20. mai 2025 · Commentaires fermés sur Parcours émancipations créatrices , extrait 4 Tailler la route , couplet de Gael faye · Catégories: Divers, Lectures linéaires · Tags: , ,
 Proposition  de lecture linéaire

Introduction : La poésie à l’origine mêle texte et musique ; au Moyen-Age, les troubadours composent des airs sur lesquels ils improvisent, le plus souvent, des paroles aux motifs traditionnels qui célèbrent les exploits des héros ou l’amour . Dans le domaine musical, comme dans le domaine littéraire, styles et courants se succèdent et chaque artiste cherche à définir sa place soit en perpétuant la tradition ou en s’émancipant des modèles pour créer du nouveau . Grand Corps malade, un slameur, Gaël Faye, plutôt versé dans un rap mélodique et Ben Mazué , auteur-compositeur interprète , qui alterne entre rap léger et pop , ont décidé de collaborer pour créer un album baptisé Éphémère sorti en 2020.Dans la chanson « Tailler la route », morceau composé en vers libres, ils lancent un appel à la liberté . Les troi sinterprètes s’accordent sur cette volonté d’émancipation. La partie écrite par Gaël Faye  comporte 16 vers . Comment le poète franco-rwandais met il en mots et en musique son désir d’émancipation ? Le premier mouvement est composé de la  strophe 1 : il représente  le désir d’évasion et le second mouvement, strophe 2 , montre le sens du voyage du poète. 

Mouvement 1 : « Ils ne savent pas que je mords, que ma vie sent le soufre Je passe en météore comme on passera tous » – Dès ces deux premiers vers, GF évoque une existence troublée, un rapport conflictuel aux autres, qu’il inscrit dans le présent d’énonciation. La rupture s’exprime par l’opposition entre « ils » et « je » . L’agressivité du locuteur est marquée par les métaphores « mords , et sentir le soufre ». Rappelons que l’expression sentir le soufre a deux origines : dans le domaine religieux, elle désigne les éléments diaboliques qui font peur et dans le domaine militaire, cela signifie que la situation est explosive et risque rapidement de dégénérer ; dans les 2 cas, la vie du poète est associée soit à un rejet soit à une forme de danger. On peut d’emblée faire le lien avec les difficultés existentielles de Gael Faye, tiraillé entre blanc et noir, et qui a vécu les génocides du Rwanda qu’il a du fuir adolescent. Sa mère appartenait à l’ethnie Tutsie qui a été massacrée par les Hutus . Le poète, ici, s’apparente à un animal, à un marginal, à un être maudit que l’on rejette par mépris ou par peur et qui est rempli de colère comme un chien méchant . On pourra commenter l’effet d’homonymie « soufre / souffre », mettant en évidence le rejet qui engendre la souffrance. 

– Le 2e vers, alexandrin si l’on ne prend pas en compte la prononciation des /e/ (c’est le cas dans le texte chanté), souligne par la métaphore la fugacité de la vie mais surtout l’égalité de tous devant le temps : bourreaux, victimes, oppressés ou oppresseurs, nous sommes tous mortels. Il s’agit donc de mettre à profit notre passage sur terre. J’suis fait de pierre granit mais d’un cœur grenadine Quand t’effriteras ton shit moi je taillerai ma mine” – Le poète  présente la dualité de sa personnalité grâce à l’antithèse « granit / grenadine) : l’armure qu’il se forge pour affronter la difficulté de son quotidien protège son humanité (peut-être ici envisagée comme une fragilité). Dans le cœur grenadine, on retrouve la couleur rouge du fruit qui peut suggérer un cœur qui saigne, qui a mal.  Alors que le granit est une roche extrêmement dure que rien ne peut altérer : force et faiblesse cohabitent.  Ainsi, le parallélisme qui suit au vers 4 , éclaire cette double personnalité : le poète se tourne vers l’écriture (« ma mine »), qui désigne par métonymie le crayon avec lequel on écrit ,  devient salvatrice. L’idée de tailler la mine qui rappelle le titre du morceau « tailler la route”  prend le sens d’affûter son stylo pour pouvoir écrire des mots qui font mouche, qui touchent . C’est l’acte de création qui est souligné ici par l’emploi du verbe « tailler », par opposition 2 à la destruction , marquée par le verbe « effriteras », réduire en petits morceaux . La volonté d’écrire s’oppose à l’inaction du rêveur . On pourrait par ailleurs commenter l’antithèse entre le « granit », pierre particulièrement dure qui ne s’érode pas avec le temps et le « shit », matière friable qui se consume, comme pour souligner la détermination du poète à affronter le monde. Alors que les fumeurs de shit se perdent dans des paradis artificiels et ne font rien de constructif pour changer le monde dans lequel ils vivent ( ils se contentent de fuir la réalité) , le poète lui se présente comme investi d’une mission qui concerne ses semblables. Cette métaphore exprime la volonté du poète de construire sa propre voie [voix] et cette métaphore du travail de l’écrivain-artisan est soutenue par le rythme des alexandrins et l’allitération en /t/. On notera par ailleurs que la première strophe trouve son rythme dans les rimes internes et  chaque hémistiche se construit alors en contraste avec l’autre partie du vers. Cette première strophe dessine, par l’écriture, la figure du poète et sa mission . “Ouais je taillerai la route, ici j’ai plus d’attache J’irai m’planquer dans la soute, si pour moi y a plus la place” – Le futur simple marque ici l’idée d’une action à venir .Dans le vers 5, la métaphore « tailler la route », en reprenant donc au sens figuré le verbe « tailler » indique un départ volontaire pour de longues distances . On trouve une explication à cette envie de « tailler la route « ; le poète indique qu’il n’a plus d’attache : cette image suggère celle du bateau qui largue les amarres : ce voyage impérieux fait également référence à ceux qui émigrent et aux passagers clandestins qui se cachent dans les soutes des avions pour fuir un pays en guerre ou une oppression politique. – ce départ, nécessaire devient donc une fuite clandestine : fuir, coûte que coûte, pour trouver « sa » place. On pourra en effet interpréter « y a plus la place » dans différents sens : plus la place pour lui dans ce monde qui le rejette ou il ne trouve pas sa place , il se sent de trop, différent ou rejeté . Le vers suivant a le ton d’une imprécation “Qu’ils aillent gratter leurs croûtes cette bande de fils de lâches Obsédés par leur souche, moi j’suis amoureux du large” – Cette idée du poète rejeté, incompris (on retrouve-là l’image du poète maudit avec Baudelaire, Rimbaud) est lié à sa différence. Il insulte ici ceux qui ne veulent pas de lui : la métaphore “gratter leurs croûtes” les décrit comme des êtres purulents, atteints par une maladie qui les ronge. On peut penser au racisme assimilé à une gangrène. L’expression familière détournée « bande de fils de lâches » permet au poète d’exprimer avec véhémence le mépris qu’il a envers tous ces individus qui se cachent derrière une attitude hypocrite. On perçoit ici la critique acerbe d’une certaine forme de nationalisme mise en évidence par l’enjambement « obsédés par leur souche » (n’oublions pas que Gaël Faye est franco-rwandais, il a fui son pays en guerre et s’est tourné vers l’écriture pour extérioriser sa douleur liée à l’exil et exprimer ses difficulés identitaires). A son arrivée en France , il a souffert du racisme anti-noir – et plus largement du mépris pour les Africains de souche. L’image du poète« amoureux du large » vient s’opposer, par antithèse , à la précédente, établissant une opposition entre ces individus méprisables et le poète , citoyen du monde. On pourrait également commenter la paronomase « lâches/large » comme moyen d’opposer le poète aux autres : sa largesse d’esprit contrasterait avec la dimension étriquée des nationalistes, ceux qui jugent les gens en fonction de leurs origines, ou de leur ethnie comme au Rwanda.Dans ce premier mouvement, le poète justifie son besoin d’évasion. Cette nécessaire fuite vers un ailleurs s’accompagne d’une véritable quête de sens que l’écriture va rendre possible.

[Mouvement 2] strophe 2 : La 2e strophe opère un changement de rythme, une accélération du tempo comme pour mimer le départ de ce voyage initiatique, comme un moyen d’accéder au déchiffrement du monde

“J’veux faire des milliers de miles, me languir de mille romans” M’arrimer au rythme lent, l’ire en moi la calmer de milliers de mots” – On relèvera tout d’abord les jeux sonores qui rythment cette 2e strophe : de nombreuses allitérations en /m/ et /l/ et assonance en /i/, à travers lesquelles on pourra entendre une célébration de la liberté et de la puissance des mots comme outils de cette émancipation. Les hyperboles « milliers de miles, mille romans » disent cette soif intense d’expériences à travers les distances parcourues et de l’accumulation de connaissances notamment livresque. – De plus, on peut noter que le voyage est tout autant spirituel (« mots, romans ») que physique avec l’indicateur « miles » qui désigne les kilomètres parcourus, notamment en bateau. Le poète n’erre pas sans but : il cherche une terre d’accueil pour s’arrimer, c’est à dire trouver un point d’ancrage, une patrie spirituelle Le parcours doit permettre d’atteindre la stabilité mais également l’apaisement (« l’ire en moi la calmer ») . Le mot ire désigne en ancien français une violente colère , celle du début de la chanson lorsque le poète affirme qu’il mord et on retrouve un jeu de mots avec le verbe lire ; Cette homonymie (« l’ire / lire ») permet de percevoir les mots comme  des portes d’accès à la connaissance de soi (« lire en moi ») et  à la découverte de son identité . On retrouve cette idée que l’écriture peut mener à la connaissance de soi , un peu à la manière d’une introspection. 
Admirer le monde, la lune, l’onde de la mer au loin” La lumière de l’aube sur l’eau en naviguant d’îles en îlots” – les phénomènes sonores se poursuivent, grâce à l’allitération en /l/, en /m/et l’assonance en /o/ : le poète célèbre musicalement la beauté du monde. Un paysage maritime apparaît sous sa plume . Le champ lexical de la navigation se déploie peu à peu : quête mystique, l’eau étant symbole de vie et de purification. Le poète se pose en observateur, humble, face à l’immensité du spectacle qui l’entoure. Les rimes intérieures créent une véritable harmonie et décrivent poétiquement un voyage maritime au long cours. Mais le poète n’est pas un simple observateur . Il doit aussi combattre . “Eviter les vagues et livrer combat à l’hydre du Mal” J’ai vidé les larmes de longue date, j’habite le large” – . Il faut, métaphoriquement, « éviter les vagues, livrer combat et vider les larmes » : le voyage n’est pas sans heurts et exige de se purger de ses propres souffrances. C’est un voyage à conduire sans faiblir car « l’hydre »  est un monstre qu’il lui faut terrasser : c’est une sorte de serpent géant à neuf têtes de la mythologie , créature aquatique qu’Hercule fut chargée de tuer ; ce monstre légendaire , incarne bien sûr ce mal tentaculaire qui se renouvelle constamment. – par ailleurs, la métaphore « j’habite le large » place désormais le poète sur un autre plan : son esprit est ouvert au monde, purgé des souffrances passées qui pouvaient entraver sa quête de l’ailleurs. 
La dimension spirituelle et mystique du voyage est alors évoquée avec la destination finale “S’attifer de l’or des jours qui passent pour raviver l’âme” Marcher le feu dans la lanterne jusqu’à Lalibela” -Le poète, libéré des chaînes qui le retenaient, peut désormais s’enrichir spirituellement de toutes ses expériences : la métaphore « s’attifer de l’or des jours », semble conférer au poète un pouvoir lumineux . Il est littérallement revêtu d’habits de lumière comme une créature divine, surnaturelle. Cette lumière intérieure va lui permettre de « raviver » son âme . Raviver signifie donner plus de couleurs, rendre plus vivante  Elle est un enrichissement, un trésor précieux- D’ailleurs, Lalilbela évoquée dans le dernier vers est un sanctuaire très ancien : cette ville d’Ethiopie abrite de très anciennes églises taillées dans la pierre, et représente un haut lieu de pèlerinage pour les Chrétiens de cette partie du monde. Symbole de spiritualité , avec son nom poétique qui rappelle la libellule mais également belleile . On y entend liberté et beauté . Ce sanctuaire semble être le lieu d’arrivée de la quête. Après avoir fui, après avoir lutté contre de nombreux ennemis, le poète atteint ainsi, dans cet endroit, une forme de paix intérieure . On notera enfin que le poète est aussi « guide » pour les autres hommes grâce au « feu dans [s]a lanterne ». On retrouve alors l’image du poète voyant, porteur de lumière  qui guide l’autre dans le déchiffrement du monde pour accéder à la Connaissance. La lanterne désigne l’instrument en verre dans lequel on emprisonne la lumière afin qu’elle puisse servir de point de repère, qu’elle ne s’éteigne pas au premier courant d’air et qu’on puisse la transporter.

Pour conclure : on retrouve dans cet extrait de « Tailler la route », les images d’un poète voyageur qui chante son désir de liberté et d’évasion , de grands espaces, loin des foules. Ce voyage , à la fois matériel et spirituel mène à une forme d’ascèse : le poète s’éloigne des préoccupations de ses semblables et atteint une autre dimension ; Il vide son âme de tout ce qui pourrait l’empêcher de s’émanciper:il doit se débarrasser de la colère qui l’étouffe, de la souffrance ensuite pour ne garder que cette lumière en lui, reflétée par la beauté du Monde. C’est seulement une fois arrivé à ce stade qu’il paut devenir un passeur de lumière . Baudelaire dans Le Voyage et Rimbaud dans Le Bateau ivre ont tous deux exprimé ce voyage spirituel, sous la forme d’un voyage en bateau . A la fin c’est la mort qui attend Baudelaire avec  ce « vieux capitaine » qui l’invite à lever l’ancre  et l’emporte avec lui et Rimbaud lui , après avoir écumé les mers du monde entier, découvert des archipels sidéraux, désire finalement une eau noire et froide , celle de son enfance et il se revoit , à la fin de son voyage frêle enfant triste qui joue à lancer un petit bateau sur l’eau . Chaque poète à sa manière cherche à tracer sa route et à donner un sens à son parcours. Ce voyage métaphorique, c’est celui de notre propre vie . 
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08. février 2025 · Commentaires fermés sur Les aveux d’une passion tragique : le face à face Phèdre -Hippolyte II, 5 · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

( Voir l’introduction proposée sur le digipad Badine ) 

La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une  forme de transgression :  La longue  tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , sa passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui .  Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend  de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour . Elle ne joue pas avec les mots et dévoile les plus sombres secrets de son coeur .

 Texte : De ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle ici, à la fois , les souffrances de sa passion  et son caractère monstrueux ?  Comment sa parole se libère-t-elle et met-elle son coeur à nu ?
Le premier  mouvement présente , une fois de plus , Phèdre comme la  victime d’une fatalité incontrôlable, le jouet de Dieux cruels.

L’émotion est ici poussée à son paroxysme, comme le montrent les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici  désigner ici le jeune homme  .  On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue.  La ponctuation expressive marque ici  la violence verbale et annonce la violence  physique.- La présence de verbes injonctifs semble  traduire l’ emportement de l’héroïne contre la fatalité de cette passion. .  Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . –  D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme  manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain  démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas  : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur désigne donc l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion . Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que  c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime »  ressemble à une bombe à retardement. La  précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre . Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un  caractère infamant (dégradant )  : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ». On retrouve ici le champ lexical de l’aliénation provoquée par la passion qui, pour les anciens, est assimilée à une malédiction divine .
Phèdre se présente  ici comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; Le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur,  qui , avec la terreur , est  le ressort essentiel du spectacle tragique comme le démontre Aristote . Le spectateur, pour pouvoir s’émouvoir du sort de Phèdre doit   considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse.  Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente  cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » :  formule frappante où on note , à la  fois une gradation descendante et  des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
–  On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion  mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins  ”  ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie devient  un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui  . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. –  Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le  passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister »  mais la femme de Thésée a échoué avec cette stratégie ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ”  Le dramaturge a  combiné  ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je  et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour  ;  ce vers illustre  ainsi les limites de cette lutte interne. Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ”  Un nouveau chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) matérialise  les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle  de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière.   Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corps défendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .


Mouvement 2 : une nouvelle étape dans cet aveu  : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques montrent qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré  mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine  fait retour sur sa situation qui  vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la  “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint  les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les  jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative  marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice. 

Mouvement 3 : Un nécessaire sacrifice sur l’autel de la passion  . Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent.   Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père dont il devient le digne fils  . Le vers suivant  contient cette idée  « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le  champ lexical de l’amour  trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique  « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments.  Le  vers résonne comme une sentence irrévocable.  Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner «  la veuve de Thésée » mettant en lumière  ainsi son statut de belle-mère. Elle se présente non seulement comme un “monstre  affreux “mais  ses paroles sont autant d’appels à la haine. Comme si, par ses mots, elle tentait de convaincre Hippolyte de passer à l’acte . Le tour présentatif “Voilà mon coeur” est à prendre à la fois au sens propre comme une didascalie interne : elle désigne sa poitrine comme cible. Mais on peut également y lire la thématique de l’aveu dans le sens où elle a mis son coeur à nu .Elle adopte une attitude héroïque en es déclarant “impatiente” de mourit pour pouvoir expier sa faute ; On retrouve ici la valeur chrétienne de l’expiation et du châtiment des offenses. Elle s’avance ici au devant de son trépas en demandant au jeune homme d’être l’instrument de sa mort ; Ce qu’il va refuser et son refus obliger aPhèdre à recourir au suicide . le rejet “Frappe ” donne uen allur etragique à cet impératif . Cependant l’héroïne anticipe un possible refus et se déclare , dès lors, prête à utiliser elle-même l’épée . Les trois raisons invoquées se complétent et sont quelque peu redondantes  : indigne de tes coups, ta haine , un sang trop vil ” ; On retrouve l’idée que la souffrance doit être supérieure à la mort et qu’un héros ne se salit pas les mains en tuant un ” monstre ” ; elle ne mérite pas de mourir de la main de son beau-fils et devra donc se tuer elle-même.  Cette scène se termine par la sortie précipitée de Phèdre qui , à la demande d’Hippolyte, entre dans le palais pour se cacher: ce qui met un terme à leur face à face. Ils ne se reparleront plus jamais jusqu’à la fin de la pièce. Après la mort du jeune homme, Phèder avouera alors à son époux toute la vérité avant de mourir , sosu l’effet du poison qu’elle a avalé.

 En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur  elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris.  A la fois victime et  coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments.  Les paroles de Phèdre seront lourdes de conséquences et la tragédi eest en marche .   Cette épée  qui devait servir à tuer Phèdre va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone, la confidente de Phèdre, va accuser Hippolyte .   Le quatrième acte s’ouvre, en effet , avec l’entrevue entre  Thésée et  Oenone qui accuse Hippolyte  : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” Thésée   convoque son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance  ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . Un monstre marin sortdes flots à la demande de Neptune et tue le jeune homme innocent .La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte . Les paroles de Phèdre ont déclenché l’engrenage tragique.  

06. novembre 2024 · Commentaires fermés sur Le mystère Barboni : la construction du personnage dans Cris · Catégories: Première, Seconde · Tags:
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Le personnage de Barboni dans le roman de Gaudé est au centre de deux épisodes dramatiques: l’exécution à bout portant d’un coursier allemand et le vol  du lance-flammes à l’unité allemande durant la seconde vague de l’assaut mortel. Le personnage est recomposé par l’intermédiaire des voix de ses camarades  qui semblent se  prolonger et nous permettent de revivre l’action, sous différents angles, et avec un point de vue différent . 

Dans les deux épisodes, le procédé narratif est identique: des témoins de l’action la commentent, racontent ce qu’ils voient et proposent une interprétation des faits selon leurs propres convictions . Une chose est sûre : le personnage de Barboni laisse rarement le lecteur indifférent ; Il risque de le choquer, ou de lui faire ressentitr de la pitié. A travers lui, l’écrivain nous montre jusqu’où la guerre peut entraîner les soldats, leur faire oublier la morale, les limites entre le Bien et le Mal et les entraîner dans un univers qui n’est plus régi par les mêmes valeurs . 

La première rubrique pourrait porter sur la parole en tant que témoignage et relever dans les deux extraits, les marques qui visent à rendre le discours authentique : ce qu’on nomme les effets de réel. On notera, par exemple, les verbes qui font appel aux sens comme : j’ai entendu un coup de feu (l 1), j’ai vu (l 2) , j’ai tout vu (l 8) , je l’ai vu (l 8 et 9  Dans les deux interventions suivantes, celles de Dermoncourt et Messard, ces verbes disparaissent au profit des interprétations .  Plus »

10. septembre 2024 · Commentaires fermés sur Portrait d’une femme révolutionnaire : Olympe de Gouges · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: , , ,
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Si l’on compte de nombreux hommes parmi les figures révolutionnaires comme Robespierre, Mirabeau, Danton ou Saint-Just, certaines femmes défendirent également les idées et les valeurs qui agitèrent la société française en ces temps mouvementés . Parmi elles, on peut citer l’épouse de celui qui fut Ministre de l’Intérieur en 1791, Madame Roland, qui mourut exécutée avec les députés girondins ; Et une certaine citoyenne Mademoiselle Olympe de Gouges ; Elle combattit notamment pour l’égalité des droits entre le sexe  prétendu fort et le sexe qu’on nomme faible : celui des femmes . Voici quelques éléments de portrait et une partie de ses écrits. Plus »

08. septembre 2024 · Commentaires fermés sur Réussir l’oral du bac de français : construire un document efficace en salle d’examen pour guider la lecture linéaire · Catégories: Fiches méthode, Lectures linéaires · Tags: ,

Cette année , tu vas étudier en classe avec tes camarades et ton professeur 16 textes qui constitueront ta liste de textes pour l’oral du bac de français . Le conducteur d’oral est une sorte de plan détaillé, d’aide-mémoire, de fiche  que  tu vas apprendre à construire durant 30 minutes en salle d’examen; Le but de ce document est de te permettre de parler durant 10 minutes de ta lecture linéaire de manière organisée et structurée. Il existe bien entendu plusieurs méthodes pour construire ce document et pour préparer cet examen.  Attention à ce que tu trouveras sur internet car l’épreuve a changé en 2019 et certains sites ne sont pas mis à jour et présentent  des contenus périmés . Voilà donc quelques conseils pour l’édition 2024 du bac de  français.  

Mode d’emploi:  dans un coin de la feuille,  en haut à gauche , dessinez ou matérialisez  un rectangle qui va représenter l’introduction ..commencer par poser les éléments de l’introduction sans faire de phrase; tu peux consulter le site d’Amélie Vioux : commentairecompose.fr

 

Note dans l’ordre les mots clés qui précisent ces 5 étapes de l’introduction . 

  •  précisez d’abord  la date  et Le mouvement littéraire auquel appartient l’auteur (par exemple, pour Olympe de Gouges les Lumières , la Révolution française ) qui forment le contexte historique 
  •  évoquez ensuite l’auteur en vous focalisant sur sa vie au moment où il publie l’œuvre que vous étudiez : Marie de Gouze est une enfant naturelle, autodidacte et qui fréquente les salons parisiens  
  •  rappelez l’objet d’étude et le parcours associé : littérature d’idées  et  écrire et combattre pour l’égalité
  •  citez les thèmes principaux, les droits  des femmes, les inégalités sociales , la supériorité des hommes 
  • situez l’extrait au sein de l’oeuvre et  faites un bref résumé du passage étudié

 

En bref : C A O R S A moyen mnémotechnique pour différencier et mémoriser l’ordre des étapes d’une introduction de lecture linéaire à l’oral 

  • C comme  contexte historique (mouvement , courant, époque, événement important)
  • A comme auteur et éléments biographiques 
  •  O comme œuvre, genre, parcours 
  •  R résumez le texte  aussi brièvement que possible et  n’oubliez pas d’en dégager le thème principal, l’idée directrice
  •  S comme situation de l’extrait
  •  A comme présentation des axes (découpage du texte en 2 ou 3 parties ) 

Une fois l’introduction terminée, il te faudra lire le texte à haute voix en t’appliquant : cette partie de l’épreuve est notée de manière indépendante sur 2 points .. je te conseille d’écrire LECTURE sur ton document  pour être certain de ne pas oublier de lire le texte. 

  • LECTURE du passage ( appelée lecture expressive) 
En face, en haut à droite, sur ton document ,  tu peux noter les mots clés qui vont former ta conclusion . Certains candidats  préfèrent noter les mots clés de leur conclusion à la fin de leur étude , en bas de leur document ou sur une feuille séparée . C’est à toi de choisir ce qui te semble le plus efficace . 
Les points clés de la conclusion à l’oral du bac : c’est la dernière impression que l’examinateur va garder de ta prestation et il attend un contenu bien précis. 
  • Un rappel des axes étudiés en utilisant les temps du passé 
  • L’intérêt du passage  
  • Un rapprochement avec d’autres extraits de l’œuvre ou d’autres œuvres qui évoquent les mêmes thèmes , soit du même auteur , soit de la même époque : cette parti equ’on appelle également l’ouverture, est de loin la plus importante . 

N’hésite pas à dire .. pour conclure, ou nous allons maintenant conclure cette étude en …

Que faire ensuite durant les 25 minutes de ton  temps de préparation ? 
Le texte aura été travaillé en cours , préparé en classe et à la maison et vous l’aurez probablement révisé . Il s’agit donc de vous noter des éléments clairs qui vont vous permettre de parler de la manière la plus fluide possible. Là encore , ne rédigez pas : utilisez des abréviations, des flèches, des codes couleurs et adoptez une prise de notes structurée par les lignes du texte et les axes dégagés. C’est en vous entrainant régulièrement et avec application en classe toute l’année que vous pourrez être efficace le jour J .

 Ne pas confondre Fiches « textes d’oral » avec fiches œuvres complètes pour l’écrit

Les  fiches « textes d’oral récapitulent l’analyse  et les lectures linéaires effectuées en cours. Elles doivent contenir une intro , une liste de points incontournables : citation, identification du procédé, analyse de l’effet produit. , une conclusion 

Que faut -il retenir ? 
On ne fait pas de phrases 
On note un déroulement 
On respecte une méthode et un ordre 

 Pour en savoir plus ….Le passage à l’oral (20 minutes)

Ton oral de français va se dérouler en deux temps : 

Un exposé sur un texte choisi par l’examinateur dans ton descriptif (12 minutes, noté sur 12 points)

Après avoir brièvement restitué le passage de texte dans son œuvre ou dans le parcours associé, tu effectueras une lecture à haute voix. Le tout est noté sur 2 points. A toi d’y mettre le ton qui convient, et de faire attention à ta diction.

Tu enchaines ensuite avec une explication d’un passage du texte, notée sur 8 points.

Pour terminer, tu réponds à la question de grammaire posée par ton examinateur, en lien avec une phrase ou un court passage du texte choisi. Cette dernière partie est notée sur 2 points.

La présentation d’une œuvre étudiée (8 minutes, notée sur 8 points)

Tu présentes dans un premier temps l’œuvre que tu as choisie et les raisons de ce choix.

Cette première présentation donnera l’impulsion à la deuxième partie de l’échange avec l’examinateur. Il t’amènera à développer tes explications ou encore défendre ton point de vue. 

Le passage devant l’examinateur ne doit pas être une récitation ni une lecture de brouillon.

Fais un effort sur ton vocabulaire et surtout, au temps ! La politesse et un sourire marquent toujours plus de points que la mauvaise humeur. L’examinateur n’est pas un robot programmé pour te piéger…


 

02. septembre 2024 · Commentaires fermés sur Olympe de Gouges : petite histoire du féminisme · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: , ,

Le mot féminisme n’a pas bonne presse : il rime souvent avec revendications et agressivité ; Souvent moquées , parfois critiquées, les féministes ne se ressemblent pas toutes . Nous allons donc arpenter les couloirs de l’Histoire et les coulisses de la fiction afin de mieux comprendre ce que veulent ces femmes , ce qu’elles combattent et ce qu’elles défendent selon les époques. Voilà notre feuille de route .. .

Avec beaucoup d’humour, Chimamanda Ngozie Adichie cherche à changer les esprit set les mentalités : sa prise de parole se fonde souvent sur des anecdotes personnelles; Elle introduit son propos en évoquant les paroles de sa mère ; Cette dernière lui a appris que quand on est une femme , on doit toujours sourire et se marier afin d’avoir des enfants . Elle pense que “parce qu’on est une femme ” “because you are a woman”  ne devrait jamais servir d’argument pour nous inciter à accomplir quelque chose; Elle conclut son discours en conseillant aux femmes de ne pas faire taire la petite voix qu’elles ont en elles et qui leur signale quand une situation est injuste . Elle rappelle qu’il faut apprendre, aux jeunes femmes , que l’amour ce n’est pas seulement un don de soi ; En amour, on doit donner et prendre, recevoir autant que l’on donne.  Plus »

18. juin 2024 · Commentaires fermés sur Maylis de Kerangal : la colère de Jacob : une puissance destructrice ? · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Dans son roman Naissance d’un pont, écrit en 2010, Maylis de Kerangal nous conte l’histoire de la construction d’un pont fantastique entre la ville imaginaire de Coca quelque part en Amérique du Sud , en bordure de la forêt amazonienne  et la Jungle dans les profondeurs de laquelle vit une  des dernières  tribus indiennes      . Des travailleurs du monde entier convergent alors vers le chantier pharaonique : ils sont américains, indiens, chinois, français , tous les meilleurs dans leur domaine . Il sont 800 en tout et vont devoir apprendre à travailler ensemble et vont s’efforcer de dompter la Nature . Jacob , lui, est un ethnologue américain qui partage la vie des Indiens et s’alarme de “l’intrusion des routes , la dégradation probable de la forêt et la disparition programmée des Indiens ” . Lorsqu’il apprend la nouvelle de la construction du gigantesque  pont , Jacob se sent  envahi par  ” une fièvre noire issue de la colère, une suffocation de bile ” Dans l’extrait que nous présentons, il a décidé, en pleine nuit  de naviguer en pirogue jusqu’à la ville : il lui faudra deux jours pour parvenir à Coca et lorsqu’il découvre le siège de la société de construction, il se jette alors sur le responsable du chantier, un certain Diderot  et le traite de salaud ” il y a de la sauvagerie dans ce corps hirsute en proie à la violence “. Alors Jacob sort un couteau : “fulgurance de lame, brûlure au flanc, sang qui gicle, mille chandelles ” et disparait aussitôt.  Plus »

06. mars 2024 · Commentaires fermés sur Qu’est-ce qu’un poète ? · Catégories: Première
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Orphée enchante les animaux 

Les poètes se différencient-ils des autres écrivains  et qu’ont-ils de particulier ? A priori, si l’on songe à Victor Hugo ou Alfred de Musset, à la fois romanciers, dramaturges et poètes , le poète ne serait qu’une facette de l’artiste ; Toutefois, depuis l’Antiquité, on prête au poètes des pouvoirs magiques , surnaturels et on sépare du reste des hommes comme une sorte de magicien des mots. Les définitions sont nombreuses et toutes, elles tentent de cerner l’essence de ce créateur pas tout à fait comme les autres. Nous allons faire ensemble un inventaire des définitions du poète et tenter de mieux cerner , à travers des poèmes et des essais, la personnalité de cet artiste , orfèvre et sculpteur de mots.  Plus »

06. mars 2024 · Commentaires fermés sur Le poète selon René Barbier : vers le commentaire littéraire · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,
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René Barbier himself…

Qu’est-ce, au juste ,  qu’un poète et quel rôle peut -il jouer dans la société  ? Inlassablement répétée , cette question hante l’histoire de la littérature. Un chercheur en sociologie, René Barbier, présente en 2001 sa réponse, sous forme de vers libres. Le poème que nous nous proposons d’étudier présente, en effet,  différentes facettes du poète et  ses nombreux  pouvoirs. Formé de 36 vers irréguliers (hétérométriques ) , il comporte quelques rimes soit en fin de vers soit à l’intérieur des vers mais sans schéma prédéfini ; caractéristique de la poésie moderne qui s’est affranchie des règles de la prosodie classique instaurées au dix-septième siècle, ce poème présente donc les pouvoirs du poète et tente d’en saisir les différentes métamorphoses.  L’anaphore contribue à construire une sorte d’inventaire des formes qu’emprunte la poésie et on aperçoit, dès la première lecture , de nombreux paradoxes , parfois à la limite de l’antithèse. Il nous faudra analyser méthodiquement les images qui le composent. Toutes  renvoient aux principales fonctions attribuées aux poètes au cours des siècles  : à la fois guide,  voyant, extralucide , et capable de changer le monde en le transformant sous nos yeux.   Plus »

05. mars 2024 · Commentaires fermés sur Les fonctions du poète et de la poésie : parcours historique rapide. · Catégories: Première
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Baudelaire

Qu’est-ce qu’un poète et à quoi sert la poésie ? Beaucoup d’artistes  ont tenté de répondre à cette double question et leurs prises de positions, souvent antagonistes, permettent de dessiner une image du poète selon les époques et les mouvements littéraires. Essayons d’y voir un peu plus clair et examinons les différents arguments qui sont résumés dans les Arts Poétiques célèbres. Commençons par la fin : voilà ce que dit le poète aujourd’hui..

Ce qu’il nous faut, c’est la parole vivante, qui bondit d’une cervelle à l’autre sans coup férir, avec le naturel des oiseaux et des fleurs qui finissent toujours par revenir au poème.
Ce qu’il nous faut, c’est la poésie génitrice qui franchit les biefs et les obstacles, sans perdre ses idées ni ses plumes, les chemins de la sève, les catacombes de la mémoire, la page ciselée polie à la main, le mot-action se propageant comme le feu dans l’universelle conscience.   JP Rosnay  

Bref, une très haute idée de la poésie..ce qui ne change pas tellement  finalement de la conception du poète dans l’Antiquité. 

Dans l’Antiquité, les poètes sont considérés comme des envoyés des Dieux: ces derniers parlent par leur bouche et la parole poétique prend un caractère sacré. Orphée et Apollon sont les figures mythiques du poète : le premier est capable de charmer tous les êtres vivants au son de sa musique et le second est le Dieu des Arts du Soleil et il règne sur le Parnasse, domaine des Muses. Voilà ce qu’en dit Platon …en traduction  

Ce n’est pas… par art, mais par inspiration et suggestion divine que tous les grands poètes épiques composent tous ces beaux poèmes; et les grands poètes lyriques de même.  Car le poète est chose légère, ailée, sacrée, et il ne peut créer avant de sentir l’inspiration, d’être hors de lui et de perdre l’usage de sa raison. Tant qu’il n’a pas reçu ce don divin, tout homme est incapable de faire des vers et de rendre des oracles.[…] . Et si le dieu leur ôte le sens et les prend pour ministres, comme il fait des prophètes et des devins inspirés, c’est pour que nous qui les écoutons sachions bien que ce n’est pas eux qui disent les choses si admirables, puisqu’ils sont hors de leur bon sens, mais que c’est le dieu même qui les dit et qui nous parle par leur bouche.”

La Renaissance  célèbre en Pierre de Ronsard le prince des poètes et la Pléiade remet au goût du jour l’Antiquité; L’influence italienne de Pétrarque nous apporte le sonnet . L’idéal classique célèbre les vertus de la rime , de la versification et prône l’utilisation d’une langue soutenue qui se démarque de la langue commune. La poésie est considérée comme une activité bien plus noble que le roman . Au théâtre Racine et Corneille sont célébrés comme de grands poètes avant d’être considérés comme des dramaturges et on admire avant tout la musique de leurs vers. 

Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;    

Que le début, la fin, répondent au milieu ;

Que d’un art délicat les pièces assorties

N’y forment qu’un seul tout de diverses parties,

Que jamais du sujet le discours s’écartant

N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.

Boileau, Art Poétique, 1674

Les Lumières  privilégient la littérature d’idées et se méfient de la poésie qu’ils considèrent comme trop éloignée  souvent des préoccupations du peuple . Ils cherchent surtout à réformer les moeurs et à diffuser de nouvelles connaissances. La poésie leur paraît dangereuse car elle habille et travestit les idées avec des mots savants ou précieux qui risquent de ne pas être compris par tous. Ils la considèrent comme un art élitiste, ornemental et peu utile pour diffuser les idées essentielles au Progrès; Pourtant Voltaire écrit ses tragédies en vers et se plaint en poésie dans Le Mondain de ceux qui es tournent ver l’âge d’or et refusent ce siècle de fer.

 Au dix-neuvième siècle, deux mouvements vont s’affronter et à travers eux, deux conceptions du poète vont être antagonistes  ; il s’agit du romantisme et  du Parnasse. Ecoutons Hugo et examinons ses arguments :

Le poète en des jours impies      

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Hugo

Vient préparer des jours meilleurs.

Il est l’homme des utopies,

Les pieds ici, les yeux ailleurs.

C’est lui qui sur toutes les têtes,

En tout temps, pareil aux prophètes,

Dans sa main, où tout peut tenir,

Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,

Comme une torche qu’il secoue,

Faire flamboyer l’avenir !

Peuples ! écoutez le poète !

Écoutez le rêveur sacré !

Dans votre nuit, sans lui complète,

Lui seul a le front éclairé.

Des temps futurs perçant les ombres,

Lui seul distingue en leurs flancs sombres

Le germe qui n’est pas éclos.

Homme, il est doux comme une femme

Dieu parle à voix basse à son âme

Comme aux forêts et comme aux flots.

 On mesure à quel point le rôle du poète est important pour Hugo ; En revanche , Alfred de Musset à qui on demandait pourquoi il était devenu poète, répondit en des termes simples qui excluent toute forme d’engagement moral ou politique  . 

Faire une perle d’une larme :

Du poète ici-bas voilà la passion,

Voilà son bien, sa vie et son ambition.

Les Parnassiens et les disciples de Théophile Gautier qui a défini un mouvement appelé l’Art pour l’Art , défendent l’idée que la poésie est totalement inutile sur le plan social et politique; elle a comme unique fonction , selon ,eux de créer de la Beauté. Le poète  dans l’idéal Parnassien  devient alors un artisan habile qui met des rêves en mots. Le travail formel, selon eux, permet au message poétique de devenir pérenne et de résister à l’usure du temps 
Sculpte, lime, cisèle ;   poete7.jpg

Gautier 

Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !

Baudelaire partage cet avis parnassien même si on le situe plutôt au carrefour de trois courants romantisme, symbolisme et Parnasse : Ainsi, le principe de la poésie est strictement et simplement l’aspiration humaine vers une beauté supérieure […] ; En 1857,  Baudelaire représente une étape importante dans l’histoire de l’évolution de la poésie  : romantique par sa forme, il partage certaine idées des Parnassiens et découvre le Symbolisme. Verlaine prolongera cette tendance en renonçant à des formes classiques pour expérimenter des mètres impairs et il ira jusqu’à tenter de restituer une musicalité grâce à une langue simple rythmée et répétitive. 

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair

Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature. 

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Verlaine

Verlaine a été marqué par sa rencontre avec Arthur Rimbaud (qui l’a conduit durant un an  en prison en 1873pour tentative d’homicide) et ils ont longuement évoqué , à tarer leurs correspondances notamment , leurs conceptions assez voisines mais sensiblement différentes, de la poésie.

Rimbaud dans ses lettres définit avec précision ce que doit être , pour lui, le travail poétique.

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière. Il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. 

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.

Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions. Si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;  poete2.jpg

 Au vingtième siècle, le surréalisme va modifier durablement la conception de la poésie ; les poètes se lancent alors dans une double direction: la poésie comme jeu gratuit et futile ou la poésie comme activité révolutionnaire ; L’engagement divise les artistes ; certains y voient un déshonneur alors que les autres considèrent cet engagement comme vital ; Un poète peut également évoluer et modifier ses prises de position au fur et à mesure de son parcours artistique comme le feront Breton, Eduard, Aragon, Char .  Voilà une définition humoristique du poète proposée par Supervielle

II traduit en langue nette

Nos infinitésimaux,

Ah ! Donnons-lui, pour sa fête,

La casquette d’interprète !

Comme vous l’a montré ce bref voyage en poésie, les poètes ne sont pas tous d’accord sur ce que doit être la poésie, mais ils en parlent tous avec une même  passion et prennent leur rôle très au sérieux.  .