07. février 2016 · Commentaires fermés sur Analyser un affrontement sur scène · Catégories: Première · Tags:

La question de synthèse proposée se basait sur un corpus emprunté au théâtre contemporain: comment les affrontements étaient-ils représentés ?  Les personnages de Beckett, deux clochards, Vladimir et Estragon, se disputaient de manière loufoque à propos notamment d’une chaussure ; la pièce de Beckett fait partie du théâtre de l’Absurde et le lien était ici important à montrer dans la mise en scène de cette querelle amicale. 

Les deux personnages choisis par Kundera pour illustrer la relation souvent  conflictuelle  entre maitre et valet parodiaient de manière savoureuse une scène classique, un topos de la comédie de moeurs : le valet insolent craint son maître et lui répond. On pouvait par exemple, penser à Sganarelle face à Don Juan, à Scapin face à Géronte ou aux valets de l’Avare. Quant au troisième affrontement, il émanait d’un drame politique de Nasser Djemaï qui aborde le thème sociétal  des conditions de vie des travailleurs immigrés. (voir le fichier en pièce jointe sur la pièce Invisibles , la tragédie des Chibanis)
Procédez avec méthode au brouillon  ; isolez d’abord les origines des conflits , leur ton, les éléments verbaux et les procédés de style qui alimentent l’échange (stichomythie, répétitions, antithèses, familiarités, insultes) et n’oubliez pas les éléments non verbaux (présence ou absence de didascalie, ponctuation). Proposez une conclusion de deux ou trois lignes en hiérarchisant les textes  : la dispute la plus sérieuse ou la plus fréquente ou la plus inattendue ) 

Deux des trois textes mettent en scène une dispute qui peut sembler liée aux personnages et à leur caractère: Vladimir et Estragon se chicanent pour tout et n’importe quoi et se réconcilient quelque minutes plus tard. Leur ton est un mélange d’agressivité : “Il n’y jamais que toi qui souffre; Moi je ne compte pas” et de sollicitude comme lorsqu’Estragon demande de l’aide à son ami et que ce dernier évoque une image d’eux “main dans la main ” . On retrouve ces contradictions dans l’affrontement entre Jacques et son maître , dominé, lui aussi ,  par les effets comiques ; Jacques semble éprouver un malin plaisir à contredire son maître  et à lui tenir tête: ”   Vous vous trompez Monsieur “, répété à deux reprises , sert de réplique d’ouverture au valet provocateur;il refuse même d’obéir aux ordres de son maître : “je n’irai pas” réitéré en dépit des hurlements du maître  ; cependant le serviteur se montre conciliant à la fin de leur querelle : ” mais pour éviter de nouvelles disputes, nous devrions nous mettre d’accord un fois pour toute sur quelques principes” ; Jacques aurait-il remporté cette joute verbale? Rien n’est moins sûr mais l’ oxymore maître obéissant ” atteste de ce renversement des rôles. Aucun effet comique dans Invisibles : la question qui divise les personnages prend une importance cruciale et dépasse le cadre individuel : l’unique didascalie “long silence ” reflète bien la gravité du moment et le rythme de l’échange est beaucoup plus lent que dans les deux autres disputes : la  tirade d’Hamid lui permet de poser ses arguments et de les faire entendre au spectateur ; Martin semble seul contre les trois autres qui forment une ensemble choral. Contrairement aux deux scènes de comédies, Invisibles montre un affrontement idéologique : le jeune Martin s’indigne comme le montrent ses questions et les nombreuse exclamatives qui ponctuent ses répliques mais il se heurte à l résignation des chibanis, ses ancêtres,  et la fatalité semble l’emporter : ” y a pas à comprendre mon fils; Faut tu respectes l’histoire; On change pas les chose comme ça; Le destin, c’est comme ça.” 
On sent également un pointe de résignation dans le théâtre de Beckett mais elle prend plutôt la forme d’une incommunicabilité entre les personnages et d’un double discours : en effet, au- delà de la simple querelle à propos de la chaussure qui blesse Vladimir, on devine des allusions à la mort et au tragique de la condition humaine : “Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est..pas d’erreur” assène Vlaimir à Estragon qui est “piqué au vif “comme le précise la didascalie. La violence des gestes est manifestée par de nombreuses notations (avec vivacité, avec emphase, avec emportement ) qui assurent les effets comiques de cette altercation alors que la scène se termine de manière tragique avec la dernière réplique de Vladimir : “ça devient inquiétant” suivie d’un silence. Pas d’inquiétude dans le jeu entre jacques et son maître mais le comique n’empêche pas le sérieux des propos et la vivacité des échanges ne, doit pas nous faire oublier la réflexion  philosophique sous- jacente : à travers les personnages et leurs saillies parfois triviales (la mention du cul  magnifique de l’aubergiste par exemple, Kundera reprend la philosophie de Hegel dans la dialectique du maître et de l’esclave ” il est écrit là-haut que vous ne pouvez pas vous passer l’un de l’autre” Le conflit entre elle maître qui ne parvient pas à se faire obéir et le valet qui refuse d’obéir aux ordres donnés nous amène à nous interroger sur la relation dominant/dominé qui est ici, rééquilibrée ” 
Ces trois affrontements présentent donc de nombreux points communs ; ils nous font réfléchir à notre condition, à celle de ceux qui nous entourent ; le mélange des registres peut parfois nous faire oublier que sous le comique apparent peut se tapir un enjeu existentiel, philosophique et même  tragique. Les paroles des Chibanis devraient leur permettre de ne plus demeurer invisibles à nos yeux.

21. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Débat autour de la guerre : Acte I, scène 6 · Catégories: Première · Tags:

La pièce de Giraudoux, inspirée de la légende troyenne est en réalité le lieu d’une réflexion intense sur la guerre et les moyens de l’éviter. Fortement inquiet par la montée des nationalismes après l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, le diplomate français et germanophile, tente de nous faire partager ses craintes et évoque par la bouche de ses personnages les raisons qui poussent les hommes à vouloir s’entre-tuer. Le débat prend dans cette scène  la forme d’un duel entre Andromaque et son beau-père, le roi Priam; Tout semble opposer ces deux personnages porteurs d’idées divergentes à propos de la guerre; l’une est une femme et s’oppose à un homme, elle est jeune et porte la vie; il est vieux et ne tient plus vraiment à la vie.  Trouveront-ils finalement un terrain d’entente ? lequel des deux finira-t-il par l’emporter ? 

INTRODUCTION

Dramaturge de l’entre – deux guerres, il connaît le succès avec Siegfried en 1928,  puis avec Amphytrion 38 en 1929, viendront ensuite Electre et bien sûr La guerre de Troie n’aura pas lieu. Sa rencontre avec Louis Jouvet, un célèbre acteur et metteur en scène avec lesquels il monte ses pièces contribuera à son succès. Son écriture théâtrale originale s’inspire des mythes antiques et les mêle aux inquiétudes modernes.Il introduit dans ses tragédies un monde poétique, plein de fantaisie, un peu précieux et aussi la dérision avec des passages ludiques, anachroniques qui atténuent le pathétique de ses pièces.Créée dans l’entre – deux guerres, à une période où Giraudoux, éprouvé comme Giono par les massacres de la première guerre mondiale, sent la montée en puissance d’Hitler et avec elle la menace d’une autre guerre, la pièce en porte la marque.

En reprenant l’histoire de l’Iliade d’Homère, Giraudoux imagine que les Troyens attendent une délégation grecque dirigée par Ulysse qui doit demander raison de l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Hector supplie son frère de laisser repartir Hélène pour éviter la guerre dont il est las car il en revient tout juste. Mais les vieillards de la ville , le belliqueux Démokos et le roi Priam ne l’entendent pas ainsi,. Dans ce passage, Andromaque, la femme d’Hector, cherche à faire changer d’avis son royal beau-père. Le dialogue qui oppose les deux protagonistes est bien représentatif du débat qui agite toute la pièce, à savoir : « faut –il déclarer la guerre de Troie ? ». Ici les arguments des deux parties apparaissent nettement au sein du débat qui traite autant de la guerre de Troie que de la guerre en général. Nous pourrons nous demander comment le dramaturge parvient à donner à cette délibération sur la guerre de Troie une dimension intemporelle.

 

I Une délibération sur la nécessité de la guerre

    Le dialogue met en présence deux thèses, celle d’ Andromaque opposée à la guerre, et celle de Priam, le roi favorable à sa déclaration. Le spectateur pourra délibérer sur la pertinence des arguments en présence.

A/ L’argumentation d’Andromaque pour le pacifisme

1er argument : l’argument affectif : « si vous avez cette amitié pour les femmes[…]Laissez – nousnos maris… »La guerre éloigne hommes et femmes, elle ne doit pas avoir lieu au nom de l’amour.

2ème argument :réfutation de l’argument de la nécessité de la guerre pour la virilité des hommes : « Pour qu’ils gardent leur agilité et leur courage, les dieux ont crée autour d’eux tant d’entraîneurs vivants ou non vivants. » Pour prouver son courage l’homme n’ a pas besoin de se battre contre son semblable à la guerre, il a les forces de la nature. Andromaque se réfère aux dieux qui dans la Grèce antique constituent un argument d’autorité ; plus largement cette référence signifie que c’est dans l’ordre de la nature qui a bien fait les choses. Elle a prévu que l’homme puisse dépenser son énergie, son besoin de combat dans l’affrontement avec les éléments (« Quand ce ne serait que l’orage ! »)et contre les bêtes (« Quand ce ne serait que les bêtes ! »). Elle emploie les termes d’ « agilité », d’« entraîneurs », d’« émule » et d’ « adversaire » pour parler d’eux plaçant ainsi la guerre sur le plan d’un besoin d’ activité physique et non plus d’ une activité noble pour défendre la patrie : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec les bruyères,  sont les plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que l’autre cible, le cœur de l’ennemi »(l.12 –16). On voit ici l’équivalence établie entre une « cible » et « le cœur ». Elle dégrade l’idée de guerre en la ramenant à un entraînement physique, ici exercer l’acuité visuelle. Andromaque s’exprime avec assurance comme le montrent les phrases assertives : « Aussi longtemps qu’il y aura des loups, des éléphants, des onces, l’homme aura mieux que l’homme comme émule et comme adversaire »(l.9 –11). Elle cherche à donner à son propos une portée générale, les références aux divers animaux concernent plusieurs types de pays.

3ème argument :  la guerre tue l’ennemi et les proches : « Pourquoi voulez – vous que je doiveHector à la mort d’autres hommes »(l.19 – 20) interrogation rhétorique qui présente l’affirmation comme une évidence. La métonymie pour désigner l’ennemi « le cœur de l’ennemi emprisonné danssa cuirasse »met l’accent sur son humanité .

4ème argument : la guerre tue les plus courageux et épargne les plus lâches (2ème réplique d’Andromaque)pire elle les honore : « Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux qui ont déserté la mort »( l.36 – 37). Elle dénonce ici les faux – semblants et elle recourt à un raisonnement logique qui montre que « Pour ne pas y être tué, il faut un grand hasard ou une grande habileté ». Elle préfère la fierté d’un mari vivant plutôt que la gloire posthume : « Comment un pays pourrait – il gagner dans son honneur et dans sa force en les perdant tous les deux ? »

Conclusion en forme de question rhétorique : la guerre fait perdre à un pays ses forces vives (ses meilleurs combattants) et son honneur ( puisqu’on honore les plus lâches).

L’argumentation d’Andromaque est fondée sur l’amour, elle prône la paix au nom de l’amour et elle a une conception de la bravoure qui n’est pas celle de Priam.

B/ L’argumentation de Priam en faveur de la guerre

  Priam renverse les arguments d ‘Andromaque :

1er argument : La guerre est une nécessité, elle permet de garder l’honneur d’un peuple y compris pour les femmes à qui il s’adresse (pour répondre à Andromaque qui lui demandait de faire quelque chose pour les femmes), elle préserve la vie d’un peuple qui risque de perdre sa liberté : « Savez – vous pourquoi vous êtes là, toutes si belles et si vaillantes ? » Les termes « belles et vaillantes » font référence à la possibilité d’être heureuses et libres.

 Il utilise  un raisonnement hypothétique qu’il développe en deux temps pour montrer cette nécessité : « S‘ils avaient été paresseux aux armes, s’ils n’avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elles, c’est vous qui seriez lâches et réclameriez la guerre. » A noter la montée en crescendo des subordonnées hypothétiques (avec allongement  dans le deuxième groupe) puis la chute brutale avec la principale qui est courte et suggère ainsi que l’on se heurte aux nécessités : l’ absence de la guerre entraînerait les femmes à la réclamer.

 2ème argument : La tradition de la guerre est ce qui entraîne le courage des hommes

 « C‘est parce que vos maris et vos pères et vos aïeux furent des guerriers »(l. 23- 24). L’énumération en rythme ternaire rappelle que les guerres existent à chaque génération et qu’elles sont donc consubstantielles à la vie des hommes ; il part des plus proches, les maris, et va aux plus lointains, les aïeux. La guerre est donc une tradition. Elle donne sens à la vie : « cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elle »( l.25 – 27). Les verbes « justifie » et « illumine » montrent que la vie a un autre éclairage et prend un autre sens dans le dépassement de soi pour la patrie. Etre prêt à se battre oblige à se détacher de sa propre vie, à se dépasser  pour atteindre une dimension plus grande qui dépasse le simple destin humain, c’est ce qui donne du courage aux hommes : « Il n’y a pas deux façons de se rendre immortel ici – bas, c’est d’oublier qu’on est mortel »(l. 29 – 30). L’anacoluthe présente comme inéluctable le choix de se battre ; les termes « immortel » et « mortel » se répondent en antithèse.

3ème argument : Refuser la guerre est une lâcheté.

« la première lâcheté est la première ride d’un peuple »( l.40 – 41). Pour Priam, refuser de se battre peut mettre la patrie en danger comme le suggère la métaphore de la ride, signe de vieillesse et donc de faiblesse.

 Priam prône donc la guerre au nom de l’honneur et il considère qu’un peuple est courageux quand se  maintient la tradition de la guerre et que ses hommes méprisent la vie au nom d’un idéal supérieur.

    Les deux prises de position,  argumentées de façon relativement équilibrée, émanent de deux conceptions philosophiques différentes que Giraudoux soumet à la réflexion du spectateur. Andromaque, plutôt humaniste croit en l’homme et à son accord avec la nature, elle refuse une guerre qui vient rompre cet équilibre. Priam, plutôt nationaliste croit en une guerre qui permet à la nation de se maintenir et aux hommes de se dépasser.

 

II Un échange théâtral vivant

 La dynamique d’un dialogue saisi dans le quotidien des héros ainsi que  le choix de personnages et de registres opposés permettent aux idées de s’incarner de façon vivante.

A/  Des personnages opposés : une femme, un homme ; une jeune, un homme âgé ; une épouse

 Andromaque : elle incarne le point de vue des femmes et sa stratégie de persuasion est féminine

-elle parle au nom de toutes les femmes « Si vous avez cette amitié pour  les femmes » (l.2) / « Ecoutez ce que toutes les femmes du monde vous disent par ma voix »(l.3)/ « nos maris » (l.4) « nous les femmes »(l.13)

– elle est lyrique : son exaltation ( exclamatives), son langage poétique( l’image des « entraîneurs vivants et non vivants », la désignation de l’ennemi par la métonymie du  cœur « emprisonné dans sa cuirasse », l’énumération des bêtes + les détails donnés : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous confondons le poil avec les bruyères ») , sa référence à la nature, son implication personnelle (expression de ses sentiments pour Hector : « Chaque fois que j’ai vu tuer un cerf ou un aigle, je l’ai remercié. Je savais qu’il mourait pour Hector »l.17 – 19) et les marques de sa sensibilité.

– elle a recours au pathétique :  cf apostrophe pour apitoyer Priam + supplication « Mon père, je vous en supplie. »l.1) et injonctions larmoyantes (» « Ecoutez ce que … » « Laissez nous…  (l. 2 – 4))

Sa spontanéité, le pouvoir émotionnel de sa prise de parole ainsi que son lyrisme concret touchent le spectateur.

Priam : il incarne le point de vue des hommes, il a un discours viril, il est le chef de la cité ( c’est le roi, celui qui décide de la guerre, qui a la responsabilité des décisions).

  – il répond à toutes les femmes cf l’énonciation où « savez – vous pourquoi vous êtes là » et  il parle au nom des hommes « vos maris et vos pères… »

  – son raisonnement est plus froid que celui d’Andromaque : les termes d’articulation logique mis en avant «  C’est parce que … » (l.23) « S’ils…s’ils… »

 – il adopte un registre didactique : cf questions / réponses, termes affectueux qui placent Andromaque en position d’inférieure « ma petite chérie », maximes avec emploi de présents de vérité générale : «  Il n’ y a pas deux façons de se rendre immortel ici- bas, c’est oublier qu’on est mortel », « La première lâcheté est la première ride d’un peuple ». Ces formules assertives marquent la certitude de celui qui sait et qui explique à celui qui ne sait pas.

  – il a des valeurs masculines : l’honneur, le courage VS la lâcheté.

Priam a une rhétorique moins passionnée que celle d’Andromaque. L’efficacité de son discours vient de sa capacité à renverser les arguments d’Andromaque et à user de formules lapidaires comme celle de sa dernière réplique.

B/ Un échange vivant

– un dialogue pris dans une action puisque leur discussion aura un impact sur les choix qui seront faits : s’engager dans la guerre ou non

– enchaînement d’arguments et de contre – arguments : Priam répond à l’accusation de vouloir faire mourir Hector, Andromaque réplique à l’argument de l’immortalité

– Un dialogue simple entre deux personnes de la même famille cf termes affectueux : « Mon père »(l.1), « Ma petite chérie »(l.21), « Oh ! justement père » (l.31) , « Ma fille » (l.40)

 – Une tolérance et un équilibre des points de vue.

 – Des registres variés : lyrique, pathétique, didactique

  L’échange joue à la fois sur la différence un peu stéréotypée entre le pacifisme féminin et la virilité guerrière et sur le recours à des stratégies argumentatives différentes : Andromaque est davantage dans la persuasion et le lyrisme tandis que Priam est dans la conviction et le didactisme. Ces oppositions ont l’intérêt de faire apparaître nettement les idées et de leur donner vie. Mais l’art de Giraudoux consiste aussi à faire de ce débat ancré dans l’histoire antique une discussion universelle sur la question de la nécessité de la guerre.

La double énonciation théâtrale permet de se demander quel est le point de vue de Giraudoux : l’argumentation de Priam apparaît plus lapidaire, c’est lui qui a le dernier mot mais Andromaque a du talent  et touche fortement le spectateur. Ce qui est sûr, c’est que Giraudoux veut faire réfléchir le spectateur et donner au débat une portée universelle…

 

III Une portée intemporelle et universelle

   La réécriture du mythe infléchit la portée de la réflexion.

A/ Une tragédie antique revisitée

Le mythe grec de la guerre de Troie = moyen de dramatiser une actualité de l’époque et de lui donner du poids.

Andromaque femme d’Hector, Priam, roi troyen évoquent tous deux la célèbre histoire de la guerre de Troie, la guerre de référence des occidentaux.

– le mythe donne à la pièce et à la scène une dimension plus conséquente, il inscrit le problème de la guerre dans une dialectique plus grande que la simple contingence temporelle. Il place l’homme dans un destin qui le dépasse.

B/Une tragédie moderne :

– des personnages de tragédie : un roi, une princesse./ un registre pathétique ( évocation des conséquences de la guerre)

–  Mais un langage familier, des termes affectueux qui ne sont pas du registre de la tragédie.

– Des relations entre les personnages qui sont simples : pas de respect des grades, de l’étiquette

–  des images de référence intemporelles : les images animales chères à Andromaque. Elles placent l’homme dans son rapport éternel à la nature.

C/ Une préoccupation de l’époque : la guerre.

Giraudoux traite de préoccupations de l’époque avec la distance que donne le théâtre. Il donne à réfléchir avec le recul du temps par le choix du mythe. Il évite de traiter les questions particulières pour montrer que la guerre est une question qui dépasse les simples contingences d’une époque mais qu’elle concerne quelque chose de plus profond    / Une réflexion générale sur ce qui pousse l’homme à la guerre : les pulsions meurtrières et l’envie de se sublimer pour atteindre l’éternité.    

      Le choix de la guerre de Troie pour parler des préoccupations de 1935 et le souci qu’ a Giraudoux de mettre au jour ce qui  dans le psychisme humain porte à la guerre confèrent au dialogue écrit dans une langue moderne une dimension universelle qui dépasse le cadre de la tragédie grecque et même celui de l’époque dans laquelle il a été écrit pour prendre une dimension intemporelle.

CONCLUSION : A travers ce dialogue théâtral qui propose un débat entre deux héros de tragédie qui incarnent des positions opposées, Giraudoux exprime la difficulté de délibérer sur la guerre. En effet, les deux points de vue sont argumentés et se justifient mais tous deux font apparaître un certain pessimisme sur la nature humaine animée de pulsions agressives et de volonté de puissance. Le dialogue s’inscrit dans l’histoire antique de Troie mais il prend une dimension plus large grâce à une réécriture moderne du mythe. Dans le contexte de la deuxième guerre mondiale qui se prépare, Giraudoux a voulu atteindre l’universel pour permettre au spectateur de réfléchir et de faire ses choix en toute connaissance de cause. Le théâtre permet de mettre à distance les problèmes pour mieux les juger, Giraudoux estime d’ailleurs, comme de nombreux dramaturges, qu’il a une fonction édificatrice, il disait en 1941 dans son Discours sur le théâtre  : « Le spectacle est la seule forme d’éducation morale et artistique d’une nation. Il est le seul cours du soir valable pour adultes et vieillards, le seul moyen par lequel le public le plus humble  et le moins lettré peut être mis en contact personnel avec les plus hauts conflits, et se créer une religion laïque, une liturgie et sessaints, des sentiments et des passions. »On peut espérer que le théâtre par sa fonction distrayante puisse assumer encore longtemps cette fonction instructive pour peu que le public continue à y aller…

 

 

 

 

28. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Les origines de la Guerre de Troie · Catégories: Première

Vous avez sans doute entendu bien des légendes à propos des origines de la Guerre de Troie : essayons d’y voir un peu plus clair. 

Les origines mythologiques font état d’une dispute entre trois déesses de l’Olympe qui voulurent savoir laquelle était la plus belle. Cette querelle avait été provoquée par la déesse de la discorde, Eris, fille de la Nuit et soeur d’ Arès,le Dieu de la guerre; cette dernière jalouse de ne pas avoir été invitée au mariage de Thétis et de  Pélée avait décidé de semer la discorde entre les invités. Elle laissa donc rouler une  pomme sur la table sur laquelle figurait l’inscription: “à la plus belle femme”  et  aussitôt trois déesses la revendiquèrent  :  Athéna, Junon et Venus;

 Pour pouvoir les départager, on envoya Hermès quérir sur terre, le plus beau mortel; le sort choisit  un jeune berger, le prince troyen Paris et il eut  alors la lourde tâche de les départager; chacune lui promit quelque chose d’extraordinaire : la renommée et le pouvoir pour la reine de l’Olympe ,la gloire sur le champ de bataille pour la fille de Zeus ou l’amour de la plus belle femme du monde. Le fils de Priam choisit l’amour et Venus, la gagnante, lui offrit alors de conquérir la belle Hélène,  mariée au roi grec Menelas. Paris sûr de lui te du soutien divin, capture Helene et la ramène à Troie, conquise et amoureuse.  Mais les  versions du mythe diffèrent : , la belle serait rapidement tombée amoureuse du prince comme dans la version choisie par Giraiudoux; d’autres mentionnent un enlèvement et une demande de rançon. Ménélas, furieux, considère que son honneur a été bafoué et il a demande aussitôt l’aide de son frère Agamamennon ; Alliés par l’outrage qu’on a fait subir à l’un des leurs,  les rois grecs,décident de partir faire le siège de Troie.

Dans l’Olympe, les Dieux sont partagés entre partisans de la cause troyenne , dirigés par Vénus et le camp adverse, qui supporte la vengeance des grecs.   Comme le vent refuse de se lever pour que la flotte grecque puisse traverser la mer , le devin explique à Agammemnon qu’il doit sacrifier sa fille Iphigenie. Ce dernier, après avoir longuement tergiversé, s’exécute et les dieux cléments, remplacent la jeune fille par une biche et  autorisent la flotte à appareiller. Le siège de la cité va durer 10 ans et Homere en raconte tous les détails dans l’Iliade. 

Les achéens subissent d’abord la colère d’Achille qui décide de se retirer du combat , furieux qu’Agamemnon lui ait pris sa captive Briséis; Achille implore alors sa mère Thétis de ne pas accorder de victoires aux grecs tant qu’il ne se battra pas à leur côté; Rendu fou de douleur à la mort de Patrocle, son amant, qui a pris sa place au combat et qui a été tué par Hector, le prince troyen, Achille se décidera à reprendre les armes, ira  défier et tuer Hector,le fera traîner par ses chevaux autour des murailles de la ville,  et sera à son tour, puni pour cet acte qui a offensé les Dieux  et  tué par une flèche décochée par Pâris . Cette flèche va le frapper au talon, seule partie de son corps qui n’a pas ét étendue invincible . D’où l’expression: avoir un talon d’Achille qui signifie posséder une faiblesse secrète.

Chante, ô déesse, le courroux du Péléide Achille,
Courroux fatal qui causa mille maux aux Achéens
Et fit descendre chez Hadès tant d’âmes valeureuses
De héros, dont les corps servirent de pâture aux chiens

Et aux oiseaux sans nombre : ainsi Zeus l’avait-il voulu,     Iliade

Les grecs finissent par faire confiance à Ulysse qui a eu l’idée du cheval de Troie.  Les soldats font semblant de lever le siège et les Troyens se condamnent en faisant entrer dans la ville le cheval rempli de soldat grecs . La ville va être mise à sac et la famille royale massacrée à l’exception de la femme d’Hector , Andromaque qui deviendra la prisonnière du roi d’Empire Pyrrhus, fils d’Achille. Jean Racine, dramaturge du dix- septième  siècle, exploitera cette situation dans la tragédie qui porte le nom de cette héroïne Andromaque . dans la version homérique, le fils d’Hector et d’Andromaque, le jeune Astyanax est précipité du haut des rempart sue Troi alors que Racine lui laisse la vie sauve pour ne faire le centre du dilemme de son héroïne.

 Jean Giraudoux a choisi de montrer l’ambiance à l’intérieur de la cité au moment où la menace de guerre se précise. Il a donc exploité le  scénario du mythe grec en le recontextualisant à partir de la période dite de la montée des périls , en Europe, en 1937 avec comme arrière-plan, la guerre de 14/18 qui a déjà opposé français et allemands et dont on avait prédit qu’elle serait la der des der.

21. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Voltaire répond à ses juges : un plaidoyer éloquent. · Catégories: Première · Tags:

Il fallait imaginer que Voltaire justifiait ses prises de position et ses choix narratifs et idéologiques . Le discours de l’auteur de l’Ingenu devait prendre en compte les accusations proférées à son encontre. Il s’agit de convaincre des juges soit en prononçant un réquisitoire,véritable acte d’accusation, soit en fabriquant un plaidoyer qui est un discours qui vise à défendre un accusé. 

Commençons par reprendre les principaux arguments de ses adversaires; 

Une erreur de cadrage fréquente vous a fait considérer le Dictionnaire Philosophique comme oeuvre de référence pour les accusations alors qu’il s’agissait de défendre la matière de l’Ingénu

N’oublions pas la formule d’introduction qu’on peut faire suivre d’une accroche de type captatio benevolentiae
Messieurs les Juges, de très nombreux lecteurs, vos compatriotes, m’ont fait l’honneur d’acheter mon dernier cont philosophique et son succès prouve que les thèmes que j’y aborde , sous le voile de la fiction, intéressent mes contemporains; Je me présente aujourd’hui devant vous afin de prouver ma bonne foi et pour répondre des accusations qui ont été lancées contre mon livre dans un journal que vous connaissez sans doute et dont j’apprécie particulièrement le style . …; 
Attention, l’ironie est laissée à votre appréciation.
L’accusation d’impiété peut facilement être réfutée en se fondant sur l’omniprésence de la religion dans le conte en particulier et dans les ouvrages de Voltaire en général ; “ Pour quelles raisons , Messieurs, un homme sans religion, évoquerait-il constamment un sujet dont il n’à que faire ?  Si la religion m’inspire autant c’est parce que je cherche à montrer aux hommes leurs erreurs et que je  les mets  en garde contre les dissensions qui surviennent lorsqu’on considère qu’en matière de religion, on détient la vérité; Je crois en Dieu et je me rends à l’église le dimanche pour prier, le prier d’accorder la sagesse aux hommes et la clairvoyance; “ 
C’était le moment de placer une profession de foi déiste de Voltaire.
Les accusations d’obscénité peuvent être contrecarrées à condition de choisir des exemples précis dans le conte; On peut alors jouer sur le sens du mot et proposer d’y voir plutôt des allusions grivoises pour divertir le lectorat  féminin notamment ou , mieux encore, pour sensibiliser les jeunes femmes aux dangers de la fréquentation des Grands ; “Messieurs, au vu de mon grand âge, pensez-vous vraiment qu’il est raisonnable de voir de l’obscénité là où je décris la beauté naturelle d’un corps de jeune homme ?; En effet, mon personnage de Huron doit susciter l’envie parce qu’il représente un mode de vie sain et que sa vigueur est un élément qui me permet , justement de faire l’éloge d’un mode de vie naturel; Si vous y voyez de la concupiscence, c’est peut être que pour vous , la nudité est quelque chose de répréhensible mais sachez bien que tous nous naissons nus au sortir du ventre de notre mère et que les hommes ne se promenaient pas autrement dans l’Eden. ” Quant au commerce charnel auquel se soumet ma pauvre héroïne, j’ai  simplement voulu montrer que lorsqu’on est une jeune femme , les dangers sont encore plus grands lorsqu’on se place dans une position où les faveurs d’un homme puissant paraissent nécessaires ” Je souligne ainsi les dangers de la Cour et de la fréquentation de certains ministres que leurs fonctions peuvent dépraver; En effet, je crois que le pouvoir corrompt et j’ai pu en faire l‘expérience , à mes dépens, lorsque je me trouvais à la cour de Frédéric de Prusse, qui autrefois fut mon ami avant de devenir un tyran.

Les accusations politiques pouvaient être l’occasion d’évoquer subtilement les convictions politiques de Voltaire, son anglophilie , sa croyance en une monarchie parlementaire, un meilleur  équilibre des pouvoirs et une limitation du pouvoir personnel du roi, un modèle idéal de despote éclairé; 
“Messieurs , loin de moi l’idée de critiquer pour le simple plaisir de me montrer irrévérencieux  ; “j’ai toujours eu à coeur , dans mes  nombreux ouvrages, de mêler le plaisir justement à la réflexion et c’est ce qui m’a conduit à faire le choix du conte philosophique; Comme tout ouvrage de fiction, j’ai pu parfois forcer le trait et paraître outrancier  mais le lecteur doit être saisi sous peine de passer à côté de la dimension didactique de mon travail ; Nul n’a songé à critiquer mes tragédies qui pourtant comportent indiscutablement une part de réflexion mais, emporté par le drame, le spectateur oublie parfois l’objet même du conflit tragique; alors que dans le conte, les lecteurs ne s’identifient pas au malheur des personnages et demeurent à distance ; c’est cette mise à distance qui permet justement à la réflexion de s’exercer.
Dernier conseil: n’attaquez pas directement vos adversaires sinon vous vous discréditez;  Jamais d’insultes ni de critiques ad hominem du type : ” Monsieur François Berthier, de toute façon, ne sait ni lire ni écrire …” Vous devez toujours privilégier les faits et vos connaissances pour construire votre argumentation . 
07. décembre 2015 · Commentaires fermés sur L’ingénu est-il un bon sauvage ? · Catégories: Première

Lorsqu’il fabrique son personnage de l’ingénu, Voltaire choisit de mêler différentes influences et de composer un portrait d’étranger bien particulier qui va lui servir à démontrer la sauvagerie de certaines pratiques et les préjugés de ses contemporains; 

Notons tout d’abord la première apparition du personnage au chapitre premier : ” très bien fait , nu-tête, nu-jambes et petit pourpoint, taille fine et dégagée” ; Sa prestance physique impressionne ceux qui le voient et on retrouve , dans ce détail, des références à l’allure des hommes sauvages, que caractérisent la virilité et les qualités athlétiques. Mais notre Huron allie force et douceur avec son “air martial et doux“; Ce qui fait de lui un homme “complet” qui a su conserver sa force ancestrale et y ajouter les moeurs policées de la civilisation comme par exemple la politesse dont il fait preuve. Bien entendu, Voltaire a fait de sa créature un demi-sauvage dans la mesure où dans les veines de ce Huron d’adoption coule du sang breton. La rudesse est donc tempérée par cette ascendance française. Grandir éloigné de la France lui permet de revenir avec un regard neuf et de mettre ainsi, non sans humour, en évidence, les éléments que cherche à dénoncer Voltaire comme l’anglophobie, l’ethnocentrisme et l’intolérance religieuse.

De la figure de Sauvage, Voltaire conserve la force et l’impétuosité et la virilité avec les allusions au modèle d’Hercule.  Son bras vigoureux saisit le prêtre auquel il demande de se confesser et qu’il maintient à genoux avec son large genou . Ses yeux étincèlent et son regard fait trembler l’assistance.De plus, il maintient aussi le contact avec la Nature: le Huron se lève avec le soleil et excelle dans l’art de la chasse (chapitre 2) ; Quand il est triste, il se promène au bord de l’eau et son coeur est agité de mouvements contraires. On retrouve à cette occasion les traces d’une forme d’homme primitif, proche de l’état sauvage mais il sait déjà lire l’anglais.  Ses qualités intellectuelles seront mises en valeur dans la suite du conte : il a une excellente mémoire et “les choses entraient dans sa cervelle sans nuage”;  Plus tard, il fera valoir les droits de la loi naturelle pour pouvoir épouser sa fiancée contre la loi positive et menacer même de mettre le feu au couvent et de se débaptiser si on continue de refuser qu'il épouse celle qu'il aime; sa vaillance est incontestable et son destin d'officier semble tout tracé dès le chapitre 7 , celui de l'attaque des anglais ; arrivé à la cour, il bat les porteurs qui se moquent de lui parce qu'il exige de voir le roi. Lors de son arrestation par la maréchaussée, il est pris de fureur, prend à la gorge ses gardiens et les jette par la portière de la voiture. 

Emprisonné avec Gordon, il évoque la barbarie des Occidentaux “ces coquins raffinés” et renouvelle sa profession de foi déiste. “nous sommes sous la puissance de l’être éternel comme les astres et les éléments ; qu’il fait tout en nous, que nous sommes des petite sortes de la machine immense dont il est l’âme;” Sa religion naturelle est partagée par son créateur , Voltaire dont il se fait ici l porte-parole des idées. Il pose des questions métaphysiques qui embarrassent Gordon “qui nous livre au mal n’est-il pas l’auteur du mal ? ”  Lui même constate les changements qui s’opèrent en lui et déclare qu’il a été changé de “brute en homme” (chapitre XI)  Gordon admire “le bon sens naturel de cet enfant presque sauvage”  qui n’écoute que la simple nature. Lorsqu’il est question ed ses goûts artistiques, il prétend ne juger que d’après la nature et regrette que la plupart des hommes ne s’y fient que très peu . Il se confie à Gordon et lui fait part de son amertume: on lui a ôté sa liberté, et on l’a emprisonné alors qu’il a versé son sang pour la France. La nature en lui est outragée et sa colère paraît juste. Lorsque Mademoiselle de saint Yves vient le délivrer, l’ingénu la remercie et paraît étonné qu’elle se soit souvenue du lui  “je ne le méritais pas , je n’étais alors qu’un sauvage “lui avoue-t-il (chapitre XVIII) . Son séjour en prison et l’enseignement qu’il en tire ont donc contribué à le transformer . Son changement est également souligné par sa bienfaitrice ” ce n’est plus le même homme: “son maintien, son ton, ses idées, son esprit, tout est changé” annonce-t-elle à sa famille. “il est devenu aussi respectable qu’il était naïf et étranger à tout.” . Ll’Ingénu a appris à devenir discret et cette qualité  s’ajoute à “tous les dons heureux que la nature lui avait prodigués ” Néanmoins, à la fin du conte, l’ingénu reprend son caractère qui revient toujours dans les grands mouvements de l’âme, déchire la lettre du frère jésuite qui lui annonçait son invitation à la cour; cette âme forte et tendre à la fois veut attenter à sa vie lorsque sa fiancée meurt, mais on l’en empêche. Il résiste également au désir de tuer Saint Pouange qui devient son bienfaiteur après avoir fait son malheur.Cette image du sauvage qui vit en accord et en harmonie avec la Nature et constate les méfaits de la civilisation  permet aux philosophes de réfléchir sur les rapports entre nature et culture. Voltaire avec son bon Huron poursuit l’enseignement de Montaigne et de Jean de Léry sur la relativité des moeurs . Nul ne doit donc juger autrui en fonction de critères issus de sa propre civilisation; c’est pourtant ce que font les Bas Bretons au début du conte. Toutefois cette figure d’étranger ne cadre pas avec tous les aspects du mythe du bon sauvage car cet indien est un mixte de deux cultures : il sait lire, accepte assez vite les règles de bienséance et s’insère  socialement “devient un excellent officier” La société et son contact n’altèrent pas ses qualités : il utilise plutôt son bon sens pour faire le tri entre ce qui lui semble important et ce qui est peut être du domaine des conventions superflues . (notamment en matière de religion ) . L’Ingénu est un modèle idéal d’ homme naturel, sans préjugés et qui exerce sa raison ; Une sorte de figure idéalisée qui intègre les codes de la société et qui ne se laisse pas pervertir mais chercherait plutôt à réformer les moeurs. 

29. novembre 2015 · Commentaires fermés sur Contes voltairiens : comment finir ? · Catégories: Première

Un conte philosophique poursuit un double but : amuser le lecteur  et l’ instruire.  Cette dimension didactique est souvent illustrée par la fin de l’histoire racontée ; En effet, le sens du dénouement peut être lu à la fois comme la clôture de l’intrigue , la fin des aventures du héros et une leçon de vie.

Pour étudier ces trois dénouements, celui de Zadig, d’Aventure Indienne et de l’Ingénu, nous nous intéresserons d’abord au destin des héros avant d’évoquer la morale du conte. Remarquons tout d’abord que nos trois héros sont de grands voyageurs : Zadig doit fuir Babylone avant d’y revenir pour y régner, Pythagore “voyage à travers le monde pour y apprendre et y enseigner la sagesse” ; Quant à l’Ingénu, il découvre la Basse Bretagne après avoir grandi en Huronien, pays dont il a conservé les enseignements. Ces trois personnages ont donc fait l’expérience de la diversité des moeurs et ont  chacun , été confrontés à l’injustice ou au malheur. Zadig a été accusé injustement et a du s’enfuir pour ne pas être emprisonné; Pytahgore a assisté à un simulacre de procès et a réussi, grâce à ses dons d’orateur, à éviter l’exécution d’Indiens qu’un tribunal souhaitait faire brûler pour les motifs suivants : ” pour avoir dit que la substance de Xaca n’est pas la même que celle de Brama” et ” pour avoir soupçonné qu’on pouvait plaire à l’être suprême par la vertu” ; On voit bien ici que ces sont des prétextes ridicules et qu’il s’agit, à travers cette situation imaginaire, de dénoncer l’intolérance religieuse et les méthodes de l’Inquisition. Cette condamnation des deux Indiens paraît totalement injuste et absurde; L’Ingénu, quant à lui, a été confronté à de nombreuse injustices : emprisonné à tort, il découvre que Gordon est lui aussi emprisonné parce qu’il est janséniste et, sa fiancée pour le libérer sacrifie son honneur et finit par en mourir. Cependant leur destin individuel est fort contrasté car Zadig devient un roi aimé de tous “l’empire jouit de la paix, de la gloire et de l’abondance” ; Il assure la prospérité de son royaume et sur le plan personnel, il est heureux avec celle qu’il aime : la reine Astarté; L’ingénu lui perd la femme qu’il aime et demeure inconsolable mais il a  trouvé un refuge dans l’amitié de Gordon et il devient une figure admirée : “excellent officier” “guerrier et philosophe intrépide” .La réussite de Pythagore n’est que de courte durée car il connaît une fin tragique; L’ironie du sort veut qu’il soit brûlé par des intolérants : “il alla prêcher la tolérance à Crotone; mais un intolérant mit le feu à sa maison” ; C'est le dénouement le plus sombre des trois car il signe à la fois la perte du héros sage et vertueux et le triomphe du Mal.

Après avoir examiné l’évolution des personnages , il faut regarder la morale proposée: Zadig , roi magnanime, récompense tout le monde autour de lui et s’entoure de gens compétents non sans les menacer de se montrer impitoyable s’ils le déçoivent. Il récompense même ceux qui l’on trahi parce qu’il pense ainsi adoucir “leurs douleurs par des présents” ; Pythagore  réussit l’exploit avant de mourir de faire changer d’avis des juges et  des dévotes et l’ironie de Voltaire souligne cet exploit : “et c’est ce qui n’est arrivé qu’une seule fois“; L’ironie avait de même, dans Zadig, souligné la sagesse du pêcheur qui renonce à récupérer sa femme, trait d’humour de Voltaire : “le pêcheur devenu sage ne prit que l’argent “: cela laisse entendre que les femmes font devenir les hommes fous et qu’il est plus sage d’y renoncer. C’est par la force des choses que l’ingénu doit renoncer à celle qu’il aime et le conteur a choisi de montrer , autour du héros, le repentir sincère de celui a fait son malheur, le ministre Saint-Pouange. Ce dernier va s’employer à réparer les tort qu’il a causés, notamment en dédommageant les victimes : c’est ainsi que le frère de Mademoiselle de Saint Yves a droit a un “bon bénéfice”; Plus étonnant, le pète Tout-à -Tous est récompensé par des cadeaux et la dévote , terme ici ironique, garde les boucles en diamant offertes en présent à  la jeune femme pour avoir offert ses faveurs ; cette partie des rétributions paraît donc fort injuste et la morale est ambiguë  : Malheur est bon à quelque chose signifie qu’on peut tirer des effets bénéfiques d’un malheur mais on conserve quand même l’idée de la présence incontournable des malheurs; Sauve qui peut peut également être interprétée comme un cri de panique généralisé ou là encore rappeler qu’on n peut sauver tout le monde et que les justes sont parfois victimes de l’injustice la plus meurtrière. Nous sommes désormais bien loin de l’enthousiasme qui suit le triomphe de Zadig: ” On bénissait Zadig et Zadig bénissait le ciel ”  Le chiasme reflète ici l’accord parfait entre l’homme et la divinité : cet accord sera brisé dans les deux autres contes et le Ciel ne sera d’aucun secours à Pythagore ; Quant à l’Ingénu, c’est le temps qui apaisera sa douleur.

16. novembre 2015 · Commentaires fermés sur L’ingénu toujours en prison fait des progrès … · Catégories: Première · Tags:

Le chapitre XIV du conte nous révèle les progrès accomplis par notre héros , au contact du vieux et sage Gordon; Voyons plutôt comment son esprit s’est fortifié et ce qu’il a appris en quelques semaines. Quelles questions pourrait-on vous poser sur cet extrait ?

 Vous lirez dans les chapitres précédents ….

Embastillé depuis plus d’un an, notre héros emploie l’essentiel de son temps à lire et à discuter avec Gordon.Après la géométrie, il découvre la philosophie de Malebranche et ne partage pas l’idée selon laquelle toute idée émane de Dieu; Gordon lui résume les grands mythes des origines de l’homme et du mal sur terre mais ils ne parviennent pas à se mettre d’accord.  L’esprit du jeune homme se fortifie de plus en plus mais la pensée de Mademoiselle de Saint Yves le distrait et l’empêche de progresser en mathématiques. L’histoire l’attriste car “elle n’est que le tableau des crimes et des malheurs” (chap X) ” Le monde lui parut trop méchant et trop misérable” . Seule l’histoire romaine trouve grâce à ses yeux et notre héros ne comprend pas pourquoi les nations se dotent d’origines fabuleuses. Il rappelle la phrase que le romancier Marmontel attribue à son héros Bélisaire général de l’empereur Justinien : ” La vérité luit de sa propre lumière et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers.” Gordon admire le “bon sens naturel de cet enfant presque sauvage” Tous deux sont d’accord pour condamner vivement les critiques , qualifiés d’ “excréments de la littérature”. Le narrateur compare son personnage à des “arbres vigoureux qui , nés dans un sol ingrat, étendent en peu de temps leurs racines et leurs branches quand ils sont transplantés dans un terrain favorable.” L’Ingénu découvre Molière qui l’enchante avec une préférence pour Tartuffe qui dénonce l’hypocrisie des faux dévots; Il aime par dessus-tout les vers des tragédies de Racine alors qu’il garde les yeux secs quand il lit les pièces de Corneille.  Le chapitre que nous allons analyser est présenté sous l’aspect d’un dialogue philosophique entre Gordon et l’Ingénu: Les thèmes abordés sont la morale, les vérités en matière de religion et l’injustice de leur captivité.                    
 Commentaire composé : vous rédigerez l’introduction et imaginerez la problématique qui peut être traitée à l’aide de ce plan
De l’ Ingénu faisait des progrès … libre cours à sa juste colère…(voir texte photocopié)
  1.  Quelque pistes : Un dialogue argumentatif : des techniques de philosophie /questions/réponses, la dispute socratique et la maïeutique
  2. Le renversement des rôles : l’Ingénu devient un maître à penser et influence le sage Gordon, un éloge de l’homme naturel qui rejoint  certaines réflexions autour du mythe du bon sauvage . Un ton polémique et critique : dénonciation du fanatisme religieux et de l’arbitraire de la justice

Voici quelques analyse pour vous  aider à rédiger l’une des parties ..à partir de ces 12 points, à vous de les répartir au sein d ‘un plan détaillé  et d’en trouver d’autres..

  • la trempe de son âme : connotation laudative, esprit fort : Voltaire met en parallèle l’inné et l’acquis; l’éducation ne suffit pas à forger une belle âme; âme au sens d’esprit, personne.
  • l’absence de préjugés est un atout comme l’exprime la métaphore de la rectitude : son entendement n”ayant point été courbé; les préjugés nous déforment et modifient nos pensées, les infléchissent dans le mauvais sens: usage de termes scientifiques issus de la géométrie 
  • importance de l’éducation : “les idées qu’on nous donne dans l’enfance” : un préjugé se forme avant l’apparition de l’esprit critique vers l’adolescence. les philosophes des Lumières accordaient donc beaucoup d’importance à la qualité de l’éducation.
  • chimères : le mot à connotations négatives désigne des idées mensongères, des illusions : Gordon réalise qu’il s’est peut être trompé en accordant trop de crédit à l’idéologie janséniste; pries de conscience de Gordon provoquée par le raisonnement te la démonstration de l’Ingénu 
  • Voltaire fait l’éloge de l’homme naturel et emploi des expressions laudatives : progrès rapides,voyait les choses comme elles sont ; ce vocabulaire s’oppose aux connotations négatives liées à l’erreur 
  • les paradoxes sont nombreux et c’est un moyen d’attirer l’attention du lecteur: ce jeune ignorant instruit par la nature, vérité obscures et faussetés obscures..comment peut on à la fois être ignorant et instruit? comment une vérité peut elle paraître obscure ? 
  • la métaphore de la Lumière, assimilée au Savoir : si cette vérité était nécessaire comme le soleil l’est à la terre, elle serait brillante comme lui; pour Voltaire, dans le domaine religieux, il n’existe pas de vérité et rien ne peut être démontré; les religions qui prétendent imposer leur point de vue et leurs vérité sont ainsi assimilées à des sectes. “tout secte me paraît le ralliement de l’erreur ” Les arguments de l’ingénu ont pour but de démontrer que le mot vérité ne peut pas être employé dès qu’il s’agit de croyance et que les religions divisent les hommes qui ne parviennent pas à se mettre d’accord : ” ils sont trop partagés sur les vérités obscures” ; Voltaire montre ici que  les querelles religieuses lui semblent vaines, nocives et totalement inutiles. 
  • les parallélismes de construction sont une arme efficace dans l’argumentation : “je vous plains d’être opprimé mais je vous plains d’être janséniste.” Les bourreaux catholiques jésuites sont dénoncés ainsi que leurs méthodes (jeter leurs opposants en prison) mais Voltaire condamne également les prises de position jansénistes en montrant qu’ils s’accrochent à de fausses idées.
  • L’Ingénu se transforme en professeur de déisme et c’est lui qui tente de convaincre Gordon avec des questions philosophiques qui reposent sur des hypothèses : “S’il y avait eu une seule vérité cachée dans vos amas d’arguments qu’on ressasse depuis tant de siècles, on l’aurait découverte sans doute.” cet argument logique prouve qu’il ne peut y avoir de vérité en matière de religion ; notez au passage qu’amas et ressasse ont des connotations péjoratives qui renforcent la critique des partis religieux. Notez également l’ironie véhiculée ici par l’expression “sans doute” qui signifie assurément 
  • Voltaire établit néanmoins une différence entre les jansénistes et les jésuites : les premiers sont qualifiés de peu sages et les seconds de monstres car ils commettent le mal , tuent et persécutent d’autres hommes pour des dogmes sur lesquels ils ne sont pas d’accord; les jansénistes sont comparés à des fous et c’est finalement le doute qui s’empare de Gordon
  • j’ai perdu mes jours à raisonner sur la liberté de Dieu et du genre humain; mais j’ai perdu la mienne.” Voltaire traduit ici le scepticisme de Gordon et montre l’injustice de la captivité comme dans la suite du passage.
  • On condamne les hommes sans les entendre ! critique de la manière dont l’Ingénu a été arrêté sans jamais pouvoir se justifier donc de l’arbitraire de la justice quand elle est soumise aux lettres de cachet (qui ont été supprimées en Angleterre ) En 1769, l’Habeas Corpus Act protège tout citoyen anglais des arrestatiosn arbitraires et Voltaire considère qu’il s’agit d’un progrès considérable. On retrouve d’autres références à cette justice arbitraire comme “Nous voici tous les deux dans les fers sans en savoir la raison et sans pouvoir la demander.” 
Rédigez intégralement la conclusion de ce passage…
16. novembre 2015 · Commentaires fermés sur Sauvages en images · Catégories: Première · Tags:

Pour comprendre les peurs et les réactions des hommes de la Renaissance face aux étrangers,  aux peuples inconnus , il faut comprendre ce que signifiait pour eux homme sauvage.  Ce billet reprend les principales évolutions du concept d’homme sauvage avant que les philosophes des Lumières , et notamment Rousseau et Voltaire, créent le mythe de l’homme sauvage aux qualités naturelles.

Les hommes du Moyen-Age assimilent souvent les hommes sauvages à des créatures diaboliques, monstrueuses associées à l’animalité et au monde nocturne comme les loups-garous, les ogres cannibales , dévoreurs d’enfants et autres créatures infernales, mi homme mi animal,  à la force surhumaine menaçante. Les
représentations de
l’Homme sauvage varient
suivant les époques , mais de manière constante il pose le problème
de la société qui
pense
s’être éloignée d’une
nature
qui
lui est devenue étrangère, et qui
tente
de rétablir un lien avec
les puissances naturelles .Toutefois, cette
figure de l’homme sauvage n’aurait pas survécu si elle n’avait pas
été chargée d’un sens
politique et
religieux

. En Europe
,on
retrouve des peurs universelles sous
certaines représentations  :
l’homme
craint l’épaisseur et
le mystère des forêts qu’il peuple de figures sauvages comme les
sauvageons , les hommes-arbres ou hommes souterrains (nains), les
hommes -animaux comme les garous ou les centaures.

Dans
l’iconographie française, du Moyen-Age on
représente l’homme sauvage
sous la forme d’un homme
habillé de peaux de
bêtes
,
voire lui-même velu. On s’entend généralement sur l’idée que
cette figure est négative : elle
représente politiquement
et sociologiquement
le
regard méprisant, de l’aristocratie

sur le paysan, proche de la nature, mi-homme, mi-bête, et quasiment
encore païen.L’assimilation mythologique
de l’Homme sauvage au Chasseur sauvage est possible
dans certaines régions d’Europe du Nord où on
y voit une survivance de la métamorphose du dieu germano-scandinave
Wotan.

Le
chasseur sauvage serait un homme qui a bravé un interdit ou un
tabou, par exemple la chasse ou la consommation d’un animal tabou. Il
reviendrait
en esprit, traversant les airs comme Wotan, à la tête d’une armée
de morts métamorphosés en bêtes sauvages. (voir
illustration en tête du billet). D’autres interprétations
religieuses sont en concurrence : dans l’occident chrétien ,
lors du
Carnaval, l’Homme Sauvage est parfois vêtu d’un pagne de peaux de
bêtes, de feuilles, et porte un petit arbre, le ” mai “.

A
partir du début du XVIe siècle, l’Homme sauvage devient en
Allemagne notamment la représentation symbolique et valorisante de
l’antiquité , faite d’une société de moeurs simples et justes et
de courage : les tribus au fond de leurs forêts primitives, ont
résisté à mains nues avec succès aux Romains bien armés mais de
mœurs dissolues. On célèbre donc avec cette figure le culte des
Ancêtres courageux et rustiques. La représentation de l’Homme
Sauvage, vêtu d’un bout de peau de bête et armé d’une massue,
reprend l’image d’Hercule et établit le mythe d’une antiquité
vraie, fondée sur la pureté des modes de vie ; Cette idéologie
servira aux philosophes des Lumières pour opposer la sagesse
naturelle des hommes sauvages
et la dépravation, la
corruption des sociétés occidentales qu’ils jugent décadentes et
perverties . (c’est le mythe du bon sauvage)

La
propagande des humanistes
de la Renaissance

explique la popularité (ou plus exactement la non-censure) du thème
dans les cortèges paysans, et le nom du ” Sauvage ” donné
à des enseignes de tavernes, à des statues de fontaines, à des
rues.Les
hommes de la Renaissance , confrontés aux peuplades indigènes,
durent renoncer à ces fantasmagories mais elles étaient très
présentes dans leur imaginaire. L’homme sauvage peut donc incarner
soit une menace car il est fort et réfrène difficilement ses
instincts, soit l’idée d’un passé légendaire qui nous renvoie à
nos origines.

Aujourd’hui
on assiste à un renouvellement des sens du terme Sauvage et
l’univers de la publicité, par exemple, exploite les connotations
positives
du
mot avec l’image de Johnny Depp qui vante les mérites d’une eau de
toilette, dans un désert, entouré de fauves, tatoué comme un
chasseur d’une tribu primitive.

Dans
l’ Ingénu, Voltaire a construit son personnage en reprenant
certaines caractéristiques de l’homme sauvage ; la force
physique, la virilité et le goût du combat mais il apprend à
dompter sa nature sauvage pour devenir un homme accompli et
raisonnable, un
vrai philosophe qui a su contrôler ses instincts et devenir
civilisé, en ne gardant que le meilleur des moeurs qu’il observe.

22. octobre 2015 · Commentaires fermés sur L’ingénu en prison : lecture analytique n°2 · Catégories: Première

Notre héros s’est fait embastiller à cause de lettres de dénonciation et il fait la connaissance du vieillard Gordon, un prêtre catholique janséniste emprisonné depuis deux ans.

Situation 
du passage 
; il s'agit du début du chapitre X ;
après avoir été enfin reçu , à Versailles, par le commis de
Monsieur Alexandre, lui même commis de Monseigneur de Louvois,
ministre de la guerre, ,l’Ingénu est arrêté par la maréchaussée
et jeté en prison il se sent bien mal récompensé des services
rendus à la France ; il ignore alors que deux lettres
accusatrices sont arrivées en même temps que lui ; la première
adressée au Père de La Chaise par l'espion jésuite qui a dîné
à Saumur relate qu'il a pris le parti des huguenots ; la
seconde écrite par l'abbé de Saint Yves le décrit comme un
dangereux criminel qui cherche à « brûler les couvents et
enlever les filles 
» . Dans sa cellule de la Bastille , il
fait la connaissance de Gordon, un solitaire de Port Royal.

Analyse
du passage à étudier

La
composition de l’extrait ?

Le
passage est composé d’un mélange de style direct, une bonne
partie de dialogue et quelques commentaires du narrateur. On
y retrouve le regard de l’Ingénu, ses nombreuses questions, son
étonnement qui nous font comprendre ce que pense Voltaire de
l‘idéologie
janséniste.

L’accueil
du prisonnier est chaleureux : le chapitre débute par des
paroles de bienvenue de Gordon dont les effets sont plaisamment
soulignés par Voltaire : il compare, en effet, le discours
de Gordon à des gouttes d’Angleterre , un
puissant remède qui permet de lutter contre les étourdissements.

Le
jansénisme remis en cause ?

Le
vieillard , qui tient des propos dramatiques, se veut pourtant
rassurant car il semble s’en remettre pour tout à la volonté
divine : Dieu , selon la théorie janséniste, pourvoit au salut
de l’Ingénu et tout ce qui lui arrive est voulu par Dieu (doctrine
de la providence dite aussi providentialisme) : ce
discours qui résume le point de vue des jansénistes est aussitôt
contredit de manière humoristique par l’Ingénu qui évoque une
intervention diabolique pour justifier la suite de ses malheurs ; 
« je crois que le diable s’est mêlé seul de
ma destinée 
»
(l  28 ). Les jansénistes
refusent, en effet de croire que Dieu peut être à l’origine du Mal
et ils justifient les malheurs par une volonté divine dont la cause
nous est inconnue. Ainsi Gordon explique à l’Ingénu que tout ce qui
lui est arrivé : « du lac Ontario en Angleterre et en
France..
 » est arrivé pour son salut.

Quand
il évoque le destin tragique de ceux qui « partent d’un
hémisphère pour aller se faire tuer dans l’autre » o
u
de
«  ceux ‘qui sont mangés des poissons »
l’Ingénu affirme « je ne vois pas les gracieux
desseins de Dieu sur tous ces gens là
 » :
cette répartie satirique
du héros montre bien
que
Voltaire critique ici la position de ceux qui prétendent
comme Gordon que les malheurs comme les bonheurs sont nécessairement
voulus par Dieu ; gracieux ici doit être compris comme
un renvoi à la doctrine de la grâce telle que la conçoivent les
jansénistes.

Le
personnage de l’Ingénu émet ainsi des réserves sur l’idéologie
janséniste et notamment sur les explications que les jansénistes
fournissent aux hommes pour les consoler de leurs malheurs ; la
devise de Gordon : «  Adorons la Providence qui nous y
a conduits , souffrons en paix
 » n’est pas du tout
celle que Voltaire avait adopté.

On
retrouve ainsi le prolongement de la critique des positions de
Leibniz dans Candide. En effet, Pangloss professait lui aussi
que tout est toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes mais
les malheurs du héros Candide comme ceux de notre Ingénu, prouvent
le contraire. « Je suis à la vérité bien surpris d’être
venu d’un autre monde pour être enfermé dans celui-ci sous quatre
verrous avec un prêtre
 » fait remarquer malicieusement
le héros. L’étonnement de l’ingénu marque ici , comme dans
l’ensemble du conte, la réprobation de Voltaire contre de
telles doctrines.

L’opposition
sauvages /civilisés ?

Voltaire
en profite, dans ce passage, pour se moquer de l’opposition entre
gens civilisés et sauvages : les premiers , essentiellement les
européens, sont qualifiés de « coquins raffinés » :
ils dissimulent leur cruauté sous des artifices alors que les
peuples des nations supposées « sauvages » sont
des « gens de bien grossiers » c’est à dire
incapables de faire le mal avec autant de raffinement. L’ingénu ,
lorsqu’il évoque les Hurons les nomme « compatriotes
d’Amérique
 » et les considère comme incapables de se
comporter comme des Européens : « ne m’auraient jamais
traité avec la barbarie que j’éprouve » .
L’auteur
va ainsi contre les idées reçues qui font des Sauvages des barbares
et des Européens des êtres civilisés, aux mœurs plus raffinées.
Le raffinement s’opère dans le Mal.

Le
personnage de Gordon 
? ( vu en classe)

il
est présenté comme un saint homme ; ses qualités sont citées
en premier lieu ainsi que ses aptitudes  : « supporter
l’adversité et consoler les malheureux »

Il
a l’air sympathique et réserve un accueil chaleureux à l’Ingénu :
« air ouvert et
compatissant
« 4 ; il
l
’embrasse l 5 ; néanmoins on
remarque une pointe d’ironie car il lui expose les faits de manière
dramatique en décrivant le cachot comme un « tombeau »
et évoque leur situation au moyen d’une hyperbole
à
caractère religieux : un
abîme infernal 
» ; (8) Ces paroles
n’ont donc rien de rassurant et l’attitude de ce personnage peut
sembler quelque peu étonnante : il ne se plaint jamais, demeure
« frais et serein » (1) comme si son
incarcération ne laissait aucune trace sur son visage ; et fait
preuve d’un stoïcisme à tout épreuve ; l’affirmation « je
n’ai jamais eu un moment de mauvaise humeur
 »
(47) peut toutefois nous intriguer et mettre en évidence une
exagération qui trahit le côté caricatural du personnage ;
c’est en fait à certains aspects du jansénisme que Voltaire
s’attaque à travers le personnage de Gordon.

Quelle
critique du
jansénisme ?
:

Dans
la suite du conte, Voltaire montrera que Gordon s’humanise et
apprend à ressentir des émotions ; Voltaire reproche aux
tenants de cette doctrine de se considérer comme des « machines de la providence » et d’oublier un
peu leur dimension d’êtres humains. D’ailleurs l’ Ingénu reprend
ironiquement le terme machine pour désigner l’être humain
dans sa globalité quand il demande à Gordon , un peu plus loin
« pourquoi sa machine était depuis deux ans sous
quatre verrous.
 » Le terme philosophique machine est à
prendre ici au sens de mécanique, sans âme ; L’affirmation
de Gordon : « tout est physique en nous »
est à relativiser ; en effet, l’homme ne se réduit pas à
une simple enveloppe corporelle ou à une simple suite de réactions
chimiques ; il est composé d’un corps et d’un esprit et
d’une conscience qui lui font dépasser sa condition de
« machine »

Voltaire
rappelle également au cours de la conversation des deux prisonniers,
la querelle de la grâce efficace qui selon Gordon est la cause de
son emprisonnement ; à la différence des jésuites, les
jansénistes pensent que seuls les élus de Dieu seront sauvés et
que l’homme ne peut acquérir seul son salut simplement par ses
bonnes actions ; ils croient en la théorie de la prédestination
que combat fortement Voltaire ; en effet, le patriarche de Ferney est un homme de combat et il ne conçoit pas qu’on puisse accepter l’injustice sans réagir et sans lutter. Voltaire reproche à ceux qui comptent sur Dieu pour agir à leur place de ne pas faire usage de leur liberté . 

L’importance
du contexte historique ?

En
réalité, au dix-huitième siècle, à l’époque où Voltaire
rédige son conte philosophique, les jansénistes sont surtout
soupçonnés d’être des opposants politiques au pape dont ils
contestent la suprématie et surtout de compter dans leurs rangs de farouches opposants   à la monarchie absolue ;
ils sont  plutôt favorables à une monarchie de type parlementaire et
défendent la liberté de la justice par rapport au pouvoir
exécutif ; C’est pour ces raisons que le pouvoir politique les
a combattus et exterminés, en se servant  de querelles religieuses
qui apparaissent davantage comme de simples prétextes.

Les
parlements
et notamment celui de
Paris
sont en rébellion constante contre le pouvoir monarchique.  L’action
en faveur du jansénisme prend donc toute sa place dans leurs luttes.
D’ailleurs, l’arme des jansénistes pour contester, à la fois le roi
et le pape est une arme juridique . Il s’agit de protester contre une
injustice, de dénier au pape ou à un évêque le droit d’exercer
son autorité sur un point précis. Les appelants portent leurs
revendications devant le Parlement, organe de justice où les
magistrats jansénisants déploient alors leur art oratoire et un
arsenal juridique important pour mêler la question janséniste à la
défense de l’indépendance des parlements et s’accorder le soutien
des parlementaires gallicans , réfractaires au pouvoir royal[.
Sur le plan quantitatif, le poids des jansénistes est modeste. Pour
Paris, il s’agit d’environ un quart des magistrats dans les années
1730.

La vision de l’Ingénu ?

Ce
personnage, grâce à ses remarques et à ses interventions, permet à
Voltaire de donner son point de vue sur les querelles religieuses et
leur inanité. Il montre ainsi à quel point les dogmes
rendent les hommes prisonniers de leurs différences alors que s’ils
faisaient preuve d’un peu plus d’ouverture d’esprit, ils se
rendraient compte que derrière les querelles religieuses sont tapies
les querelles politiques et que les puissants se servent souvent des
différences pour diviser les hommes et les utiliser en leur faisant
croire qu’ils sont au service de leur cause. Voltaire dénonce le
machiavélisme des gouvernants en montrant ironiquement
comment le roi passe pour un pénitent du père de La Chaise
dont le nom rappelle d’ailleurs l’activité principale des jésuites:’écouter les confessions des grands (qui s’effectuent sur des
chaises qu’on appelle des Prie-Dieu-) et ainsi, en connaissant parfois leurs secrets et leurs doutes, de posséder une forme
d’influence sur eux.

L’ingénu
est donc un personnage qui grâce à son « grand
fonds d’esprit 
» va révéler certaines
vérités cachées. On dit de ces personnages qu’ils ont une
fonction déceptive :ils révèlent ce qui était caché sous des apparences
trompeuses. Voltaire montre également son désir d’apprendre et la
nécessité de transmettre un savoir acquis pour permettre à la
connaissance de progresser grâce notamment au développement de
l’esprit critique. L’Ingénu va ainsi faire de « profondes
réflexions
«  sur ce qu’il apprend : « dont
il semblait qu’il avait la semence en lui-même. »
Les  intuitions ne suffisent pas: il faut les faire accéder à la conscience et les exprimer clairement grâce à la connaissance.

D’ailleurs
l’Ingénu admet qu’il a besoin de réfléchir : « je
fais réflexion 
» dit-il et il finira , un peu plus loin
dans le passage par conclure que tout ceci lui paraît « bien
étrange 
»

Les
cibles de la critique ?

Certains
points de la doctrine janséniste , le fait de toujours vouloir
justifier les malheurs par une cause divine, les lettres de cachet ,
la Providence.

21. octobre 2015 · Commentaires fermés sur Voltaire et la religion · Catégories: Première · Tags:

Eduqué par des jésuites, partisan de la cause protestante, adversaire des thèses jansénistes, du dogmatisme et du providentialisme, Voltaire est un  déiste théiste..lisez plutôt ces questions/réponses ..

Quelle est l’attitude de Voltaire vis-à-vis des religions
officielles ?

→ Voltaire est critique à l’égard de toutes les religions
officielles qu’il considère comme des SECTES cf. L’Ingénu,
chapitre 14 ; Dictionnaire philosophique, article
« Secte » : « Toute secte, en quelque genre
que se puisse être, est le ralliement du doute et de l’erreur »,
« Il n’y a point de secte en géométrie », « Quand
la vérité est évidente, il est impossible que s’élèvent des
partis et des factions ».

≠ sens actuel (Groupement organisé dont les membres ont adopté
une doctrine et des pratiques différentes de celles de la religion
majoritaire ou officielle).

Voltaire est-il athée pour autant ? NON : il est
déiste ou théiste, religion qu’il définit dans l’article
« Théiste » du Dictionnaire philosophique.

► Qu’est-ce que le théisme ?

) : le théiste croit en
l’existence d’une force supérieure qui fait le bien sur terre.

  • Définition de l’ « Être suprême » se fait en
    termes d’ACTION : on est dans le visible, le factuel,
    l’objectif et non dans une définition métaphysique.

→ être créateur de tout ce qui existe sur terre.

→ être qui agit (punit et récompense) mais son action est
raisonnable (≠ fanatisme).

un Dieu en quelque sorte  « qui punit sans
cruauté les crimes // et récompense avec bonté les actions
vertueuses » : é

→ le Dieu du théiste est un Dieu qui agit raisonnablement, avec
mesure // attitude philosophique.

le théisme est une attitude de croyance envers une force
supérieure qui agit raisonnablement.

Le théiste n’a pas la prétention d’expliquer les motivations
de Dieu .

  • Le théiste ne cherche pas à comprendre le fonctionnement de la
    Providence car cela dépasse ses capacités.

Le théisme est aussi une attitude d’humilité face à Dieu.

le point commun entre les religions étant la croyance en
Dieu, Voltaire propose d’en faire le principe d’une religion
universelle.

  • Théisme présenté comme la religion « la plus ancienne et la
    plus étendue » :
    avant les « systèmes », il y a une croyance et celle-ci
    est la même pour tous..

le théisme a pour principe de réunir les hommes autour du
même sentiment d’adoration de Dieu → utilité sociale.

  • Profession de foi du théiste :
    la religion doit faire le bien dans la société.

  • « Faire le bien, voilà son culte ; être soumis à Dieu,
    voilà sa doctrine »

le théiste préfère l’action à la discussion 

CONCLUSION : Qu’est-ce que le théisme ? 

Le théisme est une religion épurée, sans dogme ni rite. C’est
une religion qui assume son rôle de lien social.

Ses grands principes sont :

  • l’affirmation simple de l’existence d’un Dieu créateur.

  • l’utilité sociale de la religion.

  • l’absence de cérémonie mais l’adoration et la justice.

    Dans L’Ingénu, Voltaire dénonce le dogmatisme des catholiques qui font passer le respect des rites avant le bonheur de leurs proches (exemple ; ne pas pouvoir épouser sa marraine ); Il dénonce aussi l’aveuglement de la politique de Louis XIV, fortement influencé par le parti dévot (ultracatholique composé de jésuites influents); le roi a restreint la liberté religieuse en révoquant l’édit de Nantes en 1685 et a ainsi provoqué l’exode massif de sujet protestants qui refusaient de es convertir; Les soldats tentaient parfois de convertir les hérétiques par la force et de nombreuses familles prirent alors la fuite . C’est cette situation qui est évoquée dans le chapitre 8 : le dîner à Saumur.  Voltaire se moque également des différences entre le texte littéral de la Bible et l’évolution du culte ; Alors que Jésus prône la pauvreté et le partage, certains dignitaires catholiques se montrent cupides et avides de pouvoir comme le Père de La Chaise et le père Tout-à-Tous.  En pièce jointe, un tableau qui résume les différences entre catholiques et protestants (le point sur la religion)

    Lisez la avant de débuter le QCM…