14. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Parcours d’une héroïne : autour d’Antigone (parcours de lecture ) · Catégories: Première · Tags:
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Pour préparer l’entretien oral qui suit l’exposé, vous devez réunir des connaissances à la fois sur l’oeuvre étudiée mais également sur l‘histoire et l’évolution du genre théâtral. Les questions de l’examinateur sont variées mais elles visent à tester vos connaissances autour d’un objet d’étude . Le parcours de lecture proposé a pour objectif de vous préparer à cette seconde partie de l’oral du bac qu’on nomme l’entretien et qui dure environ 10 minutes;  Il est conseillé de vous entrainer régulièrement sur les séries de questions données durant l’année et de préparer des fiches qui résument l’histoire littéraire de la poésie, du roman , du théâtre ainsi que les principales formes argumentatives . Reprenons quelques points autour de la pièce d’Anouilh , Antigone . 

1. Il s’agit de présenter le mythe d’Oedipe et de connaître les noms de la famille proche et élargie autour d’Antigone ; n’oubliez pas le rôle de fille modèle et de guide pour son père. 

2 Définir son portrait peut être complexe mais efforcez vous de reprendre ses qualités et ses défauts;Surtout citez des éléments de la pièce  et essayez de vous souvenir des passages qui la caractérisent "la petite maigre, noiraude et renfermée, yeux graves , elle pense qu’elle va mourir et qu’elle est jeune (le prologue )  tu es l’orgueil d’Oedipe, ton sale caractère (Créon )  tu es folle …menteuse, ma colombe, file de roi, princesse (la nounou ) . Je ne suis pas aussi courageuse que toi , te voilà lancée sans écouter personne, ma petite soeur, c’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles ) Piochez parmi les adjectifs suivants : têtue, orgueilleuse, déterminée, libre, négative, butée, obstinée, courageuse, suicidaire …..”elle a préféré sa folie et la mort” dira Créon à son fils  Hémon. 

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3. Anouilh dresse de la royauté un portrait original: Créon est défini comme un homme robuste aux cheveux blancs, avec des rides et fatigué; il se demande s’il n’est pas vain de conduire les hommes mais au matin, il se lève et se retrousse les manches; il a renoncé à ses plaisir personnels pour gouverner; il entend devenir un prince sans histoire et fait souvent référence à son beau-frère Oedipe dont il entend se démarquer : “moi j’ai les deux pieds sur terre et j’ai résolu de m’employer tout simplement à rendre l’orde de ce monde un peu moins absurde, si c’est possible “. C’est un métier; les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel j’ai le mauvais rôle , précise-t-il à Antigone..il affirme prendre le temps qu’il faudra pour la sauver en dépit des urgences du royaume: “Au lendemain d’une révolution ratée, il y  a du pain sur la planche, je te jureun matin je me suis réveillé roi, avoue-t-il et je me suis senti comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Il prétend aussi être un roi dont l’autorité est bafouée par les refus d’Antigone ; il n’a pas été assez fort pour l’empêcher de mourir .

4 et 17 et 22 . Anouilh construit sa pièce en imitant certains aspects des tragédies grecques dont il reprend d’ailleurs un sujet ; il place ainsi un prologue joué par un acteur (le même que celui qui interprétera le rôle du choeur ) au début de sa pièce; Ce prologue ,conformément à la tradition, annonce le sujet présente l’histoire et décrit les personnages ainsi que le dénouement .  

Le choeur lui aussi interviendra dans la tragédie à plusieurs reprises ; juste après l’annonce par les gardes de la découverte de la profanation (et voilà maintenant le ressort est bandé..lecture analytique 1 ) ; il s’adresse plutôt au public ; il s’adresse ensuite à Créon à la fin de la pièce pour lui demander de ne pas faire mourir Antigone et pour souligner sa folie ; Cette fois , il s’agit d’un échange avec le roi et le choeur rappelle qu’Antigone n’est qu’une enfant . Le choeur réapparaît lors du départ précipité d’Hémon ; Il semble inquiet et s’adresse une fois encore au roi: “Créon il faut faire quelque chose ” Il entrera sur scène pour annoncer après la sortie d’Antigone emmenée par les gardes ; “là, c’est fini pour Antigone “; Il dialogue avec le messager; ensuite avec Créon et  et reste sur scène jusqu’au baisser de rideau et prononce les dernier mots de la pièce ; Ce passage se nomme l’exodos dans la tragédie classique (la sortie du choeur qui marque la fin de la pièce ) . Anouilh a choisi un final pour le moins inattendu en partie” Il ne reste plus que les gardes; Eux tout ça, cela leur est égal; c’est pas leurs oignons. Ils continuent à jouer aux cartes. 

5.Pour résumer la différence entre les deux pièces, on peut évoquer la toute puissance de la religion à laquelle obéit l’héroïne grecque  de Sophocle alors que dans la pièce d’Anouilh, elle semble avant tout agir pour elle et invoque sa liberté de dire non.

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6. 7 et 8  Antigone entre en scène sans faire de bruit, à l’aube, ses chaussures à la main pour ne réveiller personne ; Elle vient de jeter une poignée de terre sur la dépouille de son frère Polynice et donc d’enfreindre la loi. Elle se fait surprendre par sa nounou qui pense qu’elle est allée rejoindre un garçon; Le drame s’ouvre donc sur un quiproquo comique . La nourrice la gronde et l’interroge et les réponses de la jeune fille ne sont pas comprises réellement. On notera le ton poétique avec lequel Anouilh décrit cette nuit là ..

9,10. La relation entre les deux soeurs est basée sur un contraste : Ismène,l’aînée se montre à la fois protectrice et raisonnable “moi je suis plus pondérée” ; elle tente de convaincre Antigone d'être sage et de renoncer à sa folie de s'occuper de la sépulture de leur frère; il y a un effet d’ironie tragique dans les paroles d’Ismène car c’est déjà trop tard ; deux échanges ont lieu dans la pièce entre les soeurs; Le premier juste après l’arrivée d’Antigone résume la jalousie de cette dernière , qui a longtemps été malheureuse à cause de la beauté de sa soeur . La seconde apparition d’Ismène suit la sortie d’Hémon ; Antigone est en pleurs et elle avoue à sa soeur ce qu’elle vient de faire; Ismène quitte la scène sur un cri. A la fin de la pièce au moment où les gardes vont l’emmener , Antigone refuse qu’elles pleurnichent toutes les deux ensemble et Ismène tente de la convaincre; C’est peine perdue..Ismène retourne alors se coucher et ne réapparaît qu’à la fin de la pièce elle fait son entrée en scène dans un cri  et demande pardon à sa soeur ..elle souhaite mourir avec elle mais Antigone refuse. Elle paraît donc n’avoir aucune influence sur sa jeune soeur ; Sa seconde entrée en scène est pathétique : “Je ne veux pas vivre si tu meurs,je ne veux pas rester sans toi ” crie-t-elle et Antigone semble alors plus pressée que les gardes l’emmènent comme si elle se refusait de céder à l’émotion . D’ailleurs on peut noter qu’elle s’ adresse assez durement à Ismène: “laisse-moi maintenant avec tes jérémiades” . Et elle lui reproche de ne pas être allée  elle aussi sur  la tombe de Polynice . Ismène promet de s’y rendre dès le lendemain. 

11. 12  Antigone est une véritable héroïne tragique notamment parce que sa mort est inscrite dans le texte; Dès le début de la pièce et bien avant que son forfait soit découvert, elle s’exprime comme si elle allait mourir;Le dramaturge emploie fréquemment le  conditionnel passé notamment et évoque la vie future sans elle , la tristesse de sa chienne qu’elle suggère da’illeurs étrangement de faire piquer , la suite de la vie d’Hémon . Autant de petits détails qui révèlent qu’elle se comporte comme si elle savait d’ ores et déjà que ses jours sont comptés. “Nounou tu ne devrais pas être trop méchante ce matin …moi aussi j’aurais bien voulu ne pas mourir..”  Elle demande d’ailleurs à sa nounou de la consoler comme quand elle  était petite et lui avoue qu’elle seule doit savoir que justement elle se sent un “peu petite” pour ce qui l’attend. Antigone apparaît fragile dans cette scène et cherche une aide auprès de sa nourrice. 

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13. Cette scène pathétique précède l’arrivée d’Hémon , le fiancé de la jeune fille et son amoureux également. Antigone lui avoue alors qu’elle s’était faite belle  la veille pour se donner à lui mais il a ri en la voyant si belle avec la robe d’Ismène et  maquillée ; alors Antigone s’est sentie vexée et elle s’est enfuie. Elle révèle à Hémon qu’elle ne l’épousera jamais et lui demande de sortir sans la regarder. 

14. Les entrées des personnages rythment la pièce comme souvent au théâtre; Une fois Hémon sorti, Ismène revient pour implorer sa petite soeur de ne pas commettre l’irréparable mais cet échange est interrompu tragiquement par l’arrivée du garde qui vient justement prévenir le roi Créon que le cadavre de Polynice a été recouvert par un peu de terre “juste assez pour le cacher aux vautours ” ; Le crime vient donc d’être découvert ce qui va précipiter l’enchainement inéluctable des faits comme le suggère la tirade du choeur (notre extrait 1 ) 

15. Les gardes constituent un contrepoint comique dans la pièce ; Leur fonction principale est de dédramatiser l’action et leur bêtise ainsi que le caractère obtus, leurs querelles , distraient le spectateur . Le prologue les présente comme “trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes; Ce ne sont pas des mauvais  bougres précise-t-il. Ils ont des femmes et des enfants des petits ennuis aussi comme tout le monde mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l’heure . Ils sentent l’ail le cuir et le vin rouge .  Ils sont dépourvus d’imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents  et toujours satisfait d’eux-mêmes ,de la justice de Créon. Ils entrent en scène pour avertir le roi dont ils craignent la réaction. Ce dernier leur demande de garder le silence et les accuse de négligence; Il les menace de mort s’ils ébruitent l’affaire . Ils reviennent après avoir arrêté Antigone qui a recommencé à gratter la terre de la tombe de son frère mais apparemment ils ne savent pas qui elle est et surtout  ils ne la croient pas quand elle se présente comme la fille d’Oedipe .Ils  s’expriment familièrement et entendent bien profiter de leur solde pour aller au restaurant . Ils donnent leur version des faits à Créon et quittent la scène; Ce dernier les fera revenir sur scène quand il aura pris enfin la décision de faire exécuter sa nièce ; Antigone va alors tenter de dicter une dernière lettre d’adieu à son fiancé et le garde qui la surveille maintient volontairement ses distances avec elle même s’il accepte d’écrire la lettre qu’elle lui dicte. A l’arrivée de ses camarades, il glisse l'”anneau que lui a remis la jeune fille dans sa poche et range le carnet sur lequel il écrivait .. et “gueule pour se donner une contenance ” Allez! pas d’histoires !  Lorsque le rideau se baisse , on indique que les gardes sont en train de jouer aux cartes. 

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16. et 18 . La pièce résume assez brièvement les éléments de l’enquête qui conduit à l’arrestation d’Antigone; Le premier indice c’est la terre qui  a bougé,; on pourrait soupçonner un animal mais “la terre était jetée sur lui selon les rites ” ensuite les traces de pas d’oiseau autour de la tombe, des petits pieds d’enfant, une petite  pelle d’enfant toute vieille et toute rouillée  avec le nom de Polynice et enfin,Antigone se fait prendre une flagrant délit en train de gratter la terre. “comme une petite hyène” ;Elle a de la terre sous les ongles et ne cherche nullement à nier les faits .

19. 20 et 23  La partie centrale de la tragédie est un long face à face entre Créon et sa nièce; Ils s’opposent âprement et le roi tente , à plusieurs reprises de justifier ses décisions et d’expliquer les contraintes de l’exercice du pouvoir. Les grecs appelaient ces affrontements des duels oratoires ou agon. La première étape consiste pour l’oncle à interroger sa nièce et à lui rappeler qu’elle a enfreint ses ordres; elle reconnait immédiatement ses torts “j’étais certaine que vous me feriez mourir ” dit elle. Le roi lui rappelle ensuite l’histoire de sa famille, le destin funeste de son père et tente de lui faire peur; Il pense que cela va suffire à lui faire entendre raison mais elle demeure sur ses positions, déterminée à y retourner : “Il faut que j’aille enterrer mon frère ”  Elle fait ce geste pour elle et prétend qu’il ne peut la sauver en dépit de son pouvoir de roi: “ni me sauver ni me contraindre.. vous pouvez seulement me faire mourir.”  Créon invoque ensuite les raisons d’Etat : l’exposition du cadavre du régicide est nécessaire selon lui pour que  les brutes qu’il gouvernent comprennent . “il faut pourtant qu’il y en ait qui disent oui” explique-t-il à sa nièce dans une longue tirade sur les difficultés de exercice du pouvoir . Mais Antigone demeure murée dans une sorte de mépris alors il tente de lui raconter qui était vraiment son frère et le mal qu’il a fait endurer à leur famille. Après ces révélations, Antigone semble touchée et affaiblie mais elle le provoque dans un dernier sursaut d’orgueil  en le traitant de “cuisinier” et il tente désespèrement de la faire taire. Il appelle alors les gardes pendant qu’Ismène lui lance qu’elle se rendra elle aussi le lendemain sur la tombe de leur frère. Le geste d’Antigone aurait-il fait des émules ? 

21 Le refus du bonheur : alors que son oncle essaie de la convaincre qu’elle doit croire au bonheur, Antigone remet en question ce mot ; “quel sera-t-il mon bonheur ? ” elle affirme ne jamais pouvoir être heureuse si elle doit mentir, se vendre et laisser mourir en détournant le regard . Elle maintient son  choix; “vous me dégoûtez tous avec votre bonheur; avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. ” 

25. Il est difficile de se prononcer  au final sur l’attitude de la jeune fille  et les avis seront surement partagés; que vous la trouviez courageuse, idéaliste et admirable ou au contraire butée, orgueilleuse et égoïste, il vous faudra justifier votre avis en vous servant d’éléments précis dans la pièce et notamment de citations. 

26. En 1944 dans la France occupée, il est difficile de faire entendre publiquement ses divergences avec le gouvernement provisoire de Vichy, sous les ordres des allemands ; Le pays est occupé et la guerre fait rage; des français de plus en plus nombreux combattent dans la Résistance et d’autres ne savent pas très bien dans quel camp se situer. Anouilh a utilisé un mythe mais on peut penser qu’Antigone représente la position de certains résistants décidés à donner leur vie pour leur idéologie ( destruction du nazisme et du Reich) ; la pièce a été applaudie longuement et a connu un triomphe . 

27. Le public a été enthousiaste . Dans le roman de Chalandon, il résume notamment l’ambiance lors de la première représentation. 

28. La notion de mélange des genres désigne le fait de passer dans une même pièce de passages tragiques et pathétiques à des scènes plus légères qui comportent des élément comiques ; C’est la fin de la séparation des deux principaux genres que sont la comédie et la tragédie; Ensuite c’est plutôt une question de proportion entre les éléments comiques et les éléments tragiques .

 

 

11. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Le dénouement d’Antigone d’Anouilh · Catégories: Première · Tags:
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Analyser le dénouement d’une oeuvre suppose de connaître quels types de dénouements sont attendus , possibles, conventionnels et de s’interroger sur la relation entre  le début de la pièce et sa fin. Dans le cas d’Antigone le dénouement tragique est conforme aux attentes et aux craintes du spectateur car la mort de l’héroïne ne fait aucun doute mais il est intéressant de montrer comment le dénouement est mis en scène et particulièrement quel sont les éléments de mise en scène qui peuvent renforcer la dimension tragique de cette fin attendue ? à la fois dans le texte et dans la version scénique proposée par l’adaptation de Nicolas Briançon . 

Le dénouement est marqué par l’arrivée en scène d’un nouveau personnage , traditionnel : le messager; En effet, dans le théâtre classique, le récit du messager permet au dramaturge de donner à entendre aux spectateurs ce qu’il ne peuvent voir demeures yeux, soit pour des raison de bienséance ou ne relation avec la règle des unités qui interdit les changements de lieux sur el plateau et a donc comme conséquence qu’on ne peut représenter sur scène ce qui es déroule ne dehors de l’espace délimité par le décor du plateau; Autrement dit la mort d’Antigone n’est pas représentée sur scène : elle est donnée à entendre .

Le récit du messager s’articule en plusieurs étapes: d’abord la révélation ; " une terrible nouvelle ” Le registre est pathétique ; La présence du style direct matérialise les paroles du roi, fou de désespoir quand il entend la voix dont l'identité va être différée pour le spectateur . La souffrance est omniprésente avec "plaintes qui sortent du tombeau ” ; les mains du roi qui saignent tant il creuse rappellent les ongles plein de terre d’ Antigone: chacun des deux personnages remue la terre pour quelqu’un qu’il aime ; Le messager raconte d’abord la vision du corps d’Antigone pendue : on peur ici établir un parallèle avec la mort de sa mère Jocaste qui elle aussi se pend avec la ceinture de sa robe lorsqu’elle découvre l’inceste qu’elle a commis avec son fils ; le choix de cette mort évoque donc la  poursuite de la tragédie familiale; Antigone paraît fortement attachée également  à son père dont elle est l’orgueil et à sa mère par la manière dont elle choisit de mourir . Le détail de la couleur des fils introduit une touche de poésie dans cette ambiance morbide et rappelle la dimension enfantine du personnage ; En effet dans toute la pièce Antigone représente l’enfance et la démesure, le sens de l’absolu et l’absence d’accommodements  qui combat le principe de réalité incarné par un pouvoir adulte et raisonnable ; Elle meurt donc avec ce collier d’enfant autour du cou comme pour rappeler sa jeunesse et pour certains peut- être, son immaturité ou son idéalisme . 

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La vision est pathétique et la douleur d’Hémon fait peine à imaginer : il est à genoux, gémit et a le visage enfoui dans la robe de sa fiancée; ces notations visuelles permettent au spectateur de s’imaginer la scène; le sacrifice d’Antigone n’en paraît que plus grand car dans la pièce elle refuse l’amour passionné que lui offre Créon et qui anime ce personnage d’éternel fiancé; De plus le roi va  perdre son fils adoré et c’est un facteur aggravant pour sa douleur; La suite du récit illustre les effort vains d’un père pour garder son fils en vie; Hémon paraît déjà au delà de lui-même; “Il se dresse, les yeux noirs, et il n’a jamais autant ressemblé au petit garçon d’autrefois” “ses yeux sont ceux d’un enfant, lourds de mépris ”  Ce nouveau rappel à l’enfance marque comme pour Antigone la dimension absolue de leurs gestes: aucun argument logique ne peut les atteindre ; ils ne sont nullement sensibles au raisonnement et paraissent inflexibles.

 Dans ce final, les gestes sont lourds de sens : Hémon crache au visage de son père et son regard est comme la lame ; les mots sont autant d’indications de gestes scéniques : nulle place ici pour l’expression de la pensée des personnages ; Nous sommes au théâtre et le langage des mots va se transformer en geste. Le suicide d’Hémon est décrit de manière sobre et l’immense flaque rouge est la preuve visible de cet amour absolu au delà de la mort des corps  car il s’étend contre Antigone, l’embrassant “dans une immense flaque rouge;" Le deux amoureux semblent ainsi réunis . 

L’entrée en scène de Créon marque la seconde étape de ce dénouement : le roi d’ailleurs reprend cette idée d’union des deux amants en indiquant “je les ai fait coucher l’un près de l’autre, enfin ! comme pour rappeler à la fois qu’il n’étaient pas encore amants , simplement promis l’ un à l’autre te leur mot est présentée comme une sort d’achèvement : ils ont fini, eux,; Ce qui peut sous-entendre que pour Créon, cela continue  et c’est d’ailleurs ce que suggère  explicitement la première réplique du choeur : pas toi Créon ; Il te reste encore quelque chose à apprendre . 

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La parole du choeur

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone mise en scène par Nicolas Briançon : quelle lecture de la pièce propose le metteur en scène ? · Catégories: Première · Tags:
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Barbara Schulz est Antigone 

Assister à une représentation théâtrale, c’est  d’abord être spectateur d’une intention ; chaque metteur en scène s’approprie , en partie l’oeuvre qu’il recrée à sa manière même sans changer une virgule du texte original; En effet, le metteur en scène est confronté à des choix : décor, scénographie, jeu des acteurs, casting, accessoires, lumières; Son langage est avant tout visuel même si le spectateur est aussi un auditeur attentif; A sa sortie en 2003, la version proposée par Nicolas Briançon, de la pièce d’Anouilh, créée en pleine période d’occupation allemande à Paris, ne fit pas l’unanimité. Voici un illustration d’une critique de la pièce , parue en 2008 sur le blog d’un journaliste ; A votre tour, essayez de jouer les critiques   après avoir visionné la pièce …et répondez au QCM  après avoir lu l’article ….

Celle qui a dit non 

Tout le monde connaît le nom (et le non) d’Antigone. Antigone la rebelle, Antigone la révoltée mais aussi Antigone l’amoureuse, Antigone la passionnée ! Et dans cette pièce Barbara Schultz n’exprime que trop bien cette volonté de vivre, elle qui n’est pourtant là que pour refuser… et mourir ! 

On attend beaucoup de Robert Hossein et de Barbara Schultz et on est pourtant déçu. A commencer par l’affiche même de la pièce : d’emblée la position du metteur en scène est affirmée, Nicolas Briançon va insister sur l’opposition d’Antigone, la maigre, la noiraude face à Créon le fort, le puissant.

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L’affiche de la pièce 

Ainsi sur l’affiche Créon apparaît immense, démesuré même, habillé tout de noir ( pour nous rappeler que Créon est le « mauvais » dans la pièce ? ) à la façon d’un nazi ( bottes, képi et long manteau ), il fait face, dans un contre-jour exagéré à Antigone, faible enfant toute vêtue de blanc ( Antigone est donc la « victime » de la pièce ? ) qui semble faire un geste de refus, ou bien ne cherche-t-elle qu’à se protéger de la tyrannie de son oncle ? Et c’est bien là le seul détail intéressant dans cette affiche qui soulève le caractère ambigu de la jeune Antigone qui à la fois se dresse contre l’autorité de son oncle et à la fois apparaît faible face à son pouvoir. On attend donc plus de cette adaptation qu’une simple opposition purement manichéenne entre Antigone la victime et Créon le mauvais. 

Barbara Schultz est tout de même magnifique dans son rôle : ses regards, son attitude, son allure et sa voix sont l’exacte représentation qu’on se fait du personnage d’Antigone. Fidèle au texte d’Anouilh, Ismène est tout son contraire. Briançon pousse son caractère superficiel à l’extrême : pyjama de soie lorsqu’elle va trouver sa sœur dans sa chambre (et toute la futilité de sa personne apparaît dans cette première scène), robe rouge, collier d’or et énormes bracelets qui alourdissent encore plus son personnage, cheveux soyeux et souple, boucles blondes, corps parfait et allure de reine, Briançon aime décidément mettre l’accent sur les oppositions entre les personnages. Le moment où le texte d’Anouilh est légèrement détourné correspond à l’apparition de Créon et de ses gardes. Il est évident qu’on ne peut parler de l’Antigone d’Anouilh sans parler de modernisation puisque la raison même de la pièce d’Anouilh est de nous présenter une Antigone d’actualité. C’est ainsi que, dans un Paris occupé par les Allemands, les personnages furent les symboles même de la résistance (Antigone) et de l’occupation (Créon). Seulement voilà, Briançon ne semble pas savoir se décider entre une adaptation ayant pour contexte l’occupation des Allemands à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale ou une version plus moderne encore, se rapportant à nos jours. C’est ainsi que Créon est vêtu comme un nazi et que ses gardes, à la surprise générale, sont vêtus d’un costume sombre, d’un écouteur placé dans l’oreille, de lunettes noires, et, les bras croisés, ils sont l’image même des agents de sécurité que l’on trouve à l’entrée des casinos. 

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Il reste deux choix d’interprétation qui dérangent un peu dans l’adaptation de Briançon : tout d’abord la violence de Créon. Certes il est le symbole de tous pouvoirs autoritaires et de la tyrannie (ce qui justifie son vêtement) mais Briançon fait de lui un véritable nazi, violent et impulsif. C’est ainsi que son entretien avec Antigone frôle parfois la séance de tortures qu’enduraient les résistants (il ne cesse par exemple de prendre violemment Antigone par les cheveux ou de tordre son bras et de la jeter ensuite par terre)! Bien sur, il faut resituer la pièce d’Anouilh dans un contexte de guerre et d’occupation mais le Créon d’Anouilh n’est pas un nazi, le Créon d’Anouilh a bien été plus souvent associé à Pétain, le collaborateur, et cette association est largement plus justifiée dans la pièce d’Anouilh que ne le serait celle du nazi, car qui est Créon, sinon un vieillard fatigué et las de la guerre, qui ne veut pour son peuple que la paix de Thèbes, qui tente désespérément et malgré elle de sauver sa nièce Antigone, qui a fait « don de sa personne » parce que “le sale boulot il fallait bien que quelqu’un le fasse ?” Tout le coté vieillard aimant et sagesse de l’adulte qui a dit « oui » depuis longtemps est ici évanoui. Briançon privilégie un Créon dur et cruel et son fils, Hémon, subit les mêmes transformations : ce n’est plus le Hémon faible (car fou amoureux d’Antigone) et sensible de la pièce d’Anouilh, c’est un Hémon qu’on sent aller irrévocablement sur les traces de son père, qui apparaît dur et moins sensible au charme un peu sauvage d’Antigone. La mise en scène présente cependant quelques trouvailles intéressantes. Ainsi, Briançon semble avoir retenu un petit détail pour sa mise en scène dans une des (nombreuses) tirades d’Antigone. Dans la première scène en effet où Ismène et Antigone se retrouvent, cette dernière, dans un élan passionné contre le mot « comprendre » du monde des adultes, rétorque violemment que toute son enfance a été gâchée par ce mot si laid : courir dans le vent, se rouler dans l’herbe, jouer avec la terre et avec l’eau des fontaines, tout cela lui était interdit ! L’eau de la fontaine. « La belle eau fuyante et clair qu’on ne doit pas toucher parce que ça mouille les dalles ! ». On la retrouve cette fontaine, sur scène, au beau milieu du plateau parmi le décor simple et les comédiens. Et souvent, quand elle se sent un peu trop faible, un peu trop petite pour tant d’histoires de grands, Antigone aime s’y asseoir, les genoux repliés et le visage caché par ses cheveux noirs et mal peignés. Et lorsqu’Antigone a grandi, lorsqu’elle a compris combien elle aurait aimé vivre elle aussi, lorsque les bleus que lui ont fait les gardes à ses bras ne lui font même plus mal, lorsque celle-ci se trouve dans « l’anti-chambre » de la mort, alors elle ne s’assoit pas comme elle le fait d’habitude mais elle y met un pied, puis les deux, et pendant toute l’attente avec le garde elle patauge doucement dans l’eau claire, car maintenant qu’elle a dit non, maintenant qu’elle va mourir, elle peut bien ne pas « comprendre » et vivre enfin d’une façon  passionnée car c’est ainsi qu’elle vit et qu’elle aime la petite Antigone : avec passion ! 

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Antigone et sa nounou 

L’adaptation de Briançon est remarquable par le talent de ses comédiens mais on en sort brutalisé et c’est la volonté même de cette interprétation (les projecteurs eux-mêmes, lorsque la pièce commence, s’éteignent de façon très brutale et très violente). Mais les bottes de Créon, son képi, son long manteau noir et la brutalité de ses gestes, n’est-ce pas trop pour une toute petite Antigone maigrichonne ? Où est donc passée l’ambiguïté du personnage de Créon qui fait mourir sa nièce tout en ayant tout fait avant pour tenter de la sauver ? Et l’ambiguïté d’Antigone, à la fois faible et courageuse, à la fois aimante et orgueilleuse ? N’y a t-il qu’un couple dans cette pièce ? Celui de la brute et de la victime ? Déception donc pour tous ceux qui aimaient dans la pièce d’Anouilh le coté humain de Créon et la mise en scène du terrible dilemme d’un homme qui lui a dit “oui” depuis longtemps.

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone de Sophocle: de la Grèce à l’ Ukraine de Lucie Berelowitsch · Catégories: Première
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Le mythe d’Antigone a pu servir d’illustration pour certaines questions politiques .  Lorsque Sophocle compose sa tragédie, la vision du pouvoir et de son exercice diffère radicalement de celle du vingtième -siècle et le mot dictateur n’a pas le même sens dans la Grèce antique que dans la Russie de Vladimir Poutine ; néanmoins le tragique grec pose la question des modalités de l’exercice du pouvoir et de l’écart entre lois humaines et lois divines. Examinons de plus près sa pièce …et voyons ensuite comme Lucie Berelowitsch la met en scène en janvier 2016..

L’ Antigone de Sophocle, prend possession de la scène et commence un dialogue avec sa soeur Ismène, dialogue qui ressemble fort à une plainte; elle demande à cette dernière de l’aider à ensevelir le corp de leur frère en dépit de l’interdiction de Créon; Ismène est apeurée et rappelle les malheurs qui ont frappé leurs parents ; elle ne souhaite pas désobéir aux ordres du pouvoir mais au contraire se soumettre à celui qui règne;Antigone, fière, décide d’agir seule et prétend supporter suffisamment la souffrance pour accepter une mort affreuse. Ismène,quant à elle, prétend ne pas savoir se révolter . A son entrée en scène , face au choeur, Créon le roi  considère qu’il s’agit d’une épreuve de “donner des ordres et dicter des lois.” Il place l’intérêt de Thèbes au dessus de l’intérêt familial. Créon proclame solennellement l’interdiction d’ensevelir le corps de Polynice, l’un des frères . Or, à ce moment, un garde entre sur scène pour annoncer que le corps a justement été enseveli.Le premier acte se clôt sur les lamentations du choeur.

 Second épisode : Le garde ramène alors Antigone qui se vante auprès de Créon d’avoir enfreint ses ordres . Le choeur s’émeut de voir cette “malheureuse enfant d’un malheureux père“; la jeune fille se montre résolue à mourir sur le champ et le choeur voit en elle “une enfant sauvage qui ne se pliera pas devant le malheur” ; Créon la condamne pour avoir pris plaisir, selon lui, à troubler les lois établies” ; néanmoins elle est fille de sa soeur et il semble hésiter avant de la condamner ; cependant Antigone farouchement lui tient tête même si elle affirme “je ne suis pas là pour haïr avec toi mais pour aimer avec les miens” ; Ismène souhaite partager le sort funeste de sa soeur mais cette dernière lui refuse cette faveur de mourir ensemble ; les gardes emportent les deux condamnées et, pour débuter le troisème épisode,  Hémon  fils de Créon et  fiancé d’Antigone,  fait face à son père, le roi : ce dernier justifie d’abord la condamnation d’Antigone car elle a agi contre l’ordre:” Seul l’ordre et la discipline peuvent sauver des vies ” s’exclame-t-il; Hémon fait alors valoir à son père que les habitants de Thèbes plaignent Antigone et soutiennent sa décision d’avoir offert une sépulture à Polynice; Créon se montre inflexible et le ton monte; Hémon se prétend complice de la justice et affirme qu’il ne verra jamais mourir Antigone; on suppose alors qu’il est lui-même déterminé à quitter la ville car il dit à son père : “tu ne verras jamais plus mon visage ” ; Quant à Antigone:,son sort est scellé: elle sera emmurée vivante; elle se prépare à descendre dans sa prison accompagnée par les lamentations du choeur. Arrive alors le prophète Tiresias  au début du cinquième épisode pour annoncer à Créon que les dieux condamnent la mise à mort d’Antigone et punissent la cité ; une fois encore la colère gronde et l’échange devient injurieux : “la race des devins est avide d’argent ” accuse Créon et Tiresias répond: “et la race des tyrans aime l’argent sale” . Le devin sort en proférant des menaces. On vient annoncer de terribles nouvelles de la guerre : Mégarée le fils aîné de Créons est tué sur le champ de bataille et le roi comprend , trop tard, qu’il doit délivrer Antigone; Quand il arrive devant son tombeau, il la trouve pendue et son fils Hémon, se tue sous ses yeux avec son épée.  Le choeur conclut l’exodos par une remarque sur le destin tragique .

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La mise en scène de Sophocle par Lucie Berelowitsch

Aujourd’hui, j’ai beaucoup à faire. Il faut que mon âme devienne comme de la pierre
Il faut que je tue ma mémoire jusqu’au bout
Il faut que je réapprenne à nouveau à vivre
Anna Akhmatova, Requiem

« En Avril dernier, sur l’invitation de Stéphane Ricordel, directeur du Théâtre Sylvia Montfort, j’ai rencontré à Kiev le directeur du théâtre Molodoï, Andrey Bilous. De cette rencontre est née l’idée de construire un projet international. Mes sensations de Kiev à cette époque, quelques mois après la révolution de Maïdan, ont été très fortes. Rien n’avait été enlevé sur la place, il restait les barricades faites à partir de bidons, de pneus, et tout ce qui avait été détruit, brulé. En même temps il faisait beau, les passants se promenaient, et tous ces événements semblaient déjà pris dans l’histoire, dans le passé. La ville portait en elle la question que faire avec sa mémoire, comment honorer les morts, comment reconstruire à partir des cendres, comment « réapprendre à vivre »
A mon retour, j’ai relu l’Antigone de Sophocle, et il m’a semblé évident de travailler sur ce matériau avec des acteurs ukrainiens. »

Lucie Berelowitsch

 

 

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur L’évolution du personnage d’Antigone ; De Sophocle à Anouilh: la réécriture du mythe · Catégories: Première
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Antigone appartient aux légendes attachées à la ville de Thèbes. Elle est l’une des enfants nés de l’union incestueuse du roi de Thèbes Œdipe et de sa propre mère, Jocaste . Antigone est la sœur d’Ismène, d’Etéocle et de Polynice. Elle fait preuve d’un dévouement et d’une grandeur d’âme sans pareils dans la mythologie. 

 Lorsque Sophocles compose sa tragédie Antigone, il s’inspire d’abord du destin de la ignée maudit des Labdacides  et notamment de la figure mythique d’Oedipe, enfant abandonné qui deviendra meurtrier de son père biologique est amant de sa mère la reine Jociste dont il aura 4 enfants : deux filles Antigone et Ismène  et deux garçons Etéocle et Polynice . Quand son père est chassé de Thèbes , les yeux crevés, il doit mendier sa nourriture sur les routes,  et dans une des versions du mythe, Antigone lui sert de guide. Elle veille sur lui jusqu’à la fin de son existence et l’assiste dans ses derniers moments. 

Puis Antigone revient à Thèbes. Elle y connaît une nouvelle et cruelle épreuve. Ses frères Etéocle et Polynice se disputent le pouvoir. Ce dernier fait appel à une armée étrangère pour assiéger la ville et combattre son frère Etéocle. Après la mort des deux frères, Créon, leur oncle prend le pouvoir . Il ordonne des funérailles solennelles pour Etéocle et interdit qu’il soit donné une sépulture à Polynice, coupable à ses yeux d’avoir porté les armes contre sa patrie avec le concours d’étrangers.

Ainsi l’âme de Polynice ne connaîtra jamais de repos. Pourtant Antigone, qui considère comme sacré le devoir d’ensevelir les morts, se rend une nuit auprès du corps de son frère et verse sur lui, selon le rite, quelques poignées de terre. Créon apprend d’un garde qu’Antigone a recouvert de poussière le corps de Polynice. On amène Antigone devant lui et il la condamne à mort. Elle est enterrée vive dans le tombeau des Labdacides . Plutôt que de mourir de faim, elle préfère se pendre. 

Hémon, fils de Créon et fiancé d’Antigone se suicide de désespoir . Eurydice , l’épouse de Créon ne peut supporter la mort de ce fils qu’elle adorait et met fin elle aussi à ses jours.

La pièce de Sophocle (441 avant Jésus-Christ) commence lorsqu’Antigone décide de braver l’interdiction de son oncle Créon et d’ensevelir le corps de son frère Polynice.

C’est de ce texte de Sophocle que va s’inspirer Anouilh pour écrire Antigone en 1942 : ” l’Antigone de Sophocle, lue et relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre , le jour des petites affiches rouges. Je l’ai réécrite à ma façon , avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre”.

Antigone , tragédie de Jean Anouilh (1944)

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Jean Anouilh a écrit cette pièce en 1942. Celle-ci fut créée le 4 février 1944 au théâtre de l’Atelier à Paris, dans une mise en scène d’André Barsacq. Elle a été publiée en 1946, aux éditions de la table Ronde et figure dans les Nouvelles pièces noires parues la même année.Cette pièce , créée en 1944, connaît un immense succès public mais engendre une polémique. Certains reprochent à Anouilh de défendre l’ordre établi en faisant la part belle à Créon . Ses défenseurs , au contraire , voient dans Antigone la “première résistante de l’histoire” et dans la pièce un plaidoyer pour l’esprit de révolte.

 Voilà un bref  résumé de cette pièce ,tragédie en prose , en un acte.

Le personnage baptisé le Prologue présente les différents protagonistes et résume la légende de Thèbes ( Anouilh reprend cette tradition grecque qui consiste à confier à un personnage particulier un monologue permettant aux spectateurs de se rafraîchir la mémoire. Le Prologue replace la pièce dans son contexte mythique). Toute la troupe des comédiens est en scène. Si certains personnages semblent ignorer le drame qui se noue, d’autres songent déjà au désastre annoncé. 

Antigone rentre chez elle , à l’aube, après une escapade nocturne. Elle est surprise par sa nourrice qui lui adresse des reproches. L’héroïne doit affronter les questions de sa nounou. Le dialogue donne lieu à un quiproquo . La nourrice prodigue des conseils domestiques ( ” il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit”) tandis qu’Antigone évoque son escapade avec beaucoup de mystère ( ” oui j’avais un rendez-vous”) . Mais elle n’en dira pas plus.La nourrice sort et Ismène, la sœur d’Antigone, dissuade cette dernière d’enfreindre l’ordre de Créon et d’ensevelir le corps de Polynice. Ismène exhorte sa sœur à la prudence (“Il est plus fort que nous, Antigone, il est le roi”) . Antigone refuse ces conseils de sagesse . Elle n’entend pas devenir raisonnable.

Antigone se retrouve à nouveau seule avec sa nourrice. Elle cherche à surmonter ses doutes et demande à sa nourrice de la rassurer. Elle tient aussi des propos ambigus pour ceux ( et c’est le cas de la nourrice) qui ne connaissent pas son dessein . Elle semble décidée à mourir et évoque sa disparition à mots couverts ” Si, moi , pour une raison ou pour une autre, je ne pouvais plus lui parler…”.Antigone souhaite également s’expliquer avec son fiancé Hémon. Elle lui demande de le pardonner pour leur dispute de la veille. Les deux amoureux rêvent alors d’un bonheur improbable. Sûre d’être aimée , Antigone est rassurée. Elle demande cependant à Hémon de garder le silence et lui annonce qu’elle ne pourra jamais l’épouser. Là encore , la scène prête au quiproquo : le spectateur comprend qu’Antigone pense à sa mort prochaine, tandis qu’Hémon , qui lui n’a pas percé le dessein d’Antigone, est attristé de ce qu’il prend pour un refus. 

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Ismène revient en scène et conjure sa sœur de renoncer à son projet. Elle affirme même que Polynice, le “frère banni”, n’aimait pas cette sœur qui aujourd’hui est prête à se sacrifier pour lui.Antigone avoue alors avec un sentiment de triomphe, qu’il est trop tard, car elle a déjà , dans la nuit, bravé l’ordre de Créon et accompli son geste ” C’est trop tard. Ce matin , quand tu m’as rencontrée , j’en venais.”Jonas, un des gardes chargés de surveiller le corps de Polynice, vient révéler à Créon, qu’on a transgressé ses ordres et recouvert le corps de terre. Le roi veut croire à un complot dirigé contre lui et fait prendre des mesures pour renforcer la surveillance du corps de Polynice. Il semble également vouloir garder le secret sur cet incident : ” Va vite. Si personne ne sait, tu vivras.”Le chœur s’adresse directement au public et vient clore la première partie de la pièce. Il commente les événements en exposant sa conception de la tragédie qu’il oppose au genre littéraire du drame. Le chœur affiche également une certaine ironie et dévoile les recettes de l’auteur : “c’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre… C’est tout. Après on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul.”

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Antigone est traînée sur scène par les gardes qui l’ont trouvée près du cadavre de son frère. Ils ne veulent pas croire qu’elle est la nièce du roi , et la traitent avec brutalité. Ils se réjouissent de cette capture et des récompenses et distinctions qu’elle leur vaudra.Créon les rejoint. Les gardes font leur rapport . Le roi ne veut pas les croire. Il interroge sa nièce qui avoue aussitôt. Il fait alors mettre les gardes au secret, avant que le scandale ne s’ébruite.Créon et Antigone restent seuls sur scène. C’est la grande confrontation entre le roi et Antigone. Le roi souhaite étouffer le scandale et ramener la jeune fille à la raison. Dans un premier temps , Antigone affronte Créon qui tente de la dominer de son autorité.Les deux protagonistes dévoilent leur personnalité et leurs motivations inconciliables. Créon justifie les obligations liées à son rôle d’homme d’état . Antigone semble sourde à ses arguments : (Créon : Est ce que tu le comprends cela ? Antigone : ” Je ne veux pas le comprendre.”) . A court d’arguments Créon révèle les véritables visages de Polynice et d’Etéocle et les raisons de leur ignoble conflit. Cet éclairage révolte Antigone qui semble prête à renoncer et à se soumettre. Mais c’est en lui promettant un bonheur ordinaire avec Hémon, que Créon ravive  son amour-propre  et provoque chez elle un ultime sursaut. Elle rejette ce futur inodore et se rebelle à nouveau. Elle choisit une nouvelle fois la révolte et la mort.

 

Ismène , la sœur d’Antigone entre en scène alors que cette dernière s’apprêtait à sortir et à commettre un esclandre , ce qui aurait obligé le roi à l’emprisonner. Ismène  se range aux côtés d’Antigone et est prête à mettre elle aussi sa vie en jeu. Mais Antigone refuse , prétextant qu’il est trop facile de jouer les héroïnes maintenant que les dés ont été jetés. Créon appelle la garde , Antigone clôt la scène en appelant la mort de ses cris et en avouant son soulagement ( Enfin Créon !)Le chœur entre en scène. Les personnages semblent avoir perdu la raison, ils se bousculent. Le chœur essaye d’intercéder en faveur d’Antigone et tente de convaincre Créon d’empêcher la condamnation à mort d’Antigone. Mais le roi refuse , prétextant qu’Antigone a choisi elle-même son destin, et qu’il ne peut la forcer à vivre malgré elle.Hémon vient lui aussi, ivre de douleur, supplier son père d’épargner Antigone, puis il s’enfuit. 

Antigone reste seule avec un garde. Elle rencontre là le “dernier visage d’homme”. Il se révèle bien mesquin, et ne sait parler que de grade et de promotion. Il est incapable d’offrir le moindre réconfort à Antigone. Cette scène contraste, par son calme, avec le violent tumulte des scènes précédentes. Apprenant qu’elle va être enterrée vivante, éprouvant de profonds doutes ( ” Et Créon avait raison, c’est terrible maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs.” , Antigone souhaite dicter au garde une lettre pour Hémon dans laquelle elle exprime ses dernières pensées. Puis elle se reprend et corrige ce dernier message ( “Il vaut mieux que jamais personne ne sache”). C’est la dernière apparition d’Antigone.

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Le messager entre en scène et annonce à Créon et au public la mort d’Antigone et la mort de son fils Hémon. Tous les efforts de Créon pour le sauver ont été vains. C’est alors le chœur qui annonce le suicide d’Eurydice, la femme de Créon : elle n’a pas supporté la mort de ce fils qu’elle aimait tant. Créon garde un calme étonnant . Il indique son désir de poursuivre ” la salle besogne ” sans faillir. Il sort en compagnie de son page.Tous les personnages sont sortis. Le chœur entre en scène et s’adresse au public : Il constate avec une certaine ironie la mort de nombreux personnages de cette tragédie : “Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris.” La mort a triomphé de presque tous . Il ne reste plus que Créon dans son palais vide . Les gardes , eux continuent de jouer aux cartes , comme ils l’avaient fait lors du Prologue. Ils semblent les seuls épargnés par la tragédie. Ultime dérision.

01. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone mise en scène par Nicolas Briançon en 2003 · Catégories: Première · Tags:
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Le metteur en scène

Les metteurs en scène contemporains, lorsqu’ils adaptent des pièces qui mélangent le comique et le tragique (ce qui est  le cas de très nombreuse créations de la première moitié du vingtième siècle ) ont souvent des choix à faire: quelle ambiance vont-ils privilégier ? Couleurs sombres pour le décor, plateau dépouillé à l’exception  de trois portes, un banc et  un bassin central où le garde va plonger la tête d’Antigone : le cadre est plutôt celui d’une tragédie.Quelques rires parfois dans le public mais ils sont assez rares.

  Qui est le metteur en scène et acteur Nicolas Briançon. Acteur de cinéma mais passionné de théâtre, Nicolas Briançon est surtout connu pour ses mises en scène : de Shakespeare au théâtre contemporain, il aime la comédie, la fantaisie qui s’allie aux intrigues romantiques. Il a été récompensé en 2015 par un Molière et il se partage entre la scène et le grand écran.

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Le plateau

Pour cette mise en scène d’Antigone, il a choisi tout d’abord de faire référence au contexte de création de la pièce , à savoir la France occupée par les allemands et al collaboration. Ainsi le jeune page qui accompagne  Créon porte un uniforme nazi et le prologue est vêtu d’un imperméable qui peut rappeler ceux que portait la Gestapo. La tenue d’Antigone , une robe légère e fluide,atemporelle, portée près du corps et gris clair , contraste avec la tenue éclatante d’Ismène ; blanche tout d’abord et rouge ensuite. Quant à Créon, il porte du noir , vêtement de deuil et son fils , tout de cuir vêtu symbolise la fougue de la jeunesse; Le côté frondeur du blouson noir matérialise cette opposition entre l’élan de vitalité de la jeunesse éprise d’absolu et les compromissions de l’âge adulte.

Cette pièce, justement  Jean Anouilh l’avait , croit-on, écrite après avoir vu une photographie représentant de jeunes résistants arrêtés. Bouleversé par ces visages juvéniles, il avait aussitôt songé à adapter, en la modernisant, l’« Antigone» de Sophocle (441 avant J.C.), en insistant sur l’opposition entre l’élan de la jeunesse et la « sagesse » de l’âge mûr, d’une part ; entre la révolte individuelle et les impératifs du pouvoir, de l’autre. En 1942, la censure avait accordé, un peu légèrement, son visa à la pièce, ce qu’elle devait regretter deux ans plus tard, en constatant l’accueil enthousiaste d’un public heureux d’y déceler des allusions à la situation du moment.

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Antigone et sa nourrice

Qu’a-t-elle donc de particulier, cette Antigone ? « C’est, nous dit Anouilh, une enfant qui refuse les compromissions et les laideurs des adultes. » Soucieuse d’assurer une sépulture décente à son frère Polynice, elle viole délibérémentles interdits de son oncle, le roi Créon. Celui-ci, qui n’a rien d’un tyran, tente de la sauver mais peut-il enfreindre ses propres ordres ? Et Antigone n’est-elle pas simplement décidée à mourir, par crainte d’une vie pour laquelle elle n’était pas faite ? Barbara Schulz fait bien ressortir cette ambiguïté face à Robert Hossein, qui multiplie menaces et promesses.L’actrice adopte souvent une attitude de petite fille capricieuse et entêtée: elle fait la moue, pleure et crie sur scène; En face d’elle Robert Hossein joue un roi déterminé mais qui semble porter sur ses épaules la charge de ses obligations. Quant aux gardes qui jouent un rôle comique d’allègement de la tragédie, le metteur en scène a réduit leurs interventions et les a transfomés en gardes du corps avec lunettes noires, oreillettes et chewing-gum : ce qui pourrait laisser sous -entendre que ces agents secrets sont des soldats dans le monde d’aujourd’hui et qu’ils demeurent aux ordres du pouvoir.

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Le choeur, Antigone, le metteur en scène et Créon

Evoquons maintenant le rôle jsutement  de Créon. Certes il est devenu le symbole de tous les pouvoirs autoritaires et de la tyrannie : violent et impulsif dans la tragédie de Sophocle,il semble pourtant qu’ Anouilh ait souhaité le rendre plus proche de Pétain, le collaborateur qui a accepté l’armistice pour sauver la patrie  que de la figure du nazi ;Qui est vraiment  Créon, sinon un vieillard fatigué et las de la guerre, qui ne veut pour son peuple que la paix de Thèbes, qui tente désespérément et malgré elle de sauver sa nièce Antigone, qui a fait « don de sa personne » parce que “le sale boulot il fallait bien que quelqu’un le fasse ?” Briançon privilégie  par certains aspects un Créon dur et cruel, semblable au Kréon de l’Antigone de Brecht. Et son fils, Hémon, subit les mêmes transformations : ce n’est plus le Hémon faible (car fou amoureux d’Antigone) et sensible de la pièce d’Anouilh, c’est un Hémon qu’on sent aller irrévocablement sur les traces de son père, qui apparaît dur et moins sensible au charme un peu sauvage d’Antigone,

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L’actrice Barbara Schulz

L’adaptation de Briançon peut parfois sembler  brutale à l’image des lumières sur le plateau : les projecteurs eux-mêmes, lorsque la pièce commence, s’éteignent de façon très violente). On regrette d’avoir un peu perdu l’ambiguïté du personnage de Créon qui fait mourir sa nièce tout en ayant tout fait avant pour tenter de la sauver ? Et l’ambiguïté d’Antigone, à la fois faible et courageuse, à la fois aimante et orgueilleuse ? N’y a t-il qu’un couple dans cette pièce ? Celui de la brute et de la victime ? On aurait apprécié un roi plus humain et une Antigone plus “rétive ” .

20. novembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone face à Créon : un choc de titans.. extrait 2 · Catégories: Première · Tags: ,
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Dans la tragédie de Sophocle, l’opposition entre le roi et sa nièce semble irréductible et leurs positions se radicalisent au fur et à mesure de leur entretien. Qu’en est-il dans la version proposée par Anouilh ? Créon est-il un roi tyrannique ou est -il juste un souverain écrasé par les devoirs de sa charge et pris dans un conflit tragique entre les intérêts du pays et son amour pour sa nièce? En effet, l’oncle semble avoir beaucoup d’affection pour cette jeune orpheline dont il se sent en partie responsable et c’est ce qui rend la pièce encore plus tragique car le spectateur a bien conscience que le roi tente en vain de retarder un dénouement qui s’annonce à la fois  fatal et inéluctable pour  la jeune fille. 

Tout d’abord, dans l’extrait à étudier, c’est surtout Créon qui argumente avec cette très longue tirade dans laquelle il formule un certain nombre de reproches . L’extrait débute par une question qui vise à vérifier qu’Antigone avait bien conscience des conséquences de ses actes; elle répond de manière minimale et son laconisme contraste avec les explications de Créon. Chacune de ses réponse est construit en reprenant le verbe principal de la question et cet effet de répétition crée une sorte de fermeture du dialogue que l’on devine serré. 

La première accusation de Créon vise l’orgueil de la jeun fille à travers sa lignée paternelle ; Créon oppose ici la loi et l’orgueil de la famille des Labdacides à laquelle il n’est pas associé, car rappelons le , il est le frère de Jocaste et donc l’oncle du côté maternel d’Antigone et d’Ismène. Dans sa réplique suivante, le roi met en avant la nécessité de l’exemplarité des puissants : en tant que fille de roi, elle devait être irréprochable . Cette dernière réplique est appuyée  avec une illustration qui tente du démontrer que son rang n’a pas déterminé sa réaction ; elle aurait agi de même “si j’avais été une servante “ ; Les détails triviaux comme eau grasse, tablier, faire la vaisselle ” renforcent l’idée d’une nécessité impérieuse de rendre les honneurs funèbres à un frère   ;Cependant cet argument ne convainc par son oncle qui n’est pas d’accord : “ce n’est pas vrai; Si tu avais été une servante, tu n’aurais pas douté que tu allais mourir ” Il persiste à établir un lien causal entre sa condition et son geste ; “race royale, nièce et fiancée de mon fils : ces trois qualificatifs montrent à quel point Antigone est liée à Créon . En effet , ce dernier sous- entend  qu’elle s’est permis d’agir de la sorte pensant ne pas être condamnée en raison de leurs liens . Le verbe oser qui a été employé pour traduire son infraction est désormais utilisé pour définir l’action de Créon: “tu as pensé (…) que je n’oserais pas te faire mourir” . Les deux gestes se font ainsi écho mais les certitudes de la jeune fille s’expriment et rendent ainsi le dialogue , la conciliation impossible : “j ‘étais certaine que vous me feriez mourir au contraire ” 

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version de 1944

On mesure à quel point ils sont en train de s’éloigner l’un de l’autre et la longue tirade de Créon est prononcée en murmurant comme l’indique la didascalie. Comment interpréter ce murmure ? Faut-il penser que Créon cherche à adoucir sa nièce en adoptant un ton mesuré ou est-ce davantage une sorte de monologue intérieur destiné  avant tout au spectateur ?  Cette tirade fait apparaitre une certain nombre d’ambivalences que nous allons tenter d’éclaircir . 

Le premier argument de Créon repose sur la personnalité même de son père Oedipe dont tout le monde connait le mythe et l’histoire. Le terme orgueil est ici repris  plusieurs fois et il n’est pas sans rappeler l‘hubris grec qui cause la perte des hommes . La mort est présentée comme un “dénouement naturel “pour Antigone et on note ici qu’Anouilh joue avec la réécriture de la pièce antique  ;  tous les signes convergent pour nous montrer que nous sommes bien dans une tragédie qui se soldera par la mort de l’héroïne. ” l’ humain vous gêne aux entournures dans la famille ” Ce trait d’humour et le ton prosaïque employé par le roi, soulignent spirituellement le destin de cette famille  et on retrouve ce mélange cher à Anouilh entre une situation tragique et un langage trivial;  L’humour allège le tragique . En voulant se situer au-dessus du commun des mortels, Antigone rejoint ainsi les figures des héros tragiques , foudroyés par des dieux cruels car leur fortune dépassait celle des autres hommes. La matière de la tragédie grecque demeure présente mais cette fois ce ne sont plus les dieux qui ont condamné Antigone , c’est son geste orgueilleux .

Créon semble penser qu’ Antigone cherche à se désolidariser du genre humain pour aspirer à devenir une héroïne tragique ; La métaphore des mots assimilés à une  boisson, vient renforcer cette idée avec des termes péjoratifs comme ” on les boit goulûment ” ou “quel breuvage , hein, les mots qui condamnent”. On retrouve dans cette expression le mélange  des tons et des genres avec une tournure triviale avec l’insertion du hein en incise et la référence à la condamnation à mort.   Pour faire suite à ces accusations de démesure , Créons va se construire le portrait d’un homme médiocre, (au sens antique d’homme moyen qui appartient à la norme )  d’un homme “sans histoire” . Il donne de lui l’image d’un homme solide ” j’ai mes deux pieds par terre , mes deux mains enfoncées dans mes poches “; cette attitude réaliste et pragmatique contraste avec l’idéalisme et les grands airs d’Antigone . La confrontation passe par deux façons d’être au monde. Et le spectateur se trouve ainsi confronté à un choix .

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Il définit ensuite le rôle du souverain qu’il entend être : un roi simple et moins ambitieux qu’Oedipe : “m’employer tout simplement à rendre l’orde de ce monde un peu moins absurde , si c’est possible” . L’hésitation finale montre l’ampleur de la tâche. En effet, bien que présentée de manière modeste, c’est une tâche ardue qui semble attendre Créon. Le mot métier pour qualifier l’activité royale tente de rendre l’idée que gouverner s’apprend comme un artisan apprend son travail . La comparaison “comme tous les métiers “ contribue encore davantage  à donner du pouvoir, l’ image d’une activité ordinaire.  

De manière humoristique, Créon reprend ensuite l’anecdote des origines d’ Oedipe et avance qu’aucun secret de famille ne pourrait le détourner de son travail de roi  “les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel ma petite fille ” Il prend donc très à coeur son rôle de souverain et entend exercer ses fonctions sans se soucier de ce qui peut lui arriver . Il adopte ici une attitude paternaliste face à sa nièce te on sent une familiarité entre eux , une affection également.  On mesure aussi à quel point la raison d’Etat prime aux yeux du roi sur toutes les considérations individuelles ; Il est l’instrument d’un collectif et doit oublier ses revendications personnelles . 

Juste après  s’être adressé à Antigone en la traitant de “petite fille “, son oncle s’approche d’elle et la didascalie précise qu’il lui prend le bras . Comment devons nous interpréter ce geste et mettre en scène ce passage ? Nicolas Briançon , dans sa mise en scène a choisi la violence mais il existe peut être une autre interprétation possible de ce passage .  Le sourire qui apparaît dans la didascalie suivante nous incite à penser qu’il lui prend bras amicalement mais ce qu’il lui dit n’est guère tendre car il évoque  une punition ” du pain sec et une paire de gifles ” Certes rien à voir avec une condamnation à mort mais les circonstances ont changé affirme Créon: “il n’y a pas longtemps encore ..tout cela se serait réglé par ..” A circonstances exceptionnelles, peines exceptionnelles : l’adage semble ici se vérifier . 

La dernière partie du la tirade de Créon s’adresse plus directement à la jeune fille qu’il surnomme affectueusement “moineau ” On remarquera que la nounou d’Antigone, elle aussi , la désigne affectueusement , par des noms d’oiseaux . Il entend ne pas la faire mourir et avance plusieurs raisons: elle va lui donner un petit-fils car le royaume dit-il “en a besoin plus que de ta mort”  et surtout, elle est bien trop jeune, trop maigre pour mourir : “tu es trop maigre “ s’exclame-t-il. Cet argument peut paraître quelque peu absurde.Anouilh présente Antigone comme une frêle jeune fille et la faiblesse de sa constitution a sans doute pour but de fair ressortir la force de ses convictions et son caractère jusqu’auboutiste.

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Créon, contre toute attente, la somme de rentrer chez elle et la chasse de manière péremptoire : “allez, va ” ; Il anticipe sur ses éventuelles objections en anticipant sur ce qu’elle pourrait dire . Elle pourrai le traiter de “brute ” mais il lui rappelle alors les liens étroits  qui les unissent “je t’ai fait cadeau de ta première poupée ” et surtout “je t’aime bien tout de même avec ton sale caractère ” On sent que le roi a pardonné à sa nièce et qu’il est résolu à étouffer l’affaire .

A la fin de cette tirade , le spectateur peut se demander si la jeune fille va marquer un temps d’hésitation ou si elle ne va tenir aucun compte des réparties de son oncle. Il se montre volontairement autoritaire et adopte un ton péremptoire pour que la jeune fille soit tentée d’obéir. Mai c’est pour la sauver d’une mort vers laquelle  elle entend se précipiter et c’est ce qui fait ici la complexité du personnage du roi: il se montre bon et magnanime tout en fustigeant l’orgueil insensé de cette famille. Orgueil qui causera comme chacun sait la perte d’Antigone.

En conclusion,  nous avons ici un passage déterminant où l’on mesure que l’affrontement entre l’oncle et la nièce se soldera par la victoire de l’oncle qui , ici, a laissé une dernière chance à Antigone, chance qu’elle ne va pas saisir ; un passage déterminant qui noue encore un peu plus le noeud tragique. 

A vous de construire le plan détaillé en répondant à la question par exemple: qu’est-ce qui dans ce passage resserre le noeud tragique ? 

06. novembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone : drame ou tragédie ? Extrait 1 · Catégories: Première · Tags:
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 Comme dans la tragédie de Sophocle qu’Anouilh adapte en 1944,  la petite Antigone vient d’être arrêtée pour avoir tenté de recouvrir de terre, selon les rites, la sépulture de son frère Polynice , mort en tentant de s’emparer du pouvoir et en tuant son  autre frère Etéocle; Le roi Créon avait pourtant ordonné qu personne ne vienne honorer son cadavre mais sa soeur Antigone a désobéi et a enfreint cette interdiction, au risque de se voir condamnée à mort par son oncle. Cet acte déclenche l’attente tragique et le spectateur se retrouve pris en tension  : c’est le propre du spectacle tragique de faire naître cette attente et c’est un peu le sens de cette intervention du choeur qui se situe avant la confrontation entre Antigone et Créon . Quel rôle joue ici le choeur et comment peut- on lire dans cette tirade une réflexion sur la nature du spectacle théâtral ? 

Habituellement présent au sein des tragédies antiques , le choeur représente un collectif de citoyens : formé d’une catégorie de population (des femmes, des jeunes filles, des vieillards) , il représente également  la présence sur scène et dans le spectacle, du spectateur ; Il s'adresse aux acteurs par l'intermédiaire d'un personnage qu'on nomme le coryphée ; Ce dernier dialogue avec les différents protagonistes  et commente les actions ou les paroles des personnages . On distingue ainsi des choeurs de pleureuses qui ont pour fonction de faire entendre la douleur collective, des choeurs de colère ou des choeurs qui soutiennent le héros et l'encouragent ou le mettent en garde contre les dangers de l'hubris. Anouilh a choisi de reprendre cet aspect de la tragédie de Sophocle en mettant en scène un choeur qui fait à cette occasion sa première apparition sur scène ; Dans la mise en scène de Briançon, c’est l’acteur qui interprète le rôle du prologue qui récite le texte du choeur .L’entrée du choeur dans la tragédie antique marquait le passage d’un épisode à un autre et se nomme la parodos ; Les épisodes chantés se nomment des stasima (un stasimon au singulier ) .

L’extrait peut être étudié en relation avec différentes problématiques mais toutes ont en commun les tentatives de  définition de la tragédie et de son déroulement . 

Introduction possible : En 1944, en choisissant un sujet antique , le destin tragique de la jeune Antigone, fille d’Oedipe, le dramaturge Jean Anouilh, décide d’évoquer par le biais de la mythologie , la situation de la France occupée,  qui doit choisir entre la résistance ou la collaboration avec le gouvernement d’occupation. Le personnage d’ Antigone représente souvent la révolte contre l’ordre établi et lorsqu’elle enfreint la loi de la Cité , c’est selon elle, pour rétablir la dignité de son frère mort privé de sépulture.    Situé juste avant le face à face entre Antigone et son oncle Créon , ce passage , marqué par l’apparition du choeur sur scène, peut marquer la fin de la parodos comme dans la cérémonie tragique antique. Le choeur tente d’y définir le fonctionnement de la tragédie et l’oppose au drame qui permet à l’homme de conserver une forme d’espoir.

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Le choeur débute sa longue tirade par un jugement plutôt fataliste ” et voilà..maintenant le ressort est bandé” Le dramaturge exhibe ici les mécanismes du tragique qui met en tension les spectateurs en créant une attente ; Cette mécanique est imagée par un champ lexical  qui peut s’apparenter à la mécanique justement  comme ressort bandé ‘ ( l 1) , “bien huilé ” “ça roule11 ça démarre 5 ) et qui peut avoir des effets comiques par sa trivialité avec une expression comme “on donne un petit coup de pouce l 4 . Cette dimension mécanique renforce le côté inéluctable de la fatalité tragique vue comme un engrenage que rien ne peut arrêter mais la trivialité de certaines expressions tente justement à minimiser la gravité de l’enchainement des faits

Le choeur tente de faire comprendre ce qui vient de se mettre en place avec l’arrestation de la jeune fille et sa future confrontation avec le roi et cette sorte de réflexion sur le déroulement de la pièce qui peut constituer une forme de mise en abîme, se traduit également par l’emploi du lexique du cinéma: “on dirait un film dont le son s’est enrayé” l 22 ; cette comparaison modernise la tragédie en évoquant le parallèle avec un film ; Anouilh établit alors une opposition entre le vacarme et le silence ; La tragédie est le lieu où “les éclats, les orages “ (14 ) voisinent avec “les silences, tous les silences” . Cette manière de définir la tragédie nous fait prendre conscience qu’elle comporte des moments où la parole semble inutile, presque dépassée; Ce qui est paradoxal car au théâtre, les acteurs portent justement cette parole. 

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Le contraste est saisissant entre “les cris de la foule” 20, la clameur ( 24 ) et la solitude du héros tragique qui se traduit par un silence au moment de sa mort “quand le bras du bourreau se lève à la fin ” l 16 ou lorsqu’il est vainqueur et qu’on l’acclame ( 21 ) alors qu’il est déjà paradoxalement “vaincu ” 25. De nombreux paradoxes nous signalement cette curieuse alliance du silence tragique qui alterne avec des moments d’agitation qu ‘Anouilh qualifie en utilisant des métaphores climatiques comme “orages ” l 14. Il tente en fait de saisir l’essence même de la tragédie en énumérant d’un part ses ingrédients ” la mort, la trahison, le désespoir sont là , tout prêts “ l 13 et en détaillant d’autre part, ses mécanismes. 

Il établit alors une distinction fondamentale entre le drame et la tragédie qui renvoie à l’histoire de l’évolution des genres théâtraux; au début du vingtième siècle,  en effet, de nombreux dramaturges utilisent le mélange des genres dans leurs pièces comme Ionesco, Beckett , Giraudoux ou Anouilh justement  qui réécrit ici une tragédie antique en la modernisant et en y intégrant des passages “comiques “. Que cherche t-il à conserver dans ce qu’il nomme tragédie ? “un côté “propre ” au sens pur, une sorte d’acceptation du destin avec par exemple l’adjectif “sûr “l 28. “On est tranquille” (l 35 ) , “c’est reposant” ( l 27 ) : Anouilh emploie ici deux expressions pour le moins étonnantes  qui valorisent et banalisent cette dimension inexorable de la fatalité tragique.  L’angoisse légitime, cette terreur qu’évoque pourtant  Aristote se transforme, semble-t-il ,  en un sentiment d’apaisement . Cette manière dont le dramaturge valorise l’absence d’espoir peut sembler déroutante dans la mesure justement où il entoure cet espoir de connotations péjoratives  : ” “le sale espoir ” (l 41) ;  “on est enfin pris comme un rat avec tout le ciel sur son dos ” Cette expression imagée montre le héros tragique comme un rongeur avec l’idée d’être pris au piège et la référence à la transcendance s’exprime ici au moyen d’une métonymie burlesque ( le ciel sur son dos ) . Le dramaturge fait bien sûr référence au fonctionnement de la tragédie classique dont il semble admirer le côté implacable et pourtant inhumain; En effet, dans la tragédie grecque, les Dieux jouent avec le destin des hommes et leur supériorité n’est jamais mise en cause

Le drame , à ses yeux, rend la mort “épouvantable ” car elle dépend de nombreux facteurs humains voir accidentels ; Il utilise d’ailleurs le terme “accident” pour la qualifier l 32 et les phrases au conditionnel passé évoquent les issues potentielles comme autant d’échecs : “on aurait peut -être pu se sauver ..arriver à temps ” Le côté fatal  semble alors lié à la victoire du camp des méchants sur celui des bons et l’univers devient manichéen en mettant face à face des “méchants acharnés ” face à une “innocence persécutée” . (29) Anouilh montre bien ici que dans Antigone nous ne trouvons pas dans ce type de face à face : il n’est pas question de caractère mais de “distribution”  des rôles; Antigone doit mourir car elle est faite pour ça et le roi doit se montrer inflexible car il représente la loi. Les enjeux du conflit dépassent largement les caractères qui les incarnent et les personnages ne sont que des illustrations d’un conflit entre l’humain et le divin , l’individuel et le collectif. 

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Anouilh reprend ensuite les caractéristiques de la tragédie antique qu’il a conservées dans sa pièce : “c’est pour les rois ” dit -il et “on est entre soi” ; pas de lutte des classes ou de revendications populaires comme dans le drame romantique de Hugo par exemple ;  dans l'histoire du théâtre, la tragédie se caractérise très longtemps par l'appartenance des personnages à des catégories sociales supérieures comme les rois ou les princes: ce que rappelle ici Anouilh;  . Il est intéressant de constater que le dramaturge refuse notamment le registre des lamentations et la dimension pathétique pourtant omniprésente dans le spectacle tragique  " pas à gémir, pas à se plaindre ” l 45 mais “gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire ” . Une fois encore ici le recours à un vocabulaire trivial permet de moderniser la dimension tragique . La tragédie devient un moyen d’exprimer enfin des vérités et de le faire “pour rien: pour se le dire à soi, pour l’apprendre soi ” l 48.

L’intervention du choeur se termine sur l’idée qu’il n’y a a plus rien à tenter ” et que justement “voilà que ça commence “; Anouilh invite ici le spectateur à se concentrer sur la nature des propos échangés entre Antigone et son oncle et à ne pas trop se soucier de savoir si elle sera sauvée ou non. En la condamnant par avance, il libère ainsi le spectacle d’une sorte de dimension utilitaire ;Antigone ne se débat pas parce qu’elle espère s’en sortir : elle va juste se révéler à elle-même “c’est à dire “pouvoir être elle-même pour la première fois “. Lieu de la révélation et de l’affrontement sans vainqueur ni vaincu, la tragédie selon Anouilh , est avant tout révélation de soi-même. C’est en étant écrasé par son destin que l’homme peut enfin être vraiment lui-même sans se soucier du qu’en dira-t-on…

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Le décor de la première en 1944

L’intervention du garde qui termine la scène, prolonge cette idée que les dés sont jetés et que l’homme désormais s’en lave les mains : le garde ne veut entendre aucune explication et ne cherche pas non plus à comprendre pourquoi elle a  agi ainsi; Il ne cherche ni à excuser son geste ni même à entendre ce qu’elle a à dire : “je ne veux pas le savoir ” répète-t-il à  deux reprises l 58 et l 65 ; Antigone a déclenché la tragédie parce qu’elle a agi : peu importe pourquoi. Ce ne sont plus les causes qui sont déterminantes nous explique Anouilh mais les gestes qui entrainent des actions : la tragédie c’est avant tout le passage à l’action...et l’attente de ce qui s’en suivra.Rien ne peut plus arrêter la mécanique tragique qui relève de l’enchainement obligatoire des actions: chaque geste a une conséquence qui à son tour entraîne une autre action.

 Dans cette apparition du choeur Anouilh  définit ce qu’il pense être l’essence même de la tragédie et explique son choix de réécrire une tragédie antique en conservant ainsi ce caractère “reposant ” de la mécanique tragique qui se déroule sous les yeux du spectateur ; On ne peut s’empêcher d’y voir un lien avec l’actualité tragique de la France occupée ; Et si le moment était venu de passer à l’action , semble nous glisser à l’oreille, le dramaturge ..Il faudra être prêt à en assumer les conséquences . A la fin de la pièce, le choeur se manifestera à nouveau pour tenter de faire changer d’avis Créon et prendra le parti d’Antigone ; il essaie d’imaginer que la condamnation à mort se transforme juste en réclusion et évoque même l’idée de pouvoir la faire fuir . Le choeur pense qu’Antigone n’est qu’une enfant et qu’on pourrait plaider la folie . Le choeur commentera ensuite le départ précipité d’Hémon et viendra sur scène annoncer la mort d’Antigone et celle à venir des autres protagonistes ” il va falloir qu’ils y passent tous ” Il continue à jouer son rôle de commenter l’action et il est le seul présent sur scène pour le baisser de rideau : “Et voilà. sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de même tranquilles; Tous ceux qui avaient à mourir sont morts…morts bien raides, bien inutiles , bien pourris..seuls les gardes continuent à jouer aux cartes pendant que sur le plais vide, un grand apaisement triste tombe sur Thèbes et Créon, dans le palais vide, attend lui aussi  la mort.

Idées de regroupements possibles

le personnage du choeur ; ses interventions dans la pièce , le rappel de ses fonctions

la description de la mécanique tragique : dérouler, démarre, cela roule ..bien huilé, // film , cinéma

 la variété des situations tragiques : amour, honneur, question de trop et leur caractère implacable

opposition drame /tragédie : propre, sale /   reposant /épouvantable  // gratuit/utilitaire

les paradoxes tragiques : l’opposition cris et silences ; /  vainqueurs et vaincus

l’arrivée d’Antigone : voilà ça commence, désintérêt du garde pour les explications

26. octobre 2017 · Commentaires fermés sur Qui est Antigone ? · Catégories: Première · Tags:

Fille maudite d’un héros lui-même maudit, Antigone voit son destin scindé en deux parties. 

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 Antigone est donc au départ de son histoire,  la fille d’un inceste tragique; son père Oedipe,  devenu roi de Thèbes après sa victoire sur le sphinx, a épousé la reine Jocaste,  sans savoir qu’elle était sa mère biologique. Abandonné à sa naissance par ses parenst  Jocaste et LaIos, oedipe n’a pas été sacrifié comme cela avait été prévu par ses parents par le serviteur destiné à le mettre à mort ; il a simplement été laissé attaché  dans le désert et recueilli par un berger qui l’a conduit auprès de ses maîtres : le roi et la reine de Corinthe qui l’ont adopté et lui ont caché ses véritables origines; Toutefois, des rumeurs laissaient entendre qu’il était un “enfant trouvé ” et pour en avoir le coeur net, Oedipe décéda d’aller consulter un oracle qui lui révéla la vérité mai sous une forme obscure ; Il tuerait son père et coucherait avec sa mère. C’est ce même oracle qui avait déjà prédit vingt an plus tôt à se parents biologiques que leur premier fils serait à tous deux la cause de leur mort. C’est pourquoi Laiös et Jocaste avaient décidé de sacrifier Oedipe, leur premier né.

Après avoir entendu l’oracle , Oedipe décide de ne jamais retourner à Corinthe où il pense qu’il pourrait faire du mal à ses parents ; il prend alors le chemin de Thèbes et en chemin, rencontre un vieillard qui refuse de lui céder le passage; Il tue ce dernier dans un accès  de colère devenant ainsi le meurtrier de son père biologique qu’il n’a jamais connu. En chemin, il triomphe de l’énigme du monstre qui terrorisait la région et reçoit comme trophée le trône de la ville de Thèbes occupé par Créon et sa soeur Jocaste depuis la mort de Laïos. Il devient ainsi le roi légitime. Il fonde une famille avec celle qui est à la fois sa mère et son épouse.  Mais les Dieux vont lui révéler l’étendu edu ses crimes et l’accomplissement de l’oracle.

 Après le suicide de Jocaste, honteuse de son inceste involontaire, Oedipe, qui s’est crevé les yeux, s’exile à Colone sous la conduite d’Antigone. Sa soeur Ismène les y rejoint. Le poète Ducis met ces mots dans la bouche d’Oedipe s’adressant à sa fille qui a su si bien s’occuper de lui. 

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Oui, tu seras toujours chez la race nouvelle
De l’amour filial le plus parfait modèle; 
Tant qu’il existera des pères malheureux 
Ton nom consolateur sera sacré pour eux: 
Il peindra la vertu , la pitié vive et tendre
Jamais sans tressaillir ils ne pourront l’entendre! 

 A retenir : Antigone devient , en quelque sorte, la fille modèle , entièrement dévouée à un père monstrueux et aveugle qui nécessite d’être aidé en permanence et qui dépend totalement d’elle . 
 

Après la mort d’Oedipe, les jeunes filles reviendront volontairement à Thèbes où le roi Créon, leur oncle, avait promis de marier Antigone à son fils Haemon ou Hémon. Une guerre de succession oppose  alors les frères d’Antigone :  Etéocle et Polynice qui finissent par  s’entretuer.    Créon , alors au pouvoir après la mort de sa soeur et l’exil d’Oedipe,  ordonne de  donner à Etéocle une sépulture décente, mais de laisser  le corps de Polynice, qu’il considérait comme un traître à sa patrie,  sans sépulture, à l’endroit  même où il était tombé. Antigone, convaincue que la loi divine qui exige qu’un corps reçoive les honneurs funéraires  devait l’emporter sur les décrets humains, décida, en dépit de l’interdiction proférée par Créon, de rendre les honneurs funèbres à son frère. Surprise par les gardes parce qu’elle avait jeté de la terre sur le mort, elle fut amenée devant le roi. 

 Créon la condamna à être enfermée vivante dans le tombeau des Labdacides où elle devait mourir de faim. Ismène voulut partager son sort mais Antigone refusa car elle n’avait pas eu, en son temps, le courage de s’opposer à Créon. Le devin Tirésias rapporta à Créon ces paroles à peine obscures où il devait sous peine de malédiction plutôt “enterrer les morts et  déterrer les vivants“. Créon comprit et se précipita au tombeau pour le faire ouvrir mais il était déjà trop tard.Antigone s’était pendue avec sa ceinture et son amant éploré, Haemon, chercha d’abord à tuer son père et en le maudissant, il se suicida à son tour suivi dans son acte par sa mère, Eurydice, la femme de Créon qui se trancha la gorge. Le destin tragique d’Antigone se poursuit donc avec ce combat qui l’oppose à Créon, la figure de l’autorité et des lois de la cité; la jeune femme incarne pour beaucoup l’héroïsme de celle qui ose braver la loi des hommes  quand elle ne lui parait pas juste; déterminée et farouche dans son obstination, elle se bat  pour imposer ses idées et faire triompher les loi divines; elle pourrait incarner aussi, dans se côtés obscurs, une part de fanatisme dans son intransigeance .

Antigone et Polynice (c.1806) 
Benjamin CONSTANT 
 

Il existe une autre version  d cela fin tragique d’Antigone racontée par Euripide. Créon imposa à son fils de châtier sa future épouse car ce pouvoir appartient au mari ou au fiancé. Haemon fit semblant d’obéir et cacha Antigone à la campagne où elle lui donna un enfant. Mais un jour que ce dernier participait à une épreuve sportive à Thèbes, Créon remarqua une marque en forme de fer de lance qui était une caractéristique héréditaire de la famille. Il comprit ce qui s’était passé et condamna à mort Haemon et Antigone. Mais Dionysos (ou Héraclès) en personne venu assurer la défense, obtint le pardon et ainsi Haemon et Antigone purent se marier et vivre librement. 

 

Antigone conduit Oedipe hors de Thèbes
Charles-François JALABEAT
 

 

Oedipe conduit par Antigone
Antoni BRODOWSKI (1828) 
 

 

05. octobre 2017 · Commentaires fermés sur L’image du poète : une question de synthèse · Catégories: Première
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Obligatoire au bac de Français, la question de synthèse est notée sur 4 points et nécessite un certain entrainement . L’examinateur attend une courte introduction et appréciera de voir un plan en deux parties qui détaille des axes de synthèse ; Néanmoins, l’absence de plan n’est pas pénalisée à condition que le candidat mette vraiment les textes du corpus en relation les uns avec les autres; Il est conseillé de partir des points communs pour ensuite nuancer les rapprochements effectués à partir des différences notées dans les textes; Un exemple: vous devez faire la synthèse de 4 poèmes qui évoquent l’amour d’une femme à travers le portrait  (blason )de cette dernière ; Commencez par dire qu’il s’agit de 4 poèmes qui expriment un sentiment amoureux et détaillez la présence des notations amoureuses; Montrez ensuite que ces formes d’amour sont associées plutôt à la sensualité, qu’il s’agit d’un amour réciproque ou non, que le poète vit cet amour ou évoque des amours mortes avec nostalgie; Faites la même chose pour les caractéristiques de la femme aimée : comment la poète la décrit-il: immobile, maternelle, belle, cruelle, vénéneuse ?

Conseil de méthode : Partez toujours de ce qui se ressemble pour affiner ensuite vos analyses vers les particularités des textes et efforcez-vous de les relier au moins deux à deux . 

La question posée : quelle est l’image du poète dans ces 4 poèmes ?  

Le corpus : Barbier, Hugo, Baudelaire, Gautier .

Introduction : le corpus regroupe 4 poèmes : trois du dix-neuvième siècle et un contemporain et ces poèmes ont comme sujet l’image du poète, son statut, ses fonctions. Pour étudier l’image que Barbier, Hugo, Baudelaire dans l’Albatros et Gautier dans Le pin des Landes   donnent la fonction du poète , nous montrerons d’abord quels sont ses pouvoirs , ce qui fait sa force avant d’envisager ses faiblesses et ce qui le rend fragile; 

 Beaucoup de poètes se sentent proches de la nature et se consacrent à sa  description dans leurs poèmes ;Tout d’abord, dans le poème de Barbier, le poète est capable de se transformer en élément naturel; il est tour à tour arbre-pluie, feu , vent et mer qui s’éveille;  Oiseau chez Baudelaire, arbre chez Gautier ,il est également le trait d’union entre les époques car il relie  l’enfance et le grand âge, grignote le passé et fait clignoter l’avenir; Cette idée d'intemporalité est reprise dans le poème de Hugo sous la forme de la métaphore du feuillage: le poète prend le passé pour racine et a pour feuillage l’avenir. Hugo le décrit omnipotent “dans sa main où tout tenir ” et voyant “perçant les ombres des temps futurs” Baudelaire donne lui aussi, au début de son poème, une image valorisante du poète-oiseau lorsqu’il est dans le Ciel: il est qualifié de prince des nuées et de roi de l’azur ; il semble alors totalement invincible car il triomphe des tempêtes et se rit de l’archer; Les 3 poètes montrent donc une image valorisante du poète qui possède des pouvoirs particuliers; 

Il est notamment un intermédiaire entre le monde des hommes , le monde terrestre et celui des idées, des Dieux : Hugo le définit même  comme un prophète avec le front éclairé et semblable à une étoile qui guiderait son peuple ; Le champ lexical de la lumière l’accompagne: il rayonne autour de lui et diffuse une forme de connaissance; Situé au -dessus des hommes comme l’oiseau qui vole au-desus des bateaux , il surplombe le monde; “les pieds ici les yeux ailleurs”  et dévoile aux hommes sa vérité d’en haut . Même chez Gautier, on retrouve cette idée de prééminence avec l’image du Pin,  qui surgit et se dresse, debout,  droit ,solitaire au milieu du désert; Barbier le présente sous la forme d’une aile pour planer vers d’autres régions de l’être ; dans tous les cas, c’est quelqu’un qui nous permet de nous envoler , de nous rapprocher du ciel ; Hugo le qualifie par exemple de rêveur sacré et imagine que Dieu parle à voix basse à son âme.

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Une luciole

Cependant,en dépit de ses pouvoirs , le poète est souvent menacé par des dangers ; son entourage ne le comprend pas forcément et parfois se moque de lui; Ainsi, Hugo évoque la dérision dont il est victime ainsi que ses blessures qui sont comme des épines ; Gautier construit l'ensemble de son poème sur la notion de souffrance du poète comparé à un arbre que les hommes entaillent et qui a le tronc douloureux ; Le champ lexical de la souffrance est donc omniprésent et le poète ressemble à un soldat blessé qui veut mourir debout ce qui démontre son courage; Baudelaire lui aussi montre l’oiseau martyrisé par les marins et victime de leurs jeux cruels et de leurs moqueries: exilé sur le sol au milieu des huées ses ailes de géant l’empêchent de marcher; cette fragilité du poète est atténuée dans le poème contemporain mais nous retrouvons quand même le poète en luciole qui doit éclairer les noires broussailles de la Cité et on se doute qu’il va peiner à diffuser sa lumière; Il paraît bien faible en regard de sa mission .

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Force et faiblesse se rejoignent en fait grâce aux antithèses qui dans le poème de barbier résument l’image du poète: “opacité dans la plus grande transparence ” ou “amour au centre de la mort” le poète est sans cesse tiraillé entre sa condition mortelle : “un homme qui finit chaque jour ” et son aspiration à l’immortalité ” mais qui revit chaque nuit’; Baudelaire marque ce tiraillement intérieur en opposant l’oiseau majestueux dans le ciel  des deux premiers quatrains et l’oiseau maladroit et honteux au milieu des autres hommes; Hugo lui aussi  marque une différence nette entre les chanteurs inutiles qui s’isolent (il critique ainsi les poètes qui refusent l’engagement comme les Parnassiens qui demeurent dans leur tour d’ivoire pour se protéger) et le poète qui va combattre dans la cité et se faire insulter parfois; Barbier rappelle le poing levé du poète ; Seul Gautier associe la blessure du poète aux divines larmes d’or: il rejoint ainsi l’idée romantique selon laquelle de la douleur nait les chants les plus beaux et  donne du poète l’image d’un être condamné à souffrir pour pouvoir créer

Conclusion : à leur manière ces quatre poètes rendent hommage à la figure du poète : arbre précieux, oiseau , prophète ou inquiétante étrangeté, les poètes se font une haute idée de leur mission et insistent sur les difficultés qu’ils rencontrent et notamment l’incompréhension des hommes face à leur art .