21. janvier 2022 · Commentaires fermés sur La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : un texte engagé ou une simple réécriture féministe? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Divers, Première · Tags: , ,

La Révolution française a été préparée par l’effervescence intellectuelle des Lumières : dans toute l’Europe, scientifiques et hommes de lettres , artistes et hommes de loi , réfléchissent aux améliorations à apporter à leur société ; réformes des institutions politiques , obtention de nouveaux droits civiques comme la modification du type de scrutin électoral, abrogation de la monarchie au profit de la République et de la démocratie, abolition de l’esclavage et défense des droits des minorités font partie de leurs revendications . Dans ce  contexte de bouillonnement, des hommes et des femmes s’interrogent sur   la manière d’opérer ces transformations de la société ; Parmi les révolutionnaires, certains sont plus modérés que d’autres et la Terreur exercée par les extrémistes partisans de méthodes radicales , contribue à diviser les rangs de ceux qui combattent au nom des droits de l’homme et du citoyen. Le texte qui va servir de base à la constitution de notre premier épisode républicain, nous le devons à l’Assemblée constituante, qui charge 5 députés ( dont Mirabeau ) de réunir différentes propositions .À travers son préambule et ses dix-sept articles , la déclaration des droits de l’homme et du citoyen  définit des droits « naturels et imprescriptibles » que sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression, elle reconnaît l’égalité devant la loi et la justice, et elle affirme le principe de la séparation des pouvoirs. Mais ce text fondamental semble avoir oublié de donner de nouveaux droits aux représentante du sexe féminin :  c’est cet oubli que tentera de réparer Olympe de eGouges en écrivant la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. 

 

Le texte original tel que vous le trouvez sur le site de l’Elysée

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous……

Article premier– Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2.– Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Article 3.– Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4.– La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5.La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6.– La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7.– Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.

Article 8.– La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9.Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10.– Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11.– La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12.– La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Article 13.– Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14.– Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15.– La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16.– Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Article 17.– La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Examinons maintenant le projet de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : se contente-t-elle de remplacer le mot homme par le mot femme et d’ajouter des suffixes féminins ? S’agit -il simplement  de rendre les femmes visibles dans la langue ou de leur donner une plus grande place dans la société et de nouveaux droits qui ne seront pas liés à leur appartenance à un genre ou à un sexe ? 

La genèse du texte de la DDFC : elle est composée dans l’urgence ; Olympe de Gouges la dicte à son secrétaire car elle ne peut pas prendre elle-même la parole à l’assemblée et son travail de réécriture passera inaperçu.  Il faudra attendre 1986 et le travail de Benoïte Groult pour découvrir ce texte féministe. La consécration arrivera en 2016 : Olympe de Gouges sera la première femme dont le buste figure à l’Assemblée Nationale, parmi ses collègues masculins. 

Une réécriture polémique ?

Notons tout d’abord que le préambule et les 17 articles de la déclaration sont construits sur le modèle de la DDHC avec quelques ajouts dans les articles 2, 4et 11; Ces ajouts ou ces modifications reposent sur des détails comme lorsqu’elle nomme les femmes “ le sexe supérieur en beauté comme ne courage dans les souffrances maternelles ”  Mais un ajout de taille vient modifier la nature même du texte : il s’agit du postambule  où on retrouve le style polémique caractéristique du pamphlet. Olympe de Gouges s’y attaque à de nombreux adversaires dont elle dénonce les excès : révolutionnaires violents, esclavagistes, clergé. Elle se sert donc du texte fondateur de la DDHC , à la fois pour en reprendre l’esprit mais également en le critiquant pour montrer qu’il exclut des avancées dans le domaine des droits des femmes .

La déclaration dans ce postambule prend des allures de discours et cherche à être efficace mais il bouscule les lois du genre : en guise d’exorde, il contient une adresse à la reine, personnage détesté par les révolutionnaires  Olympe s’adresse à la femme et non à la souveraine , et  la soumet à une sorte de chantage ; Elle lui rappelle qu’elle n’est qu’une femme comme les autres en dépit de son statut de souveraine.

Que revendique-t-elle ? Olympe de Gouges demande que l’Assemblée donne aux femmes françaises des droits politiques et économiques.  La réforme des droits des femmes passe obligatoirement par la réforme du statut du mariage ; S’ inspirant du modèle du contrat social imaginé par le philosophe Jean-Jacques Rousseau, elle propose que le mariage soit une sorte de contrat passé entre l’homme et la femme. Ainsi ce contrat peut être révoqué librement  par l’une ou l’autre des participants s’il ne le juge pas bénéfique . 

L’ adresse à la reine : Olympe  nomme  Marie -Antoinette ,Madame : ce qui contribue à lui ôter son statut royal et à la faire ressembler à toutes les femmes ; cela fait d’elle une  simple citoyenne comme les autres .Elle prend d’emblée ses distances avec le ton flatteur des courtisans ” je n’emploierai point, écrit-elle, l’adulation des courtisans ” . elle prétend aussi que la révolution qu’elle nomme en utilisant une périphrase ” l’époque de la liberté ”  ne l’a pas changée . Elle rappelle qu’elle a pris la défense de la reine contre tous ceux qui voulaient sa mort . Elle lui demande ensuite d’exercer son influence à l’étranger pour faire revenir en France les nobles exilés qui complotent contre la sureté de l’État en prévoyant de mettre sur pied une armée . Si la reine collabore avec ces étrangers qui veulent “porter le fer ” en France , alors elle deviendra une traitresse : “une implacable ennemie”.  La peine capitale paraît , à cet égard, justifiée . Cette idée est confirmée en expliquant “ les projets sanguinaires précipiteraient votre chute”  . L’autrice évoque ensuite le hasard qui a permis à la reine d’occuper une place éminente et son statut lui confère des responsabilités et des devoirs . Elle lui conseille ensuite de penser à la trace qu’elle laissera dans l’Histoire ; En agissant ainsi, la reine contribuera à faire avancer les droits des femmes selon l’image “ donner à votre sexe toute la consistance dont il est susceptible” . Nous sommes bien loin de l’image ici de la femme frivole et inconséquente. Olympe termine par une adresse à toutes les femmes qu’elle appelle à se mobiliser pour défendre les intérêts de leur “malheureux sexe”