05. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Une scène d’exposition · Catégories: Première · Tags:

La scène d’exposition au théâtre a une triple fonction : elle présente le cadre spatio-temporel , les personnages  ainsi que leurs relations et l’intrigue de la pièce. Quel type d’exposition Giraudoux a-t-il choisi comme ouverture de La Guerre de Troie n’aura pas lieu

Il s’agit tout d’abord d’un dialogue entre deux femmes qui sont parentes et troyennes : Andromaque est la femme d’Hector, prince héritier de Troie, fils de Priam le roi et Cassandre est la soeur d’Hector et de Paris, la belle-soeur donc d’Andromaque. Les deux femmes sont en opposition sur pas mal de points ; une ambassade grecque vient d’être mandatée afin de déterminer si la guerre doit avoir lieu ; Andromaque optimiste pense pouvoir l’éviter alors que Cassandre, qui a un don de prophétie mais que personne croit jamais, paraît sûre qu’elle aura bien lieu . Se propos ont des allures catégoriques: ” Et la guerre de Troie aura lieu” Cette réplique fait suite à celle d ‘Andromque, à l’inverse ; Le ton de cette dernière  peut s’apparenter à de la colère et une pointe d’inquiétude comme pourrait l’indiquer le point d’exclamation: ” la guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre ! , ” Ce premier dialogue nous plonge au coeur du problème et de l’action ; L’arrivée d’Hector semble un point déterminant et on retrouve, au coeur de cette scène d’exposition, la plupart des éléments du théâtre classique tels que les définit Boileau dans son Art Poétique en 1674 : “Que dés les premier vers, l’action préparée,/ Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.”  et la règle des trois unités , résumée avec ces deux alexandrins : “Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli/ Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Par bien des aspects en effet, le théâtre de Giraudoux s’inspire de la tragédie classique mais le dramaturge y ajoute un mélange des tons et une verve comique, qui caractérise le mélange des genres , pratiqué par de nombreux dramaturges en ce début du vingtième siècle . La première scène de la pièce révèle un thème tragique : l’imminence d’un conflit mais le sujet est traité sous une forme parfois comique avec notamment la familiarité de certains répliques et les arguments ad hominem utilisés par les deux femmes . Voyons comment nous passons en quelques lignes d’une dispute amicale à un conflit dramatique.  Tout d’abord, le début de la pièce peut paraître quelque peu déroutant pour le spectateur qui connait l’histoire de la Guerre de Troie et le destin tragique de la plupart des protagonistes.Les principaux acteurs de ce conflit, même ceux qui ne sont pas sur scène, sont nommés par les deux femmes; ces dernières se tutoient mais leurs liens familiaux n’effacent pas leur désaccord qui se manifeste clairement par la reprise , en version négative, de ce que l’une des deux ,affirme. Ce procédé met en valeur la radicalité de leur antagonisme : ” On la lui rendra ” affirme Andromaque, en parlant d’ Hélène, et Cassandre réplique immédiatement: ” On ne la  lui rendra pas” .  Ce procédé est utilisé à plusieurs reprises au cours de cette scène et lui confère ainsi un aspect comique et tragique à la fois .

Le différend entre les deux femmes semble également se prolonger lorsqu’elles évoquent  leur vision des choses : l’une  se veut optimiste et reproche à l’autre son pessimisme , sur un ton parfois agacé : ” Cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l’effroyable ? ”  Cette interrogation d’Andromaque est une critique de Cassandre et l’adjectif effroyable marque bien ce que représenterait une nouvelle guerre pour les Troyens: une catastrophe. Face aux sinistres prédictions de sa belle-soeur, Andromaque tend à se fermer de plus en plus et à refuser l’échange comme le montre cette évolution de ses répliques : elle commence par dire ” je ne sais pas ce qu’est le destin,” sorte de refus de la  notion même de fatalité, avant d’enchaîner, quelques phrases plus loin avec ” je ne comprends pas les abstractions” pour bien montrer qu’elle n’entend pas se laisser convaincre;  Cassandre emploie alors une image concrète “une métaphore pour jeunes filles ” . Elle sous- entend ici, non sans ironie, que tout le monde est capable de comprendre ce qu’est le destin et qu’Andromaque n’a ainsi plus d’excuse valable pour faire la sourde oreille .  La métaphore du tigre illustre en effet, assez bien ; la cruauté du destin, et l’idée qu’il frappe sans bruit, sans  forcément un signe annonciateur .  Andromaque, à court d’arguments logiques s’en prendra alors directement à la personne de sa belle- soeur en multipliant les attaques personnelles : “je ne te comprends pas ” et ensuite “”le destin s’agite dans les filles qui n’ont pas de mari“,   attaque à peine voilée au célibat de Cassandre qui pourrait susciter sa jalousie envers les femmes heureuses en ménage , et les futures mères .  Andromaque souhaiterait que sa belle -soeur cesse de parler et elle entend la faire taire : ce que reflète, en outre, la modalité injonctive de l’impératif dans “laisse-le dormir ” , à propos du tigre-destin . On note toutefois une évolution tragique car l’ incompréhension de la femme d’Hector  finit par se transformer en une sorte d’angoisse qui se manifeste dans la réplique, qui est cette fois davantage une supplique : “Ne me fais pas peur Cassandre”  On peut donc en déduire que Cassandre a pris l’ascendant sur la femme d’Hector et que c’est sa vision pessimiste qui pourrait l’emporter, à la fin de cette première scène, dans l’esprit du spectateur . Cette scène d’exposition remplit bien les fonctions traditionnelles : elle indique le cadre dans lequel va se dérouler l’action et présente  les liens entre les différents personnages . Elle introduit le spectateur in medias res : au milieu d’une histoire en cours

Le dramaturge donne également des indications sur le hors-scène : on apprend ainsi, en leur absence que le couple formé par Hélène et Paris ne s’aime plus guère ; ” Paris ne tient plus à Hélène ” ce qui pourrait constituer un argument pour les défenseurs de la paix ; Mais suffit-il de rendre à Mélénas sa femme pour que ce dernier considère que l’offense qui lui a été faite , est réparée ; Les Grecs qui ont fait le déplacement vont-ils accepter la restitution d’Hélène ? ne vont-ils pas réclamer des dédommagements pour le préjudice subi ? De plus ,Hector est présenté comme un guerrier victorieux : va-t-il renoncer à faire la guerre ? L’action se place au printemps et symboliquement “le plus beau jour de printemps” comme pour signifier que ce jour est propice à la paix; L’absence de didascalies peut nous faire hésiter sur la manière d’interpréter certaines répliques ironiques de Cassandre et il faut alors se référer au contexte mythologique pour comprendre les caractères inventés par le dramaturge .  Cassandre dit, en effet, toujours la vérité,  et elle connaît le futur : “la guerre de Troie aura lieu”  affirme- t-elle ici  en employant un futur . Cette affirmation  plonge le spectateur dans une attente tragique car il connaît l’issue inéluctable et les conséquences terribles de cette guerre qui va se déclencher . Toute l’habileté de Giraudoux consiste à différer le dénouement tragique en nous donnant de faux espoirs tout au long de la pièce. Andromaque compte sur Hector pour faire pencher la balance et le destin du côté de la paix et le spectateur est lui aussi dans l’attente de l’arrivée sur scène du personnage, arrivée imminente annoncée par les “trompettes” de la victoire . 

Un début traditionnel donc mais qui peut néanmoins surprendre le spectateur par les libertés prises par rapport aux personnages de la mythologie ; les noms sont respectés et correspondent essentiellement à la version d’Homère mais avec quelques variations; ainsi Andromaque est seulement enceinte alors qu’Astyanax est déjà né quand la guerre éclat dans l’iliade. De plus , Homère se place dans le camp grec pour raconter l’histoire de la guerre alors que Giraudoux situe l’action de sa pièce  à l’intérieur de Troie, avant que la guerre éclate. Le dramaturge es sert de matière antique comme d’une source d’inspiration afin de faire réfléchir ses spectateurs à la situation actuelle de la France en 1935, confrontée au péril d’une nouvelle confrontation avec l’Allemagne. La culture antique sert ici de paravent pour masquer l’actualité d’un questionnement ; Giraudoux utilise également les symboles comme le lavoir, qui dans l’Iliade représente la paix ou les remparts qui représentent le futur siège de Troie. Le spectateur peut davantage s’identifier au personnage d’Andromaque car elle relaie les craintes de la population à propos d’un nouveau conflit alors que les propos de Cassandre demeurent plus mystérieux . Les personnages eux-mêmes peuvent apparaître , par l’effet de la mise en abyme, comme les spectateurs de leur propre destin qu’il se contentent d’observer , en haut des remparts, sans pouvoir changer le cours des choses. Tout au long de la pièce, le dramaturge va exploiter la dimension poétique et la dimension symbolique des objets comme par exemple avec des répliques comme ” quand il est parti voilà trois mois, il m’a juré que cette guerre était la dernière.” qui  fait référence à la guerre 14/18, surnommée par les anciens combattants “la der des der.” Le problème politique déplacé dans un contexte antique permet ainsi la mise distance et suscite davantage la  réflexion. De  plus , la légèreté du ton de certaines réparties contribue à rendre l’atmosphère moins pesante. 

En conclusion, ce début de pièce annonce bien au spectateur ce qu’il découvrira par la suite. Il présente les personnages et leurs relations, il fixe le cadre spatio-temporel et il indique le sujet de l’histoire. Il donne également le ton de l’œuvre avec un renouvellement du genre théâtral de la tragédie, autant sur le fond que sur la forme. Après cette entrée en matière, le public souhaite évidemment en savoir plus. Il se demande si le titre sera réalisé, c’est-à-dire si Jean Giraudoux propose réellement une réécriture de l’histoire d’Homère avec une guerre de Troie qui n’aura finalement pas lieu. Il a hâte aussi de découvrir physiquement les autres personnages dont on lui a parlé dans cette scène d’exposition, notamment Hélène et Hector, personnages assurément clefs pour la suite de la pièce. 

05. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Etienne découvre le travail de la sucrerie · Catégories: Seconde · Tags: ,
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Il s’agissait d’écrire une description réaliste (c’est à dire d’évoquer des petits détails vrais et d’employer un vocabulaire technique précis ) à la manière de Zola mais en s’appuyant sur la découverte d’un personnage qui pénètre dans un univers inconnu; Le romancier réaliste emploie souvent ce procédé qu'on nomme soit l’oeil de l’étranger soit la fiction du voyageur car cette technique permet de faire passer pour plus authentiques et naturelles les longue descriptions à valeur informatives et documentaires qui confèrent de l’épaisseur au roman . Pour que le lecteur s’ennuie le moins possible, il faut réussir à lui faire croire que tout ce qui est présenté passe par le regard du  personnage .

Voyons dans le détail quelques points à améliorer …et rappelons les consignes à respecter pour réussir l’exercice .

 Une seconde difficulté consistait à bien traduire les sensations d’Etienne et ses pensées : ce qu’on appelle la description subjective. Certains ont même réussi à peindre un personnage en mouvement et à limiter ou à varier se sangles de vue : on nomme ce procédé la description ambulatoire; La dernière difficulté et pas des moindres consistait à conférer une dimension symbolique à cette reconstitution de l’univers de la sucrerie .

Les vraies bonnes idées et les réussites 

  • Donner un nom à la sucrerie 
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    Renaud joue Etienne Lantier 
  • Suivre les déplacements du personnage 
  • Evoquer ses doutes, ses craintes
  • Montrer que le personnage s’intéresse à ce qu’il voit 
  • Evoquer des petits détails “vrais” comme les distances,le cadre géographique, le temps qu’il fait, la chaleur, la température précise, les couleurs des cheveux, les vêtements des travailleurs , leur air harassé 
  • Utiliser un lexique très technique notamment pour décrire les étapes de la transformation du produit brut 

Les erreurs fréquentes : 

  • ne pas suffisamment tenir compte du regard du personnage
  • ne pas se montrer suffisamment précis dans la description des procédés techniques
  • se montrer trop approximatif dans le dénombrement (il faut éviter les hyperboles comme des centaines, des dizaines, beaucoup..)
  • ne pas créer   une organisation de la description (ont été valorisés les connecteurs logiques qui précisent les points de vue ou les déplacements d’Etienne ) 
  • fabriquer des sensations peu conformes au contexte (Etienne est certes peut être heureux d’avoir quitté la mine mais il ne peut se réjouir de ce nouveau cadre qui ne devait pas être présenté comme idyllique ) 
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Quelques pistes : Etienne décrit d’abord les abords de l’usine : paysage triste et froid, tombereaux de betteraves qui sont déversées et emportées pour être triées , maigreur des chevaux, efforts importants des hommes , rivière salie, bruits qui enflent ..

Une fois à l’intérieur, Etienne peut d’abord décrire selon une vue d’ensemble et se rapprocher des différents sites de production pour en détailler le fonctionnement en montrant au passage, le travail des ouvriers. La description en actions est préférable à un simple panorama statique. A chaque halte, le personnage peut donner ses sensations et glisser une marque de subjectivité qui peut correspondre à un état (il a chaud, froid, mal au ventre, peur ) ; A l’intérieur, le personnage peut montrer à la fois les limites de son champ de vision mais également les limites de ses connaissances  : il peut avoir une vue partielle à cause des vitres embuées, de la taille des murs, du manque de visibilité, de l’obscurité ou ne pas connaître le nom de certaines machines ou de certains outils; Il peut également faire preuve de curiosité et interroger les ouvriers ; Attention toutefois à ce que le dialogue ou la conversation ne viennent pas remplacer la description et rompre ainsi l’unité de point de vue . Les détails qui retiennent l’attention du personnage sont également révélateurs : Etienne observe en premier lieu travail, ensuite les ouvriers et éventuellement, comme on le voit dans Germinal, la dimension économique de l’activité de la sucrerie peut prendre une certaine importance ; ce point a été bonifié dans certaines rédactions. Le paysage ne servait que de cadre, de première approche de la réalité du travail dans l’usine et il ne fallait  pas oublier l’intérieur de la fabrique

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Le  barème d’évaluation accordait 8 points à la dimension réaliste : ont été valorisées les copies qui ont réutilisé les termes techniques des opérations industrielles de transformation de la betterave en sucre raffiné . La dimension subjective représentait un crédit de 6 points : elle évaluait votre capacité à vous attacher au regard du personnage (présence de verbes de vision ) et à ses sensations; La dimension symbolique , de loin la moins réussie , n’a du coup, été évaluée que sur 2 points . Les principaux essais ont porté sur le désert avec le champ lexical de la chaleur de l’aridité  ou sur la fourmilière avec les ouvriers affairés, l’activité incessante de ces centaines de personnes occupées à des tâches répétitives et qui semblent submergées ou au contraire très organisées.  On pouvait également reprendre l’idée du dragon qui crache le feu mais le symbole du monstre dévorateur coup,  ressemblait un peu trop au site du Voreux et semblait moins pertinent.

Les 4 derniers points évaluent le niveau de votre expression écrite; Les fautes d’orthographe, de conjugaison, les répétitions, les oublis vous font  ainsi perdre de précieux points . Dommage de ne pas se relire ou es faire relire …

 

05. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le prologue d’Antigone : commentaire du commentaire · Catégories: Première · Tags:
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Commenter un texte consiste surtout à proposer à partir d’observations et de citations, des interprétations sur le sens de ce qui est écrit ; pour que l’exercice soit réussi, plusieurs facteurs entrent en compte dans des proportions variables. Le barème d’évaluation le jour de l’examen sanctionne essentiellement les erreurs de compréhension du texte appelées contresens . Sur les 16 points à attribuer, 3 ou 4 sont consacrés traditionnellement à la construction du devoir et 3 environ à l’expression ; Les 9 ou 10 points qui restent sont répartis entre  qualité et variété des observations, utilisation des citations et surtout présence d’interprétations. 

  • la qualité des observations est primordiale
  • le choix des citations et leur insertion dans les phrases est un point important 
  • la profondeur des interprétations (qui sont des hypothèses de lecture, des suppositions ) fait la différence entre les copies
  • la rigueur et l’efficacité de la démonstration est un atout non négligeable mais attention un plan vide ou un commentaire qui n’est composé que d’une grosse introduction et d’une conclusion ne vous rapportera guère plus de 6/7 points sur 20; chacune des 2 ou 3  parties doit comporter au moins deux sous-parties et leur longueur doit largement dépasser la taille d’une introduction !  

Les erreurs les plus fréquentes

  • consulter un corrigé et vouloir le résumer en ôtant soit les passages essentiels soit les éléments de construction du commentaire : c’est un signe que l’exercice n’est pas maitrisé ; Tous les corrigés ont une logique et si vous mixez des corrigés, vous devez en tenir compte dans l’architecture de votre devoir.
  • annoncer un plan et ne pas le suivre 
  • se focaliser sur des détails sans grand intérêt
  • commenter un texte qui n’est pas celui qui a été donné sous prétexte que les corrigés étudient l’intégralité du prologue 🙂 
  • dire qu’on va comparer deux textes : un commentaire ne prend appui que sur un texte et éventuellement des connaissances générales du théâtre par exemple mais on ne pouvait pas dire qu’on allait dans une troisième partie comparer ce prologue avec celui de Sophocle 
  • se méfier de la notion d’originalité; en effet prétendre qu'un texte est original nécessite qu’on soit capable de dire ce qu’il a de différent par rapport aux autres manières de commencer une pièce de théâtre ; autrement dit cela revient à connaître les grands principes de l’exposition au théâtre et  à expliquer pourquoi effectivement cette scène est différente de la plupart des autres expositions 
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Essayons d’y voir plus clair : il fallait commenter un prologue au théâtre ; 

D’abord partir de ses connaissances …..

ce que je sais : je connais la pièce , je sais que cette tragédie est une réécriture d’un mythe antique , je sais qu’au théâtre l’exposition a trois fonctions essentielles : présenter les personnages, le cadre et l’action c’est à dire permettre au public de comprendre ce qui va se passer (lire  par exemple l’article consacré à l’analyse de l’exposition d’une pièce de Giraudoux , elle aussi réécriture d’un mythe antique ) 

Ensuite :penser que c’est un texte de théâtre donc consacrer une partie de ses explications à la représentation ; Pour cela , un truc simple consiste à se mettre à la place d’un spectateur ; quel effet éprouve un spectateur qui entend parler d’un personnage qu’il voit en même temps? les acteurs tous présents  sur scène vont-ils exécuter les gestes que récite le prologue? 

La question essentielle qui est aussi la meilleur problématique parce qu’elle permet de cerner tous les enjeux du texte  : comment Anouilh met- il en scène cette réécriture d’une tragédie antique ? Un peu mieux que : quel est le rôle de ce prologue ? mais on pouvait parvenir au même résultat en faisant attention à ne pas oublier la dimension scénique du texte ; Aujourd’hui, on exige d’un élève qu’il envisage le texte de théâtre en vue de sa représentation; C’est pourquoi l’objet d’étude du bac de français  a changé et s’intitule désormais texte de théâtre et représentation; La plupart des corrigés proposés sur internet ne tiennent  pas compte de cette obligation et sont donc incomplets de ce point de vue. Du coup, rares sont les élèves qui y ont pensé 🙂  

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Un  plans possible assez complet … du moins intéressant au plus intéressant , du plus évident au plus subtil

 1 Le prologue joue un rôle informatif 

a) expose pour le spectateur les liens entre les personnages qui par nature ne vont pas évoluer 

b) expose le cadre de la pièce 

c) expose les enjeux 

2. Un prologue sous le signe de la fatalité : comment Anouilh réécrit et modernise une tragédie antique 

a) les indices de la tragédie antique

b) la mort annoncée

c) la reprise du prologue antique 

3. Un prologue  qui modernise le théâtre : 

a) la  mise en abîme : la création d’un nouveau personnage

b) une mise en scène qui fait des spectateurs des cibles : destruction du quatrième mur ?

c) les références à l’actualité brûlante 

CCL :la première partie d’une conclusion reprend les conclusions de chaque partie du plan 

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Anouilh réinvestit les codes du théâtre antique et classique une fabriquant une exposition conforme par certains points à ce qu’on exige d’une première scène au théâtre, c’est à dire la délivrances des informations essentielles (ma partie 1 )  mais il fait preuve d’une réelle  originalité à la fois par sa mise en scène très surprenante  et  ses adresses au spectateur par l’intermédiaire du personnage du prologue; En jouant avec la reprise des poncifs de la tragédie antique (ma partie 2) , le dramaturge redonne au mythe une force qui tient à ses liens avec l’actualité douloureuse de la première représentation au théâtre de l’Atelier en 1944. (ma partie 3) ; D’ailleurs le public, touché par cette héroïne et son parcours,  réserva un très bon accueil à cette pièce . 

 Idée d’ouverture thématique : A cette époque, Jean-Paul Sartre avec Les Mouches et Jean Giraudoux avec La guerre de Troie n’aura pas lieu reprennent eux aussi, sur scène, les mythes antiques en leur injectant la part de tragédie liée à la nouvelle guerre mondiale qui se joue sous les yeux des spectateurs ; Le public est ainsi amené à devenir lui aussi acteur de sa propre vie et la guerre fait résonner étrangement les combats de la révolte face la loi, du pacifisme et du bellicisme et nous amène à nous interroger sur la notion même de fatalité. 

Je vous joins des commentaires trouvés sur internet et commentés par mes soins …

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Pour progresser : réfléchir à la nature du texte et à ses enjeux ; soyez plus curieux, plus observateurs et utilisez des termes techniques précis ; Ne vous focalisez par sur un plan avant 1 h 30 de travail d’observations …ayez en tête des plans possibles pour des types de textes (un combat, une exposition, une rencontre, un dénouement, des aveux ) Posez -vous des questions et votre plan tentera d’y répondre ! qu’apprend-t-on dans cet extrait ? ; quels sont les registres dominants? que voit-on ? que cherche-t-on à nous montrer ? Partez de vos connaissances sur des objets d’étude : l’histoire de la poésie, l’évolution de la figure du héros, l’évolution du théâtre …

Une devise qui vous aidera : ramenez l’étranger à ce qui vous est familier et l’inconnu à ce que vous connaissez déjà 

 

16. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone 82 : quelques pistes à explorer pour évoquer la pièce de Jean-Paul Wenzel · Catégories: Première · Tags:
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le metteur en scène 

Christophe Cardoni, journaliste, est revenu nous aider à évoquer quelques pistes d’interprétation pour travailler à la rédaction des articles de presse  qui feront écho à la représentation d’Antigone 82 de Jean-Paul Wenzel à l’ Orange Bleue, théâtre d’Eaubonne . Tout d’abord , le scénographe et metteur en scène a choisi de ne pas reprendre le titre du roman de Sorj Chalandon :Le quatrième Mur; Une partie de son geste artistique consiste, en effet, à abolir ce mur imaginaire, cette frontière  théorisée par Diderot , entre le public et l’espace scénique. Cette abolition tente de faire du théâtre un véritable lieu de rassemblement qui permet de se retrouver ensemble et d’échanger librement. 

 

 

Tout d’abord la disposition trifrontale peut marquer l’absence de frontière justement comme pour suggérer que les échanges se font librement, Dans le roman comme dans la pièce , le héros passe d’un espace à un autre avec beaucoup de difficultés et l’un des enjeux de la scénographie consisterait à  abolir symboliquement ces barrières , ces séparations ; C’est pourquoi les musiciens jouent à vue, les acteurs se changent à vue également et la caméra restitue une direct les images tournées derrière le rideau de cinéma qui matérialise le fond de scène; Le geste artistique du metteur en scène consiste à faire du théâtre ce lieu de rassemblement  qui force les personnages à sortir de leur enfermement; une tentative de rétablir la communication entre les différents protagonistes de la pièce.

Le rideau de scène a retenu notre attention: d’abord les élèves ont remarqué qu’il portait les stigmates de la guerre ;Il est brûlé à certains endroits et semble déchiré ; Ensuite il peut évoquer le lieu de répétition du roman: cet ancien cinéma abandonné au coeur de Beyrouth. Un lieu de passage et de transmission au coeur d’un espace en guerre et que la guerre justement va finir par détruire. 

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Imane tout en rouge

La musique peut également être considérée comme un lien entre les cultures ; d’abord la culture orientale : le oud étant un instrument traditionnel de la musique folklorique arabe et la guitare électrique qui représente l’occident et les années 80; les deux mini- scènes musicales sont installées de part et d’autre de la scène et les musiciens font également partie des acteurs ; Ils interprètent chacun différents personnages et ne sont pas simplement des musiciens. 

 Tous les acteurs endossent plusieurs rôles et parlent plusieurs langues; Il est intéressant de voir notamment combien de personnages peut interpréter un même acteur ; il devient tour à tour figurant et personnage principal dans d’autres scènes; 

Le mélange des genres est également bien respecté : certains passages comiques, comme dans le roman d’ailleurs, atténuent la portée dramatique de la pièce; On peut citer les barbes postiches des chiites lors des représentations, les concessions faites par Georges aux impératifs religieux pour pouvoir maintenir la représentation de la pièce; Le geste de théâtre montre la dimension confessionnelle du conflit en la rendant ostensible comme le tatouage de la croix sur le bras de Joseph-Boutres, sniper phalangiste,  qui fait écho à la kippa de Samuel et au keffieh porté par Imane et son frère , symbole des combattants palestiniens. 

Avec une certaine économie de moyens, Jean-Paul Wenzel a réussi à faire naître l’émotion du public: la distribution est réussie et lui-même, qui a du s’improviser acteur, fait un Marwan convaincant, vibrant d’humanité lors la scène très touchante de l’accolade avec Georges. 

Au final, on peut se demander si le théâtre atténue la représentation des réalités de la guerre ou les amplifie par rapport au roman ? 

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14. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Parcours d’une héroïne : autour d’Antigone (parcours de lecture ) · Catégories: Première · Tags:
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Pour préparer l’entretien oral qui suit l’exposé, vous devez réunir des connaissances à la fois sur l’oeuvre étudiée mais également sur l‘histoire et l’évolution du genre théâtral. Les questions de l’examinateur sont variées mais elles visent à tester vos connaissances autour d’un objet d’étude . Le parcours de lecture proposé a pour objectif de vous préparer à cette seconde partie de l’oral du bac qu’on nomme l’entretien et qui dure environ 10 minutes;  Il est conseillé de vous entrainer régulièrement sur les séries de questions données durant l’année et de préparer des fiches qui résument l’histoire littéraire de la poésie, du roman , du théâtre ainsi que les principales formes argumentatives . Reprenons quelques points autour de la pièce d’Anouilh , Antigone . 

1. Il s’agit de présenter le mythe d’Oedipe et de connaître les noms de la famille proche et élargie autour d’Antigone ; n’oubliez pas le rôle de fille modèle et de guide pour son père. 

2 Définir son portrait peut être complexe mais efforcez vous de reprendre ses qualités et ses défauts;Surtout citez des éléments de la pièce  et essayez de vous souvenir des passages qui la caractérisent "la petite maigre, noiraude et renfermée, yeux graves , elle pense qu’elle va mourir et qu’elle est jeune (le prologue )  tu es l’orgueil d’Oedipe, ton sale caractère (Créon )  tu es folle …menteuse, ma colombe, file de roi, princesse (la nounou ) . Je ne suis pas aussi courageuse que toi , te voilà lancée sans écouter personne, ma petite soeur, c’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles ) Piochez parmi les adjectifs suivants : têtue, orgueilleuse, déterminée, libre, négative, butée, obstinée, courageuse, suicidaire …..”elle a préféré sa folie et la mort” dira Créon à son fils  Hémon. 

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3. Anouilh dresse de la royauté un portrait original: Créon est défini comme un homme robuste aux cheveux blancs, avec des rides et fatigué; il se demande s’il n’est pas vain de conduire les hommes mais au matin, il se lève et se retrousse les manches; il a renoncé à ses plaisir personnels pour gouverner; il entend devenir un prince sans histoire et fait souvent référence à son beau-frère Oedipe dont il entend se démarquer : “moi j’ai les deux pieds sur terre et j’ai résolu de m’employer tout simplement à rendre l’orde de ce monde un peu moins absurde, si c’est possible “. C’est un métier; les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel j’ai le mauvais rôle , précise-t-il à Antigone..il affirme prendre le temps qu’il faudra pour la sauver en dépit des urgences du royaume: “Au lendemain d’une révolution ratée, il y  a du pain sur la planche, je te jureun matin je me suis réveillé roi, avoue-t-il et je me suis senti comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Il prétend aussi être un roi dont l’autorité est bafouée par les refus d’Antigone ; il n’a pas été assez fort pour l’empêcher de mourir .

4 et 17 et 22 . Anouilh construit sa pièce en imitant certains aspects des tragédies grecques dont il reprend d’ailleurs un sujet ; il place ainsi un prologue joué par un acteur (le même que celui qui interprétera le rôle du choeur ) au début de sa pièce; Ce prologue ,conformément à la tradition, annonce le sujet présente l’histoire et décrit les personnages ainsi que le dénouement .  

Le choeur lui aussi interviendra dans la tragédie à plusieurs reprises ; juste après l’annonce par les gardes de la découverte de la profanation (et voilà maintenant le ressort est bandé..lecture analytique 1 ) ; il s’adresse plutôt au public ; il s’adresse ensuite à Créon à la fin de la pièce pour lui demander de ne pas faire mourir Antigone et pour souligner sa folie ; Cette fois , il s’agit d’un échange avec le roi et le choeur rappelle qu’Antigone n’est qu’une enfant . Le choeur réapparaît lors du départ précipité d’Hémon ; Il semble inquiet et s’adresse une fois encore au roi: “Créon il faut faire quelque chose ” Il entrera sur scène pour annoncer après la sortie d’Antigone emmenée par les gardes ; “là, c’est fini pour Antigone “; Il dialogue avec le messager; ensuite avec Créon et  et reste sur scène jusqu’au baisser de rideau et prononce les dernier mots de la pièce ; Ce passage se nomme l’exodos dans la tragédie classique (la sortie du choeur qui marque la fin de la pièce ) . Anouilh a choisi un final pour le moins inattendu en partie” Il ne reste plus que les gardes; Eux tout ça, cela leur est égal; c’est pas leurs oignons. Ils continuent à jouer aux cartes. 

5.Pour résumer la différence entre les deux pièces, on peut évoquer la toute puissance de la religion à laquelle obéit l’héroïne grecque  de Sophocle alors que dans la pièce d’Anouilh, elle semble avant tout agir pour elle et invoque sa liberté de dire non.

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6. 7 et 8  Antigone entre en scène sans faire de bruit, à l’aube, ses chaussures à la main pour ne réveiller personne ; Elle vient de jeter une poignée de terre sur la dépouille de son frère Polynice et donc d’enfreindre la loi. Elle se fait surprendre par sa nounou qui pense qu’elle est allée rejoindre un garçon; Le drame s’ouvre donc sur un quiproquo comique . La nourrice la gronde et l’interroge et les réponses de la jeune fille ne sont pas comprises réellement. On notera le ton poétique avec lequel Anouilh décrit cette nuit là ..

9,10. La relation entre les deux soeurs est basée sur un contraste : Ismène,l’aînée se montre à la fois protectrice et raisonnable “moi je suis plus pondérée” ; elle tente de convaincre Antigone d'être sage et de renoncer à sa folie de s'occuper de la sépulture de leur frère; il y a un effet d’ironie tragique dans les paroles d’Ismène car c’est déjà trop tard ; deux échanges ont lieu dans la pièce entre les soeurs; Le premier juste après l’arrivée d’Antigone résume la jalousie de cette dernière , qui a longtemps été malheureuse à cause de la beauté de sa soeur . La seconde apparition d’Ismène suit la sortie d’Hémon ; Antigone est en pleurs et elle avoue à sa soeur ce qu’elle vient de faire; Ismène quitte la scène sur un cri. A la fin de la pièce au moment où les gardes vont l’emmener , Antigone refuse qu’elles pleurnichent toutes les deux ensemble et Ismène tente de la convaincre; C’est peine perdue..Ismène retourne alors se coucher et ne réapparaît qu’à la fin de la pièce elle fait son entrée en scène dans un cri  et demande pardon à sa soeur ..elle souhaite mourir avec elle mais Antigone refuse. Elle paraît donc n’avoir aucune influence sur sa jeune soeur ; Sa seconde entrée en scène est pathétique : “Je ne veux pas vivre si tu meurs,je ne veux pas rester sans toi ” crie-t-elle et Antigone semble alors plus pressée que les gardes l’emmènent comme si elle se refusait de céder à l’émotion . D’ailleurs on peut noter qu’elle s’ adresse assez durement à Ismène: “laisse-moi maintenant avec tes jérémiades” . Et elle lui reproche de ne pas être allée  elle aussi sur  la tombe de Polynice . Ismène promet de s’y rendre dès le lendemain. 

11. 12  Antigone est une véritable héroïne tragique notamment parce que sa mort est inscrite dans le texte; Dès le début de la pièce et bien avant que son forfait soit découvert, elle s’exprime comme si elle allait mourir;Le dramaturge emploie fréquemment le  conditionnel passé notamment et évoque la vie future sans elle , la tristesse de sa chienne qu’elle suggère da’illeurs étrangement de faire piquer , la suite de la vie d’Hémon . Autant de petits détails qui révèlent qu’elle se comporte comme si elle savait d’ ores et déjà que ses jours sont comptés. “Nounou tu ne devrais pas être trop méchante ce matin …moi aussi j’aurais bien voulu ne pas mourir..”  Elle demande d’ailleurs à sa nounou de la consoler comme quand elle  était petite et lui avoue qu’elle seule doit savoir que justement elle se sent un “peu petite” pour ce qui l’attend. Antigone apparaît fragile dans cette scène et cherche une aide auprès de sa nourrice. 

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13. Cette scène pathétique précède l’arrivée d’Hémon , le fiancé de la jeune fille et son amoureux également. Antigone lui avoue alors qu’elle s’était faite belle  la veille pour se donner à lui mais il a ri en la voyant si belle avec la robe d’Ismène et  maquillée ; alors Antigone s’est sentie vexée et elle s’est enfuie. Elle révèle à Hémon qu’elle ne l’épousera jamais et lui demande de sortir sans la regarder. 

14. Les entrées des personnages rythment la pièce comme souvent au théâtre; Une fois Hémon sorti, Ismène revient pour implorer sa petite soeur de ne pas commettre l’irréparable mais cet échange est interrompu tragiquement par l’arrivée du garde qui vient justement prévenir le roi Créon que le cadavre de Polynice a été recouvert par un peu de terre “juste assez pour le cacher aux vautours ” ; Le crime vient donc d’être découvert ce qui va précipiter l’enchainement inéluctable des faits comme le suggère la tirade du choeur (notre extrait 1 ) 

15. Les gardes constituent un contrepoint comique dans la pièce ; Leur fonction principale est de dédramatiser l’action et leur bêtise ainsi que le caractère obtus, leurs querelles , distraient le spectateur . Le prologue les présente comme “trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes; Ce ne sont pas des mauvais  bougres précise-t-il. Ils ont des femmes et des enfants des petits ennuis aussi comme tout le monde mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l’heure . Ils sentent l’ail le cuir et le vin rouge .  Ils sont dépourvus d’imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents  et toujours satisfait d’eux-mêmes ,de la justice de Créon. Ils entrent en scène pour avertir le roi dont ils craignent la réaction. Ce dernier leur demande de garder le silence et les accuse de négligence; Il les menace de mort s’ils ébruitent l’affaire . Ils reviennent après avoir arrêté Antigone qui a recommencé à gratter la terre de la tombe de son frère mais apparemment ils ne savent pas qui elle est et surtout  ils ne la croient pas quand elle se présente comme la fille d’Oedipe .Ils  s’expriment familièrement et entendent bien profiter de leur solde pour aller au restaurant . Ils donnent leur version des faits à Créon et quittent la scène; Ce dernier les fera revenir sur scène quand il aura pris enfin la décision de faire exécuter sa nièce ; Antigone va alors tenter de dicter une dernière lettre d’adieu à son fiancé et le garde qui la surveille maintient volontairement ses distances avec elle même s’il accepte d’écrire la lettre qu’elle lui dicte. A l’arrivée de ses camarades, il glisse l'”anneau que lui a remis la jeune fille dans sa poche et range le carnet sur lequel il écrivait .. et “gueule pour se donner une contenance ” Allez! pas d’histoires !  Lorsque le rideau se baisse , on indique que les gardes sont en train de jouer aux cartes. 

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16. et 18 . La pièce résume assez brièvement les éléments de l’enquête qui conduit à l’arrestation d’Antigone; Le premier indice c’est la terre qui  a bougé,; on pourrait soupçonner un animal mais “la terre était jetée sur lui selon les rites ” ensuite les traces de pas d’oiseau autour de la tombe, des petits pieds d’enfant, une petite  pelle d’enfant toute vieille et toute rouillée  avec le nom de Polynice et enfin,Antigone se fait prendre une flagrant délit en train de gratter la terre. “comme une petite hyène” ;Elle a de la terre sous les ongles et ne cherche nullement à nier les faits .

19. 20 et 23  La partie centrale de la tragédie est un long face à face entre Créon et sa nièce; Ils s’opposent âprement et le roi tente , à plusieurs reprises de justifier ses décisions et d’expliquer les contraintes de l’exercice du pouvoir. Les grecs appelaient ces affrontements des duels oratoires ou agon. La première étape consiste pour l’oncle à interroger sa nièce et à lui rappeler qu’elle a enfreint ses ordres; elle reconnait immédiatement ses torts “j’étais certaine que vous me feriez mourir ” dit elle. Le roi lui rappelle ensuite l’histoire de sa famille, le destin funeste de son père et tente de lui faire peur; Il pense que cela va suffire à lui faire entendre raison mais elle demeure sur ses positions, déterminée à y retourner : “Il faut que j’aille enterrer mon frère ”  Elle fait ce geste pour elle et prétend qu’il ne peut la sauver en dépit de son pouvoir de roi: “ni me sauver ni me contraindre.. vous pouvez seulement me faire mourir.”  Créon invoque ensuite les raisons d’Etat : l’exposition du cadavre du régicide est nécessaire selon lui pour que  les brutes qu’il gouvernent comprennent . “il faut pourtant qu’il y en ait qui disent oui” explique-t-il à sa nièce dans une longue tirade sur les difficultés de exercice du pouvoir . Mais Antigone demeure murée dans une sorte de mépris alors il tente de lui raconter qui était vraiment son frère et le mal qu’il a fait endurer à leur famille. Après ces révélations, Antigone semble touchée et affaiblie mais elle le provoque dans un dernier sursaut d’orgueil  en le traitant de “cuisinier” et il tente désespèrement de la faire taire. Il appelle alors les gardes pendant qu’Ismène lui lance qu’elle se rendra elle aussi le lendemain sur la tombe de leur frère. Le geste d’Antigone aurait-il fait des émules ? 

21 Le refus du bonheur : alors que son oncle essaie de la convaincre qu’elle doit croire au bonheur, Antigone remet en question ce mot ; “quel sera-t-il mon bonheur ? ” elle affirme ne jamais pouvoir être heureuse si elle doit mentir, se vendre et laisser mourir en détournant le regard . Elle maintient son  choix; “vous me dégoûtez tous avec votre bonheur; avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. ” 

25. Il est difficile de se prononcer  au final sur l’attitude de la jeune fille  et les avis seront surement partagés; que vous la trouviez courageuse, idéaliste et admirable ou au contraire butée, orgueilleuse et égoïste, il vous faudra justifier votre avis en vous servant d’éléments précis dans la pièce et notamment de citations. 

26. En 1944 dans la France occupée, il est difficile de faire entendre publiquement ses divergences avec le gouvernement provisoire de Vichy, sous les ordres des allemands ; Le pays est occupé et la guerre fait rage; des français de plus en plus nombreux combattent dans la Résistance et d’autres ne savent pas très bien dans quel camp se situer. Anouilh a utilisé un mythe mais on peut penser qu’Antigone représente la position de certains résistants décidés à donner leur vie pour leur idéologie ( destruction du nazisme et du Reich) ; la pièce a été applaudie longuement et a connu un triomphe . 

27. Le public a été enthousiaste . Dans le roman de Chalandon, il résume notamment l’ambiance lors de la première représentation. 

28. La notion de mélange des genres désigne le fait de passer dans une même pièce de passages tragiques et pathétiques à des scènes plus légères qui comportent des élément comiques ; C’est la fin de la séparation des deux principaux genres que sont la comédie et la tragédie; Ensuite c’est plutôt une question de proportion entre les éléments comiques et les éléments tragiques .

 

 

11. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Le dénouement d’Antigone d’Anouilh · Catégories: Première · Tags:
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Analyser le dénouement d’une oeuvre suppose de connaître quels types de dénouements sont attendus , possibles, conventionnels et de s’interroger sur la relation entre  le début de la pièce et sa fin. Dans le cas d’Antigone le dénouement tragique est conforme aux attentes et aux craintes du spectateur car la mort de l’héroïne ne fait aucun doute mais il est intéressant de montrer comment le dénouement est mis en scène et particulièrement quel sont les éléments de mise en scène qui peuvent renforcer la dimension tragique de cette fin attendue ? à la fois dans le texte et dans la version scénique proposée par l’adaptation de Nicolas Briançon . 

Le dénouement est marqué par l’arrivée en scène d’un nouveau personnage , traditionnel : le messager; En effet, dans le théâtre classique, le récit du messager permet au dramaturge de donner à entendre aux spectateurs ce qu’il ne peuvent voir demeures yeux, soit pour des raison de bienséance ou ne relation avec la règle des unités qui interdit les changements de lieux sur el plateau et a donc comme conséquence qu’on ne peut représenter sur scène ce qui es déroule ne dehors de l’espace délimité par le décor du plateau; Autrement dit la mort d’Antigone n’est pas représentée sur scène : elle est donnée à entendre .

Le récit du messager s’articule en plusieurs étapes: d’abord la révélation ; " une terrible nouvelle ” Le registre est pathétique ; La présence du style direct matérialise les paroles du roi, fou de désespoir quand il entend la voix dont l'identité va être différée pour le spectateur . La souffrance est omniprésente avec "plaintes qui sortent du tombeau ” ; les mains du roi qui saignent tant il creuse rappellent les ongles plein de terre d’ Antigone: chacun des deux personnages remue la terre pour quelqu’un qu’il aime ; Le messager raconte d’abord la vision du corps d’Antigone pendue : on peur ici établir un parallèle avec la mort de sa mère Jocaste qui elle aussi se pend avec la ceinture de sa robe lorsqu’elle découvre l’inceste qu’elle a commis avec son fils ; le choix de cette mort évoque donc la  poursuite de la tragédie familiale; Antigone paraît fortement attachée également  à son père dont elle est l’orgueil et à sa mère par la manière dont elle choisit de mourir . Le détail de la couleur des fils introduit une touche de poésie dans cette ambiance morbide et rappelle la dimension enfantine du personnage ; En effet dans toute la pièce Antigone représente l’enfance et la démesure, le sens de l’absolu et l’absence d’accommodements  qui combat le principe de réalité incarné par un pouvoir adulte et raisonnable ; Elle meurt donc avec ce collier d’enfant autour du cou comme pour rappeler sa jeunesse et pour certains peut- être, son immaturité ou son idéalisme . 

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La vision est pathétique et la douleur d’Hémon fait peine à imaginer : il est à genoux, gémit et a le visage enfoui dans la robe de sa fiancée; ces notations visuelles permettent au spectateur de s’imaginer la scène; le sacrifice d’Antigone n’en paraît que plus grand car dans la pièce elle refuse l’amour passionné que lui offre Créon et qui anime ce personnage d’éternel fiancé; De plus le roi va  perdre son fils adoré et c’est un facteur aggravant pour sa douleur; La suite du récit illustre les effort vains d’un père pour garder son fils en vie; Hémon paraît déjà au delà de lui-même; “Il se dresse, les yeux noirs, et il n’a jamais autant ressemblé au petit garçon d’autrefois” “ses yeux sont ceux d’un enfant, lourds de mépris ”  Ce nouveau rappel à l’enfance marque comme pour Antigone la dimension absolue de leurs gestes: aucun argument logique ne peut les atteindre ; ils ne sont nullement sensibles au raisonnement et paraissent inflexibles.

 Dans ce final, les gestes sont lourds de sens : Hémon crache au visage de son père et son regard est comme la lame ; les mots sont autant d’indications de gestes scéniques : nulle place ici pour l’expression de la pensée des personnages ; Nous sommes au théâtre et le langage des mots va se transformer en geste. Le suicide d’Hémon est décrit de manière sobre et l’immense flaque rouge est la preuve visible de cet amour absolu au delà de la mort des corps  car il s’étend contre Antigone, l’embrassant “dans une immense flaque rouge;" Le deux amoureux semblent ainsi réunis . 

L’entrée en scène de Créon marque la seconde étape de ce dénouement : le roi d’ailleurs reprend cette idée d’union des deux amants en indiquant “je les ai fait coucher l’un près de l’autre, enfin ! comme pour rappeler à la fois qu’il n’étaient pas encore amants , simplement promis l’ un à l’autre te leur mot est présentée comme une sort d’achèvement : ils ont fini, eux,; Ce qui peut sous-entendre que pour Créon, cela continue  et c’est d’ailleurs ce que suggère  explicitement la première réplique du choeur : pas toi Créon ; Il te reste encore quelque chose à apprendre . 

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La parole du choeur

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone mise en scène par Nicolas Briançon : quelle lecture de la pièce propose le metteur en scène ? · Catégories: Première · Tags:
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Barbara Schulz est Antigone 

Assister à une représentation théâtrale, c’est  d’abord être spectateur d’une intention ; chaque metteur en scène s’approprie , en partie l’oeuvre qu’il recrée à sa manière même sans changer une virgule du texte original; En effet, le metteur en scène est confronté à des choix : décor, scénographie, jeu des acteurs, casting, accessoires, lumières; Son langage est avant tout visuel même si le spectateur est aussi un auditeur attentif; A sa sortie en 2003, la version proposée par Nicolas Briançon, de la pièce d’Anouilh, créée en pleine période d’occupation allemande à Paris, ne fit pas l’unanimité. Voici un illustration d’une critique de la pièce , parue en 2008 sur le blog d’un journaliste ; A votre tour, essayez de jouer les critiques   après avoir visionné la pièce …et répondez au QCM  après avoir lu l’article ….

Celle qui a dit non 

Tout le monde connaît le nom (et le non) d’Antigone. Antigone la rebelle, Antigone la révoltée mais aussi Antigone l’amoureuse, Antigone la passionnée ! Et dans cette pièce Barbara Schultz n’exprime que trop bien cette volonté de vivre, elle qui n’est pourtant là que pour refuser… et mourir ! 

On attend beaucoup de Robert Hossein et de Barbara Schultz et on est pourtant déçu. A commencer par l’affiche même de la pièce : d’emblée la position du metteur en scène est affirmée, Nicolas Briançon va insister sur l’opposition d’Antigone, la maigre, la noiraude face à Créon le fort, le puissant.

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L’affiche de la pièce 

Ainsi sur l’affiche Créon apparaît immense, démesuré même, habillé tout de noir ( pour nous rappeler que Créon est le « mauvais » dans la pièce ? ) à la façon d’un nazi ( bottes, képi et long manteau ), il fait face, dans un contre-jour exagéré à Antigone, faible enfant toute vêtue de blanc ( Antigone est donc la « victime » de la pièce ? ) qui semble faire un geste de refus, ou bien ne cherche-t-elle qu’à se protéger de la tyrannie de son oncle ? Et c’est bien là le seul détail intéressant dans cette affiche qui soulève le caractère ambigu de la jeune Antigone qui à la fois se dresse contre l’autorité de son oncle et à la fois apparaît faible face à son pouvoir. On attend donc plus de cette adaptation qu’une simple opposition purement manichéenne entre Antigone la victime et Créon le mauvais. 

Barbara Schultz est tout de même magnifique dans son rôle : ses regards, son attitude, son allure et sa voix sont l’exacte représentation qu’on se fait du personnage d’Antigone. Fidèle au texte d’Anouilh, Ismène est tout son contraire. Briançon pousse son caractère superficiel à l’extrême : pyjama de soie lorsqu’elle va trouver sa sœur dans sa chambre (et toute la futilité de sa personne apparaît dans cette première scène), robe rouge, collier d’or et énormes bracelets qui alourdissent encore plus son personnage, cheveux soyeux et souple, boucles blondes, corps parfait et allure de reine, Briançon aime décidément mettre l’accent sur les oppositions entre les personnages. Le moment où le texte d’Anouilh est légèrement détourné correspond à l’apparition de Créon et de ses gardes. Il est évident qu’on ne peut parler de l’Antigone d’Anouilh sans parler de modernisation puisque la raison même de la pièce d’Anouilh est de nous présenter une Antigone d’actualité. C’est ainsi que, dans un Paris occupé par les Allemands, les personnages furent les symboles même de la résistance (Antigone) et de l’occupation (Créon). Seulement voilà, Briançon ne semble pas savoir se décider entre une adaptation ayant pour contexte l’occupation des Allemands à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale ou une version plus moderne encore, se rapportant à nos jours. C’est ainsi que Créon est vêtu comme un nazi et que ses gardes, à la surprise générale, sont vêtus d’un costume sombre, d’un écouteur placé dans l’oreille, de lunettes noires, et, les bras croisés, ils sont l’image même des agents de sécurité que l’on trouve à l’entrée des casinos. 

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Il reste deux choix d’interprétation qui dérangent un peu dans l’adaptation de Briançon : tout d’abord la violence de Créon. Certes il est le symbole de tous pouvoirs autoritaires et de la tyrannie (ce qui justifie son vêtement) mais Briançon fait de lui un véritable nazi, violent et impulsif. C’est ainsi que son entretien avec Antigone frôle parfois la séance de tortures qu’enduraient les résistants (il ne cesse par exemple de prendre violemment Antigone par les cheveux ou de tordre son bras et de la jeter ensuite par terre)! Bien sur, il faut resituer la pièce d’Anouilh dans un contexte de guerre et d’occupation mais le Créon d’Anouilh n’est pas un nazi, le Créon d’Anouilh a bien été plus souvent associé à Pétain, le collaborateur, et cette association est largement plus justifiée dans la pièce d’Anouilh que ne le serait celle du nazi, car qui est Créon, sinon un vieillard fatigué et las de la guerre, qui ne veut pour son peuple que la paix de Thèbes, qui tente désespérément et malgré elle de sauver sa nièce Antigone, qui a fait « don de sa personne » parce que “le sale boulot il fallait bien que quelqu’un le fasse ?” Tout le coté vieillard aimant et sagesse de l’adulte qui a dit « oui » depuis longtemps est ici évanoui. Briançon privilégie un Créon dur et cruel et son fils, Hémon, subit les mêmes transformations : ce n’est plus le Hémon faible (car fou amoureux d’Antigone) et sensible de la pièce d’Anouilh, c’est un Hémon qu’on sent aller irrévocablement sur les traces de son père, qui apparaît dur et moins sensible au charme un peu sauvage d’Antigone. La mise en scène présente cependant quelques trouvailles intéressantes. Ainsi, Briançon semble avoir retenu un petit détail pour sa mise en scène dans une des (nombreuses) tirades d’Antigone. Dans la première scène en effet où Ismène et Antigone se retrouvent, cette dernière, dans un élan passionné contre le mot « comprendre » du monde des adultes, rétorque violemment que toute son enfance a été gâchée par ce mot si laid : courir dans le vent, se rouler dans l’herbe, jouer avec la terre et avec l’eau des fontaines, tout cela lui était interdit ! L’eau de la fontaine. « La belle eau fuyante et clair qu’on ne doit pas toucher parce que ça mouille les dalles ! ». On la retrouve cette fontaine, sur scène, au beau milieu du plateau parmi le décor simple et les comédiens. Et souvent, quand elle se sent un peu trop faible, un peu trop petite pour tant d’histoires de grands, Antigone aime s’y asseoir, les genoux repliés et le visage caché par ses cheveux noirs et mal peignés. Et lorsqu’Antigone a grandi, lorsqu’elle a compris combien elle aurait aimé vivre elle aussi, lorsque les bleus que lui ont fait les gardes à ses bras ne lui font même plus mal, lorsque celle-ci se trouve dans « l’anti-chambre » de la mort, alors elle ne s’assoit pas comme elle le fait d’habitude mais elle y met un pied, puis les deux, et pendant toute l’attente avec le garde elle patauge doucement dans l’eau claire, car maintenant qu’elle a dit non, maintenant qu’elle va mourir, elle peut bien ne pas « comprendre » et vivre enfin d’une façon  passionnée car c’est ainsi qu’elle vit et qu’elle aime la petite Antigone : avec passion ! 

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Antigone et sa nounou 

L’adaptation de Briançon est remarquable par le talent de ses comédiens mais on en sort brutalisé et c’est la volonté même de cette interprétation (les projecteurs eux-mêmes, lorsque la pièce commence, s’éteignent de façon très brutale et très violente). Mais les bottes de Créon, son képi, son long manteau noir et la brutalité de ses gestes, n’est-ce pas trop pour une toute petite Antigone maigrichonne ? Où est donc passée l’ambiguïté du personnage de Créon qui fait mourir sa nièce tout en ayant tout fait avant pour tenter de la sauver ? Et l’ambiguïté d’Antigone, à la fois faible et courageuse, à la fois aimante et orgueilleuse ? N’y a t-il qu’un couple dans cette pièce ? Celui de la brute et de la victime ? Déception donc pour tous ceux qui aimaient dans la pièce d’Anouilh le coté humain de Créon et la mise en scène du terrible dilemme d’un homme qui lui a dit “oui” depuis longtemps.

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone de Sophocle: de la Grèce à l’ Ukraine de Lucie Berelowitsch · Catégories: Première
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Le mythe d’Antigone a pu servir d’illustration pour certaines questions politiques .  Lorsque Sophocle compose sa tragédie, la vision du pouvoir et de son exercice diffère radicalement de celle du vingtième -siècle et le mot dictateur n’a pas le même sens dans la Grèce antique que dans la Russie de Vladimir Poutine ; néanmoins le tragique grec pose la question des modalités de l’exercice du pouvoir et de l’écart entre lois humaines et lois divines. Examinons de plus près sa pièce …et voyons ensuite comme Lucie Berelowitsch la met en scène en janvier 2016..

L’ Antigone de Sophocle, prend possession de la scène et commence un dialogue avec sa soeur Ismène, dialogue qui ressemble fort à une plainte; elle demande à cette dernière de l’aider à ensevelir le corp de leur frère en dépit de l’interdiction de Créon; Ismène est apeurée et rappelle les malheurs qui ont frappé leurs parents ; elle ne souhaite pas désobéir aux ordres du pouvoir mais au contraire se soumettre à celui qui règne;Antigone, fière, décide d’agir seule et prétend supporter suffisamment la souffrance pour accepter une mort affreuse. Ismène,quant à elle, prétend ne pas savoir se révolter . A son entrée en scène , face au choeur, Créon le roi  considère qu’il s’agit d’une épreuve de “donner des ordres et dicter des lois.” Il place l’intérêt de Thèbes au dessus de l’intérêt familial. Créon proclame solennellement l’interdiction d’ensevelir le corps de Polynice, l’un des frères . Or, à ce moment, un garde entre sur scène pour annoncer que le corps a justement été enseveli.Le premier acte se clôt sur les lamentations du choeur.

 Second épisode : Le garde ramène alors Antigone qui se vante auprès de Créon d’avoir enfreint ses ordres . Le choeur s’émeut de voir cette “malheureuse enfant d’un malheureux père“; la jeune fille se montre résolue à mourir sur le champ et le choeur voit en elle “une enfant sauvage qui ne se pliera pas devant le malheur” ; Créon la condamne pour avoir pris plaisir, selon lui, à troubler les lois établies” ; néanmoins elle est fille de sa soeur et il semble hésiter avant de la condamner ; cependant Antigone farouchement lui tient tête même si elle affirme “je ne suis pas là pour haïr avec toi mais pour aimer avec les miens” ; Ismène souhaite partager le sort funeste de sa soeur mais cette dernière lui refuse cette faveur de mourir ensemble ; les gardes emportent les deux condamnées et, pour débuter le troisème épisode,  Hémon  fils de Créon et  fiancé d’Antigone,  fait face à son père, le roi : ce dernier justifie d’abord la condamnation d’Antigone car elle a agi contre l’ordre:” Seul l’ordre et la discipline peuvent sauver des vies ” s’exclame-t-il; Hémon fait alors valoir à son père que les habitants de Thèbes plaignent Antigone et soutiennent sa décision d’avoir offert une sépulture à Polynice; Créon se montre inflexible et le ton monte; Hémon se prétend complice de la justice et affirme qu’il ne verra jamais mourir Antigone; on suppose alors qu’il est lui-même déterminé à quitter la ville car il dit à son père : “tu ne verras jamais plus mon visage ” ; Quant à Antigone:,son sort est scellé: elle sera emmurée vivante; elle se prépare à descendre dans sa prison accompagnée par les lamentations du choeur. Arrive alors le prophète Tiresias  au début du cinquième épisode pour annoncer à Créon que les dieux condamnent la mise à mort d’Antigone et punissent la cité ; une fois encore la colère gronde et l’échange devient injurieux : “la race des devins est avide d’argent ” accuse Créon et Tiresias répond: “et la race des tyrans aime l’argent sale” . Le devin sort en proférant des menaces. On vient annoncer de terribles nouvelles de la guerre : Mégarée le fils aîné de Créons est tué sur le champ de bataille et le roi comprend , trop tard, qu’il doit délivrer Antigone; Quand il arrive devant son tombeau, il la trouve pendue et son fils Hémon, se tue sous ses yeux avec son épée.  Le choeur conclut l’exodos par une remarque sur le destin tragique .

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La mise en scène de Sophocle par Lucie Berelowitsch

Aujourd’hui, j’ai beaucoup à faire. Il faut que mon âme devienne comme de la pierre
Il faut que je tue ma mémoire jusqu’au bout
Il faut que je réapprenne à nouveau à vivre
Anna Akhmatova, Requiem

« En Avril dernier, sur l’invitation de Stéphane Ricordel, directeur du Théâtre Sylvia Montfort, j’ai rencontré à Kiev le directeur du théâtre Molodoï, Andrey Bilous. De cette rencontre est née l’idée de construire un projet international. Mes sensations de Kiev à cette époque, quelques mois après la révolution de Maïdan, ont été très fortes. Rien n’avait été enlevé sur la place, il restait les barricades faites à partir de bidons, de pneus, et tout ce qui avait été détruit, brulé. En même temps il faisait beau, les passants se promenaient, et tous ces événements semblaient déjà pris dans l’histoire, dans le passé. La ville portait en elle la question que faire avec sa mémoire, comment honorer les morts, comment reconstruire à partir des cendres, comment « réapprendre à vivre »
A mon retour, j’ai relu l’Antigone de Sophocle, et il m’a semblé évident de travailler sur ce matériau avec des acteurs ukrainiens. »

Lucie Berelowitsch

 

 

10. décembre 2017 · Commentaires fermés sur L’évolution du personnage d’Antigone ; De Sophocle à Anouilh: la réécriture du mythe · Catégories: Première
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Antigone appartient aux légendes attachées à la ville de Thèbes. Elle est l’une des enfants nés de l’union incestueuse du roi de Thèbes Œdipe et de sa propre mère, Jocaste . Antigone est la sœur d’Ismène, d’Etéocle et de Polynice. Elle fait preuve d’un dévouement et d’une grandeur d’âme sans pareils dans la mythologie. 

 Lorsque Sophocles compose sa tragédie Antigone, il s’inspire d’abord du destin de la ignée maudit des Labdacides  et notamment de la figure mythique d’Oedipe, enfant abandonné qui deviendra meurtrier de son père biologique est amant de sa mère la reine Jociste dont il aura 4 enfants : deux filles Antigone et Ismène  et deux garçons Etéocle et Polynice . Quand son père est chassé de Thèbes , les yeux crevés, il doit mendier sa nourriture sur les routes,  et dans une des versions du mythe, Antigone lui sert de guide. Elle veille sur lui jusqu’à la fin de son existence et l’assiste dans ses derniers moments. 

Puis Antigone revient à Thèbes. Elle y connaît une nouvelle et cruelle épreuve. Ses frères Etéocle et Polynice se disputent le pouvoir. Ce dernier fait appel à une armée étrangère pour assiéger la ville et combattre son frère Etéocle. Après la mort des deux frères, Créon, leur oncle prend le pouvoir . Il ordonne des funérailles solennelles pour Etéocle et interdit qu’il soit donné une sépulture à Polynice, coupable à ses yeux d’avoir porté les armes contre sa patrie avec le concours d’étrangers.

Ainsi l’âme de Polynice ne connaîtra jamais de repos. Pourtant Antigone, qui considère comme sacré le devoir d’ensevelir les morts, se rend une nuit auprès du corps de son frère et verse sur lui, selon le rite, quelques poignées de terre. Créon apprend d’un garde qu’Antigone a recouvert de poussière le corps de Polynice. On amène Antigone devant lui et il la condamne à mort. Elle est enterrée vive dans le tombeau des Labdacides . Plutôt que de mourir de faim, elle préfère se pendre. 

Hémon, fils de Créon et fiancé d’Antigone se suicide de désespoir . Eurydice , l’épouse de Créon ne peut supporter la mort de ce fils qu’elle adorait et met fin elle aussi à ses jours.

La pièce de Sophocle (441 avant Jésus-Christ) commence lorsqu’Antigone décide de braver l’interdiction de son oncle Créon et d’ensevelir le corps de son frère Polynice.

C’est de ce texte de Sophocle que va s’inspirer Anouilh pour écrire Antigone en 1942 : ” l’Antigone de Sophocle, lue et relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre , le jour des petites affiches rouges. Je l’ai réécrite à ma façon , avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre”.

Antigone , tragédie de Jean Anouilh (1944)

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Jean Anouilh a écrit cette pièce en 1942. Celle-ci fut créée le 4 février 1944 au théâtre de l’Atelier à Paris, dans une mise en scène d’André Barsacq. Elle a été publiée en 1946, aux éditions de la table Ronde et figure dans les Nouvelles pièces noires parues la même année.Cette pièce , créée en 1944, connaît un immense succès public mais engendre une polémique. Certains reprochent à Anouilh de défendre l’ordre établi en faisant la part belle à Créon . Ses défenseurs , au contraire , voient dans Antigone la “première résistante de l’histoire” et dans la pièce un plaidoyer pour l’esprit de révolte.

 Voilà un bref  résumé de cette pièce ,tragédie en prose , en un acte.

Le personnage baptisé le Prologue présente les différents protagonistes et résume la légende de Thèbes ( Anouilh reprend cette tradition grecque qui consiste à confier à un personnage particulier un monologue permettant aux spectateurs de se rafraîchir la mémoire. Le Prologue replace la pièce dans son contexte mythique). Toute la troupe des comédiens est en scène. Si certains personnages semblent ignorer le drame qui se noue, d’autres songent déjà au désastre annoncé. 

Antigone rentre chez elle , à l’aube, après une escapade nocturne. Elle est surprise par sa nourrice qui lui adresse des reproches. L’héroïne doit affronter les questions de sa nounou. Le dialogue donne lieu à un quiproquo . La nourrice prodigue des conseils domestiques ( ” il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit”) tandis qu’Antigone évoque son escapade avec beaucoup de mystère ( ” oui j’avais un rendez-vous”) . Mais elle n’en dira pas plus.La nourrice sort et Ismène, la sœur d’Antigone, dissuade cette dernière d’enfreindre l’ordre de Créon et d’ensevelir le corps de Polynice. Ismène exhorte sa sœur à la prudence (“Il est plus fort que nous, Antigone, il est le roi”) . Antigone refuse ces conseils de sagesse . Elle n’entend pas devenir raisonnable.

Antigone se retrouve à nouveau seule avec sa nourrice. Elle cherche à surmonter ses doutes et demande à sa nourrice de la rassurer. Elle tient aussi des propos ambigus pour ceux ( et c’est le cas de la nourrice) qui ne connaissent pas son dessein . Elle semble décidée à mourir et évoque sa disparition à mots couverts ” Si, moi , pour une raison ou pour une autre, je ne pouvais plus lui parler…”.Antigone souhaite également s’expliquer avec son fiancé Hémon. Elle lui demande de le pardonner pour leur dispute de la veille. Les deux amoureux rêvent alors d’un bonheur improbable. Sûre d’être aimée , Antigone est rassurée. Elle demande cependant à Hémon de garder le silence et lui annonce qu’elle ne pourra jamais l’épouser. Là encore , la scène prête au quiproquo : le spectateur comprend qu’Antigone pense à sa mort prochaine, tandis qu’Hémon , qui lui n’a pas percé le dessein d’Antigone, est attristé de ce qu’il prend pour un refus. 

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Ismène revient en scène et conjure sa sœur de renoncer à son projet. Elle affirme même que Polynice, le “frère banni”, n’aimait pas cette sœur qui aujourd’hui est prête à se sacrifier pour lui.Antigone avoue alors avec un sentiment de triomphe, qu’il est trop tard, car elle a déjà , dans la nuit, bravé l’ordre de Créon et accompli son geste ” C’est trop tard. Ce matin , quand tu m’as rencontrée , j’en venais.”Jonas, un des gardes chargés de surveiller le corps de Polynice, vient révéler à Créon, qu’on a transgressé ses ordres et recouvert le corps de terre. Le roi veut croire à un complot dirigé contre lui et fait prendre des mesures pour renforcer la surveillance du corps de Polynice. Il semble également vouloir garder le secret sur cet incident : ” Va vite. Si personne ne sait, tu vivras.”Le chœur s’adresse directement au public et vient clore la première partie de la pièce. Il commente les événements en exposant sa conception de la tragédie qu’il oppose au genre littéraire du drame. Le chœur affiche également une certaine ironie et dévoile les recettes de l’auteur : “c’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre… C’est tout. Après on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul.”

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Antigone est traînée sur scène par les gardes qui l’ont trouvée près du cadavre de son frère. Ils ne veulent pas croire qu’elle est la nièce du roi , et la traitent avec brutalité. Ils se réjouissent de cette capture et des récompenses et distinctions qu’elle leur vaudra.Créon les rejoint. Les gardes font leur rapport . Le roi ne veut pas les croire. Il interroge sa nièce qui avoue aussitôt. Il fait alors mettre les gardes au secret, avant que le scandale ne s’ébruite.Créon et Antigone restent seuls sur scène. C’est la grande confrontation entre le roi et Antigone. Le roi souhaite étouffer le scandale et ramener la jeune fille à la raison. Dans un premier temps , Antigone affronte Créon qui tente de la dominer de son autorité.Les deux protagonistes dévoilent leur personnalité et leurs motivations inconciliables. Créon justifie les obligations liées à son rôle d’homme d’état . Antigone semble sourde à ses arguments : (Créon : Est ce que tu le comprends cela ? Antigone : ” Je ne veux pas le comprendre.”) . A court d’arguments Créon révèle les véritables visages de Polynice et d’Etéocle et les raisons de leur ignoble conflit. Cet éclairage révolte Antigone qui semble prête à renoncer et à se soumettre. Mais c’est en lui promettant un bonheur ordinaire avec Hémon, que Créon ravive  son amour-propre  et provoque chez elle un ultime sursaut. Elle rejette ce futur inodore et se rebelle à nouveau. Elle choisit une nouvelle fois la révolte et la mort.

 

Ismène , la sœur d’Antigone entre en scène alors que cette dernière s’apprêtait à sortir et à commettre un esclandre , ce qui aurait obligé le roi à l’emprisonner. Ismène  se range aux côtés d’Antigone et est prête à mettre elle aussi sa vie en jeu. Mais Antigone refuse , prétextant qu’il est trop facile de jouer les héroïnes maintenant que les dés ont été jetés. Créon appelle la garde , Antigone clôt la scène en appelant la mort de ses cris et en avouant son soulagement ( Enfin Créon !)Le chœur entre en scène. Les personnages semblent avoir perdu la raison, ils se bousculent. Le chœur essaye d’intercéder en faveur d’Antigone et tente de convaincre Créon d’empêcher la condamnation à mort d’Antigone. Mais le roi refuse , prétextant qu’Antigone a choisi elle-même son destin, et qu’il ne peut la forcer à vivre malgré elle.Hémon vient lui aussi, ivre de douleur, supplier son père d’épargner Antigone, puis il s’enfuit. 

Antigone reste seule avec un garde. Elle rencontre là le “dernier visage d’homme”. Il se révèle bien mesquin, et ne sait parler que de grade et de promotion. Il est incapable d’offrir le moindre réconfort à Antigone. Cette scène contraste, par son calme, avec le violent tumulte des scènes précédentes. Apprenant qu’elle va être enterrée vivante, éprouvant de profonds doutes ( ” Et Créon avait raison, c’est terrible maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs.” , Antigone souhaite dicter au garde une lettre pour Hémon dans laquelle elle exprime ses dernières pensées. Puis elle se reprend et corrige ce dernier message ( “Il vaut mieux que jamais personne ne sache”). C’est la dernière apparition d’Antigone.

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Le messager entre en scène et annonce à Créon et au public la mort d’Antigone et la mort de son fils Hémon. Tous les efforts de Créon pour le sauver ont été vains. C’est alors le chœur qui annonce le suicide d’Eurydice, la femme de Créon : elle n’a pas supporté la mort de ce fils qu’elle aimait tant. Créon garde un calme étonnant . Il indique son désir de poursuivre ” la salle besogne ” sans faillir. Il sort en compagnie de son page.Tous les personnages sont sortis. Le chœur entre en scène et s’adresse au public : Il constate avec une certaine ironie la mort de nombreux personnages de cette tragédie : “Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris.” La mort a triomphé de presque tous . Il ne reste plus que Créon dans son palais vide . Les gardes , eux continuent de jouer aux cartes , comme ils l’avaient fait lors du Prologue. Ils semblent les seuls épargnés par la tragédie. Ultime dérision.

09. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone 82 : Beyrouth à Eaubonne · Catégories: Sorties · Tags: ,
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Ce vendredi 8 décembre , nous attendions avec impatience d’assister à la représentation de Antigone 82, une pièce   mise en scène par Jean-Paul Wenzel et tirée de l’adaptation , réalisée pour la scène , du bouleversant roman de Sorj Chalandon: Le quatrième Mur . Et bouleversés, nous l’avons été , à plusieurs reprises. Au premier regard, le rideau déchiré attire notre attention ; En son centre , un écran blanc qui servira à projeter les images des acteurs hors scène, effaçant ainsi partiellement les frontières entre ici , l’espace scénique, et là-bas, ailleurs, loin parfois comme le visage d’Imane au téléphone, une sorte de skype géant qui nous permet de voir l’actrice pour la première fois . Comment Arlette Namiaud a-t-elle choisi de faire débuter la pièce ? 

mur33.jpg Elle n’a pas conservé le dispositif imaginé par le romancier qui a construit son récit sur une énorme ellipse entre la fin du chapitre  1 qui se déroule le 27 octobre 1983 à Tripoli au nord de Beyrouth et les  chapitres 23 et 24 qui nous relatent la suite de la conversation entre Mehdi, le vieux soldat palestinien et Georges qui vit ses derniers instants.  La pièce s’ouvre à l faveur d’une assemblée  avec le discours de Samuel en 1974 à Paris et la rencontre entre Georges et Aurore sur fond de revendications féministes. Le ton est donné et le choeur sera présent tout au long edu la pièce . S’il faut un peu de temps pour entrer dans le jeu des acteurs et s’adapter au rythme assez soutenu de leurs changements de rôles ,des rafales d’émotion déferlent bientôt   sur le plateau avec pourtant des moyens minimalistes.   Deux chaises en plastique figurent la banquette avant de la mercedes noire de Marwan  dans laquelle Georges est à chaque fois invité à monter . L’acteur qui joue le rôle du guide druze  fut  l’un des plus convaincants hier soir; Il a su donner au personnage une profonde humanité.  De temps à autre surgissent quelques symboles facilement identifiables: la croix tatouée sur l’épaule de Joseph-Boutres, le sniper chrétien phalangiste  signe extérieur de sa confession et rappel du rôle qu’il s’est arrogé de protecteur des valeurs occidentales , les barbiches postiches des gardes chiites , la kippa remise à George spar son ami Samuel pour qu’il puisse représenter le choeur et le juif sur scène, un ou deux uniformes de soldats , de nombreuses armes sur scène mais rien de tonitruant, peu de bruit en dépit de la fureur des hommes . C’est d’ailleurs la parole chorale qui restitue le mieux  les grandes lignes du parcours du héros: la voix de sa femme Aurore, celle du docteur Cohen, celle de Simone l’ancienne ouvreuse du cinéma en ruines qui abritera la première rencontre avec les acteurs, les voix compatissantes de ses amis quand il peine à retrouver sa place d’homme au monde, après son second voyage à Beyrouth et sa découverte des exactions commises dans le camp palestinien de Chatila.

 

La guerre semble rattraper les acteurs un peu comme la maladie rattrape Sam: physiquement la prestation de Pierre Gaffieri est impressionnante ; Georges veut es laver de la guerre en retirant sa chemise et pleure longuement dans les bras de Marwan qui était pour l’occasion interprété par Jean-Paul Wenzel himself. La ssène qui m’a le plus touchée est celle de la première rencontre entre les acteurs sur la ligne de démarcation au coeur de Beyrouth ; Chacun doit renoncer à son identité, retirer son brassard  pour endosser son rôle et permettre à la représentation de se dérouler .  Les acteurs s’avancent tour à tour et présentent leurs personnages mais lorsque c’est au tour de la jeune palestinienne, elle rompt le pacte avant de se rétracter et d’accepter de disparaître au profit de la petite maigre. Le personnage d’Imane dans sa robe rouge sang incarne cette Antigone butée, mauvaise presque qui revendique le droit de mourir pour ses idées . L’adaptation fait  la part belle au collectif et restitue les étapes essentielles du parcours d’homme de Georges qui ,de l’envie de vivre insufflé par sa paternité , comme contaminé par Antigone, finit par ne plus  désirer que la mort comme on désire la terre promise. Le moment où il appuie sur la détente et exécute Joseph-Boutros, lui même assassin de Nakad, le fils de Marwan plonge le théâtre dans le noir et le silence du coup de feu est assourdissant. 

 

L’émotion est palpable mais nous ne sommes pas véritablement dans une  ambiance de tragédie : les passages qui nous font sourire ne manquent pas comme les concessions de Georges qui vend Créon en calife au cheik chiite, sa maladresse avec l’épisode où arrêté à un barrage , il se trompe de laisser-passer et les conseils pragmatiques de son guide pour positionner ses visas à côté de son coeur, dans ses poches ou dans son porte-feuille , les protestations de Khadijah qui ne veut pas mourir sur scène et le consentement du metteur en scène déclenche alors une réplique amusée de Charbel qui joue Créon  : ” Et Antigone s’en sort aussi ?” ; Le jeu totalement faux et outrancier de Madeleine qui a choisi dans son rôle de nourrice le passage où elle surprend Antigone qui rentre au petit matin a même fait rire ouvertement le public comme une respiration avant le drame imminent : l’attaque des avions israéliens sur ce quartier de Beyrouth. Le choix de l’adaptation respecte la chronologie et la mention des indications de lieux et de dates , imitation des lettres roulantes qui s’affichent dans les aéerport pour simuler les vols de Georges, facilite les repérages des spectateurs . 

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Bien sûr, la présence physique des acteurs, la voix rauque d’ Imane, la musique que jouent Nakad et un autre acteur et le fait que les 8 acteurs présents endossent plusieurs rôles chacun, donnent une véritable présence aux questions posées par le roman et qui sont pour la plupart reprises dans l’adaptation ; On regrettera simplement de ne pas avoir vu plus longtemps le coeur de ce roman: à savoir les répétitions de la pièce d’Anouilh ; même si Georges explique le choix d’Antigone et ce qu’elle représente, le metteur en scène est passé assez vite sur son travail de mise en scène justement , alors qu’il tenait  là une occasion de mise en abîme de son propre travail autour du roman. On aurait ,en effet, aimé voir Georges devenir véritablement le metteur en scène de cette nouvelle Antigone qui aurait du être jouée en 1982 et qui s’est effondrée sous le poids des événements historiques . Oui vraiment la guerre sort vainqueur de ce face à face avec Georges ; Antigone est bien morte deux fois : la première fois avec l’assassinat de l’actrice et la seconde fois avec le sacrifice du metteur en scène dans une rue de Tripoli un an plus tard . 

Une soirée de communion qui a relié Eaubonne à Beyrouth le temps de la représentation !