : jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour défendre ses idéaux et à quel prix ? 

Bonne lecture et n’oubliez pas de prendre des notes au fur et à mesure …aidez-vous des titres des chapitres, du diaporama de cours et résumez l’intrigue, étape par étape sur une fiche; Vous pouvez aussi relever des citations que vous trouvez particulièrement intéressantes.  

22. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Antigone dans le Quatrième Mur : les préparatifs pour la pièce · Catégories: Première · Tags: ,
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L’édition originale 

Le roman de Sorj Chalandon raconte l’histoire de deux metteurs en scène qui veulent monter l’Antigone d’Anouilh en plein coeur de Beyrouth en guerre avec des acteurs appartenant à chacune des factions  en conflit ; Pari fou, pari osé ou chimère : pourquoi Samuel a-t-il choisi cette dernière volonté avant de mourir et qu’est-ce qui va pousser son jeune ami Georges à relever ce défi ? La pièce est au centre du roman et elle est évoquée sous différents aspects. “J‘ai souffert avec la petite maigre  et elle a combattu à mes côtés ” (p 38 )  avoue Samuel à une terrasse de café à son ami Georges en 1974 lorsqu’il évoque pour la première fois son passé douloureux .Il tend alors un exemplaire de la pièce “éditée à la Table ronde en 1945 avec les lithographies terres d’ombres et noires de Jane Pécheur.”

Il est tout d’abord question des souvenirs de lecture de la tragédie d’Anouilh. Cette ouvert a beaucoup marqué Samuel qui en a monté une représentation à l’école polytechnique  lors du coup d’Etat des colonels en Grèce en 1973. Il évoque cette expérience alors qu’il est invité au festival de théâtre de Vaison la  Romaine pour assister à la représentation d’Antigone mise en scène par Gérard Dournel avec Liliane Sorval dans le rôle d’Antigone, et Jean-Roger Caussimon dans celui de Créon. Samuel raconte la pièce : “Souviens toi des premières secondes. Tous les acteurs sont présents, aucun n’est en coulisse. Il n’y a pas d’arrière scène, pas d’entrée fracassante, de sortie applaudie, pas de claquement de porte. Juste un cercle de lumière où entre celui qui parle. Et l’obscurité qui recueille celui qui vient de parler.Le décor ? Une volée de marches, un drapé de rideau, une colonne antique. c’est le dépouillement,la beauté pure ” (p 39) 

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Georges a lu Antigone adolescent mais cette pièce ne l’a pas vraiment marqué.Pour Samuel au contraire , elle a guidé sa vie. L’héroïne de Sophocle lui semble prisonnière des dieux et réduite au devoir fraternel alors que la petit maigre chez Anouilh représente , à son sens, “une héroïne du non qui défend sa liberté propre.” ( p 40) Sam offre alors le livre à Georges qui l’accepte comme “une lettre d’adieu“. Au mariage de Georges , Samuel qui est son témoin ajoute que la République, “c’est le respect des différences. ” et plus tard il dira  en accueillant Georges blessé que la violence est une faiblesse .(p 67 ) Il lui rappelle à cette occasion qu’ils ne sont pas des résistants, que  Giscard n’est pas Pétain et que les jeunes étudiants d’Assas contre lequels il s’est battu  , les rats noirs, ne sont pas des nazis, juste des racistes dangereux .” (77) 

En 1982, Georges rend visite à Samuel alors très malade et ce dernier lui arrache la promesse de continuer à travailler sur son projet d’Antigone à Beyrouth. “Le drame était un cadeau qu’il emballait de burlesque ” Sam voulait monter la pièce noire d’Anouilh dans une zone de guerre( 87) Faire la paix entre cour et jardin.  Et il est question pour lui de terre et de fierté dans Antigone .Il choisit le Liban à cause du massacre palestinien de la Quarantaine suivi des représailles sur le village chrétien de Damour: il venait de trouver les tréteaux d’Antigone. (89) et a entrepris les premières démarches, contacté les acteurs et obtenu des autorisations officielles. 

“Antigone était palestinienne et sunnite. Hamon son fiancé, un druze du chou. Créon roi de Thèbes et père d’héron, un maronite de Gemmayzé. Les trois gardes, chiites, pas été messager et Eurydice une vieille chiite; La nourrice une chaldéenne et Ismène, catholique arménienne. (95) ; Sam serait le choeur et Georges s’attaque au projet .

Il relit d’abord la pièce et découvre une Antigone qui refuse de pactiser avec la vie et qui attend la mort; Et il découvre ensuite les notes de mies en scène de Samuel ( p 106) : Pas de costume de scène: le public doit s’attendre à une répétition . Il compare alors avec la représentation de 1944 au théâtre de l’Atelier en février. Antigone était en robe de soirée noire avec une croix au cou et Créon en habit avec gilet et noeud paillon;Les gardes en gabardine et chapeaux mous (gestapo ? ) La pièce doit parler au présent ajoute Samuel.

Ne pas confondre le Créon brutal de Sophocle et l’homme plein d’amertume dessiné par Anouilh; Chez Sophocle, Créon est le personnage tragique. Chez Anouilh, c’est Antigone qui porte la tragédie” p 107 Il a pensé à la musique de Duruflé et aux symboles : kappa, foulard, keffieh.  Georges appelle Iman est constate que les travaux pour la pièce sont au point mort et qu’aucune rencontre n’a pu avoir lieu. Il ment alors à Samuel de plus en plus affaibli  et repart avec le sachet de terre de Jaffa. Georges part alors pour Beyrouth. Voilà un extrait d’une mise en scène d’un face à face entre créons et Antigone : entraînez-vous à commenter la mise en scène …

 

21. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La cérémonie des adieux dans le quatrième mur . Le dernier départ de Georges. · Catégories: Première · Tags: ,
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Après son second retour de Beyrouth où il a été gravement blessé dans un bombardement israélien ,et sa découverte du massacre  du camp palestinien de Sabra et Chatila dans lequel Imane a trouvé la mort ,  Georges ne parvient pas à se réadapter  à sa vie d’avant la guerre : il cache à sa famille les morts , la guerre et devient dangereux pour lui et pour son entourage. Aurore se met à avoir peur de lui : il se nourrit uniquement de pain et de riz et se met à avoir des accès de colère ; une violence sourde le dévore de l’intérieur et il pense pouvoir mourir de colère. Après l’incident qui a lieu pour les 3 ans de Louise  où il agresse la marionnettiste ventriloque , il accepte d’être hospitalisé. Le printemps 1983 se passe : Georges tente de mettre la guerre à distance mais en juillet il reçoit une lettre de Marwan qui lui annonce la mort de Nakad et peu après Sam décède. Georges sait alors qu’il va lui falloir les rejoindre tous . Un dernier incident dans le parc où Louise fait tomber sa boule de glace et où il la bouscule et la blesse, finit par le décider à faire ses adieux ; A sa famille d’abord et à la vie ensuite. 

Quelle étape franchit ici le personnage de Georges et comment le romancier justifie-t-il sa décision de repartir à Beyrouth ? 

Le passage débute juste après l’évocation par le personnage de ses souvenirs amoureux avec Aurore : ils installaient symboliquement une bougie  sur un vieux chandelier qui était leur premier objet achat ensemble et ils l’emmènent partout avec eux; Ce soir là, la bougie s’est éteinte; Or, on sait que la flamme représente symboliquement la vie donc l’obscurité qui apparaît est annonciatrice de mort. 

 Quel sont les sentiments du personnage ?  Georges se présente à nous comme une sort d’enveloppe vide : “je ne

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ressentais rien ”  (l 1 ) et il précise ensuite : “ni tristesse ni amertume ” ; Ce qui peut paraître étonnant car Georgse bouillonne d’une colère intérieure qui est bien plus que de l’amertume mais ici il évoque plutôt les sentiments liés à sa décision de partir et de quitter sa famille.  L’énumération ” ni froid, ni chaud, ni faim, ni sommeil” tend à montrer qu’aucun de ses besoins essentiels n’a plus d’importance comme si la vie le quittait et cet assèchement du personnage se manifeste ensuite par l’image : “je n’entendais plus mon coeur ” à la fois symptôme de son arrêt du coeur et de la volonté de vivre qui le quitte progressivement. L’oxymorele tumulte que fait le silence ” montre que le personnage se vide peu à peu de ses pensées comme s’il se répartissait de son humanité. D’ailleurs mon coeur est juxtaposé avec mes pensées comme pour attester qu’il ne s’agit pas seulement d’une mort physique mais également d’une mort sur le plan moral; Gerges est comme mort pour le monde qui l’entoure ce qui peut se traduire par un retrait complet des marques sensorielles ; Au sens propre, il ne ressent plus aucune émotion. 

La fin du paragraphe évoque les causes de cette évolution tragique du personnage : sa fréquentation de  la guerre. L’auteur rend en effet ici  la guerre responsable de ces changements; d’abord  il emploie le verbe décimer (11)  qui littéralement signifie tuer un homme sur 10 et qui connote l’ampleur du massacre . Ensuite , Aurore est présentée comme “veuve ” alors que Georges est encore vivant : ce paradoxe révèle qu’il se considère déjà comme ne faisant plus partie des vivants. Ensuite la guerre est présentée comme une sorte de monstre qui dévore les hommes ; L’expression avoir faim l’animalise et indique la force de son désir ; La gradationme réclamait” m’exigeait avait vraiment faim de moi ”  (traduit ce besoin irrépressible que ressent le personnage de repartir sur la zone de guerre ) Pour terminer , le romancier montre une sorte de relation d’égal à égal en rappelant que Georges effraie désormais sa famille : la guerre est la seule à pouvoir le comprendre ” elle ,’avait pas perdre mes cris, de mes coups ni même du mon regard ” ;  En fait, la guerre semble offrir au personnage des conditions dans lesquelles il peut se laisser aller à déverser sa colère sa violence car les circonstances le justifient. Cette théorie selon laquelle le combat serait un exutoire à la violence existe depuis l’Antiquité; la guerre offre ainsi aux hommes un espace où il peuvent faire ressortir ce que Chalandon nomme “leur monstre intérieur “, tout simplement laisser libre cours à leurs pulsions meurtrières et à leurs bas instincts, toutes les émotions et les gestes qu’ils doivent réprimer tant bien que mal pour pouvoir vivre en société au milieu de autres hommes. L’homme dans la guerre se transforme et ici l romancier monter que son personnage a atteint une zone de non retour. 

La mise en scène du départ 

Le personnage a préparé son départ et effectué des opérations indispensables comme ” virer mon argent sur le compte de ma femme ” et “retirer du liquide ” mais il ne les prévient pas et les laisse partir le matin sans rien leur dire. Il évoque d’ailleurs ce que sera la première soirée sans lui au conditionnel “ce soir il y aurait pizza pour tout le monde ” comme s’il avait du mal à quitter cette scène, comme s’il faisait encore partie de la distribution; Dans l’expression “tout le monde ”  ( 19 ) on peut penser qu’il s’est inclus et qu’ils forment encore à ce moment là, en pensée, un trio. Chaque geste quotidien accompli par le personnage résonne  alors de manière symbolique …

21. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le parcours de Georges dans le Quatrième Mur : il devient un assassin ! · Catégories: Première
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Certains aspects du roman de Chalandon l’apparentent à un roman initiatique; En effet, le héros Georges est d'abord adolescent et révolté avant de découvrir l'amitié, l'amour , de devenir père et de rencontrer la guerre qui va le transformer. Plusieurs des lectures choisies témoignent de l'évolution du héros. Notamment celle où il tue pour la première fois.  (introduction )  Ecrit par un journaliste qui a couvert la guerre au Moyen-Orient pour le journal Libération pendant plus de 10 ans, ce récit fictif nous permet de réfléchir aux conséquences de la guerre sur les hommes qui en sont les témoins et les acteurs. Cette scène est située à la fin du roman, lorsque Georges , incapable de se réadapter à sa vie familiale à cause des horreurs qu'il a découvertes, décide de repartir à Beyrouth pour y mourir.Ce passage constitue un épisode déterminant pour le personnage; 

Lorsque Georges décide de venir en aide à son ami Samuel Akounis et de mettre en scène Antigone d’Anouilh au Liban, il se doit qu’il va rencontrer certaines difficultés à cause de la guerre qui s’y déroule mais il n’a jamais vu son véritable visage de près; Dès son arrivée à Beyrouth, il se retrouve confronté à des paysages marquants . Meurtri dans son esprit et dans sa chair, il ne parvient pas à chasser les images du massacre dans les camps de Sabra et Chatila, images qui le hantent et l’empêchent de reprendre le cours de sa vie passée. Lorsqu’il revient à Beyrouth, les circonstances sont dramatiques;  Nakad, le fils de son mentor Marwan, qui jouait le rôle de Hémon, a été tué par des milices chrétiennes commandées par le frère d’un autre acteur de la pièce : Charbel qui, lui, interprétait le rôle de Créon.  Marwan va alors demander à Georges de “prendre sa part de guerre ” et de tuer à son tour. En quoi cet épisode est-il déterminant pour le personnage ? Nous verrons tout d’abord qu’il le place face à un dilemme; qu’ensuite il le montre en action et qu’enfin il le transforme et prépare le dénouement tragique

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Voyons tout d’abord ce qui se passe avant que Georges appuie sur la détente : l 5 il demeure tétanisé “ je n’ai pas bougé ” et les actions semblent se ralentir ; il se met à observer de menus détails comme la main de Marwan qui lui tend l’arme : “ses mains de paysans, ses doigts abîmés, ses ongles brisés un à un par la vie ” Ce détail semble nous montrer que les mains de Marwan ne sont pas faites pou tuer au départ; Georges finit par prendre l’arme tendue et continue à observer la scène : “j’étais jambes ouvertes, serrant son corps entre mes pieds ”  Aucun détail ne nous est épargné de la position des personnages durant cette scène comme pour que nous puissions mieux la visualiser de manière réaliste; En effet, ce sont les petits détails vrais qui donnent au roman sa dimension réaliste et qui font oublier qu’il s’agit d’une fiction. 

Le romancier semble étirer le temps avant le passage à l’action avec des périphrases verbales qui traduisent un futur proche comme “ j’allais tuer un homme ” l 32 ou la répétition de “Allons -y” aux lignes 18 et 22 comme pour se motiver. Ces effets produisent une dramatisation de l’action avec notamment une description choquante de la victime; Le milicien chrétien est présenté d’abord  au moyen d’une comparaison l 30 comme un animal blessé qui convulse et la comparaison le déshumanise tout comme l’expression à la ligne 28 “quelque chose coulait sur sa joue qui ressemblait à un oeil ” Les détails crus ont à la fois pour fonction de confirmer le registre pathétique employé pour dénoncer les horreurs de la guerre mais également de montrer à quel point ce meurtre était quasi inutile car le milicien n’avait aucune chance de survivre à ses blessures . 

Dès le début du passage, on a en fait l’impression que  c’est la guerre elle -même qui est rendue responsable du cette violence des hommes : un long passage du premier paragraphe nous fait entrevoir, au style indirect libre, les pensées des miliciens : ils sont venus en l’absence des hommes palestiniens pour tuer les femmes et “les enfants, qui seront nos ennemis demain disent-ils; ” Les chrétiens ont agi par représailles , après le massacre de Damour ; Leur adage “sang pour sang ” est un appel à la vengeance ; dans la Bible, la loi du talion est construite sur ce même modèle: oeil pour oeil, dent pour dent. L’auteur semble montrer ici que cette guerre ne finira jamais car chaque action déclenche la vengeance dans un camp opposé. 

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Combattants du FATAH

 Une fois que Georges décide de tirer, le texte mentionne ses réactions de manière très détaillée : le fait de tirer tout d’abord est assimilé à quelque chose de mécanique comme le révèle la phrase nominale : “ choc dans l’épaule, bruit qui roule, éclat d’écorce” l 40. Ici l’action de tirer est sortie du contexte guerrier : il s’agit de rappeler que Georges possède les compétences nécessaires afin d’effectuer un tir de pistolet; Le narrateur reste stupéfait par les conséquences de son geste ; Il constate dans un premier temps qu’il est devenu un assassin et de nombreux paradoxes traduisent ses pensées confuses . Au moyen de ces paradoxes, l’écrivain révèle toutes les ambiguïtés de la guerre;  

“Je venais de tuer un assassin; J’étais un assassin. ” La juxtaposition simple des deux phrases montre toute l’ambiguïté de la situation ; la guerre transforme les hommes et il est très difficile de reconnaître alors la ligne qui sépare le Bien du Mal. La victime est passée du statut de bourreau à celui de “supplicié” ligne 52. Le texte a montré ses souffrances et la crudité de la mort avec des mentions telles que ” la chair coulant sur mon pantalon”  l 46 qui contraste avec la fumée légère qui sort de l’arme (l 48 ) . Le romancier s’efforce de montrer à la fois l’aspect facile de ce geste de tirer sur un homme et les conséquences terribles que cela provoque dans l’esprit même du tireur qui , lui aussi, perd une partie du son humanité.  “j’avais rejoint la guerre ” précise Georges l 50.

Désormais rien ne sera plus comme avant pour le personnage : cette exécution le perturbe physiquement et il donne des signes de malaise : “je tremblais, j’avais froid ” est-il écrit ligne 59 ; Une énumération marque l’ampleur de ce qui vient de se passer dans la tête de Georges  qui semble désorienté : ” Il me fallait marcher, m’asseoir, réfléchir ” ( l 61) . Il envisage la portée de ce geste dans son avenir : “mes jours seraient de suie mes rêves allaient devenir des cauchemars . ” La première image fait référence au cendres  soit des morts , soit celles qui marquent le deuil dans les civilisations antiques ; quant à la seconde, elle montre la disparition de l’espoir et de la croyance en un avenir meilleur . Un nouveau paradoxe parvient à nous convaincre du caractère irrémédiable de ce qui vient de se produire sous les yeux du lecteur. ” Je venais de tuer c’est à dire de mourir ” 

Voilà le personnage de Georges condamné par son meurtre à devenir autre; Il pense tout d’abord qu’il est un monstre et que les enfants vont voir en lui un ogre ( l 66), figure effrayante qui suscite la peur ; quant à sa femme, il représentera désormais pour elle une menace ” l 67 ; Le romancier renoue ici les fils de son intrigue et prépare l’arrivée du dénouement fatal pour le personnage qui avait été amorcé au premier chapitre . Il envisage à la fin de cet extrait les raisons au moyen desquelles les combattants tentent de justifier leur passage à l’acte : ils s’inventent des prétextes et maquillent leurs crimes en pseudo- délivrances : “je l’avais sauvé de l’agonie” pense Georges . pas tué mais libéré , se dit-il ligne 74.

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Chalandon termine par l’évocation d’Antigone comme une sorte de mise en abîme, de résonance des événements au Moyen-Orient: les éléments de la pièce se mêlent alors à la situation qui vient d’être évoquée; en tuant le frère de Charbel, Georges devient Créon et Antigone à la fois; Il s’imagine alors   “drapé dans une toge blanche ” en proférant l’interdiction d’inhumer le corps . On peut même dire que son geste le gonfle provisoirement d’un orgueil démesuré , une sorte d’hybris tragique ; Il se voit “superbe ” et “immense ” comme un souverain tout puissant de tragédie. L’univers de la tragédie est explicitementt mentionné avec “le roi de ce monde “ et le dénouement de ce passage est construit sur une ambigüité entre la peur de mourir et la peur de ne plus être capable de pleurer. 

Un passage déterminant donc pour le destin du personnage qui s’approche inexorablement du quatrième mur qu’il s’apprête à franchir de manière défintive. 

 

 

 

20. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La répétition inachevée : extrait n° 2 Le quatrième Mur · Catégories: Première · Tags: ,
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De retour  à Beyrouth pour continuer à diriger  le projet  de son ami mourant : faire jouer une représentation de la tragédie d’Anouilh, Antigone, avec des acteurs de chaque faction en guerre , Georges réunit pour la seconde fois sa troupe au centre culturel grec  dans le quartier Bir Hassan, le 4 juin 1982; Il a demandé à chaque acteur d’apporter un objet symbolique qui définit son personnage et il entend bien, au cours de leurs lectures, leur indiquer comment jouer au mieux leurs rôles et diriger la répétition. Les acteurs échangent leurs points de vue sur le sens de la pièce  et Georges leur rappelle les circonstances de sa création par le dramaturge français; Il en a eu l’idée après avoir lu une affiche de la gestapo qui présentait l’attentat d’un ouvrier français torturé et exécuté pour avoir  tiré sur le ministre du gouvernement de Vichy, Pierre Laval. Anouilh a alors pensé à Antigone et à son face à face avec Créon . Image voit en l’héroïne qu’elle incarne l’image de la rébellion et Charbel demande des précisions pour jouer le roi Créon. Georges le laisse libre d’en faire un salaud ou un héros . A ce moment là, un avion israélien bombarde la ville . C’est la panique …

Quel rôle joue ce passage dans le parcours et l’évolution du personnage de Georges ? quelles est sa fonction dramatique? symbolique ? comment la guerre  fait-elle irruption ici au coeur du théâtre et de la représentation ? Tout d’abord ce passage représente la véritable découverte de la guerre par Georges, leur premier véritable contact ; Le passage décrit d’abord les réactions des acteurs avant d’analyser ce que ressent Georges à ce moment précis ;

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La guerre  prend ici la forme de violentes explosions et se caractérise tout d’abord par un mouvement de panique : “ils hurlaient en arabe” : confrontés  au danger à la mort,  les hommes reviennent immédiatement à leurs langues natales. D’emblée le lecteur est plongé dans la mêlée par une successions de phrases courtes comme des notations des positions de chacun. Chaque prénom est associé à une position :  George est “allongé” Yevkinée “blottie ” contre lui et “sanglotait”. Madeleine “pleurait” et Nabil “priait à genoux”; Le roman dresse une sorte de tableau où les corps se dessinent et se transforment sous l’effet du bombardement. Après avoir saisi les positions des acteurs ” mains sur la tête” “ tenant son nez à deux mains ” “dos tourné à la fenêtre“mains offertes au ciel “ , l’écrivain va brusquement animer ce tableau en y associant des sensations auditives notamment, qui tentent de rendre compte du fracas des bombes et de la violence de ce qui est subi ici ; “juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l’acier en tout sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons de voitures folles les hurlements de la rue, les explosions encore encore encore ” (  l 14 à 20 )  Sous la forme ici d’une longue énumération, le romancier transcrit les différents bruits qui se succèdent avec d’abord des adjectifs hyperboliques comme “immense ” ou “ terrible ” ; Ensuite en utilisant simplement la juxtaposition des différents sons comme s’ils se déclenchaient les uns à la suite des autres ou quasiment en même temps; l‘allitération en f avec fracas folles, feu, fumée fait presque entendre le souffle de l’explosion. Et la répétition de encore à la fin de la période semble justement la rendre infinie.

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Non seulement il nous fait entendre la guerre mais il tente de nous la faire visualiser avec les indications visuelles qui bouleversent nos repères habituels  comme “acier en tout sens “(16)  ; On peut imaginer ici à la fois les avions mais surtout les dégâts causés par les bombes au sol qui pulvérisent tous les objets qu’elles rencontrent 

Georges vit son premier véritable contact direct avec la guerre à laquelle jusque là, il a pourtant beaucoup pensé et il va pouvoir confronter les images qui étaient les siennes à ce qu’il est en train de vivre. “j’étais en guerre ” dit-il (l 12 ) Cette fois vraiment.”  Le passage ici se fait par cette formule: passage entre sa représentation de la guerre et son vécu sur le terrain .   Ce n’est pas exactement son baptême du feu car il  déjà eu une première approche de la guerre à Beyrouth en compagnie de Jospeh-Boutros durant une nuit. C’est d’abord son corps qui parle : ” Mon âme était entrée en collision avec le béton déchiré ” Cette image traduit l’idée d’un terrible choc contre quelque chose qui nous dépasse ; Les murs sont ici personnifiés avec l’adjectifs déchirés qu’on emploie plutôt pour des corps ( l 20) C’est comme si une partie de lui demeurerait à jamais dans cet endroit: comme s’il venait de perdre un morceau de lui  qui restera définitivement accroché  à Beyrouth. “ Ma peau, mes os, ma vie , violemment soudés à la villeL’énumération met sur le même plan le corps : l’enveloppe extérieure, et le squelette caché dessous  et le verbe souder marque ici la force de ce lien qui désormais l’unit à cette ville et à son peuple. En même temps le terme souder rappelle l’acier  utilisé comme métonymie pour illustrer la guerre.

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A ce moment là, le personnage  a une réaction paradoxale : il se met à sourire ( l 22) et il associe ce qu’il est en train de vivre à ses souvenirs récents ; Ses pensées sont traduites par l’anaphore du verbe pensais (l 23,24 27 ); L’écrivain superpose différentes images comme pour montrer que la guerre  réussit à s’infiltrer partout  et notamment rayonne de ce théâtre à  Beyrouth toute entière représentée par différents lieux symboliques  “ les snipers du Ring, de la tour Risk” ; La parenté des deux mots nous rappelle que même ennemis , ils sont touchés de la même manière ; La ville est remplie de tireurs qui sont “jetés sur les murs ” comme pour souligner la violence qui passe ici directement par les hommes en armes comme Joseph Boutros, le frère de Charbel qui se bat dans le camp chrétien ; Son arme est comparée à un “fusil d’enfant” et le bruit des coups de feu du snipper à “un couinement de souris grise ” (l 23 )  alors que quelques semaines auparavant les mêmes coups de feu  semblaient à Georges d’une violence follle ” et il déclarait qu’à ce moment là il n’avait jamais  vu la bataille d’aussi près.

Le personnage a donc franchi une étape supplémentaire dans son approche de la guerre et alors qu’au chapitre 10 lorsque Joseph-Boutros lui  avait ordonné de rester auprès de lui, il se sentait à ce moment là déjà “au profond de la guerre” et ressentait quelque chose d’à la fois “terrible et vertigineux ” (p 159) . Cette sensation va être décuplée lors de ce bombardement.  Car  jusque là le personnage conservait la conscience de ne pas être venu pour cela, pour la guerre  “ ce n’était pas le mandat que Sam m’avait confié “dit-il (p 159) . Avec l’épisode du bombardement, nous voyons le personange de Georges entrer de tout son être dans la guerre; Il ne peut plus demeurer spectateur des événements mais devient l'un des acteurs du conflit. Déjà lorsqu'il  avait passé la nuit avec le frère de Charbel, il avait été assailli par un sentiment de honte “j’ai eu honte ” et il secoue la tête pour chasser ce qu’elle contient car pour la première il a peur de lui-même; cette fois la honte demeure présente : l’expression “j’ai eu honte “revient trois fois en trois lignes ( 39 à 42 )et à chaque fois accompagnée par un sentiment paradoxal. 

Ce que ressent,en effet, Georges à cet instant peut encore paraître confus : un mélange de joie et d’horreur qui le fait à l fois se sentir en enfer et se sentir terriblement bien ; Que se passe-t-il en lui ? Son esprit voyage et repart à Paris porté par les bruits qui lui rappellent d’autres bruits  comme ceux qui célèbrent la victoire du 14 juillet et ceux de la nature “l’orage et la foudre ” l 29 qui sont qualifiés de “trop humains ”  comme pour montrer que ceux qu’il entend durant les explosions ne le sont plus. En réalité, c’est plutôt l’inverse car les bruits de l’orage et de la foudre ne sont pas humains alors que ce sont des hommes qui larguent les bombe qui détruisent d’autre hommes. 

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Son corps parle pour lui : “je mâchais mes joues, j’ouvrais la bouche en grand, je la claquais comme on déchire ” ;( 30)  Ce déchirement rappelle celui des murs autour de lui  et du béton (l 20 ) et les tireurs de la ville jetés contre les murs sont les échos des avions qui se jetaient sur Beyrouth( l 9 ) ; L’emploi des mêmes verbes pour désigner à la fois l’action des hommes et les conséquences de ces actions renforce le caractère doublement destructeur de la guerre : elle détruit à la fois les hommes qu’on combat et les homme qui combattent. Nul n’en ressort indemne : vivant ou mort . Le corp sue Georges est lui aussi en panique et comme transformé sous l’effet des sensations : “mon ventre était remonté, il était blotti dans ma gorge.” Et pour amplifier la confusion : “ma jambe lançait des cris de rage de dents “ L’image ici de la jambe blessée du personnage mise en relation avec des douleurs dentaires peut faire penser notamment aux représentations picturales cubistes de la guerre qui montrent les corps disloqués et comme enchevêtrés: Guernica de Picasso par exemple offre un saisissant tableau des massacres de la guerre d’Espagne avec des morceaux de corps mêlés qui suggèrent la barbarie . En même temps ces images  que le romancier emploie pour  décrire les conséquences physiques de la guerre sur les corps ont  été utilisées maintes fois dans les récits des guerres relatées notamment par les combattants : ces sensations violentes  que leurs ventres et leurs estomacs remontent sont la manifestation de leur peur et   provoquent de violentes nausées ; nausée dont est victime Nimer dans l’extrait : Nimer a vomi à la ligne 45 et cela ne surprend personne car tous ressentent les mêmes sensations physiques. Pourtant durant ces quelques secondes , chacun demeure concentré sur lui même : “Personne n’est allé à son secours. personne n’est venu au mien. ” Le parallélisme ici de la construction des deux phrases révèle, dans un premier temps, le temps de l’hébétement ” le tragique isolement des victimes. Cet hébétement est bien l’état qui laisse le personnage bouche ouverte, bouche bée, grande ouverte , c’est à dire sans que les mot puissent être utilisés, juste le silence  ou les hurlements.

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Mai d’où vient alors la joie féroce que ressent le personnage ? Il tente de préciser ce qu’est pour lui la guerre à ce moment précis : “un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu’à  ce que l’air renonce . ” (39 ) On retrouve bien l’idée d’un mélange de sensations et de fonctions vitales endommagées avec l’ouïe qui est touchée(le sang dans les oreilles est fréquent après les explosions ), la vue (Georges sera blessé au yeux ) et la respiration qui devient impossible (gorge serrée) . En dépit de cette souffrance multiple , le personnage est labouré par une “joie féroce “(40 )  . On note d’abord l’emploi au sens figuré du verbe labourer qui signifie remué en profondeur jusqu’au tréfonds de son être et l‘alliance de mots  paradoxale : la joie est qualifiée de féroce alors qu’habituellement l’adjectif féroce qualifie plutôt la méchanceté ou la douleur ; On peut comprendre ici que féroce désigne peut être la dimension sauvage de cette joie incontrôlable qui, en même  temps qu’elle surgit , fait mal. Parce qu’il s’agit bien d’ effroi et cet état le fait se sentir terriblement bien ; une des explications possible et que le personnage  entre dans la tragédie où tout devient simple. Comment expliquer autrement cette transformation que par la sensation d’atteindre une dimension tragique celle qui fait que “toux ceux qui avaient à mourir sont morts ” comme le dit simplement  le Prologue à la fin d’Antigone. On peut ici faire le lien avec la pièce et la définition que le dramaturge propose de l’univers tragique. 

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A la manière de la tragédie d’Anouilh, le romancier emploie des formules présentations simples : “La guerre c’était ça ” ( 34 )  et il fait entrer Georges dans un univers de tragédie , celui que dépeint justement Anouilh : ” J’étais tragique, grisé de froid, de poudre, ,transi de douleur ” Le personnage ressemble ici à un héros tragique : il a entamé la métamorphose qui le conduira au dénouement où il deviendra cette fois totalement le héros de la tragédie en mourant de manière théâtrale. 

En conclusion, ce passage a une double fonction: tout d’abord il nous présente  la formation d’un lien ambigu et de  plus en plus étroit entre  le personnage de Georges qui entame ici une sorte de transformation tragique; ce passage nous montre également les différentes perceptions des stades de la guerre :la brutalité de l’attaque et des sensations qui semblent d’abord pétrifier les hommes, les transformant en statues de sel mais aussi  les étapes successives de la guerre avec les hurlements , la panique , le bruit et leurs conséquences immédiates ” le cri des hommes, le sang versé, les tombes..” pour finir par la douleur des vivants sous une forme métonymique avec “les larmes infinies qui suintent des villes ” et le  constat global des destructions : “les maisons détruites, les hordes apeurées ” (37) ; cette formule généralisante présente d’ailleurs les survivants comme des animaux redevenus sauvages et se rassemblant en troupeaux comme pour mieux se protéger . Quant à Georges il  a fait un pas de plus vers son destin de personnage tragique : la guerre a commencé à s’ emparer de lui et elle ne relâchera pas son étreinte mortelle. 

18. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La construction du personnage de Georges dans Le quatrième Mur · Catégories: Première · Tags:
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Roman sur la guerre et sur la manière dont elle bouleverse le destin des hommes, Le Quatrième Mur est aussi un roman d’ apprentissage pour son protagoniste principal: le personnage de Georges, qui par certains traits , peut ressembler à son créateur . L’ouverture tragique du récit quelques heures avant sa mort le 27 octobre 1983 à Tripoli, en pleine zone de guerre semble en fait constituer le point de départ d’une réflexion sur le destin du personnage qui va s’écrire à rebours, au moyen d’une séries de retours en arrière ; Nous allons d’abord découvrir Georges étudiant (il a passé son bac en Mai 68) , militant d’extrême gauche avant de le voir devenir père, au début du chapitre 5 , le 9 janvier 1980, quelques années après sa rencontre avec Samuel Akounis et son mariage avec Aurore . La naissance de sa fille réactives souvenirs de sa propre naissance et l’écrivain fabrique pour nous un tableau de l’enfance de Georges. C’est ce passage que nous allons découvrir à partir de la page 61 du roman. 

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Comment le romancier construit-il  le passé de Georges et quel rôle joue ce passage dans le parcours du personnage ? Commençons tout d’abord par les éléments inspirés de la biographie de Sorj Chalandon . Sorj, de son vrai prénom Georges est né à Tunis le 16 mai 1952 : il a choisi de faire naître son héros le 16 mai 1950 ; Elevé dans une famille qui craignait énormément la folie de son père , atteint de paranoïa, le petit garçon connaît une enfance difficile et souffre de ce qu’il nomme un enfermement familial ; Quitter sa famille et partir sur les zones de guerre en tant que journaliste  a été pour lui une sorte de délivrance en même temps qu’une thérapie pour soigner ses propres blessures intérieures. Cependant de ses contacts prolongés avec la violence de la guerre, il va rapporter une sorte de violence intérieure dont il bien du mal à se départir; L’anecdote de la glace renversée par sa fille au parc est inspirée d’un souvenir personnel ; Cependant le romancier refuse qu’on réduise ses livres à des autobiographies car même s’il utilise des expériences personnelles, il construit un univers de fiction et lui donne un sens qui dépasse les limites de sa biographie. 

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Voyons comment apparait l’enfance de Georges dans Le Quatrième Mur

Premier axe de lecture : la relation parent/enfant 

La relation entre le personnage et son père est définie à l’aide d”images marquantes : l’ouverture sous la forme d’un présentatif “C’était ainsi” marque une sorte de fatalité un peu à la manière du prologue d’Anouilh qui démarre Antigone; D’emblée, nous sommes dans un registre tragique.Les images se succèdent et elles sont construites sur des chiasmes, figure qui permet de visualiser les oppositions et de les rendre paradoxales ; “Nous avions l’Histoire en commun mais pas d’histoire commune”. La construction de la phrase sépare et rend même antagonistes les parcours des deux personnages en dépit de leur goût commun pour l’Histoire; Le père de Georges est professeur d’histoire alors que ce dernier échoue par deux fois au concours de l’enseignement ; cependant , il reproche à son père de ne pas avoir participé aux événements historiques de son époque, d’ “avoir regardé ailleurs” durant la seconde guerre mondiale (p 59 ) et il se sent en quelque sort investi d’une mission: réparer l’indifférence paternelle en s’engageant pleinement das les causes qui lui semblent importantes ; cette position paternelle qu’il critique explicitement dans le roman , explique en partie, par réaction, les luttes politiques du personnage . 

De mon père je n’ai rien conservé parce que rien n’a été ” : nous retrouvons ici le chiasme qui est basé sur la répétition

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de la négation; Le fils définit sa relation avec son père comme une sorte de néant ; pour lui , l'absence de souvenirs est la garantie en quelque sorte logique que cette relation se fonde sur une absence; En réalité, on sait que les souvenirs douloureux sont souvent refoulés par la conscience et qu'il est impossible que le père et l'enfant n'aient pas partagé durant toutes ces années, quelques souvenirs ; Simplement le mot rien montre de la part du personnage une sorte de volonté d'effacer jusqu'à l'existence même de cette relation , réduite à rien  . Les phrases commencent elles aussi par des formules négatives : “je ne me souviens pas ..l 6; pas même l 7 pas non plus l 2 je n’ai rien conservé l 5 ..qui attestent de la disparition totale des souvenirs pour signifier la vacuité et l’absence de liens . Les énumérations ont le même but : l’auteur mentionne tout ce qu’il n’a pas eu comme pour mieux en révéler le manque : il ne se souvient ni de la colère, ni des cris, ni de la joie, ni de la voix . La synesthésie “je revois le silence ” quand je pense à lui (l 10)  traduit ici de manière paradoxale la sensation de vide affectif: en mêlant deux sensations , l’une visuelle et l’autre auditive, le romancier nous fait partager une sorte d’étonnement . La modalité du regret est présentée avec la comparaison des enfants battus: l’expression “je suis resté intact” (l 13) peut être interprétée comme une sorte de reproche; En réalité, elle dénonce l’incapacité à nouer des liens : l’enfant apparaît ici comme quelqu’un que rien ne peut émouvoir, une sorte de bloc d’indifférence et le romancier y voit ce qui  a poussé l’enfant à faire du théâtre car , il éprouvait le besoin de reproduire des gestes dont il n’avait pas été le témoin : il se met ainsi, à “mimer le baiser paternel ” (14)  : la fiction rétablissant une sorte d’équilibre voir une compensation, au vide affectif de sa vie. 

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La relation avec la mère est également évoquée à partir de la ligne 15 : en raison de sa disparition prématurée, la relation avec la mère se caractérise également par une forme d’ absence ; L’écrivain reprend ici les images traditionnelles (les clichés  ) de la tendresse maternelle; Sont ainsi évoquées les images de la mère nourricière avec la métonymie du sein offert ( l 15 ) ; les bras ouverts qui contrastent à la fois avec les bras croisés de Georges et les mains jointes du père dans son cercueil ; La posture de la mère  est synonyme d’ouverture, de caresse enveloppante alors que les hommes sont ici fermés aux autres  et au contact.  La dernière image peut également être considérée comme un paradoxeles yeux brillants de ventre ” : on y retrouve l’image de la mère qui porte l’enfant dans son ventre ici métonymie du corps maternel ; Quant au regard, il est brillant sans doute à cause d l’émotion que suscitait chez la mère la vue de l’enfant ; On évoque parfois, dans le langage courant, la reconnaissance du ventre pour désigner le lien charnel , antenatal   qui unit une mère et son enfant ; on dit que l’allaitement maternel peut encore renforcer ce lien ; Le narrateur mentionne ainsi la différence entre ses deux parents : à l’indifférence supposée de son père, il oppose l’existence de ce qui fut la tendresse maternelle mais il ne lui en reste plus de souvenirs ; cette fois c’est l’absence de souvenirs , d’images et non l’absence de lien qu’il déplore . ‘ Je n’ai rien gardé de ma mère: aucune trace de  lèvres aucune caresse aucun regard ” Il rappelle ici qu’il fut orphelin de mère très tôt : ce qui rend encore plus pathétique l’absence de tendresse de son père . De cette façon, les deux emplois de rien ne désignent pas la même chose : l’ absence de souvenirs du côté maternel et l’absence de relation du côté paternel. Les verbes garder et conserver s’opposent ainsi : le jeune enfant du fait de son très jeune âge n’a pu garder : c’est une action involontaire alors qu’on peut supposer que dans le verbe conserver émane une sorte de  volonté de nier l’existence même d’une relation avec son père. La formule finale du premier paragraphe suggère le manque affectif que le personnage va chercher à combler ; On va donc suivre le personnage de Georges à travers le  roman dans ses relations amicales et amoureuses ; “J’étais une bouche en trop, je suis devenu un coeur en plus ” ( l 19) Cette double image combine deux métonymies ; la bouche pour désigner celui qu'on doit nourrir et le coeur pour désigner le siège de l'amour; L'enfant se décrit ici par le biais d'un parallélisme de construction  comme une bouche à nourrir, une sorte de fardeau pour son père et un coeur vide qui ne trouve personne à aimer . Il est surnuméraire : en trop..c'est une perception extrêmement négative de son existence.  

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 Ces images expliquent l’évolution de Georges dans le roman et les liens qui vont l’unir à d’autres personnages.  On peut par exemple opposer l’attitude chaleureuse et protectrice de Marwan, père de substitution, à celle de son propre père; on notera que Marwan est un père très aimant avec son fils Nakad et que cet amour ira jusqu’au meurtre. Lorsqu’il quitte Beyrouth , après les massacres de Sabra et Chatila et la mort d’image, Marwan organise le départ de Georges et le serre dans ses bras : ” Jamais personne ne m’avait vraiment serré dans ses bras “note le personnage.( p 273 )    Georges va donc logiquement chercher à retrouver cette tendresse qui lui fait défaut et cela peut expliquer, pour le lecteur, la force de son engagement auprès de son ami Samuel , autre figure du père idéal; En effet, Samuel représente tout ce que le propre père de Georges n'a pas fait; ce dernier étudiait l'Histoire sans y avoir participé du point de vue de son fils, alors que Samuel s'engage au péril de sa vie dans les événements historiques de son temps comme la révolte des colonels en Grèce qui lui vaudra son douloureux exil en France en 1974. 

Cette absence de lien avec le père apparait également dans cet extrait sous la forme de l’impossibilité de se toucher la main et les images employées lors du récit de l’anecdote de l’enterrement de son père, vont dans ce sens; Georges devient orphelin de mère à 5 ans et de père à 20 ans; 

 Deuxième axe possible : Que nous apprend ici la scène de l’enterrement ?  l’impossibilité d’abord de renouer le contact: Georges se décrit debout, juste en observateur “à le regarder ” : il ne décrit pas de sentiment simplement des sensations physiques : cuisses douloureuses ” parce que collées au cercueil  (l 26 ) et il a tenu à rester dans cette position inconfortable “comme ça la nuit entière ”  en s’infligeant une sorte de punition ; d ‘ailleurs cette idée réapparaît à travers la comparaison “comme puni dans mon coin ” (30) Georges a l’occasion de tenir la main vers son père, de le toucher mais il s’en montre incapable ; “je n’ai pas bougé ” La dernière image de son père restera celle de ses mains “piquetées de mort noire “ et les images de contact charnel se dessinent autour de cette main , métonymique de l’individu tout entier  : “glisser mes doigts”agripper sa manche  pour le garder ”  Vient alors la sensation d’être seul au monde relayée dans le texte par une image qu’on trouve sur les champs de bataille lorsqu’on décrit une guerre  et les soldats qui risquent leur vie parce qu’ils sont exposés ” devant en première ligne ” (41) On retrouvera beaucoup d’autres mains amies et ennemies dans le roman: la main de Yassine le frère d’imane qui se pose sur lui , la tant d’Image bien sûr et ensuite celles de Nakad “Après les mains d’Imane , Nakad m’a offert les siennes” (p 245)  : mains  qui soignent , qui lavent et qui apaisent mais lorque Nakad lui avoue qu’il l’aime , Georges se sent incapable de “mettre une main sur son épaule ” et de lui parler.

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Après avoir fait le récit de l’enterrement de son père , moment clé dans le parcours du personnage , l’écrivain tire les conséquences de cet événement sur le parcours de Georges et donne ainsi au lecteur des informations qui lui permettent d’appréhender différemment l’une des  sources de violence qu’il a entrevue chez le personnage; L‘écrivain fabrique ainsi une figure de personnage doté d’une épaisseur psychologique et dont les actions sont en relation avec un passé et des blessures d’enfance . 

 Troisième axe : La métaphore de la peau et de la lutte  est très importance dans le roman; A la lumière de ce passage, nous comprenons donc mieux le fait que Georges se sente “une peau à défendre” Dans un entretien avec un journaliste en 2015, Sorj Chalandon explique qu’il n’existait dans sa famille aucun contact peau à peau et qu’adulte, il s’est lancé dans l’amour et l’amitié à coeur perdu. Il cherche avant tout à défendre sa peau et les dangers lui semblent doubles : d’abord contre d’éventuels ennemis qualifiés par l’expression démonstrative “ceux qui lui voudraient du mal ” mis en opposition avec des dangers différents qui viendraient des femmes “celles qui lui voudraient du bien ” On retrouve dans cette construction à la fois le parallélisme et l’ antithèse ; Georges se lance dans des combats politiques et craint d'être vulnérable sur le plan affectif , notamment dans ses rencontres avec les femmes .  Les dernières lignes du troisième paragraphe préparent dans l'esprit du lecteur , toujours au moyen d'images saisissantes , la suite logique des aventures du personnage : devenu une peau à défendre,(l 45)  la violence physique va faire partie de son quotidien et on le retrouvera, sans grande surprise, militant d’extrême -gauche, et engagé dans des combats de rue , importants à ses yeux mais qui cachent un combat intérieur plus profond  “quand je tombais sous les coups, je revoyais le cadavre de mon père; ses mains jointes me faisaient honte “; Les mains jointes  du gisant symbolisent ici l’absence de résistance et c’est tout naturellement que le fils va s’incarner en résistant , devant ainsi l’inverse du père.  “Enfant , adulte, j’ai résisté “ (52)  La juxtaposition des deux états du personnage, enfant, adulte est déjà comme un véritable trait d’union pour l’évolution du héros.   Georges cherche , en quelque sorte à expier cette mauvaise conscience à travers des combats politiques mais Samuel lui fera remarquer qu’il se trompe de guerre et que les fascistes ne sont pas des nazis et que 1979 ne peut être comparé à 1939. La dernière image “des doigts tachés d’encre aux phalanges écorchées ” peut s’interpréter de différentes manières; On peut d’abord y voir une représentation de l’évolution de l’enfant écolier à l’adulte combattant et révolté ; mais on y retrouve également l’image de la colère qui nous fait tout briser parce qu’elle émane de nos blessures personnelles et trouve simplement à s’incarner dans le cadre de combats que notre époque nous fait traverser. Sait-on vraiment pourquoi on se bat et au nom de quoi ? telle pourrait être l’une des questions à laquelle le parcours de Georges nous aide à répondre dans ce qui peut s’apparenter , vu sous cet angle, à un roman initiatique. Les phalanges écorchées symbolisent à la fois la violence et la souffrance qui en découle: coups qu’on donne aux autres pour attaquer ou se défendre  et blessures qu’on reçoit; Blessures morales et blessures physiques sont ici étroitement associées. 

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  ( à ajouter selon le temps qui vous reste …peut être très intéressant  en conclusion )   …Les images qui apparaissent dans ce passage seront reprises dans la suite du roman ; Le personnage de Georges se construit donc sur une double blessure : à celle de l’enfance s’ajoute sa découverte de la guerre et de ses horreurs  qui vient réactiver les blessures originelles. D’ailleurs brisé par la guerre et ses visions  , il refusera, à son retour, tout contact avec la main de sa fille et le corps de sa femme : “Mon corps se dérobait lorsqu’elle avançait la main vers ma peau” ( p 283) Il ne parvient plus à recréer de liens avec sa famille et ses amis . Dans son lit, il est comme dans une tranchée ; signe que c’est la guerre qui a pris le dessus sur la vie . D’ailleurs la guerre s’empare peu à peu  du personnage et  le transforme; elle lui fait commettre des actions qui effraient son entourage comme lorsqu’il frappe la porte de la cuisine : ” La main saignait, les phalanges avaient été écorchées; Ce n’était pas ma main . Ni mon bras. Ni rien de moi. Une autre violence que la mienne.” (285) 

Ce passage qui retrace les blessures d’enfance et l’enterrement du père , représente une étape déterminante et  fondatrice dans le parcours du personnage romanesque et pour le lecteur , c’est également un moment crucial pour sa reconstruction ultérieure  du personnage qui fabrique de l’empathie.  Lorsqu’il devient père le personnage remarque “je n’avais pour exemple de père que l’absence du mien ” ( p 58 )  et avant la naissance de Louise il évoque les “dernières heures sans liens ‘( 57)- et lorsqu’il est de retour de Beyrouth pour la première fois, il regarde la photo de sa femme et de sa fille pour se souvenir pourquoi il rentre : “le monde s’arrêtait aux frontières de leur peau ” pense alors Georges ( p 204) ;

 En conclusion ,grâce à ce passage, situé au début du roman, avant le départ de Georges , le lecteur construit une image cohérente du personnage et les éléments qui seront disséminés au fil du roman, viendront subitement enrichir ce premier portrait des blessures originelles , comme une sorte de terreau du personnage, de substrat à partir duquel le romancier va élever une figure . Peu à peu, grâce à l’intercession de Samuel, Georges substituera l’Art à la violence physique en allant apporter la parole de la révoltée en zone de guerre, mais la guerre sera la plus forte et il y laissera sa peau, On peut noter que Sorj Chalandon, en devant écrivain, a réussi à échapper à cette emprise de la guerre et a effectué, par le biais de la fiction et de l’écriture,  comme une sorte du parcours inverse de celui de son héros, Lui est revenu et a décidé de ne plus y retourner  alors que Georges y est  reparti et y est définitivement resté. “il a traversé le quartrième mur, celui qui protège les vivants. ” 

 

06. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Ecrire le dilemme au théâtre · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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 Un dilemme est une situation fréquente au théâtre : il s’agit d’un  choix quasi impossible, extrêmement douloureux face auquel un personnage est placé; Le dilemme devait être résolu c’est à dire que le choix devait être fait au cours de la scène . Votre sujet d’invention consistait à créer et ensuite à  rédiger   ce dilemme qui devait être joué sur scène sous la forme d’un monologue par un acteur . Pour ce fair vous deviez d’abord présenter la situation initiale c’est dir résumer en quelques lignes les enjeux du dilemme. Ensuite, vous deviez écrire un texte destiné à être représenté sur scène ; Donc le point le plus important de ce travail d’invention consistait à préciser les éléments de mise en scène choisis pour mettre ne évidence le caractère angoissant de la situation dans laquelle es trouve plongé le perosnnage. Voyons donc dans l’ordre chacun des points respectivement évalué à hauteur de 4 pts , 6 pts et 10 pts. 

Examinons d’abord les situations inventées 

Mention spéciale aux dilemmes qui mettent en jeu la vie d’un personnage : il peut s’agir de raisons médicales comme par exemple arrêter un traitement ou choisir qui va vivre et qui va mourir quand on ne peut sauver les deux personnes ; Ce sont les choix les plus difficiles et ils engagent la vie d’un individu. En temps de guerre , beaucoup d’hommes ont été confrontés à ces choix comme par exemple les résistants qui ont réussi à trouver le code secret qu’utilisaient les allemands pour communiquer et qui ont du choisir quels bateau ils allaient sauver et quel seraient ceux qui ne seraient pas prévenus des attaques; Ainsi un des mathématiciens a du choisir entre la survie esse généraux indispensables ) la suite des opérations militaires ou la vie de son frère et d’autres soldats blessés qui revenaient du champ de bataille. Excellent choix de situation épineuse. Le contexte de guerre exacerbe les dilemmes : un snipper , par exemple , ou un homme qui s’apprête à commettre un attentat ou à poser une bombe qui risque de tuer des civils , peut être en situation délicate sur le plan moral.William Styron a écrit un roman où un nazi demande à une mère à Auchwitz de choisir lequel de ces deux enfants, une petit fille et un petit garçon, elle va pouvoir sauver. Ce roman porte comme titre Le Choix de Sophie et il va dévaster la vie du personnage ; 

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Le dilemme amoureux est également un grand classique de la scène : un personnage doit choisir entre son amour et sa famille ; On peut par exemple imaginer qu’une femme ne souhaite pas quitter ses parents malades pour suivre son ami à des milliers de kilomètres pour son nouveau travail; On peut aussi imaginer qu’un des membres du couple doive choisir entre sa vie de famille et ses obligations professionnelles ; Parfois difficile de concilier les deux comme dans la vie ! Un personnage peut également devoir choisir entre deux prétendants et la pièce peut devenir une tragédie ou une comédie; Un copie a fort justement montrer un dilemme original: un roi qui refuse d’avoir un enfant de peur que ce dernier lui vole un jour son trône mais qui craint de perdre l’amour de la reine. Bien trouvé ! 

 Les questions d’honneur sont à l’origine de nombreux dilemmes : se taire ou dénoncer son bourreau pour les victimes au risque de conséquences pour leurs proches; Menace, chantage sont souvent sur scène les armes des puissants qui souhaitent assujettir leur opposant; Ainsi dans Andromaque,tragédie classique de Racine, Pyrrhus roi grec , dédaigné par sa prisonnière Andromaque, une troyenne veuve du prince Hector, décide de tuer son fils si elle persiste à refuser sa demande en mariage; cette dernière es retrouve donc face à un dilemme: soit elle condamne son fils en restant fidèle à son époux défunt et à sa mémoire, soit elle le sauve mais elle devient l’épouse de son ennemi. Racine et Corneille ont utilisé des personnages confrontés à ces choix douloureux entre l’exercice du pouvoir, la loyauté envers leur patrie, leur camp et l’amour pour un ennemi ou une femme du camp opposé. L’empereur Titus doit ainsi renoncer à Bérénice, reine de Palestine qu’il aime pourtant car le Sénat

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romain  lui interdit  ce mariage  dans la tragédie de Racine : Bérénice. 

“Rome, par une loi qui ne se peut changer,
N’admet avec son sang aucun sang étranger,
Et ne reconnaît point les fruits illégitimes
Qui naissent d’un hymen contraire à ses maximes.”   L’empereur  de Rome pour obéir à la raison d’Etat renonce à son projet de mariage et la reine quitte  le pays; Racine a écrit cette pièce pour rendre hommage au sacrifice du roi Louis XIV qui a renoncé à son amour pour Marie Mancini afin d’épouser l’infante d’Espagne pour des raisons politiques; Le devoir triomphe souvent de la passion au théâtre. 

Le dilemme peut également être exploité à des fins comiques : un groupe a ainsi imaginé  une campagne politique digne de House of cards qui voit s’opposer Marine Le Pont et Emmanuel Macrau , rivaux pour l’élection présidentielle, avec un chantage à la photo compromettante..mais la comédie satirique vire à la tragédie quand la candidate s’empoisonne en avalant une boîte de médicaments. Un autre groupe a fait preuve d’originalité en imaginant une infirmière maladroite qui tue un patient alors que la famille se divisait pour savoir s’il fallait ou non le débrancher .  Une situation tout à fait ingénieuse à exploiter sur le plan scénique. La palme du la sophistication du scénario revient à une copie qui a imaginé la responsable d’un accident de voiture mortel  qui s’enfuit et qui n’est autre que la mère de l’inspecteur qui doit mener l’enquête…quel dilemme s’il découvre la culpabilité de sa mère ! 

La qualité des textes , en dehors de la présence de fautes de syntaxe , reposait essentiellement sur la variété des arguments proposés par les intervenants ; en effet, un dilemme doit donner lieu à des interrogations, des questionnements ; Le style de l'argumentation s'apparente le plus souvent au registre délibératif; les personnages pèsent le pour et le contre et échafaudent des hypothèses (si ..ou bien si.. ) en fonction des choix à opérer; Ils envisagent également les conséquences de leurs actes et font part de leurs hésitations. Corneille a , par exemple traduit les hésitations de son héros Le Cid en fabriquant des stances

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Que je sens de rudes combats ! 

Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse: 

Il faut venger un père, et perdre une maîtresse

L’un m’anime le coeur, l’autre retient mon bras. 

Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, 

Ou de vivre en infâme

Des deux côtés mon mal est infini. 

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On mesure ici la paralysie du héros qui , sur scène, exprime son impossibilité à prendre une décision ; Le registre pathétique est également employé dans le monologue célèbre de Hamlet de Shakespeare où ce dernier ne sait s’il doit continuer à vivre ou se laisser mourir . 

La dernière partie du travail d’écriture consistait à indiquer au moyen de didascalies , le travail de mise en scène . C’est un point essentiel dans une écriture destinée à la représentation; c’est ce qui différencie un texte littéraire d’un texte théâtral . Si autrefois les dramaturges donnaient assez peu d’indications dans leurs textes, c’est parce que souvent les didascalies étaient internes ; Aujourd'hui, les textes de théâtre contiennent énormément d'indications destinées à faciliter le travail du metteur en scène  et à guider le passage du texte écrit à la représentation ; C'est un point sur lequel vous devez travailler car la plupart de vos didsacalies sont assez conventionnelles ; vous devez donc préciser les gestes de votre acteur : face à un choix difficile, le personnage va montrer des signes d'agitation ; Il peut tourner en rond, faire les cent pas, se prendre la tête dans les mains, mimer le chagrin, la colère; Il bouillonne à l'intérieur et cette agitation doit se traduire par une gestuelle appropriée. N’oubliez pas non plus les intonations et les expressions . Le trouble peut s’entendre avec la voix, les pauses, les changements de rythme, de volume sonore. 

Bref n’oubliez pas d’inventer et de noter entre parenthèses ou à côté des noms des personnages ,des didascalies variées et nombreuses  dans vos copies si vous devez produire un texte théâtral.