29. janvier 2023 · Commentaires fermés sur Comment penser l’innommable? : exprimer la violence du génocide · Catégories: Terminale spécialité HLP · Tags: , , ,

Si les historiens ne sont pas tous d’accord sur les limites de la définition du terme génocide, on pénètre avec ce mot dans l’univers des crimes de masse perpétrés au nom d’une idéologie. Le terme a été utilisé par le juriste polonais Raphael Lemkin  en 1944, pour désigner  « la pratique de l’extermination de nations et de groupes ethniques ».Ensuite , ce mot été employé rétrospectivement pour le massacre systématique des Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand (1904-1908), celui des Arméniens par les Turcs (1915-1916), et , plus récemment  celui des Tutsi au Rwanda (1994). Ces précisions émanent du mémorial de la shoah , autre terme hébreu ( traduction: catastrophe)  qui cette fois, désigne  l’Holocauste ou la persécution et l’assassinat systématique de 6 millions de Juifs, organisé par l’État nazi et ses collaborateurs de 1933 à 1945. En plus de commettre le génocide des Juifs, les nazis ont commis le génocide des Roms et des Sinti.

Si les témoignages ne manquent pas sur la violence de la seconde guerre mondiale et notamment sur les conséquences du système concentrationnaire , véritable machine à exterminer l’humain, mise au point par l’Etat nazi et ses complices, le génocide des tutsi a d’abord fait l’objet d’une sorte de silence gêné par la position  du gouvernement français lors de ces événements dramatiques . Pour en savoir plus sur cet événement, reportez-vous au site du mémorial de la shoah . En quelques mots ,le génocide a fait un million de victimes en l’espace de 3 mois. Il a débuté par une stigmatisation des tutsi et un conditionnement haineux de la population : qualifiés de nuisibles , les tutsis sont traqués par la population locale et tués comme du bétail ; L’absence de réaction de la communauté internationale a été un facteur déterminant .  Les possesseurs d’une carte d’identité portant la mention « tutsi » sont abattus sur place. L’implication de la population civile dans les massacres est un des traits marquant du génocide qui s’est déroulé dans les villages , avec l’aide de groupes armés qui comptaient aussi bien des femmes que des enfants . C’est finalement la victoire militaire de l’armée du Front patriotique Rwandais créée par les Tutsi en 1987 qui mit fin aux massacres . Gael Faye qui a grandi au Burundi et qui a été témoin de ces événements dramatiques , décide d’écrire en, 2006, une fiction qui évoque son “Petit pays ” et le génocide rwandais.

Petit pays est avant tout un roman, une fiction : ce  n’est pas seulement  un témoignage mais  plutôt un récit sur l’enfance et la violence du génocide vient faire irruption au milieu des souvenirs de ce personnage Gaby , âgé d’une dizaine d’années; La violence est là aussi, vue à hauteur d’enfant . Voilà un extrait d’un entretien accordé à un journaliste , après la sortie de son roman .

 Question du journaliste :  Au début, c’est le paradis perdu. D’ailleurs le livre a un ton léger puisque ce jeune narrateur raconte sa famille, son père, sa mère qu’il aime beaucoup, ses copains, les quatre-cents coups avec la bande des jumeaux : Armand, Gino… C’est les cinq garçons inséparables. Gabriel découvre la vie… Tout est frais. Et puis, peu à peu, l’histoire de l’Afrique le rattrape : les guerres au Burundi, au Rwanda, les massacres qui vont donner un ton beaucoup plus grave au récit. Est-ce que cette douleur, que vous avez connue enfant, s’est accentuée au moment de l’écriture ou s’est atténuée comme un fardeau qu’on dépose ?

 Réponse de l’écrivain :” Je n’ai pas eu besoin de ce livre pour déposer un fardeau ou pour être dans une forme de thérapie par l’écriture. La musique m’avait permis déjà de franchir ce pas. Ce roman, je l’ai écrit beaucoup plus en souriant qu’en pleurant. Parce que j’ai réussi à faire surgir un monde qui a disparu, qui reste dans la mémoire, dans les souvenirs de personnes qui ont vécu cette époque-là…. J’ai ressenti de vieilles sensations. Je n’ai pas ressenti de douleur. Je l’ai même atténuée. La guerre, la souffrance est pour moi atténuée, non seulement par le regard de l’enfant, mais même dans les descriptions. Ce qui s’est passé dans ces régions-là a atteint des sommets de violence et d’horreur que même la littérature ne pourrait pas décrire. Et j’ai essayé – comme le personnage met la violence à distance, moi-même en tant qu’écrivain à ce moment-là – j’ai essayé de mettre le plus longtemps cette violence à distance et de ne pas trop la décrire.”