04. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Un mal nommé bovarysme: explications et définitions . · Catégories: Divers · Tags:

Emma Bovary se nourrissait de rêves et de clichés romantiques pour combler une vie faite d’insatisfaction. Flaubert y a dépeint les ravages de l’ennui et de la bêtise ordinaire, mais il était aussi sujet à des crises d’épilepsie 

Oeuvre phare de Flaubert, Madame Bovary n’a rien d’un thriller moderne. On y trouve l’histoire banale d’une femme mal mariée, qui trompe son mari, le ruine et finit par se suicider, s’étant perdue dans la poursuite de chimères romantiques inspirées par des romans à l’eau de rose. D’où vient alors l’attrait exercé par cette femme dont la seule particularité est de rêver des aventures merveilleuses alors qu’elle mène une vie des plus ordinaires ? La description de ses états d’âme est tellement juste, qu’un terme a été forgé pour désigner le mal particulier qui la ronge : le bovarysme.

L’essayiste
Jules de Gaultier propose le terme dans deux livres successifs, en
1892, puis en 1902 : « (Emma Bovary) a personnifié en elle cette
maladie originelle de l’âme humaine à laquelle son nom peut
servir d’étiquette, si l’on entend par “bovarysme” la
faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il
n’est.
» Le bovarysme consiste donc à « se concevoir autre
que l’on est ». Cette faculté, ce pouvoir, renvoie donc non pas à
un vice ou à une faiblesse de caractère, mais à une fonction
psychologique qui est propre à l’espèce humaine.

S’il
existe un bovarysme intellectuel et un sentimental, les psychologues
ont été plus intéressés par les notions de bovarysme normal et
pathologique. Ce dernier représente certes un excès dans la
fausseté de la conception de soi, mais surtout l’absence d’esprit
critique vis-à-vis de son erreur. Le bovarysme clinique implique de
ne pas se rendre compte que l’on se conçoit autre que l’on est.

Mais
revenons à Emma Bovary. D’où lui vient son bovarysme ? Gaultier
met initialement en cause son éducation dans un couvent fréquenté
par des jeunes filles de la haute société, où elle fut soumise à
l’âge de 13 ans à l’influence d’une « vieille fille » qui
venait lui lire des sagas sentimentales et lui glisser des livres : «

Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées et
s’évanouissant dans des pavillons solitaires, […] forêts
sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers,
[…] messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux,
vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent
comme des urnes
.
» L’effet fut immédiat, déjà « e
lle
aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines
au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs
jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder
venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope
sur un cheval noir
».
Cette «
attirante
fantasmagorie des réalités sentimentales
»,
à un âge précoce, marque le début d’un tempérament qui ne la
quittera plus et ne fera que s’intensifier.

Par
la suite, Gaultier préférera mettre en avant la psychologie même
d’Emma, sa personnalité : « La nécessité interne qui la régit
choisit, parmi les circonstances qui l’environnent, celles qui sont
propres à satisfaire sa tendance. » Elle a donc en elle, depuis le
début, « ce besoin de se concevoir autre qu’elle n’est ».

Le
bovarysme a connu son heure de gloire en psychiatrie dans les années
1930 en France. , « le bovarysme pathologique est considéré comme
l’impuissance à s’adapter à la réalité ». Par la suite, la
notion de dégénérescence et d’hystérie sera souvent reprise, et
associée à l’idée de « spleen ». Plus tard, on fera un
rapprochement avec la paranoïa, dont le bovarysme ne serait qu’une
version allégée, mais comportant les mêmes symptômes, à savoir
surestimation de soi, méfiance, fausseté de jugement et
impossibilité de s’adapter à la vie sociale. D’autres psychiatres
viendront ensuite impliquer les notions de mythomanie, en
redéfinissant le bovarysme comme « le pouvoir départi à l’homme
de se concevoir mieux…