30. novembre 2020 · Commentaires fermés sur Raconter un casus belli : quand la parole diplomatique est mise en échec La Guerre de Troie revue et corrigée par Giraudoux · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags: , , ,

La Guerre de Troie revue et corrigée

Quelques années avant la seconde guerre mondiale, alors que l’Europe traverse een période de montée des nationalismes, le dramaturge et romancier français, germanophile, Jean Giraudoux, écrit une pièce de théâtre qu’il intitule La Guerre de Troie n’aura pas lieu; L’action de sa pièce se situe à l’époque où le jeune prince troyen Paris enlève Hélène, femme du roi grec Ménélas pour la ramener à Troie; De nombreux anachronismes dans la pièce nous font cependant penser à la situation de l’Europe à la veille du déclenchement de la guerre. Hector, le prince troyen veut renvoyer Hélène à son mari mais les vieillards  de Troie , ainsi que le roi Priam , sont partisans de la garder car ils admirent sa beauté . Les femmes troyennes pensent qu’il faut à tour prix éviter la guerre et Andromaque, la femme d’ Hector s’emploie à faire triompher la Paix en démontrant à quel point la guerre est meurtrière et prives le enfants de leurs parents; elle pense attendrir son mari car elle est enceinte de leur premier enfant. Les arguments des femmes semblent l’avoir emporté et une solution diplomatique est envisagée : l’émissaire Ulysse est reçu afin de négocier le retour d’Hélène en tentant d’épargner l’honneur de son mari. Ulysse rejoint alors son bateau pour prendre une décision mais les coups de théâtre s’enchainent .

Au moment où il s’apprête à quitter la scène , premier coup de théâtre, Demokos, le poète belliciste, fait irruption et s’indigne  avec virulence comme à son habitude, de la décision prise par Hector de rendre Hélène aux grecs; Sa véhémence le rend particulièrement menaçant car il appelle les Troyens “aux armes ” et s’apprête à entonner le “chant de guerre “ qu’il réserve à cette occasion tant attendue” Au moment où il crie à la trahison, Hector abaisse son javelot et le tue; ce qui constitue un fait pour le moins inattendu. Il peut alors affirmer à Andromaque la guerre n’aura pas lieu Andromaque ” ;
Le spectateur peut alors se dire qu’Hector a évité la guerre en devant un meurtrier et que l’assassinat de Démokos sert une noble cause : empêcher des centaines de morts ; Le dramaturge indique alors  même qu’un dénouement vient d’avoir lieu que  “le rideau qui avait commencé à tomber se lève peu à peu”  Que va t-il  encore se passer ? 
Nouveau coup de théâtre : Démokos, le poète troyen qu’on croyait mort alors qu’il n’est que blessé, lance, sur scène, une fausse accusation contre les Grecs en prétendant qu’il a été tué par Oiax ; en effet, s’il accuse Hector,  le véritable coupable, personne parmi les Troyens ne voudra déclencher un conflit contre les Grecs; Hector tente à son tour  de s’accuser du meurtre et dénonce le mensonge de Démokos mais il est trop tard : les Troyens ont tué Oiax hors scène . Cette fois la guerre paraît totalement inévitable car les Grecs vont avoir un prétexte en voulant venger la mort d’Oiax .
Hector a tout fait pour éviter un dénouement catastrophique et son sort paraît encore plus cruel car son dernier geste pour surseoir au caractère fatal de ce conflit, provoque , par des moyens détournés, le drame final.
Qu’a voulu montrer le dramaturge en choisissant de revenir sur cette guerre aux conséquences désastreuses?  sans doute que certains conflits peuvent sembler inévitables ?  Troie sera incendiée par les armées grecques après un long siège; la famille de Priam décimée, Hector tué  par Achille qui traîne son corps  supplicié autour des remparts de la cité, Andromaque emmenée en captivité et leur fils  Astyanax, jeté eu-dessus des murailles afin de priver Troie d’une descendance . Si dans le mythe, c’est l’enlèvement d’Hélène qui provoque le déclenchement du conflit, Giraudoux présente l’assassinat de Démokos comme le véritable déclencheur de la guerre .  Pièce prophétique , La Guerre de Troie n’aura pas lieu,  fait réfléchir les spectateurs   en 1935  à la situation dramatique de l’Europe qui assiste , impuissante , à la montée des périls. 
Voici quelques extraits  de la pièce qui parodient notamment le langage diplomatique:

  Comment galvaniser les troupes avant l’assaut ? Blessé deux fois lors de la première guerre mondiale, Giraudoux se souvient avec effroi des instants qui précèdent les assauts : les hommes tremblent de peur et ils ont alors besoin d’insulter leurs adversaires pour se donner du courage:  Avant de se lancer leurs javelots, les guerriers grecs se lancent des épithètes… Cousin de crapaud, se crient-ils ! Fils de bœuf… Ils s’insultent, quoi ! Et ils ont raison. Ils savent que le corps est plus vulnérable quand l’amour-propre est à vif. Des guerriers connus pour leur sang-froid le perdent illico quand on les traite de verrues ou de corps thyroïdes. Nous autres Troyens manquons terriblement d’épithètes.

Le  personnage du géomètre démontre, dans un autre extrait que la guerre est avant tout une affaire de militaires : Les armées doivent partager les haines des civils. Tu les connais, sur ce point, elles sont décevantes. Quand on les laisse à elles-mêmes, elles passent leur temps à s’estimer. Leurs lignes déployées deviennent bientôt les seules lignes de vraie fraternité dans le monde, et du fond du champ de bataille, où règne une considération mutuelle, la haine est refoulée sur les écoles, les salons ou le petit commerce. Si nos soldats ne sont pas au moins à égalité dans le combat d’épithètes, ils perdront tout goût à l’insulte, à la calomnie, et par suite immanquablement à la guerre.

Dans la pièce, l’Etat Troyen, représenté par Hector, faitt appel à Busiris qui est un expert en droit des peuples : voilà ce qu’il prétend  ” Mon avis, Princes, après constat de visu et enquête subséquente, est que les Grecs se sont rendus vis-à-vis de Troie coupables de trois manquements aux règles internationales. Leur permettre de débarquer serait vous retirer cette qualité d’offensé qui vous vaudra, dans le conflit, la sympathie universelle. Premièrement ils ont hissé leur pavillon au ramat et non à l’écoutière. Un navire de guerre, princes et chers collègues, hisse sa flamme au ramat dans le seul cas de réponse au salut d’un bateau chargé de bœufs. Devant une ville et sa population, c’est donc le type même de l’insulte. Nous avons d’ailleurs un précédent. Les Grecs ont hissé l’année dernière leur pavillon au ramat en entrant dans le port d’Ophéa. La riposte a été cinglante. Ophéa a déclaré la guerre.

Et ensuite demande Hector ?  Ophéa a été vaincue. Il n’y a plus d’Ophéa, ni d’Ophéens.  Busiris ajoute que “L’anéantissement d’une nation ne modifie en rien l’avantage de sa position morale internationale.” Giraudoux se moque ensuite des textes diplomatiques : ” Deuxièmement, la flotte grecque en pénétrant dans vos eaux territoriales a adopté la formation dite de face. Il avait été question, au dernier congrès, d’inscrire cette formation dans le paragraphe des mesures dites défensives-offensives. J’ai été assez heureux pour obtenir qu’on lui restituât sa vraie qualité de mesure offensive-défensive : elle est donc bel et bien une des formes larvées du front de mer qui est lui-même une forme larvée du blocus, c’est-à-dire qu’elle constitue un manquement au premier degré ! Nous avons aussi un précédent. Les navires grecs, il y a cinq ans, ont adopté la formation de face en ancrant devant Magnésie. Magnésie a dans l’heure déclaré la guerre. “Busiris ajoute que cette ville a, elle aussi, été anéantie.  “Le troisième manquement est moins grave. Une des trirèmes grecques a accosté sans permission et par traîtrise. Son chef Oiax, le plus brutal et le plus mauvais coucheur des Grecs, monte vers la ville en semant le scandale et la provocation, et criant qu’il veut tuer Pâris. Mais, au point de vue international, ce manquement est négligeable. C’est un manquement qui n’a pas été fait dans les formes.
Hector ordonne alors à Busiris de trouver une thèse qui prétende qu ‘aucune offense n’ a été commise afin qu’il puisse recevoir Ulysse , l’émissaire grec venu négocier la paix.  Mon cher Busiris,  ajoute Hector ,nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.”
Hector tente une dernière fois de conjurer le sort et se tient face à Ulysse  :Nos peuples nous ont délégués tous deux ici pour la conjurer. Notre seule réunion signifie que rien n’est perdu…” Ce dernier lui répond sagement : Vous êtes jeune, Hector !… À la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d’un lac, dans l’angle d’un jardin. Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l’épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes, loyaux. Et ils s’étudient. Ils se regardent. Et, tiédis par le soleil, attendris par un vin clairet, ils ne trouvent dans le visage d’en face aucun trait qui justifie la haine, aucun trait qui n’appelle l’amour humain, et rien d’incompatible non plus dans leurs langages, dans leur façon de se gratter le nez ou de boire. Et ils sont vraiment combles de paix, de désir de paix. Ils se quittent en se serrant les mains, en se sentant des frères. Et ils se retournent de leur calèche pour se sourire… Et le lendemain pourtant éclate la guerre… Ainsi nous sommes tous deux maintenant… Nos peuples autour de l’entretien se taisent et s’écartent, mais ce n’est pas qu’ils attendent de nous une victoire sur l’inéluctable. C’est seulement qu’ils nous ont donné pleins pouvoirs, qu’ils nous ont isolés, pour que nous goûtions mieux, au dessus de la catastrophe, notre fraternité d’ennemis. Goûtons-la. C’est un plat de riche. Savourons-la… Mais c’est tout. Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. “
La guerre aura bien lieu …
Activité à présenter oralement : à toi de choisir un conflit auquel tu t’intéresses et de rechercher quelles en furent les causes, lointaines et immédiates . Expose avec précision et éloquence les enjeux du conflit , les forces en présences, les arguments idéologiques des deux camps: des tentatives de médiation ont-elles eu lieu ? Menées par qui ? Quelles ont été  les conséquences du conflit et pour terminer, selon toi, était-il évitable ? Qu’aurait -il fallu pour que cette guerre ne puisse pas avoir lieu ? 
Tu peux utiliser un support avec tes notes manuscrites, et / ou projeter des diapositives : Ton intervention devra durer au minimum 5 minutes; Tu seras évalué sur ta capacité à relater des faits avec clarté et surtout à exposer un avis personnel et argumenté.