20. février 2020 · Commentaires fermés sur Le tragique de la mort de Phèdre : une passion mortelle , ingrédient de la tragédie classique ? · Catégories: Première

 Au dix-septième siècle, la tragédie classique propose aux spectateurs des histoires dont ils connaissent déjà la fin . Le mythe permet ainsi au dramaturge de puiser dans une matière préformatée qu’il peut toutefois légèrement accommoder à sa guise . Ainsi Racine , en 1677, met en lumière dans sa  version de Phèdre, le destin cruel de l’héroïne qui annonce sa mort dès son entrée en scène . De la tragédie Anouilh disait ceci, avec beaucoup d’humour : “C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr… (…) Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir”  Au milieu de la seconde guerre mondiale, il met en scène une version d’Antigone , cette jeune fille qui refuse de choisir la vie et qui s’obstine à désirer la mort; A sa manière , Phèdre, elle aussi, se tourne résolument vers une issue fatale. Voyons comment …..

A peine entrée en scène, elle veut déjà mourir pour ne plus souffrir de ce mal d’amour qui l’affaiblit : “Soleil , je te viens voir pour la dernière fois “( 41 ) ; C’est de cette manière qu’elle s’adresse à son grand-père et son attitude résignée fait le désespoir de sa nourrice Oenone : “Vous verrai-je toujours renonçant à la vie / Faire de votre mort les funestes apprêts ? ” Le registre élégiaque est dominant dans les échanges des deux femmes. La nourrice tente de lui rappeler ses devoirs ” De quel droit sur vous-même osez-vous attenter / Vous offensez les dieux auteurs de votre vie/ vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie/ Vous trahissez enfin vos enfants malheureux. ” ; on entend ici clairement la condamnation du suicide considéré comme un péché par la religion . La mort semble la seule issue pour le personnage de Phèdre qui ne peut révéler son terrible secret : ” Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste” ; le spectateur aura noté que les aveux ne changeront rien : parole empêchée, ou parole libérée , Phèdre est déjà condamnée et rien ne semble pouvoir faire faiblir sa détermination : pas plus le chagrin de sa nourrice que la pensée de ses enfants ” Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable/ Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable ” Un alexandrin qui affiche le caractère implacable de cette mécanique tragique que rien ne peut enrayer comme le dira Anouilh en 1944″ et voilà maintenant le ressort est bandé ” . Ainsi , Phèdre annonce sa fin inéluctable  et Racine emploie même ici le présent  d’énonciation  qui rend l’action concrète : ” Je péris la dernière et la plus misérable ” annonce-telle au vers 258. Les aveux de Phèdre ne diffèrent que de quelques instants le moment où elle choisira de mourir : ” J’ai pris la vie  en haine et ma flamme en horreur  ; Au vers 308, le dramaturge établit  ainsi le lien entre son amour criminel et son désir d'en finir: l'amour est donc clairement la cause de sa mort et elle prie sa nourrice de la laisser se donner la mort . L'annonce de la mort de Thésée pourtant va faire passer le projet de Phèdre au second plan: sa situation a changé te son amour n'est plus extra-conjugal : ce qui devrait la libérer des interdits de la morale . Elle paraît même suivre avec empressement le conseil d'Oenone : " Vivons..si vers la vie on peut me ramener ” ( 364) L’acte I se clôt sur cette résolution qui est , en quelque sorte, une volte-face.  .

On ne retrouve Phèdre qu’ à la cinquième scène de l’acte II : elle fait face à son beau-fils et lui annonce , sa mort prochaine ” Mon fils n’a plus de père  et le jour n’est pas loin / qui de ma mort doit le rendre témoin” ; elle évoque ainsi  les conséquences de la mort de Thésée: leur enfant est désormais sans défense et Hippolyte pourrait vouloir s'emparer du trône de son père ou éliminer son demi-frère ; c'est à ce moment que Phèdre, emportée par ses paroles , avoue son amour à Hippolyte et aussitôt  lorsqu'elle réalise ce qu'elle vient de faire, , elle le supplie de la tuer pour mettre fin à sa honte et à son déshonneur " Voilà mon coeur, c’est là que ta main doit frapper ..frappe, délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite” . ( 701 et 704 ) L’acte II s’achève avec le départ d’Hippolyte qui vient d’apprendre que Thésée est peut -être vivant .

Le troisième acte s’ouvre sur les reproches de Phèdre qui voudrait être morte et s’en prend à Oenone : elle lui reproche d’avoir voulu la sauver et elle préfèrerait être déjà morte : ”  quand sous un joug honteux, à peine je respire / quand je me meurs ..”  (763 ) Elle a alors l’idée de proposer à Hippolyte de devenir roi à sa place afin de le retenir et de pouvoir ainsi continuer à le voir. Mais le projet de Phèdre est contrecarré par l’arrivée de Thésée : cette dernière résume l’évolution de sa situation de manière lapidaire : “ Je mourais ce matin digne d’être pleurée/ J’ai suivi tes conseils,je meurs déshonorée” ( 838 )  .Sa mort a donc changé de sens mais elle demeure imminente. Le temps dans la tragédie est extrêmement resserré . L’héroïne semble pressée d’en finir “Mourons ” dit-elle au vers 857 ” De tant d’horreurs qu’un trépas me délivre /Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ? / la mort aux malheureux ne cause point d’effroi. ” ( 859 )  Considérée comme un aveu de faiblesse au début de la tragédie, la mort est ici vue comme une délivrance . Phèdre accepte le mensonge d’Oenone et laisse la vertu du jeune homme souillée . Thésée, quant à lui , est extrêmement déçu par l’accueil qui lui est réservé et il est bien résolu à savoir ce qui s’est passé durant sa longue absence. Hippolyte, innocent, pense qu’il n’a rien à redouter. Il se trompe ..

Comme les trois autres, le quatrième acte débute par une révélation qui va précipiter le dénouement ; Mais le mensonge d’Oenone aura des conséquences imprévues : la mort de Phèdre est cette fois, racontée par sa nourrice sous une forme pathétique  ” Phèdre mourait Seigneur, et sa main meurtrière / éteignait de ses yeux l’innocente lumière j’ai  vu lever le bras/ j’ai couru la sauver ( 1019 ) La servante raconte ici que sa maîtresse a tenté de se donner la mort : elle a une manière bien à elle de présenter les faits. Furieux Thésée chasse son fils et le maudit . Ce dernier proteste de son innocence; En vain ! Il quitte la scène  en insinuant que le sang de Phèdre est criminel .Alors que Phèdre s’apprête à révéler qu’elle a menti, Thésée lui apprend qu’Hippolyte est épris d’Aricie : du coup, elle se tait et souffre d’une jalousie terrible qui lui fait , à nouveau, entrevoir la mort, comme un aboutissement : “la mort est le seul dieu que j’osais implorer/ j’attendais le moment où j’allais expirer ( 1244 ) . Rendue folle sous l’effet de la jalousie, elle souhaite se réfugier dans les enfers car elle se considère comme monstrueuse   “fuyons dans la nuit infernale ” ( 1277 ) Oenone lui rappelle qu’elle n’est qu’une faible mortelle et qu’on ne peut vaincre sa destinée ” ( 1297 ) et Phèdre la chasse en la traintant de monstre .

Le dernier acte débute  par un dialogue entre Hippolyte et Aricie : il lui propose de fuir avec lui et de l’épouser; elle semble y consentir . Thésée, troublé par les paroles d’Aricie qui défend Hippolyte, continue à chercher ce qu’on lui cache et il décide d’interroger Oenone ; le conseiller du roi Panope lui rapporte ses inquiétudes pour l’état de santé de la reine : “Un mortel désespoir sur son visage est peint/ la pâleur de la mort est déjà sur son teint” ( 1463 ) Au moment même où le roi comprend qu’on lui a menti en apprenant la mort d’Oenone qui s’est jetée dans la mer, il tente d’infléchir Neptune qu’il a chargé d’exécuter sa vengeance ; Mais il est trop tard: Théramène vient nous apprendre la mort d’Hippolyte qui a succombé à ses blessures ; Un monstre furieux l’a attaqué et la pauvre Aricie s’est évanouie de douleur; Tout est prêt désormais pour la mort de Phèdre : “le fer aurait déjà tranché ma destinée “, avoue-t-elle au vers 1633. Elle a finalement décidé de s’empoisonner mais auparavant ,elle innocente Hippolyte : “déjà jusqu’à mon coeur le venin parvenu / dans ce coeur expirant jette un froid inconnu..et la mort à mes yeux dérobant la clarté/rend au jour qu’ils souillaient, toute sa pureté ” Ce sont ses derniers mots : elle se définit donc comme une femme monstrueuse , en partie à cause de son sang maudit et également parce qu’elle n’a pas su surmonter son amour criminel .

Sa mort traduit à la fois sa faiblesse face à la force de la passion et la faiblesse de l’individu confronté à un destin qui l’écrase.Il est bien difficile de démêler ce qui l’emporte ici ; le tragique se construit à partir de cette impuissance de l’homme. Les interprétations diffèrent sur la nature du personnage de Phèdre ; certains y voient une chrétienne à qui la grâce  a manqué ; d’autres une femme prisonnière de son désir et qui combat  son odieux amour parce qu’elle a un certain sens moral ;

Phèdre incarne bien l’héroine tragique qui lutte contre son atavisme et son destin . Le tragique provient également de l’aveuglement des personnages en proie à leurs passions , Littéralement, ils ne peuvent plus voir les choses et ils ne peuvent plus se voir: ce qui justifie sur le plan dramaturgique les départs et les exils. Enfin , le tragique passe par la parole : retenue, mensongère ou libérée ; Le tragique est également lié à la mort inéluctable , à sa présence sur scène tout au long de la pièce, comme une menace à peine voilée .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

30. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La Bruyère et les Caractères : une peinture imaginaire de la Cour et des Grands . · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Jean de La Bruyère est un moraliste français, qui a rédigé une œuvre unique et originale Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle ; Ce livre est composé essentiellement de portraits et maximes, regroupés parfois sous forme de chapitres qui présentent une unité thématique . Les “traits” dépeints dans les Caractères révèlent un esprit critique et indépendant, celui d’un homme de la fin du dix-septième siècle . Ses observations, souvent impitoyables envers la nature humaine, conservent une valeur intemporelle. Malgré l’objectif affiché par le titre de l’ouvrage, le moraliste recourt à l’imagination et à la fiction pour permettre l’exercice de la pensée critique . C’est ce que nous voyons à l’oeuvre dans cet extrait où il critique avec férocité les mœurs de la Cour en adoptant une sorte de regard étranger . Nous verrons d’abord le portrait des jeunes gens avant d’évoquer les reproches qu’il adresse aux femmes et celles qui visent l’adoration du Roi

portrait-mme-montespan-versailles-mv-3542.jpg
Portrait-Mme-Montespan-

Le premier procédé utilisé par le moraliste est celui du regard étranger sur une contrée imaginaire . Le narrateur , volontairement dissimulé sous un on global et indéterminé, évoque la Cour comme s’il s’agissait d’un pays éloigné dont il précisera d’ailleurs la position géographique avec les coordonnées de latitude et de longitude, à la fin de sa description, aux  lignes 21 et 22. La  peinture critique débute par une opposition entre les qualités des vieillards et les défauts des jeunes gens qui composent une partie de la population de ce pays imaginaire; Alors que les premiers sont galants, polis et civils, les jeunes ‘au contraire ,marque de l’antithèse, sont qualifiés de “durs, féroces, sans moeurs ni politesse” . Défauts et qualités s’opposent en tous  points et on constate que les défauts l’emportent car ils sont au nombre de quatre. Le moraliste affine sa critique en précisant que ces jeunes gens ne se comportent pas de manière habituelle et il les compare à tous les autres  qui se trouvent “ailleurs” ; Leurs moeurs seraient donc propres à ce pays imaginaire uniquement;  Il leur reproche d'être déjà dégoutés de l'amour des femmes très tôt et cela lui semble une aberration; Il utilise un terme plutôt mélioratif, le verbe s’affranchir qui signifie être capable de se détacher d’une passion, s’en libérer , pour montrer que ces jeunes hommes sont , prématurément, blasés et ne cherchent plus à connaître l’amour; Serait- ce le signe de trop de galanteries à la Cour ? La Bruyère nous renverrait ici une image proche de celle de Madame de La Fayette qui dépeint   les dangers des amours à la Cour et la multiplication des intrigues amoureuses;

Au lieu de se tourner vers les femmes , ces jeunes gens “leur préfèrent des repas ” peut on lire à la ligne 3, ainsi que des viandes; Ce choix peut paraître discutable d'un point de vue moral et il présente la nourriture , la bonne chère comme une alternative préférée à la chair , c'est à dire à l'amour. Néanmoins, à la fin de cette proposition, on découvre la mention d’amours ridicules ; ( ligne 4 ) Que veut indiquer ici le moraliste? Etablit-il , par allusion,  une différence entre amours sérieux et amours ridicules ? Est-ce une critique des nombreuses aventures adultères ou aux amours homosexuelles  qui désigneraient une partie de la Cour, autour de Monsieur, Philippe d'Orléans,frère du roi, réputé pour ses liaisons masculines et son goût de la fête , qui mettait fort en colère la reine . En effet, de nombreux mémorialistes et notamment Saint -Simon, qui était pourtant un ami personnel du frère du roi  , notent son goût immodéré pour le vin et pour la débauche en général . S’agirait-il donc d’une généralisation, dans l’extrait de La Bruyère d’une forme de décadence à la Cour , marquée à cette époque par le faste . En 1682, rappelons que lorsque Louis XIV s’installe à Versailles, il est entouré au quotidien de près de 10000 personnes.

La critique de l’alcoolisme outrancier des jeunes gens à la cours fait l’objet de plusieurs remarques sous la forme de notations paradoxales : ne boire que du vin est ainsi assimilé, chez eux , à de la sobriété car ils ont besoin d’alcools de plus en plus forts comme le traduit le superlatif de la ligne 6 “liqueurs plus violentes ” pour terminer par l’eau- forte associé à la débauche, lignes 6 et 7 . L’eau -forte désigne l’acide nitrique dont se servent les graveurs pour dessiner dans le cuivre ; mélangé à de l’eau, l’acide nitrique est un puissant décapant corrosif, mortel s’il est ingéré et La Bruyère fait- il référence aux nombreuse tentatives d’empoisonnement à la Cour en nommant un poison toxique capable de tuer l’homme. Il joue avec la parenté du mot eau de vie qui renvoie à des alcools très forts .

La seconde partie de la critique s’adresse particulièrement aux femmes de la Cour accusées d’être trop artificielles : Ces dernières , en effet, “précipitent le déclin de leur beauté “paradoxe pour signaler que leur maquillage excessif les enlaidit au lieu de les embellir. La Bruyère goûtait sans doute peu, les évolutions de la mode à la Cour qui avaient imposé ,des transformations dans les tenues féminines. Sous l’influence d’Anne d’Autriche, régente de son fils Louis XIV, la mode à la Cour était plutôt austère mais , dans la seconde moitié du règne du roi Soleil, les costumes avaient changé : les manches étaient devenues plus courtes, les coiffures plus travaillées et le maquillage avait fait son apparition ; La Bruyère note surtout le manque de pudeur de certaines tenues : le verbe étaler à la ligne 9 est péjoratif et reflète le comportement amoral des femmes de la Cour ; une fois de plus, le moraliste recourt à un paradoxe pour souligner sa critique de l’impudeur “comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire “ ; il monter qu'elles sont très dénudées et que leurs tenues sont impudiques. En révélant publiquement , par leurs toilettes, les parties jusque là cachées de leur corps notamment les bras, le haut de la poitrine et le cou;

L’évolution de la mode masculine est également fustigée avec une nouvelle coutune qui choque la Bruyère: il s’agit du port de la perruque alors en vogue; cette dernière est qualifiée, à juste titre de “cheveux étrangers “ à la ligne 12; En effet, les perruques sont composées de cheveux qui n’appartiennent pas, en propre, à ceux qui les portent et le terme étrangers peut ainsi renvoyer au contexte imaginaire de cette “région “étrange et lointaine. Le moraliste reproche au port de la perruque de rendre la physionomie “confuse ”  ligne 11 ce qui est présenté comme un défaut contraire à la netteté et au naturel ( ligne 12) ; De plus, la perruque est également accusée de modifier l’aspect de la personne qui la porte d’en “changer les traits ” ; Les apparences prennent ainsi le dessus sur le naturel ce qui est quelque peu contraire à l’esprit de l’honnête homme , le modèle que défendent les moralistes . De plus, les perruques brouillent les repères et semblent empêcher “qu’on connaisse les hommes à leur visage” ; Est-ce ici une référence à l’expression montrer son vrai visage qui signifie être franc , ne rien dissimuler. On retrouve ainsi les mêmes reproches que ceux formulés à l’encontre des courtisans par l’auteure de La  princesse de Clèves: des hommes et des femmes qui dissimulent leurs véritables sentiments.

labru7.jpgLa dernière partie de notre texte est consacrée à la critique du culte personnel rendu au roi. A la ligne 14, La Bruyère met d’ailleurs sur le même plan les deux entités  associées par la coordination : “leur Dieu et leur roi “; Il décrit ensuite le culte catholique et le rituel des célébrations religieuses comme s’il s’agissait d’étranges cérémonies païennes; Le vocabulaire qui est employé rappelle celui de la Grèce antique avec la mention à la ligne 15 du temple, devenu “église” et de la liturgie qui  est désignée au moyen de l’expression “ célébration des mystères” ; La religion catholique est définie au moyen de trois adjectifs : “saints, sacrés et redoutables ” : si les deux premiers d’ailleurs qeulque peu  redondants, sont laudatifs et rappellent la dimension sacrée des rites;   le dernier ferait plutôt référence à la peur qui animerait certains fidèles ; En effet, à la cour il est plus prudent d’assister aux offices et de ne pas être accusé d’hérésie comme le furent les Protestants; La période , en effet, est agitée et de vives tensions sont perceptibles dans l’entourage même du roi : en 1685 ce dernier, sous la pression de la reine, révoque l’Edit de Nantes et interdit ainsi aux protestants, de plus en plus nombreux à la cour, d’afficher et de pratiquer leur religion . Notons que La Bruyère est proche de la famille du Prince de Condé, cosuin du roi et  qui fut l’un des principaux opposants politiques de Louis XIV; il fut lle précepteur et ensuite le secrétaire de Louis III de Bourbon -Condé, petit-fils du grand Condé ; il donna également des leçons à l’épouse de ce dernier (le mariage eut lieu alors qu’elle n’était âgée que de 11 ans ) Mademoiselle de Nantes , qui était la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. ) A la ligne 19,l e narrateur met en doute la sincérité de la foi de certains courtisans qui “semblent avoir tout l’esprit et tout le coeur appliqués ” Il leur reproche de ne pas s’intéresser au déroulement même de l’office mais de préférer regarder le roi alors qu’ils tournent le dos au prêtre . Son dernier commentaire évoque une “espèce de subordination ” qu’il juge déplacée ; N’étant pas lui-même d’une grande noblesse, La Bruyère épingle la morgue de certains grands du royaume qu’il fréquentait mais en tant que subalterne ; Il dénonce ici l’affectation de leur piété: leur dévotion semble se tourner davantage vers la figure du roi que vers Dieu ; la construction de la phrase de la ligne 20, avec ses parallélismes,  traduit cet état de fait ” ce peuple paraît adorer  le Prince et le prince adorer Dieu “. La révélation de la localisation de cet étrange pays est donnée sous forme de devinette à la fin du texte et rappelle que La Bruyère enseignait l’histoire et la géographie; La référence aux Iroquois et aux Hurons fait passer les courtisans pour d’étranges personnages aux moeurs tout aussi étranges que celles des peuples cités qui font l’objet de la curiosité des Français .

 En conclusion de ce court extrait , on peut voir que La Bruyère aime le juste milieu et refuse tous les excès. La dimension morale des Caractères repose sur cette invitation au lecteur à ne pas imiter ses personnages décrits dans leur démesure. Il critique également les dangers de vivre dans les apparences et les fausses valeurs, comme c’était le cas à la cour de Louis XIV. Les courtisans se souciaient plus de leur apparence que de ce qu’ils étaient réellement, prêts à tout pour se faire une place dans la société, quitte à passer à côté de la morale. Il prône l’idéal de l’honnête homme, qui sait rester fidèle à ses principes sans tourner le dos à son prochain, qui est cultivé mais ne tombe pas dans le pédantisme, qui représente un idéal social d’équilibre, en somme. Du point de vue politique, La Bruyère dénonce tous les excès de la monarchie absolue, qu’il s’agisse de l’exaltation de la grandeur et de l’argent ou de la tyrannie hiérarchique exercée sur les classes sociales inférieures telles que celle des paysans. Les Caractères parurent de manière anonyme et l’écrivain a utilisé le pouvoir de l’imagination pour permettre, aux aristocrates, public lecteur ,  de réfléchir aux moeurs de leur temps ; Lorsque la critique est virulente et touche de près les lecteurs, le détour par l’imagination permet de mettre la distance nécessaire à la réflexion.

La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moraliste, tout comme Jean de La Fontaine ou François de La Rochefoucauld car si son écriture vise à plaire, elle vise avant tout à instruire son lecteur, à lui délivrer une morale. C’est en cela qu’il s’inscrit aussi pleinement dans le classicisme, prisant la mesure et refusant les excès. De plus, il défend la théorie des « Anciens » et se méfie de la nouveauté  car il pense que la littérature de l’Antiquité a atteint la perfection ; Dans la querelle des Anciens et des Modernes qui divise les Académiciens, , il prendra le parti de Racine, de Boileau et de La Fontaine contre Perrault et Fontenelle dont il fera le portrait à charge dans l’un de ses caractères.

A titre de complément, voilà un autre extrait qui dépeint la Cour comme un pays imaginaire

ll y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels.
La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des passions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.
Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan d’autant plus parfaite, qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.

 Un exemple maintenant, pour préparer l’écrit du bac, de plan de commentaire littéraire donné sur ce site  https://francaiscourbac.skyrock.com/2835430708-DE-LA-COUR-74-LECTURE-ANALYTIQUE.html
1. Un narrateur étranger. les indices de l’énonciation
Plusieurs formulations laissent penser que celui qui parle rapporte des paroles entendues et décrit ce qu’on lui a présenté mais qu’il n’a pas vu lui-même.
A. L’utilisation du « on ».
Ce pronom ouvre le texte sans que le lecteur puisse savoir si le narrateur s’inclut ou non dans le groupe. Ce n’est donc pas un indice révélateur à lui seul.
On remarque la présence d’un deuxième « on », « où l’on commence ailleurs à la sentir », qui peut poser le même problème, mais de l’un à l’autre, certains éléments laissent penser que cet emploi fait du narrateur le rapporteur d’un message relatif à des lieux qu’il ne connaît pas.
B. les références à une région étrange.
Le mot « région », caractérisé par la présentation de ceux qui y vivent, est repris par l’expression « cette contrée », puis par « pays ».
Le terme « peuple » (au singulier ou au pluriel), ou la périphrase « Ceux qui habitent » font également penser à un pays étranger dont la population aurait des comportements inattendus.La localisation géographique qui termine le texte, par rapport au pôle d’une part, de l’autre à des tribus indiennes, termine sur une note exotique qui accentue l’aspect « pays lointain » et inconnu de la région décrite.Le texte se trouve ainsi ouvert et fermé par l’évocation d’un pays original, dans lequel les comportements sont constamment dépaysants.
C. Les périphrases et l’insistance sur l’apparence.
Le pays n’étant pas nommé, on ne peut appeler ses habitants par leur nom.La périphrase « Ceux qui habitent cette contrée » permet de les désigner en jouant sur l’ignorance.D’autres expressions vont dans le même sens : « les cheveux étrangers » désignent les perruques.Par ailleurs la formulation « qu’ils nomment », « qu’ils appellent » insiste sur le fait qu’il s’agit de pratiques et de terminologies peu connues.La récurrence des verbes soulignant l’apparence joue le même rôle : « semblent », « paraît ».Ces différentes formulations se combinent pour brouiller l’énonciation : le lecteur ne sait pas de quoi il est question, ni dans quelles circonstances celui qui parle émet son message.Il ne sait pas non plus comment ce dernier se situe par rapport à ce qu’il rapporte des éléments de présentation entendus à propos d’un pays lointain dont les coutumes, présentées un peu approximativement, ne sont pas clairement élucidées : utilisation de « comme si » à propos des femmes (« comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire »), interprétation erronée de l’emploi des perruques (« (…) empêche qu’on ne connaisse les hommes à leurs visages »).L’emploi de ce procédé est de nature à créer l’étonnement du lecteur et sa curiosité : il devient de ce fait plus réceptif à un message qui présente l’intérêt de l’exotique ou de l’insolite.

2. Une présentation organisée et structurée. la structure du texte
Malgré l’absence de mots de liaison, on peut observer une organisation de la présentation, qui va de la « région » au « pays », en passant en revue les habitants à travers leurs façons de vivre, puis le roi et les relations qu’ils entretiennent avec lui.Cette structure se met en place par simple juxtaposition.
On observe successivement :* La présentation des jeunes gens, avec leur manière d’être en général, leur manière de manger puis de boire.
Cette présentation se fait par comparaison de ce groupe avec celui des vieillards (« L’on parle… de l’eau-forte »).* La présentation (« Les femmes… à leur visage ») des apparences vestimentaires des femmes d’abord (maquillage, vêtements) puis des hommes en général, avec une insistance sur les perruques et sur leur utilité (ici, empêcher que l’on reconnaisse ceux qui les portent, ce qui est une interprétation volontairement erronée).* L’existence de « grands », d’un prince, d’un dieu : c’est l’occasion de rapporter un rituel en le déformant et en le représentant sous un jour volontairement naïf . L’exposé est précis, relevant de ce qui est visuel, avec des notations brèves et simples qui traduisent un peu naïvement des cérémonies empreintes de toute la pompe versaillaise.
La progression qui suit le texte est donc perceptible :Le présentateur commence par des catégories d’âge et par ceux qui sont le plus éloignés du roi, pour aborder ensuite les courtisans plus proches, puis le roi lui-même.Cette hiérarchie inversée se retrouve dans l’analyse de la subordination : « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu ».Or, c’est précisément l’ordre suivi par le présentateur de cette « faune » insolite : peuple, femmes, grands, prince, Dieu.Cette classification permet à celui qui parle de mettre en relief de nombreux éléments critiques.

3. Les éléments de la critique.
La présentation de chaque catégorie est caractérisée par l’utilisation d’un vocabulaire très nettement dépréciatif : adjectifs connotés négativement, insistance sur les défauts, mise en relief des contradictions ridicules.
A. Les caractérisations négatives.
On observe l’emploi d’adjectifs comme « durs », « féroces », eux-mêmes hyperboliques, ou comme « pas nette », « confuse », « embarrassée ».
L’expression « sans mœurs ni politesse » marque également l’absence.Tout le comportement alimentaire et amoureux des jeunes gens souligne qu’ils sont blasés, excessifs, comme s’ils avaient déjà tout connu. Le narrateur fait ici le portrait rapide de libertins, comme le souligne le terme « débauche ».
B. L’expression des comportements outrés ou contradictoires.
L’utilisation de verbes d’action met en relief des gestes et des actions présentées sous une forme critique.
Toute l’attitude des femmes est rendue par l’activité (présentée comme néfaste) du maquillage. La première phrase qui leur est consacrée met en relief, par l’opposition « déclin de leur « beauté » / « servir à les rendre belles », les contradictions de choix qui conduisent à l’opposé des effets cherchés, sous l’influence de la mode, la « coutume ».
Les attitudes contradictoires et étonnantes, pour cette raison, sont aussi celles des courtisans qui sont avec le roi à l’Église : « les grands forment un vaste cercle… et tout le cœur appliqués » : au lieu de se tourner vers l’autel et vers le prêtre, ils regardent le prince dans une attitude d’idolâtrie.
C. Le ton naïf de certaines formulations.
La présentation du roi dans un rituel religieux est faite dans une tonalité presque naïve que l’on perçoit d’une part à la simplicité du vocabulaire, d’autre part au souci de précision :« les grands de la nation… faces élevées vers le roi ».
La simple juxtaposition des remarques, l’insistance sur les apparences donnent une apparente importance feinte à des comportements qui sont ceux, habituels, des courtisans.En affectant de faire passer pour insolite ce qui est usuel, La Bruyère en souligne les ridicules et les outrances.
D. La présence de critères, d’éléments de comparaison présents ou sous-jacents.
En utilisant constamment la référence au « pays » à la « contrée » particulière dont il est question, le narrateur attire l’attention sur le fait que tout ce qui est décrit pourrait être autre, ou autrement, ailleurs.Les démonstratifs font référence à une région précise, ce qui n’exclut pas d’autres pays et d’autres modes de comportement.Ainsi, ailleurs, les jeunes gens pourraient être polis, les femmes simplement belles, sans « étalage » inutile, les hommes pourraient ne pas se cacher derrière des perruques et le roi ne pas se faire adorer par des courtisans.
La dénonciation de ce qui se passe à un endroit précis, identifiable comme étant Versailles, laisse imaginer ce qui pourrait exister à la place.
La manière de procéder de La Bruyère est donc à double effet.
Parmi les critiques énoncées, beaucoup relèvent de la vie de cour et sont donc historiques (ce qui touche au roi et à ses relations avec ses courtisans).
Il en est de même pour la mode féminine ou celle des perruques. Parallèlement, on peut considérer que certains comportements stigmatisés sont simplement humains : le goût de l’excès chez les jeunes libertins se retrouve à diverses époques, l’hypocrisie des courtisans avides de montrer leur adoration du roi appartient à toutes les hiérarchies sociales, la coquetterie féminine et le goût du maquillage ne sont pas typiques de la cour de Louis XIV.
En ce sens, on peut dire que le texte, au-delà d’une critique de la vie de cour, et plus précisément de Versailles, s’applique à de nombreux comportements sociaux de tous les âges et de toutes les époques.Il est alors intéressant de faire le bilan des effets nés du « regard étranger » dans ce texte : le mélange d’insolite (dans la formulation) et de familier (dans la réalité réellement présentée) crée une distorsion entre l’apparence (ce qui est supposé vu par le regard inhabitué) et la réalité (connue des lecteurs).La non – coïncidence exacte attire l’attention sur ce qui est montré sous un jour nouveau, et qui est alors vu différemment.Le ridicule ainsi perçu devrait conduire à regarder Versailles comme une sorte de « zoo » monstrueux : peuplades bizarres, comportements incompréhensibles, décalages et contradictions.
CONCLUSION.
Par le biais d’une présentation insolite et dépaysante, La Bruyère dénonce dans ce texte les comportements des courtisans. Le tableau, d’un réalisme caricatural, passe par un regard qui dit ce que les courtisans ne voient plus à force d’habitude. Il est intéressant de remarquer que La Bruyère utilise, pour rendre sa critique plus mordante, et plus efficace, un procédé qui sera largement repris après lui, avec l’objectif de souligner le poids des traditions et des préjugés, par les partisans des modernes, les philosophes. Il est  paradoxal que ce soit un partisan des « Anciens » qui en ait donné le modèle.

 

28. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Médée trahie par Jason : les conséquences tragiques d’une passion. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,
médée2.jpg
Jason à la conquête de la Toison 

En 1635, un jeune dramaturge, Pierre Corneille décide de construire une pièce de théâtre  en exploitant certains aspects du mythe de Médée . Il reprend des éléments utilisés par le grec Euripide et  le latin Sénèque et met l’accent sur la dimension spectaculaire de l’intrigue. Blessée par l’abandon de Jason qui est décidé à épouser sa nouvelle fiancée Créüse , Médée va se venger d’une manière terrible en empoisonnant la robe de sa rivale et en provoquant la mort du père  de cette dernière; le roi Créon. Toutefois, Corneille place le spectateur face à une figure de femme poussée par  sa vengeance meurtrière. Alors que dans la tragédie antique, la fatalité semblait peser sur les hommes et les accabler, dans la tragédie baroque, les personnages se trouvent confrontés à  des choix cruciaux et prennent des décisions qui engagent leur destin. Ainsi Corneille  choisit de mettre en scène le suicide de Jason à la fin de sa pièce comme pour montrer que le traître n’a pas survécu à sa trahison et à l’assassinat de ses enfants.  Fidèle au principe de catharsis défini par Aristote, Corneille tente de provoquer la pitié du spectateur en montrant une femme qui souffre et en tentant de justifier ses agissements .  

Le passage que nous étudions se situe à la fin du premier acte et complète les éléments d’exposition. La magicienne s’ adresse aux Dieux et les implore de l’aider à accomplir  sa vengeance contre celui qui l’a trahie. Ses origines divines et monstrueuses sont rappelées par Corneille qui la présente toutefois comme une femme bafouée et blessée. Ce sont ces deux aspects qui composent la tragédie intime de Médée. La lecture linéaire commencera , au dernier tiers du texte , à partir du  vers Tu t’abuses Jason ..elle comportera 28 vers

médée1.jpg
 

1 . C’est d’abord  une femme monstrueuse et dangereuse 

Ses  origines maléfiques sont rapelées dans le premier mouvement de la tirade .

La colère de Médée éclate dès le début de sa tirade et elle en appelle à ses” soeurs”  “les Furies” . En effet, la mère de Médée, Idyie était la soeur de la célèbre magicienne Circé qui transformait les hommes en porcs . Toutes deux sont filles d’un Titan et elles représentent la génération des anciens Dieux qui précèdent les Olympiens. Médée est également fille d’un roi , celui de Colchide, Aétés et elle s’enfuira avec Jason et la Toison d’Or  bravant la colère d’Aetés. Elle ira jusqu’à découper son propre frère en morceaux pour ralentir la poursuite du roi lancé à leurs trousses. Les déesses qui sont invoquées  par la magicienne sont toutes maléfiques : elles sont des sorcières “troupe savante en noires barbaries” et poursuivent les criminels comme les Furies. En effet, dans la mythologie romaine, les Furies sont l’équivalent des Erynies chez les Grecs , divinités persécutrices infernales qui apparaissent souvent sous la forme de hideux spectres comme les larves et les pestes. Les Erynies sont trois avec Mégère à leur tête: on les représente sous la forme de femmes aux cheveux de serpent et aux yeux rouges .  Corneille mentions d’ailleurs les serpents  et les enfers au vers  Quant aux filles de l’Acheron, elle sont comme Médée, des Océanides car l’Acheron est un Dieu fleuve qui a été précipité aux Enfers par Zeus car il a étanché la soif des Titans. Il est le fils de la Terre Gaîa et du Soleil Hélios.  .  Médée a donc un aspect effrayant pour le spectateur à cause de ses origines maléfiques et sa dimension infernale est rappelée à plusieurs reprises . Sa colère pourrait donc aisément être mortelle ce qui apporte une première dimension tragique à ce passage .

 2 Mais c’est aussi une femme meurtrie qui souffre 

médée3.jpg
Les Erynies

 Rappelons tout d’abord les faits : Médée est bien mal récompensée de l’aide apportée à Jason car elle lui a apporté une aide précieuse à plusieurs reprises; Il lui doit la vie et un amour envoyé par Vénus la lie à lui.

La colère mortelle de Médée peut, en partie, être justifiée par le rappel des faits : Jason s’est montré parjure et déloyal comme l’indique l’adjectif perfide a. Médée rappelle le rôle qu’elle a joué lors de la conquête de la Toison  : elle a en effet, utilisé sa magie pour que Jason puisse affronter le feu du dragon  en fabriquant pour lui un onguent qui le met à l’abri des blessures des flammes ; Elle a accompli “tant de bienfaits “   et Corneille met à la rime ce mot avec le parallélisme de construction au vers suivant “tant de forfaits ” ; On a l’impression que Jason a remercié la jeune femme de tout ce qu’elle a accompli pour lui,  en la trahissant et en la délaissant pour une autre . Médée n’avait pas hésité à sacrifier son propre frère, qu’elle a découpé en morceaux pour ralentir la poursuite menée par leur père , et toujours dans le but permettre la fuite de Jason . Incontestablement, elle se trouve ainsi, bien mal récompensée des meurtres accomplis contre son propre sang. On peut noter également que dans sa vengeance, elle fera périr sa rivale en la brûlant , punition symbolique inverse de ce qu’elle a accompli pour protéger Jason. 

Elle se veut menaçante lorsqu’elle rappelle l’étendue de ses pouvoirs : “ sachant ce que je suis, ayant vu ce que j’ose, croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ? ” Les questions rhétoriques ici ont pour but d’effrayer les spectateurs et de leur faire prendre conscience des pouvoirs du personnage . En effet, la tragédie baroque ne cherche pas à écarter le surnaturel mais se propose plutôt ici de considérer la dimension surnaturelle de cette femme et de la mettre en scène en tant que magicienne puissante. C’est un autre aspect tragique de  cette scène : la souffrance de la magicienne est liée à une trahison amoureuse.  L’amour malheureux est souvent associé au registre tragique.

3.  Et c’est surtout une femme qui se venge 

Le déferlement de colère est la caractéristique de  la fin ce passage qui révéle le caractère passionné de Médée.

médée6.jpg
 

La trahison de Jason est bien présentée comme la cause de la colère de la magicienne ; Le faux serment rappelle son mensonge et sa trahison: alors qu’il a juré un amour éternel à la jeune femme après lui avoir fait deux enfants, il la répudie pour épouser Créüse. Et la mort semble bien le prix à payer pour cette trahison amoureuse comme : “la mort de ma rivale et celle de son père ” sont  deux actions présentées par la magicienne comme seules capables d’apaiser le courroux de Médée. Quant à Jason, il est  condamné à l’exil et à la solitude éternelle “ qu’il courre vagabond de province en province ” ;  rappelons toutefois que pour les Grecs, l’exil était considéré comme un châtiment plus dur que la mort car le criminel expiait plus longtemps ses fautes . On se souvient d’Oedipe exilé après la découverte de  son double crime (il a tué accidentellement son père et provoqué le suicide de sa mère ) et d’ Oreste poursuivi sans repos par les Furies après le meurtre de sa mère Clytemnestre.  Le sort  tragique de Jason est prédit : ” banni de tous côtés, sans bien et sans appui / accablé de frayeur de misère et d’ennui ” . L’énumération et la gradation montrent ici un personnage poursuivi par d’éternels remords et qui vit un véritable enfer. C’est ce qui est rappelé  avec ce présent dramatique : ” Jason me répudie ” et qui l’aurait pu croire ?  Le spectateur paraît ici partager l’étonnement de la jeune femme , sa stupéfaction. La colère de la magicienne éclate à grands coups d’imprécations : elle prend d’abord les Dieux anciens comme appuis et les appelle à l’aide pour accomplir sa vengeance. Ainsi elle se définit comme l‘éternel bourreau de Jason qu’elle compte bien poursuivre d’ailleurs  jusqu’à la mort , figurée ici par le tombeau

Analysons maintenant la dernière partie de la tirade qui fait l’objet de la lecture linéaire : le premier vers peut s’entendre comme une menace et la magicienne y rappelle ses pouvoirs. “je suis encore moi-même “ manifeste son orgueil et sa puissance.L’adjectif à la rime “extrême ” qui qualifie l’amour de Médée  est une périphrase pour désigner la passion désormais transformée en haine au   début du  vers suivant. Les verbes de volonté sont nombreux ce qui met en lumière la détermination sans faille de Médée : “je veux” dit-elle au vers 4 ; le dramaturge met en relation , grâce aux antithèses, le passé et le présent  : après avoir tué pour Jason et pour faciliter leur union , elle va désormais commettre un “forfait ” synonyme de crime , pour entériner leur séparation. ” Sépare ” et “joints” sont opposés au vers 4 ainsi que mariage et sanglant divorce aux vers suivants. La relation d’égalité est invoquée au début du vers 6 “s’égale ”  afin d’unir le présent et le passé dans l’abomination; Médée s’apprête à réitérer d’horribles crimes à l’image de ceux qu’elle a déjà commis et qu’elle ne cesse de rappeler aux spectateurs . La même idée est reprise avec l’identité du “commencement” de leur union et de sa fin pareille au vers 8; On remarque d’ailleurs que Racine mentionne la fin avant le début car c’est bien de ce dont il s’agit sur scène. La faute de Jason apparait une fois encore : le pronom tu est ici accusateur : ton changement au vers 7, est bien à l’origine de la rupture . L’idée de vengeance est alors complète . De plus; cette  sorte de vengance paraît suivre une logique implacable  qui va s’accomplir avec préméditation et calcul. L’abomination du crime est précisée au vers 9 et constitue une sorte d’acmé dans la scène : il s’agit de déchirer l’enfant aux yeux du père ” ; rien de moins qu’un infanticide présenté comme la première étape du plan :  l’expression “le moindre effet  de ma colère” tend à minimiser l’ampleur de ce qui va être accompli et le spectateur redoute alors bien pire; Corneille livre ici, comme il l’explique dans sa Préface une Médée “toute méchante ” ; Cette femme semble monstrueuse et redoutable ; Elle décrit d’ailleurs ses anciens meurtres abominables comme des ” coups d’essai”  au vers 11 ; ce qui laisse présager une nouvelle montée dans l’horreur avec le “chef d’oeuvre ” qu’elle promet au vers 13. Le dramaturge étonne ici le spectateur avec l’utilisation de termes mélioratifs sur le plan artistique pour rendre compte de la “perfection d’une criminelle ” ; Médée devient une virtuose dans le Mal et s’apprête à montrer ce qu’elle sait faire ; Le verbe savoir en fin de vers “sai” donne du personnage l’image d’une experte qui s’est d’abord initiée avec un “faible apprentissage “ au vers 14. Elle devient ainsi une exécutante avec un projet de grande envergure , une sorte d’héroïne chargée de l’extrême dans le Mal;  pour le moraliste, la Passion amène l’individu à adopter des positions extrêmistes et pour le dramaturge, l’héroïne qui se laisse diriger par sa passion, devient un monstre au sang froid. La dernière partie de la tirade est un retour au divin: Médée y sollicite, à nouveau , l’aide des Dieux mais cette fois, elle ne s’adresse plus aux Dieux chtoniens, des Enfers ; elle invoque et implore son ancêtre le Soleil; En effet, ce projet est tellement démesuré qu’elle a besoin de “grands secours ” ; les feux des Enfers ne suffisent pas pour son projet car ils torturent le plus souvent les ombres, c’est à dire les morts voués aux flammes des Enfers; elle a besoin du Soleil qui est présenté, à la fois comme l’auteur de sa naissance donc son ancêtre et l’auteur du jour, périphrase qui le désigne souvent dans la mythologie; La mention du Char du Soleil fait référence au mythe qui explique qu’Hélios, le Dieu soleil ,effectue chaque matin et chaque nuit le tour de la terre avec son quadrige pour ramener le jour et apporter la nuit . Elle implore son grand-père de lui venir en aide car un “affront “ est fait ” à sa race ” au vers 21 : en effet, chez les Grecs, la notion de génos, de lignée , était primordiale . De plus, le terme affront présente le projet de la magicienne comme une vengeance de sa famille , ce qui donne une forme de légitimité à sa propre vengeance : on dépasse ainsi le cadre strictement individuel pour aborder une dimension collective.  Médée nomme sa soif de meurtre “désir bouillant “: l’adjectif désigne ; à la fois, l’intensité de son désir et par métaphore, rappelle le feu , qui sera , dans un premier l’arme du  double crime ; elle va enflammer Créüse sa rivale avec un cadeau empoisonné, une robe; cette robe qui va prendre feu tuera également  le père de cette dernière Créon , qui va tenter de sauver sa fille qui brûle sous ses yeux et ensuite  elle mettra le feu à leur palais . La jeune femme se fait implorante en demandant au Dieu de lui accorder une “grâce “ : le Soleil ne prête pas volontiers ses chevaux car les conduire nécessite un véritable savoir-faire et les quelques mortels qui ont essayé, ont provoqué des catastrophes. La fin de la tirade la montre en action: elle s’imagine , en train de réaliser sa vengeance: “je veux choir sur Corinthe” : Racine évoque ainsi, par anticipation, la tragédie qui va s’abattre sur la totalité de la ville ; la passion de Médée se transforme en folie meurtrière et elle s’apprête à détruire une ville toute entière par déception amoureuse; On mesure ici à quel point la passion sera funeste pour les Corinthiens;  Afin de rassurer son grand-père, Médée précise qu’elle limitera sa destruction aux murs de la cité corinthienne . Les “odieux murs”  (on note ici la personnification de la ville  à travers la métonymie des murailles ) marquent les  limites de sa vengeance de femme blessée. Elle conclut en ajoutant qu’elle agit, mue par un “juste courroux ” : elle cherche à nouveau à justifier ses futurs meurtres et à les présenter comme la conséquence logique de la trahison de Jason, qui passe ainsi pour le véritable coupable. Le caractère inexorable de ce dénouement funeste est marqué par l’emploi de l’adjectif “implacable” : rien ne semble pouvoir arrêter Médée et faire obstacle à sa volonté.

 En conclusion de cette partie , la colère vengeresse de Médée sera l’objet du reste de la tragédie et le spectateur  qui sait que Jason a réussi à s’enfuir dans le mythe antique, sera étonné de voir que Corneille le fait mourir à la fin de sa version . C’est Médée qui, après avoir égorgé leurs enfants, réussit à s’enfuir dans un char envoyé par son aïeul, le Soleil. On peut donc définir cette Médée baroque  comme une tragédie de la vengeance qui s’abat sur un homme coupable, à ses yeux, de la plus haute des trahisons : avoir méprisé son amour passionnel et l’avoir quittée pour une autre femme . La trahison initiale de Jason est présentée comme la cause de tous ces tourments . L‘amour extrême de Médée  se transforme alors en haine et elle va s’efforcer de lui rendre la monnaie de sa pièce. Les meurtres à venir s’inscrivent comme l’envers de ceux qu’elle a commis autrefois pour préserver son époux; Le sacrifice du frère deviendra infanticide et au lieu de le protéger, il détruira l’homme que désormais elle hait plus que  tout. Avec Médée , Corneille a mis en scène une passion destructrice .

27. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Une princesse à la cour du roi Henri II: portrait d’un milieu dangereux et précieux conseils d’une mère · Catégories: Première · Tags:
cleves6.jpg
Diane de Poitiers, amante du roi Henri II 

En vous promenant dans les jardins du château de Chenonceau, vous pouvez vous dire que vous suivez les pas de Diane de Poitiers et de la reine Catherine de Médicis. A la mort de son royal mari, Catherine a confisqué à la maîtresse de ce dernier Madame de Valentinois, son château de Chenonceau dans lequel , du fond de son bureau à trois fenêtres, qui surplombe la rivière, elle a tenu à régner et à diriger la France; Aujourd’hui on peut encore admirer ce magnifique bureau et imaginer quelles décisions politiques importantes ont été prises par la souveraine dans cette  cette pièce. S’il y a bien un domaine qui pouvait sembler politiquement sensible à cette époque, ce sont les mariages à la Cour; En effet, tout un jeu d’alliances et de complots se forment pour que les familles allient leur puissance ou se neutralisent. Lorsque la Princesse de Clèves fait son apparition à la Cour, elle demeure avant tout une fille à marier dont la famille cherche un très beau parti. Elle va alors devoir affronter les dangers de la Cour et c’est un milieu dont elle ignore tout…

Ce ne sont pas les candidats qui manquent : le Duc de Guise, le Prince de Clèves et le Duc  de Nemours vont soupirer après la belle.Mademoiselle de Chartres qui n’est alors âgée que de 16 ans. Heureusement qu’elle pourra compter sur les conseils avisés de sa mère, la très sage Madame de Chartres. Un premier extrait se situe au début du roman et de l’intrigue : il s’agit avant tout pour l’auteure, Madame de Lafayette, de dépeindre la Cour comme un milieu dangereux et souvent hostile. 

cleves2.jpg
Galerie de Chenonceau

Voyons comment le personnage de la mère est ici construit par Madame de Lafayette . Le passage présente avant tout les dangers de la cour et le rôle d’une mère auprès de sa fille , novice, qui découvre un milieu qu’elle ne connait pas.  Etudions tout d’abord la peinture de la Cour. La Cour est tout d’abord personnifiée à la ligne 397 ” l’ambition et la galanterie ” étaient l’âme de cette cour ; Ces deux caractéristiques mêlent inexorablement politique et amour et subordonnent les liaisons amoureuses à des intérêts politiques qui dépassent l'individu. Ce dernier est perçu,en effet, comme membre d'un lignage auquel il appartient et dont il se doit de servir les intérêts. Cette idée d'un lien entre amour et politique  est reprise sous la forme d'un parallélisme de construction aux lignes 401: "l‘amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour. La  narratrice souligne ici à quel point la sincérité des sentiments peut être mise en doute; Les intrigues amoureuses apparaissent alors comme des manoeuvres destinées à fortifier son camp ou sa famille . Cette situation est voulue par les hommes aussi bien que les femmes et qui sont ainsi mis à égalité comme le traduit l’adverbe également dans l’expression ligne 398 “occupaient également les hommes les femmes “ 

Les dangers de la Cour sont liés à la fois à cette duplicité des nobles qui s’y côtoient mais aussi à la multiplicité des affaires  comme le traduit l’expression “il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes  “; ( 399)  Ainsi le danger semble vraiment réel et Mademoiselle de Chartres fait figure de jeune innocente au milieu de tous ces nobles ; Aucun, en effet ne semble trouver grâce aux yeux de la narratrice : “personne n’était tranquille ni indifférent ” Il faut donc se méfier de tout le monde à la Cour même de ceux qui se prétendent vos amis .  A la ligne 403, l’énumération des verbes à l’infinitif : “s’élever, plaire, servir ou nuire ” rend bien compte du mélange des ambitions de ces courtisans et du caractère changeant de leurs inclinations. L’un des traits des moralistes du dix-septième siècle consiste , en effet, à décrire l’homme comme un être changeant , victime de ses passions et régi par des forces qui lui dictent sa conduite; Madame de Lafayette se montre très proche des conceptions de Monsieur de La Rochefoucauld  , conceptions vulgarisées dans son recueil : Maximes où il écrit par exemple:  L’esprit est toujours la dupe du coeur ou La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend, et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. Ces écrivains s’efforcent de peindre les vices des hommes pour les corriger  et la peinture de la société qu’ils élaborent dans leurs ouvrages est assez noire.

cleves9.jpg
Les dangers de l’amour 

A la ligne 404 , on constate que les mot plaisirs et intrigues sont placés sur le même plan comme pour nous faire comprendre que c’est au moyen de ces différentes intrigues que les nobles trouvent du plaisir : comme si le fait de comploter faisait ,quelque part, partie de leur nature . La narratrice va ensuite peindre les différents réseaux d’influence qui se focalisent autour de cinq dames influentes : la reine Catherine de Médicis, la soeur du roi appelée Madame et les jeunes reines : la reine dauphine qui est l’épouse du fils aîné du roi Henri II ,Marie Stuart, la reine de Navarre qui est la fille de Henri II et la maîtresse du roi, Diane de Poitiers . Cette dernière déteste la jeune demoiselle de Chartres en raison de son lien avec le vidame de Chartres ; ce dernier , en effet, a refusé d’épouser l’une des filles de Diane de Poitier par amour pour la reine. On mesure donc à quel point la maîtresse du roi fait courir un danger à la jeune fille . 

Chacune de ces femmes d’influence va attirer une sphère de courtisans qui  vont se modeler aux qualités dont elles font preuve: ainsi la reine attire les femmes d’un certain âge et qui “faisaient profession d’une vertu plus austère ”  ( 410 ) alors que les jeunes et jolies femmes éprises de galanterie se rassemblent plus volontiers autour de la reine dauphine; Seule Diane de Poitiers paraît peu entourée ou dédaigneuse de l’intérêt qu’on lui porte, par une sorte de fierté : “la Duchesse de Valentinois avait toutes celles qu’elle daignait regarder mais peu de femmes lui étaient agréables. ”  (419)

Toutes ces intrigues font de la cour un milieu hostile  et dangereux dans lequel il faut être initié si on souhaite échapper aux périls qui règnent dans cet endroit ; ” il y avait une sorte d’agitation sans désordre”  ( l 429 ) est une expression pour le moins ambivalente , utilisée par l’auteure pour tenter de nous faire saisir ce curieux mélange entre dangers nombreux et recherche constante des plaisirs . Ce qui crée dans l’esprit du lecteur un lien entre plaisir et péril.

Voyons comment Madame de Chartres va pouvoir exercer une influence sur sa fille qui vient d’être introduite dans ce milieu périlleux. 

L’éducation de la jeune fille est présentée pour sa mère comme une entreprise extrêmement sérieuse comme on peut le voir avec l’expression ” avait eu tant d’application ” et “ne discontinua pas de prendre les mêmes soins ” Cette entreprise difficile est rendue d’autant plus nécessaire au vu de la dangerosité du lieu das lequel la jeune fille va désormais évoluer.

 Du coup, la peinture des dangers de la cour renforce le caractère ardu de l’éducation pour la mère préoccupée de l’avenir de sa fille. La Cour est vue par la mère comme une sorte d’enfer où se mêlent les séductions des plaisirs et les plus grands dangers pour les âmes innocentes . On comprend ainsi la valeur de ce qu’elle va inculquer à sa fille au moment où elle va se retrouver confrontée à “tant d’exemples si dangereux” ; D’emblée ; le destin de la future Princesse est présenté comme périlleux et le lecteur peut d’ores et déjà se demander si elle va succomber à toutes les tentations.

Madame de Chartes es caractérise par une lucidité hors du commun “elle voyait ce péril” et un désir de protection maternelle à son paroxysme: “elle ne songeait qu’aux moyens d’en garantir sa fille ” On peut toutefois souligner le paradoxe de la position de la mère qui, à la fois, offre sa fille à tous les regards afin de lui trouver le meilleur parti possible et en même temps, lui demande de se forger une carapace et de se méfier de tout le monde, en particulier des hommes.

La modernité de ce roman vient de la demande de la mère d’être considérée par sa fille comme une amie  et surtout comme une confidente sur le plan amoureux ; Madame de Chartres compte sur son expérience pour protéger sa fille des mensonges que les hommes de la Cour seraient tentés de lui dire afin de s’assurer ses faveurs ou de lui arracher une promesse de mariage ; Il est donc logique que sa mort  prématurée dans le roman plonge la jeune femme dans le plus grand désarroi car elle perd à la fois l’amour d’une mère mais également les précieux conseils d’une amie. La relation mère/fille ne se construit pas seulement sur le respect mais sur un attachement et une affection véritable. A cette époque, il était rare de constater une véritable complicité entre les parents et les enfants qui ne partageaient pas toujours le même toit, surtout durant leur enfance. Néanmoins, certaines auteures comme Madame De Sévigné ou ici , madame de La Fayette se font l’écho d’un nouveau mode de relations, plus intime , entre les mères et les filles.

cleves10.jpg
La chambre de Catherine de Médicis

  Grâce à la correspondance de Madame de Sévigné,  par exemple, nous savons qu’elle adorait sa fille et souffrait cruellement d’en être séparée après le mariage de cette dernière avec le Comte de Grignan.
 Ce passage nous présente donc à la fois les dangers de la Cour et le rôle que Madame de Chartres entend jouer auprès de la future Princesse de Clèves : une mère attentive et protectrice qui se donne comme mission de la guider : “elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l’on était  souvent embarrassée quand on était jeune.”

cleves3.jpg

Chenonceau 

 

22. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : une trahison triplement mortelle · Catégories: Première · Tags:
phè1.jpg
 

 Jean Racine est un dramaturge du dix-septième siècle dont les pièces s’inspirent à la fois du théâtre antique et des théories jansénistes . D‘Aristote, il s’efforce de respecter les règles des trois unités , de la bienséance et met en scène la catharsis , ce mélange pour le spectateur de terreur et de pitié qui doit purger ses passions et le libérer  de leur  violence . Des Anciens, il reprend les  mythes , récits symboliques chargés d’enseignement pour ses contemporains mais il les modifie afin qu’ils soient plus proches des théories jansénistes dont il est le défenseur. A la différence du catholicisme,  inspiré des jésuites, qui  considère que l’homme dispose d’une liberté de choix, les jansénistes croient en la prédestination et pensent que tous les hommes n’ont pas la possibilité de sauver leur âme; Certains sont donc fatalement voués à la damnation . Racine s’accorde,en partie, avec la fatalité antique mais il va toutefois infléchir le déroulement de l’intrigue .  Ainsi  l’héroïne Phèdre, dans la tragédie éponyme de Racine, se suicide bien à la fin de la pièce, comme dans la version antique  mais seulement après avoir longuement  exprimé ses remords et avoué ses fautes et  son mensonge. Dans les versions d’Euripide et de Sénéque, Phèdre s’empoisonne certes mais sans jamais avoir avoué qu’elle a menti . Racine atténue donc , en quelque sorte, la noirceur du personnage afin de la rendre un peu moins coupable et surtout repentante, aux yeux du spectateur . 

phè3.jpg
 

Phèdre parait surtout victime d’une vengeance de la part de Vénus; cette dernière qui trompait  régulièrement son mari le Dieu Vulcain avec un autre Dieu, Mars, le Dieu de la guerre, a été dénoncée par le grand-père de Phèdre, Hélios, le Dieu soleil, qui a découvert les deux amants . La déesse de l’amour , vexée décide  alors de se venger sur la descendance d’Hélios; elle a puni la mère de Phèdre , Pasiphaé en l’ensorcelant pour qu’elle s’accouple avec un taureau dont elle enfantera le Minotaure, ce monstre qui ravagera la Créte . Elle punit également Phèdre en lui insufflant un passion mortelle et coupable pour son beau-fils, le jeune Hippolyte, fruit de l’union de Thèsée et d’Antiope, la reine des Amazones. C’est d’ailleurs en combattant le Minotaure que Thésée va faire la rencontre d’Ariane, la soeur de Phèdre à laquelle il promet de l’épouser en échange du fil d’ Ariane, avant de finalement l’abandonner sur une île sur le chemin du retour. 

phè4.jpg
 
phè2.jpg
 

Au moment où la tragédie débute, Thèse est parti depuis de longues années et sa jeune épouse souffre d’un amour qui lui empoisonne la vie : elle est tombée amoureuse de son beau-fils, retrouvant dans sa jeunesse les traits de son père à son âge. Cet amour peut être vu comme une sorte de malédiction divine et , le retour soudain de Thésée, coup de théâtre au début de l’acte IV, va précipiter le dénouement funeste. Phèdre laisse sa  confidente Oenone calomnier Hippolyte, l’accusant d’avoir tenté d’abuser de sa belle-mère. Phèdre est alors folle de jalousie car elle vient d’apprendre que le jeune homme, qui a repoussé ses avances , partage un amour réciproque mais impossible avec Aricie l’unique survivante des Pallantides, le peuple ennemi exterminé par Thèse avant de prendre le trône de Trézène. Racine réussit donc ici à concilier différents motifs tragiques de l’amour impossible .

Au début de la scène que nous étudions , Thésée qui vient d’apprendre le crime de son fils, laisse éclater sa colère et implore le Dieu Poséidon de l’aider à accomplir sa vengeance . Aux premiers regards échangés, Thésée peine à voir la trahison d’Hippolyte et voit plutôt la vertu sur le front de son fils. Il pose alors une question essentielle : à quel signes reconnait-on à coup sûr, la trahison : “ Ne devrait-on pas , à des signes certains / Reconnaître le coeur des perfides humains ? ” Tragédie amoureuse, Phèdre est également tragique à cause d’une erreur de jugement . Le père s’est fié à la parole d’une confidente , de son épouse et n’a pas pris en considération les dénégations de son propre fils qu’il condamne hâtivement , sous le coup d’une fureur qu’il peine à contrôler . 

Nous pouvons , dans cet extrait montrer comment la trahison apparaît et de quelle manière la colère de Thésée devient un instrument tragique ; 

La trahison

phé6.jpg

Le mot perfide au vers 1 désigne à cette époque celui qui agit sournoisement, avec l’intention de nuire, en paroles ou en actions . Souvent associé  par métonymie comme adjectif à des parties du corps (regard perfide, gestes perfides) il peut désigner la personne toute entière  et devenir un substantif. Il est immédiatement suivi du mot monstre qui désigne celui qui n’appartient plus au genre humain ou qui se comporte de manière inhumaine.  Hippolyte est ensuite comparé à un ” reste impur des brigands ” triple dévalorisation ici ; Le mot reste , en effet, révèle des origines douteuses ; le qualificatif impur renvoie à la souillure de la trahison et remet en cause la naissance de cet enfant ; Son sort peut ainsi apparaître semblable à celui des brigands dont Thésée a purgé le pays; On voit à travers l’ emploi du verbe purger que la vengeance qui va s’exercer est justifiée par la monstruosité de l’acte commis ; Le roi mentionne  ensuite,au vers 4, un amour plein d’horreur et le mot fureur à la rime de l’alexandrin suivant , dresse un portrait peu flatteur de ce fils meurtrier monstrueux

La Punition du “traître ” 

Le vers 6 identifie Hippolyte comme une tête ennemie ce qui connote une hostilité du père et il lui reproche son infamie , mot utilisé pour qualifier des actes ignobles. La condamnation est l’exil qui frappe les criminels les moins pardonnables car les Anciens pensaient que le bannissement et l’opprobre, c’est à dire le fait d’être rejeté par tous, étaient des châtiments plus durs que la mort qui délivrait le coupable de ses tourments. La souffrance infligée par l’exil s’accompagne souvent d’une vengeance des Dieux qui poursuivent les criminels avec , par exemple, les Furies ou Erynies ( comme Oreste et Oedipe ) . L’ignominie du fils entache toute la lignée et le déshonneur va nécessairement rejaillir sur Thésée comme l’indiquent les vers 14 et 15 . S’il devient infanticide  et tue son fils de ses propres mains, Thésée déshonore son nom et craint qu’on ne retienne de lui que cet acte odieux : il a peur qu’en tuant son enfant cela ‘vienne souiller sa gloire “ . Sa réputation serait doublement ternie : elle l’est déjà à cause de ce “fils si criminel ” . Thèse menace alors Hippolyte et l’enjoint de fuir : l’anaphore de l’impératif aux vers 10,16 et 20 insiste sur la nécessité d’un décret immédiat et “sans retour “(vers 20) . Pour el spectateur, il est facile d’imaginer la fuite  éperdue du jeune homme ; c’est en fuyant pour avoir la vi sauve que le monstre marin va le précipiter vers sa fin de manière tragique te non sans faire preuve une dernière fois de bravoure.  Sa mort va alors attirer la compassion du spectateur qui le sait innocent du crime dont son père l’accuse. Le récit du messager Théramène qui rapporte à Thésée la mort de son fils est un des moments d'”émotion de la tragédie . En nous faisant revivre cet épisode , avec comme principal spectateur le père éploré , Racine emploie ici la double énonciation propre au spectacle théâtral. 

Une intercession divine : le prix de la vengeance 

phè7.jpg
 

La colère de Thésée fait place à une invocation de la colère divine : le père furieux se tourne alors vers les Dieux pour qu’ils accomplissent sa vengeance en récompense des actes héroïques commis en leur honneur; Il s’agit d’une sorte d’échange de bons procédés et Thésée rappelle qu’il rendit service à Neptune en tuant “d’ infâmes assassins” et que le Dieu lui doit donc une faveur ” pour prix de mes efforts heureux / tu promis d’exaucer le premier de mes voeux ” Cette idée selon laquelle les Dieux s’engagent auprès des hommes et sont liés par leurs serments, contraste avec l’idée d’une fatalité aveugle et implacable; Neptune agit ici à la demande du père et parce qu’il lui doit un service. Le spectateur peut se douter que la promesse sera exaucée et il sait que le jeune homme est perdu doublement ; " j’abandonne ce traître à toute ta colère / étouffe dans son sang ses désirs effrontés . ”  Cette imprécation est véritablement tragique car d’une part, elle signe la mort d’Hippolyte injustement : il  est innocent du crime pour lequel son père l’a condamné et d’autre part, la trahison et le mensonge de Phèdre ont eu des conséquences tragiques : cette dernière se donnera la mort , suivant ainsi celle d’Oenone qui s’est jetée dans la mer en réalisant ce que sa fausse accusation avait déclenché .

phè5.jpg
 

En conclusion, la colère du roi a ici des conséquences tragiques . Alors qu’il pense punir un traitre, Thésée sacrifie un fils innocent et n’ a pas démasqué la véritable trahison : celle de son épouse. Aveuglé par la colère et le ressentiment , il s’abandonne à ses passions et perd la raison en déclenchant le courroux des Dieux . La tragédie classique montre à quel point il est dangereux de suivre ses sentiments et de se laisser emporter par ses passions . Les Dieux finissent toujours par triompher et se vengent de ceux qui les ont offensés ; Vénus punit , à travers  la passion coupable de  Phèdre, les descendants d’ Hélios . Et Thésée paraît ici puni pour son orgueil démesuré et ses crimes passés. L’ironie tragique réside dans le fait que c’est à sa propre demande que s’empresse de répondre Neptune  en tuant son fils et en accomplissant une vengeance inutile. 

18. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Une femme fatale : Milady de Winter dans les Trois Mousquetaires · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Lorsque le roman -feuilleton qui  pour titre Les Trois Mousquetaires paraît  au cours de l’année 1844 dans le Journal Le Siècle, c’est un succès tel qu’il faut immédiatement  faire imprimer le roman afin de satisfaire un public plus large. Alexandre Dumas y raconte, avec de multiples rebondissements,  les aventures de quatre vaillants  soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche qu’un complot du cardinal de Richelieu, alors premier ministre ,  menace de déshonorer. Les mousquetaires doivent se rendre en Angleterre afin de retrouver des bijoux que la reine a offerts à Lord Buckingham, son amant. Pour mener à bien leur mission, ils devront vaincre la redoutable espionne du cardinal, la belle et mystérieuse Milady de Winter qui se nomme en réalité Anne de Breuil . Plus »

15. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Les moralistes du siècle classique et la satire des courtisans. · Catégories: Première

La Fontaine, Madame de La Fayette, La Bruyère et La Rochefoucauld, ainsi que Molière et Racine ont vécu au dix-septième siècle et ont fréquenté la Cour du Roi ; Ils ont observé le manège des courtisans et les moeurs de ceux qui gravitent autour de la famille royale. Chacun à leur manière, ils ont dénoncé certains aspects de la Cour et certains défauts des Grands.  Mais leur méthode et leurs objectifs varient.

En effet, La Fontaine, en choisissant la forme de la fable et l’anthropomorphisme, dresse des tableaux plaisants des manigances des nobles pour entrer dans les bonnes grâces du roi; Il montre également la peur qu’inspire Louis XIV à ses courtisans et dépeint un roi cruel, colérique et capricieux , sous la figure d’un lion tyrannique, mais aussi un roi fort, qui cherche à exercer le pouvoir royal du mieux possible pour préserver les intérêts du royaume et de ses sujets . Nous rions des déboires de l’âne , du cerf et du loup, tout en songeant à la part de cruauté que révèlent ces pratiques.  Sous l’habit du singe ou du léopard, Le fabuliste épingle l’ambition des seigneurs prêts à tout pour plaire ,allant jusqu’à la servilité et l’hypocrisie  .

En choisissant le roman d’analyse psychologique, même s’il demeure dans un cadre historique, Madame de La Fayette prend elle aussi, ses distances par rapport aux travers de ses contemporains, En effet, elle situe l’action de son roman un siècle plus tôt , au temps de Henri II et de son successeur François II; Elle s’intéresse, à la fois, aux intrigues amoureuses et à leurs conséquences politiques et démontre qu’amour et ambition sont inextricablement liés; A travers le regard et les mésaventures de son héroïne, elle met en évidence les dangers de la Cour et la nécessité d’en décrypter les codes, d’en comprendre le fonctionnement .  Elle fustige particulièrement la dissimulation et la galanterie qui semblent régner: la jeune femme réussira à faire triompher la Vertu mais elle paraît bien seule dans cet univers de faux-semblants, régi par les lois de la dynastie et la place que chacun occupe dans la hiérarchie des grandes familles. Plus »

12. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Plaire et instruire : quel équilibre dans les Fables ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Les fables représentent  une alliance entre le désir de plaire aux lecteurs et la volonté de leur inculquer un  véritable enseignement moral . A travers des situations qui posent problème ,  des dialogues animés et argumentés  ,des  récits pittoresques et parfois merveilleux , des personnages humains ou animaux   et  bien sûr des morales, comment  l’auteur parvient-il à articuler ces deux exigences qui peuvent parfois sembler complémentaires ou antagonistes ; En effet, peut-on réellement apprendre  quelque chose de la vie par le biais  de fictions qui présentent des animaux qui parlent ou des lutins chargés d’ exaucer les souhaits de leurs maîtres ? Comment concilier plaisirs de la fiction et goût pour la vérité ?

 

Voici un plan détaillé à partir duquel vous pourrez fabriquer une fiche sur ce sujet de dissertation : complétez ces plans avec des exemples tirés des fables et apprenez ces citations par coeur

I : Comment plaire aux lecteurs ?

1 En fabriquant des histoires drôles , des anecdotes amusantes , des récits variés

2. En utilisant souvent des animaux et leurs ressemblances avec les humains pour dresser un portrait satirique de la société

3 En adoptant un ton humoristique, un regard amusé et en jouant avec les mots; la satire apparaît ainsi comme un moyen utile pour combiner les deux dimensions car la satire permet de développer une critique ( donc une réflexion morale ) en divertissant le lecteur grâce aux exemples ou au ton employé .

II Comment instruire des lecteurs ?

1. En fabriquant des morales

La plupart des fables comportent des morales explicites: séparées du récit, souvent placées à la fin de l’histoire, elles apportent un éclairage moral à l’anecdote narrée ; elles contiennent des conseils, des recommandations, et parfois des mises en garde facilement identifiables . elles sont porteuses de bon sens et s’apparentent à des vérités générales; elles ressemblent à des dictons, émanations de la sagesse populaire transmise de générations en générations

2. En condamnant certains comportements : satire nette et répétée des courtisas, des colères du Roi, de l’égoïsme de certains religieux , des incessantes querelles entre les Grands: c’est à ce titre qu’on peut dire que Les Fables sont un miroir de la Société dans la mesure où la variété des situations reflète la diversité de la Vie ( ou III )

3. En montrant les valeurs morales à défendre et à transmettre comme le Respect de l’Autre et de la parole donnée , l’humilité et la condamnation de l’Orgueil des Puissants , l’amitié, parfois sous forme de question posée aux lecteurs

III L’importance de la satire

1 satire des défauts des hommes ( plan individuel ) : dénoncer les vices = but des moralistes

2. satire des défauts de la société : montrer les dysfonctionnements et les abus  : la cour un milieu cruel, la loi du plus fort , satire des nobles et de l’orgueil dse Grands

La Fontaine s’efforce, en fait, de respecter un équilibre entre la dimension plaisante de ces récits et leur valeur didactique : il importera, pour chaque fable, de poser la question de cet équilibre . “le conte fait passer le précepte avec lui

Qu’apprend-t-on  au juste dans Les deux amis ? La fable passe en examen un cas moral et philosophique de manière légère, à travers une anecdote amusante

Comment plaire tout en instruisant ? en combinant , pour chaque fable , un récit amusant et un enseignement sérieux.

 Attention : L’absence de morale claire ne signifie pas l’absence de leçon mais la difficulté de l’identifier clairement

  • soit parce que c’est l’Histoire elle-même qui sert de morale et donc d’enseignement
  • soit parce que la leçon retenue est problématique , à double sens, ou contraire, en apparence aux valeurs morales communément admises

En conclusion, dans le Pouvoir des Fables, La Fontaine rappelle qu’il est, de son point de vue, non seulement possible d’enseigner en utilisant des contes mais que seules ces histoires “pour enfants ” parviennent à retenir l’attention du public;  l’apologue réussit  à susciter l’attention de l’assemblée là où le sermon , le discours sérieux avait échoué: le public  devient ainsi prêt à entendre ce que veut dire l’orateur mais ce dernier reprend sa mise en garde initiale et ne continue pas son conte : ce qui pourrait signifier que la fable n’est que l’enrobage, le moyen de délivrer une mise en garde très sérieuse; Cette idée d’habillement de la vérité comme fonction principale de la fable sera développée par Florian au siècle suivant, notamment dans sa Fable : La fable et la vérité.

12. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Diversité des morales : réfléchir sur les relations entre la morale et l’oeuvre littéraire · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

 Un livre n’a pas pour principal objectif d’être lu comme un traité de morale mais la tentation est grande d’y chercher des valeurs morales; C’est pourquoi il importe de bien définir le mot morale dans son usage appliqué à l’oeuvre littéraire .  On peut d’abord distinguer  , un premier plan, l’observation des moeurs : comment un récit montre-t-il  des manières de penser ou d’agir  , par l’intermédiaire de ses personnages ou parrfois  directement  par des jugements ou des des pensées de l’auteur dans les Essais , par exemple. . Ensuite, on parle de morale prescriptive quand l’oeuvre littéraire contient une forme de jugement , de critique de ce qui est décrit ; cette critique peut être implicite ou explicite  ; C’est le cas par exemple lorsqu’un narrateur commente les actions d’un personnage ou ses manières de faire . Enfin, on peut également penser  qu’une oeuvre se fait l’écho de valeurs morales dans le choix des thèmes abordés et la construction des personnages ainsi que  par son appartenance à un genre littéraire . ( roman, apologue, fable, tragédie, poésie ) Très souvent il s’agit de déterminer quelles valeurs morales sont diffusées par une oeuvre ?  Il faut alors différencier les idées de l’auteur , ce qu’on sait de lui te de se prise de positions publiques et son projet littéraire ; essayons de clarifier ces notions en prenant quelques exemples ..

Par exemple,  lorsque Molière, au dix-septième siècle,  met en scène le destin d’un séducteur ,cela ne signifie pas que l’auteur défend le libertinage mais qu’il en montre plutôt les dangers : Don Juan, son héros, “grand seigneur mais méchant homme ” rend les femmes malheureuses et meurt foudroyé par une punition du Ciel ! C’est à travers le dénouement tragique de la pièce, qu’on peut comprendre la position  morale que défend le dramaturge ; dans cette oeuvre jugée scandaleuse parce qu’elle donne le premier rôle à un séducteur impie , Molière n’approuve pas les agissements de son personnage car il le condamne en le faisant mourir . Montrer le mal ne signifie pas s’en rendre complice mais la pièce a été interdite à cause des positions anti-religieuses du personnage de Don Juan.

 

Quand on pense aux Fables de La Fontaine, on évoque souvent la morale finale  des récits qu’on juge, parfois,  immorale . Mais comment lire au juste les morales des fables? Le récit pourrait-il transmettre une réflexion sans  morale ou serait-il moins aisé d’en déchiffrer l’enseignement ? Faire triompher le mensonge est-il moral ? Non bien sûr ! Mais montrer que les puissants dominent la société et que le mensonge devient la seule arme efficace pour leurs victimes  , c’est écrire en moraliste soucieux de faire réfléchir ses contemporains. Le spectacle de Perrette qui perd en quelques secondes, à cause de son imagination, le produit d’un dur labeur, n’est pas fait pour nous réjouir ni pour nous désoler mais pour illustrer la puissance de l’imagination et peut -être, aussi,  les dangers de perdre de vue la réalité; Toute l’habileté de La Fontaine consiste à ne pas faire entendre  directement sa voix mais il s’arrange pour nous montrer ce qu’il souhaite que nous ne perdions pas de vue . C’est un moraliste qui ne s’appesantit pas sur les défauts des hommes même s’il leur accorde une place importante au sein de son recueil qui se veut quand même didactique ; le choix de la fable comme forme littéraire   et celui de l’humour comme tonalité, rendent les leçons et les prescriptions plus digestes et moins lourdes pour le lecteur.

Madame de La Fayette, durant la même période, adopte une autre position de moraliste : elle dépeint un monde corrompu , gangrené par l’ambition et dans lequel la galanterie, loin d’être simplement un art d’aimer, s’apparente davantage à un art de la tromperie; Ses personnages souffrent tous de passions malheureuses et l’amour , en dehors du mariage, loin d’épanouir les individus, semble les condamner irrémédiablement , à se perdre.

Deux personnages , a priori, paraissent différents : Madame de Chartres qui  a fait le choix d’éduquer elle-même sa fille et de la mettre en garde contre les séductions mais aussi contre les dangers de l’amour , et la princesse, héroïne du roman , qui se livre à un combat intérieur dont sa vertu finit par triompher , au détriment de son bonheur personnel . Que doit -on comprendre des agissements des personnages  de ce roman qui se termine de manière tragique ? Quelles sont leurs valeurs morales  déployées dans le récit et quelles sont celles de l’auteure ? Que nous apprend le destin tragique de l’héroïne ? qu’il faut renoncer à ce que notre coeur nous dicte ou qu’il ne faut pas écouter ce que nous dicte notre coeur car c’est une puissance trompeuse? Est-ce une condamnation de la Cour, de ses faux-semblants , de l’ambition permamente qui semble motiver chaque action . La sincérité des aveux de la Princesse a des conséquences terribles ! Et si chacun se fixait comme objectif d’aimer son mari et d’en être aimé, en irait-il autrement ? Autant de questions morales qui demeurent en suspens dans ce récit écrit par une femme qui paraît savoir ce dont elle parle ; sans doute pour l’avoir, en partie, vécu.

 Toujours à la même époque, un autre écrivain poursuit, à sa manière ,  des ambitions de moraliste , en mettant en scène des spectacles tragiques qui effraient et tentent d’émouvoir les spectateurs. Pour pouvoir évoquer la dimension  morale dans la tragédie de Racine, Phèdre, on doit, là encore, établir une différence entre les agissements des personnages et les pensées du dramaturge . Racine cherche à incarner sur scène  des effets tragiques à travers notamment le choix des caractères : il justifie dans ses nombreuses Préfaces, le choix de  “monstres gentils ” ; Il a besoin que Phèdre se rende coupable mais qu’elle puisse , sur certains points, paraître innocente , ou tout au moins victime d’une fatalité qui la dépasse; En articulant la malédiction divine et  une passion humaine, le poète nous permet de ressentir de la pitié pour cette femme condamnée à l’avance par les Dieux; Nous sommes ainsi d’autant plus sensibles à sa souffrance qui ne semble pas feinte même si l’objet de son amour peut paraître immoral . On peut ,d’ailleurs, se demander si la référence à la fatalité ne constitue pas une sorte d’alibi pour cette amante qui ne peut pas être considérée comme entièrement responsable de son choix . Les souffrances de Phèdre, malheureuse dans son mariage avec Thésée, sont une preuve de la condamnation de la passion mais également une preuve de sa puissance; dans le combat que l’homme doit mener quotidiennement afin de faire triompher la Raison de l’emportement de ses passions, la victoire est lojn d’être assurée, constate Racine . Convaincu de la justesse de certains aspects du jansénisme, Racine ne semble pas se montrer plus confiant que la Fontaine, son ami, dans la capacité de l’Homme à effectuer les bons choix et à prendre les bonnes décisions, Madame de La Fayette est-elle aussi pessimiste ?

25. novembre 2019 · Commentaires fermés sur Le thème du mensonge dans Les Fables : dissertation .. · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Vérité et mensonges dans les Fables .

Cette dissertation consiste à examiner la place des mensonges dans les Fables au programme cette année afin d’ en déterminer à la fois l’importance et la variété. La première étape du travail de la dissertation consiste donc à faire l’inventaire des différents mensonges rencontrés dans les récits; Ensuite, il convient de se demander quel rôle joue le mensonge, qui ment et quelles sont les conséquences des mensonges pour les forces en présence; On peut également classer les mensonges : on séparera, par exemple, les mensonges bénéfiques et ceux qui nuisent à autrui ou qui ont des conséquences graves .  Une fois ce travail effectué, on pourra commencer à réfléchir à une organisation qui deviendra un plan :  I Mensonge de la fiction: la fable est un mensonge au service des vérités  II Mensonges dans les fables: une arme redoutable  III Existe-t-il des mensonges positifs ? C’est une idée d’organisation mais ce n’est pas le seul plan possible … voyons d’abord notre stock de mensonges prêts à être utilisés comme illustrations dans une dissertation ….

Vérité et mensonges dans les Fables

Liste des mensonges dans Les fables ( 19 fables soit une sur quatre environ comportent au moins  une référence explicite au mensonge ) 

Les Animaux ..: le renard ment en atténuant la gravité des actions du roi (flatterie du courtisan , mensonge pour plaire aux puissants )

La cour du lion : le renard ment en feignant ne plus avoir d’odorat, mensonge pour sauver sa vie, situation du courtisan habile qui est hypocrite sans trop en faire ( singe trop menteur ) : « ne soyez… ni parleur trop sincère »

Le chat la belette et le petit lapin : le chat appelé pour départager les deux animaux qui se battent pour la possession du terrier les croque ; il les attire à lui par un mensonge; il prétend être sourd pour qu’ils soient à portée de griffe ( mensonge pour nuire à autrui, le plus fort ment au plus faible pour le croquer, synonyme de ruse ?  )

Un animal dans la lune : le fabuliste y lance un débat philosophique ; l’homme doit -il se fier à se sens «  mes yeux ne me trompent jamais en me mentant toujours » ..réflexion sur le phénomène d’illusion optique

Le lion, le loup et le renard : le loup médit de l’absence du renard  à la cour ; ce dernier prétexte un pèlerinage ( souvent la religion sert de prétexte ) et ment en prétendant qu’une peau de loup est un remède à la vieillesse ; il a menti pour tuer son adversaire ; Mensonge à des fins politiques : légitime défense ?

Les femmes et le secret : un époux ment pour révéler la véritable nature de son épouse, incapable de garder un secret : un mensonge pour enseigner ou pour faire découvrir une vérité

Dans Le  rieur et les poissons, un convive réussit à se faire servir un très gros poisson  à table en inventant un habile mensonge: il fait semblant d’interroger les poissons sur le sort d’un de ses mais disparu en mer et on le croit. On lui apporte un plus gros poisson qui , selon lui, en saura forcément plus : mensonge dans le but d’obtenir ce qu’on désire, mensonge qui rétablit une sorte d’équilibre entreponts et faibles .

Les obsèques de la lionne : le cerf ment habilement pour sauver sa peu et son mensonge, qui ressemble à un songe miraculeux, lui vaut même les faveurs du roi (mentir par nécessité, pas de conséquences négatives sur autrui )

Le faucon et le chapon : un chapon se méfie des hommes qui cherchent à l’attraper pour le manger  et lui mentent en prétendant le nourrir ; il explique au faucon qu’il n’obéit pas à l’appel de son maître car il ne veut pas finir à la broche ; l’homme lui tient ici un langage mensonger .

Le chat et le rat : le rongeur a accepté de délivrer son ennemi le chat d’un piège mais il se méfie des paroles mensongères du chat qui cherche à l’attirer pour le manger : on ne doit pas croire son ennemi . Le mensonge ici nous donne une leçon .

Le dépositaire infidèle :  le fabuliste déclare avoir mis dans ses fables « des légions de menteurs » « Tout homme ment, dit le Sage. »  Tous tant que nous sommes , nous mentions, grands et petits .Qui mentirait comme Esope comme Homère un vrai menteur ne serait . Le doux charme de maint songe /par leur bel art inventé/ sous les habits du mensonge/ nous  offre la vérité. Trompé par un marchand qui ment ne disant que des rats ont mangé le fer , un trafiquant enlève le fils de ce dernier et invente un mensonge : un hibou l’a emporté. Le trafiquant qui a compris la ruse , rend alors l’argent dérobé.

Le loup et le chien maigre : le chien, pour sauver sa peau, ment au loup qui l’épargne en pensant venir le rechercher quand il aura grossi . La Fontaine souligne la sottise du loup qui a cru sa proie et l’ a laissée filer par appât du gain.

Discours à Madame de la Sablière : dans cette longue fable, La Fontaine démontre que les animaux ont des sentiments et qu’il sont bien loin de n’être que des machines; par ironie, il évoque un roi polonais et prétend  que « jamais un roi ne ment »

Les poissons et le cormoran : le vieil oiseau ment par nécessité;Son mensonge est cru et la morale proposée est de ne pas se fier «  en ceux qui sont mangeurs de gens » . Un menteur qu’on ne parvient pas totalement à détester car il est présenté comme un pauvre animal qui souffre de disette.

L’Enfouisseur et son compère : un homme réussit grâce à un habile mensonge à confondre celui qui lui vole son argent et à récupérer ce qui lui appartient ; L’autre s’est laissé tenté par l’appât du gain. Ce mensonge doit lui servir de leçon . ‘l’autre fut sage , il retint tout chez lui «  et au lieu de se montrer avare et d’entasser son argent, il décide alors de le dépenser.

Le berger et le roi;  Un berger est nommé , grâce à son bon sens, Juge souverain mais les courtisans , jaloux, complotent contre lui  et l’ accusent faussement de posséder un trésor . La Fontaine les qualifie «  de machineurs d’impostures »    Leurs mensonges sont des calomnies et visent à nuire à celui qu’il considèrent comme un rival.

Dans Les poissons et le berger qui joue de la flûte comme dans Les deux perroquets le roi et son fils, le fabuliste dénonce le langage trompeur: douces paroles miellées du berger qui veut attraper les poissons et «  le leurre de l’appât d’un profane langage » Un leurre est un mensonge qui va piéger sa victime .

Le loup et le renard : le fabuliste montre que le renard bien qu’expert en « tours pleins de matoiserie »  n’a pas toujours l’avantage . Piégé par le reflet de la lune qu’il prend  pour un fromage, il est obligé de piéger le loup pour se sortir du puits dans lequel il est tombé ? Ce dernier  est qualifié de sot .

Quelques exemples maintenant d’insertion des illustrations au sein d’un raisonnement argumentatif. 

Après avoir démontré que sous une enveloppe mensongère , celle de la fiction, la fable donne parfois accès à certaines vérités , voyons maintenant comment la fable parvient elle à exprimer des vérités sur le plan politique .

L’une des illustrations la plus claire nous est fournie par Le Pouvoir des fables; En effet, dan cet apologue, un orateur qui ne parvient pas à se faire entendre de son public , décide d’inventer une fable pour attirer leur attention et ainsi, les alerter d’un danger imminent pour la cité; Le mensonge de la fiction  a facilité la parole politique, celle de l’orateur , et a permis , de déguiser , sous le masque d’une histoire , une véritable menace pour l’ambassadeur de France .

En effet, certaines fables sont politiquement engagées . Par le biais des animaux, le fabuliste  lance  même , souvent ,des accusations contre les hommes . Ainsi, dans Les animaux malades de la Peste, il nous fait assister à une parodie de justice ; L’âne, animal faible, avoue une peccadille qui lui vaut d’être pendu alors que le lion, qui a avoué des crimes répétés, n’est pas jugé coupable . La morale de la fable «  Selon que vous serez puissant ou misérable / les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs » critique explicitement l’injustice qui règne à la cour de louis XIV

Dans Le Singe et le Léopard, le fabuliste nous  donne un autre avis politique sous la forme d’un avis  personnel : il préfère les gens d’esprit aux gens qui se contentent d’être bien nés et se vantent de leurs titres; Ces courtisans orgueilleux sont dépeints sous les traits d’un léopard fier de sa peau tachetée . La vérité apparait alors : «  ils n’ont que l’habit pour tous talents “; La fable nous a permis d’y voir plus clair et de démasquer la vérité cachée sous des apparences mensongères.

Si la plupart des fables n’ affichent pas clairement une lecture politique, on peut toutefois lire certaines situations comme une réflexion sur l’art de gouverner; Ainsi dans Le lion, le singe et les deux ânes, La Fontaine reprend l’un des rôles du singe chez Esope, celui qui donne des conseils au roi . Derrière la situation mensongère de la fable, on devine aisément que le fabuliste adresse une forme d’avertissement à Louis XIV en le montrant sous le masque d’un «  terrible sire »; Il lui conseille de se méfier de son orgueil , qui fait prendre de mauvaises décisions aux souverains .

La présence d’un mensonge , à l’intérieur de  la Fable, peut  se lire , de temps à autre,  comme un instrument de perfectionnement . Il permet souvent de se sortir d’un mauvais pas . De ce point de vue, il peut être assimilé à la métis des grecs , cette ruse qui permet de vaincre ses ennemis et de sauver sa vie ou, tout simplement ,  de faire triompher ses intérêts . C’est le cas du cerf, dans Les obsèques de la lionne. Ce dernier, dénoncé par des courtisans malveillants , risque de mourir pour avoir été sincère et ne pas  avoir fait semblant d’être triste  à la mort de la lionne. Grâce à un fabuleux mensonge où il prétend que la reine lui est apparue en songe  ,il sauve sa vie et obtient  même une récompense  . On remarque d’ailleurs que songe , au sens où l’entendent les moralistes du siècle classique,  est souvent synonyme de mensonges ; Le rêve, en effet, fait partie de l’imaginaire et éloigne l’homme du chemin de la Vérité sur lequel sa raison doit le guider.

Le mensonge peut même avoir un statut formateur et servir d’enseignement ; Ainsi dans Les femmes et le secret, c’est au moyen d’un mensonge qu’un mari met en évidence l’incapacité de as femme à garder un secret; Il a mis son épouse à l’épreuve et  son stratagème a permis de révéler ce qui est présenté comme une sorte de vérité générale: nous avons beaucoup de mal à garder un secret quelqu’il soit.

Dans Le dépositaire infidèle , un premier mensonge déclenche des conséquences terribles qui vont servir de leçon au menteur; ce dernier dissimulé le vol de l”argent derrière une cause mensongère , en expliquant qu’un rat a dévoré l’argent ; Pour lui rendre la monnaie de sa pièce, ce dernier enlève son fils et raconte un mensonge aussi énorme : il aurait été enlevé par un hibou; le voleur ne peut que comprendre ici, la leçon donnée à ses dépens.

Les mensonges des fables ont également pour but de révéler des vérités cachées sous des apparences trompeuses . Le mensonge  des hypocrites est parfois démasqué comme celui du singe dans La Cour du lion</b> ; sa sotte flatterie causera sa perte ; le fabuliste démontre ainsi que la la Cour est un milieu impitoyable où chacun doit dissimuler ses véritables sentiments sans tomber dans une flagornerie trop facilement décelable.

Les mensonges permettent , de temps à autre ,de démasquer la cruauté de l’homme et de révéler qu’il est un véritable prédateur pour tous les autres animaux auxquels il se juge supérieur . Avec L’homme et la couleuvre, le fabuliste montre clairement l’ingratitude de l’espèce humaine qui exploite, à son profit, les espèces animales.

Le mensonge a donc un statut ambivalent dans les fables : instrument de tromperie au service des méchants, il est aussi une arme pour les victimes ; Ainsi dans Le loup, le lion et le renard, le loup l’emploie pour se débarrasser de son rival le renard, et ce dernier l’emploie à son tour pour lui rendre la monnaie de sa pièce . Le renard  prétend qu’il connaît un remède miraculeux contre la vieillesse : une peau de loup écorché vif et le vieux roi l s’empresse alors de faire exécuter le loup afin de prendre sa peau . Le renard est d’ailleurs expert en mensonges de toutes sortes: sa parole flatte les puissants ; Maître dans l’art de la démagogie, il sait aussi se taire et ne pas répondre ; Ainsi dans La cour du Lion, il préfère mentir en prétextant en rhume qui le prive d’odorat, plutôt que de devoir se prononcer sur l’odeur qui règne au palais.

Le renard n’est pas le seul animal à savoir mentir : le chemin ment parfois pour sauver sa peau comme par exemple dans l loup te le chien maigre : pour échapper au oui, il lui fait croire que c’est préférable de le laisser engraisser avant de revenir le chercher ; Le loup le croit et lorsqu’il se présente pour réclamer sa proie, le chien lui envoie un dogue féroce qui le fait fuir . Le loup a été berné et  ici, la sympathie du lecteur va plutôt au menteur ; Ce qui peut sembler immoral mais il s’agit d’un mensonge « pour une bonne cause » ;

Le mensonge du cormoran dans Les poissons et le cormoran s’apparente-t- il à celui du chien ? Vieux, mal voyant et affamé , « lorsque le long âge eût glacé le pauvre animal » , l’oiseau qui ne peut plus pêcher , doit se résoudre à mentir et à tromper les poissons pour pouvoir se nourrir . Le fabuliste précise que « le besoin (est ) docteur en stratagème » ; Ce vers nous indique qu’il ment iniquement par nécessité et que c’est la situation critique dans laquelle il se trouve , une « disette extrême »  qui l’ a obligé à inventer une ruse mensongère pour attirer les poissons dans un endroit où ils seront à sa portée . Le mensonge a été une leçon pour les poissons: il ne faut pas croire leur prédateur ; La Fontaine enseigne ainsi , grâce au mensonge , plusieurs choses et notamment de ne pas nous fier à nos ennemis.

Dans Le chat et le rat , nous voyons que le rat a fait alliance avec son ennemi, le chat par nécessité car il était menacé par deux autres de ses prédateurs ; Une fois qu’il a libéré le chat de son piège, il ne se fie pas aux paroles trompeuses de ce dernier qui cherche sans doute à l’attirer pour le manger et il garde soigneusement ses distances . Les mensonges du chat sont rendus ici inopérants grâce à la prudence et à la sagesse du rat. Donc le mensonge ne triomphe pas toujours et c’est plutôt porteur d’espoir.

Et voici maintenant un exemple de conclusion avec deux ouvertures littéraires ..

En conclusion , choisir la forme mensongère de la fable, permet à La Fontaine de révéler de nombreuses vérités à ses contemporains . De plus, il n’hésite pas à introduire de nombreux mensonges au sein des histoires . On note ainsi la fréquence, la diversité et la variété des utilisations du mensonge dans les Fables ; Le mensonge n’est pas seulement réservé aux plus faibles ou aux victimes , il peut également être employé par ceux qui veulent donner une leçon à leurs pairs. Les fables nous enseignent , en outre, que l’art de la dissimulation , est parfois très utile . Le mensonge s’apparente parfois à la parole trompeuse et en cela, il rejoint la flatterie des courtisans .  Dans un monde où triomphent hypocrisie et la loi du plus fort, les mensonges habiles , redistribuent les cartes et compensent, en partie, pour certains, les inégalités de la société ou les injustices dont ils sont victimes. Mais pour d’autres, le mensonge est le piège dans lequel ils s’apprêtent à tomber ; parfois, il sert d’alibi  ou de substitut  à la force brutale.  Les prédateurs cachent  alors sous leurs paroles mensongères leur désir de rendre plus facile la capture d’une proie que tout désigne. Les moralistes classiques comme Pascal et La Rochefoucauld nous enseignent à nous défier des attraits du mensonge , parole flatteuse qui nous dit ce que nous voulons entendre . L’amour-propre devient alors un guide trompeur pour l’homme.Mais un roman comme La Princesse de Clèves nous révèle également  que la dissimulation règne au sein de la Cour : on se ment à soi-même en même temps qu’on cache ses véritables sentiments aux autres .  Il semblerait que le mensonge fasse partie du la nature humaine .