07. décembre 2019 · Commentaires fermés sur La Fontaine : l’école buissonnière , un livre d’Erik Orsenna .. pour découvrir la vie du fabuliste · Catégories: Le livre du mois · Tags:

Je vous résume ici des extraits du roman d’ Erik Orsenna ( membre de l’Académie Française ) consacré à Jean de La Fontaine . 

Un petit garçon est né à Château Thierry,  la porte de la Champagne , l’année où le cardinal de Richelieu voit son pouvoir augmenter  ; Le jeune Lousi XIII est alors âgé de 20 ans et la France n’échappe pas cette manie de la guerre perpétuelle ; Le roi entend bien écraser les protestants réfugiés dans le Sud de la France ; la Nouvelle -Amsterdam ne s’appelle pas encore New-York .

Jean est l’aîné d’une famille bourgeoise qui tire ses  petits revenus des terres qu’ils ont achetées au fil des années . Toute sa vie, il sera partagé entre être un rat des champs et être un rat des villes ; A l’école il est décrit comme un bon garçon,  fort sage et fort modeste .  En 1641, il entre au couvent pour devenir prêtre mais renonce à la vocation ecclésiastique et commence des études de droit à Paris.

Il lit beaucoup :  son livre préféré est un roman fleuve : l’Astrée qui raconte  en 5000 pages les amours  compliquées d’un berger Céladon et d’une bergère  nommée Astrée. Au coeur du quartier latin, il rencontre un groupe de jeunes provinciaux comme lui qui vont devenir ses amis : Furetière, Tallemant des Réaux, Maucroix . Le père de La Fontaine presse son fils de se marier et de trouver  enfin un travail car il a tendance à dépenser tout l’argent que lui donne ses parents . Mais le poète ne semble guère pressé de se ranger ..son père le contraint  pourtant à épouser une jeune fille de 14 ans, Marie, qui lui apporte une grosse dot  mais elle a , semble-t-il, un fort long nez… A 31 ans La Fontaine achète une charge de maitre des Eaux et Forêts mais surveiller ses terres et notamment lutter contre les braconniers ne l’amuse guère ..il doit juger les contentieux et tenir les registres des ventes de bois et de la pêche. Le poète va devoir se partager entre des séjours à Paris avec ses nouveaux amis Boileau, Molière et Racine et sa province natale. Il finit toujours par revenir sur ses terres à Château-Thierry où l’attend son épouse qui s’ennuie ferme et bientôt son fils pour lequel il ne sera pas un père présent. A Paris,  le poète vit sa vie..il  a de nombreuses maîtresses et  il trouvera normal que sa femme entretienne elle aussi  une liaision avec un soldat qui l’avaiit autrefois demandé en mariage; Il se montre très compréhensif et accueille même l’amant sous son toit  ce qui déclenche des rumeurs au village ; Il ne connait donc pas le sentiment de jalousie. 

A 36 ans et assez désargenté, La Fontaine a l’idée d’envoyer un long poème de 600 vers à Nicolas Fouquet, jeune surintendant des finances . Il le flatte au moyen d’hyperboles et obtient, grâce à son talent ou à ses louanges,  une généreuse pension. Fouquet va devenir son “soleil” et son mécène. Après la somptueuse fête que son ministre  donne dans son récent château de Vaux le Vicomte , Louis XIV décide de le faire arrêter car il lui fait de l’ombre et c’est d’Artagnan qui vient le mettre aux arrêts sur ordre du souverain, offusqué qu’un de ses serviteurs puisse briller avec autant d’éclat. Il restera 19 ans en prison et tous ses amis le trahiront pour aller servir Louis XIV à Versailles ; Tous sauf la Fontaine qui se retrouve sans un sou et doit vendre la maison de son père .. il a presque  40 ans lorsqu’il commence à écrire les fables . Le dictionnaire de cette époque propose la définition suivante : chose feinte inventée pour instruire et pour divertir.  Le fabuliste ajoutera dans sa préface : l‘apologue est composé de deux parties dont on peut appeler l’une le corps, l’autre l’âme. le corps est la fable; L’âme , la moralité. L’autre couple à l’oeuvre dans les fables est celui que forment le mensonge et la vérité. Le mensonge ( affabulation ) pour dire la vérité : c’est une définition qu’on pourrait donner de la fable sans doute. 

En 1667 le premier livre est édité : on y trouve  beaucoup d’animaux comme la cigale et la fourmi, le renard et le corbeau et la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf. La Fontaine va présenter son livre au roi qui donne un repas en son honneur et lui offre une grosse somme d’argent . Pour composer ses fables, le poète s’inspire d’Esope et de Phédre, qui tous deux dans l’Antiquité furent d’abord des esclaves avant de gagner leur liberté par leurs oeuvres , mais également de la tradition du récit animalier et notamment du roman de Renart, grand succès au Moyen-Age . D’ailleurs ce qui plait beaucoup lorsque nous lisons les fables, c’est ce dialogue qui s’instaure , à de nombreuses reprises, entre les hommes et les animaux . “Tout parle en mon ouvrage et même les poissons / Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes / je me sers d’animaux pour instruire les hommes.” Mais quels enseignements tire-t-on , au juste de notre lecture des fables ? la question a traversé les siècles .

En écrivant plus de 240 fables, La Fontaine a créé un monde et pour reprendre une citation de Barbey D’ Aurevilly ; écrivain du dix-neuvième siècle : ” plus nous avons grandi, plus il a grandi avec nous . Plus nous avons avancé dans la vie, plus nous avons trouvé de charme et  de solidité dans ces fables qui sont la vérité, dans ces drames où les bêtes sont les personnages et qui racontent si délicieusement et si puissamment la vie humaine ”  Car enfin qui était vraiment La Fontaine? à la fois  un campagnard qui fréquentait les salons parisiens, un amoureux de la solitude qui aimait être entouré , un mari qui avait de l’amitié pour sa femme et qui collectionnait les aventures , un philosophe épris de sagesse et de plaisir, un homme qui a toujours couru après la Fortune tout en déplorant les dangers d’être riche ..

En 1670, La Fontaine accepte de préfacer un ouvrage d’un de ses anciens amis de l’Oratoire ; ce livre contient des poésies chrétiennes et son auteur M de Brienne, ancien ministre de Louis XIV, le destine à une certaine duchesse à laquelle il cherche à plaire .. plaire aux femmes : ce fut une mission pour le fabuliste . Madame de La Sablière fut l’une de ses amies… femme d’un collecteur général des impôts donc fort riche et très libérale,  elle était surnommée par Madame de Sévigné: la tourterelle car elle passait , soi disant, son temps à roucouler avec les Messieurs qui fréquentaient ses salons. Elle hébergera La Fontaine 20 ans dans sa maison  : elle fut pour lui une bonne fée, comme il le disait à ses amis. 

En 1683 , la mort de Colbert libère une place à l’académie Française et La Fontaine qui gardait rancune à Colbert d’avoir poussé le roi à faire condamner Fouquet , était heureux de pouvoir prendre son siège d’académicien. Hélas un de ses amis se met aussi sur les rangs pour obtenir le siège : c’est Nicolas Boileau; le vote  des académiciens est favorable au fabuliste à 13 voix contre 7 mais le roi le fait attendre et il ne deviendra académicien que lorsqu’un nouveau siège se libérera ; Le nouveau vote lui est encore favorable mais le roi, rancunier, exige que Boileau soit nommé. Et accepte que La Fontaine le rejoigne…le jour de son admission, il s’engage solennellement à devenir plus vertueux  et à servir le Prince..à 60 ans, La Fontaine semble renoncer à critiquer le pouvoir royal pour faire partie des  24 Sages et rejoindre ses collègues de l’Académie Française, lui qui n’a plus de maison et qui ne voit plus sa famille depuis longtemps.

L’amitié est un thème abordé dans les fables et La Fontaine savait de quoi il parlait car il a connu une amitié très forte avec Jean Racine : il est plus vieux de 18 ans que son jeune cousin (éloigné mais parents par leurs mères ) et a connu un succès moins spectaculaire que le sien. Au théâtre, les gens se lèvent pour applaudir les tragédies  et la gloire de Racine sera très rapide alors que La Fontaine connaîtra un succès plus limité à certains cercles mondains; Toutefois, une femme aurait pu les séparer : la Champmeslé, l’actrice dont Racine fut longtemps amoureux et qui se montrait fort infidèle; Elle eut, parait-il un penchant pour le fabuliste .. Racine n’en voudra pas à son cousin et tous deux continuèrent à briller, côte à côte .. cependant le fabuliste n’est pas aussi doué  pour faire carrière que le jeune dramaturge  qui deviendra historiographe du roi , travail illustre et fort bien payé surtout  !  La Fontaine pour vivre s’est mis au service de la veuve du frère de Lousi XIII, Marguerite du Lorraine dont il est le “gentilhomme ” c’est à dire le serviteur : il lui porte ses messages, lui fait ses course et même lui promène ses chiens. La Fontaine dog-sitter , ça lui va bien ! Il est plus cigale que fourmi ..vous l’avez bien compris ! 

laf127.jpgA la veille de sa mort, son confesseur l’abbé Pouget,  l’exhorte d’avouer ses fautes passées et le fabuliste, qui souhaite rejoindre le paradis et sauver son âme, s’exécute. Il faut l’imaginer sur son lit , en train de lire à ses amis, sa confession; Miracle aurait-il pensé  : la santé lui revient quelques temps .  Mais on sait qu’à la fin de sa vie, le poète s’infligera  même des châtiments corporels pour obtenir le pardon de ses fautes; Quand on le dévêtit pour le mettre en terre, on vit son corps lacéré par le port du cilice, une chemise de fer qui entaille les chairs et que portaient les religieux pénitents.

La Fontaine ne touchera jamais aucun droit d’auteur pour ses livres ; Il a dilapidé l’argent de sa famille , vendu tout ce qu’il pouvait et à la mort de Madame de La Sablière, il se retrouve sans toit . C’est alors qu’un banquier protestant M Herwarth lui offre l’hospitalité; Louis XIV qui connaissait son dénuement n’a pas levé le petit doigt pour l’aider : à l’époque le roi est sous la coupe de Madame de Maintenon qui a évincé Madame ed Montespan et qui fait régner à la Cour un vent de pudibonderie; Devenue femme de roi, elle ne lui pardonna jamais d’avoir écrit les  70 Contes érotiques  et  d’avoir vanté publiquement  les mérites de la Volupté.  

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Madame de Maintenon 

Qui peut expliquer aujourd’hui la magie La Fontaine ?  les sourires que font naître les fables et les traces qu’elles laissent dans notre mémoire individuelle et collective ? Le poète a choisi ces quelques vers en guise d’épigraphe pour son tombeau : “Jean s’en alla comme il était venu/ mangea  le fonds avec le revenu / Tint les trésors chose peu nécessaire / Quant à son temps, bien  le sut  dispenser / deux parts en fit, dont il soulait passer / l’une à dormir et l’autre à ne rien faire . ”  Il donne volontiers de lui pour la postérité cette image de papillon du Parnasse  : “Je suis chose légère et vole à tout sujet; je vais de fleur en fleur et d’objet en objet. ”  Cet autoportrait ne dit pas les heures de travail passées à raturer, corriger les fables; pas plus qu’il ne dit les heures passées à observer, mettre en mots et en musique , faire chanter les mots et trouver une langue à chaque animal , une situation pour chaque circonstance de la vie, une morale qui résume sa pensée et demeure fidèle à ses convictions. 

L’auteur conclut son livre en disant ” depuis 60 ans que je lis et relis la Fontaine, c’est d’abord une leçon d’acquiescement que je retiens; Oui à la Nature malgré ses sauvageries. Oui aux frères et soeurs humains malgré leurs ridicules , malgré leur rapacité foncière. Oui à eux car nous sommes sur le même bateau, et pour le meilleur ou pour le pire, du même équipage” Et sourire, car sourire c’est encore acquiescer . ”  Pensez vous vous aussi , à la lecture des fables , qu’elles disent  oui à la vie….

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Vaux le Vicomte : demeure de Fouquet