
Le roman se termine un peu comme il a commencé , avec la voix de Jules qui est la dernière à se faire entendre, la voix du porte-paroles de tous les soldats morts, la voix du survivant qui a fui la guerre. Quel sens donne ce final au roman et quel rôle y joue le personnage ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord rappeler ce qui s’est passé pour ce personnage, quelles ont été les étapes principales de son parcours.
Jules ne cesse de courir depuis qu’il a fui le théâtre de la guerre. D’abord combattant, il a choisi de ne pas regagner le front et de poursuivre le combat sous une autre forme, en transmettant à l’arrière les paroles des soldats disparus, Il fait donc revivre le souvenir des morts par ses paroles adressées à la foule des villageois; Mais ces derniers le rejettent violemment , s’en prennent à lui , le traitent de fou et de déserteur et il est forcé de s’enfuir pour ne pas être lapidé. Le passage s’ouvre sur la course de Jules et on retrouve sa détermination “ je sais où je vais ” j’ai compris ce que voulait le gazé” ; Depuis le début du roman, il est en marche, en mouvement : d'abord marcheur silencieux, il ne parle à personne et garde la tête baissée sur la foule de ses camarades condamnés . Ensuite dans le train, il saute car il a conscience qu'il lui faut emprunter d’autres chemins ; Il a bien du mal à se remettre debout et c’est lourdement qu’il se remet en marche.Poursuivi par des voix qui sifflent dans son dos, il accélère te se met à courir avant de comprendre qu’il doit les emmener là où il va.mais comment va t-il faire entendre toute ces voix ? désireux de ne pas rester sur l’échec de sa parole, il imagine alors un dernier moyen de transmettre la mémoire des cris des hommes.
Comment le travail artistique est-il décrit dans cet épilogue ?

1. Faire oeuvre de mémoire : répondre à une demande intérieure, à une nécessité
Jules n’agit pas en son nom mais pour ses camarades : cette dimension altruiste de l’art est mentionnée fréquemment. L’artiste obéit à une demande impérieuse qui provient des soldats : “ je leur ferai à tous une stèle vagabonde” Lorsqu’une statue est terminée, une voix s’apaise en lui comme si elle acceptait l’offrande de ce témoignage mais des voix aussitôt la remplacent “sa voix s’est tue dans mon esprit” (40) “mais une autre voix a pris la place de la sienne” Une à une les voix s’apaisent mais il en revient toujours ” ( 64). L’ art apparaît comme une réponse à un besoin impérieux de rendre compte de quelque chose d’important qu’il est nécessaire de conserver . L’artiste best ainsi investi d’une mission qui le dépasse et il apparaît comme un vecteur au service d’une entreprise collective. Gaudé souligne peut- être ainsi qu’un homme seul peut difficilement venir à bout d’une telle entreprise et que l’artiste se sent souvent impuissant ou démuni face à la tâche à accomplir.
“C’est une vague immense que rien ne peut endiguer” : la métaphore de la vague déferlante est la même que celle qui a été utilisée pour rendre compte de la violence des assauts sur le champ de bataille.
2. Construire une trace
Le roman peut se lire comme une tentative de restituer la multiplicité des voix et à l’intérieur de ce roman, Jules représente le créateur, l’artiste qui va donner vie ; il est donc la mise en abîme du romancier et de son travail . Les termes répétés “se mettre à l’oeuvre” (l 3/4) , commencé mon travail (10) ne pas ménager sa peine , travailler sans relâche ” (12) “travaillé toute la nuit “34 “je vais travailler” (58) soulignent tous la difficulté de l’acte de création artistique et l’importance du travail ; l’oeuvre nécessite un labeur parfois source de douleur et de nombreux artistes développent ce thème de la douleur de la création.
3 Jules ou le marathon du créateur : savoir surmonter ses échecs

Cette douleur n’est pas seulement liée à l’ampleur de la tâche : “Tous les carrefours. Toutes les places . Le long des routes ; partout ” , (47). L’artiste s’impose véritablement un travail colossal : “je couvrirai le pays de mes pas” , ” j’ai des routes entières à peupler ” ( 58) à la mesure de ce qu’il doit accomplir. La difficulté de l’artiste provient également des choix artistiques qu’il doit effectuer ; Quel media utiliser pour être entendu ? poésie, théâtre, essai, roman ? quelle langue est à même d’être la mieux comprise ? quelle forme donner au texte ? Pour répondre à ces questions , l’artiste tâtonne et doit apprendre de ses erreurs : ” je ne ferai pas deux fois la même erreur” explique Jules (l 7) . Il se met à l’ écoute et laisse parler les voix ‘l 44 ; Il renonce aussi à s’exprimer avec sa propre voix : on peut sans doute y lire un refus d’une expression personnelle ou d’une forme de témoignage direct d’événements vécus. Le détour par la fiction, la création d’un roman permet la médiation et la transformation à partir de laquelle l’oeuvre artistique permet de renvoyer au monde dont elle est extraite . Ainsi Jules déclare “Je ne parlerai plus. La pluie de pierres m’a fait taire à jamais. ” (l 54) . Il va donc devenir sculpteur et offrir aux villageois les statues pétrifiées des soldats morts.
4. L’artiste montreur d’ombres
Jules doit trouver le moyen de faire partager son expérience et de la rendre accessible au plus grand nombre , à ceux qui ne la connaissent pas. L’art est donc conçu sous la forme du partage ; le sculpteur donne ses stèles en offrande et retrouve les gestes symboliques comme “s’agenouiller par terre ” (10) ” donner corps” “modeler “donner un visage ” Comme le disait Rimbaud, le poète donne une forme à ce qui n’en a pas encore . Jules crée à partir de la terre un peu comme Dieu a créé l’homme à partir de la glaise et les gestes du créateur donnent vie à ce qui n’existait pas . Il construit à partir “d’ un grand corps de boue informe ” et le transforme en “stèle ” en “témoin de son passage ” Cette longue colonne d’ombres ( v 55) est offerte aux regards. Il est devenu “les mains de la terre“. Cette image rend concrète le travail de création artistique :
5. L’art comme réponse à l’oubli : vaincre la mort

Beaucoup d’artistes évoquent leur postérité en disant qu’il ont laissé des traces de leur passage sur terre et que leurs oeuvres témoignent de ce qu’ils furent mais dans cet épilogue, Jules est surtout préoccupé par le fait de rassurer ses camarades : “je voudrais lui dire qu’il peut se rassurer ” à propos du gazé qui craignait de mourir seul (l 3) Il s’adresse même directement aux morts : “Calme-toi le gazé. Tu peux te taire maintenant et mourir car, par cette statue embourbée dans la terre, tu cries à jamais. ” Il va proposer des souvenirs , sous la forme de statues pétrifiées “d’ une terre où l’on meurt” (70) Et ces statues demeureront à jamais les visages de leur mort et retranscriront leur douleur , non pas dans des cris , mais bouche bée (73) Le roman se termine sur cette expression d’un cri infini, qui ne s’entend pas mais que l’on devine et qui ne prend jamais fin . Au lieu d’entendre les cris de ces hommes, on les voit au moment où leur bouche s’est ouverte pour crier. L’art est donc un matériau fixateur qui permet de revivre indéfiniment cette sensation du soldat qui rencontre la mort dans “le grand incendie des tranchées” (40) .
6. Le roman comme sculpture
Jules est d’abord un soldat mais il doit s’extraire du théâtre de la guerre pour pouvoir témoigner : ce départ volontaire peut être vu comme une forme de désertion (ce que s’empressent de penser les villageois à l’arrière) mais il montre que pour créer, il faut prendre ses distances avec l’événement. Tout récit est forcément un différé . Gaudé a choisi de faire de Jules un sculpteur ; On peut s’interroger sur ce choix ; Il s’agit d’abord de celui de la simplicité car le matériau que va employer Jules est à sa disposition: c’est la terre , celle des tranchées, celle des champs de bataille qui va devenir la matière de son oeuvre; L’artiste est celui qui est capable d’utiliser la matière même de ce qu’il veut transmettre pour créer. Les traces de la guerre se lisent “jusqu’au plus profond de la terre “ comme le rappelle , par exemple, M’Bossolo et les soldats craignent d’être happés par la boue des tranchées. D’ailleurs les statues se présentent comme émergent tout juste de la terre ” s‘appuyant de toute ta force de ses bras sans que l’on sache si c’est pour s’extraire de la boue ou ne pas y être absorbé.” (l 27) . De plus, la terre rappelle l’oeuvre créatrice de Dieu et le geste du sculpteur rappelle les monuments aux morts qui ont fleuri dans les villages après la fin de la guerre. La sculpture également peut faire référence à l’importance de la composition et de la forme du roman avec les voix entremêlées et l’image finale : le romancier devient un sculpteur de mots, à l’image du poète; Il doit chercher une forme avec des mots .

Les Anciens disaient déjà “verba volant scripta manent” ( les paroles s’envolent les écrits demeurent ) pour inciter les artistes à témoigner par l’écriture et pas seulement par les chants ou la parole de ce qui leur semblait important . Gaudé franchit une étape supplémentaire dans la précision de la mission de l’artiste en imaginant ce personnage de Jules qui cherche le meilleur moyen de témoigner de ce qu’il a vécu à la guerre. L’artiste est d’abord celui qui s’exprime au nom des autres , pour leur donner une voix, un corps et pour qu’on ne les oublie pas. Ainsi, il joue un rôle sacré car il apaise les souffrances des disparus et fait taire leurs plaintes en les rendant visibles, palpables et présentes à l’esprit de celui qui lit. L’ art et les mots rendent présentes et éternelles les souffrances des soldats mais on ne doit pas chercher à les faire partager trop vite simplement il faut les faire voir. Ainsi les témoignages des horreurs de la guerre ne peuvent être partagés dans le temps de l’événement lui-même , seulement a posteriori quand la boue des statues a séché et qu’elles révèlent des ” visages de cratère et des corps tailladés ” Tout au long du roman, l’écrivain montre ainsi la difficulté de son entreprise et sa détermination à réussir à nous faire entendre un peu les cris des hommes dans la guerre.

Le premier acte apparait comme un acte d’exposition, où les scènes s’enchainent selon l’esthétique traditionnelle de la tragédie classique. Comme chez Racine, le rideau se lève sur une crise: Hélène a été enlevée, un envoyé grec vient la réclamer la guerre menace. Toute l’action de la pièce est subordonnée au personnage d’Hector. Elle se déclenche avec l’arrivée du général troyen et sa décision de rendre Hélène aux Grecs. Elle progresse à la scène IV, où Hector obtient de Paris, le principal intéressé, qu’il s’en remette à Priam. Une nouvelle étape est franchie quand Hector, en présence de Priam et des bellicistes hostiles (scène VI), fait accepter à Paris le départ d’Hélène. Enfin, le dernier événement important de l’acte premier : Hector convainc Hélène, l’autre principale intéressée, de retourner avec son mari. Peu de temps, perdu, en somme : les scènes de «pause», où Giraudoux nous met au courant des situations, nous renseignent sur la psychologie des personnages ; les idées qu’ils défendent, ou qu’il défend à travers eux, n’entravent pas la progression d’une action qui se suit facilement. Le dramaturge pourtant prend soin de ménager des pauses dans l’action dramatique : au début de l’acte II; l’action se relâche (scène I, II, III) avant de se développer avec la contre-attaque des bellicistes (scène IV),et la pression brutale d’Hector contre les bellicistes, qui s’achève par la fermeture des portes de la guerre.
Sur le troisième plan se placent des personnages qui n’ont pas une trajectoire définie, et se laissent influencer facilement par les événements. D’une part, Paris, le premier obstacle d’Hector pour réussir la paix, mais une fois surmonté, il collabore inconditionnellement avec son frère. Oiax, va réagir de la même façon face à Hector. D’autre part, les vieillards troyens, dont la faiblesse est manifeste. Tous ces personnages ne sont que des éléments représentatifs d’une ville. Giraudoux les a rassemblés sur la scène, pour donner une vision des différentes attitudes adoptées face à la guerre.
Le titre choisi par Giraudoux en 1935 peut sembler énigmatique mais la plupart des spectateurs connaissent l’histoire de la guerre de Troie; l’utilisation du mythe permet d’instaurer une sorte d’attente tragique et de mesurer avec précision la progression de la fatalité qui va frapper , ainsi que le suggère la métaphore menaçante du tigre qui rôde. Voyons comment le dramaturge exploite ce thème de la menace imminente de la guerre. Etudions les forces en présence ..dans chaque camp et voyons quels arguments sont opposés ..
Bellicisme et Pacifisme dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu
I- Le mythe de la guerre de Troie 


III- L’attitude du dramaturge
IV- La dimension historique 
Que faut-il retenir de cette pièce de Giraudoux qui revisite la matière antique sous la forme d’un débat autour de la guerre ? peut-on vraiment l’éviter ? de quel type de théâtre s’agit-il ? quel est le sujet exact ? l pièce a-t-elle eu du succès ? autant de questions qu’on peut vous poser à l’oral ..alors révisez bien et complètes si besoin vos notes .
La pièce peut suggérer soit la toute puissance de la fatalité qui écrase les actions des hommes de bonne volonté, soit la force d’un humanisme actif qui peut faire changer les choses et peut-être, permettre d’éviter le pire. Homme de la paix, partagé entre la France et l’Allemagne dont il admire la culture, (il a été étudiant à Munich) Giraudoux pourtant n’a pas su prendre la mesure de l’affrontement qui se préparait alors et a accepté de faire partie du gouvernement de Vichy,en tant que délégué du ministre de l’Information.
L’homme organisé en société a toujours fait la guerre et il continue aujourd’hui encore à en parler : sujet central, thème , ou parfois simple toile du fond d’un nombre incalculable de récits, romans, poèmes, pièces de théâtre, la guerre ne cesse de faire couler beaucoup de sang et d’encre . Chants de guerre, épopées, souvenirs romancés , témoignages , poèmes de combats, célébrations de victoires ou amertume de la défaite : la guerre peut être évoquée de multiples façons. La Peinture de batailles a été longtemps un genre noble. Nous vous proposons un petit tour d’horizon de quelques guerres survenues entre le siècle des Lumières et celle qui devait être la “der des der ” et qui ne fut que la première des Deux grandes guerres mondiales qui ensanglantèrent le siècle passé .
Les exploits individuels des héros d’autrefois s’incarnent désormais au cours de certaines missions périlleuses, dans les troupes d’élite, les commandos ou les aviateurs. La littérature a longtemps négligé les hommes de troupe pour ne retenir que les exploits des chefs de guerre mais au cours du vingtième siècle, le simple soldat va peu à peu conquérir ses galons et paraître au premier plan des romans: c’est la victoire des humbles, des jeunes officiers parfois qui vivent avec leurs hommes et de tous ceux qui sont sous le feu .Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle environ, disons jusqu’à la défaite de Waterloo, les romans montraient surtout la bravoure et les hauts faits des combattants et mourir au champ d’honneur pouvait apparaître comme la plus belle des morts. Au siècle précédent ,quelques voix déjà comme celle de Voltaire, par exemple,
s’étaient élevées pour dénoncer les horreurs des guerres de succession mais il faudra attendre l’époque moderne pour enregistrer le déclin du personnage du glorieux guerrier. Les soldats qui reviennent vaincus ou vainqueurs ont connu le froid, la faim, la peur et garderont des séquelles de leurs années de guerre. Les cadavres sont souvent montrés avec force détails: odeur, aspect, position, pour nous inspirer l’horreur. Les cris des blessés, des mourants, le travail des médecins se retrouvent constamment dans les romans actuels. Quant aux sentiments les plus mentionnés, citons la fraternité et son contraire la haine, la peur et la compassion. La guerre demeure une aventure humaine fascinante : expérience dangereuse, elle est un pari avec la mort et continue à en fasciner certains parce qu’elle nous fait toucher aux limites de notre condition humaine.
La deuxième voix que nous entendons dans le récit de Laurent Gaudé, c’est celle du gazé, un soldat anonyme dont nous allons assister à l’agonie. Il vient d’être victime d’une attaque au gaz moutarde et connaît la gravité de son état; Gravement blessé et incapable de se déplacer, il se glisse dans un trou d’obus et attend qu’on vienne le chercher ou de pouvoir bouger
Le gaz moutarde doit son nom à l’odeur qu’il dégage et qui selon les témoignages sent assez fortement la moutarde.Cette arme chimique a été utilisée durant les offensives de l’armée française pour percer les lignes allemandes. Dès 1915, son usage se généralisera en Champagne notamment ou en Flandres et dans la Somme.Les généraux français cherchent en vain à renouer avec la guerre de mouvement et à faire sortir les Allemands, de leurs tranchées fortifiées au prix de lourdes pertes. En effet, le 22 avril 1915, près d’Ypres, les alliés lâchent dans l’atmosphère
Les effets du gaz se font rapidement sentir sur les yeux, la peau et les poumons; il pénètre à travers les vêtements et à travers le caoutchouc des bottes et masques. Sous sa forme pure , le gaz se présente comme un liquide visqueux incolore et sans odeur qui provoque, après quelques minutes, des cloques et une sensation d’étouffement.
A son départ, le gazé ferme les yeux et se sent de plus en plus faible (93) Il reprend une dernière fois la parole p 148 et écoute la rumeur des combats qui ont repris; il sait qu’il va mourir et n’a plus aucune force désormais “je suis un homme oublié dans un trou d’obus et je vais mourir. Pour eux tous là-bas, je suis déjà mort. Porté disparu. Mon trou est plein de gaz. Des nappes lourdes de poison dorment au fond des tranchées. J’ai le poumons moutarde et je ne tarderai pas à crever. Mais je veux respirer encore un peu le ciel marin.” (149) Il meurt à la page suivante : “Qui se souvient de moi” (150) La mort est inodore comme le gaz et il ferme les yeux : “je vois que je ne mourrai pas seul.;je vois le gaz qui rame dans les campagnes? Je vois le grand siècle du progrès qui pète des nuages moutarde, éructer des bombes et éventrer la terre de ses doigts. Je meurs maintenant et cela m fait sourire car il m’est donné de voir dans ces dernières hallucinations convulsées, les millions de souffrances auxquelles j’échappe. ” 
On retrouve Jules toujours en marche page 47 : “je marche” ; il est désormais à l’arrière : “je suis le vieillard de la guerre qui n’entend plus rien et marche tête baissée” ; cette phrase sera répétée à plusieurs reprise comme si elle résumait le personnage de Jules qui échappe ainsi à ceux qu’il décrit comme des condamnés. (chapitre II ) Jules est désormais dans le train et toujours sourd : il a envie de pleurer et ne veut surtout pas s’endormir car le sommeil fera remonter ses souvenirs (p 54) Dès qu’il s’endormira, ses cauchemars le ramèneront dans les tranchées où il revivra la guerre ; il se sent protégé dans le train et se mure dans le silence ; il marche dans le silence épais de sa surdité et se remémore sa dernière permission, les sensations d’avoir un corps qui se réveille à la vie avec le désir des femmes. Jules se pose des questions sur les transformations que la guerre fait subir aux hommes : “un homme qui a appris à tuer , un homme qui a tenu un fusil, qui a dû se plier aux règles de la peur et de la survie sauvage comme tu l’as fait, sait-il encore s’occuper d’une femme ? ” (p 57) Il est désormais vieux de milliers d’années. Il craint d’être allée trop loin te de ne pas pouvoir revenir parmi les hommes : “tu es une bête fauve qui veut manger par la bouche, manger par le sexe et boire toute la nuit. ” (p 58) A u moment où, au front Barboni devenu fou commence à réciter le De profundis, le romancier nous ramène alors brutalement à Jules , toujours dans le train vers Paris (p 79)
Il repense à Marguerite et à leur rencontre dans ce bar, aux rires de cette femme rayonnante de crasse dans les bras de laquelle Jules a oublié ses fureurs et a apaisé sa soif. Il a , grâce à cette femme, “retrouvé la douceur d’être un homme.” (p 83) C’est une sorte de prière que Jules adresse en fait à Margot et il la bénit entre toutes les femmes parce qu’elle est la face joufflue de la vie. Nous retrouvons la voix de Jules au début du chapitre III: il réalise que ce voyage le fait souffrir car ce permissions représentent “l’espoir de quitter la guerre et de vivre” (p 88) alors Jules décide d’emprunter d’autres chemins et il saute du train en marche pour pouvoir enfin se reposer de cette immense fatigue qui le voûte. Jules se réceptionne au moment où sur le champ de bataille, l’homme cochon tue Boris. Jules a alors l’impression d’entendre des éclats de voix (p 103) Il semble avoir dormi dans la terre et considère sa désertion comme une évasion mais il est poursuivi par une rumeur et par des voix “comme si j’entendais crier des hommes ” p 105. Au début du chapitre Iv, nous retrouvons Jules en proie à ses voix qui sifflent dans son dos : des appels, des pleurs et il comprend enfin ce qu’elles disent ( p 110) et qu’il ne leur échappera pas car les voix sont en lui : “ sur le front gisent des milliers de soldats épuisés; ils vont mourir et pleurent tout seuls. ils glissent à la terre leurs dernier mots..je les entends ” p 110. ” Ce sont les voix fatiguées de mes frères; Ceux que j’ai laissés derrière moi. Les voix embourbées de ceux qui n’ont pas pu se relever. Ils s’adressent à moi. Ils veulent parler par ma bouche. Ils veulent que je leur prête voix. (p 110 ) Ce chant hante Jules et il comprend qu’il va les emmener où il va.
Le dernier chapitre s’ouvre à nouveau sur Jules qui décide de confier à la terre sa prière ; Cependant les voix continuent de le traquer et à hurler dans sa tête (p 142); Il doit apprendre à “imposer le chant” , se montrer plus fort que la pluie de pierres. “je me mets à l’écoute des voix des tranchées” p 142: C’est une étrange voix qui s’impose à lui : celle du gazé qui dans le roman prononcera ses dernière paroles p 150; cette voix annonce qu’elle ne tiendra pus longtemps et demande qui se souviendra d’elle.. La dernière intervention de Jules a lieu p 156: c’est sa voix qui va clore le roman ; Désormais il court et va construire des traces pour les voix: il va ériger des statues de terre ,de cette boue tant redoutée des soldats , stèles qui matérialisent les dernières paroles des morts ; il sculpte de grands corps de boue ; des stèles commémoratives où les hommes crient à jamais et décide d’en créer une à l’entrée de chaque village (p 158) Des statues immobiles , une colonne d’ombres , une armée, Jules est devenu les mains de la terre et sa voix s’est tue ; ” je donne vie, un à un , à un peuple pétrifié. J’offre au regards ces visages de cratère et ces hommes tailladés. ..Et mes frères de tranchées savent qu’il est ici des statues qui fixent le monde de toute leur douleur. Bouche bée.”
Le personnage de Jules est celui qui , en devenant créateur, va relayer et faire revivre les voix des disparus. Il est l’image de l’artiste qui, par son oeuvre, redonne naissance et fixe le souvenir; silencieux durant tout le roman, il comprend lorsqu’il prend la parole publiquement, que les hommes ne sont pas prêts à entendre ce qu’il leur dit, le témoignage de la vérité et qu’il lui faut alors trouver un autre moyen pour devenir le réceptacle de toutes ces voix qu’il contient et qu’il unifie. Ce mode détourné de faire entendre et de faire saisir la matérialité et la vérité de ce qui fut, c’est l’art. Jules est celui qui est sorti de la guerre vivant et l’a fuie pour pouvoir témoigner de ce qu’ont vécu ses frères d’armes morts. 
En brandissant sa tête de Gorgone sanglante, un sourire de joie éclaire le visage de Marius et le médecin comprend alors qu’il est allé trop loin et “qu’il s’est perdu trop longtemps dans des terres impossibles”. Lorsque le cri de l’homme cochon retentit à nouveau, Marius comprend que la guerre est plus forte que lui et son langage , à l’image de sa pensée, se disloque peu à peu pour devenir incompréhensible : il sombre alors dans un mutisme éternel; on n’entendra plus sortir de sa bouche que “le souffle creux d’un homme vaincu” (p 155) Marius a d’abord été le veilleur, celui qui garde un oeil sur ses camarades ; dès sa première intervention, il se sent heureux d’être encore en vie mais ” vieux de plusieurs milliers d’années” (p 28) Resté à l’arrière pendant que l’unité du lieutenant Rénier monte au front, il pense à Jules qui est à l’abri et avec Boris, ils surprennent la silhouette voûtée d’un étrange humain redevenu une bête sauvage et dont les cris affectent le moral des soldats. (40) Il interroge le médecin sur ces étranges cris car le médecin est celui qui est resté le plus longtemps au front mais ce dernier ne peut le renseigner; Alors Marius retourne retrouver Boris et lui fait part de sa décision de sortir de la tranchée pour retrouver l’homme cochon (46) . Le chapitre III est consacré tout entier à cette chasse à l’homme ou à la bête ; sortis des tranchées sans autorisation, Boris et Marius contemplent le paysage dévasté et se trouvent brutalement face à l’homme- cochon qui pousse un grand rire “grotesque, un rire de boue et de crasse ” Il leur semble alors fouler les excréments de la guerre ” (99) Mais Marius arrive trop tard : l’homme-cochon vient de tuer Boris et Marius se sent horriblement coupable. A côté de lui, le fou se met à pousser des cris horribles alors que lui n’arrive ni à pleurer ni à parler : “Et ces grands cris fauves étaient ceux que j’aurais aimé pousser. le grand fou nu, le tueur à la baïonnette me prêtait sa voix pour pleurer mon mort. ” p 102. A partir de ce moment, Marius se persuade que s’il tue l’homme-cochon, la guerre cessera et il repart à sa poursuite. Alors que tous meurent au cours de la dernière attaque, Marius toujours concentré sur sa quête, semble devenu indifférent à la bataille. Il se prend pour Vulcain le Dieu du feu ( p 147) et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Quand a-t-il perdu contact avec la réalité ? Une série d’événements l’ont éloigné peu à peu de la raison et il sombre dans la folie : “il faut que je te montre aux hommes; leur montrer le cri. Brandir devant eux ta bouche éventrée. ” 
Dans un dernier sursaut de lucidité, Barboni, va finalement se sacrifier et s’emparer du lance-flammes ennemi pour donner à ses camarades le temps de s’enfuir : ce singe épileptique est-il devenu un héros par ce geste ? ses dernières paroles : ” je vais..je vais tous les tuer..tous..avec mon couteau..avec mes doigts..je vais..sans regard..sans pitié.” (p 125) Juste avant qu’il s’empare du lance-flamme; Messard pense qu’ainsi il a payé pour son crime; lui décide désormais de dire ses derniers mots avec les flammes: “je me suis senti indestructible..c’était mon heure “ (130) Il apparaît comme un titan hilare qui crachait du feu. “son corps a explosé, s’ouvrant à l’infini. Mille morceaux d’hommes qui montent au ciel. J’ai vu Barboni et j’ai su qu’il était mort. ” ( 130) Sa conduite nous amène également à nous interroger sur le silence du Ciel, et de Dieu ainsi que sur la folie meurtrière qui peut s’emparer de certains soldats.
Le lieutenant Rénier est l’un des seuls gradés de ce bataillon et il est envoyé au front , en première ligne dans la tranchée de la Tempête pour relever ceux qui s’y sont battus. (p 29) Il commande la troisième compagnie, deuxième section. Il a pour mission de reprendre le kilomètre perdu au cours des dix dernières heures de combat. Il intervient huit fois au cours des deux premiers chapitres et il est la voix principale qui raconte l’assaut au cours duquel il meurt, après sa huitième intervention, p 63. 
Tout le monde tremble te personne n’ose se regarder: chacun affronte sa peur; il a hâte de courir et son rôle d’officier lui tient à coeur; il va montrer l’exemple et devenir un guépard.A l’heure dite, il se lève, emplit d’air ses poumons, enjambe le parapet et court “sans faiblir; sans penser à rien” ..il se sent rapide comme un fauve, se dirige vers les ennemis et tombe : c’est Ripoll qui ira le chercher avec Castellac (p 66) “Il était calme et élégant, avec sur la face une expression que je ne lui avais jamais connue: les yeux et la bouche grands ouverts; Comme s’il essayait de crier ou de boire tout l’air du champ de bataille. Comme si sa gueule affreuse s’ouvrait jusqu’au déchirement pour tenter de respirer encore. Une gueule de gargouille…il avait la gueule déformée de la mort. la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés..Au lieu de cela, il semble crier encore à l’attaque alors qu’il gît dans la boue, que son corps est froid et que plus personne jamais, n’entendra sa voix. La mort s’est jouée de lui. elle l’a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C’était un homme et il méritait mieux que cela. ” 


