La première apparition du personnage révèle une partie de son passé et un présent qui s’annonce difficile : arrivé depuis six mois à Paris dans le but de faire fortune, Georges n’est pour le moment qu’un modeste employé aux chemins de fer et a bien du mal à joindre les deux bouts ; Souvent il doit choisir entre manger à sa faim ou s’offrir un plaisir : boire une bière . En ce mois de juin, une rencontre providentielle va changer son destin: il croise un ancien soldat avec lequel il a combattu en Algérie quelques années plus tôt et ce dernier va lui donner sa chance; Grâce à Jacques Forestier, Georges fait ses débuts dans le monde :on nomme ce personnage un adjuvant car il est celui qui aide le héros à atteindre ses objectifs. Timide mal à l ‘aise , il se sent ridicule dans son habit de location mais au fur et à mesure, il prend de l’assurance car il constate qu’il plait aux femmes . Le lecteur est témoin de ses transformations physiques et même psychologiques . “ En s’apercevant dans la glace , il ne s’était même pas reconnu; il s’était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu’il avait trouvé fort chic, fort bien, au premier coup d’oeil. ” Ce portrait du héros sera suivi de nombreux autres qui mettent en évidence son charme et l’effet qu’il produit sur son entourage . “Une confiance immodérée en lui -même emplit son âme ” : dès le début du roman, il se sent déjà prêt à réussir . Plus »
Le réalisme est un courant littéraire du dix-neuvième siècle qui cherche à peindre les réalités de la vie, sans embellissement et tente de donner de son époque une image la plus complète possible; Les auteurs réalistes reprochent à leurs prédécesseurs de limiter les romans à quelques personnages types , héros souvent vainqueurs, ambitieux et désireux de s’élever socialement . Ils reprochent également aux romans de ne pas montrer certaines catégories sociales marginales comme les prostituées, les SDF, les criminels. Bref de limiter le champ du roman . De plus, les auteurs réalistes privilégient, dans leurs descriptions du monde, le point de vue interne , celui du personnage plutôt qu’un point de vue omniscient, celui d’un narrateur anonyme. Sous couvert de montrer le monde tel qu’il est, sans le voir tel qu’on le rêverait, ils introduisent néanmoins, à l’intérieur de leurs récits et au sein de leurs descriptions, des opinions et des émotions. Plus »
Si l’on en croit les dictionnaires, ce mot apparaît au début du vingtième siècle ; Au sens physique, la résilience est d’abord une propriété des corps confrontés à des chocs violents: les ingénieurs calculent ainsi le coefficient de résistance de certains matériaux pour construire des avions ou des voitures. ; Au sens psychologique, on désigne ainsi la capacité des humains de résister à certains traumatismes infligés par la vie comme un deuil, une agression , de la maltraitance. La résilience est plus connue en tant que phénomène psychologique. Chez les enfants en particulier, elle désigne leur capacité à triompher des traumatismes qu’ils ont subis comme une séparation, de la violence, un viol, un deuil, une guerre afin de continuer à se construire et à se réparer.En prenant conscience de cet événement et en décidant de ne plus vivre affectés par celui-ci, ils tentent de se reconstruire socialement et psychologiquement. Ce faisant, il font preuve de résilience. Plus »
Roman qui évoque des thèmes douloureux comme la mort d’un enfant et le choix pour les parents de faire don de ses organes , Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aborde ces sujets de manière parfois poétique , souvent philosophique; Au delà de cette histoire tragique qui démarre par un fait divers terrible , cet accident de voiture dans lequel un adolescent de 17 ans fait une hémorragie cérébrale qui le plonge dans un état de mort encéphalique , la romancière dresse une galerie de portrait de personnages attachants et complexes qu’elle fait se croiser autour du corps de Simon Limbres . Nous sommes presque à la fin du récit: pendant que Virgilio le jeune chirurgien roule à toute allure avec le coeur de Simon qu’il vient de prélever dans son caisson étanche, Marianne, la mère du défunt, rentrée chez elle, pense à son fils mort.
Voyons comment ce passage est construit et quel regard la romancière élabore autour de ce personnage de la mère ..rappelons tout d’abord que les romanciers contemporains ne suivent pas précisément les codes de fabrication des personnages hérités des techniques réalistes (lire l’article du blog sur le réalisme) : en effet, ils construisent leurs personnages à partir de leurs voix et ne donnent qu très peu d’indications sur leur passé, leur identité, leur physique; Chaque personnage est saisi dans la vérité de l’instant comme une sorte d’instantané photographique et le roman se forme à partir de ces saisies partielles. On parle souvent de vision kaléidoscopique pour montrer que les romanciers juxtaposent des états sans chercher à créer une continuité d’ordre chronologique ou psychologique.
Annonce des axes de lecture : Marianne est un personnage qui se caractérise par le lien qu’elle a tissé avec Simon: c’est une mère frappée par la douleur d’avoir perdu ce fils qu’elle aimait : la romancière fabrique une dimension pathétique autour de ce personnage de mater dolorosa ce que nous verrons dans une première partie avant de démontrer que la romancière fabrique également un passage fantastique en évoquant d’abord la mystérieuse relation entre Marianne et Simon et ensuite en faisant disparaître le personnage au profit d’une sorte de rêve éveillé qui montre le coeur de Simon dans l’espace.
1 Une image pathétique de la mère
Le cadre tout d’abord est important : il fait nuit et Marianne ne parvient pas à dormir il va être minuit : 23 h 50 exactement la précision de ce détail rend la scène d’autant plus vraisemblable ; la douleur est personnifiée et agit avec violence comme le montre le verbe défonce; il appartient à un registre de langue familier et peut s’employer pour désigner l’état d’une personne qui se drogue ; être défoncée, c’est perdre le contact avec la réalité et Marinent est comme dans un état second ; L’analogie avec la drogue se poursuit avec l’expression “c’est là qu’elle peut tenir “; Notons que dans certains cas et pour certaines pathologies, les médecins plongent des patients dont la douleur est trop forte en coma artificiel afin que leur cerveau ne puisse transmettre cette douleur .
L‘intervention du narrateur ou l’art de raconter : ce passage montre un narrateur à la fois témoin des faits mais qui semble ne pas tout savoir sur les personnages “on s’en doute ” peut être analysée de deux manières : dans une certaine mesure, cette intervention brise les codes de l’illusion réaliste dans la mesure où elle montre au lecteur la voix de celui qui écrit l’histoire (le narrateur ) et qui de ce fait est distinct du personnage ) ; mais d’un autre côté, cette intervention créée également une complicité avec le lecteur car ce on qui est mentionné, l’inclut lui aussi et le rend , en quelque sorte, partie prenante de l’histoire en train de s’écrire. Le point de vue du narrateur apparait également avec ‘on la voit qui se redresse” : le point de vue ici est bien celui d’un narrateur témoin de la scène mais qui se contenterait de la filmer sans forcément tout savoir .
C’est d’ailleurs le but des questions rhétoriques qui frappent le lecteur car elles introduisent à la fois une forme d’incertitude (le narrateur feint de ne pas savoir ce que pense le personnage donc il adopte un point de vue limité sur la scène ) mais en même temps il émet des hypothèses pour expliquer le sursaut Marianne : “se peut-il qu’elle ait capté l’instant où ..” “se peut-il qu’elle ait eu l’intuition ‘ ? ; ces hypothèses font naître la dimension fantastique du passage qui va ensuite être construite avec l’image du coeur de Simon, relique sacrée qui effectue un voyage dans l’espace . Ces mêmes questions métaphysiques reviendront à la fin du passage et Marainne finira par leur donner une réponse rassurante : “il est irréductible: c’est lui ; elle ressent un calme profond “ ; La mère peut repenser alors à son fils comme à un être qui ne peut se réduire à sa matière charnelle ” Le choix de l’adjectif “irréductible ” prouve que , bien qu’on ait côté au corps de Simon certains organes, il peut demeurer entier en présence dans l’esprit de sa mère . Les questions se transforment elles aussi en “cerceaux bouillants “ et vont ainsi se transformer les “linéaments magnétiques ” dans son imagination : ces linéaments vont maintenir les liens indestructibles qui la relient à son fils
2. Une liaison mère/fils fantastique : la connexion au delà de la mort ?
Le narrateur laisse entendre que ce qui relie ces deux personnages est de l’orde du surnaturel et il crée des images pour essayer de rendre concret et visible cette connexion. D’abord nous remarquons le verbe connecter et l’image des “linéaments magnétiques “ Le mot linéament s’emploie plutôt dans un contexte géologique ou géographique car il désigne les lignes qui marquent les accidents de surface des roches qui provient des mouvements dans l’écorce terrestre ; sur une carte, les linéaments désignent le relief des sols et dans le roman, on comprend que ce mot désigne des sortes de fils, un peu comme des arcs électriques qui traverseraient l’espace-temps pour maintenir le lien mère-fils; L’imagination de la romancière est nourrie ici des images des failles de l’ espace temps où les ondes électromagnétiques renvoient à une activité cérébrale ou simplement électrique; On peut aussi rapprocher ces linéaments du fonctionnement du cerveau et rappeler que ce sont des machines électriques qui maintiennent le corps de Simon en vie et qu’elles vont être débranchées ; la romancière veut nous faire percevoir que le cerveau de Marianne enregistre en fait , comme par intuition , ce qui est en train d’arriver à Simon. La relation mère-fils est qualifiée de proximité impalpable : avec l’allitération en p, on voit ici les liens se former avec espace, profondeur et temporel .La mère veut se raccorder , rester raccrochée à son fils et pénètre dans cet espace interdit qui forme comme une zone de veille ; La romancière veut sans doute ici évoquer par cet euphémisme “espace interdit ” les mystères de la mort ” et la “zone de veille” peut peut- être rappeler l’une des fonctions maternelles par excellence : celle qui consiste à veiller sur son enfant , à le protéger, à le rassurer. A noter que dans le roman, cette fonction maternelle est occupée , parmi le personnel soignantt, par Thomas Rémige qui va prendre , dans le milieu médical, le relais de la mère auprès de Simon; Il va le rassurer en lui passant le casque avec la musique choisie par Juliette, en lui récitant les noms de tous ceux qui pensent à lui, en prenant soin de son corps avec la toilette et le chant de la mort pour l’aider à franchir cette mystérieuse frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Frontière qui justement s’efface dans les rêves ….
3. L’effacement du personnage au profit du rêve
A mi -chemin du rêve et de la réalité, la romancière va utiliser le personnage de Marianne pour être le point de départ d’un passage onirique du roman où elle imagine les pensées de la mère, ses rêves et le coeur de Simon qui vole. Cette sorte de rêverie métaphysique manifeste la croyance éternelle et ancestrale en une forme de vie après la mort , dans le souvenir de ceux qui ont aimé les défunts. La rêverie s’organise elle aussi à partir d’un cadre : cette nuit polaire qui forme un décor fantastique comme une apparition lumineuse, une sorte d’étoile filante qui illumine l’espace: ainsi pour préparer cette apparition, les nuages se “déchirant” , “le ciel opaque se dissolve” ; le coeur de Simon est comme l’étoile polaire : celle qui dans les légendes guide les hommes vers Dieu ou les met sur la bonne voie; par analogie et comme par glissement, le coeur se transforme en relique sacrée : (la relique était le reste d’un corps de saint qu’on adorait et qu’on venait prier : cela pouvait être une main , un morceau de squelette et bien évidemment le coeur qu’on conservait précieusement ) Ainsi à cette apparition de l’étoile dans le Ciel coïncide ce voyage du coeur dans son “caisson ” et le narrateur note que le plastique de la paroi “brille dans les faisceaux de lumière électrique ” ; Un lien est donc clairement établi entre les deux voyages, celui de l’étoile observée par la mère et celui du coeur de Simon transporté par Virgilio .
La vision du personnage dans l’appartement a donné naissance à ce voyage réel d’abord du coeur de son fils dans la voiture et ensuite à un voyage imaginaire et mythique qui nous plonge au Moyen-age à l’époque où on convoyait “les coeur des Princes ” dans les cités; Simon devient ainsi un personnage de légende lui aussi, à l’instar de ces souverains d’autrefois dont les dépouilles étaient vénérées et devant lesquels les gens se recueillaient “on se signait en silence pour regarder passer ce cortège extraordinaire” Le personnage de Simon obtient ainsi grâce à ces comparaisons une dimension sacrée
Attention j’ai coupé une partie de cette description du voyage médiéval dans vos passages dactylographiés…
La fin du passage nous ramène à Marianne et aux questions métaphysiques qu’elle se pose et que tous les lecteurs peuvent également partager : “que subsistera t-il dans cet éclatement de l’unité de son fils” : cette interrogation pose le problème des liens entre le corps et l’âme ; l’esprit est un et indivisible alors que le corps peut être morcelé ; Notre unité est avant tout spirituelle et n’est pas liée à notre enveloppe corporelle : du moins pour ceux qui croient à l’existence de l’âme ; pour certaines religions, âme et corps ne peuvent être séparés et donc les parents refusent les dons d’organes par peur de perdre l’ âme de leur enfant
En conclusion ,la romancière a donc imaginé pour ce passage important qu’au moment où on opère son fils mort pour lui prélever ses organes et les envoyer un peu partout en France,, Marianne , sa mère perçoit du fond de sa peine, une sorte de lien indestructible en pensée entre elle son fils et elle est soulagée de sentir sa présence irréductible ; le personnage de Simon acquiert ainsi une dimension sacrée, mythique en se transformant et en étant comparé aux souverains défunts des temps anciens .
En vous promenant dans les jardins du château de Chenonceau, vous pouvez vous dire que vous suivez les pas de Diane de Poitiers et de la reine Catherine de Médicis. A la mort de son royal mari, Catherine a confisqué à la maîtresse de ce dernier Madame de Valentinois, son château de Chenonceau dans lequel , du fond de son bureau à trois fenêtres, qui surplombe la rivière, elle a tenu à régner et à diriger la France; Aujourd’hui on peut encore admirer ce magnifique bureau et imaginer quelles décisions politiques importantes ont été prises par la souveraine dans cette cette pièce. S’il y a bien un domaine qui pouvait sembler politiquement sensible à cette époque, ce sont les mariages à la Cour; En effet, tout un jeu d’alliances et de complots se forment pour que les familles allient leur puissance ou se neutralisent. Lorsque la Princesse de Clèves fait son apparition à la Cour, elle demeure avant tout une fille à marier dont la famille cherche un très beau parti. Elle va alors devoir affronter les dangers de la Cour et c’est un milieu dont elle ignore tout…
Ce ne sont pas les candidats qui manquent : le Duc de Guise, le Prince de Clèves et le Duc de Nemours vont soupirer après la belle.Mademoiselle de Chartres qui n’est alors âgée que de 16 ans. Heureusement qu’elle pourra compter sur les conseils avisés de sa mère, la très sage Madame de Chartres. Un premier extrait se situe au début du roman et de l’intrigue : il s’agit avant tout pour l’auteure, Madame de Lafayette, de dépeindre la Cour comme un milieu dangereux et souvent hostile.
Voyons comment le personnage de la mère est ici construit par Madame de Lafayette . Le passage présente avant tout les dangers de la cour et le rôle d’une mère auprès de sa fille , novice, qui découvre un milieu qu’elle ne connait pas. Etudions tout d’abord la peinture de la Cour. La Cour est tout d’abord personnifiée à la ligne 397 ” l’ambition et la galanterie ” étaient l’âme de cette cour ; Ces deux caractéristiques mêlent inexorablement politique et amour et subordonnent les liaisons amoureuses à des intérêts politiques qui dépassent l'individu. Ce dernier est perçu,en effet, comme membre d'un lignage auquel il appartient et dont il se doit de servir les intérêts. Cette idée d'un lien entre amour et politique est reprise sous la forme d'un parallélisme de construction aux lignes 401: "l‘amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour. La narratrice souligne ici à quel point la sincérité des sentiments peut être mise en doute; Les intrigues amoureuses apparaissent alors comme des manoeuvres destinées à fortifier son camp ou sa famille . Cette situation est voulue par les hommes aussi bien que les femmes et qui sont ainsi mis à égalité comme le traduit l’adverbe également dans l’expression ligne 398 “occupaient également les hommes les femmes “
Les dangers de la Cour sont liés à la fois à cette duplicité des nobles qui s’y côtoient mais aussi à la multiplicité des affaires comme le traduit l’expression “il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes “; ( 399) Ainsi le danger semble vraiment réel et Mademoiselle de Chartres fait figure de jeune innocente au milieu de tous ces nobles ; Aucun, en effet ne semble trouver grâce aux yeux de la narratrice : “personne n’était tranquille ni indifférent ” Il faut donc se méfier de tout le monde à la Cour même de ceux qui se prétendent vos amis . A la ligne 403, l’énumération des verbes à l’infinitif : “s’élever, plaire, servir ou nuire ” rend bien compte du mélange des ambitions de ces courtisans et du caractère changeant de leurs inclinations. L’un des traits des moralistes du dix-septième siècle consiste , en effet, à décrire l’homme comme un être changeant , victime de ses passions et régi par des forces qui lui dictent sa conduite; Madame de Lafayette se montre très proche des conceptions de Monsieur de La Rochefoucauld , conceptions vulgarisées dans son recueil : Maximes où il écrit par exemple: L’esprit est toujours la dupe du coeur ou La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend, et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. Ces écrivains s’efforcent de peindre les vices des hommes pour les corriger et la peinture de la société qu’ils élaborent dans leurs ouvrages est assez noire.
A la ligne 404 , on constate que les mot plaisirs et intrigues sont placés sur le même plan comme pour nous faire comprendre que c’est au moyen de ces différentes intrigues que les nobles trouvent du plaisir : comme si le fait de comploter faisait ,quelque part, partie de leur nature . La narratrice va ensuite peindre les différents réseaux d’influence qui se focalisent autour de cinq dames influentes : la reine Catherine de Médicis, la soeur du roi appelée Madame et les jeunes reines : la reine dauphine qui est l’épouse du fils aîné du roi Henri II ,Marie Stuart, la reine de Navarre qui est la fille de Henri II et la maîtresse du roi, Diane de Poitiers . Cette dernière déteste la jeune demoiselle de Chartres en raison de son lien avec le vidame de Chartres ; ce dernier , en effet, a refusé d’épouser l’une des filles de Diane de Poitier par amour pour la reine. On mesure donc à quel point la maîtresse du roi fait courir un danger à la jeune fille .
Chacune de ces femmes d’influence va attirer une sphère de courtisans qui vont se modeler aux qualités dont elles font preuve: ainsi la reine attire les femmes d’un certain âge et qui “faisaient profession d’une vertu plus austère ” ( 410 ) alors que les jeunes et jolies femmes éprises de galanterie se rassemblent plus volontiers autour de la reine dauphine; Seule Diane de Poitiers paraît peu entourée ou dédaigneuse de l’intérêt qu’on lui porte, par une sorte de fierté : “la Duchesse de Valentinois avait toutes celles qu’elle daignait regarder mais peu de femmes lui étaient agréables. ” (419)
Toutes ces intrigues font de la cour un milieu hostile et dangereux dans lequel il faut être initié si on souhaite échapper aux périls qui règnent dans cet endroit ; ” il y avait une sorte d’agitation sans désordre” ( l 429 ) est une expression pour le moins ambivalente , utilisée par l’auteure pour tenter de nous faire saisir ce curieux mélange entre dangers nombreux et recherche constante des plaisirs . Ce qui crée dans l’esprit du lecteur un lien entre plaisir et péril.
Voyons comment Madame de Chartres va pouvoir exercer une influence sur sa fille qui vient d’être introduite dans ce milieu périlleux.
L’éducation de la jeune fille est présentée pour sa mère comme une entreprise extrêmement sérieuse comme on peut le voir avec l’expression ” avait eu tant d’application ” et “ne discontinua pas de prendre les mêmes soins ” Cette entreprise difficile est rendue d’autant plus nécessaire au vu de la dangerosité du lieu das lequel la jeune fille va désormais évoluer.
Du coup, la peinture des dangers de la cour renforce le caractère ardu de l’éducation pour la mère préoccupée de l’avenir de sa fille. La Cour est vue par la mère comme une sorte d’enfer où se mêlent les séductions des plaisirs et les plus grands dangers pour les âmes innocentes . On comprend ainsi la valeur de ce qu’elle va inculquer à sa fille au moment où elle va se retrouver confrontée à “tant d’exemples si dangereux” ; D’emblée ; le destin de la future Princesse est présenté comme périlleux et le lecteur peut d’ores et déjà se demander si elle va succomber à toutes les tentations.
Madame de Chartes es caractérise par une lucidité hors du commun “elle voyait ce péril” et un désir de protection maternelle à son paroxysme: “elle ne songeait qu’aux moyens d’en garantir sa fille ” On peut toutefois souligner le paradoxe de la position de la mère qui, à la fois, offre sa fille à tous les regards afin de lui trouver le meilleur parti possible et en même temps, lui demande de se forger une carapace et de se méfier de tout le monde, en particulier des hommes.
La modernité de ce roman vient de la demande de la mère d’être considérée par sa fille comme une amie et surtout comme une confidente sur le plan amoureux ; Madame de Chartres compte sur son expérience pour protéger sa fille des mensonges que les hommes de la Cour seraient tentés de lui dire afin de s’assurer ses faveurs ou de lui arracher une promesse de mariage ; Il est donc logique que sa mort prématurée dans le roman plonge la jeune femme dans le plus grand désarroi car elle perd à la fois l’amour d’une mère mais également les précieux conseils d’une amie. La relation mère/fille ne se construit pas seulement sur le respect mais sur un attachement et une affection véritable. A cette époque, il était rare de constater une véritable complicité entre les parents et les enfants qui ne partageaient pas toujours le même toit, surtout durant leur enfance. Néanmoins, certaines auteures comme Madame De Sévigné ou ici , madame de La Fayette se font l’écho d’un nouveau mode de relations, plus intime , entre les mères et les filles.
Grâce à la correspondance de Madame de Sévigné, par exemple, nous savons qu’elle adorait sa fille et souffrait cruellement d’en être séparée après le mariage de cette dernière avec le Comte de Grignan.
Ce passage nous présente donc à la fois les dangers de la Cour et le rôle que Madame de Chartres entend jouer auprès de la future Princesse de Clèves : une mère attentive et protectrice qui se donne comme mission de la guider : “elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l’on était souvent embarrassée quand on était jeune.”
Lorsque le roman -feuilleton qui pour titre Les Trois Mousquetaires paraît au cours de l’année 1844 dans le Journal Le Siècle, c’est un succès tel qu’il faut immédiatement faire imprimer le roman afin de satisfaire un public plus large. Alexandre Dumas y raconte, avec de multiples rebondissements, les aventures de quatre vaillants soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche qu’un complot du cardinal de Richelieu, alors premier ministre , menace de déshonorer. Les mousquetaires doivent se rendre en Angleterre afin de retrouver des bijoux que la reine a offerts à Lord Buckingham, son amant. Pour mener à bien leur mission, ils devront vaincre la redoutable espionne du cardinal, la belle et mystérieuse Milady de Winter qui se nomme en réalité Anne de Breuil . Plus »
En écrivant Retour à Killybegs après la mort de son ami Dennis Donaldson, assassiné par une faction isolée de l’IRA , Sorj Chalandon, a souhaité évoqué l’histoire et l’évolution du conflit qui oppose les habitants catholiques d’Irlande du Nord (la famille Meehan ) à leurs voisins pro- anglais et souvent protestants qu’on surnomme les loyalistes . Un seul personnage ne pouvait suffire à exprimer les différentes étapes du conflit alors l’auteur a choisi de construire une famille pour pouvoir comparer les positions du père, du frère du héros ainsi que du fils de ce dernier . Patraig, Seanna, Tyrone, Jake, quatre prénoms typiquement irlandais vont représenter quatre manières de vivre son patriotisme en Irlande du Nord.
L’extrait étudié se situe au moment où Tyrone est emprisonné pour la seconde fois : il effectué un premier séjour en prison à l’âge de 18 ans durant lequel il a prêté serment de servir l’IRA et l’écrivain évoque la dureté des conditions de détention de ces hommes , le plus souvent enfermés sans procès et sans jugement . Comment le personnage de Seanna est-il construit ? Que représente-t-il ? Nous verrons tout d’abord quelles analyses le personnage donne de la situation politique et historique de son pays avant de voir quels sont ses arguments pour justifier sa décision de s’exiler et en quoi son discours peut avoir un impact sur la relation des deux frères à travers cet échange. En effet, chaque membre de la famille Meehan est porteur d’une vision du monde et de l’Histoire de l’Irlande .
Quel point de vue est incarné par Seanna ? Le personnage est présenté comme courageux “il n’avait pas peur ‘ ( l 1 ) mais “fatigué “ “L’irlande m’a épuisé “ ajout-t-il , à plusieurs reprises “je ne veux plus m’éreinter ..je renonce ” . Cette usure et cet abandon du personnage sont manifestés par différents symboles : “ il déposait les armes ” ; sur le plan militaire, cela signifie qu’il cesse le combat au sens propre . Soutenir la cause républicaine lui apparaît alors comme un bien grand poids : le mot fardeau à la ligne 5 traduit cet épuisement du personnage qu’on retrouve également ligne 52 <strong>; Elle m'a trop demandé.” ; Le personnage , ainsi cesse de lutter et abandonne la défense de la cause irlandaise pour pouvoir respirer et vivre normalement , garder la “tête haute ” quand il va à l’Eglise . On peut comprendre ici que Seanna ne veut plus vivre avec du sang sur les mains .Néanmoins il garde une forme de révolte contre l’ennemi ; Il s’agit donc de faire le portrait d’un homme à bout mais qui conserve une haine farouche des anglais “ il crachait au visage de nos gardiens ” et ne “leur offrait pas un cri lorsqu’il était battu .” L’auteur montre ainsi que ce n’est pas un manque de courage et de détermination mais un choix guidé par des circonstances historiques : celui d’abandonner une cause qu’il estime perdue : ” Ce n’est pas une bataille que nous venons de perdre. C’est la guerre! La guerre de notre père; C’est fini petit soldat. Fini tu entends ” ( l 44 ) Le renoncement est , selonn le personnage, rendu nécessaire en fonction du contexte historique.
Le rappel de l’histoire des générations précédentes vient inscrire ici, la fiction dans un contexte historique connu : la mort du grand père en 1896 est l’occasion de rappeler l’ancienneté des combats dans cette région du pays et la mort du père est mentionnée au moyen d’un paradoxe : “mort d’avoir survécu à la défaite “; L’écrivain suggère ici que la honte de ne pas avoir obtenu l’indépendance totale de l’Irlande suite à l’insurrection de 1916 serait responsable, en grande partie, du destin brisé du personnage du père . Il est bien sorti vivant de cette bataille mais il s’est mis à boire et finira par se donner la mort .
La situation de l’irlande du Nord est également rappelée à travers les événements de la seconde guerre mondiale: son gouvernement a décidé de soutenir Hitler car l’Angleterre le combattait ; Ce choix a été violemment critiqué et on retrouve, par la voix de Seanna, une des principales critiques de cette politique qui est qualifiée , à la ligne 42 de “danse avec le diable “
Seanna fait également référence à l’avenir de leur patrie et souhaite éviter de nouveaux morts; Le registre pathétique ici est employé pour sensibiliser le lecteur aux arguments du personnage et les rendre plus persuasifs: “qui demain? pourquoi ne pas offrir bébé Sara à leurs coups “ ( l 15 ) ; Assurer un meilleur avenir aux descendants de la famille: c’est le but de Seanna et c’est un argument qui justifie son désir de quitter son pays afin d’épargner aux générations futures de subir le même sort que leurs ancêtres. En agissant ainsi ils pourraient être sauvés ( l 19 ) et ne pas finir “au bout de leurs fusils ) l 12 ou dans une prison anglaise où ils iraient rejoindre tous leurs compatriotes décrits comme du bétail qui “gave ” les prisons . ( l 11 )
Le discours de Seanna repose sur un autre argument important : il pense que leur guerre est perdue et qu’ils doivent changer leur vision du monde “Tu regardes le monde depuis le bas de ta rue ” reproche-t-il à son frère; l’écrivain, par la voix de Seanna, dénonce ainsi une vision étroite et partisane de la cause irlandaise ; Le personnage constate que le reste du monde ne soutient pas leur cause : " Nous sommes des milliers d’encerclés entourés par des milliards de sourds ” ( l 45 ) cette citation montre , à la fois l’infériorité numérique des insurgés : milliers s’oppose à milliards et un double emprisonnement géographique figuré par l’association, dans la phrase, seulement séparés par une virgule, d’encerclés et d‘entourés.
Seanna associe son départ à l’impossibilité de changer la situation actuelle au sein de son pays qui, majoritairement , a choisi, de soutenir le rattachement à l’Angleterre . En effet, la population catholique encore installée en Irlande du Nord est très minoritaire et subit continuellement des attaques de la part des groupuscules loyalistes. . Il décrit alors les souffrances de ces populations de son pays avec des termes imagés qui traduisent leur faiblesse : ” ghettos lépreux à Derry ( l 31 ) , “lambeaux de villages ” “deux cents rues à Belfast” ce qui ne représente qu’une faible partie de la ville . Selon Seanna, les Irlandais installés en Ulster ne peuvent pas compter sur le soutien de la république irlandaise : “Dublin nous tourne le dos ” affirme-t-il ligne 35 .
C’est pour toutes ces raisons que le personnage du grand frère renonce à poursuivre le combat et souhaite s’exiler avec une partie de la famille: ce qui déclenche la colère de Tyrone qu’il s’efforce pourtant de convaincre que c’est la meilleure solution.
Les raisons historiques et les raisons personnelles se mêlent : Seanna désire vivre autrement et mieux ; “je veux des rires, des visages neufs, des rues sans soldat” explique-t-il ligne 50 . Et pour cela , il est prêt à changer d’identité “je ne veux plus de ce que nous sommes ” s’écrie-t-il ligne 51. Son renoncement va même plus loin jusqu’à prendre la forme d’un reniement à des symboles : ” J’en ai marre de notre drapeau, de nos héros et de nos martyrs ” ( l 54 )
Ce dernier, dans un premier l’insulte : “j’ai eu des mots de trop. des mots de mort ” ( l 20 ) et ne semble pas sensible à son argumentation. Cependant , au fil du texte, Tyrone change d’attitude et se met à pleurer de “détresse et de rage ” comme si les mots de son frère l’atteignaient directement . Comme dans la suite du roman, Tyrone finira par trahir la cause de l’IRA, on peut se demander s’il ne l’a pas fait en partie parce qu’il s’est rangé à l’avis de son frère : il a renoncé lui aussi au combat mais au lieu de s’exiler , il s’efforce de mettre un terme aux attentats meurtriers en donnant des renseignements aux services secrets anglais.
Seanna lui, va devenir, à sa sortie de prison un héros aux yeux de la famille comme le montre la bénédiction de sa mère : il décide de partir vivre aux Etats- Unis et emmène avec lui , ses deux petits frères : Brian et Niall; Quant à Tyrone, il se rangera aux arguments de son frère mais son renoncement prendra une autre forme : celle de la trahison.
L’auteur construit donc les deux frères avec des trajectoires à la fois parallèles et divergentes : ils ont connu les mêmes malheurs dans l’enfance, ont vécu la violence et connu la prison . l’un trahit sa patrie en la quittant et ne renonçant à se battre pour elle car il juge sa cause perdue; l’autre trahit son pays en donnant des renseignements aux anglais mais demeure fidèle à son sol ; Il ne peut es résoudre à quitter sa terre et retourne même mourir dans la maison de son père , sur le sol foulé par ses ancêtres.
Le mot « roman » a été utilisé pour la première fois au Moyen Âge, pour désigner des ouvrages littéraires le plus souvent versifiés : ces ouvrages étaient écrits en langue romane, et non en latin. À son origine, le roman est donc un récit littéraire, généralement écrit en vers, rédigé en « roman », c’est-à-dire en langue « vulgaire ».
C’est cette forme du « roman » que les troubadours et trouvères utilisent pendant tout le Moyen Âge, afin de raconter les exploits des chevaliers qui furent les premiers héros des romans de chevalerie . Ces personnages valeureux, défenseurs de la veuve te de l’orphelin, dévoués à leur roi , seront les premiers modèles héroïques en Occident. Ils sont les héritier des demi-dieux antiques capables d’affronter eux aussi des monstres effrayants. Leur devise est celle du chevalier Bayard”sans peur et sans reproche” .
Le héros chevaleresque
L’un des auteurs les plus célèbres de cette période, Chrétien de Troyes, a ainsi su, à travers ses romans (Le Conte du Graal, Le Chevalier à la charrette, Yvain ou Le Chevalier au lion, etc.) : créer un genre narratif, enchaînant des épisodes suivis mais aussi entrelaçant différentes « histoires » , célébrer les exploits d’hommes valeureux et exceptionnels dans un temps légendaire . Ainsi les personnages des romans étaient essentiellement parés des qualités liées à leur condition : courage au combat, loyauté envers ses suzerains et défense des plus faibles
Du héros amoureux au héros honnête homme : la noblesse de caractère
Avec la Renaissance, les divertissements de cour, les modes et les comportements se transforment à nouveau : les spectacles et les arts remplacent ainsi peu à peu les tournois et autres jeux où la violence primait. Apparaît alors un nouveau type de romans qui connaîtra un certain succès : le roman pastoral.Honoré d’Urfé, dansL’Astrée, reprend au ce genre pastoral. Il met en scène, dans un territoire grec préservé des guerres, des personnages en habits de bergers ou de nymphes dont toute la vie est tendue vers l’amour et l’harmonie. Les hommes, loin d’être pourvus de qualités guerrières, se distinguent par leur noblesse d’âme et leur sensibilité, et tous les personnages rivalisent d’éloquence comme de goût. Un peu plus tard, Madeleine de Scudéry écrit des romans (par exemple Clélie) dans lesquels les lecteurs peuvent découvrir les parcours amoureux des personnages, récits très longs car fondés sur le détail des émotions et des progrès faits par les protagonistes sur la « Carte du Tendre »
Cependant, ce type de romans, malgré son succès, se trouve discrédité. En effet, les personnages semblent d’une perfection peu crédible, l’atmosphère est ressentie comme trop idyllique et trop éloignée des préoccupations du commun des mortels.Une autre direction se dessine, représentée par La Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, chef d’œuvre du classicisme et du « roman d’analyse ».
Ainsi, le roman au xviie siècle est varié dans ses formes comme dans ses codes. Cependant se dégagent certains points communs : la narration d’épisodes centrés autour de personnages que le lecteur suit dans son parcours, et une prose au service de l’action et de la peinture des sentiments.
Le héros libertin et les héros du roman épistolaire
Dans la seconde moitié du xviie siècle et tout au long du xviiie siècle, le roman par lettres se développe et connaît un grand succès. Ces ouvrages se présentent sous la forme de lettres croisées, envoyées et reçues par les différents personnages. Plusieurs particularités propres à cetre forme sont à relever : Tout d’abord, la forme épistolaire permet à l’auteur de jouer sur les frontières entre réalité et fiction. Plusieurs de ces romans se présentent ainsi (grâce à une préface ou un avertissement) comme un échange réel de lettres, et l’auteur affirme alors n’être que le découvreur et l’éditeur de ces textes. Cela permet bien sûr de contourner la censure ou la condamnation (pour immoralité, ou irréligion), mais cela offre aussi la possibilité de faire entrer plus facilement le lecteur dans un univers dont il pense qu’il est « vrai ».En outre, le fait que le récit soit formé de lettres engendre une conséquence importante : le changement de narrateur. En effet, le roman a autant de narrateurs qu’il y a de personnages écrivant les lettres. De ce fait, des points de vue divergents sur un même épisode se confrontent, et le lecteur a le plaisir de saisir les incompréhensions, de comparer les perceptions de chacun, comme s’il observait les faits selon une multiplicité d’angles.On retiendra La Nouvelle Héloïse, de Rousseau (correspondance amoureuse entre deux amants) et Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos (les aventures libertines de deux héros scandaleux) et Les lettres Persanes de Montesquieu
Les héros réalistes : ambition et désir de conquête
À la suite des Lumières, mais aussi avec le développement industriel et l’essor de la bourgeoisie, le roman connaît au xixe siècle un grand succès, et s’oriente majoritairement vers une représentation fidèle de la réalité sociale– sans se limiter à la classe dirigeante. Le héros romantique paraît en révolte contre l’ordre établi et cherche à accomplir un destin d’exception ; Les obstacles qu’il doit surmonter pour réussir en amour ou socialement le plongent dans une profonde mélancolie
• Le mouvement littéraire du réalisme s’attache ensuite à décrire scrupuleusement les faits et gestes de personnages issus du « peuple » ou du « grand monde ». Balzac utilise un titre révélateur pour rassembler ses ouvrages : La Comédie humaine. Il signifie la volonté de saisir les masques et les diverses conditions ou états des hommes. Flaubert (L’Éducation sentimentale), Maupassant (Une Vie, Pierre et Jean) cherchent également à montrer aux lecteurs les parcours de personnages parfois très humbles, en privilégiant une narration objective. Les héros affrontent leurs échecs et renoncent à certaines qualités pour atteindre leurs objectifs : Bel- Ami se sert des femmes pour réussir une ascension sociale. Les lecteurs apprécient toujours les ouvrages relatant des histoires d’amour « romanesques » – ce que Flaubert met précisément en scène dans Madame Bovary, roman dans lequel le personnage éponyme se nourrit de rêves sans jamais pouvoir se satisfaire de la réalité.
• Un peu plus tard, le naturalisme poursuit cette ambition, avec un aspect scientifique plus marqué. Pour Zola, le roman doit être une sorte de « laboratoire » grâce auquel on peut étudier les comportements humains, et les révéler (voire les dénoncer). S’appuyant sur des notes précises, des romans comme Nana, Germinal, La Bête humaine, évoquent des conflits sociaux ou des problèmes de société à travers la fiction.
Du héros exceptionnel au héros ordinaire
Aux xxe et au xxie siècles, le roman est toujours un genre particulièrement prisé par les auteurs comme par le public, mais la variété qui l’a toujours caractérisé s’accroît encore :Certains romanciers s’attachent à la description du réel – tout en apportant des innovations de style ou de construction. Parmi eux, de nombreux auteurs, marqués par la violence de la première moitié du xxe siècle, prennent position par rapport à l’insupportable (la guerre, le nazisme, toutes les formes de totalitarisme) dans des romans engagés : ainsi Céline, avec Voyage au bout de la nuit ; son héros est à la fois un un soldat couard, un révolté contre l’injustice et un homme ordinaire , Malraux, dans L’Espoir, Camus avec La Peste invente des personnages qui ne sont ni bons ni mauvais, juste humains. Dans les années 1950, le « nouveau roman » refuse la psychologie et toute subjectivité ; les auteurs de ce courant (Robbe-Grillet, Duras, Sarraute) ne livrent que l’extérieur des choses et des êtres, laissant au lecteur le soin de « construire » un personnage et un univers ; ils veulent la mort des personnages et refusent de présenter des personnages romanesques qui ressembleraient à de vraies personnes. Ils n’ont ni passé, ni famille, ni portrait , ni identité . On voit même apparaître un nouveau modèle de personnage qualifié de antihéros. A l’inverse des personnages héroïques des origines, ces personnages de la fin du vingtième siècle sont des anonymes ou des héros négatifs auxquels il est difficile de s’identifier comme le personnage de Meursault de l’Etranger de Camus.
Le roman ne se réduit pas aux simples parcours des personnages qui le composent mais ces derniers , souvent individualisés forment pour les lecteurs le pivot de cet univers; on s’attache, en effet, à certains héros ou parfois on les déteste mais on croit en leur existence le temps de la lecture . Les formes, extrêmement diverses et les nombreux personnages des romans en font ainsi un outil privilégié pour interroger notre monde comme nous-mêmes : notre « condition humaine » Chaque personnage nous renvoie à une possibilité d’être au monde.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/
Lorsque Zola publie Germinal en 1880, ce treizième volet de la série des Rougon-Macquart s’intéresse au destin d’Etienne Lantier, un mécanicien au chômage, fils de la blanchisseuse Gervaise , héroïne de l’Assommoir. Ce roman trace un portrait saisissant et réaliste de la situation misérable des ouvriers qui meurent en grand nombre dans l’exploitation des bassins miniers du Nord de la France; Dans l’extrait que nous allons étudier, Etienne se trouve enfin en face de la fosse et observe la descente des ouvriers dans le puits au petit jour . Comment la mine apparaît-elle ici ? Dans un premier temps, nous montrerons le caractère réaliste de la description de la mine; ensuite nous analyserons les particularités du regard du personnage et enfin nous verrons la dimension symbolique de ce premier face à face.
Tout d’abord , le narrateur utilise des termes techniques pour décrire le départ des mineurs. Le lecteur possède ainsi un aperçu des conditions de travail des mineurs . Zola pour écrire son roman s’est largement document et a emprunté des ouvrages techniques dans les bibliothèques : ce type de description se nomme documentaire ou lexicographique . On apprend ainsi que les mineurs descendent dans des cages de fer ( l 86 ) , se changent dans une baraque (l 84 ) et pour les herscheurs, remplissent des “berlines ” (l 88) ; Tous les métiers de la mine sont cités: les personnages sont ainsi parfois réduits à des fonctions tels que “moulineurs” (l 88) et toutes les activités sont détaillées comme celle qui consiste à bosser les veines : “le bois de taille ” est mentionné à la ligne 90.
Un second aspect réaliste de la description consiste à énumérer des petits détails pour renforcer cette illusion réaliste : le narrateur précise, par exemple, le nombre de mètres exact des différents accrochages ” “320 pour le premier” , “554 m ” pour le premier ; Il précise également que les mineurs arrivent “pieds nus” (l 84 ) lampes à la main ” ; Ces détails permettent au lecteur de visualiser plus facilement la scène décrite.
Mais la dimension réaliste de la description est complétée par une dimension subjective qui reflète soit les sentiments du personnage soit le point de vue du narrateur ; Ainsi , Etienne est un néophyte qui découvre le milieu des mines de charbon et Zola présente souvent le milieu vu par ses yeux d’étranger ; cette technique utilisée fréquemment par les auteurs réalistes porte justement le nom de fiction de l’arrivée de l’étranger ; L'écrivain se sert de ce prétexte pour offrir au lecteur de longues descriptions précises de ce que voit le personnage; C'est son regard qui sert de mesure à la description ; C’est pour cette raison qu’on parle de description en partie subjective car elle émane d’un point de vue interne. Le verbe introducteur par exemple, précise à la ligne 80 : “il ne comprenait bien qu’une chose ” : La description a donc pour objectif de préciser les pensées du personnage. Etienne cherche réduire son ignorance en posant des questions à un mineur présent : “c’est profond ?” (l 99 ) ; Son inquiétude est manifeste avec la question suivante : “et quand ça casse ? ” (l 106 ) reprise comme une sorte d’écho fataliste par le personnage; Le héros n’est donc pas seulement un simple spectateur, il oriente la description selon ses intérêts et elle révèle ses craintes ; elle sert à exprimer indirectement certaines pensées du personnage.
Le plus souvent, le narrateur oriente lui aussi la description et lorsqu’il s’agit de décrire la mine, il utilise une dimension symbolique double ; celle l’animalité et celle de la divinité. La mine , Le Voreux est souvent vue comme une grosse bête effrayante ; Zola joue à la fois avec l’animalisation et la personnification : le champ lexical de la digestion est constamment présent comme pour rappeler que la mine dévore les hommes qu’elle absorbe : ” le puits avalait des hommes par bouchées “( l 81 ) “elle les engloutit ( 111) et les dévore (113 ) comme une bête affamée (115 ) ; Les termes utilisés pour décrire le puits sont ceux qu’on emploie pour décrire des parties du corps d’un animal comme “gosier” (82) “gueule plus ou moins gloutonne ” 113 , “boyaux géants” . L’hyperbole “capable de digérer un peuple “ renforce le caractère menaçant du monstre.
Cette bête qui se nourrit de “chair humaine “ représente symboliquement un Dieu cruel et surtout “vorace“; L’analogie avec les Dieux mangeurs d’hommes des religions archaïques permet à Zola de faire comprendre à ses lecteurs qu’aujourd’hui, c’est le Dieu capital qui menace l’existence même des ouvriers ; Il rejoint ansi les thèses marxistes sur la nécessité de la lutte des classes et engage le monde ouvrier dans une révolte contre l’actionnariat . Le lecteur est ainsi indigné de voir comment les ouvriers sont contraints de subir des conditions de travail extrêmement pénibles, inhumaines; Ils deviennent à leur tour des animaux et sont déchus de leur humanité. Zola montre ainsi que la misère renvoie l’être humain à son animalité et à ses instincts. La voix du porion qui sort du porte-voix est assimilée à un “beuglement “et on sonne à la viande” lorsqu’on remonte des ouvriers qui descendent “accroupis ” comme des bêtes;
En conclusion, le personnage du Voreux , monstre dévorateur comme son nom l’atteste, joue un rôle important dans le roman; il montre le danger que représente la mine pour les hommes : ravalés au rang d’animaux, ces derniers luttent pour leur survie et c’est le regard d’étranger d’Etienne, le personnage principal, qui organise le plus souvent la description du travail des mineurs.
Rappel du plan utilisé :
1. description réaliste
a) termes techniques
b) petit détails vrais
2. description du point de vue d’Etienne
a) le regard du personnage organise la description
b) ses impressions
3. Une description symbolique
a) le monstre “animal”
b) la mine menaçante : un Dieu méchant
Les écrivains réalistes ne décrivent pas les personnages de leurs romans pour simplement brosser leurs portraits physiques : ils s’efforcent de les révéler à travers leurs actions et à travers le regard du héros . Pour représenter le forgeron de l’Assommoir, Zola va allier détails réalistes et dimension symbolique du personnage . Les questions qui accompagnaient ce portrait de Gueule d’Or ont pour but de vous faire trouver les axes d’étude de l’extrait . Commençons par la problématique …
Il s’agit d’un portrait du personnage de Gueule d’Or : comment Zola décrit -il ce personnage paraît une problématique tout à fait adaptée à un commentaire littéraire. (question 1 ) Dès la première lecture, à partir des observations faites dans le texte, on peut constater que ce portrait est tout d’abord guidé par un regard (ce qu’on appelle un point de vue ) : celui qu’échangent Gervaise et Goujet ; cette dernière , secrètement amoureuse de lui, admire cet homme beau et gentil .On peut assez facilement voir apparaître les notations mélioratives avec la beauté du personnage , sa force et son habileté. Mais en y regardant d’un peu plus près, on découvrira que la dimension réaliste est parfois délaissée au profit d’une dimension symbolique : le personnage est alors comparé à une divinité , à une statue grecque voir au Dieu Forgeron .
Les aspects réalistes du texte (question 3 ) proviennent essentiellement de trois sources :
- tout d’abord les petit détails vrais et précis comme les gouttes de super ( 20 ) , le nombre esse coups de marteau ( 21, 22, 23 ) ;
- ensuite le vocabulaire technique de l’artisanat ( jeu classique balancé , fer rouge, science réfléchie, écrasant le métal au milieu , le modelant par une série de coups d’une précision rythmée ( 9 )
- enfin l’imitation de la manière de parler (familière et imagée – des ouvriers ) avec toute une série de mots que les écrivains n’ont pas l’habitude d’employer dans leur roman s comme ” chahut, bastringue, guibolle ( 4 ) , gaillard ( 11)
Mais pour répondre à la dernière question, il fallait noter que Zola employait certains procédés qui transforment le personnage et ses outils . Le forgeron devient un Dieu ( l 13) cheveux et barbe s’allumaient , fils d’or, figure d’or , épaules et bras sculptés copiés sur ceux d’un géant, montagnes de chair , clarté, tout-puissant , comme un bon Dieu.” Les comparaisons, les hyperboles et les métaphores font de l’ouvrier au travail un personnage légendaire comparable à un Dieu. Il atteint ainsi une dimension symbolique . I II
Zola , dans cet extrait , effectue donc le portrait en action d’un ouvrier au travail à travers le regard admiratif de Gervaise qui le transforme en divinité. Le plan du commentaire littéraire devra donc tenir compte de tous ces éléments qui composent le portrait de Gueule d’Or. Vous trouverez en pièce jointe des liens qui vous montreront d’autres possibilités de plans . Prenez le temps de les observer et de les comparer.
I Un ouvrier doué et admiré pour son savoir – faire ” un homme magnifique au travail ”
a) il maitrise ses gestes : il est admirable dans son travail ; la précision des petits détails (sueur, nombre de coups, rythme, jeu balancé )
b) il aime son travail : il a le goût du travail bien fait et compare son outil à une femme aimée ( la personnification de Fifine )
c) le regard de la femme amoureuse : il est fort ce qui rassure Gervaise et il ne boit pas ( 9 et 10 ; 11 ce gaillard là , poitrine vaste à y coucher une femme )
II Un homme que tous admirent et qui devient un Dieu “il devenait beau, tout puissant comme un bon Dieu “
a) une musculature hors du commun : il est très imposant physiquement ( 16/17 )
b) des qualités de statue antique : il ressemble à un géant tellement il est musclé , figure d’or ( 14 )
c) il devient un Dieu : il est comme Vulcain qui forge les rames des Dieux et il est transformé par un éclat divin ( 18/19/20 )
Vous pouvez aussi lire …
http://www.bacdefrancais.net/assommoir-zola-6.php