16. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Olympe de Gouges : Homme es-tu juste ? Texte 5 Construire une fiche de révisions pour l’oral à partir de la lecture linéaire · Catégories: Lectures linéaires, Première

En guise d’introduction 

Auteure du XVIIIème siècle marqué par les Lumières, Olympe de Gouges est le nom de plume de Marie Gouze dont la mère avocate était noble tandis que son père était un bourgeois. Mariée à dix-sept ans, mère quelques mois plus tard et très vite veuve, elle ne se remarie pas afin de préserver sa liberté : elle n’a pas besoin de demander l’autorisation d’un mari pour publier, comme la loi l’exige. N’ayant reçu qu’une éducation lacunaire comme les jeunes filles bourgeoises de son époque, elle sait à peine lire et écrire, c’est une autodidacte. Elle dicte ses textes à des secrétaires et compose surtout des pièces de théâtre et des essais pour diffuser ses idées novatrices. Engagée, elle aborde des sujets controversés et partage les idées révolutionnaires les plus radicales et dérangeantes comme la condamnation de l’esclavage ou des mariages forcés tandis qu’elle défend le droit au divorce ou les prostituées. Elle s’intéresse aussi à la politique réclamant d’importantes réformes sociales et d’abord l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, ce dont témoigne sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne parue en 1791. Cette femme trop libre et frondeuse se fait des ennemis : accusée de publication d’écrits contre-révolutionnaires, elle est la deuxième femme guillotinée après Marie-Antoinette en 1793.

Situation de l’extrait

L’extrait se situe après l’épître à la reine et avant la DDFC. L’auteur s’adresse aux hommes et les incite à réfléchir sur la manière tyrannique dont ils se comportent vis-à-vis des femmes, leur accordant injustement une place subalterne dans la société alors qu’ils sont égaux.

Projet de lecture : Comment Olympe de Gouges amène-t-elle les hommes à réfléchir sur l’inégalité entre l’homme et la femme dans la société du XVIIIème siècle ? / Comment dénonce -t-elle l’abus de pouvoir et la tyrannie exercée par les hommes sur les femmes ? / Comment l’auteure dénonce-t-elle l’injuste inégalité entre l’homme et la femme au siècle des Lumières ? ( au choix ) 

Nous pouvons distinguer 3 mouvements, ( un par paragraphe )

L. 1 à 4 O. de Gouges interpelle l’homme et lui demande de réfléchir à la tyrannie qu’il exerce sur la femme.

L. 5 à 9 Comparaison avec les autres espèces dans la nature et constat d’une coopération entre les deux sexes. 

L. 10 à 13 Dénonciation de la tyrannie que l’homme exerce sur la femme en raison de son orgueil et de son ignorance.

Lecture linéaire

Premier mouvement

L. 1 à 4 O. de Gouges interpelle l’homme et lui demande de réfléchir à la tyrannie qu’il exerce sur la femme. Le texte s’ouvre sur une apostrophe à l’homme et une question rhétorique : « Homme, es-tu capable d’être juste ? » Le singulier « Homme » est généralisant : c’est à la gente masculine qu’elle s’adresse. Avec le pronom de 2ème personne « tu », elle ne met pas l’homme sur un piédestal mais s’adresse à lui comme à un égal. Elle semble le provoquer, lui lancer une sorte de défi avec l’expression « es-tu capable » qui fait référence à ses capacités, à ses facultés, lui qui se prétend supérieur à la femme. O. de Gouges souligne d’ailleurs aussitôt avec une phrase emphatique et le présentatif « c’est…que » qu’elle s’adresse à l’homme en tant que femme et donc aussi porte-parole de toutes les femmes comme le confirme ensuite « mon sexe » à valeur de généralisation. La 2ème phrase de rythme binaire est très construite et montre déjà que l’auteure, bien que femme, maîtrise la rhétorique (=art du discours). Dans la 2ème proposition, elle dénonce implicitement l’abus de pouvoir des hommes qui privent les femmes de leurs droits : « tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. » O.de Gouges ose prendre la parole pour poser une question aux hommes et elle prend ainsi ce droit, sous-entendant que l’homme prive la femme de tout autre droit. Elle l’interpelle à nouveau et l’exhorte à lui répondre toujours sur un ton de provocation, en continuant de le tutoyer, la phrase devenant injonctive avec l’impératif : « Dis-moi ? »

La dénonciation se précise dans la phrase interrogative suivante avec l’expression « opprimer mon sexe » l.2. O. de Gouges interroge l’homme sur l’origine de sa prétendue supériorité, son « souverain empire », l.2 formule pompeuse et un peu ridicule à laquelle fait écho « cet empire tyrannique » l.4 qui comparent ici l’homme à un despote, qui commet des abus de pouvoir : le pronom interrogatif « Qui » supposerait un être supérieur, une transcendance, Dieu peut-être. Elle évoque d’autres hypothèses peu convaincantes qu’elle ne prend pas même la peine de développer, ce qui discrédite un peu plus les hommes : « Ta force ? Tes talents ? » l.2-3. La phrase suivante est encore injonctive avec les impératifs « Observe » ; « parcours » et « donne-moi » et sur un ton de défi avec « si tu l’oses », traduisant l’indignation de l’auteure. Elle incite l’homme à observer le monde autour de lui, évoque d’abord Dieu, « le créateur dans sa sagesse », qui dans sa perfection a forcément été équitable. Elle en souligne ironiquement « la sagesse » dont l’homme est, lui, dépourvu. Elle prend aussi pour référence la nature, une valeur importante des Lumières qui renvoie à l’innocence et à la mesure. Elle est ici est mise en valeur avec « sa grandeur ». Le ton est ironique avec la proposition relative « dont tu sembles vouloir te rapprocher » : cela sous-entend que l’homme est loin de la grandeur à laquelle il prétend. Elle dénonce ses prétentions à vouloir égaler Dieu et la nature alors qu’il agit avec les femmes en despote capricieux.

Second mouvement

L. 5 à 9 Comparaison avec les autres espèces dans la nature et constat d’une coopération entre les deux sexes.  O.de Gouge utilise ensuite un raisonnement par analogie : elle demande à l’homme de comparer la relation entre les deux sexes dans l’espèce humaine et dans les autres espèces vivantes. On peut remarquer encore sa maîtrise de la rhétorique avec cette phrase ample qui constitue presque tout le 2ème paragraphe, les parallélismes de construction qui donnent plus de force à ses propos : « Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux » l.5. La phrase est toujours injonctive avec les verbes du champ lexical de la réflexion à l’impératif « Remonte » l.5, « étudie » l.5 « jette enfin un coup d’oeil » l.5, « rends-toi à l’évidence », « cherche, fouille, distingue » l.7. O. de Gouges guide ainsi l’homme dans sa réflexion puisqu’il ne semble pas pouvoir trouver seul ou nie les faits : « rends-toi à l’évidence » finit-elle par lui asséner, ajoutant « quand je t’en offre les moyens » Elle prend le pouvoir par les mots et feint de venir à la rescousse de l’homme. Elle se moque de lui et de se prétentions à dominer  qui selon elle, ne sont absolument pas justifiées. Un peu plus loin « si tu peux »,  équivaut à lui dire implicitement qu’il n’a pas été capable de réfléchir par lui-même, qu’une femme a dû le mettre sur la voie. La conclusion arrive enfin avec le parallélisme de construction « Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent », les verbes au futur de l’indicatif et au présent de vérité générale la présentent comme une certitude fondée en raison, reposant sur l’observation : on retrouve là la méthode scientifique chère aux Lumières et qui s’oppose aux préjugés hâtifs et aux idées reçues . La domination de l’homme sur la femme irait ainsi à l’encontre de la Raison. 

La thèse d’O.de Gouge arrive enfin : l’homme et la femme sont égaux en droit et se complètent comme le souligne le sens du verbe « ils coopèrent » ainsi que les métaphores mélioratives hyperboliques « un ensemble harmonieux » et « ce chef-d’oeuvre immortel » l.9.

Troisième mouvement 

L. 10 à 13 O.de Gouges dénonce la tyrannie que l’homme exerce sur la femme en raison de son orgueil et de son ignorance. Elle donne en effet les raisons de son égarement. Le ton est accusateur : « L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. » Le verbe « s’est fagoté » est péjoratif et souligne un défaut de raisonnement : la femme serait inférieure à l’homme, telle serait « l’exception » ici, devenue pour l’homme « un principe », c’est-à-dire une règle. L’homme ne s’est pas dit qu’il se trompait dans son raisonnement, il a préféré y décréter une exception dont il a fait un principe. Et l’auteur dénonce l’orgueil masculin avec « l’homme seul », l’homme se pensant toujours au-dessus de tous, même de toutes les espèces du règne vivant. L’accumulation d’adjectifs péjoratifs « Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré » dénonce la suffisance de l’homme qui le pousse à l’erreur et au déni. L’antithèse « ce siècle de lumières et de sagacité » / « l’ignorance la plus crasse » l.11 souligne son égarement, son manque de clairvoyance et de lucidité, d’autant plus impardonnable qu’il se proclame éclairé et que la science, le savoir ont progressé. Les modalisateurs dénoncent la vanité de leurs prétentions dans les expressions « il veut commander en despote » « il prétend jouir ». C’est finalement la Révolution même qu’il met en péril puisqu’il se comporte « en despote » et ainsi en ennemi de la liberté. De même il invoque « ses droits à l’égalité » l.13 mais en prive la moitié de l’humanité. A l’opposé, la femme est mise en valeur avec la périphrase « un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles » comme en atteste à elle seule l’exhortation et la DDFC qui suit. Les derniers mots « pour ne rien dire de plus » sonnent comme une conclusion : tout est dit.

Pour conclure , 

Une femme combative qui n’hésite pas à défier l’homme et à remettre en cause la légitimité du pouvoir qu’il exerce sur les femmes ; un texte polémique qui fait clairement entendre se récriminations. Elle le critique, le ridiculise et démontre que son pouvoir se fonde sur un exception aux règles de la nature : elle remet en cause l’idée même d’une domination “naturelle ” : elle est favorable à une collaboration des deux sexes, à égalité, afin d’établir une harmonie et de permettre à l’Humanité d’accéder au progrès et au bonheur , qui est une grande idée des Lumières . 

Ouvertures possibles : les avancées féministes avec l’évolution des mentalités , les femmes ont acquis des droits ( vote, parité ) mais il demeure des formes de sexisme parfois latentes dans les mentalités : c’est l’homme qui devrait travailler et pas la femme, c’est la femme qui doit s’occuper de la maison et des enfants . On peut souligner aussi que dans certains pays, les femmes n’ont pas le droit de conduire, de travailler, de sortir sans être accompagnées par un homme. 

16. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Olympe de Gouges : femme réveille- toi , premier extrait du Postambule de la DDFC texte 6 · Catégories: Lectures linéaires, Première

En introduction, vous rappellerez les principaux éléments liés au contexte ( Lumières, Révolution )  et préciserez les circonstances de la création par Olympe de Gouges de la DDFC ( je vous renvoie au billet de présentation de la DDFC ) Le postambule constitue le principal ajout de la DDFC : Olympe de Gouges y prend clairement position et s’adresse directement aux femmes .  Projet de lecture : comment Olympe de Gouges tente-t-elle de convaincre les femmes de se battre pour obtenir les mêmes droits que les hommes ?  Le texte peut se diviser en 3 mouvements : un appel à la mobilisation, un dialogue animé et un appel à vaincre les résistances qu’elles rencontreront.  Plus »

14. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Place et  fonction du poète au fil des époques : révisez avec Le Monde.fr   · Catégories: Première · Tags: , ,
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Apollon et sa lyre

 Le bac de français nécessite un certain nombre de connaissances sur les objets d’étude ; ce cours d’histoire littéraire qui résume l’évolution des genres et des couranst poétiques  vous permettra  de pouvoir aborder les commentaires littéraires avec quelques repères d’histoire littéraire. Le journal Le Monde édite  chaque année des fiches de révisions pour préparer le bac.  Lisez attentivement  ce cours, résumez-le sur une fiche en notant scrupuleusement les définitions des mots clés (souvent notés en gras ) , les  dates importantes, les noms des principaux poètes et des mots- clés pour définir leurs oeuvres  . Tout commence bien sûr dans l’Antiquité avec les Muses ..
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12. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Arthur Rimbaud : éléments de portrait .. Lettre à Paul Demeny appelée aussi lettre du Voyant · Catégories: Première · Tags: ,
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A 15 ans 

Lorsqu’on parle de poète, on ne peut ignorer le personnage d’Arthur Rimbaud car il représente, à lui seul , une image du poète surdoué, révolté , atypique, inclassable, fou selon les uns, maudit et dépravé selon les autres ; Ses amours violentes avec Paul Verlaine, autre grande figure de la poésie symboliste, ont alimenté durant de nombreuses années les rubriques à scandales des journaux et sa réputation est sulfureuse;  Cet adolescent prodige, qui rafla tous les prix de version latine dans son lycée des Ardennes connut une enfance pour le moins mouvementée : il se disputait fréquemment avec sa mère qu’il surnommait la Mère Rimb ..et fugait régulièrement ,  comme il le raconte dans un de ses plus célèbres poèmes : Ma bohème .  Mais qui est vraiment Rimbaud ?  Sa biographie nous donne une certaine image de lui mais pour se rapprocher d’encore plus près du poète, examinons sa correspondance. Voici une de ses lettres; Il l’adressa à son professeur de français Monsieur Paul Demeny , l’un des premiers à avoir décelé en lui, le talent de l’écriture . Artur Rimbaud quitta à 17 ans  Charleville-Mézières pour monter à Paris et fréquenter les cercles artistiques: il rencontra Paul Verlaine et le suivit jusqu’à Bruxelles ; A la sortie d’une taverne, Verlaine ivre tira sur son jeune amant , sans doute par jalousie carce dernier voulait le quitter . La légende Rimbaud prit ainsi racine dans cette tentative d’homicide sur sa personne.Les deux annnées de prison effectuées par Verlaine en Belgique donnèrent lieu à  un nouveau recueil de poèmes intitulé Sagesse . Ensuite que devint Rimbaud? Cela reste un mystère : il s’embarqua pour l’Afrique où il fut, paraît-il trafiquant d’armes et il revint mourir à Marseille à l’âge de 30 ans. Pendant plus de 15 ans, on ne trouva aucun poème de lui, aucune trace d’une activité poétique . Il a , semble-t-il, renoncé à l’écriture. 

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Lisez attentivement cette lettre et dégagez les grands principes de la poésie pour Rimbaud. Notez les idées et les citations qui vous paraissent importantes pour définir le poète. Définissez les mots qu’il emploie pour parler de sa poésie,les thèmes qu’il entend aborder , les poètes qu’il aime et ceux qu’il déteste ( et pour quelles raisons ) ; définissez également les thèmes et le style des poèmes qu’il insére dans cette longue lettre; Résumez son art poétique, son programme poétique ( c’est à dire sa définition de ce que doit être pour lui la  véritable poésie.  

 Douai.

Charleville, 15 mai 1871.

J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. Je commence de suite par un psaume d’actualité :

CHANT DE GUERRE PARISIEN

Le Printemps est évident, car
Du cœur des Propriétés vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.

Ô mai ! Quels délirants cul-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Écoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !

Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boîte à bougies
Et des yoles qui n’ont jam…jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !…

Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières.

Thiers et Picard sont des Éros
Des enleveurs d’héliotropes
Au pétrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes…

Ils sont familiers du grand truc !…
Et couché dans les glaïeuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements à poivre !

La Grand-Ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole
Et décidément il nous faut
Nous secouer dans votre rôle…

Et les ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.

— Voici de la prose sur l’avenir de la poésie —

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Verlaine et Rimbaud

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — Moyen Âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !

Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m’inspire plus de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de colères un jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux ! d’exécrer les ancêtres : on est chez soi et l’on a le temps.

On n’a jamais bien jugé le romantisme ; qui l’aurait jugé ? les critiques !! Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?

Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs !

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment l’Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités : — c’est pour eux. L’intelligence universelle a toujours jeté ses idées, naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau : on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas, n’étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains : auteur, créateur, poète, cet homme n’a jamais existé !

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !     

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— la suite à six minutes —

Ici j’intercale un second psaume, hors du texte : veuillez tendre une oreille complaisante, — et tout le monde sera charmé. — J’ai l’archet en main, je commence :

MES PETITES AMOUREUSES

Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l’arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs.

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron :
On mangeait des œufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron ;

J’ai dégueulé ta bandoline
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées
Roux laideron,
Infectent encor’ les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous haïs !
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment !…

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours.

Et c’est pourtant pour ces éclanches
Que j’ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D’avoir aimé !

Fade amas d’étoiles ratées,
Comblez les coins
— Vous creverez en Dieu, bâtées
D’ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !

Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c. de port, — Moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n’ai pas tenu un seul rond de bronze ! — je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, et ma Mort de Paris, deux cents hexamètres ! — Je reprends :

Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;

— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! Il faut être académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !-

Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus — (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie ces poèmes seront faits pour rester. — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque. L’art éternel aurait ses fonctions ; comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action, elle sera en avant.

Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, — idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. — Ce n’est pas cela !

Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s’en rendre compte : la culture de leurs âmes s’est commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. — Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. — Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème. J’ai Les Châtiments sous la main ; Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.

Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, — que sa paresse d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla, Ô Namouna, Ô la Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, jean La Fontaine, ! commenté par M. Taine ! Printanier, l’esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l’émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque, tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d’un carnet. A quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n’a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadif, traîné de l’estaminet au pupitre de collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations !

Les seconds romantiques sont très voyants : Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine — les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles.

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Les deux poètes maudits 

Rompue aux formes vieilles, parmi les innocents, A. Renaud, — a fait son Rolla, — L. Grandet, — a fait son Rolla ; — les Gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, CI. Popelin, Soulary, L. Salles ; les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Desessarts ; les journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ; les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx, Sully-Prudhomme, Coppée, — la nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un vrai poète. — Voilà. — Ainsi je travaille à me rendre voyant. –

Et finissons par un chant pieux.

ACCROUPISSEMENTS

Bien tard, quand il se sent l’estomac écœuré, 
Le frère Milotus un œil à la lucarne
D’où le soleil, clair comme un chaudron récuré,
Lui darde une migraine et fait son regard darne,
Déplace dans les draps son ventre de curé.

Il se démène sous sa couverture grise
Et descend ses genoux à son ventre tremblant,
Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise,
Car il lui faut, le poing à l’anse d’un pot blanc,
À ses reins largement retrousser sa chemise !

Or, il s’est accroupi frileux, les doigts de pied
Repliés grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioches aux vitres de papiers,
Et le nez du bonhomme où s’allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu’un charnel polypier.

Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe
Au ventre : il sent glisser ses cuisses dans le feu
Et ses chausses roussir et s’éteindre sa pipe ;
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
À son ventre serein comme un monceau de tripe !

Autour, dort un fouillis de meubles abrutis
Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres,
Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis
Aux coins noirs : des buffets ont des gueules de chantres
Qu’entr’ouvre un sommeil plein d’horribles appétits.

L’écœurante chaleur gorge la chambre étroite,
Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons,
Il écoute les poils pousser dans sa peau moite
Et parfois en hoquets fort gravement bouffons
S’échappe, secouant son escabeau qui boite…

Et le soir, aux rayons de lune qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumière,
Une ombre avec détails s’accroupit sur un fond
De neige rose ainsi qu’une rose trémière…
Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond.

Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.

Au revoir,

A. Rimbaud.

07. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Portrait d’une femme révolutionnaire : Olympe de Gouges · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: , , ,
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Si l’on compte de nombreux hommes parmi les figures révolutionnaires comme Robespierre, Mirabeau, Danton ou Saint-Just, certaines femmes défendirent également les idées et les valeurs qui agitèrent la société française en ces temps mouvementés . Parmi elles, on peut citer l’épouse de celui qui fut Ministre de l’Intérieur en 1791, Madame Roland, qui mourut exécutée avec les députés girondins ; Et une certaine citoyenne Mademoiselle Olympe de Gouges ; Elle combattit notamment pour l’égalité des droits entre le sexe  prétendu fort et le sexe qu’on nomme faible : celui des femmes . Voici quelques éléments de portrait et une partie de ses écrits. Plus »

02. janvier 2024 · Commentaires fermés sur Louise Michel, une femme combattante et militante · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Commençons par des éléments biographiques :  Olympe de Gouges fut une femme engagée, révolutionnaire et militante des droits des femmes ; Son combat pour l’égalité des droits s’est poursuivi au siècle suivant et la femme que nous allons présenter, Louise Michel,  qui sera surnommée la Vierge Rouge , a bien des points communs avec l’autrice de la DDFC . Tout d’abord Louise Michel est une enfant naturelle : sa mère était servante pour un couple de châtelains et à la naissance de Louise, leur fils quitte le château. L’enfant sera élevée par ses parents comme leur fille mais à la mort de ces derniers, sa mère et elle se retrouvent à la rue; Elles viennent vivre à Paris où Louise devient institutrice ; Très vite elle  se fait remarquer par Clémenceau et entretient une correspondance avec Victor Hugo qui lui consacrera , bien des années plus tard ,un poème intitulé  “Viro major” Plus grande que l’homme , poème dans lequel  il fait d’elle un mythe de la Révolte et loue son courage face à la menace de son exécution en 1871, quand elle sera arrêtée parmi les communards. Plus »

20. décembre 2023 · Commentaires fermés sur Voltaire et la cause des femmes: portrait d’une femme qui a le verbe haut …discours de la maréchale de Grancey · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Au XVIIIe siècle, le courant littéraire des Lumières se caractérise par sa volonté de réformer la société . Les philosophes et les écrivains qui en font partie , ont combattu, dans leurs œuvres, de nombreuses injustices telles que l’esclavage, l’intolérance religieuse, l’usage de la torture . Voltaire, dans ses contes philosophiques comme Candide, L’Ingénu et dans les articles qu’il écrit pour l’Encyclopédie, aborde  ces différents points avec un registre ironique dont il ne se départit que rarement. Dans le passage que nous étudions, extrait d’un recueil de  Mélanges et pamphlets  il dénonce les injustices dans la relation maritale grâce à un personnage éloquent : la maréchale de Grancey . Cette dernière est furieuse car elle a lu dans les Épîtres de saint Paul  le conseil suivant: «  Femmes, soyez soumises à vos maris. » et elle entend démontrer que le religieux a tort de vouloir la sujétion  des femmes. Pour mener ce combat de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, Voltaire a construit , à partir d’une anecdote, et sous la forme d’un discours, un réquisitoire virulent : Comment le personnage de la maréchale permet-il à Voltaire de promouvoir la cause des femmes, et de mettre en évidence les préjugés sexistes? Le premier mouvement du texte interroge le lecteur sur la condition féminine et ses « malheurs » ;( 1/12 ) Le second mouvement illustre les raisons  supposées de la supériorité masculine ( 13/21 ) ; Le dernier mouvement fait l’éloge d’une femme politique admirable et montre le brillant exercice du pouvoir au féminin  Plus »

28. novembre 2023 · Commentaires fermés sur Un nouveau contrat social souhaité par Olympe de Gouges : principaux éléments d’une lecture linéaire · Catégories: Lectures linéaires, Première

Situation de l’extrait : attention pour composer  et compléter vos introductions, vous reprendrez , au préalable , les éléments de contextuels et biographiques vus pour l’extrait précédent )

Le postambule de la DDFC est suivi par un  court essai intitulé Forme du contrat social de l’homme et de la femme  Olympe de Gouges y développe la nécessité de certaines réformes sur le statut des femmes  et notamment à propos du contrat de mariage ; Après avoir évoqué, à la fin du postambule, la situation des femmes sous l’Ancien Régime, elle entend démontrer qu’il est nécessaire de modifier le régime matrimonial sous peine de voir les “vices ” inhérents au règne de la monarchie, perdurer. L’action révolutionnaire, à ses yeux, doit en effet s’accompagner de mesures législatives efficaces pour garantir la protection des femmes et mettre un terme à la dépendance arbitraire qui les lie à leurs époux. L’extrait étudié commence à “Voilà à peu près la formule de l’acte conjugal “ et se termine par “le gouvernement français ne saurait plus périr . Plus »

06. novembre 2023 · Commentaires fermés sur Le Malade imaginaire : la fausse mort d’Argan · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

La comédie -ballet de Molière intitulée Le malade imaginaireréserve plusieurs surprises aux spectateurs.  La comédie s’ouvre en effet sur un prologue chanté et comporte des intermèdes qui accompagnent l’intrigue et divertissent les spectateurs. Le dramaturge nous raconte l’histoire d’Argan , un homme qui se croit toujours malade et qui voue une admiration excessive aux médecins et  suit aveuglément leurs ordonnances. A tel point qu’il décide, égoïstement,  de donner comme mari à sa fille Angélique , le fils d’un médecin  .   Pour aider Angélique à échapper à ce mariage et faire douter Argan des médecins, Toinette , avec la complicité de Béralde, se déguise en médecin volant et  au terme d’une consultation loufoque, parvient à faire douter Argan  . Il est  désormais prêt  à accepter de se faire passer pour mort afin de tester son entourage, et de connaître leurs véritables sentiments. La scène se situe à la fin de l’acte III  et c’est. Béline qui  est la première victime de ce dispositif , sorte de théâtre dans le théâtre . On peut observer trois mouvements dans l’extrait : Toinette imite la tragédie, Béline se démasque et le spectateur apprécie la surprise finale avec le “réveil ” d’Argan . Plus »

05. novembre 2023 · Commentaires fermés sur L’île des esclaves : une utopie sociale inventée par Marivaux · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , , ,

En  1725 ,lorsqu’il met en scène L’ile des esclaves, cette comédie philosophique,  Marivaux a déjà connu le succès au théâtre avec ses comédies sentimentales :  La Surprise de l’amour  et La double inconstance ; Il y analyse les rouages des relations amoureuses et tente de faire découvrir à ses personnages ce qu’est une relation sincère , qui ne se fonde ni sur les apparences ni sur la vénalité ou l’intérêt mais simplement sur les mouvements et le langage du coeur; Observateur avisé de ses semblables , le dramaturge se lance avec l’Ile des Esclaves, dans une comédie sociale: il s’agit de critiquer la manière dont les aristocrates traitent leurs domestiques et de leur apprendre , grâce à un renversement des rôles, à se montrer plus humains et plus respectueux .  Plus »