08. février 2025 · Commentaires fermés sur Les aveux d’une passion tragique : le face à face Phèdre -Hippolyte II, 5 · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

( Voir l’introduction proposée sur le digipad Badine ) 

La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une  forme de transgression :  La longue  tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , sa passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui .  Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend  de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour . Elle ne joue pas avec les mots et dévoile les plus sombres secrets de son coeur .

 Texte : De ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle ici, à la fois , les souffrances de sa passion  et son caractère monstrueux ?  Comment sa parole se libère-t-elle et met-elle son coeur à nu ?
Le premier  mouvement présente , une fois de plus , Phèdre comme la  victime d’une fatalité incontrôlable, le jouet de Dieux cruels.

L’émotion est ici poussée à son paroxysme, comme le montrent les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici  désigner ici le jeune homme  .  On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue.  La ponctuation expressive marque ici  la violence verbale et annonce la violence  physique.- La présence de verbes injonctifs semble  traduire l’ emportement de l’héroïne contre la fatalité de cette passion. .  Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . –  D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme  manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain  démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas  : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur désigne donc l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion . Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que  c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime »  ressemble à une bombe à retardement. La  précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre . Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un  caractère infamant (dégradant )  : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ». On retrouve ici le champ lexical de l’aliénation provoquée par la passion qui, pour les anciens, est assimilée à une malédiction divine .
Phèdre se présente  ici comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; Le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur,  qui , avec la terreur , est  le ressort essentiel du spectacle tragique comme le démontre Aristote . Le spectateur, pour pouvoir s’émouvoir du sort de Phèdre doit   considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse.  Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente  cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » :  formule frappante où on note , à la  fois une gradation descendante et  des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
–  On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion  mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins  ”  ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie devient  un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui  . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. –  Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le  passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister »  mais la femme de Thésée a échoué avec cette stratégie ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ”  Le dramaturge a  combiné  ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je  et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour  ;  ce vers illustre  ainsi les limites de cette lutte interne. Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ”  Un nouveau chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) matérialise  les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle  de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière.   Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corps défendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .


Mouvement 2 : une nouvelle étape dans cet aveu  : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques montrent qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré  mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine  fait retour sur sa situation qui  vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la  “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint  les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les  jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative  marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice. 

Mouvement 3 : Un nécessaire sacrifice sur l’autel de la passion  . Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent.   Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père dont il devient le digne fils  . Le vers suivant  contient cette idée  « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le  champ lexical de l’amour  trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique  « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments.  Le  vers résonne comme une sentence irrévocable.  Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner «  la veuve de Thésée » mettant en lumière  ainsi son statut de belle-mère. Elle se présente non seulement comme un “monstre  affreux “mais  ses paroles sont autant d’appels à la haine. Comme si, par ses mots, elle tentait de convaincre Hippolyte de passer à l’acte . Le tour présentatif “Voilà mon coeur” est à prendre à la fois au sens propre comme une didascalie interne : elle désigne sa poitrine comme cible. Mais on peut également y lire la thématique de l’aveu dans le sens où elle a mis son coeur à nu .Elle adopte une attitude héroïque en es déclarant “impatiente” de mourit pour pouvoir expier sa faute ; On retrouve ici la valeur chrétienne de l’expiation et du châtiment des offenses. Elle s’avance ici au devant de son trépas en demandant au jeune homme d’être l’instrument de sa mort ; Ce qu’il va refuser et son refus obliger aPhèdre à recourir au suicide . le rejet “Frappe ” donne uen allur etragique à cet impératif . Cependant l’héroïne anticipe un possible refus et se déclare , dès lors, prête à utiliser elle-même l’épée . Les trois raisons invoquées se complétent et sont quelque peu redondantes  : indigne de tes coups, ta haine , un sang trop vil ” ; On retrouve l’idée que la souffrance doit être supérieure à la mort et qu’un héros ne se salit pas les mains en tuant un ” monstre ” ; elle ne mérite pas de mourir de la main de son beau-fils et devra donc se tuer elle-même.  Cette scène se termine par la sortie précipitée de Phèdre qui , à la demande d’Hippolyte, entre dans le palais pour se cacher: ce qui met un terme à leur face à face. Ils ne se reparleront plus jamais jusqu’à la fin de la pièce. Après la mort du jeune homme, Phèder avouera alors à son époux toute la vérité avant de mourir , sosu l’effet du poison qu’elle a avalé.

 En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur  elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris.  A la fois victime et  coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments.  Les paroles de Phèdre seront lourdes de conséquences et la tragédi eest en marche .   Cette épée  qui devait servir à tuer Phèdre va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone, la confidente de Phèdre, va accuser Hippolyte .   Le quatrième acte s’ouvre, en effet , avec l’entrevue entre  Thésée et  Oenone qui accuse Hippolyte  : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” Thésée   convoque son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance  ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . Un monstre marin sortdes flots à la demande de Neptune et tue le jeune homme innocent .La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte . Les paroles de Phèdre ont déclenché l’engrenage tragique.  

05. février 2024 · Commentaires fermés sur L’entrée en scène d’Oreste dans Andromaque de Racine : le commentaire littéraire · Catégories: Première · Tags: , ,

 Pour un dramaturge, l’entrée en scène d’un personnage est toujours un moment important dans une représentation.  Particulièrement au cours de la scène d’exposition car il faut donner au public de nombreuses informations à la fois sur les personnages ; le cadre et surtout l’action à venir.  Que nous apprend cette exposition ? 

 Exemples de problématiques :  Cette scène remplit-elle les fonctions d’une scène d’exposition ?
Quels éléments traditionnels retrouve-t-on dans cette exposition ? 
Comment cette scène d’exposition introduit-elle l’univers tragique ?
En introduction : que peut -on évoquer ? 

  • Introduire le classicisme,

  • Dire quelques mots à propos de Racine 

  • Présenter le récit mythologique qui sert de trame à la pièce : la défaite de Troie et la captivité d’Andromaque, princesse troyenne aimée par un jeune roi grec. 

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01. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les derniers mots de Phèdre : lecture linéaire de la dernière tirade de l’héroïne tragique · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

  Dès sa première apparition sur scène, Phèdre veut mourir pour échapper à sa passion dévorante et interdite. Oenone, sa vieille nourrice, qui a peur pour elle, décide de la faire renoncer à ses noirs projets et réussit à la convaincre de  la laisser mentir  à Thésée . Au début de l’acte IV, Oenone, en brandissant l’épée d”Hippolyte comme preuve accuse ce dernier d’avoir tenté de violer sa belle-mère:  Phèdre ne dément pas. Thésée, furieux, accable son fils et demande à Neptune de le punir. Ce dernier est banni et Phèdre, quant à elle, se sent terriblement coupable d’avoir sali la vertu d’un innocent :elle accuse Oenone et la chasse; Cette dernière se suicide en se jetant dans la mer. Hippolyte dans sa fuite mais il meurt,  est tué par un monstre marin.  le récit de sa mort est relaté par Théramène, son plus fidèle serviteur . C’est en père éploré que Thésée vient annoncer à son épouse la mort de son fils. Phèdre es décide alors à  tout lui avouer.

 En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ? L’extrait que nous étudions débute au vers 1622 et se termine au vers 1644.  “De : les moments me sont chers …à toute sa pureté” 

 Juste avant la  dernière tirade, on entend l’aveu de la culpabilité de Phèdre : On note d’abord la fermeté du ton  : – « Non » est son premier mot au vers 1617 et il marque, à la fois , une  rupture et annonce négation. L’utilisation de la forme injonctive avec « il faut » qui est répété deux fois (v.1617-1618) souligne la détermination du personnage qui exécute son devoir .Elle coupe la parole de Thésée qui est dans la lamentation : elle n’a pas le temps d’écouter Thésée et sa douleur car il lui faut agir , et donc parler vite .

L’emploi de l’impératif présent : « écoutez-moi » traduit le fait que Phèdre est consciente de l’urgence de la situation; sa mort est proche, et elle ne peut pas perdre du temps : « les moments me sont chers » reprend cette idée d’urgence . Phèdre vient rendre justice à un innocent : Le champ lexical de la justice : « injuste », « innocence », « coupable », « condamné »  illustre ce point . Avant d’expirer, Phèdre veut rétablir la vérité. On assiste à une sorte de plaidoirie et elle se désigne comme la principale coupable avec une forme emphatique : “ c’est moi qui “qui semble faire peser tout le poids de la culpabilité sur le personnage ; L’objet est séparé du verbe comme pour accentuer l’horreur de son crime “jeter un oeil profane, incestueux. L’adjectif profane rappelle ici qu’elle n’a pas respecté les liens sacrés de la famille : elle a donc offensé les Dieux et son crime s’apparente à une forme de sacrilège. Le contraste est alors maximal entre les deux personnages : l’innocent mort injustement et la coupable dont la vie paraît injuste. L’idée est peut -être de faire davantage accepter cette mort par le public en la justifiant ici de manière naturelle.Ce n’est plus seulement l’héroïne qui cherche à échapper à sa passion en se donnant la mort, c’est une femme criminelle qui mérite de mourir pour le mal qu’elle a fait.  Phèdre reprend alors l’enchainement dse faits qui ont mené à la tragique mort d’un innocent : au  vers 1625 : « le ciel mit dans mon sein » :  les deux métonymies   rappellent l’origine de sa funeste passion, cette malédiction dont elle fut ma victime . C’est une manière de rejeter en partie sa  culpabilité car elle est seulement en position d’objet : « dans mon sein ». Elle se présente,une  fois de plus , victime de cette cruauté des Dieux qui s’acharnent à punir son sang pour une faute commise par les ses ancêtres ( le Soleil, son grand-père qui  a dénoncé les amours secrètes de Mars et Vénus  ) . Ensuite, dans un second temps, le personnage dresse un véritable réquisitoire contre Oenone qu’elle qualifie, au moyen d’ un vocabulaire dépréciatif:  de «détestable», au vers 1628 et de « perfide » au vers 1630. – Elle l’accuse d’avoir “conduit ” la trahison et même d’avoir abusé de la situation car elle se trouvait dans une “faiblesse extrême ”  v 1629 .  Le dramaturge rappelle une dernière fois les circosntances qui ont mené à cet enchaînement tragique : l’aveu de l’amour de Phèdre s’est déroulé alors qu’elle croyait son époux mort et le retour de Thésée a modifié la donne ; le danger , c’est désormais que le jeune homme confie à son père, à son arrivée, les révélations de sa belle-mère; c’est pour prévenir ce danger que la nourrice a alors l’idée d’accuser Hippolyte;  Phèdre peut-elle vraiment passer pour une victime de la fidélité poussée à l’extrême d’Oenone ?  Elle apparaît en position d’objet, comme si elle subissait la volonté de la vieille femme: « abusant de ma faiblesse » tandis qu’Oenone est le sujet de tous les verbes d’action : « a conduit », « a craint », « s’est hâtée »: Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher ; “elle s’en est punie” : la mort est ici un choix assumé lié sans doute au remords de la nourrice; Ensuite, elle a été chassée par Phèdre qui évoque sa colère “fuyant mon courroux”  Cette réécriture  n’est pas totalement fidèle dans la mesure où Phèdre cache , en partie, sa complicité : elle n’a rien fait pour dissuader Oenone : acte II, scène 4 : elle lui confie en effet  ” fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien pour moi” En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité. Quant à la périphrase qui désigne la mort comme un  « supplice trop doux » , on peut entrevoir le caractère identique de la situation des deux femmes .   

La mort semble cerner le personnage qui évoque  sa première véritable tentative de suicide : lorsqu’elle a demandé à Hippolyte de lui ouvrir la poitrine et, symboliquement de lui percer le coeur; :  « Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée » Dans ces vers, Racine rompt avec la tragédie de Sénèque dans laquelle Phèdre se donne la mort avec une épée. Ce refus d’une mort prématurée s’explique par sa volonté de prendre la parole pour rétablir l’innocence d’Hippolyte te le choix du poison peut sans doute renvoyer à cet amour qui l’a littéralement empoisonné. Elle présente Hippolyte comme l’incarnation de la vertu : « la vertu soupçonnée », rétablissant ainsi l’honneur qu’elle a bafoué. On peut aussi penser qu’il s’agit d’une forme de repentir : elle ne peut réparer le mal commis mais elle s’efforce de rendre au jeune homme sa dignité. D’ailleurs elle prononce le terme remords et justifie le délai qu’elle s’accorde pour disparaitre :   elle peut prendre le temps de s’expliquer face à Thésée. Pour le spectateur, c’est aussi l’occasion de découvrir une forme de sacrifice : la précision « chemin plus lent » :  peut être interprétée de deux manières :  on peut, en effet, comprendre qu’elle a agi pour retarder sa propre mort mais cela montre également une forme de souffrance plus longue car on imagine le poison qui se diffuse, goutte à goutte, dans ses”brûlantes veines” . On retrouve également l’image de la descente aux Enfers qui peut évoquer les voyages de  Thésée .
En précisant l’origine du  poison “que Médée apporta dans Athènes »  1638 , Racine introduit une autre figure de femme meurtrière : la magicienne Médée, première femme de Thésée et sorcière qui elle  aussi, sera victime d’une passion pour son  nouvel époux, le perfide Jason, passion qui va la conduire à tuer sa rivale, le père de cette dernière avant d’immoler ses propres enfants .  Les deux figures féminines dessinent une sorte de  filiation,  qui rappelle la dimension monstrueuse de la famille de Phèdre: un demi-frère taureau qui mourra sous les coups de Thésée et une mère, Pasiphaé qui mit au monde un monstre.

 La tirade s’achève avec l’agonie du personnage qui est détaillée : elle indique avec précision l’écoulement du poison dans son corps  Sur scène , le spectateur assiste à chaque étape de sa mort : “j’ai pris, j’ai fait couler » :  la dimension pathétique est mise en oeuvre ici avec le parallélisme de construction ; L’héroïne met en scène sa mort et le dramaturge doit ici, mimer l’agonie. Ce qui explique que le discours de Phèdre se fait moins assuré et un peu plus maladroit comme le montrent les répétitions de l’adverbe « déjà » (1639-1641) :la parole semble se ressentir des effets du poison comme si elle se déréglait. Les conséquences physiques des effets du poison  sont précisées elles aussi :  elle ressent un « froid inconnu »  qui atteste de l’approche de la mort; sa vue se trouble également :  « je ne vois plus qu’à travers un nuage » . La nuit, métaphorique de la fin de la vie, tombe en même temps que le rideau qui viendra marquer la fin du spectacle  .L’ annonce de la mort apparaît encore comme un soulagement  pour le personnage : c’est la fin de  la brûlure incessante causée par la passion amoureuse. Phèdre s’éteint en chrétienne avec  la présence du champ lexical de la réparation de la faute : « outrage », « souillaient ».  La faute est rappelée dans sa double dimension : religieuse et conjugale  : « et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». L’héroïne rappelle qu’elle a offensé les Dieux par la faute de ses ancêtres et qu’elle a offensé son époux en laissant condamner un innocent après l’avoir laissé accuser d’un crime odieux. L’imminence  de la mort se lit aussi à travers le champ lexical de l’ombre : « dérobant la clarté », je ne vois plus qu’à travers un nuage » mais cela s’oppose avec avec la lumière retrouvée, celle de la pureté : « rend au jour (…) toute sa clarté ». Ce retour de la lumière peut être interprété comme le signe que, par sa mort, Phèdre atteint la rédemption.

Si on se réfère aux règles du théâtre classique et notamment à la règle dite de bienséance, les personnages ne devaient pas offrir leur mort , à la vue du public: : « Elle expire, seigneur » :ces quelques mots peuvent laisser penser que  Phèdre meurt bien sur scène : cela accentue le pathétique mais aussi le tragique . Cette mort agit presque comme une fin moralisatrice : la passion conduit à la perte, à la destruction et à la mort. Les spectateurs doivent alors se purger de cette émotion.

 En conclusion : La fin répond au début de la pièce où Phèdre apparaissait déjà comme une mourante. Cette mort sans cesse reculée a permis de mettre en scène tout au long de la pièce la honte, la culpabilité et le tragique. Cette agonie du personnage est cependant ambiguë car jusqu’au dernier moment elle ne semble pas vraiment se remettre en question en rejetant la faute sur Vénus ou bien sur Oenone. Par ailleurs, elle ne mentionne pas la mort d’ Hippolyte et ne fait nullement référence au chagrin de son époux.  Elle ne revient que sur son malheur et choisit de quitter la  vie comme on sort de scène , par un dernier éclat .

28. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Médée trahie par Jason : les conséquences tragiques d’une passion. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,
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Jason à la conquête de la Toison 

En 1635, un jeune dramaturge, Pierre Corneille décide de construire une pièce de théâtre  en exploitant certains aspects du mythe de Médée . Il reprend des éléments utilisés par le grec Euripide et  le latin Sénèque et met l’accent sur la dimension spectaculaire de l’intrigue. Blessée par l’abandon de Jason qui est décidé à épouser sa nouvelle fiancée Créüse , Médée va se venger d’une manière terrible en empoisonnant la robe de sa rivale et en provoquant la mort du père  de cette dernière; le roi Créon. Toutefois, Corneille place le spectateur face à une figure de femme poussée par  sa vengeance meurtrière. Alors que dans la tragédie antique, la fatalité semblait peser sur les hommes et les accabler, dans la tragédie baroque, les personnages se trouvent confrontés à  des choix cruciaux et prennent des décisions qui engagent leur destin. Ainsi Corneille  choisit de mettre en scène le suicide de Jason à la fin de sa pièce comme pour montrer que le traître n’a pas survécu à sa trahison et à l’assassinat de ses enfants.  Fidèle au principe de catharsis défini par Aristote, Corneille tente de provoquer la pitié du spectateur en montrant une femme qui souffre et en tentant de justifier ses agissements .  

Le passage que nous étudions se situe à la fin du premier acte et complète les éléments d’exposition. La magicienne s’ adresse aux Dieux et les implore de l’aider à accomplir  sa vengeance contre celui qui l’a trahie. Ses origines divines et monstrueuses sont rappelées par Corneille qui la présente toutefois comme une femme bafouée et blessée. Ce sont ces deux aspects qui composent la tragédie intime de Médée. La lecture linéaire commencera , au dernier tiers du texte , à partir du  vers Tu t’abuses Jason ..elle comportera 28 vers

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1 . C’est d’abord  une femme monstrueuse et dangereuse 

Ses  origines maléfiques sont rapelées dans le premier mouvement de la tirade .

La colère de Médée éclate dès le début de sa tirade et elle en appelle à ses” soeurs”  “les Furies” . En effet, la mère de Médée, Idyie était la soeur de la célèbre magicienne Circé qui transformait les hommes en porcs . Toutes deux sont filles d’un Titan et elles représentent la génération des anciens Dieux qui précèdent les Olympiens. Médée est également fille d’un roi , celui de Colchide, Aétés et elle s’enfuira avec Jason et la Toison d’Or  bravant la colère d’Aetés. Elle ira jusqu’à découper son propre frère en morceaux pour ralentir la poursuite du roi lancé à leurs trousses. Les déesses qui sont invoquées  par la magicienne sont toutes maléfiques : elles sont des sorcières “troupe savante en noires barbaries” et poursuivent les criminels comme les Furies. En effet, dans la mythologie romaine, les Furies sont l’équivalent des Erynies chez les Grecs , divinités persécutrices infernales qui apparaissent souvent sous la forme de hideux spectres comme les larves et les pestes. Les Erynies sont trois avec Mégère à leur tête: on les représente sous la forme de femmes aux cheveux de serpent et aux yeux rouges .  Corneille mentions d’ailleurs les serpents  et les enfers au vers  Quant aux filles de l’Acheron, elle sont comme Médée, des Océanides car l’Acheron est un Dieu fleuve qui a été précipité aux Enfers par Zeus car il a étanché la soif des Titans. Il est le fils de la Terre Gaîa et du Soleil Hélios.  .  Médée a donc un aspect effrayant pour le spectateur à cause de ses origines maléfiques et sa dimension infernale est rappelée à plusieurs reprises . Sa colère pourrait donc aisément être mortelle ce qui apporte une première dimension tragique à ce passage .

 2 Mais c’est aussi une femme meurtrie qui souffre 

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Les Erynies

 Rappelons tout d’abord les faits : Médée est bien mal récompensée de l’aide apportée à Jason car elle lui a apporté une aide précieuse à plusieurs reprises; Il lui doit la vie et un amour envoyé par Vénus la lie à lui.

La colère mortelle de Médée peut, en partie, être justifiée par le rappel des faits : Jason s’est montré parjure et déloyal comme l’indique l’adjectif perfide a. Médée rappelle le rôle qu’elle a joué lors de la conquête de la Toison  : elle a en effet, utilisé sa magie pour que Jason puisse affronter le feu du dragon  en fabriquant pour lui un onguent qui le met à l’abri des blessures des flammes ; Elle a accompli “tant de bienfaits “   et Corneille met à la rime ce mot avec le parallélisme de construction au vers suivant “tant de forfaits ” ; On a l’impression que Jason a remercié la jeune femme de tout ce qu’elle a accompli pour lui,  en la trahissant et en la délaissant pour une autre . Médée n’avait pas hésité à sacrifier son propre frère, qu’elle a découpé en morceaux pour ralentir la poursuite menée par leur père , et toujours dans le but permettre la fuite de Jason . Incontestablement, elle se trouve ainsi, bien mal récompensée des meurtres accomplis contre son propre sang. On peut noter également que dans sa vengeance, elle fera périr sa rivale en la brûlant , punition symbolique inverse de ce qu’elle a accompli pour protéger Jason. 

Elle se veut menaçante lorsqu’elle rappelle l’étendue de ses pouvoirs : “ sachant ce que je suis, ayant vu ce que j’ose, croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ? ” Les questions rhétoriques ici ont pour but d’effrayer les spectateurs et de leur faire prendre conscience des pouvoirs du personnage . En effet, la tragédie baroque ne cherche pas à écarter le surnaturel mais se propose plutôt ici de considérer la dimension surnaturelle de cette femme et de la mettre en scène en tant que magicienne puissante. C’est un autre aspect tragique de  cette scène : la souffrance de la magicienne est liée à une trahison amoureuse.  L’amour malheureux est souvent associé au registre tragique.

3.  Et c’est surtout une femme qui se venge 

Le déferlement de colère est la caractéristique de  la fin ce passage qui révéle le caractère passionné de Médée.

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La trahison de Jason est bien présentée comme la cause de la colère de la magicienne ; Le faux serment rappelle son mensonge et sa trahison: alors qu’il a juré un amour éternel à la jeune femme après lui avoir fait deux enfants, il la répudie pour épouser Créüse. Et la mort semble bien le prix à payer pour cette trahison amoureuse comme : “la mort de ma rivale et celle de son père ” sont  deux actions présentées par la magicienne comme seules capables d’apaiser le courroux de Médée. Quant à Jason, il est  condamné à l’exil et à la solitude éternelle “ qu’il courre vagabond de province en province ” ;  rappelons toutefois que pour les Grecs, l’exil était considéré comme un châtiment plus dur que la mort car le criminel expiait plus longtemps ses fautes . On se souvient d’Oedipe exilé après la découverte de  son double crime (il a tué accidentellement son père et provoqué le suicide de sa mère ) et d’ Oreste poursuivi sans repos par les Furies après le meurtre de sa mère Clytemnestre.  Le sort  tragique de Jason est prédit : ” banni de tous côtés, sans bien et sans appui / accablé de frayeur de misère et d’ennui ” . L’énumération et la gradation montrent ici un personnage poursuivi par d’éternels remords et qui vit un véritable enfer. C’est ce qui est rappelé  avec ce présent dramatique : ” Jason me répudie ” et qui l’aurait pu croire ?  Le spectateur paraît ici partager l’étonnement de la jeune femme , sa stupéfaction. La colère de la magicienne éclate à grands coups d’imprécations : elle prend d’abord les Dieux anciens comme appuis et les appelle à l’aide pour accomplir sa vengeance. Ainsi elle se définit comme l‘éternel bourreau de Jason qu’elle compte bien poursuivre d’ailleurs  jusqu’à la mort , figurée ici par le tombeau

Analysons maintenant la dernière partie de la tirade qui fait l’objet de la lecture linéaire : le premier vers peut s’entendre comme une menace et la magicienne y rappelle ses pouvoirs. “je suis encore moi-même “ manifeste son orgueil et sa puissance.L’adjectif à la rime “extrême ” qui qualifie l’amour de Médée  est une périphrase pour désigner la passion désormais transformée en haine au   début du  vers suivant. Les verbes de volonté sont nombreux ce qui met en lumière la détermination sans faille de Médée : “je veux” dit-elle au vers 4 ; le dramaturge met en relation , grâce aux antithèses, le passé et le présent  : après avoir tué pour Jason et pour faciliter leur union , elle va désormais commettre un “forfait ” synonyme de crime , pour entériner leur séparation. ” Sépare ” et “joints” sont opposés au vers 4 ainsi que mariage et sanglant divorce aux vers suivants. La relation d’égalité est invoquée au début du vers 6 “s’égale ”  afin d’unir le présent et le passé dans l’abomination; Médée s’apprête à réitérer d’horribles crimes à l’image de ceux qu’elle a déjà commis et qu’elle ne cesse de rappeler aux spectateurs . La même idée est reprise avec l’identité du “commencement” de leur union et de sa fin pareille au vers 8; On remarque d’ailleurs que Racine mentionne la fin avant le début car c’est bien de ce dont il s’agit sur scène. La faute de Jason apparait une fois encore : le pronom tu est ici accusateur : ton changement au vers 7, est bien à l’origine de la rupture . L’idée de vengeance est alors complète . De plus; cette  sorte de vengance paraît suivre une logique implacable  qui va s’accomplir avec préméditation et calcul. L’abomination du crime est précisée au vers 9 et constitue une sorte d’acmé dans la scène : il s’agit de déchirer l’enfant aux yeux du père ” ; rien de moins qu’un infanticide présenté comme la première étape du plan :  l’expression “le moindre effet  de ma colère” tend à minimiser l’ampleur de ce qui va être accompli et le spectateur redoute alors bien pire; Corneille livre ici, comme il l’explique dans sa Préface une Médée “toute méchante ” ; Cette femme semble monstrueuse et redoutable ; Elle décrit d’ailleurs ses anciens meurtres abominables comme des ” coups d’essai”  au vers 11 ; ce qui laisse présager une nouvelle montée dans l’horreur avec le “chef d’oeuvre ” qu’elle promet au vers 13. Le dramaturge étonne ici le spectateur avec l’utilisation de termes mélioratifs sur le plan artistique pour rendre compte de la “perfection d’une criminelle ” ; Médée devient une virtuose dans le Mal et s’apprête à montrer ce qu’elle sait faire ; Le verbe savoir en fin de vers “sai” donne du personnage l’image d’une experte qui s’est d’abord initiée avec un “faible apprentissage “ au vers 14. Elle devient ainsi une exécutante avec un projet de grande envergure , une sorte d’héroïne chargée de l’extrême dans le Mal;  pour le moraliste, la Passion amène l’individu à adopter des positions extrêmistes et pour le dramaturge, l’héroïne qui se laisse diriger par sa passion, devient un monstre au sang froid. La dernière partie de la tirade est un retour au divin: Médée y sollicite, à nouveau , l’aide des Dieux mais cette fois, elle ne s’adresse plus aux Dieux chtoniens, des Enfers ; elle invoque et implore son ancêtre le Soleil; En effet, ce projet est tellement démesuré qu’elle a besoin de “grands secours ” ; les feux des Enfers ne suffisent pas pour son projet car ils torturent le plus souvent les ombres, c’est à dire les morts voués aux flammes des Enfers; elle a besoin du Soleil qui est présenté, à la fois comme l’auteur de sa naissance donc son ancêtre et l’auteur du jour, périphrase qui le désigne souvent dans la mythologie; La mention du Char du Soleil fait référence au mythe qui explique qu’Hélios, le Dieu soleil ,effectue chaque matin et chaque nuit le tour de la terre avec son quadrige pour ramener le jour et apporter la nuit . Elle implore son grand-père de lui venir en aide car un “affront “ est fait ” à sa race ” au vers 21 : en effet, chez les Grecs, la notion de génos, de lignée , était primordiale . De plus, le terme affront présente le projet de la magicienne comme une vengeance de sa famille , ce qui donne une forme de légitimité à sa propre vengeance : on dépasse ainsi le cadre strictement individuel pour aborder une dimension collective.  Médée nomme sa soif de meurtre “désir bouillant “: l’adjectif désigne ; à la fois, l’intensité de son désir et par métaphore, rappelle le feu , qui sera , dans un premier l’arme du  double crime ; elle va enflammer Créüse sa rivale avec un cadeau empoisonné, une robe; cette robe qui va prendre feu tuera également  le père de cette dernière Créon , qui va tenter de sauver sa fille qui brûle sous ses yeux et ensuite  elle mettra le feu à leur palais . La jeune femme se fait implorante en demandant au Dieu de lui accorder une “grâce “ : le Soleil ne prête pas volontiers ses chevaux car les conduire nécessite un véritable savoir-faire et les quelques mortels qui ont essayé, ont provoqué des catastrophes. La fin de la tirade la montre en action: elle s’imagine , en train de réaliser sa vengeance: “je veux choir sur Corinthe” : Racine évoque ainsi, par anticipation, la tragédie qui va s’abattre sur la totalité de la ville ; la passion de Médée se transforme en folie meurtrière et elle s’apprête à détruire une ville toute entière par déception amoureuse; On mesure ici à quel point la passion sera funeste pour les Corinthiens;  Afin de rassurer son grand-père, Médée précise qu’elle limitera sa destruction aux murs de la cité corinthienne . Les “odieux murs”  (on note ici la personnification de la ville  à travers la métonymie des murailles ) marquent les  limites de sa vengeance de femme blessée. Elle conclut en ajoutant qu’elle agit, mue par un “juste courroux ” : elle cherche à nouveau à justifier ses futurs meurtres et à les présenter comme la conséquence logique de la trahison de Jason, qui passe ainsi pour le véritable coupable. Le caractère inexorable de ce dénouement funeste est marqué par l’emploi de l’adjectif “implacable” : rien ne semble pouvoir arrêter Médée et faire obstacle à sa volonté.

 En conclusion de cette partie , la colère vengeresse de Médée sera l’objet du reste de la tragédie et le spectateur  qui sait que Jason a réussi à s’enfuir dans le mythe antique, sera étonné de voir que Corneille le fait mourir à la fin de sa version . C’est Médée qui, après avoir égorgé leurs enfants, réussit à s’enfuir dans un char envoyé par son aïeul, le Soleil. On peut donc définir cette Médée baroque  comme une tragédie de la vengeance qui s’abat sur un homme coupable, à ses yeux, de la plus haute des trahisons : avoir méprisé son amour passionnel et l’avoir quittée pour une autre femme . La trahison initiale de Jason est présentée comme la cause de tous ces tourments . L‘amour extrême de Médée  se transforme alors en haine et elle va s’efforcer de lui rendre la monnaie de sa pièce. Les meurtres à venir s’inscrivent comme l’envers de ceux qu’elle a commis autrefois pour préserver son époux; Le sacrifice du frère deviendra infanticide et au lieu de le protéger, il détruira l’homme que désormais elle hait plus que  tout. Avec Médée , Corneille a mis en scène une passion destructrice .

22. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : une trahison triplement mortelle · Catégories: Première · Tags:
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 Jean Racine est un dramaturge du dix-septième siècle dont les pièces s’inspirent à la fois du théâtre antique et des théories jansénistes . D‘Aristote, il s’efforce de respecter les règles des trois unités , de la bienséance et met en scène la catharsis , ce mélange pour le spectateur de terreur et de pitié qui doit purger ses passions et le libérer  de leur  violence . Des Anciens, il reprend les  mythes , récits symboliques chargés d’enseignement pour ses contemporains mais il les modifie afin qu’ils soient plus proches des théories jansénistes dont il est le défenseur. A la différence du catholicisme,  inspiré des jésuites, qui  considère que l’homme dispose d’une liberté de choix, les jansénistes croient en la prédestination et pensent que tous les hommes n’ont pas la possibilité de sauver leur âme; Certains sont donc fatalement voués à la damnation . Racine s’accorde,en partie, avec la fatalité antique mais il va toutefois infléchir le déroulement de l’intrigue .  Ainsi  l’héroïne Phèdre, dans la tragédie éponyme de Racine, se suicide bien à la fin de la pièce, comme dans la version antique  mais seulement après avoir longuement  exprimé ses remords et avoué ses fautes et  son mensonge. Dans les versions d’Euripide et de Sénéque, Phèdre s’empoisonne certes mais sans jamais avoir avoué qu’elle a menti . Racine atténue donc , en quelque sorte, la noirceur du personnage afin de la rendre un peu moins coupable et surtout repentante, aux yeux du spectateur . 

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Phèdre parait surtout victime d’une vengeance de la part de Vénus; cette dernière qui trompait  régulièrement son mari le Dieu Vulcain avec un autre Dieu, Mars, le Dieu de la guerre, a été dénoncée par le grand-père de Phèdre, Hélios, le Dieu soleil, qui a découvert les deux amants . La déesse de l’amour , vexée décide  alors de se venger sur la descendance d’Hélios; elle a puni la mère de Phèdre , Pasiphaé en l’ensorcelant pour qu’elle s’accouple avec un taureau dont elle enfantera le Minotaure, ce monstre qui ravagera la Créte . Elle punit également Phèdre en lui insufflant un passion mortelle et coupable pour son beau-fils, le jeune Hippolyte, fruit de l’union de Thèsée et d’Antiope, la reine des Amazones. C’est d’ailleurs en combattant le Minotaure que Thésée va faire la rencontre d’Ariane, la soeur de Phèdre à laquelle il promet de l’épouser en échange du fil d’ Ariane, avant de finalement l’abandonner sur une île sur le chemin du retour. 

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Au moment où la tragédie débute, Thèse est parti depuis de longues années et sa jeune épouse souffre d’un amour qui lui empoisonne la vie : elle est tombée amoureuse de son beau-fils, retrouvant dans sa jeunesse les traits de son père à son âge. Cet amour peut être vu comme une sorte de malédiction divine et , le retour soudain de Thésée, coup de théâtre au début de l’acte IV, va précipiter le dénouement funeste. Phèdre laisse sa  confidente Oenone calomnier Hippolyte, l’accusant d’avoir tenté d’abuser de sa belle-mère. Phèdre est alors folle de jalousie car elle vient d’apprendre que le jeune homme, qui a repoussé ses avances , partage un amour réciproque mais impossible avec Aricie l’unique survivante des Pallantides, le peuple ennemi exterminé par Thèse avant de prendre le trône de Trézène. Racine réussit donc ici à concilier différents motifs tragiques de l’amour impossible .

Au début de la scène que nous étudions , Thésée qui vient d’apprendre le crime de son fils, laisse éclater sa colère et implore le Dieu Poséidon de l’aider à accomplir sa vengeance . Aux premiers regards échangés, Thésée peine à voir la trahison d’Hippolyte et voit plutôt la vertu sur le front de son fils. Il pose alors une question essentielle : à quel signes reconnait-on à coup sûr, la trahison : “ Ne devrait-on pas , à des signes certains / Reconnaître le coeur des perfides humains ? ” Tragédie amoureuse, Phèdre est également tragique à cause d’une erreur de jugement . Le père s’est fié à la parole d’une confidente , de son épouse et n’a pas pris en considération les dénégations de son propre fils qu’il condamne hâtivement , sous le coup d’une fureur qu’il peine à contrôler . 

Nous pouvons , dans cet extrait montrer comment la trahison apparaît et de quelle manière la colère de Thésée devient un instrument tragique ; 

La trahison

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Le mot perfide au vers 1 désigne à cette époque celui qui agit sournoisement, avec l’intention de nuire, en paroles ou en actions . Souvent associé  par métonymie comme adjectif à des parties du corps (regard perfide, gestes perfides) il peut désigner la personne toute entière  et devenir un substantif. Il est immédiatement suivi du mot monstre qui désigne celui qui n’appartient plus au genre humain ou qui se comporte de manière inhumaine.  Hippolyte est ensuite comparé à un ” reste impur des brigands ” triple dévalorisation ici ; Le mot reste , en effet, révèle des origines douteuses ; le qualificatif impur renvoie à la souillure de la trahison et remet en cause la naissance de cet enfant ; Son sort peut ainsi apparaître semblable à celui des brigands dont Thésée a purgé le pays; On voit à travers l’ emploi du verbe purger que la vengeance qui va s’exercer est justifiée par la monstruosité de l’acte commis ; Le roi mentionne  ensuite,au vers 4, un amour plein d’horreur et le mot fureur à la rime de l’alexandrin suivant , dresse un portrait peu flatteur de ce fils meurtrier monstrueux

La Punition du “traître ” 

Le vers 6 identifie Hippolyte comme une tête ennemie ce qui connote une hostilité du père et il lui reproche son infamie , mot utilisé pour qualifier des actes ignobles. La condamnation est l’exil qui frappe les criminels les moins pardonnables car les Anciens pensaient que le bannissement et l’opprobre, c’est à dire le fait d’être rejeté par tous, étaient des châtiments plus durs que la mort qui délivrait le coupable de ses tourments. La souffrance infligée par l’exil s’accompagne souvent d’une vengeance des Dieux qui poursuivent les criminels avec , par exemple, les Furies ou Erynies ( comme Oreste et Oedipe ) . L’ignominie du fils entache toute la lignée et le déshonneur va nécessairement rejaillir sur Thésée comme l’indiquent les vers 14 et 15 . S’il devient infanticide  et tue son fils de ses propres mains, Thésée déshonore son nom et craint qu’on ne retienne de lui que cet acte odieux : il a peur qu’en tuant son enfant cela ‘vienne souiller sa gloire “ . Sa réputation serait doublement ternie : elle l’est déjà à cause de ce “fils si criminel ” . Thèse menace alors Hippolyte et l’enjoint de fuir : l’anaphore de l’impératif aux vers 10,16 et 20 insiste sur la nécessité d’un décret immédiat et “sans retour “(vers 20) . Pour el spectateur, il est facile d’imaginer la fuite  éperdue du jeune homme ; c’est en fuyant pour avoir la vi sauve que le monstre marin va le précipiter vers sa fin de manière tragique te non sans faire preuve une dernière fois de bravoure.  Sa mort va alors attirer la compassion du spectateur qui le sait innocent du crime dont son père l’accuse. Le récit du messager Théramène qui rapporte à Thésée la mort de son fils est un des moments d'”émotion de la tragédie . En nous faisant revivre cet épisode , avec comme principal spectateur le père éploré , Racine emploie ici la double énonciation propre au spectacle théâtral. 

Une intercession divine : le prix de la vengeance 

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La colère de Thésée fait place à une invocation de la colère divine : le père furieux se tourne alors vers les Dieux pour qu’ils accomplissent sa vengeance en récompense des actes héroïques commis en leur honneur; Il s’agit d’une sorte d’échange de bons procédés et Thésée rappelle qu’il rendit service à Neptune en tuant “d’ infâmes assassins” et que le Dieu lui doit donc une faveur ” pour prix de mes efforts heureux / tu promis d’exaucer le premier de mes voeux ” Cette idée selon laquelle les Dieux s’engagent auprès des hommes et sont liés par leurs serments, contraste avec l’idée d’une fatalité aveugle et implacable; Neptune agit ici à la demande du père et parce qu’il lui doit un service. Le spectateur peut se douter que la promesse sera exaucée et il sait que le jeune homme est perdu doublement ; " j’abandonne ce traître à toute ta colère / étouffe dans son sang ses désirs effrontés . ”  Cette imprécation est véritablement tragique car d’une part, elle signe la mort d’Hippolyte injustement : il  est innocent du crime pour lequel son père l’a condamné et d’autre part, la trahison et le mensonge de Phèdre ont eu des conséquences tragiques : cette dernière se donnera la mort , suivant ainsi celle d’Oenone qui s’est jetée dans la mer en réalisant ce que sa fausse accusation avait déclenché .

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En conclusion, la colère du roi a ici des conséquences tragiques . Alors qu’il pense punir un traitre, Thésée sacrifie un fils innocent et n’ a pas démasqué la véritable trahison : celle de son épouse. Aveuglé par la colère et le ressentiment , il s’abandonne à ses passions et perd la raison en déclenchant le courroux des Dieux . La tragédie classique montre à quel point il est dangereux de suivre ses sentiments et de se laisser emporter par ses passions . Les Dieux finissent toujours par triompher et se vengent de ceux qui les ont offensés ; Vénus punit , à travers  la passion coupable de  Phèdre, les descendants d’ Hélios . Et Thésée paraît ici puni pour son orgueil démesuré et ses crimes passés. L’ironie tragique réside dans le fait que c’est à sa propre demande que s’empresse de répondre Neptune  en tuant son fils et en accomplissant une vengeance inutile.