06. juillet 2021 · Commentaires fermés sur Nos résiliences , un roman de Agnès Martin- Lugand · Catégories: Le livre du mois · Tags: ,

Si l’on en croit les dictionnaires, ce mot apparaît au début du vingtième siècle ; Au sens physique, la résilience est d’abord une propriété des corps confrontés à des chocs violents: les ingénieurs calculent ainsi  le coefficient de résistance de certains matériaux pour construire des avions ou des voitures.  ; Au sens psychologique, on désigne ainsi la capacité des humains de résister à certains traumatismes infligés par la vie comme un deuil, une agression , de la maltraitance.  La résilience est plus connue en tant que phénomène psychologique. Chez les enfants en particulier, elle désigne leur capacité à triompher des traumatismes qu’ils ont subis comme une séparation, de la violence, un viol, un deuil, une guerre afin de continuer à se construire et à se réparer.En prenant conscience de cet événement et en décidant de ne plus vivre affectés par celui-ci, ils tentent de se reconstruire socialement et psychologiquement. Ce faisant, il font preuve de résilience.

Ce concept a été évoqué dans les années 1940 par des psychologues américains et a été popularisé par Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et psychanalyste français. Il définit la résilience comme étant “ la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants ”. L’individu triomphe ainsi des épreuves qui auraient pu l’affecter gravement et surmonte son traumatisme.Le fonctionnement de la résilience  peut se décomposer ainsi  : le temps du traumatisme : la personne (adulte ou enfant) résiste à la désorganisation psychique en mettant en place des mécanismes de défense qui vont lui permettre de s’adapter à la réalité. et le temps de l’intégration du choc et de la réparation.La reconstruction  passe par la nécessité de donner un sens à sa blessure.

Dans son dernier roman, Agnès Martin Lugand a imaginé la situation suivante : deux couples heureux traversent une crise existentielle provoquée par un grave accident  : chaque personnage du quatuor va devoir affronter ses blessures  et réapprendre à vivre . ” ce ne sont ni la parole parlée ni la parole écrite qui permettent la résilience- parfois même au contraire, elle invite à la rumination amère; c’est la parole remaniée qui s’adresse à l’ami invisible , au lecteur parfait qui saura nous comprendre et nous réintégrer dans l’humanité dont nous avons été chassés par le traumatisme. ” 

” j’ai voulu raconter les choses de son point de vue à elle. Ce roman est né parce que j’avais envie de me glisser dans la peau de celle qui essaie de se battre, tant bien que mal, pour garder la tête hors de l’eau. Je parle d’un accident de moto, mais ça aurait pu être une maladie… Dans un tel traumatisme, on parle peu du conjoint ou de la conjointe de la victime. Sur le papier, c’est Xavier qui souffre, Ava est là pour aider. A qui peut-elle dire « Moi aussi, je vais très mal ; moi non plus, je n’en peux plus de cette vie bousculée, réduite à pas grand-chose » ? J’avais envie de mettre la lumière sur cette souffrance-là.”

Quelques informations sur la trame du récit : Ava et Xavier forment un couple  encore  très amoureux au bout de 15 années de vie commune: ils sont comblés  par leurs deux enfants et s’épanouissent dans leurs métiers respectifs ; Elle a repris la galerie de peinture de son père et il a fondé son cabinet vétérinaire ; Leur amour des animaux est un de leurs nombreux points communs . Mais Ava sent parfois Xavier perdu dan ses pensées et elle ne peut s’empêcher de es sentir délaissée : elle a besoin qu’il lui consacre davantage de temps et d’attention. La préparation de son prochain vernissage la rend fébrile et les disputes futiles se multiplient . Le soir de l’exposition, Xavier va causer un accident de moto et percuter une violoniste renommée. Rien ne sera plus comme avant et Ava voit son mari se murer dans son silence et sa culpabilité; Prisonnier de son corps blessé et de son chagrin, il ne  parait plus tenir à la vie et se montre distant avec se proches jusqu’à souhaiter qu’ils ne viennent pas lui rendre visite . Ava aperçoit à l’hôpital le mari de la musicienne et la colère de ce dernier la touche profondément; Peu à peu chaque personnage va devoir apprendre à affronter ses peurs : ” Il savait qu’il n’avait pas le droit de nous laisser. Il était l’amour de ma vie, le père de mes enfants; Il ne pouvait pas disparaître de la surface de la terre. le monde irait mal sans lui. Nous avions besoin de lui pour vivre. ” Après l’angoisse de la disparition, Ava sera confrontée à l’apathie de son mari persuadé d’être un assassin  “ chaque jour qui passait l’éloignait de moi et moi de lui , je n’avais plus accès à ses pensées , à ses sentiments, je ne savais pas comment l’aider ; Mon impuissance à le faire réagir me minait , me rendait folle.  ” Le roman est entièrement raconté du point de vue d’Ava et c’est le seul personnage dont nous connaissons les pensées les plus intimes. leur couple finira-t-il par se retrouver ? Xavier pourra-t-il se pardonner et réapprendre à être aimé ? Un seul instant suffit – il à faire basculer toute une vie ? ” 

D’autres romans évoquent  le thème de la résilience comme le très beau roman de Valérie Perin Changer l’eau des fleurs  ou Les oubliés du dimanche ou les récits de Philip Forest sur la mort d’un enfant dans L’ enfant éternel ; On peut également penser aux romans de Philippe Claudel  comme Le rapport de Brodeck ou Les âmes grises . La littérature  compte aussi de nombreux témoignages après l’expérience concentrationnaire comme La Douleur de Marguerite Duras, L’espèce humaine de Robert Antelme et les romans de Jorge Semprun, interné à Buchenwald à l’âge de 17 ans . On peut penser à Le Mort qu’il faut ou Le grand voyage , récit de son expérience d’internement  :

“Sur la place d’appel de Buchenwald, un jour de mois de mars 1992, je me suis récité à voix basse le poème d’Aragon (Chanson pour oublier Dachau)

 

Il y a dans ce monde nouveau tant de gens  

Pour qui plus jamais ne sera naturelle la douceur

Il y a dans ce monde ancien tant et tant de gens

Pour qui toute douceur est désormais étrange

Il y a dans ce monde ancien et nouveau tant de gens

Que leur propre enfants ne pourront pas comprendre……