02. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La Fontaine : les fables sont-elles les fragments d’une pensée éparpillée ou forment-elles un système global ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Disserter à partir d’une citation consiste tout d’abord à analyser cette dernière avant d’en présenter une reformulation la plus précise possible. En effet,de la qualité de cette analyse préalable dépendra souvent la qualité du plan élaboré pour présenter la réflexion  et donc, la qualité  du traitement du sujet . Revenons sur la citation : Pour définir la fable, la Fontaine la compare à une abeille : ” Je suis chose légère et vole à tout sujet : je vais de fleur en fleur et d’objet en objet” . Comment comprendre le mot légèreté : par opposition sans doute au mot gravité , au sérieux de certaines entreprise littéraires  ; la fable adopterait ainsi un style léger, celui de la plaisanterie et de la satire.Le burlesque des situations, l’anthropomorphisme des personnages , la présence de nombreux   jeux de mots contribuent à créer cet  esprit  “léger ” par contraste avec le style sérieux et le ton solennel des moralistes et des essayistes . Voyons maintenant les autres éléments qui composent la citation…

On note la présence d’une comparaison  avec l’abeille qui pourra être réutilisée dans le cadre de la dissertation. Le second mot qui retient notre attention est celui de sujet . Il pourrait indiquer que les fables ne respectent pas une  véritable organisation et qu’une fable succède à une autre de manière aléatoire, sans véritable projet d’architecture. Il est indéniable que la succession des fables présente un caractère désordonné et il peut sembler facile  de le démontrer. On a ainsi l’impression que le fabuliste, comme l’insecte , passe d’un sujet à l’autre et d’une fleur à l’autre au gré de ses envies . Ainsi, on pourra choisir d’évoquer la diversité  des thèmes lorsqu’on passe d’une fable à l’autre  : satire de la cour, l’amitié, le mariage, le voyage, la loi du plus fort. La difficulté ici réside dans la connaissances de la localisation des thèmes ; toutefois , sous une diversité de surface, on constate assez rapidement que les fables offrent une vision du monde assez homogène de leur auteur ; Il sera possible de le démontrer en se basant sur les thèmes récurrents comme la satire de l’orgueil , l’incitation à la prudence , à la mesure et à la sagesse dans tous les domaines ; Ainsi, que ce soit dans le domaine social, politique ou même lorsqu’il s’agit d’évoquer la religion, les fables condamnent les excès . 

La seconde difficulté dans la conception de cette rédaction consiste sans doute à bien choisir les fables qui vont servir d’illustrations et surtout de se contenter d’en citer un résumé sans trop entrer dans les détails du récit .

On peut donc proposer le plan suivant :

I Oui les fables proposent  , à première vue , des fragments de pensée

a) le choix de la forme courte et l’absence de continuité

b) diversité des thèmes abordés

c) diversité des tons et des registres  (burlesque , satirique )

II Mais sous cette diversité , on retrouve des récurrences et une pensée globale

a) les valeurs fondamentales à travers les morales

b) critiquer pour amuser mais surtout pour instruire

c) une unité de sens : la vision du monde homogène ?

Quelques exemples de démonstrations sous forme de paragraphes  plus ou moins rédigés:

I a) Le choix de la forme de la fable condamne le poète à des développements brefs et parfois, à esquisser simplement le traitement d’un sujet : comment, en  effet, évoquer la peur de la mort en quelques vers ? C’est pourquoi le fabuliste reprendra à plusieurs reprises ,  à travers des anecdotes différentes , des questions autour de la relation entre l’homme et la mort ; On a alors l’impression de passer d’un sujet à l’autre mais peut être s’agit-il, tout simplement, de différents aspects d’un même sujet ; On peut citer, comme exemple, la mort des courtisans dans la Cour du lion, punition de leur flagornerie qui contraste avec celle de l’âne dans Les animaux malades de la Peste ,  animal sacrifié qui est désigné comme une victime par les puissants , heureux de sauver leur propre vie ; au delà de leur différence , ces  morts posent le problème de l’injustice et soulignent les dangers de la vie à la Cour; Une fable comme La Mort et le mourant aborde, cette fois, sur un plan plus philosophique, la préparation à la mort . On peut alors penser qu’il s’agit d’un autre sujet car il est abordé , sans le truchement des animaux, par un autre biais : celui d’une personnification et d’un dialogue entre la mort sous la forme d’une allégorie et un Vieillard qui se plaint de devoir quitter la vie. La mort tente alors de le raisonner et de lui faire accepter son sort. Ce sont bien ici dse fragments de pensée rassemblés autour de l’idée de la Mort.

I b)  Dans le livre VII, on passe respectivement avec Les Animaux maladeés de la Peste, d’une dénonciation de la loi du plus fort et des injustices qui règnent à la Cour, à une réflexion sur les difficultés du mariage avec Le Mal Marié ; ensuite et sans transition, La Fontaine critique l'égoïsme de certains ordres religieux avec Le Rat qui s’est retiré du monde; Dans le Héron et la fille, quatrième fable du livre, il dénonce cette fois, l’insatisfaction chronique qui mène à la déception , en prenant d’abord le cas d’un animal qui dédaigne ses proies et ensuite celui d’une jeune fille qui cherche le mari parfait. Enfin la cinquième fable intitulée Les Souhaits nous introduit dans un univers merveilleux avec un follet qui accorde trois voeux à une famille . Cette dernière finit par choisir la sagesse. La fable suivante ressemble à la première avec une nouvelle critique des abus de pouvoir du monarque et les difficutés rencontrées par les courtisans dans l’usage,notamment de la flatterie. On voit bien ici que le poète comme l’abeille, passe de fleur en fleur, c’est à dire change de sujet quasiment à chaque fable .

I b) Il est bien difficile de dire quel est le sujet principal  des fables car La Fontaine aborde de nombreux thèmes dans ses recueils : la dimension politique s’efface de temps à autre au profit d’une approche philosophique de la nature humaine ; questions de société et références à certains événements contemporains  alternent avec des questionnements plus généraux sur les défauts de la Nature humaine .

II c) Certes , La Fontaine emploie très souvent le registre satirique mais il l’utilise essentiellement comme un instrument au service d’un objectif pédagogique, celui d’enseigner aux hommes comment échapper aux dangers de leur condition. Ainsi , ce qui pouvait apparaître comme une forme de légéreté, aide à faire passer l’enseignement sans la lourdeur du sermon ou de l’essai. On peut le voir, par exemple, dans Perrette et le pot au lait ou Le Curé et le mort : le portrait des personnages , leur mésaventure plaisante et triste à la fois, aide à nous faire comprendre les dangers de l’imagination. Perrette perd son lait pour avoir trop rêvé à ce qu’elle en tirerait comme profit alors que le Curé perd la vie pour avoir voulu se servir, à des fins égoïstes , de celle de ses ouailles;  Au delà des différences de traitement du sujet ,  les deux rêveurs sont punis et la leçon est identique pour le lecteur : il ne faut pas parier sur l’avenir, toujours incertain.

Pour conclure, le fatras apparent des fables peut paraître , à première vue, un obstacle pour y déceler une vision du monde cohérente mais néanmoins, au terme de notre lecture du second livre des fables , nous avons le sentiment de percevoir l’unicité et la singularité d’une pensée :celle d’un poète qui a choisi de ne pas s’appesantir  sur la gravité du monde mais de voyager léger avec ces fables comparables à des fleurs des champs éparses qui forment un bouquet coloré . Il passe certes de sujet en sujet et il lui arrive même de se montrer quelque peu contradictoire mais il construit une vision du monde personnelle qui parvient, le plus souvent ,  à unifier les dissonances .