01. janvier 2022 · Commentaires fermés sur Le portrait d’un dangereux libertin: le Comte de Valmont présenté par Madame Volanges · Catégories: Commentaires littéraires, Première

Laclos fait paraître en 1782, quelques années avant la révolution française, un roman épistolaire qui fit scandale. le titre Les liaisons dangereuses illustre son projet ; Il montre comment un coupe de libertins, la Marquise de Merteuil et le comte de Valmont manipulent leur entourage et  sèment le déshonneur sur le chemin de ceux qu’ils séduisent et manipulent. Au moment où le mouvement des Lumières s’interroge milite notamment pour une meilleure éducation des femmes , Laclos montre qu’elles demeurent les premières victimes d’hommes peu scrupuleux qui font passer leurs désirs avant le respect des valeurs morales comme l’honnêteté et la fidélité. Dans cette lettre adressée à la présidente de Tourvel et  rédigée par une amie , nous verrons tout d’abord qu’il s’agit d’une lettre de mise en garde qui incite à la prudence et nous montrerons ensuite comment Valmont est décrit ainsi que le danger qu’il représente pour les femmes. 

Madame de Volanges se définit par l’amitié qui la lie à Madame de Tourvel : A la ligne 7 , elle la nomme “mon amie” et évoque leur passé commun ” vous me connaissez” ajoute . A la fin de sa lettre , elle évoque à nouveau la force de leur relation avec ” ma belle amie” : l’adjectif laudatif belle indique ici une marque d’affection et d’estime. Madame Volanges justifie sa démarche  et tente de persuader la présidente de lui faire confiance ; Elle prétend agir au nom de “l’âge, l’expérience et surtout l’amitié ” ; Elle posséderait selon elle une forme de sagesse liée à sa connaissances du monde ; cette sagesse et cette lucidité feraient en partie défaut à Madame de Tourvel, plus jeune et moins expérimentée car elle ne vit ni à la Cour ni à Paris. 

Madame de Volanges, en effet, l’incite à se méfier du vicomte qui tente de ternir la réputation de la jeune femme : elle lui répète les rumeurs qui circulent “dans le monde ” et cherche à lui faire peur afin qu’elle l’éloigne le plus vite possible ; c’est la conclusion de sa lettre ” je vous conseille d’engager sa tante à ne pas le retenir davantage ” . Le verbe conseille ici montre qu’elle s’efforce de modifier le point de vue de Madame de Tourvel au moyen d’arguments rationnels.  Elle se place en position d’autorité un peu comme une mère face à sa fille. Madame de Volanges met en évidence la candeur de son amie à plusieurs reprises. Elle semble agir pour la protéger de ce qu’elle considère comme “le malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme” Le superlatif ici traduit , au moyen d’une formule allusive, le fait pour une femme de céder aux avances d’un homme qui ira ensuite se vanter de l’avoir séduite 

Certaines femmes, qui sortent directement du couvent à l’âge de 15 ans, pour se marier , comme nous l’avons vu avec l’arrivée à la Cour de Mademoiselle de Chartres dans La Princesse de Clèves, ne possèdent qu’une vision très naïve du jeu de la séduction et peuvent facilement être trompées par des libertins ; Ce sont des victimes et Madame de Volanges le rappelle à la ligne 14 à propos du vicomte : “pour être cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. ” A cette époque, la parole des femmes n’était pas considérée et elles n’osaient pas se plaindre de subir des agressions sexuelles car elles craignaient de perdre leur réputation . Madame de Tourvel mène, avec son époux “une vie sage et retirée ” , loin des cercles parisiens. Cet isolement  la protège mais la maintient dans l’ignorance ce qui la met en danger car elle n’a jamais entendu parler de Valmont. Elle n’est donc pas au courant des rumeurs qui font état du libertinage de Valmont ; Madame de Volanges lui set d’informatrice et  évoque ainsi  de “scandaleuses aventures “ ligne 16, afin d’effrayer son amie . L’adjectif scandaleux a une connotation critique et révèle la désapprobation de l’auteure de la lettre. La prétérition ” je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir” ajoute , pour le lecteur , une note de mystère et nimbe le personnage du Vicomte d’une aura maléfique. Par contraste, la présidente apparaît comme une sorte d’ange : ” vos regards , purs comme votre âme” :  La comparaison  ici montre qu’elle est incapable d’envisager le mal et qu’elle est très vertueuse; il s’agit ici d’un éloge de la pureté de cette jeune femme, qui pour le lecteur, a déjà le statut de victime car  il sait qu’elle fait partie d’un plan ourdi par le couple de libertins. Circonstance aggravante pour Valmont : toutes les femmes sont unanimes pour condamner sa conduite ainsi que le suggère la double négation “ il n’en est point qui n’ait eu à s’en plaindre .” Ce procédé de style est caractéristique de la préciosité : il donne un caractère artificiel à l’affirmation et s’apparente à une forme de litote. Laclos et Madame de La Fayette pour dépeindre la subtilité de l’analyse psychologiques ; adoptent,  à un siècle d’écart, des tournures littéraires similaires.  

Le romancier montre, à travers cette lettre, à quel point un libertin représente un danger pour la société : c’est un individu décrit comme une véritable menace  et un réel hypocrite ; Il paraît “ encore  plus faux et dangereux qu’il n’est aimable et séduisant ” les deux couples d’ adjectifs associent ici des qualités  en apparence mais qui sont au service de la tromperie ainsi que le montre le comparatif de supériorité. Le Vicomte n’agit pas simplement par passion : “sa conduite est le résultat de ses principes” peut on lire ligne 12. Il suit ce qu’il a prémédité, ne laisse rien au hasard et se montre calculateur . C’est pourquoi il est impardonnable et Madame de Volanges ne lui trouve aucune circonstance atténuante ; elle le dépeint comme un être froid et qui s’adonne volontairement au mal : il ne s’agit pas  d’obéir à des “passions fougueuses” mais d’une démarche calculée et maîtrisée. Le libertin est ainsi montré comme quelqu’un qui sait dominer la passion amoureuse et qui ne suit que son orgueil et son désir de puissance. 

Madame de Volanges peint évidemment un tableau sombre et résister  à un homme si fourbe et si habile relève du tour de force ; Il s’agit d’un véritable combat : elle évoque ainsi des “armes pour vous défendre” . Le champ lexical de la lutte illustre également le danger qu’il incarne : l’exemple de Madame de Merteuil est donné afin de montrer qu’elle seule, en apparence , “a su lui résister et enchaîner sa méchanceté ” ; Il s’agit d’une forme d’ironie ici de la part du romancier car le lecteur connait la véritable nature de la Marquise: il sont complices et elle n’a pas encore été démasquée par Madame de Volanges qui s’est fait prendre au piège de l’hypocrisie de Madame de Merteuil. La particularité d’un roman épistolaire réside essentiellement dans la position du lecteur qui assiste à une série d’échanges pour lesquels il possède une vue d’ensemble alors que chaque personnage du roman ignore le contenu des lettres des autres épistoliers. Non seulement le vicomte prend pour cible des femmes mais il ne se contente pas de les séduire, il les perd. ” je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites “, écrit Madame de Volanges : cette nouvelle prétérition qui a ici une valeur hyperbolique est complétée par une question réthoriquemais combien n’en a-t-il pas perdues ? ” La tournure interro-négative met en évidence le caractère dépravé du personnage . 

Le portrait de Valmont révèle sa noirceur ; celle de l‘âme d’un libertin; Laclos s’emploie à décrire les ruses et les artifices employés par ce type d’individus ; On retrouve ainsi la dimension morale du roman: mettre en garde les femmes  contre les ruses employées par ces prédateurs afin d’abuser de faibles femmes candides. Le début de la lettre fait mention de la “candeur” dont Valmont aurait fait preuve devant Madame de Tourvel et son amie emploie l’ironie pour la persuader qu’elle se trompe ” oh oui la candeur de Valmont doit être en effet très rare ” : il s’agit  d’un euphémisme qui signifie qu’il est le contraire de candide et qu’il dissimule sa perfidie sous une fausse candeur . “Jamais depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet , et jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel , écrit Madame de Volanges ” . Cette longue phrase est construite sur une amplification rythmée par l’anaphore de l’adverbe jamais ; La critique forme une gradation ; C’est tout d’abord le côté calculateur du Vicomte qui est montré avant d’évoquer , dans la seconde proposition construite à partir d’une double négation qui marque l’assertion , son côté immoral : c’est une manière hyperbolique de le critiquer et de condamner son immoralité. La diatribe se termine avec l’adjectif criminel  qui dépasse ainsi la simple malhonnêteté. De plus, nous trouvons un champ lexical de l’ignominie avec “horreurs ” à la ligne 13 et méchanceté  à la ligne 22

Le but de cette lettre est  donc double : pour Madame de Volanges, il est important de prévenir son amie et de la mettre en garde contre le danger que représente Valmont, un libertin qui dissimule sa noirceur sous le masque d’un gentilhomme et pour le lecteur , il s’agit de révéler l’animosité et la naïveté de Madame de Volanges qui , sans le savoir, est tombée elle ausi dans le piège qu’elle dénonce. Elle  est, en efeft, dès le départ de l’intrigue,  avec sa fille Cécile, une des principales victimes de ce redoutable couple de libertins; Si elle a su identifier les ruses de Valmont, elle s’est montrée  incapable de déceler sous le masque de la bonne amie, les véritables intentions de Madame de Merteuil et se trompe complètement sur cette dernière.  Comme Madame de La Fayette, Laclos dépeint les pièges de l’amour et les dangers de la  dissimulation  : la galanterie a fait place au libertinage et si Madame de Clèves a réussi, grâce à son incomparable vertu, à fuir la menace qui pesait sur sa réputation, Madame de Tourvel, en succombant au Vicomte, le paiera de son  honneur et de sa vie .