27. juillet 2022 · Commentaires fermés sur Maria Pourchet : Toutes les femmes sauf une ..un récit sur le mal de mère · Catégories: Le livre du mois · Tags:

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Certains romans vous laissent un arrière goût amer et ce récit paru en 2018 peut réveiller de vieilles blessures mal cicatrisées. On y entend une toute jeune mère évoquer , à la faveur de la naissance de sa fille à laquelle elle s’adresse , les paroles de sa propre mère . Ce dialogue qui n’en est pas vraiment un , fait résonner les mots durs d’une marâtre à la langue de vipère , nantie d’une “imagination tarée vouée à détruire les siens ” . Les éclats de voix ressurgissent et s’engouffrent dans la chambre de l’éventrée avec le berceau ; Adèle, le bébé, devient ainsi la dépositaire des mots de sa mère et recueille ses éclats d’orage et de colère. 

Chez les animaux que nous sommes, fous du désir de parler, ça commence par la catastrophe de la langue. Le mots qu’on nous dit, les phrases pour nous assommer, les phrases pour nous gouverner, les phrases pour endormir, interdire, séparer, les phrases pour reproduire. ” ( p 12 ) 

Les injonctions de la mère sont  toutes rapportées en italique et forment une litanie de consignes humiliantes et  contradictoires  qui façonnent l’enfant et contribuent à lui donner une piètre image d’elle-même  “Reste à ta place; Reste pas dans mes jupes; Garde tes distances  Ne réclame pas; Ne te fais pas remarquer” . Il me reste de mon enfance, écrit la narratrice, le bruit que font les femmes entre elles à propos des absentes” ( p 15 ) : ragots et rancoeurs  , haine que les femmes vouent à leur genre maudit . A toutes les époques où les Hommes  tracent le chemin, écrivent l’histoire, dictent leurs lois et montrent la voie, naître femme ne va pas de soi.

Surgissent , dans le désordre , les blessures de l’enfance : longues après-midi solitaires occupées à lire à l’ombre des arbres . La jeune fille cherche son souffle , son tempo et sa féminité ; féminin condamnée par la haine tenace de la mère  ” tout est interdit, tout est porno “écrit-elle ; Elle s’imagine alors , pour grandir , qu’elle est un garçon  ” Je suis au masculin, Je suis content, heureux, peureux, je suis un romancier, je suis votre serviteur. Le e n’arrive pas: la langue échoue à le dire . ” ( p 49 ) 

Elle grandit seule, sans amour et sans jamais qu’on la touche ” je connais de la douceur si peu de choses, écrit-elle , sinon la fourrure des animaux “. Devenue mère, elle prend sa fille à témoin de ses souffrances passées . L’adolescence est retracée comme un long hiver  dont elle ne parvient que difficilement à sortir, engourdie de froid, dans l’épaisseur d’un désamour chronique .Peu à peu, la peur s’infiltre comme un cancer  “la peur d’elle est inscrite au coeur de mes cellules, depuis l’origine de la matriligne où la première mère a terrorisé la première fille” ( p 50) ; C’est ce qui est passionnant dans ce récit : la voix de la narratrice convoque celles de toutes les générations de femmes : celles d’où l’on vient , les mères des mères de nos mères qui composent une cohorte d’ombres tantôt écrasantes et parfois protectrices .L’aïeule qui apprend la valeur du rire , celle qui meurt en donnant la vie ,  toutes celles qui triment en silence , dans la soumission ,  celles qui essuient leurs larmes dans la cuisine, avec un torchon sale, celles qui s’éteignent sur leur lit , toutes habillées et  toutes celles qui rêvent d’une vie différente .

Ce récit mêle les souffrances de l’enfant , de la fille et de la jeune mère, confrontée, dans cette chambre de maternité, à un bébé que son corps semble refuser à tel point que les psychologues s’alarment de son comportement et lui proposent des calmants. Pourtant, aux souvenirs de l’humiliation permanente se substitue , au fur et à mesure , la conscience  qu’il est fortement possible que “toutes les phrases en italique prononcées par ma mère , lui aient été adressées par la sienne , à qui la sienne parlait ainsi.” ( p 84 )  Chaîne maudite de la destruction des femmes par d’autres femmes qui donne une dimension tragique à la reconstitution sociologique . Et face à la voix de la narratrice, à portée de voix justement , on imagine le bébé dans son berceau en plexiglas; Adèle hurle  comme une petite louve esseulée qui cherche déjà à se faire entendre et bat la mesure du parcours de sa mère qui travaille , vieillit, essaie de s’installer et finit par se résoudre à écrire pour que sa mère, celle qui hante ses nuits , se taise enfin. Pendant qu’Adèle découvre , toutes les trois heures, le même effroi recommencé, la femme devenue sa mère, découvre l’autre côté du miroir, sa  nouvelle place .  Elle doit apprendre, pour se retrouver,  à décoller les mots qui forment  comme des croûtes : ‘T’as intérêt à faire gaffe. T’as intérêt à regarder où tu met les pieds . Tu perds rien pour attendre . ”  “le lexique de la dette recouvre tôt la langue d’une autre couche qui durcit avec le temps , avec moi “  pense -t-elle et ce combat qui commence pour elle, va consister à rompre enfin la mécanique infernale. 

 L’épilogue montre la grand mère  qui rencontre sa petite fille mais ne peut la tenir dans ses bras.  Marie, témoin de cette scène capitale écrit  “j’ai senti se défaire les deux anneaux d’une chaîne entre la gorge et l’estomac et l’air venir par là. Une vie durant je l’ai haïe de n’être plus ce qu’elle n’a jamais été. Une paire de bras, une chaude, une qui materne. Pourtant ça crevait les yeux. Et de la nuit de  mon temps remonte , car c’est l’heure, la seule phrase qu’il ne fallait pas oublier ” Ta mère , elle n’était pas faite pour ça’ .Ca c’est moi, “ajoute-t-elle,”  ce n’est pas un drame. je me materne très bien toute seule . Parce que la mère, c’est moi. ”  ( p 121 ) 

Un récit à conseiller à toutes celles qui cherchent à comprendre ce qui fait de nous des filles, des femmes , des mères et comment nous parvenons à  fair tenir ensemble  l’image de celles qui furent, nos grand-mères et celles seront un jour prochain, femmes à leur tour . Toutes nous  prenons place, côte à côte, dans la chaîne qui nous lie et nous maintient  .