23. octobre 2021 · Commentaires fermés sur Le Barbier de Séville : une comédie spectaculaire · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Lorsque Beaumarchais décide de composer une trilogie autour du personnage de Figaro, il est loin de se douter que son valet deviendra le héros de deux opéras qui feront le tour du monde : Les noces de Figaro de Mozart et Le Barbier de Séville de Rossini. Dans ce premier volet des aventures de Figaro,  la scène est à Séville.  La comédie débute par une rencontre  fortuite:  Figaro , un ancien domestique , devenu barbier , retrouve, par hasard,  devant la maison du vieux docteur Bartholo ,son maitre , le Comte Almaviva. L’enjeu de la comédie d’intrigue est de pouvoir conclure le mariage entre le Comte et Rosine , la jeune fille convoitée et séquestrée par son tuteur , un acariâtre barbon. Pour réussir à la séduire, le comte va payer les services de Figaro qui va ainsi devenir son allié , au nez et à la barbe du jaloux . dans la scène que nous présentons, située à la fin du second acte, Le Comte a établi un plan pour s’introduire chez Bartholo; il se présente sous les traits d’un soldat et donne une fausse lettre de réquisition espérant être logé pour la nuit et avoir ainsi le temps de glisser un billet doux à Rosine .

Dès la première réplique, l’attention du jaloux se porte sur la lettre que tente de dissimuler le Comte comme l’indique la didascalie. La forme emphatique de l’interrogation ici montre l’importance de l’objet et la réponse du Comte est comique : il élude , en effet, la question avec beaucoup d’habileté en expliquant que justement , il souhaite ne pas révéler à Bartholo ce que contient la lettre destinée à Rosine; Pour rendre plus crédible son déguisement et faire croire à son identité de soldat, le Comte  emploie le mot signalement pour désigner l’apparence de Bartholo;  Ce mot ici est l’objet d’une remarque désobligeante du tuteur, toujours prompt à critiquer son entourage. Il désigne les soldats par l’expression ” ces gens-là ” qui traduit une forme de mépris  et caractérise le personnage : imbu de lui-même et presque misanthrope .  Le comique de caractère se prolonge avec un portrait à charge effectué, en chantant , par le Comte; ce passage chanté offre deux  aspects comiques : a description de son portrait physique et de ses nombreux défauts est  l’occasion d’une satire : l’accumulation des éléments négatifs prête à sourire . Notons au passage les  notations dévalorisantes  : Bartholo est présenté comme extrêmement laid et  mal fait de sa personne et la chanson es termine par une métaphore ironique la perle des docteurs ” ; Au sens propre , la perle  fait référence à celle qu’on découvre dans une huître et désigne, au sens figuré, les qualités d’une personne qu’on admire . Ici bien sûr, le compliment est ironique car le Comte vient de brosser un portrait critique du Docteur.

Cette chanson fait partie des neuf passages musicaux de la comédie, qui au départ, avait la forme d’un opéra -comique ; face au refus des comédiens italiens de jouer la pièce, Beaumarchais a entrepris de la réécrire en supprimant certaines parties chantées mais en conservant la guitare de Figaro et certains échanges musicaux entre les personnages ,notamment entre les amoureux ,  sur le modèle du petit opéra du Malade imaginaire, dans lequel Cléante et Angélique s’avouent leurs sentiments en présence d’Argan . La musique assure ainsi une fonction dramatique : elle joue un rôle dans le déroulement de l’intrigue et elle facilite le divertissement du spectateur, Charmé par la reprise d’airs populaires, le public prend plaisir à ces passages chantants; de plus cet intermède musical donne également une crédibilité supplémentaire au personnage du soldat ivre incarné par le Comte.  Tout le deuxième acte, à dominante farcesque, joue sur ce renversement burlesque : Le Comte se fait passer pour un homme du peuple  et tente de ridiculiser son hôte . Mais à ce stade, le subterfuge échoue en partie grâce à la méfiance du barbon.  

En effet, le médecin réagit avec emportement au portrait peu flatteur qui est fait de lui dans la chanson . La ponctuation expressive reflète sa colère et sa réaction ne se fait pas attendre : l’impératif délogez à l’instant ” semble marquer la défaite du plan du Comte . Mais ce dernier ne cède pas aussi facilement à la menace et brandit une billet qui intime à Bartholo, comme on le verra, l’ordre de le loger .  Avant de lui montrer cet ordre de réquisition, il lui pose une question saugrenue ” savez vous lire , docteur ..à effet comique , et commence un jeu avec son patronyme; comme il feint l’ivresse, il va prendre un main plaisir à écorner et à déformer volontairement le patronyme de Bartholo, qui deviendra au fil des scènes barbe à l’eau, et même Balordo qui signifie balourd, bête. Le spectateur prend évidemment plaisir à ce jeu et la colère du docteur ne peut que réjouir le public. 

La suite de la scène ressemble à une confrontation plaisante entre les deux rivaux : en rivalité sur le plan amoureux car ils convoitent tous deux la même femme, ils le sont également sur le plan professionnel : Beaumarchais introduit par ce biais une satire des médecins en prenant là encore modèle sur Le malade imaginaire et notamment la scène du ballet final où Argan devient médecin.  Almaviva commence par se comparer à Bartholo : moi qui suis pour le moins  aussi docteur que vous ”  Là encore, le spectateur comprend qu’il s’agit de se moquer du prétendu savoir des médecins en affirmant que les compétences d’un soigneur de chevaux sont au moins aussi réelles que celles dont se vantent les médecins. Bartholo affiche d’abord une franche surprise ” Comment cela “ à la ligne 14 et la réponse du Comte a, encore pour but de réjouir le public ; Le Comte se décerne le titre de ” médecin des chevaux du régiment “ ; Or, à l’époque, on ne soigne pas les animaux de la même manière que de nos jours : on se content de leur prodiguer des soins comme de remplacer leurs fers, ou de les brosser et de les nourrir.  L’indignation du docteur ne fait que renforcer le comique de la scène qui se termine par un nouvel intermède musical; Selon le principe du précédent, les paroles de la chanson renvoient directement à l’action de la pièce . Le couplet interprété par Almaviva est une satire des médecins . La didascalie précise à la fois le modèle d’air à fredonner et rappelle les accusations classiques : les médecins tuent leurs malades au lieu de les guérir. Les remèdes font plus de mal que de bien. On retrouve d’ailleurs ces mêmes critiques dans la bouche de Béralde, le frère d’Argan.  Air : Vive le vin. [extrait du Déserteur de Sedaine]Sans chanter :Non, docteur, je ne prétends pasQue notre art obtienne le pasSur Hippocrate et sa brigade.En chantant :Votre savoir, mon camarade, Est d’un succès plus général ;Car s’il n’emporte point le mal,Il emporte au moins le malade.”

Bartholo réagit face à ces accusations et se lance dans un plaidoyer de l”art de la médecine , qui selon lui est “ le premier , le plus grand et le plus utile des arts ” La formulation hyperbolique ici qui cumule accumulation d’adjectifs mélioratifs et superlatifs , prête à sourire ” ; Beaumarchais, par le biais des symétries de construction des répliques, montre clairement l’opposition entre les idées des deux personnages ; Leurs avis sont opposés comme les antithèses de leurs répliques. Almaviva reprend le terme utile dans l’expression ” utile pour ceux qui l’exercent “ , allusion qui dénonce l’appât du gain des médecins que leurs nombreuses consultations enrichissent . C’est , en effet, un reproche fréquent depuis le Moyen Age : certains soupçonnent les médecins d’être des charlatans et de demander beaucoup trop d’argent à leurs malades pour des pseudo- remèdes dont l’efficacité est plus que douteuse. On retrouve, en fait , tous les éléments satiriques du Malade imaginaire. 

Bartholo ressemble par bien des points à Thomas Diafoirus : son langage est chargé de poncifs et de lieux communs “ un art dont le soleil s’honore d’éclairer les succès ”  dit -il en parlant de la médecine; On notera ici la redondance des métaphores  avec le soleil , l’éclairage et la lumière du  succès.  Le Comte lui rétorque point par point et dont la terre s’empresse de couvrir les bévues “ ;  Dans la réplique, la terre remplace le soleil  et on retrouve l’idée de précipitation et la personnification avec le verbe s’empresser mais cette fois , plus question de lumière : il s’agit au contraire de cacher, de dissimuler les “bévues “ . Le terme bévue désigne des erreurs de jugement, un manque de clairvoyance parfois lié à l’ignorance; une bévue souligne une forme de danger car cette erreur  peut entraîner justement des conséquences regrettables . Le mot couvrir signifie cacher et fait penser à l’obscurité ce qui contraste donc avec le soleil de la réplique précédente .On retrouve les clichés de la satire des médecins avec des personnages convaincus d’être infaillibles et leur aplomb peut parfois passer pour de la supériorité ; Bartholo prend un air hautain et semble mépriser son interlocuteur, le prenant pour un soldat ignare; Or, ce qui est drôle c’est qu’en réalité, Le Comte est un grand seigneur supérieur par la naissance à Bartholo.  Le déguisement permet ici de jouer sur cette inversion des statuts  qui provoque une sorte de quiproquo: le Docteur croit s’adresser à quelqu’un qui ne sait parler “qu’à des chevaux “.  Il cherche ainsi à rabaisser son invité et le traite même de ” malappris ” ; Ce mot dans son sens étymologique désigne quelqu’un qui manque d’éducation, qui ne connaît ni les usages ni les bonnes manières et dont le comportement peut paraître grossier . 

Le Comte aura le dernier mot de cet échange en jouant sur une formule spirituelle : il compare lse résultats des soins prodigués aux chevaux à ceux prodigués aux humains ; Le chiasme met en évidence le contraste entre les deux types de pratiques : les animaux guérissant sans qu’on leur parle et implicitement, les médecins parlent mais leurs paroles ne sont que des paroles creuses qui ne suffisent pas à guérir . On trouvait cette même critique dans le Malade imaginaire

Pour conclure , il s’agit d’une scène de comédie spectaculaire : Le Comte déguisé en soldat force la porte de la demeure de Bartholo et en profite pour se moquer de lui avec des chansons et des plaisanteries qui divertissent le public.L’affrontement entre les deux personnages prend un tour comique et la scène développe une satire traditionnelle contre la médecine, sur le modèle de celle que Molière développait déjà dans ses comédies, un siècle plus tôt . Le médecin ici est dupé pour le plus grand plaisir des spectateurs et la jeunesse finira par triompher avec l’aide du malicieux valet Figaro qui est promis à un bel avenir dans la pièce suivante Le mariage de Figaro. Beaumarchais  renouvelle en partie le genre de la comédie d’intrigue en donnant une place plus importante au personnage de Figaro mais il conserve l’héritage de Molière . Les extraits ci- dessous vous montrent une répétition des comédiens qui interprètent les rôles principaux et un extrait de l’opéra de Rossini .