04. avril 2020 · Commentaires fermés sur Baudelaire face au Temps : La représentation du temps dans l’Ennemi, Chant d’Automne et L’horloge. · Catégories: Première · Tags:
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Ces trois poèmes extraits de la même section des Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, nous renvoient justement à cette notion de Spleen qui hante la poésie baudelairienne. Le poète y décrit le Temps comme un ennemi que l’homme affronte continuellement dans un combat sans merci . Nous verrons que les poèmes nous présentent souvent symboliquement une forme de combat  de l’homme contre le temps avant d’analyser la présence de la souffrance et les représentations personnifiées du Temps. 

En effet, l’homme affronte un ennemi puissant et ce combat peut revêtir différents aspects. Dans l’Horloge , le poète se sent menacé et il devient la cible du temps qui lui “plante ” ses aiguilles dans son “coeur plein d’effroi” . Dans L’ ennemi le combat semble déjà avoir eu lieu et s’être soldé par la défaite du poète  car il a été ravagé et il reste en son jardin “bien peu de fruits vermeils” ; Enfin dans Chant d’Automne , le poète sent son esprit “pareil à la tour qui succombe” signe d’une défaite imminente ; Le temps est assimilé à une arme redoutable: “un bélier infatigable et lourd”  . Les dégâts apparaissent sous plusieurs formes : le jardin endommagé est déformé car “l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux” dans L’Ennemi et dans l’horloge l’homme est dévoré et font par mourir au dernier vers .

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Salvador Dali 

La présence du champ lexical de la mort atteste le point culminant de cette souffrance : l’homme est d’abord effrayé; on retrouve le mot “effrayant ” et “effroi” dans L’Horloge; on voit le poète frémir dans Chant d’Automne et être gagné par le froid qui annonce “la tombe avide” mais il semble avoir un sursis et pouvoir goûter un peu de douceur avec la consolation de l’amour qui n’est pas aussi présent dans les autres poèmes, plus sombres. Enfin dans L’Ennemi, la souffrance prend la forme d’un orage dévastateur et s’exprime surtout dans le dernier tercet avec la répétions de Douleur précède d’un O lyrique . Baudelaire y décrit le Temps comme un Vampire qui “nous ronge le coeur et du sang que nous perdons croit et se fortifie” .

Ce paradoxe final annonce une personnification courante du temps en monstre dévorateur et particulièrement sous l’aspect d’une créature vampirique. Ce vampirisme est mêlé à la figure du dieu cruel dans L’Horloge, un dieu dévorateur qui ressemble à un insecte qui “pompe ta vie avec ma trompe immonde” ; vampire et monstre également dans L’Ennemi comme nous l’avons vu avec “le temps mange la vie.”  Seul Chant d’Automne dénote sur ce point avec des images plutôt de pétrification “mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé” et le symbolisme des saisons y est peut être plus utilisé que dans les autres poèmes avec les froides ténèbres qui symbolisent l’approche de l’hiver et de la mort et cette lumière disparue de l’été qui marque la fin de la jeunesse ou du bonheur . 

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Pour représenter la fuite du Temps et le combat de l’homme confronté à son vieillissement et à la peur de la mort, Charles Baudelaire a eu recours à des symboles classiques comme les Saisons ou la personnification du Temps en monstre dévorateur et chacun de ces trois poèmes illustre bien une facette de son Spleen et de sa souffrance existentielle. Chant d’Automne est le plus mélancolique et le registre élégiaque s’y entend de manière feutrée alors qu’on ressent une dimension plus tragique dans l’Ennemi et dans l’Horloge.

 

04. avril 2020 · Commentaires fermés sur L’Horloge de Baudelaire : l’image du Temps · Catégories: Commentaires littéraires, Lectures linéaires, Première · Tags:
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Lorsque Baudelaire publie son recueil Les Fleurs Du Mal en 1857, il se situe encore au carrefour de trois influences majeures pour la poésie  au dix-neuvième siècle : le romantisme qui privilégie l’expression personnelle des sentiments, le symbolisme qui s’efforce de révéler le sens caché des choses au moyen des symboles ; l’expression des sentiments devient alors indirecte; et le Parnasse qui accorde une attention particulière à la forme et refuse l’engagement de l’Art ainsi que le préconise Théophile Gautier, son chef de file, dans une formule originale : “il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien” 

L’Horloge clôt la section du recueil intitulée “Spleen et Idéal” et il a pour thème principal le Temps . Comment le poète a-t-il choisi de représenter le Temps  qui passe ?   Plus »

04. avril 2020 · Commentaires fermés sur Le poète doit-il sortir de sa tour d’ivoire et ouvrir la fenêtre sur le monde pour descendre dans la rue ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Divers · Tags:
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 Voilà la question qui va servir de support à une dissertation sur le sujet du rôle du poète dans la société . Qu’est-ce que la poésie et qui sont le poètes au fil des siècles ? Comment conçoivent-ils leurs rapports avec la société, l’art , la politique? pas facile de répondre à ces questions d’une seule voix car les poètes ne sont pas tous d’accord entre deux sur les réponses à apporter. La connaissance de l’histoire de la poésie ainsi que la connaissance de ce qu’ont dit les poètes à propos de leur art , sont deux réservoirs d’idées à partir desquels vous pourrez articuler votre réflexion personnelle qui servir are base à la démarche de la dissertation. A partir du document ci -dessous, vous allez pouvoir résumer les positions de quelques poètes du dix-neuvième siècle comme Baudelaire, Rimbaud, Gautier, Mallarmé. Lisez le document et effectuez des regroupements qui finiront par composer un plan de dissertation 

Au cours du XIXe siècle, certains écrivains récusent l’engagement politique et social de leurs prédécesseurs, les « prophètes » romantiques, pour se replier sur des valeurs esthétiques et formelles. Cette « dépolitisation de la littérature »  réagit à l’avènement au pouvoir, dès 1830, de la bourgeoisie conservatrice. Charles X restaure la censure et la liberté d’expression est menacée.Théophile Gautier est le fondateur de la doctrine de l’art pour l’art. Dans la préface de Mademoiselle de Maupin (1835), il oppose le beau, valeur esthétique de l’artiste, à l’utile, valeur bourgeoise par excellence : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ». Ce rejet de l’utilitarisme et cette revendication d’une autonomie de l’art récusent d’une part la morale dans la littérature, d’autre part l’action sociale et les partisans d’un art social, souvent proches de l’opposition au pouvoir.

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Gautier 

L’image de la fenêtre symbolise cette dissociation de l’art et de la politique. Elle apparaît déjà, sous la plume de Gautier, dans la préface d’Albertus (1832) : « L’auteur du présent livre n’a vu du monde que ce que l’on en voit par la fenêtre, et il n’a pas envie d’en voir davantage. Il n’a aucune couleur politique ; il n’est ni rouge, ni blanc, ni même tricolore ; il n’est rien, il ne s’aperçoit des révolutions que lorsque les balles cassent les vitres ». En 1852, au moment où l’hégémonie bourgeoise culmine avec l’effondrement sanglant des espoirs républicains et l’instauration du Second Empire, Gautier reprend le thème du poète travaillant toutes « vitres fermées » sur les désordres politiques de la rue  C’est tout particulièrement le poème intitulé « L’art » (1957), repris dans l’édition définitive d’Emaux et Camées (1872), qui sert de manifeste littéraire à la doctrine de l’art pour l’art. Le travail poétique y est réhabilité, par opposition à l’immédiateté de l’épanchement lyrique, mais aussi au travail utilitaire visant à la production des marchandises.  Gautier revendique une poésie plastique, sculptée comme un marbre antique . Les matériaux précieux de l’onyx ou de l’agate auxquels est comparé le vers poétique supposent une nature  traitée comme ornement et extraite de tout contexte d’expérience, au contraire de la profondeur du paysage romantique. Le vers est bref, lapidaire et tranché, contrastant avec l’ampleur de l’alexandrin. Le poète devient artisan, orfèvre et sculpteur de mots.

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Théodore de Banville 

Cette tendance esthétique est présente chez de nombreux  d’auteurs, comme Baudelaire qui dédie à Gautier ses Fleurs du Mal, mais aussi Flaubert et son idéal d’un « livre sur rien », d’un livre « qui se tiendrait lui-même par la force interne de son style ». L’éducation sentimentale raille d’ailleurs l’engagement brouillon du poète Lamartine dans la révolution de 1848, en ironisant sur son impuissance politique. Surtout, la doctrine de l’art pour l’art aboutit à la création du mouvement parnassien, avec la publication en 1866 d’un recueil collectif intitulé Le Parnasse contemporain. « L’art » de Gautier devient l’art poétique des parnassiens, qui radicalisent la minéralisation néoclassique du langage poétique . Le fameux « Vase brisé » de Sully Prudhomme désigne la cristallisation glacée du sentiment, le vase étant une figure du coeur transi, mais aussi du poème lui-même en tant qu’objet esthétique. Si la brisure du vase est sentimentale, elle indique toutefois une tension constitutive de l’idéal parnassien, entre un absolu de la perfection formelle et les innovations modernes. Le Parnasse se fige dans un conservatisme académique et dans une logique d’exclusion, rejetant des poètes qui ont participé à ses débuts, comme Mallarmé ou Verlaine, et qui seront au coeur de l’émergence symboliste. Quant à Rimbaud, dont Le Parnasse contemporain a refusé trois de ses premiers poèmes, il parodie la préciosité idéaliste dans « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs », un poème qu’il adresse à Théodore de Banville avec une lettre toutefois fort admirative. Contrairement au désengagement politique des tenants de l’art pour l’art, Rimbaud prend parti pour les insurgés de la Commune (1871) et rédige des poèmes communards.

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Jean Moréas

1886 est l’année du tournant du Parnasse au symbolisme, avec la création de la revue La Vogue, où paraissent la plupart des Illuminations de Rimbaud, et la publication, dans Le Figaro du 18 septembre, du manifeste symboliste de Jean Moréas : « la poésie symbolique cherche  à vêtir l’Idée d’une forme sensible ». Moréas prône une conception analogique de la réalité matérielle, qui serait en continuité avec une essence idéale : « Tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester eux-mêmes : ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec les Idées primordiales ». Toutefois, cet idéalisme absolu de la pensée symboliste est parcouru de paradoxes. Par certains aspects, il engage un matérialisme absolu qui tient à la conception du symbole comme « forme sensible » de l’idée.  Le poète symboliste se pose ainsi en récepteur d’un rythme universel, dont il traduit passivement les « vibrations » en symboles expressifs. Dans le Traité du verbe (1886), René Ghil instaure un système de synesthésies verbales fondé à la fois sur la physique ondulatoire et sur une métaphysique de la pensée. « Le Son peut être traduit en couleur, la Couleur peut se traduire en Son », parce qu’une totalité cosmique, unissant la matière et l’esprit, vibre d’une même pulsation universelle.

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Stéphane Mallarmé

Cette idée  symboliste de la continuité, Mallarmé la met en évidence en relevant dans Crise de vers l’émergence du vers libre . Il s’agit de la plus importante innovation formelle du symbolisme avec le monologue intérieur . Rompant avec la mesure syllabique du mètre, le vers libre vise à restituer une « unité de pensée » ou de « signification » , c’est-à-dire une unité rythmique – . Mallarmé lui-même « touche » peu au vers, restant attaché aux potentialités structurales de l’alexandrin ;  D’une manière générale, la trajectoire de Mallarmé va du Parnasse au symbolisme.

Dans le texte encore parnassien des « Fenêtres », Mallarmé reprend le poème-vitre de l’art pour l’art, tout en révélant sa matérialité formelle. Le poème met en scène un moribond à sa fenêtre d’hôpital, figure du poète en quête de « l’azur ». Le poète pour Mallarmé est séparé du monde par une vitre .

Dans Crise de vers (1886-1996), manifeste de la poésie pure, Mallarmé associe un idéalisme du signifié poétique  à une matérialité du signifiant poétique, dans ses dimensions visuelles et sonores. Le signe absente la chose, révélant sa propre identité sensible. « Je dis : une fleur ! et […] musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tout bouquets. »  La poésie devient  Aboli bibelot d’inanité sonore .

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Les symbolistes

 

 

20. mars 2020 · Commentaires fermés sur Le poète en oiseau : l’Albatros de Baudelaire · Catégories: Commentaires littéraires, Lectures linéaires, Première · Tags:
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  Le dix-neuvième siècle est  marqué par la succession de différents mouvements littéraires : le romantisme est contesté par les fondateurs du Parnasse et après eux, les Symbolistes définiront un nouvel art poétique. Charles Baudelaire se trouve  précisément au carrefour de ces trois courants . Son recueil Les Fleurs du Mal qui paraît  1857  fit scandale et lui vaudra un procès retentissant ; Le poète sera contraint de censurer des pièces jugées scandaleuses et de livrer ainsi , au public, une version expurgée de son recueil . Dans la continuité du mouvement romantique, on retrouve  des thématiques communes et notamment l‘expression du  mal de vivre, qui chez Baudelaire, s’amplifie et devient le Spleen . Nous verrons comment Baudelaire, dans « l’Albatros », propose une image du poète en oiseau; Il   oppose l’Idéal au Spleen,  et met en scène une vision pessimiste de la société, dans laquelle le poète ne trouve pas sa place. Plus »

19. mars 2020 · Commentaires fermés sur Un dénouement tragique et une passion tragique : la mort de Ruy Blas · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Le drame romantique, inventé par Victor Hugo , est un type de spectacle qui  tente d’effectuer la synthèse entre des éléments issus de la tragédie  , et d’autres  issus de la comédie. En 1827 Hugo dans la Préface d’une de ses pièces , définit ce théâtre comme un mélange de sublime te de grotesque. Avec son drame  Ruy Blas ,  en 1838 il mêle une intrigue amoureuse et une trame politique; Un valet, manipulé par son ancien maître chassé de la cour, va révéler  progressivement son amour à la reine d’Espagne mais il cache un terrible secret: son identité véritable. Lorsque Don Salluste revient à la Cour et fait éclater la supercherie, il le tue sous les yeux de la reine. Cette dernière est atterrée par ce qu’elle vient d’apprendre et demeure sans voix “immobile te glacée” ; Quel dénouement Hugo a -t-il choisi ? la passion va-t-elle triompher ? On peut en douter . Commençons la lecture linéaire …

Ruy Blas reste à distance comme l’indique la didascalie interne du vers 2 : “je n’approcherai pas “ . Cet aspect solennel est celui de la tragédie classique dans laquelle les personnages s’expriment avec solennité. Le personnage de Ruy Blas tente de se faire pardonner ce qui peut être qualifié de “trahison ” comme on le lit au vers 6 . Il a, en effet, accepté de se faire passer pour un noble alors qu’il est d’origine modeste et a menti sur sa véritable identité, allant même jusqu’à accepter les fonctions de premier ministre en l’absence du roi . On remarque que les alexandrins sont “disloqués ” ainsi que le voulait Hugo qui a tenté de créer ainsi un langage théâtral plus naturel . L’agitation du personnage se traduit également par un bouleversement de la syntaxe et de nombreux enjambements comme aux vers 5 et 6 . Le champ lexical de la faute est très présent au début du passage avec le terme trahison déjà mentionné au vers 6. Ruy Blas se sent fautif mais il tente de se justifier et on le remarque notamment l’atténuation de sa culpabilité avec la négation partielle je ne suis point coupable autant que vous croyez ” au vers 3. L’aveu  explicite de la faute apparaît au vers 9, à la fin de la première tirade et la cause est précisée : “cet amour m’a perdu ” ; On retrouve un thème important dans la tragédie classique: les dangers de la passion qui mène les hommes à leur perte; Il n’est plus question ici de fatalité ou de malédiction divine comme dans Phèdre mais le personnage, sous l’effet de sa passion amoureuse pour la reine, est devenu malhonnête et a renoncé à des valeurs comme la droiture, la sincérité. Il a, malgré lui, accepté de participer à la tentative de disgrâce de la reine; Il est devenu complice d’un criminel et criminel à son tour, en devenant le meurtrier de Don Salluste.

A genoux, dans une attitude de supplication , devant la reine, il ne la laisse pas s’exprimer et poursuit, au vers 11 , ses aveux , qu’il diffère pourtant à plusieurs reprises je vais de point en point tout dire ” lit-on aux vers 13 et 14 avec un nouvel  enjambement qui marque une sorte d’étirement de la révélation. Le personnage répète, comme pour mieux nous en convaincre qu’il n’a pas l’âme vile ; l'adjectif vil rappelle qu'il est de basse extraction (c'est un valet au départ, un serviteur ) ; Hugo veut montrer dans ce drame que les qualités morales et intellectuelles  d'un homme ne sont pas liées à sa condition sociale et qu'on peut devenir un dirigeant politique même lorsqu'on n'est pas de haute naissance. Les idéaux révolutionnaires ont fait leur chemin et au moment où la France est redevenue provisoirement une royauté, Hugo marque ici son engagement pour le peuple qu'il souhaite associer au pouvoir. Le personnage de Ruy Blas se transforme , à ce moment , en une sorte de figure christique et le dramaturge utilise des symboles pour accentuer la ressemblance entre son héros et le Christ; Ainsi, “une femme du peuple “ au vers 18 est venue essuyer la sueur de son front; Ce geste symbolique rappelle celui de la Passion . Dans  ce récit religieux qui décrit le parcours du Christ qui a du porter sa croix jusqu’au mont Golgotha , on distingue 13 étapes qui sont les 13 stations du chemin de croix; A l’étape 6, une femme prénommée Véronique  s’approche et brave l’hostilité de la foule pour essuyer le visage du Christ souffrant sous le poids de son fardeau; A l’époque romantique, les auteurs se servent des images de la passion du Christ pour décrire leurs héros. Ici, Hugo cherche à faire naître la pitié du spectateur et applique ainsi le principe  que recommande Aristote pour réussir une tragédie . La tirade d’ailleurs se termine avec un vers pathétique : “Ayez pitié de moi, Mon Dieu, mon coeur se rompt ” La métonymie finale illustre à la fois la douleur du personnage mais préfigure également sa mort et la rend imminente.

Les échanges vont alors devenir plus intenses et plus resserrés comme une sorte de duo final . Au mots vont bientôt succéder les gestes tragiques car au théâtre , la parole se fait geste et devient action. Les didascalies externes qui précèdent les vers 25 et 27 montrent le héros qui se lève et avale un liquide ; Hugo s’est ici fortement inspiré de la  tragédie  classique et notamment de Phèdre qui offre un dénouement du même genre ; La coupable s’empoisonne de remords et sa mort purifie le jour qui se lève ; Ruy Blas se comporte donc comme un personnage de tragédie : il met fin à ses jours pour expier sa faute  et demande le pardon de ses offenses.  Alors que Phèdre se punit par sa mort , d’avoir provoqué celle d’un innocent, Ruy Blas se punit d’avoir menti, sur son identité et  trahi celle qu’il aimait ; D’autant qu’il risque de provoquer sa perte car si leur liaison est découverte, elle sera déshonorée et  contrainte d’abdiquer ainsi que l’avait prévu Don Salluste.

Le suicide dans le drame romantique était préparé et il apparaît comme la conséquence directe du refus du pardon de la reine qui, par deux fois ,affirme qu’elle ne pardonnera “jamais ” vers 23 et 26. C’est pourquoi le revirement de situation qui suit a pu paraître un peu étrange aux spectateurs de l’époque qui étaient habitués aux dénouements tragiques plus classiques. Lorsque  Ruy Blas s’écrie ” Triste flamme , Eteins -toi ” , on pourrait penser que ce sont ses dernières paroles .  Il indique qu’il meurt d’amour ; La construction ici associe la métaphore amoureuse à l’image d’une vie qui s’arrête; En effet, la flamme désigne à la fois le sentiment amoureux mais également la vie du personnage: ils ne font plus qu’un .La fin de l’amour marque donc irrémédiablement la fin de la vie.

A partir de ce moment, la tragédie devient un drame et offre aux spectateurs des moments déconcertants . Tout d’abord le changement d’attitude de la reine peut surprendre : elle se précipite vers le héros mourant pour l’entourer de ses bras et d’ailleurs , il donnera d’abord l’impression de mourir dans ses bras : “ l’entourant de ses bras”,  tenant la reine embrassée  “la reine le soutient dans ses bras ” au vers 45; Hugo reprend ici l’image du Christ avec plusieurs allusions comme l’obtention du pardon qui évoque les dernière paroles du Christ adressées à son père . La reine qui jusque là , était demeurée stoïque, se met alors à vibrer d’une passion qui a pu surprendre ; Elle lui dit qu’elle l’aime et l’appelle dans un premier temps , César, qui était son faux nom avant de lui donner , au dernier vers, sa véritable identité. Mais ce pardon arrive trop tard ! Et c’est aussi ce qui rend ce dénouement particulièrement tragique !

Qu’a t-on reproché encore au dramaturge dans ce dénouement inédit ? En plus du revirement de la reine, on a également  reproché au dramaturge d’avoir “allongé “la mort du personnage sur scène avec une agonie spectaculaire et surtout un dernier merci qui a été critiqué de nombreuses fois, pour son caractère invraisemblable. On se souvient en effet qu’une des règles du théâtre classique insistait sur le caractère vraisemblable des actions qui devaient être montrées au public; Ici, ce n’est pas du tout vraisemblable et les gens ont trouvé que Victor Hugo en faisait trop avec le risque que cela devienne ridicule. Il faudra, en effet, attendre des dizaines d’années, pour que ce drame obtienne un certain succès. En accentuant la dimension spectaculaire, le dramaturge prive le public d’une partie de ses repères ; Jusque là habitué à voir dans les tragédies des personnages exprimer des souffrances “dignement ” et en se touchant à peine,  le public a réagi assez mal à cette fin : Hugo  livre ici sa version théâtrale de la mort passionnelle .

Le héros , au moment de mourir, se retrouve lui-même : “je m’appelle Ruy Blas ” et semble ne plus réagir aux marques d’amour de la reine ; Il ne la regarde pas mais se tourne , comme l’indique la didascalie externe vers Dieu “levant les yeux au Ciel ” qu’il implore . La dimension christique du héros est réaffirmée avec la mention de son “coeur crucifié ” au vers 48 . La construction  du vers 49 précise les enjeux du drame et reflète les contradictions . ” vivant par son amour ,mourant par sa pitié “; Il faut comprendre ici que  l’amour de la reine a réjoui le coeur du héros quand il était vivant et que maintenant la pitié de  la reine réjouit son coeur au moment où il est mourant . Le caractère inexorable de la mort du héros est reprécisé sur scène dans les répliques finales; Alors que la reine se sent, à son tour , coupable et se demande ce qui se serait passé si elle avait pardonné plus tôt, Ruy Blas rappelle d’une manière claire que cela n’aurait rien changé . L’avant dernière réplique “ je ne pouvais plus vivre ” souligne cette idée . On remarque que si les personnages se tenaient à distance respectueuse l’un de l’autre au début de cette scène , ils se sont très vite rapprochés pour s’étreindre et l’ une des  dernières didascalies montre la reine “ se jetant sur son corps ” ; On peut retrouver dans ce choix l’influence d’un dramaturge comme Shakespeare que Hugo admirait particulièrement.

Ce final comporte donc de nombreux éléments tragiques : certains sont habituels et d’autres le sont un peu moins pour le public. La mort du héros est , à la fois prévisible et attendue ; elle vient sceller une passion impossible entre deux personnages qui s’aimaient sincèrement mais qui n’ont pas d’avenir ensemble; Si le dramaturge montre, sur scène, et pour la première fois,  la possibilité d’un amour entre un “ver de terre “et une “étoile ” il ne permet pas à ces deux personnages d’être heureux; la mort demeure l’unique issue pour un homme qui a menti sur ce qu’il est et cette femme pourra toujours se reprocher de ne pas avoir choisi l’amour à temps; Le drame romantique tente une synthèse entre un héritage tragique et des préoccupations contemporaines et il est parfois difficile de comprendre ce nouveau genre. La passion amène toujours l’homme à effectuer des choix souvent irréversibles et qui le condamnent à se perdre .

 

16. mars 2020 · Commentaires fermés sur Ruy Blas un drame romantique et une remise en question politique ? · Catégories: Première
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Film de Jacques Weber 

 Ruy Blas peut se lire comme un drame romantique avec en son coeur, une histoire d’amour tragique entre un valet et une reine, mais cette pièce apparait également comme un drame historique qui soulève une interrogation politique.  Le nom du héros éponyme nous donne deux indications importantes : Ruy , diminutif de Rodrigue, le héros du Cid, connote la noblesse et la vaillance  alors que Blas rappelle les origines sociales modestes de ce valet au service d’un maître machiavélique. Ainsi Hugo a choisi de montrer, à l’intérieur même du nom de son personnage central ,son caractère mêlé, à la fois noble par son comportement et vil par son appartenance à la classe sociale des serviteurs. Et c’est là le centre de ce drame historique , sa force mais aussi son caractère quelque peu invraisemblable qui sera d’ailleurs souligné par les spectateurs de la pièce en 1838.

 Les faits : Manipulé par Don Salluste pour séduire la reine d’Espagne et assouvir ainsi , sans le savoir, la soif de vengeance de son maître , contraint à l’exil après avoir séduit une suivante du la reine, ce valet  amoureux en secret de cette “étoile” , la reine, va prendre, peu à peu , l’allure d’un grand seigneur, sous son déguisement de ministre et va devenir le porte-paroles des critiques  politiques de l’auteur. En effet, même si l’intrigue a pour cadre l’Espagne et la cour de Madrid vers 1690, il faut bien comprendre que bon nombre de critiques du gouvernement visent , en réalité, la France de 1838.

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Pour Hugo, auteur engagé, il s’agit de montrer et de faire prendre conscience au spectateur de la lente agonie d’un régime politique: autrefois forte et puissante, l’Espagne, dans la pièce , est ruinée ; Plusieurs causes sont mentionnées dans le drame : les luttes internes, les guerres et , le déclin commercial ; Hugo met en scène un roi absent et incompétent qui ne pense qu’à chasser (acte II) et des ministres qui  ne pensent qu’à s’enrichir en pillant les coffres de l’ Etat (acte III, scène 1 ) ; Ainsi , le député Hugo s’attaque indirectement à la monarchie de juillet et aux régimes qui ont succédé à l’Empire car il admirait tout particulièrement Napoléon et ses victoires militaires  ; Charles X est un roi extrêmement critiqué et il va devoir céder sa place, quelques années après la parution de la pièce. 

Hugo met au premier plan de la tirade de Ruy Blas ,des interrogations politiques qui lui sont personnelles: le rôle de la naissance , le rôle du peuple sur le plan politique, la notion de mérite individuel et des compétences ; l’idée selon laquelle le pouvoir devrait être exercé par des gens doués et pas nécessairement bien nés, fait son chemin depuis les Lumières ; de plus, la révolution française a contribué à partir de  1789, à diffuser l’idée d’une égalité des droits entre les citoyens ; pour en faire la démonstration, le dramaturge métamorphose le personnage de Ruy Blas en duc d’Olmedo et révèle aux spectateurs, que sous ses habits de courtisan, il a l’étoffe d’un véritable dirigeant alors qu’il est né valet; il confirme ainsi que la valeur d’un dirigeant n’est pas liée à sa naissance; Cependant, cette situation peut paraître invraisemblable . La mort du héros marque le pessimisme d’une génération désenchantée qui a vu échouer les révolutions de 1830 et 1831.

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Les critiques seront nombreuses à la sortie de la pièce en 1838 et il faudra attendre la version mise en scène à la Comédie Française de 1872 pour que le succès soit au rendez-vous. La mort du héros marque sa défaite en tant que force individuelle  .

09. mars 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : la passion est-elle une faiblesse de l’individu ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Par définition, et depuis l’Antiquité qui met en scène des héros mythiques ,  le personnage tragique se confronte à des forces supérieures  et  lutte contre un destin imposé . Est-ce ce refus de la fatalité qui lui donne sa dimension héroïque ? En effet, on peut se demander ce qui caractérise le héros tragique et d’où lui vient sa force ou ,au  contraire, sa faiblesse ? Si l’on choisit les héros des pièces de Corneille, on constate qu’ils possèdent tous une force, un éclat, une forme de grandeur dans leurs actions; à l’exception du personnage de   Médée, qui est une meurtrière, Rodrigue dans Le Cid,  ou Auguste dans Cinna sont des modèles de bravoure et de courage; Ils possèdent également une grande force morale. Les héros de Racine paraissent davantage emprisonnés dans leurs passions et cette passion destructrice peut alors apparaître comme une faiblesse. Le tragique provient désormais davantage de la faute de ces héros imparfaits “ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants ” comme le dit Racine dans la Préface d’Andromaque. Voyons si la passion peut être considérée comme une faiblesse de l’individu , dans Phèdre et dans La Princesse de Clèves .

La recherche de la faute :  des personnages tous  coupables ? L’amour comme principale faiblesse ?

Lorsqu’on explore la matière tragique, on cherche souvent la faute des personnages afin de comprendre quel sens donner à la punition divine. Thésée, par exemple, est d’emblée qualifié de héros et son fils, admiratif sur ce point  rappelle ses nombreux exploits mais Hippolyte critique ouvertement ses conquêtes qui lui font horreur; Phèdre elle même le dépeint comme  “volage adorateur de mille objets divers ” : ( acte II, scène 5 ) Son fils fera mention de ses nombreuses conquêtes féminines dès le début de la pièce : “sa foi partout offerte , et reçue en cent lieux… trop crédules esprits que sa flamme a trompés. ( I, 1) On peut donc mesurer ici une part de responsabilité de Thésée qui justifie, en partie, les agissements de son épouse délaissée ; De plus, Hippolyte a une très mauvaise opinion de son père : ce qui ne facilitera pas leurs échanges. En étant séducteur, Thésée participe activement au malheur qui va le frapper et qui peut, sous un certain angle, apparaître comme une sorte de punition en rapport avec ses agissements passés. 

Le personnage de Phèdre incarne, à elle seule,  plusieurs facettes de la tragédie: d’une certaine manière, on peut penser que son point faible, c’est sa généalogie, cette famille  semi-divine qui lui  a, pourtant, transmis une hérédité monstrueuse. Petite fille du Soleil , qui a trahi le secret des amours de Mars et de Vénus, elle est également la fille d’une mère condamnée à s’accoupler avec un taureau .  La faute originelle semble incomber à son ancêtre  mais l’héroïne en subit les conséquences. Elle pourrait, de plus, à cause de son ascendance, partager ainsi une forme de fureur , sorte de rage animale, avec son demi-frère . Sa mort à la fin de la pièce rendrait au monde une forme de clarté, de pureté et servirait à effacer ses fautes .  Mais de quoi est-elle coupable au juste ? De se livrer à une passion incestueuse et immorale .  Dans sa préface, Racine précise qu’elle” est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur la première;" Et il ajoute qu'elle" fait tous ses efforts pour la surmonter“. Enfin, il admet qu’à ses yeux , “son crime est plutôt une punition des dieux qu’une manifestation de sa volonté “ ; Il va même jusqu'à adapter la tragédie d'Euripide dans laquelle le personnage de Phèdre accusait elle-même Hippolyte ; Ainsi le dramaturge la rend moins coupable mais la rend-t-il plus forte ? Sa volonté est vaincue en permanence par la force de sa passion; néanmoins, elle paraît, au début de la pièce, prête à mourir plutôt que d'avouer son amour odieux.Et elle finit par mourir après avoir révélé la vérité. Sa mort est- elle une forme de défaite ou marque-t elle le caractère inexorable de sa destinée ?

Oenone , dans la tragédie, incarne, elle aussi, une forme d’excès: celui de l’amour maternel passionné. Sa faiblesse : c’est son attachement pour Phèdre qu’elle a élevée et sur laquelle elle veille. Cet amour va la pousser à mentir et elle finira par être rejetée par Phèdre : ce qui causera sa mort; Voilà ce dont l’accuse la reine avant de la chasser : ” Et puisse ton supplice à jamais effrayer/ Ceux qui , comme toi, par de lâches adresses,/ Des princes malheureux nourrissent les faiblesses.”  Oenone est ici accusée d’avoir encouragé Phèdre à commettre une mauvaise action en laissant accuser un innocent  Le mot faiblesse  revient à plusieurs reprises  et désignerait,à la fois une forme de lâcheté morale et le fait de se laisser aller à cette passion criminelle. Oenone est donc accusée d’avoir encouragé la passion de sa maîtresse “les poussent au penchant où leur coeur est enclin ” Phèdre la renvoie en  la traitant de perfide et en l’accusant d’avoir abusé de sa faiblesse extrême .

Racine, par rapport aux versions antiques, a également modifié le personnage d’Hippolyte; Il a voulu en faire un jeune homme fier, qui s’est longtemps méfié du sentiment amoureux avant de rencontrer Aricie. Dans la pièce, Hippolyte est accusé d’avoir voulu abuser de sa belle-mère mais il aurait été repoussé à temps;  Cependant Racine avoue lui avoir donné” quelque faiblesse qui le rendrait un peu coupable aux yeux de son père , sans pourtant rien lui ôter de la grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre et se laisse opprimer sans l’accuser”; Voilà ce qu'ajoute Racine dans sa Préface :  ” j’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la soeur des ennemis mortels de son père ” On voit donc que la passion constitue bien , dans ce cas précis, une faiblesse de l’individu , que le dramaturge a choisie d’ajouter au caractère du personnage antique. Aux yeux du jeune homme, l’amour s’apparente donc à une tromperie et peut paraître comme une faiblesse ; Il va s’empresser de fuir Aricie lorsqu’il  se découvre un sentiment pour elle. “Et moi-même , à mon tour, je me verrais lié “ s’exclame – t-il en découvrant qu’il est amoureux

L’individu plus faible que les Dieux : l’homme écrasé par la fatalité

Deux dieux principaux sont à l’oeuvre dans la tragédie : Vénus qui  joue un rôle très important et Neptune , qui est à la fois , le père putatif de Thésée et celui qui va accomplir la vengeance de ce dernier en tuant son fils; En 1934, Cocteau définit ainsi la tragédie au théâtre : “une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un simple mortel ” On mesure à quel point l’homme paraît une faible créature dans ce contexte d’oppression divine.

Le rôle de l’idéologie janséniste dans la tragédie racinienne est important  : on peut , en effet,  lier le motif de la faiblesse à une lecture janséniste de la pièce ; Racine  aurait souhaité montrer , les tourments du péché. Dieu aurait abandonné le personnage de Phèdre à la perversité de son coeur en punition de ses fautes passées; Le jansénisme peut être défini comme un courant religieux, proche du catholicisme mais qui insiste sur la notion de faute et de péché originel; Selon ses adeptes, l’homme est une créature imparfaite et faible , par nature pécheresse . Le chrétien ne peut obtenir le salut que par la grâce divine et les élus sont très rares . “ vous aimez , dit Oenone à Phèdre/ On ne peut vaincre sa destinée/ Par un charme fatal, vous fûtes entraînée ( IV, 6 ) . En conclusion, la faiblesse du personnage serait un ingrédient essentiel dans la tragédie car elle permettrait aux spectateurs d’éprouver de la pitié pour les héros; Il faut qu’il puisse les plaindre sans trop les détester donc il faut les doter d’une bonté médiocre ou autrement dit , d’une vertu capable de faiblesse et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute. La notion de faute est bien ici une donnée intrinsèquement liée à l’idée de faiblesse.

L’individu confronté aux troubles de la passion : un combat perdu d’avance

Une lecture contemporaine nourrie des découvertes de la psychanalyse peut montrer Phèdre prisonnière d’un désir qui lui fait horreur mais qui s’impose à elle . Son sens moral et son sens du devoir combattent contre la force qui l’attire vers Hippolyte; cette force ne prend en compte ni les interdits de la société ni les liens familiaux ; On dit ainsi que le désir s’affranchit des loi set dse conventions ; Il n’a d’autre objet que la satisfaction d’une pulsion profonde de l’individu, indépendamment de ce qui l’entoure . La société peut juger Phèdre et parler de transgression ou de tabou, le personnage, animé par son désir , semble au-dessus des lois humaines . Impossible à vivre , cet amour interdit porte en germe la mort du personnage incapable de concilier une vie ne société avec une passion interdite et condamnée moralement. A plusieurs reprises , et notamment au premier acte , scène 3,  l’amour s’exprime donc comme une “fureur ”  “un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ” ; A la scène 5 de l’acte II, l’amour est ,cette fois, considéré comme une passion furieuse qu’il faut éradiquer pour purifier le monde ; Phèdre évoque le “feu fatal ” qui coule dans ses veines et les dieux qui s’efforcent de “séduire le coeur d’une faible mortelle” La passion paraît ainsi un instrument d’asservissement de l’individu : ce dernier , soumis tragiquement à cette force anihilante, peut tenter de la combattre mais il part perdant , vaincu d’avance, pourrait-on dire , du moins au sein de l’univers tragique; Il n’en va pas de même dans le roman précieux ou moral de la même époque ; l’être aimé prend les apparences d’un ennemi qu’il faut combattre de toutes ses forces alors qu’on l’idolâtre comme le rappelle Phèdre , à propos d’Hippolyte. La tragédie s’impose comme un tableau des dangers de la passion . Racine le fait dire à Oenone dans le quatrième acte , scène 6 : ” L’amour n’a t-il encore triomphé que de vous ? La faiblesse aux humains n’est que trop naturelle / Mortelle, subissez le sort d’une mortelle. ” Elle semble montrer ici que toute résistance est inutile pour Phèdre, condamnée.

Un combat réussi contre la passion : le cas de La Princesse de Clèves

Contrairement à Phèdre qui n’échappe pas à sa tragique destinée, l’héroïne inventée par Madame de La Fayette démontre qu’il est possible de vaincre sa passion. Si l’amour y demeure un combat violent et une force contre laquelle il est difficile de lutter , l’individu, en se raisonnant , peut lui échapper . La Princesse fuit la présence du Duc de Nemours et si les réactions de son corps trahissent parfois son violent émoi, elle reste fidèle à des principes moraux légués par sa mère ; Dans son cas, son patrimoine familial est un atout pour résister à la passion et la crainte des conséquences l’emportera sur son désir. L’amour est présenté non pas comme un simple sentiment mais plutôt comme un mal physique et il est fréquent depuis l’Antiquité qu’on utilise la peinture des passions comme une menace pour les liens de la famille, de la société ; En somme pour tout ce qui peut figurer l’ordre ; En semant le désordre au sein de l’individu, la passion sème également le désordre dans leur entourage et c’est une des raisons pour laquelle elle doit être vaincue . La victoire de l’ordre signe ainsi la défaite de l’individu qui ne peut donner libre cours à ses sentiments personnels; Madame de Clèves demeure fidèle à son époux , à son mariage, à sa vertu  et à ses devoirs familiaux mais, pour maintenir cet ordre, elle renonce à son épanouissement personnel; L’individu s’efface au profit de la société à laquelle il appartient . La Morale et la vertu triomphent de concert. Le roman accompagne ici une forme de moralisation de la société en adaptant ce thème du danger des passions . Cette héroïne force l’admiration car elle ne succombe pas à sa passion .

 

 

01. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les derniers mots de Phèdre : lecture linéaire de la dernière tirade de l’héroïne tragique · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

  Dès sa première apparition sur scène, Phèdre veut mourir pour échapper à sa passion dévorante et interdite. Oenone, sa vieille nourrice, qui a peur pour elle, décide de la faire renoncer à ses noirs projets et réussit à la convaincre de  la laisser mentir  à Thésée . Au début de l’acte IV, Oenone, en brandissant l’épée d”Hippolyte comme preuve accuse ce dernier d’avoir tenté de violer sa belle-mère:  Phèdre ne dément pas. Thésée, furieux, accable son fils et demande à Neptune de le punir. Ce dernier est banni et Phèdre, quant à elle, se sent terriblement coupable d’avoir sali la vertu d’un innocent :elle accuse Oenone et la chasse; Cette dernière se suicide en se jetant dans la mer. Hippolyte dans sa fuite mais il meurt,  est tué par un monstre marin.  le récit de sa mort est relaté par Théramène, son plus fidèle serviteur . C’est en père éploré que Thésée vient annoncer à son épouse la mort de son fils. Phèdre es décide alors à  tout lui avouer.

 En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ? L’extrait que nous étudions débute au vers 1622 et se termine au vers 1644.  “De : les moments me sont chers …à toute sa pureté” 

 Juste avant la  dernière tirade, on entend l’aveu de la culpabilité de Phèdre : On note d’abord la fermeté du ton  : – « Non » est son premier mot au vers 1617 et il marque, à la fois , une  rupture et annonce négation. L’utilisation de la forme injonctive avec « il faut » qui est répété deux fois (v.1617-1618) souligne la détermination du personnage qui exécute son devoir .Elle coupe la parole de Thésée qui est dans la lamentation : elle n’a pas le temps d’écouter Thésée et sa douleur car il lui faut agir , et donc parler vite .

L’emploi de l’impératif présent : « écoutez-moi » traduit le fait que Phèdre est consciente de l’urgence de la situation; sa mort est proche, et elle ne peut pas perdre du temps : « les moments me sont chers » reprend cette idée d’urgence . Phèdre vient rendre justice à un innocent : Le champ lexical de la justice : « injuste », « innocence », « coupable », « condamné »  illustre ce point . Avant d’expirer, Phèdre veut rétablir la vérité. On assiste à une sorte de plaidoirie et elle se désigne comme la principale coupable avec une forme emphatique : “ c’est moi qui “qui semble faire peser tout le poids de la culpabilité sur le personnage ; L’objet est séparé du verbe comme pour accentuer l’horreur de son crime “jeter un oeil profane, incestueux. L’adjectif profane rappelle ici qu’elle n’a pas respecté les liens sacrés de la famille : elle a donc offensé les Dieux et son crime s’apparente à une forme de sacrilège. Le contraste est alors maximal entre les deux personnages : l’innocent mort injustement et la coupable dont la vie paraît injuste. L’idée est peut -être de faire davantage accepter cette mort par le public en la justifiant ici de manière naturelle.Ce n’est plus seulement l’héroïne qui cherche à échapper à sa passion en se donnant la mort, c’est une femme criminelle qui mérite de mourir pour le mal qu’elle a fait.  Phèdre reprend alors l’enchainement dse faits qui ont mené à la tragique mort d’un innocent : au  vers 1625 : « le ciel mit dans mon sein » :  les deux métonymies   rappellent l’origine de sa funeste passion, cette malédiction dont elle fut ma victime . C’est une manière de rejeter en partie sa  culpabilité car elle est seulement en position d’objet : « dans mon sein ». Elle se présente,une  fois de plus , victime de cette cruauté des Dieux qui s’acharnent à punir son sang pour une faute commise par les ses ancêtres ( le Soleil, son grand-père qui  a dénoncé les amours secrètes de Mars et Vénus  ) . Ensuite, dans un second temps, le personnage dresse un véritable réquisitoire contre Oenone qu’elle qualifie, au moyen d’ un vocabulaire dépréciatif:  de «détestable», au vers 1628 et de « perfide » au vers 1630. – Elle l’accuse d’avoir “conduit ” la trahison et même d’avoir abusé de la situation car elle se trouvait dans une “faiblesse extrême ”  v 1629 .  Le dramaturge rappelle une dernière fois les circosntances qui ont mené à cet enchaînement tragique : l’aveu de l’amour de Phèdre s’est déroulé alors qu’elle croyait son époux mort et le retour de Thésée a modifié la donne ; le danger , c’est désormais que le jeune homme confie à son père, à son arrivée, les révélations de sa belle-mère; c’est pour prévenir ce danger que la nourrice a alors l’idée d’accuser Hippolyte;  Phèdre peut-elle vraiment passer pour une victime de la fidélité poussée à l’extrême d’Oenone ?  Elle apparaît en position d’objet, comme si elle subissait la volonté de la vieille femme: « abusant de ma faiblesse » tandis qu’Oenone est le sujet de tous les verbes d’action : « a conduit », « a craint », « s’est hâtée »: Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher ; “elle s’en est punie” : la mort est ici un choix assumé lié sans doute au remords de la nourrice; Ensuite, elle a été chassée par Phèdre qui évoque sa colère “fuyant mon courroux”  Cette réécriture  n’est pas totalement fidèle dans la mesure où Phèdre cache , en partie, sa complicité : elle n’a rien fait pour dissuader Oenone : acte II, scène 4 : elle lui confie en effet  ” fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien pour moi” En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité. Quant à la périphrase qui désigne la mort comme un  « supplice trop doux » , on peut entrevoir le caractère identique de la situation des deux femmes .   

La mort semble cerner le personnage qui évoque  sa première véritable tentative de suicide : lorsqu’elle a demandé à Hippolyte de lui ouvrir la poitrine et, symboliquement de lui percer le coeur; :  « Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée » Dans ces vers, Racine rompt avec la tragédie de Sénèque dans laquelle Phèdre se donne la mort avec une épée. Ce refus d’une mort prématurée s’explique par sa volonté de prendre la parole pour rétablir l’innocence d’Hippolyte te le choix du poison peut sans doute renvoyer à cet amour qui l’a littéralement empoisonné. Elle présente Hippolyte comme l’incarnation de la vertu : « la vertu soupçonnée », rétablissant ainsi l’honneur qu’elle a bafoué. On peut aussi penser qu’il s’agit d’une forme de repentir : elle ne peut réparer le mal commis mais elle s’efforce de rendre au jeune homme sa dignité. D’ailleurs elle prononce le terme remords et justifie le délai qu’elle s’accorde pour disparaitre :   elle peut prendre le temps de s’expliquer face à Thésée. Pour le spectateur, c’est aussi l’occasion de découvrir une forme de sacrifice : la précision « chemin plus lent » :  peut être interprétée de deux manières :  on peut, en effet, comprendre qu’elle a agi pour retarder sa propre mort mais cela montre également une forme de souffrance plus longue car on imagine le poison qui se diffuse, goutte à goutte, dans ses”brûlantes veines” . On retrouve également l’image de la descente aux Enfers qui peut évoquer les voyages de  Thésée .
En précisant l’origine du  poison “que Médée apporta dans Athènes »  1638 , Racine introduit une autre figure de femme meurtrière : la magicienne Médée, première femme de Thésée et sorcière qui elle  aussi, sera victime d’une passion pour son  nouvel époux, le perfide Jason, passion qui va la conduire à tuer sa rivale, le père de cette dernière avant d’immoler ses propres enfants .  Les deux figures féminines dessinent une sorte de  filiation,  qui rappelle la dimension monstrueuse de la famille de Phèdre: un demi-frère taureau qui mourra sous les coups de Thésée et une mère, Pasiphaé qui mit au monde un monstre.

 La tirade s’achève avec l’agonie du personnage qui est détaillée : elle indique avec précision l’écoulement du poison dans son corps  Sur scène , le spectateur assiste à chaque étape de sa mort : “j’ai pris, j’ai fait couler » :  la dimension pathétique est mise en oeuvre ici avec le parallélisme de construction ; L’héroïne met en scène sa mort et le dramaturge doit ici, mimer l’agonie. Ce qui explique que le discours de Phèdre se fait moins assuré et un peu plus maladroit comme le montrent les répétitions de l’adverbe « déjà » (1639-1641) :la parole semble se ressentir des effets du poison comme si elle se déréglait. Les conséquences physiques des effets du poison  sont précisées elles aussi :  elle ressent un « froid inconnu »  qui atteste de l’approche de la mort; sa vue se trouble également :  « je ne vois plus qu’à travers un nuage » . La nuit, métaphorique de la fin de la vie, tombe en même temps que le rideau qui viendra marquer la fin du spectacle  .L’ annonce de la mort apparaît encore comme un soulagement  pour le personnage : c’est la fin de  la brûlure incessante causée par la passion amoureuse. Phèdre s’éteint en chrétienne avec  la présence du champ lexical de la réparation de la faute : « outrage », « souillaient ».  La faute est rappelée dans sa double dimension : religieuse et conjugale  : « et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». L’héroïne rappelle qu’elle a offensé les Dieux par la faute de ses ancêtres et qu’elle a offensé son époux en laissant condamner un innocent après l’avoir laissé accuser d’un crime odieux. L’imminence  de la mort se lit aussi à travers le champ lexical de l’ombre : « dérobant la clarté », je ne vois plus qu’à travers un nuage » mais cela s’oppose avec avec la lumière retrouvée, celle de la pureté : « rend au jour (…) toute sa clarté ». Ce retour de la lumière peut être interprété comme le signe que, par sa mort, Phèdre atteint la rédemption.

Si on se réfère aux règles du théâtre classique et notamment à la règle dite de bienséance, les personnages ne devaient pas offrir leur mort , à la vue du public: : « Elle expire, seigneur » :ces quelques mots peuvent laisser penser que  Phèdre meurt bien sur scène : cela accentue le pathétique mais aussi le tragique . Cette mort agit presque comme une fin moralisatrice : la passion conduit à la perte, à la destruction et à la mort. Les spectateurs doivent alors se purger de cette émotion.

 En conclusion : La fin répond au début de la pièce où Phèdre apparaissait déjà comme une mourante. Cette mort sans cesse reculée a permis de mettre en scène tout au long de la pièce la honte, la culpabilité et le tragique. Cette agonie du personnage est cependant ambiguë car jusqu’au dernier moment elle ne semble pas vraiment se remettre en question en rejetant la faute sur Vénus ou bien sur Oenone. Par ailleurs, elle ne mentionne pas la mort d’ Hippolyte et ne fait nullement référence au chagrin de son époux.  Elle ne revient que sur son malheur et choisit de quitter la  vie comme on sort de scène , par un dernier éclat .

28. février 2020 · Commentaires fermés sur Les aveux d’une passion tragique : le face à face Phèdre -Hippolyte II, 5 · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une  forme de transgression : Hippolyte avoue, dès la première scène,  un amour interdit pour Aricie et cet aveu est suivi de très près par les confidences de Phèdre à sa nourrice Oenone; cette dernière recueille la parole de la reine malade, qui brûle d’une passion dévorante pour le fils de Thésée,  son mari; fils que ce dernier a conçu avec la reine  des Amazones, la fière te farouche Antiope; Le dramaturge, construit ainsi en parallèle deux parcours amoureux qui vont s’entrecroiser lorsque Phèdre fait l’aveu, malgré elle, de sa passion face à Hippolyte. Au moment où elle sort de sa chambre , elle croise celui-ci qui  s’apprête à  quitter le palais  pour partir à la recherche de son père . La tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , une passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui .  Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend alors de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour .

Cette lecture linéaire débute au vers 671 et se termine au vers 701 de ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle les souffrances de sa passion  et son caractère monstrueux ?
Situation du passage : Phèdre est venue trouver Hippolyte pour plaider la cause de ses enfants qu’elle croit en danger suite à la mort supposée de Thésée. En effet, son fils est en lice dans la succession au trône, au même titre que son demi-frère Hippolyte et Aricie que ce dernier à délivrée. Bien malgré elle, confrontée à celui pour lequel elle brûle d’une passion effroyable, Phèdre lui déclare sa flamme.
Le premier  mouvement – V.670 à 682 :présente , une fois de plus , Phèdre comme la  victime d’une fatalité incontrôlable.
– On note un changement de ton brutal et de registre avec la tirade précédente. Phèdre retrouve , en partie, sa lucidité grâce à la réplique d’Hippolyte qui la ramène à la réalité. L’émotion poussée à son paroxysme, prend le dessus ainsi que le montre les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici peu approprié pour désigner le jeune homme qui vient justement  de présenter des excuses  .  On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue.  La ponctuation expressive marque ici  la violence verbale, voire physique.-La présence de verbes injonctifs pourrait cependant traduire une forme de colère  qui serait libérée par l’aveu mais il s’agirait plutôt d’un emportement contre la fatalité de cette passion. .  Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . –  D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme  manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain  démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas  : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur ne désigne pas tant la colère que l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion .Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que  c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime »  ressemble à une bombe à retardement. La  précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre comme s’il emplissait la scène. Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un  caractère infamant (dégradant )  : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ».
Phèdre se présente  donc , avant tout, comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur, ressort essentiel du spectacle tragique. Il est en effet, important que le spectateur puisse, sous certains aspects, considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse. Phèdre évoque d’ailleurs la cruauté des Dieux et cette cruauté fait écho à celle manifestée par le personnage d’Hippolyte qui ne partage pas les sentiments de Phèdre. Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente  cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » :  formule frappante où on note , à la  fois une gradation descendante et  des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
–  On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion  mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins au vers 687 ”  ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie est  souvnet décrite comme un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui  . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. –  Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le système du passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister » et  son échec est marqué par le vers 688 ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ”  Le dramaturge a  combiné  ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je  et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour  ;  ce vers illustre  ainsi les limites de cette lutte interne.Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ”  Le vers 690 illustre par le chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle  de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière.  Elle aimerait qu’il al regarde afin d’être convaincu de al sincérité de ses sentiments Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corp sdéfendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .
Le vers 692 marque une nouvelle étape dans cet aveu  : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques des v. 693/694 réaffirment qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré  mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine rappelle, avec lucidité,  les circonstances de son aveu tragique au vers 695 et 696 ; Elle fait retour sur sa situation qui  vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la  “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint  les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les  jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative  marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice.  Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent. La cause de la mort est rappelée à travers cet “odieux amour ” qui fait justement du personnage, une femme odieuse   Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père . Le dernier vers de notre extrait , le vers 701 contient cette idée  « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le registre amoureux trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique : « ne le point haïr », « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments.  Le dernier vers résonne comme une sentence irrévocable.  Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner «  la veuve de Thésée » mettant en lumière les relations familiales qui unissent malheureusement les protagonistes et nomme explicitement Hippolyte. C’est l’inverse de l’aveu fait à Oenone I,3  « Ce fils de l’amazone, ce prince si longtemps par moi-même opprimé » .

 En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur  elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris.  A la fois victime et se jugeant coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments.  La réaction d’Hippolyte ne es fait pas attendre  : un mélange de honte et de dégoût.  Phèdre cherche alors à flatter son orgueil pour qu’il devienne son bourreau mais cette dernière a pris soin de lui arracher l’épée avec laquelle elle l’enjoignait de la tuer.   Cette épée va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone va accuser Hippolyte .  ‘III 3 : elle demande à Phèdre d’accuser Hippolyte la première et évoque ” son épée en vos mains heureusement laissée” . Le quatrième acte s’ouvre avec l’entrevue Thésée/ Oenone et les fausses  accusations d’Oenone : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” ( vers 1009/1010 ) Thésée  va alors convoquer son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance  ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . ( ” IV, 2  v 1084)La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte et signe son arrêt de mort.

24. février 2020 · Commentaires fermés sur L’aveu d’une passion coupable : I, 3 Phèdre se confie à Oenone · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

 En guise d’introduction :  Le XVII eme siècle s’illustre par une profusions d’œuvres théâtrales comiques et tragiques. Racine, écrit en 1677, une tragédie  Phèdre en s’inspirant  de la mythologie et notamment de deux tragédies antiques : Hippolyte de Euripide et Phèdre de Sénèque. Il choisit de recentrer l’action tragique autour des tourments de l’héroïne Phèdre
L’auteur place au centre de l’intrigue le personnage éponyme déchiré entre  la raison et une passion qui la pousse à vouer un amour incontrôlable à son beau-fils Hippolyte.
Dans  la scène 3 de l’acte I, nous sommes encore dans l’exposition et assistons au difficile aveu de Phèdre. Cette dernière, pressée par les questions d’Oenone, sa nourrice, avoue, un peu malgré elle, sa passion coupable . La machine tragique est ainsi lancée. La tirade de l’héroïne révèle qu’elle est déjà prête à mourir.

Ce qui précède notre extrait ( en résumé )
I  Le coup de foudre / La naissance d’un amour violent causé par Vénus v.269 – 278
1. Le bonheur du mariage avec Thésée aussitôt troublé par le coup de foudre pour Hippolyte – coup de foudre qualifié péjorativement, amour = douleur : « mal » : « Mon mal vient de plus loin ». Phèdre va exposer les origines de son amour; Il faut remonter jusqu’à la malédiction dont elle est la victime- « Mon mal » s’oppose à « Mon repos, mon bonheur », deux vers plus loin. L’amour pour Hippolyte fait une irruption violente au milieu d’un amour plus calme, traditionnel et légitime car scellé par les liens du mariage. Le personnage tente de retenir la vérité : cet aveu qui lui brûle les lèvres  : la périphrase  « superbe ennemi »  monter que la passion est l’enjeu d’une lutte : l’adjectif « superbe » veut dire fier et le substantif ennemi renvoie non pas au champ lexical de l’amour mais à celui du combat. Phèdre se sent donc vaincue par cet amour qu’elle sait coupable. .Les symptômes de la passion sont alors rappelés .Depuis les philosophes Grecs, on considère la passion comme une émotion forte qui prend le contrôle de notre corps. On le voit ici par – l’énumération « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » => rythme ternaire, allitération en « i », propositions juxtaposées => soulignent la précipitation des réactions qui succèdent immédiatement la vue de l’être aimé. – « Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue » : la raison est enrayée ; on remarque d’ailleurs que le je n’est plus sujet des phrases, il subit l’action, subit le trouble qui va jusqu’à la perte des sens : « Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler » : une fois encore,  la juxtaposition des propositions souligne la rapidité de cette invasion croissante d’un amour qui paralyse le sujet. – Le je  ne redevient sujet que pour sentir, faire l’expérience de la douleur : ce qui nous renvoie à l’étymologie du mot passion « patior » = souffrir : « Je sentis tout mon corps et transir et brûler » : la construction parallèle de termes antithétiques montre que Phèdre passe du chaud au froid sous le coup du vif sentiment qui l’anime.   « Je reconnus Vénus et ses feux redoutables » : Vénus a lancé sur la famille (« d’un sang ») une malédiction dont Phèdre est la nouvelle victime. « Feux » renvoie ici à l’amour associé au champ lexical de la brûlure pour souligner la douleur que l’amour procure. – On note les adjectifs à la rime « redoutables » « inévitables » qui mettent en place la dimension tragique. Phèdre apparaît  ainsi , dès l’exposition ,comme une héroïne tragique, qui subit pleinement un destin qui la dépasse, ici un amour terrible qui lui cause du tort et la déchire.
II. Un amour idolâtre et obsessionnel v. 279 à 290
L’héroïne pense pouvoir  adoucir Vénus en lui offrant des prières et des sacrifices — Phèdre ne se contente pas de faire des prières : « vœux assidus », elle fait construire un lieu de culte pour Vénus « Je luis bâtis un temple », qu’elle décore « et pris soin de l’orner », elle multiplie ensuite les offrandes « Des victimes moi-même à toute heure entourée  La description de al passion est alors liée à la maladie – « incurable » « remèdes » :sont  deux termes en chiasme dans le même vers désignent cet amour comme un mal qu’on ne peut soigner. Ainsi ,au moyen de ces adjectifs « incurable » et « impuissants » nous voyons que les tentatives de Phèdre sont vouées à l’échec,ce que laissait percevoir aussi le verbe « croire » dans la proposition « je crus les détourner » : c’était une illusion que de penser pouvoir infléchir Vénus. On remarque même que le culte se destine, en réalité, à Hippolyte. – «- « Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse, / J’adorais Hippolyte » => Phèdre ne maîtrise plus sa propre parole (ce qui explique ses révélations en partie involontaires), mais ici elle se rend coupable d’impiété,; Elle prend un simple mortel  pour un dieu, comme le montre le verbe « adorer ». + « J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer ». « ce dieu » :  il s’agit ici d’une nouvelle périphrase  pour ne pas nommer  le jeune homme , objet de son culte et à cause duquel elle devient sacrilège- – La vue même joue des tours à Phèdre : « le voyant sans cesse » ; « Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ».=>Phèdre perd peu à peu sa lucidité qui est justement l’art de la clairvoyance et  ainsi sa raison .

Notre extrait commence au vers 291
Phèdre rappelle qu’elle fut une marâtre pour son beau-fils , pensant ainsi vaincre sa passion en le tenant à distance ; « j’excitai mon courage à le persécuter » ; Il devint ainsi la victime, à son tour, de la passion de sa belle-mère . Pour l’éloigner, elle doit le bannir et feindre d’éprouver de la haine ; Ainsi, elle joue publiquement le rôle d’une méchante belle-mère «  injuste marâtre » jalouse d’un enfant qui n’est pas le sien et soucieuse de préserver les intérêts de son union avec Thésée , notamment les enfants de leur mariage.  Elle rappelle alors les souffrances endurées par le jeune homme séparé de son père ; Le verbe arracher traduit la violence de cette séparation imputable à Phèdre qui peut ainsi trouver un repos momentané  “depuis son absence<strong>; je respirais : Racine insiste sur le caractère oppressant de la passion et on retrouve les symptômes physiques qui traduisent la force du sentiment : A l’abri de l’agitation des sens , Phèdre apparaît comme une épouse modèle : “soumise ” à son époux; Néanmoins, elle tait ses tourments et trouve une forme de consolation dans les soins accordés à ses enfants:l’expression “cultivais les fruits ” semble indiquer qu’elle s’occupe de l’éducation des enfants nés de son union avec Thésée. La double exclamative traduit sa colère et sa tristesse : le registre tragique est dominant avec “vaines précautions ” qui démontre l’échec du personnage et  le second hémistiche “cruelle destinée ” ravive la compassion du spectateur. L’être aimé prend alors les traits de l’ennemi ; le champ lexical de la guerre, du combat est dominant avec le terme blessure au vers suivant associée à l’hyperbole  “trop vive ” et à la conséquence funeste : “a saigné” On retrouve cette idée d’une physiologie des transports amoureux : la souffrance se matérialise et s’expose aux yeux de tous . Ce qui était caché devient alors visible : c’est ainsi que la révélation se manifeste ; la déesse Venus devient le bourreau de Phèdre au vers 306 ; elle devient “victime” ainsi que l’indique le substantif “proie” ; cette présentation permet d'atténuer la dimension monstrueuse de la jeune femme et de renforcer la pitié que nous éprouvons pour elle et les fautes qu’elle confesse . En effet, Phèdre paraît consciente de mal agir; lorsqu’elle évoque son amour incestueux, elle le nomme “crime” et ne cherche pas à atténuer la portée de son geste ; Elle en conçoit une “juste terreur” ; L'adjectif ici, peut se comprendre au sens de légitime; Il est donc logique qu'elle soit effrayée et le châtiment paraît ainsi justifié. Elle présente alors ,une nouvelle fois, son désir de fuir la vie pour se punir ; Elle a pris sa "flamme en horreur “; A la rime avec terreur, ce mot , loin de chercher à minimiser le geste de Phèdre, en révèle toute l’atrocité et renforce, une fois de plus,  la dimension pathétique de la tirade. La mort seule permettrait de préserver la “gloire” du personnage et d’éviter le déshonneur  qui pourrait rejaillir sur sa lignée. L’euphémisme “dérober au jour une flamme si noire ” , combiné ici avec une antithèse, fait presque apparaître la mort de l’héroïne comme un effacement et rappelle qu’elle n’ose plus se montrer à la lumière ; Elle souhaite se terrer dans l’ombre;

La dernière partie de la tirade est adressée à Oenone qui a provoqué la libération de cette parole : “je n’ai pu soutenir tes larmes” Phède a avoué parce qu’elle souhaitait réconforter sa nourrice et calmer ses inquiétudes; Au lieu de cela, elle a déclenché la stupeur de celle-ci. Ses aveux n’ont donc servi à rien dans la mesure où elle semble plus que jamais déterminée à se donner la mort : elle s’adresse d’ailleurs à Oenone en lui demandant de la laisser faire ” pourvu que de ma mort respectant les approches ” : la subordonnée marque ici le but et interdit l’action à la nourrice qui devient , par le fait, spectatrice d’une mort annoncée comme inévitable. La tragédie devient le lieu de l’inaction souhaitée : “tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches ” Phèdre a souhaité parler pour éclaircir , auprès de sa nourrice, les motifs de son désir de disparaître et elle entend désormais faire cesser les reproches ; On retrouve l’adjectif “vain” qui qualifie cette fois les secours ; Racine désigne ainsi les tentatives d’Oenone pour  maintenir Phèdre en vie; cette dernière demande à ce qu’on ne l’aide plus et sa mort paraît inévitable; Le dernier alexandrin ” un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler ” rappelle le dernier souffle avant d’expirer et rend cette mort d’autant plus imminente; Plus rien ne fait désormais obstacle  à la disparition programmée du personnage .

 

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