Dans son roman Naissance d’un pont, écrit en 2010, Maylis de Kerangal nous conte l’histoire de la construction d’un pont fantastique entre la ville imaginaire de Coca quelque part en Amérique du Sud , en bordure de la forêt amazonienne et la Jungle dans les profondeurs de laquelle vit une des dernières tribus indiennes . Des travailleurs du monde entier convergent alors vers le chantier pharaonique : ils sont américains, indiens, chinois, français , tous les meilleurs dans leur domaine . Il sont 800 en tout et vont devoir apprendre à travailler ensemble et vont s’efforcer de dompter la Nature . Jacob , lui, est un ethnologue américain qui partage la vie des Indiens et s’alarme de “l’intrusion des routes , la dégradation probable de la forêt et la disparition programmée des Indiens ” . Lorsqu’il apprend la nouvelle de la construction du gigantesque pont , Jacob se sent envahi par ” une fièvre noire issue de la colère, une suffocation de bile ” Dans l’extrait que nous présentons, il a décidé, en pleine nuit de naviguer en pirogue jusqu’à la ville : il lui faudra deux jours pour parvenir à Coca et lorsqu’il découvre le siège de la société de construction, il se jette alors sur le responsable du chantier, un certain Diderot et le traite de salaud ” il y a de la sauvagerie dans ce corps hirsute en proie à la violence “. Alors Jacob sort un couteau : “fulgurance de lame, brûlure au flanc, sang qui gicle, mille chandelles ” et disparait aussitôt. Plus »
De la réalité à la fiction
1. Les faits
Le 29 août 2005 la tempête Katarina touche une partie de la ville de La Nouvelle- Orléans et les pouvoirs publics doivent faire face à cette terrible catastrophe; Des pans entiers de la ville sont noyés, les habitants doivent être évacués en urgence et les dégâts vont se chiffrer en milliards de dollars. Les faits :dans la nuit du 29 août, le cyclone a durement frappé trois États du sud américain et a été qualifié de plus grande catastrophe naturelle de l’histoire du pays.
Le bilan provisoire des victimes du cyclone s’établit à plus de 250 morts . Les autorités estiment que Katrina pourrait avoir fait des milliers de victimes.-Près de 300 000 personnes sans-abri doivent être relogées dans des campements provisoires principalement au Texas . – Plus d’un million de Louisianais pourraient avoir été déplacés par la catastrophe.
Comment le romancier a-t-il, lui décidé de travailer à partir de ces éléments recueillis par la plupart des journalistes et les agences de presse ?
2 Le roman
Voilà le scénario du roman tel qu’il figure sur le site de l’éditeur du romancier : A La Nouvelle-Orléans, alors qu’une terrible tempête est annoncée, la plupart des habitants fuient la ville. Ceux qui n’ont pu partir devront subir la fureur du ciel. Rendue à sa violence primordiale, la nature se déchaîne et confronte chacun à sa vérité intime : que reste-t-il en effet d’un homme au milieu du chaos, quand tout repère social ou moral s’est dissous dans la peur ?Seul dans sa voiture, Keanu fonce vers les quartiers dévastés, au cœur de la tourmente, en quête de Rose, qu’il a laissée derrière lui six ans plus tôt et qu’il doit retrouver pour, peut-être, donner un sens à son existence…
Dans un saisissant décor d’apocalypse, Laurent Gaudé met en scène une dizaine de personnages qui se croisent ou se rencontrent. Leurs voix montent collectivement en un ample choral qui résonne comme le cri de la ville abandonnée à son sort. Roman ambitieux à l’écriture empathique et incantatoire, Ouragan mêle la gravité de la tragédie à la douceur bienfaisante de la fable pour exalter la fidélité, la fraternité, et l’émouvante beauté de ceux qui restent debout.
Le résumé du récit entrecroise le parcours de 5 personnages principaux dont les rencontres font avancer l’intrigue;
3 Les personnages du roman
Qui sont ces personnages ? Ils incarnent les habitants de la Louisiane. Tous les personnages du roman sont noirs sauf le révérend et l’énigmatique Paul The Cripple .
Joséphine la négresse des bayous âgée de près de cent ans, sorte de mémoire collective de l’histoire de la Louisiane, rappelle que La Nouvelle -Orléans a longtemps été le plus grand marché d’esclaves de cette partie de l’Amérique ; le personnage a gardé une part de cette colère liée à la ségrégation et au racisme qui perdure dans de nombreux anciens états esclavagistes. Joséphine est caractérisée par une sorte de parole prophétique : elle est la première à deviner l’approche de l’ouragan et elle tient par-dessus tout à rester chez elle ; Cependant , elle se retrouvera emmenée par des sauveteurs au Super Dôme où elle rencontrera sa voisine Rose à la recherche de son fils. Le roman qui s’est ouvert avec la voix de Joséphine se termine alors par son chant avec sa “voix voilée de toute une vie de combats ” p 151. Elle est “la dernière négresse debout qui pleure sur ses frères et sœurs ” “qui fait pleurer les arbres avec sa voix ” Elle chante la fidélité à sa terre , à sa douleur avec sa voix qui vient de très loin .” On entend dans ma hargne la mère endeuillée, le nègre exploité ..je chante de ma voix de colère sur les rues inondées,je chante sur les visages épuisés pour qu’ils soient au loin caressés,.. je chante pour dire que la vieille colère séchée sur nos peaux par le soleil de la soumission brûle encore, nous n’oublions pas les années de crachat ,de peur, les années de regards baissés et de frustration..”
Rose est une jeune femme d’une trentaine d’années mais déjà très abimée par les malheurs ; son grand amour Keanu, l’a quittée six ans plus tôt et elle a eu un enfant avec un homme qu’elle n’aime pas ; elle s’estime salie car cet homme lui a donné de l’argent pour coucher avec elle ce qu’elle finira par avouer en tenant la main de Keanu mourant ; sa relation avec son fils Byron est compliquée mais le retour de Keanu , qui au moment de sa mort déclare vouloir être le père de cet enfant , va transformer le regard qu’elle porte sur le petit Byron. Rose représente à la fois la solitude des femmes qui élèvent seules leur enfant et la précarité de la vie dans ce quartier de la Nouvelle -Orléans. A la fin du roman, elle devient une mère aimante et se confie à Keanu : “elle regarde son fils désormais et il a un nom dorénavant pour elle , c’est l’enfant de la tempête, l’enfant offert par Keanu Burns au moment de mourir.” Rose sera sauvée et évacuée par un hélicoptère avec son fils au moment où sa maison disparaît sous l’eau.
Keanu est un ouvrier qui a accepté de partir travailler sur une plate-forme pétrolière pour gagner davantage d’argent mais il a vu des hommes mourir déchiquetés par les machines et ce spectacle l’a incité à s’enfuir. Au début du roman, il ne parvient pas à quitter la chambre du motel dans lequel il s’est réfugié et il va décider de rejoindre Rose; Il effectue le trajet de 400 km vers La Nouvelle -Orléans au moment où la plupart des habitants cherchent à fuir ; Il doit passer par les routes secondaires pour éviter les barrages de police. Il ouvre la porte de la maison de Rose alors qu’une une pluie diluvienne s’abat sur la ville et les deux personnages vont d’abord se parler et ensuite se retrouver. Avant de mourir, Keanu confiera lui aussi un secret à Rose : il pense avoir oublié de fermer le robinet du gaz et il serait responsable de la mort des ouvriers sur la plate -forme. Le baiser de Rose efface ses dernières peurs ” O le long baiser ..qui balaie les nuits pesantes, soulève les poussières de nos errances ; ses lèvres qui effacent les peurs inutiles et la fatigue de vivre ..” p 134
Le révérend est le personnage le plus étrange du roman: homme de Dieu, il vient tous les mardis “observer le visage du mal ” dans la Prison où est enfermé Buckeley; les prisonniers sont traités comme des chiens et d’ailleurs se mettent à aboyer lors du passage du révérend. “Tueurs, pilleurs, voleurs, alcooliques, drogués: c’est la face immonde de la ville qui se tient là : ils me dégoûtent et je dois vaincre ce dégoût ” Il recueille dans son église, qui devient une sorte de nef dans la tempête , les plus malheureux de la ville et rejoint en plein ouragan,des voix qui semblent l’appeler; Il se retrouve face à Paul The Cripple, une apparition fantastique qui lui montre les dizaines d’alligators qui viennent attaquer les animaux dans le cimetière. Paul disparaît dans l’eau, au milieu des reptiles laissant le révérend ramasser son hachoir; il est alors persuadé que Dieu ne lui demande pas de protéger les hommes mais plutôt de l’aider à se venger d’eux, d’être le bras armé de la colère divine. “je cherche les hommes pour les châtier; la main serrée sur le hachoir, je vais par les rues.Je vais détruire et mettre à bas puisque c’est ce que vous voulez..” ( p 99 ); Devenu fou , le révérend tuera deux hommes avant de finir au milieu des alligators “je n’entends plus que leur bourdonnement sauvage sur moi et la douleur. “ ( p 146 ) 
Les prisonniers de Parish Prison constituent une sorte de personnage collectif : ils vont réussir à s’évader car l’eau a envahi les cellules et déverrouillé les gâches électriques; Buckeley, la voix principale du groupe, suit huit autres prisonniers mais rapidement ils se divisent après la mort des deux policiers . Pickhow. Buckley et deux de ses compagnons vont voler une barque et croiser Rose qu’ils vont déposer chez elle sans lui avoir fait de mal. La voix de Tocpick se forme alors pour raconter la violence qu’ils sèment sur leur passage. Tocpick est abattu par le révérend et Buckley, libre désormais, continue de s’enfoncer dans les bayous, dans ce que les anciens surnommaient “la tombe humide ” et qui a été pendant longtemps le surnom de La Nouvelle Orléans.
Les avions déversent des pesticides sur la ville afin d’éviter la propagation des infections . “tant d’autres sont morts avant moi ..nègres pourchassés, esclaves évadés, voleurs en cavale.; cela ne me fait pas peur . “ ( 147 ) Ici commence ma grande liberté.. la fin du personnage demeure donc énigmatique .
Ce roman , à partir de la trame d’un fait divers, tisse les destins de ces personnages qui incarnent une facette de notre humanité. Le thème de la punition divine liée à l’ouragan apparaît souvent dans le roman ; l’auteur suggère ainsi une lecture de la catastrophe comme une forme de vengeance divine contre les crimes des hommes, un peu à la manière de la lecture biblique des grandes catastrophes telles que le Déluge, les sept plaies d’Egypte ou le feu qui s’abat sur Sodome et Gomorrhe. Le roman se double ainsi d’une dimension mythique et transforme un fait divers en événement providentiel qui révèle les personnages et les transforme.

Le personnage de roman est une créature très particulière vu qu’il n’a d’existence que sur le papier ; Qu’il soit héros ou simple figurant, le personnage ressemble souvent à de une personne et se construit en respectant certaines règles . Pour pouvoir appréhender la totalité d’un personnage , il est bon de se souvenir de certains détails … On distingue plusieurs fonctions essentielles qu’on retrouve, plus ou moins développées, à chaque époque de l’histoire du roman. Plus »
Tout commence pour nous par un film ….une séance au Palace de Surgères pour visionner l’adaptation réalisée par Eric Barbier du roman de Gael Faye, Petit Pays
Synopsis : Lorsque l’Histoire entre avec fracas dans la vie de Gaby, elle brise irrémédiablement le bonheur du jeune garçon et met un terme son enfance . Nous sommes au Burundi en 1992 : Gaby a 12 ans et se trouve confronté aux disputes de ses parents ; sa mère Yvonne a du quitter le Rwanda avec sa famille parce qu’elle est tutsi et elle souffre de vivre comme une réfugiée .Son père est un entrepreneur français qui va se trouver piégé par la montée de cette violence . Gaby retrouve souvent sa bande d’amis : Gino, métis comme lui, qui cache un lourd secret, Armand dont le papa ambassadeur sera assassiné durant les émeutes à Jujumbra, sans oublier Francis le gamin des rues, graine de voyou et petit caïd. Plus »
Maupassant crée un curieux héros avec des côtés attachants et des défauts agaçants pour le lecteur. Dès sa première apparition , il est l’objet des regards admiratifs que lui lancent les femmes à la sortie de ce restaurant bon marché où il déjeunait. Décrit comme un joli garçon, il est naturellement doté d’un charme qu’il s’efforce de cultiver en prenant des poses . Comment Georges Duroy va -t-il utiliser son pouvoir de séduction avec les différentes femmes dont il va croiser la route dans le roman ? .Elles sont au nombre de 5. Rachel , la toute première maîtresse , prostituée rencontrée aux Folies-Bergères , Clotilde de Marelle qu’il séduira assez rapidement en charmant notamment sa petite fille Laurine ; Elle deviendra sa maîtresse attitrée et souffrira de ses infidélités . Madeleine Forestier sera sa première épouse: un mariage qui lui procurera des satisfactions et dont il se servira pour ses manoeuvres politiques mais au sein de leur couple, dans l’intimité ,il se sentira souvent dominé et utilisé par cette femme intelligente et manipulatrice . Viendra ensuite le tour de Madame Walter, la femme de son patron qui sera difficile à conquérir et dont il brisera le coeur, par vengeance et par orgueil d’homme humilié; Enfin, il demandera en mariage la jeune et naïve Suzanne , jeune fille prête à lui succomber sans qu’il fasse le moindre effort de séduction. Ce mariage est pour le personnage l‘apothéose de son parcours. Plus »
La première apparition du personnage révèle une partie de son passé et un présent qui s’annonce difficile : arrivé depuis six mois à Paris dans le but de faire fortune, Georges n’est pour le moment qu’un modeste employé aux chemins de fer et a bien du mal à joindre les deux bouts ; Souvent il doit choisir entre manger à sa faim ou s’offrir un plaisir : boire une bière . En ce mois de juin, une rencontre providentielle va changer son destin: il croise un ancien soldat avec lequel il a combattu en Algérie quelques années plus tôt et ce dernier va lui donner sa chance; Grâce à Jacques Forestier, Georges fait ses débuts dans le monde :on nomme ce personnage un adjuvant car il est celui qui aide le héros à atteindre ses objectifs. Timide mal à l ‘aise , il se sent ridicule dans son habit de location mais au fur et à mesure, il prend de l’assurance car il constate qu’il plait aux femmes . Le lecteur est témoin de ses transformations physiques et même psychologiques . “ En s’apercevant dans la glace , il ne s’était même pas reconnu; il s’était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu’il avait trouvé fort chic, fort bien, au premier coup d’oeil. ” Ce portrait du héros sera suivi de nombreux autres qui mettent en évidence son charme et l’effet qu’il produit sur son entourage . “Une confiance immodérée en lui -même emplit son âme ” : dès le début du roman, il se sent déjà prêt à réussir . Plus »

Le réalisme est un courant littéraire du dix-neuvième siècle qui cherche à peindre les réalités de la vie, sans embellissement et tente de donner de son époque une image la plus complète possible; Les auteurs réalistes reprochent à leurs prédécesseurs de limiter les romans à quelques personnages types , héros souvent vainqueurs, ambitieux et désireux de s’élever socialement . Ils reprochent également aux romans de ne pas montrer certaines catégories sociales marginales comme les prostituées, les SDF, les criminels. Bref de limiter le champ du roman . De plus, les auteurs réalistes privilégient, dans leurs descriptions du monde, le point de vue interne , celui du personnage plutôt qu’un point de vue omniscient, celui d’un narrateur anonyme. Sous couvert de montrer le monde tel qu’il est, sans le voir tel qu’on le rêverait, ils introduisent néanmoins, à l’intérieur de leurs récits et au sein de leurs descriptions, des opinions et des émotions. Plus »

Roman qui évoque des thèmes douloureux comme la mort d’un enfant et le choix pour les parents de faire don de ses organes , Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aborde ces sujets de manière parfois poétique , souvent philosophique; Au delà de cette histoire tragique qui démarre par un fait divers terrible , cet accident de voiture dans lequel un adolescent de 17 ans fait une hémorragie cérébrale qui le plonge dans un état de mort encéphalique , la romancière dresse une galerie de portrait de personnages attachants et complexes qu’elle fait se croiser autour du corps de Simon Limbres . Nous sommes presque à la fin du récit: pendant que Virgilio le jeune chirurgien roule à toute allure avec le coeur de Simon qu’il vient de prélever dans son caisson étanche, Marianne, la mère du défunt, rentrée chez elle, pense à son fils mort.
Voyons comment ce passage est construit et quel regard la romancière élabore autour de ce personnage de la mère ..rappelons tout d’abord que les romanciers contemporains ne suivent pas précisément les codes de fabrication des personnages hérités des techniques réalistes (lire l’article du blog sur le réalisme) : en effet, ils construisent leurs personnages à partir de leurs voix et ne donnent qu très peu d’indications sur leur passé, leur identité, leur physique; Chaque personnage est saisi dans la vérité de l’instant comme une sorte d’instantané photographique et le roman se forme à partir de ces saisies partielles. On parle souvent de vision kaléidoscopique pour montrer que les romanciers juxtaposent des états sans chercher à créer une continuité d’ordre chronologique ou psychologique.
Annonce des axes de lecture : Marianne est un personnage qui se caractérise par le lien qu’elle a tissé avec Simon: c’est une mère frappée par la douleur d’avoir perdu ce fils qu’elle aimait : la romancière fabrique une dimension pathétique autour de ce personnage de mater dolorosa ce que nous verrons dans une première partie avant de démontrer que la romancière fabrique également un passage fantastique en évoquant d’abord la mystérieuse relation entre Marianne et Simon et ensuite en faisant disparaître le personnage au profit d’une sorte de rêve éveillé qui montre le coeur de Simon dans l’espace.
1 Une image pathétique de la mère
Le cadre tout d’abord est important : il fait nuit et Marianne ne parvient pas à dormir il va être minuit : 23 h 50 exactement la précision de ce détail rend la scène d’autant plus vraisemblable ; la douleur est personnifiée et agit avec violence comme le montre le verbe défonce; il appartient à un registre de langue familier et peut s’employer pour désigner l’état d’une personne qui se drogue ; être défoncée, c’est perdre le contact avec la réalité et Marinent est comme dans un état second ; L’analogie avec la drogue se poursuit avec l’expression “c’est là qu’elle peut tenir “; Notons que dans certains cas et pour certaines pathologies, les médecins plongent des patients dont la douleur est trop forte en coma artificiel afin que leur cerveau ne puisse transmettre cette douleur .
L‘intervention du narrateur ou l’art de raconter : ce passage montre un narrateur à la fois témoin des faits mais qui semble ne pas tout savoir sur les personnages “on s’en doute ” peut être analysée de deux manières : dans une certaine mesure, cette intervention brise les codes de l’illusion réaliste dans la mesure où elle montre au lecteur la voix de celui qui écrit l’histoire (le narrateur ) et qui de ce fait est distinct du personnage ) ; mais d’un autre côté, cette intervention créée également une complicité avec le lecteur car ce on qui est mentionné, l’inclut lui aussi et le rend , en quelque sorte, partie prenante de l’histoire en train de s’écrire. Le point de vue du narrateur apparait également avec ‘on la voit qui se redresse” : le point de vue ici est bien celui d’un narrateur témoin de la scène mais qui se contenterait de la filmer sans forcément tout savoir .
C’est d’ailleurs le but des questions rhétoriques qui frappent le lecteur car elles introduisent à la fois une forme d’incertitude (le narrateur feint de ne pas savoir ce que pense le personnage donc il adopte un point de vue limité sur la scène ) mais en même temps il émet des hypothèses pour expliquer le sursaut Marianne : “se peut-il qu’elle ait capté l’instant où ..” “se peut-il qu’elle ait eu l’intuition ‘ ? ; ces hypothèses font naître la dimension fantastique du passage qui va ensuite être construite avec l’image du coeur de Simon, relique sacrée qui effectue un voyage dans l’espace . Ces mêmes questions métaphysiques reviendront à la fin du passage et Marainne finira par leur donner une réponse rassurante : “il est irréductible: c’est lui ; elle ressent un calme profond “ ; La mère peut repenser alors à son fils comme à un être qui ne peut se réduire à sa matière charnelle ” Le choix de l’adjectif “irréductible ” prouve que , bien qu’on ait côté au corps de Simon certains organes, il peut demeurer entier en présence dans l’esprit de sa mère . Les questions se transforment elles aussi en “cerceaux bouillants “ et vont ainsi se transformer les “linéaments magnétiques ” dans son imagination : ces linéaments vont maintenir les liens indestructibles qui la relient à son fils
2. Une liaison mère/fils fantastique : la connexion au delà de la mort ?
Le narrateur laisse entendre que ce qui relie ces deux personnages est de l’orde du surnaturel et il crée des images pour essayer de rendre concret et visible cette connexion. D’abord nous remarquons le verbe connecter et l’image des “linéaments magnétiques “ Le mot linéament s’emploie plutôt dans un contexte géologique ou géographique car il désigne les lignes qui marquent les accidents de surface des roches qui provient des mouvements dans l’écorce terrestre ; sur une carte, les linéaments désignent le relief des sols et dans le roman, on comprend que ce mot désigne des sortes de fils, un peu comme des arcs électriques qui traverseraient l’espace-temps pour maintenir le lien mère-fils; L’imagination de la romancière est nourrie ici des images des failles de l’ espace temps où les ondes électromagnétiques renvoient à une activité cérébrale ou simplement électrique; On peut aussi rapprocher ces linéaments du fonctionnement du cerveau et rappeler que ce sont des machines électriques qui maintiennent le corps de Simon en vie et qu’elles vont être débranchées ; la romancière veut nous faire percevoir que le cerveau de Marianne enregistre en fait , comme par intuition , ce qui est en train d’arriver à Simon. La relation mère-fils est qualifiée de proximité impalpable : avec l’allitération en p, on voit ici les liens se former avec espace, profondeur et temporel .La mère veut se raccorder , rester raccrochée à son fils et pénètre dans cet espace interdit qui forme comme une zone de veille ; La romancière veut sans doute ici évoquer par cet euphémisme “espace interdit ” les mystères de la mort ” et la “zone de veille” peut peut- être rappeler l’une des fonctions maternelles par excellence : celle qui consiste à veiller sur son enfant , à le protéger, à le rassurer. A noter que dans le roman, cette fonction maternelle est occupée , parmi le personnel soignantt, par Thomas Rémige qui va prendre , dans le milieu médical, le relais de la mère auprès de Simon; Il va le rassurer en lui passant le casque avec la musique choisie par Juliette, en lui récitant les noms de tous ceux qui pensent à lui, en prenant soin de son corps avec la toilette et le chant de la mort pour l’aider à franchir cette mystérieuse frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Frontière qui justement s’efface dans les rêves ….
3. L’effacement du personnage au profit du rêve
A mi -chemin du rêve et de la réalité, la romancière va utiliser le personnage de Marianne pour être le point de départ d’un passage onirique du roman où elle imagine les pensées de la mère, ses rêves et le coeur de Simon qui vole. Cette sorte de rêverie métaphysique manifeste la croyance éternelle et ancestrale en une forme de vie après la mort , dans le souvenir de ceux qui ont aimé les défunts. La rêverie s’organise elle aussi à partir d’un cadre : cette nuit polaire qui forme un décor fantastique comme une apparition lumineuse, une sorte d’étoile filante qui illumine l’espace: ainsi pour préparer cette apparition, les nuages se “déchirant” , “le ciel opaque se dissolve” ; le coeur de Simon est comme l’étoile polaire : celle qui dans les légendes guide les hommes vers Dieu ou les met sur la bonne voie; par analogie et comme par glissement, le coeur se transforme en relique sacrée : (la relique était le reste d’un corps de saint qu’on adorait et qu’on venait prier : cela pouvait être une main , un morceau de squelette et bien évidemment le coeur qu’on conservait précieusement ) Ainsi à cette apparition de l’étoile dans le Ciel coïncide ce voyage du coeur dans son “caisson ” et le narrateur note que le plastique de la paroi “brille dans les faisceaux de lumière électrique ” ; Un lien est donc clairement établi entre les deux voyages, celui de l’étoile observée par la mère et celui du coeur de Simon transporté par Virgilio .
La vision du personnage dans l’appartement a donné naissance à ce voyage réel d’abord du coeur de son fils dans la voiture et ensuite à un voyage imaginaire et mythique qui nous plonge au Moyen-age à l’époque où on convoyait “les coeur des Princes ” dans les cités; Simon devient ainsi un personnage de légende lui aussi, à l’instar de ces souverains d’autrefois dont les dépouilles étaient vénérées et devant lesquels les gens se recueillaient “on se signait en silence pour regarder passer ce cortège extraordinaire” Le personnage de Simon obtient ainsi grâce à ces comparaisons une dimension sacrée
Attention j’ai coupé une partie de cette description du voyage médiéval dans vos passages dactylographiés…
La fin du passage nous ramène à Marianne et aux questions métaphysiques qu’elle se pose et que tous les lecteurs peuvent également partager : “que subsistera t-il dans cet éclatement de l’unité de son fils” : cette interrogation pose le problème des liens entre le corps et l’âme ; l’esprit est un et indivisible alors que le corps peut être morcelé ; Notre unité est avant tout spirituelle et n’est pas liée à notre enveloppe corporelle : du moins pour ceux qui croient à l’existence de l’âme ; pour certaines religions, âme et corps ne peuvent être séparés et donc les parents refusent les dons d’organes par peur de perdre l’ âme de leur enfant
En conclusion ,la romancière a donc imaginé pour ce passage important qu’au moment où on opère son fils mort pour lui prélever ses organes et les envoyer un peu partout en France,, Marianne , sa mère perçoit du fond de sa peine, une sorte de lien indestructible en pensée entre elle son fils et elle est soulagée de sentir sa présence irréductible ; le personnage de Simon acquiert ainsi une dimension sacrée, mythique en se transformant et en étant comparé aux souverains défunts des temps anciens .
Le mot « roman » a été utilisé pour la première fois au Moyen Âge, pour désigner des ouvrages littéraires le plus souvent versifiés : ces ouvrages étaient écrits en langue romane, et non en latin. À son origine, le roman est donc un récit littéraire, généralement écrit en vers, rédigé en « roman », c’est-à-dire en langue « vulgaire ».
C’est cette forme du « roman » que les troubadours et trouvères utilisent pendant tout le Moyen Âge, afin de raconter les exploits des chevaliers qui furent les premiers héros des romans de chevalerie . Ces personnages valeureux, défenseurs de la veuve te de l’orphelin, dévoués à leur roi , seront les premiers modèles héroïques en Occident. Ils sont les héritier des demi-dieux antiques capables d’affronter eux aussi des monstres effrayants. Leur devise est celle du chevalier Bayard”sans peur et sans reproche” .
Le héros chevaleresque
L’un des auteurs les plus célèbres de cette période, Chrétien de Troyes, a ainsi su, à travers ses romans (Le Conte du Graal, Le Chevalier à la charrette, Yvain ou Le Chevalier au lion, etc.) : créer un genre narratif, enchaînant des épisodes suivis mais aussi entrelaçant différentes « histoires » , célébrer les exploits d’hommes valeureux et exceptionnels dans un temps légendaire . Ainsi les personnages des romans étaient essentiellement parés des qualités liées à leur condition : courage au combat, loyauté envers ses suzerains et défense des plus faibles
Du héros amoureux au héros honnête homme : la noblesse de caractère
Avec la Renaissance, les divertissements de cour, les modes et les comportements se transforment à nouveau : les spectacles et les arts remplacent ainsi peu à peu les tournois et autres jeux où la violence primait. Apparaît alors un nouveau type de romans qui connaîtra un certain succès : le roman pastoral.Honoré d’Urfé, dansL’Astrée, reprend au ce genre pastoral. Il met en scène, dans un territoire grec préservé des guerres, des personnages en habits de bergers ou de nymphes dont toute la vie est tendue vers l’amour et l’harmonie. Les hommes, loin d’être pourvus de qualités guerrières, se distinguent par leur noblesse d’âme et leur sensibilité, et tous les personnages rivalisent d’éloquence comme de goût. Un peu plus tard, Madeleine de Scudéry écrit des romans (par exemple Clélie) dans lesquels les lecteurs peuvent découvrir les parcours amoureux des personnages, récits très longs car fondés sur le détail des émotions et des progrès faits par les protagonistes sur la « Carte du Tendre »
Cependant, ce type de romans, malgré son succès, se trouve discrédité. En effet, les personnages semblent d’une perfection peu crédible, l’atmosphère est ressentie comme trop idyllique et trop éloignée des préoccupations du commun des mortels.Une autre direction se dessine, représentée par La Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, chef d’œuvre du classicisme et du « roman d’analyse ».
Ainsi, le roman au xviie siècle est varié dans ses formes comme dans ses codes. Cependant se dégagent certains points communs : la narration d’épisodes centrés autour de personnages que le lecteur suit dans son parcours, et une prose au service de l’action et de la peinture des sentiments.
Le héros libertin et les héros du roman épistolaire
Dans la seconde moitié du xviie siècle et tout au long du xviiie siècle, le roman par lettres se développe et connaît un grand succès. Ces ouvrages se présentent sous la forme de lettres croisées, envoyées et reçues par les différents personnages. Plusieurs particularités propres à cetre forme sont à relever : Tout d’abord, la forme épistolaire permet à l’auteur de jouer sur les frontières entre réalité et fiction. Plusieurs de ces romans se présentent ainsi (grâce à une préface ou un avertissement) comme un échange réel de lettres, et l’auteur affirme alors n’être que le découvreur et l’éditeur de ces textes. Cela permet bien sûr de contourner la censure ou la condamnation (pour immoralité, ou irréligion), mais cela offre aussi la possibilité de faire entrer plus facilement le lecteur dans un univers dont il pense qu’il est « vrai ».En outre, le fait que le récit soit formé de lettres engendre une conséquence importante : le changement de narrateur. En effet, le roman a autant de narrateurs qu’il y a de personnages écrivant les lettres. De ce fait, des points de vue divergents sur un même épisode se confrontent, et le lecteur a le plaisir de saisir les incompréhensions, de comparer les perceptions de chacun, comme s’il observait les faits selon une multiplicité d’angles.On retiendra La Nouvelle Héloïse, de Rousseau (correspondance amoureuse entre deux amants) et Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos (les aventures libertines de deux héros scandaleux) et Les lettres Persanes de Montesquieu
Les héros réalistes : ambition et désir de conquête
À la suite des Lumières, mais aussi avec le développement industriel et l’essor de la bourgeoisie, le roman connaît au xixe siècle un grand succès, et s’oriente majoritairement vers une représentation fidèle de la réalité sociale– sans se limiter à la classe dirigeante. Le héros romantique paraît en révolte contre l’ordre établi et cherche à accomplir un destin d’exception ; Les obstacles qu’il doit surmonter pour réussir en amour ou socialement le plongent dans une profonde mélancolie
• Le mouvement littéraire du réalisme s’attache ensuite à décrire scrupuleusement les faits et gestes de personnages issus du « peuple » ou du « grand monde ». Balzac utilise un titre révélateur pour rassembler ses ouvrages : La Comédie humaine. Il signifie la volonté de saisir les masques et les diverses conditions ou états des hommes. Flaubert (L’Éducation sentimentale), Maupassant (Une Vie, Pierre et Jean) cherchent également à montrer aux lecteurs les parcours de personnages parfois très humbles, en privilégiant une narration objective. Les héros affrontent leurs échecs et renoncent à certaines qualités pour atteindre leurs objectifs : Bel- Ami se sert des femmes pour réussir une ascension sociale. Les lecteurs apprécient toujours les ouvrages relatant des histoires d’amour « romanesques » – ce que Flaubert met précisément en scène dans Madame Bovary, roman dans lequel le personnage éponyme se nourrit de rêves sans jamais pouvoir se satisfaire de la réalité.
• Un peu plus tard, le naturalisme poursuit cette ambition, avec un aspect scientifique plus marqué. Pour Zola, le roman doit être une sorte de « laboratoire » grâce auquel on peut étudier les comportements humains, et les révéler (voire les dénoncer). S’appuyant sur des notes précises, des romans comme Nana, Germinal, La Bête humaine, évoquent des conflits sociaux ou des problèmes de société à travers la fiction.
Du héros exceptionnel au héros ordinaire
Aux xxe et au xxie siècles, le roman est toujours un genre particulièrement prisé par les auteurs comme par le public, mais la variété qui l’a toujours caractérisé s’accroît encore :Certains romanciers s’attachent à la description du réel – tout en apportant des innovations de style ou de construction. Parmi eux, de nombreux auteurs, marqués par la violence de la première moitié du xxe siècle, prennent position par rapport à l’insupportable (la guerre, le nazisme, toutes les formes de totalitarisme) dans des romans engagés : ainsi Céline, avec Voyage au bout de la nuit ; son héros est à la fois un un soldat couard, un révolté contre l’injustice et un homme ordinaire , Malraux, dans L’Espoir, Camus avec La Peste invente des personnages qui ne sont ni bons ni mauvais, juste humains. Dans les années 1950, le « nouveau roman » refuse la psychologie et toute subjectivité ; les auteurs de ce courant (Robbe-Grillet, Duras, Sarraute) ne livrent que l’extérieur des choses et des êtres, laissant au lecteur le soin de « construire » un personnage et un univers ; ils veulent la mort des personnages et refusent de présenter des personnages romanesques qui ressembleraient à de vraies personnes. Ils n’ont ni passé, ni famille, ni portrait , ni identité . On voit même apparaître un nouveau modèle de personnage qualifié de antihéros. A l’inverse des personnages héroïques des origines, ces personnages de la fin du vingtième siècle sont des anonymes ou des héros négatifs auxquels il est difficile de s’identifier comme le personnage de Meursault de l’Etranger de Camus.
Le roman ne se réduit pas aux simples parcours des personnages qui le composent mais ces derniers , souvent individualisés forment pour les lecteurs le pivot de cet univers; on s’attache, en effet, à certains héros ou parfois on les déteste mais on croit en leur existence le temps de la lecture . Les formes, extrêmement diverses et les nombreux personnages des romans en font ainsi un outil privilégié pour interroger notre monde comme nous-mêmes : notre « condition humaine » Chaque personnage nous renvoie à une possibilité d’être au monde.
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Lorsque Zola publie Germinal en 1880, ce treizième volet de la série des Rougon-Macquart s’intéresse au destin d’Etienne Lantier, un mécanicien au chômage, fils de la blanchisseuse Gervaise , héroïne de l’Assommoir. Ce roman trace un portrait saisissant et réaliste de la situation misérable des ouvriers qui meurent en grand nombre dans l’exploitation des bassins miniers du Nord de la France; Dans l’extrait que nous allons étudier, Etienne se trouve enfin en face de la fosse et observe la descente des ouvriers dans le puits au petit jour . Comment la mine apparaît-elle ici ? Dans un premier temps, nous montrerons le caractère réaliste de la description de la mine; ensuite nous analyserons les particularités du regard du personnage et enfin nous verrons la dimension symbolique de ce premier face à face.
Tout d’abord , le narrateur utilise des termes techniques pour décrire le départ des mineurs. Le lecteur possède ainsi un aperçu des conditions de travail des mineurs . Zola pour écrire son roman s’est largement document et a emprunté des ouvrages techniques dans les bibliothèques : ce type de description se nomme documentaire ou lexicographique . On apprend ainsi que les mineurs descendent dans des cages de fer ( l 86 ) , se changent dans une baraque (l 84 ) et pour les herscheurs, remplissent des “berlines ” (l 88) ; Tous les métiers de la mine sont cités: les personnages sont ainsi parfois réduits à des fonctions tels que “moulineurs” (l 88) et toutes les activités sont détaillées comme celle qui consiste à bosser les veines : “le bois de taille ” est mentionné à la ligne 90.
Un second aspect réaliste de la description consiste à énumérer des petits détails pour renforcer cette illusion réaliste : le narrateur précise, par exemple, le nombre de mètres exact des différents accrochages ” “320 pour le premier” , “554 m ” pour le premier ; Il précise également que les mineurs arrivent “pieds nus” (l 84 ) lampes à la main ” ; Ces détails permettent au lecteur de visualiser plus facilement la scène décrite.

Mais la dimension réaliste de la description est complétée par une dimension subjective qui reflète soit les sentiments du personnage soit le point de vue du narrateur ; Ainsi , Etienne est un néophyte qui découvre le milieu des mines de charbon et Zola présente souvent le milieu vu par ses yeux d’étranger ; cette technique utilisée fréquemment par les auteurs réalistes porte justement le nom de fiction de l’arrivée de l’étranger ; L'écrivain se sert de ce prétexte pour offrir au lecteur de longues descriptions précises de ce que voit le personnage; C'est son regard qui sert de mesure à la description ; C’est pour cette raison qu’on parle de description en partie subjective car elle émane d’un point de vue interne. Le verbe introducteur par exemple, précise à la ligne 80 : “il ne comprenait bien qu’une chose ” : La description a donc pour objectif de préciser les pensées du personnage. Etienne cherche réduire son ignorance en posant des questions à un mineur présent : “c’est profond ?” (l 99 ) ; Son inquiétude est manifeste avec la question suivante : “et quand ça casse ? ” (l 106 ) reprise comme une sorte d’écho fataliste par le personnage; Le héros n’est donc pas seulement un simple spectateur, il oriente la description selon ses intérêts et elle révèle ses craintes ; elle sert à exprimer indirectement certaines pensées du personnage.
Le plus souvent, le narrateur oriente lui aussi la description et lorsqu’il s’agit de décrire la mine, il utilise une dimension symbolique double ; celle l’animalité et celle de la divinité. La mine , Le Voreux est souvent vue comme une grosse bête effrayante ; Zola joue à la fois avec l’animalisation et la personnification : le champ lexical de la digestion est constamment présent comme pour rappeler que la mine dévore les hommes qu’elle absorbe : ” le puits avalait des hommes par bouchées “( l 81 ) “elle les engloutit ( 111) et les dévore (113 ) comme une bête affamée (115 ) ; Les termes utilisés pour décrire le puits sont ceux qu’on emploie pour décrire des parties du corps d’un animal comme “gosier” (82) “gueule plus ou moins gloutonne ” 113 , “boyaux géants” . L’hyperbole “capable de digérer un peuple “ renforce le caractère menaçant du monstre.

Cette bête qui se nourrit de “chair humaine “ représente symboliquement un Dieu cruel et surtout “vorace“; L’analogie avec les Dieux mangeurs d’hommes des religions archaïques permet à Zola de faire comprendre à ses lecteurs qu’aujourd’hui, c’est le Dieu capital qui menace l’existence même des ouvriers ; Il rejoint ansi les thèses marxistes sur la nécessité de la lutte des classes et engage le monde ouvrier dans une révolte contre l’actionnariat . Le lecteur est ainsi indigné de voir comment les ouvriers sont contraints de subir des conditions de travail extrêmement pénibles, inhumaines; Ils deviennent à leur tour des animaux et sont déchus de leur humanité. Zola montre ainsi que la misère renvoie l’être humain à son animalité et à ses instincts. La voix du porion qui sort du porte-voix est assimilée à un “beuglement “et on sonne à la viande” lorsqu’on remonte des ouvriers qui descendent “accroupis ” comme des bêtes;
En conclusion, le personnage du Voreux , monstre dévorateur comme son nom l’atteste, joue un rôle important dans le roman; il montre le danger que représente la mine pour les hommes : ravalés au rang d’animaux, ces derniers luttent pour leur survie et c’est le regard d’étranger d’Etienne, le personnage principal, qui organise le plus souvent la description du travail des mineurs.
Rappel du plan utilisé :
1. description réaliste
a) termes techniques
b) petit détails vrais
2. description du point de vue d’Etienne
a) le regard du personnage organise la description

b) ses impressions
3. Une description symbolique
a) le monstre “animal”
b) la mine menaçante : un Dieu méchant