15. novembre 2020 · Commentaires fermés sur La mort de Madame de Chartres :disparition organisée d’un personnage · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:
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Le roman de Madame de Lafayette est un roman d’apprentissage qui  retrace l’évolution d’une jeune fille qui découvre la cour et ses nombreux dangers; Premier roman d’analyse psychologique, il tente de nous initier aux  subtilités de la peinture des sentiments et représente les dangers de l’amour passion. Mademoiselle de Chartres épouse Monsieur de Clèves  non pas parce qu’elle est tombée amoureuse de lui mais parce qu’elle considère, suivant en cela l’avis de sa mère, qu’il constitue pour elle le meilleur des partis et le meilleur des maris . Mais lorsqu’elle va réaliser la nature et la force de ce qu’elle  éprouve pour la Duc de Nemours, elle n’ose en parler avec sa mère; Cette dernière a déjà tout deviné et la jeune fille compte beaucoup sur elle et son expérience ; C’est à ce moment que l’auteure choisit de faire disparaître Madame de Chartres , afin de laisser le personnage de la Princesse  seule, face au choix de sa ligne de conduite. La mort du personnage de la mère a ici une fonction dramatique essentielle et constitue un motif important  de l’intrigue.

Le passage que nous allons étudier retrace les adieux de la mère à sa  fille de “Il faut nous quitter ma fille à …pour n’en être pas le témoin ”   Il contient donc une dimension pathétique incontestable ( axe de lecture principal )  et permet de mettre le personnage de  la Princesse face aux dangers qui  la menacent . Nous verrons comment l’écrivaine construit cette scène pathétique qui clôt le premier tome  du roman. Examinons tout d’abord la force morale dont fait preuve Madame de Chartres .

La mère,  a reçu, en effet ,  dans les paragraphes qui précèdent notre extrait , l’annonce de son état critique, avec un détachement qui force l’admiration : “ un courage digne de sa vertu et de sa piété;” D’emblée , la mère de l’héroïne est présentée comme une femme exceptionnelle , d’une grandeur d’âme hors du commun. On retrouve ici la dimension hyperbolique et élogieuse qui caractérise chaque portrait de personnage dans ce roman. En effet, le but de Madame de Lafayette n’est pas du tout d’être réaliste mais de donner une image d’un idéal à la fois physique et moral.

La scène des adieux est un face à face entre les deux femmes car Madame de Chartes a demandé à tout le monde de sortir de sa chambre; Elle ne souhaite pas qu’ils puissent entendre ce qu’elle doit dire à sa fille, en privé. : on notera que la Princesse demeure silencieuse . Le discours de la mère repose sur de nombreuses injonctions : “il faut nous quitter.. il faut de grands efforts “ et des tournures impératives  réitérées  ” songez ce que vous devez…ayez de la force et du courage ” . Ce sont plus que des conseils qu’elle prodigue à sa fille : cela ressemble à des consignes et les paroles prononcées par la mère auront un retentissement important. La manière dont elle s’adresse à la princesse, on, l’a vu, ne souffre pas de réponse ; Madame de Chartres, en effet,  fait elle-même les questions et les réponses .

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La mère commence par rappeler à sa fille les dangers qui l’entourent et termine son discours par des images effrayantes : le champ lexical du danger apparaît ,dès les premières lignes avec le mot “péril où je vous laisse ”   ainsi que le mot peur associé à l’image du  précipice  un peu plus loin Il s’agit ici d’un péril souvent mentionné dans les textes religieux; Les pêcheurs sont condamnés à sombrer dans l’abîme qui les mène droit en enfer. On retrouvera cette idée à la fin de la réplique de la mère avec l’expression “tomber “; La mère préfère la mort que de voir sa file devenir une femme adultère; Madame de Chartres peint à sa fille un tableau très noir des malheurs qui attendent ceux qui se laissent aller à des sentiments interdits. Ces injonctions maternelles vont contribuer à façonner la conduite de la princesse qui finira , après l’aveu à son mari, et sa mort, par renoncer définitivement à aimer le Duc de Nemours . Elle souhaitait continuer à jouer un rôle important dans l’éducation de sa fille  comme le mentionne l’expression “le besoin que vous avez de moi ” . Avec la disparition de son mentor, Mademoiselle de Chartres se retrouve seule avec ses doutes et sa mère mentionne, d’ailleurs, presque immédiatement, le principal danger qui la menace: “l’inclination pour M de Nemours ” Elle coupe court ensuite à toute protestation éventuelle en spécifiant “ je ne vous demande point de me l’avouer “; On sent bien que le temps presse et qu’il y a des choses plus importantes à dire ; La mère explique qu’elle a remarqué “cette inclination ” depuis déjà un moment : ce qui signifie que la jeune Princesse est incapable de dissimuler publiquement ses sentiments ; elle peut donc facilement être percée à jour : ce qui constitue, à la Cour, un danger supplémentaire . Madame de Chartres nous fait comprendre qu’elle a deviné avant même que sa fille s’en aperçoive, qu’elle était en train de tomber amoureuse; En femme d’expérience, elle a pu observer des changements infimes dans le comportement de sa fille ; Mais le temps est venu de parler car la jeune femme a réalisé ce qui se passait en elle ” Vous ne la connaissez que trop présentement ” ; dans ce roman d’analyse psychologique, on voit que les sentiments évoluent chez les personnages comme c’est le cas dans la vraie vie.  La révélation de Madame de Chartres se termine par une sévère mise en garde : elle cherche à effrayer sa fille en lui montrant les dangers de cet amour qui peut la mener jusqu’au “précipice ” .

De plus, la mère ne cesse de mettre en garde la jeune princesse contre elle-même : elle mentionne que de “grands efforts ” et “de grande violence ” seront nécessaires pour la retenir et  pour qu’elle demeure sur le droit chemin. Elle mentionne également  des solutions pour échapper à cette “inclination”  comme par exemple demander au Prince son époux de l’éloigner de la cour et de l’emmener à la campagne, loin des mondanités où elle pourrait rencontrer le Duc. On retrouve ici une forme de pragmatisme que s’efforcera de suivre la Princesse en prétextant, à plusieurs reprises , un besoin d’éloignement et de solitude .

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La mère fait des confidences à la princesse et lui avoue , notamment qu’elle a deviné ses  véritables sentiments : “il y a longtemps , dit-elle, que je me suis aperçue, de cette inclination”; Il est intéressant de commenter ici le choix éducatif effectué par Madame de Chartres ; cette dernière a souhaité, en  effet, avant tout la protéger, en se taisant .  Elle pensait ainsi différer la révélation de cet amour éprouvé par sa fille : Elle commence par une modalité assertive qui peut surprendre le lecteur : “vous avez de l’inclination pour Monsieur de Nemours”  et qui  démontre aussi qu’elle connaît  bien sa fille; Elle évoque ensuite son rôle d’éducatrice avec le  verbe ‘conduire” ; Elle joue le rôle de celle qui montre la voie à suivre, celle qui guide les pas  de la plus jeune en raison de son expérience de la vie . Cette fonction éducative est à la  base même de la plupart des portraits de mère en littérature. On y retrouve l’idée d’un modèle à suivre et d’ailleurs Madame de Chartres tente de persuader sa fille en utilisant ses sentiments pour elle ; C’est le cas , par exemple, quand Madame de Lafayette écrit : “si ce malheur devait vous arriver, je reçois la mort avec joie de n’en pas être témoin.” A noter que c’est à cette phrase que la jeune femme réagit le plus violemment et fond en larmes sur la main de sa mère. Elle aura toujours en effet, l’impression de trahir la confiance de cette dernière si elle cède à ses sentiments ; à la fin du roman, elle deviendra  très pieuse et suivra la voie de la religion.

Le catholicisme de la seconde moitié du dix-septième siècle est marqué par l’influence du jansénisme. Cette doctrine refuse à l’homme son libre-arbitre et tente de montrer que les hommes sont aveuglés par leurs passions et marqués par le péché; Ils ne peuvent ainsi atteindre la vérité et le bonheur; Madame de La Fayette adhère à cette forme de pessimisme que nous retrouvons  dans le roman ; Elle partage les mêmes idées que Blaise Pascal et La Rochefoucauld qui, ne cesse de démontrer dans ses Maximes que l’homme est aveuglé par les passions et notamment l’une des plus dangereuses de toutes, à ses yeux, l’amour-propre.

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La mère de la princesse occupe un rôle semblable au destin, au fatum tragique; En effet, c’est elle qui décide de lui donner un mari qu’elle n’aimera pas , laissant ainsi se développer, hors du mariage, un sentiment d’amour inassouvi qui la pousse vers le Duc de Nemours et qui finira par la tuer. mais au moment de la quitter, elle prend place dans son esprit en lui insufflant ses craintes de la voir chuter : ”  Son ton se fait tragique : “Pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise et que je vous ai tant souhaitée” : en se déshonorant, la princesse fait rejaillir la honte sur sa mère ; Mais cette dernière lui propose également des moyens d’échapper à cette  passion qu’elle ne doit cesser de combattre  : ” retirez-vous de la Cour, obligez votre mari de vous emmener ” Les impératifs ici se font catégoriques et ressemblent davantage à des ordres qu’à des conseils.   La jeune épouse s’efforcera, dans la suite, d’exécuter les volontés de sa mère ;  Mais elle ne la blâme pas ; elle s’efforce de lui insuffler du courage notamment lorsqu’elle affirme “ ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles “. Les deux adjectifs peuvent paraître redondants mais ils permettent de mesurer la difficulté de l’entreprise et la force qui sera nécessaire à l’héroïne pour échapper à cette passion destructrice.

On voit donc ici que la fonction d’un personnage ne se limite pas à ses apparitions dans le roman; Même si elle quitte le livre à la fin du premier tome, le personnage de Madame de Chartres reste très présent car ses pensées, ses recommandations, son esprit même ne cessent d’accompagner Madame de Clèves . Le ton se fait alors prophétique comme si, sur son lit de mort, elle livrait à sa fille des visions de l’au delà : “quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord, ils seront plus doux dans les suites que les malheurs de la galanterie.  Madame de Chartres encourage la fuite de sa fille et y voit son unique chance de salut , face aux progrès de la passion dans son esprit. Elle va employer un dernier argument pour persuader sa fille de suivre ses recommandations . Elle lui demande d’agir selon ses conseils pour ne pas lui causer de la peine ; c’est une forme de chantage affectif qui fonctionne lorsque le lien qui unit deux personnes est fort . Madame de Chartres affirme clairement préférer mourir plutôt que d’assister à la chute de sa fille ; “vous voir tomber comme les autres femmes “ . Une fois de plus, si l’héroïne est capable de résister,alors son destin sera exceptionnel et c’est en cela qu’elle atteindra une dimension héroïque qui la placera au-dessus du commun des mortels.

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Pour conclure: en mourant, Madame de Chartres livre ainsi la jeune fille à elle-même et aux désordres de la passion qu’elle s’efforce de réprimer mais qui sèment le trouble en elle. A l’injonction de sa mère : “Songez ce que vous vous devez à vous même” elle répond, un peu plus tard , par une interrogation : ” Veux-je me manquer à moi même ? ” Effrayée par la possibilité que le Duc la trompe un jour si elle cédait à ses avances, elle se réfugiera dans une sorte d’idéalisation de l’amour et renoncera, de ce fait , à toute forme d’amour durant sa vie  terrestre .  Le dénouement du roman a intrigué beaucoup de lecteurs car on a du mal à comprendre pourquoi la Princesse , veuve,renonce à vivre cet amour . On peut émettre l’hypothèse que le remords d’avoir causé la mort de son époux lui interdit, à tout jamais,  d’être heureuse . On peut aussi repenser au rôle déterminant du jansénisme . Mais n’est ce pas aussi par orgueil qu’elle refuse de devenir comme les autres femmes, délaissées et trompées  par l’homme qu’elles aiment ? Avec son choix , elle échappe à un destin  très  commun pour rejoindre celui des héroïnes tragiques

La mort de Madame de Chartres est décrite , ensuite , avec beaucoup de pudeur : elle s’éteint comme une sainte ” : “ne songea plus qu’à se préparer à la mort “  en refusant de revoir sa fille . La fin du passage montre le désespoir de la jeune fille : “affliction extrême “ et elle trouve du réconfort auprès de son époux auquel elle demande immédiatement de l’emmener à la campagne ,  sous prétexte de “l’éloigner d’ un lieu qui ne faisait qu’aigrir sa douleur;” Le lecteur sait, en fait, qu’il  ne s’agit que d’un prétexte et qu’elle fuit, sur les conseils de sa mère défunte, les tourments de la passion. La  jeune fille ressent cruellement l’absence de sa mère car elle sait avoir besoin d’elle pour se défendre contre Monsieur de Nemours. La disparition du personnage rend l’héroïne éminemment vulnérable et c’est ce qui renforce la dimension tragique du livre; Cette péripétie est donc très importante et marque un tournant dans l’intrigue en laissant la princesse seule avec elle-même  .

Le prince et son épouse

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07. novembre 2020 · Commentaires fermés sur La princesse de Clèves : portrait et idéalisation · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

L’héroïne du roman de Madame de La Fayette a droit à un portait qui la magnifie qui est situé juste après les portraits des Grands de la Cour : le roi, la reine, Diane de Poitiers et la famille royale; ensuite,  comme pour respecter une sorte de hiérarchie naturelle, on trouve les chefs de file des grandes familles notamment l’oncle de l’héroïne, le vidame de Chartres “également distingué dans la guerre et dans la galanterie : beau , de bonne mine, vaillant, hardi, libéral ”  et la galerie de portraits se termine par celui du Duc de Nemours ” un chef d’oeuvre de la nature“ce qu’il avait de moins admirable, c’était d’être l’homme du monde le mieux fait et le plus beau ” Les portraits ont tous en commun d’être idéalisés ; Les qualités des personnages  sont présentées avec force hyperboles et énumérations d’adjectifs tous plus laudatifs les uns que les autres; Dans ce contexte, voyons comment est  construit le portrait de celle qui va devenir l’héroïne du récit . La lecture linéaire du portrait commence à  ” Il parut alors une beauté à la cour ..et se termine avec “aimer son mari et d’en être aimée ”

Nous sommes au début du roman juste après ce  tableau de la Cour de France à l’époque des Valois, cour où règnent l’observation permanente, les intrigues, la galanterie, la dissimulation et le paraître.  Mme de Lafayette s’est arrêtée un instant sur le duc de Nemours pour en peindre les qualités exceptionnelles juste avant d’évoquer son projet de mariage avec la reine d’Angleterre.. Elle nous propose maintenant celui de la future Princesse de Clèves, tout aussi extraordinaire, et le lecteur, même à ce stade du roman, ne peut s’empêcher de rapprocher les qualités des deux personnages .Le portrait qui nous est proposé  va précéder lui aussi un projet de mariage ; il est  quelque peu surprenant par rapport à celui des autres personnages dans la mesure  où l’on s’attendait surtout  à une description physique et morale de l’héroïne mais on va davantage trouver l’évocation des qualités de  sa mère et des références précises à  l’éducation reçue . Quels sont les éléments de ce portrait ? Plus »

10. octobre 2020 · Commentaires fermés sur Perrette et le pot au lait : lecture linéaire · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Jean de La Fontaine est un     auteur et  poète  français du courant classique  dont l’histoire littéraire retient essentiellement les Fables, dont certaines  sont inspirées d’Esope   une . La plupart de ses fables, en nous donnant des leçons de sagesse , confirment son ambition de   moraliste. Proche de Fouquet, son premier mécène mais également son ami  , Jean de La Fontaine restera longtemps  à l’écart de la cour royale après sa disgrâce .  Il fut, en effet, écarté de la Cour pour avoir pris la défense du surintendant des finances contre le roi en écrivant un poème satirique : Elégie aux nymphes de Vaux ( Vaux le Vicomte était la demeure de Fouquet). De retour à la Cour, il fréquente alors les  salons et les cercles  littéraires   comme celui de Madame de La Sablière qui deviendra l’une de ses protectrices.
Composé à partir de 1878, le second recueil de fables, dédié à Madame de Montespan  comporte 4 livres  et plus de 70 fables. La laitière et le pot au lait : appartient au Livre VII des Fables. L’animal n’est plus ici le personnage central du récit : le fabuliste met en scène une jeune paysanne entreprenante qui se rend à la ville et rêve de fortune.  Son imagination va la mener très loin Comment l’auteur met-il en scène le bonheur et ensuite le malheur de Perrette  et quelle leçon devons-nous retenir ? 
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04. avril 2020 · Commentaires fermés sur L’Horloge de Baudelaire : l’image du Temps · Catégories: Commentaires littéraires, Lectures linéaires, Première · Tags:
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Lorsque Baudelaire publie son recueil Les Fleurs Du Mal en 1857, il se situe encore au carrefour de trois influences majeures pour la poésie  au dix-neuvième siècle : le romantisme qui privilégie l’expression personnelle des sentiments, le symbolisme qui s’efforce de révéler le sens caché des choses au moyen des symboles ; l’expression des sentiments devient alors indirecte; et le Parnasse qui accorde une attention particulière à la forme et refuse l’engagement de l’Art ainsi que le préconise Théophile Gautier, son chef de file, dans une formule originale : “il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien” 

L’Horloge clôt la section du recueil intitulée “Spleen et Idéal” et il a pour thème principal le Temps . Comment le poète a-t-il choisi de représenter le Temps  qui passe ?   Plus »

20. mars 2020 · Commentaires fermés sur Le poète en oiseau : l’Albatros de Baudelaire · Catégories: Commentaires littéraires, Lectures linéaires, Première · Tags:
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  Le dix-neuvième siècle est  marqué par la succession de différents mouvements littéraires : le romantisme est contesté par les fondateurs du Parnasse et après eux, les Symbolistes définiront un nouvel art poétique. Charles Baudelaire se trouve  précisément au carrefour de ces trois courants . Son recueil Les Fleurs du Mal qui paraît  1857  fit scandale et lui vaudra un procès retentissant ; Le poète sera contraint de censurer des pièces jugées scandaleuses et de livrer ainsi , au public, une version expurgée de son recueil . Dans la continuité du mouvement romantique, on retrouve  des thématiques communes et notamment l‘expression du  mal de vivre, qui chez Baudelaire, s’amplifie et devient le Spleen . Nous verrons comment Baudelaire, dans « l’Albatros », propose une image du poète en oiseau; Il   oppose l’Idéal au Spleen,  et met en scène une vision pessimiste de la société, dans laquelle le poète ne trouve pas sa place. Plus »

19. mars 2020 · Commentaires fermés sur Un dénouement tragique et une passion tragique : la mort de Ruy Blas · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Le drame romantique, inventé par Victor Hugo , est un type de spectacle qui  tente d’effectuer la synthèse entre des éléments issus de la tragédie  , et d’autres  issus de la comédie. En 1827 Hugo dans la Préface d’une de ses pièces , définit ce théâtre comme un mélange de sublime te de grotesque. Avec son drame  Ruy Blas ,  en 1838 il mêle une intrigue amoureuse et une trame politique; Un valet, manipulé par son ancien maître chassé de la cour, va révéler  progressivement son amour à la reine d’Espagne mais il cache un terrible secret: son identité véritable. Lorsque Don Salluste revient à la Cour et fait éclater la supercherie, il le tue sous les yeux de la reine. Cette dernière est atterrée par ce qu’elle vient d’apprendre et demeure sans voix “immobile te glacée” ; Quel dénouement Hugo a -t-il choisi ? la passion va-t-elle triompher ? On peut en douter . Commençons la lecture linéaire …

Ruy Blas reste à distance comme l’indique la didascalie interne du vers 2 : “je n’approcherai pas “ . Cet aspect solennel est celui de la tragédie classique dans laquelle les personnages s’expriment avec solennité. Le personnage de Ruy Blas tente de se faire pardonner ce qui peut être qualifié de “trahison ” comme on le lit au vers 6 . Il a, en effet, accepté de se faire passer pour un noble alors qu’il est d’origine modeste et a menti sur sa véritable identité, allant même jusqu’à accepter les fonctions de premier ministre en l’absence du roi . On remarque que les alexandrins sont “disloqués ” ainsi que le voulait Hugo qui a tenté de créer ainsi un langage théâtral plus naturel . L’agitation du personnage se traduit également par un bouleversement de la syntaxe et de nombreux enjambements comme aux vers 5 et 6 . Le champ lexical de la faute est très présent au début du passage avec le terme trahison déjà mentionné au vers 6. Ruy Blas se sent fautif mais il tente de se justifier et on le remarque notamment l’atténuation de sa culpabilité avec la négation partielle je ne suis point coupable autant que vous croyez ” au vers 3. L’aveu  explicite de la faute apparaît au vers 9, à la fin de la première tirade et la cause est précisée : “cet amour m’a perdu ” ; On retrouve un thème important dans la tragédie classique: les dangers de la passion qui mène les hommes à leur perte; Il n’est plus question ici de fatalité ou de malédiction divine comme dans Phèdre mais le personnage, sous l’effet de sa passion amoureuse pour la reine, est devenu malhonnête et a renoncé à des valeurs comme la droiture, la sincérité. Il a, malgré lui, accepté de participer à la tentative de disgrâce de la reine; Il est devenu complice d’un criminel et criminel à son tour, en devenant le meurtrier de Don Salluste.

A genoux, dans une attitude de supplication , devant la reine, il ne la laisse pas s’exprimer et poursuit, au vers 11 , ses aveux , qu’il diffère pourtant à plusieurs reprises je vais de point en point tout dire ” lit-on aux vers 13 et 14 avec un nouvel  enjambement qui marque une sorte d’étirement de la révélation. Le personnage répète, comme pour mieux nous en convaincre qu’il n’a pas l’âme vile ; l'adjectif vil rappelle qu'il est de basse extraction (c'est un valet au départ, un serviteur ) ; Hugo veut montrer dans ce drame que les qualités morales et intellectuelles  d'un homme ne sont pas liées à sa condition sociale et qu'on peut devenir un dirigeant politique même lorsqu'on n'est pas de haute naissance. Les idéaux révolutionnaires ont fait leur chemin et au moment où la France est redevenue provisoirement une royauté, Hugo marque ici son engagement pour le peuple qu'il souhaite associer au pouvoir. Le personnage de Ruy Blas se transforme , à ce moment , en une sorte de figure christique et le dramaturge utilise des symboles pour accentuer la ressemblance entre son héros et le Christ; Ainsi, “une femme du peuple “ au vers 18 est venue essuyer la sueur de son front; Ce geste symbolique rappelle celui de la Passion . Dans  ce récit religieux qui décrit le parcours du Christ qui a du porter sa croix jusqu’au mont Golgotha , on distingue 13 étapes qui sont les 13 stations du chemin de croix; A l’étape 6, une femme prénommée Véronique  s’approche et brave l’hostilité de la foule pour essuyer le visage du Christ souffrant sous le poids de son fardeau; A l’époque romantique, les auteurs se servent des images de la passion du Christ pour décrire leurs héros. Ici, Hugo cherche à faire naître la pitié du spectateur et applique ainsi le principe  que recommande Aristote pour réussir une tragédie . La tirade d’ailleurs se termine avec un vers pathétique : “Ayez pitié de moi, Mon Dieu, mon coeur se rompt ” La métonymie finale illustre à la fois la douleur du personnage mais préfigure également sa mort et la rend imminente.

Les échanges vont alors devenir plus intenses et plus resserrés comme une sorte de duo final . Au mots vont bientôt succéder les gestes tragiques car au théâtre , la parole se fait geste et devient action. Les didascalies externes qui précèdent les vers 25 et 27 montrent le héros qui se lève et avale un liquide ; Hugo s’est ici fortement inspiré de la  tragédie  classique et notamment de Phèdre qui offre un dénouement du même genre ; La coupable s’empoisonne de remords et sa mort purifie le jour qui se lève ; Ruy Blas se comporte donc comme un personnage de tragédie : il met fin à ses jours pour expier sa faute  et demande le pardon de ses offenses.  Alors que Phèdre se punit par sa mort , d’avoir provoqué celle d’un innocent, Ruy Blas se punit d’avoir menti, sur son identité et  trahi celle qu’il aimait ; D’autant qu’il risque de provoquer sa perte car si leur liaison est découverte, elle sera déshonorée et  contrainte d’abdiquer ainsi que l’avait prévu Don Salluste.

Le suicide dans le drame romantique était préparé et il apparaît comme la conséquence directe du refus du pardon de la reine qui, par deux fois ,affirme qu’elle ne pardonnera “jamais ” vers 23 et 26. C’est pourquoi le revirement de situation qui suit a pu paraître un peu étrange aux spectateurs de l’époque qui étaient habitués aux dénouements tragiques plus classiques. Lorsque  Ruy Blas s’écrie ” Triste flamme , Eteins -toi ” , on pourrait penser que ce sont ses dernières paroles .  Il indique qu’il meurt d’amour ; La construction ici associe la métaphore amoureuse à l’image d’une vie qui s’arrête; En effet, la flamme désigne à la fois le sentiment amoureux mais également la vie du personnage: ils ne font plus qu’un .La fin de l’amour marque donc irrémédiablement la fin de la vie.

A partir de ce moment, la tragédie devient un drame et offre aux spectateurs des moments déconcertants . Tout d’abord le changement d’attitude de la reine peut surprendre : elle se précipite vers le héros mourant pour l’entourer de ses bras et d’ailleurs , il donnera d’abord l’impression de mourir dans ses bras : “ l’entourant de ses bras”,  tenant la reine embrassée  “la reine le soutient dans ses bras ” au vers 45; Hugo reprend ici l’image du Christ avec plusieurs allusions comme l’obtention du pardon qui évoque les dernière paroles du Christ adressées à son père . La reine qui jusque là , était demeurée stoïque, se met alors à vibrer d’une passion qui a pu surprendre ; Elle lui dit qu’elle l’aime et l’appelle dans un premier temps , César, qui était son faux nom avant de lui donner , au dernier vers, sa véritable identité. Mais ce pardon arrive trop tard ! Et c’est aussi ce qui rend ce dénouement particulièrement tragique !

Qu’a t-on reproché encore au dramaturge dans ce dénouement inédit ? En plus du revirement de la reine, on a également  reproché au dramaturge d’avoir “allongé “la mort du personnage sur scène avec une agonie spectaculaire et surtout un dernier merci qui a été critiqué de nombreuses fois, pour son caractère invraisemblable. On se souvient en effet qu’une des règles du théâtre classique insistait sur le caractère vraisemblable des actions qui devaient être montrées au public; Ici, ce n’est pas du tout vraisemblable et les gens ont trouvé que Victor Hugo en faisait trop avec le risque que cela devienne ridicule. Il faudra, en effet, attendre des dizaines d’années, pour que ce drame obtienne un certain succès. En accentuant la dimension spectaculaire, le dramaturge prive le public d’une partie de ses repères ; Jusque là habitué à voir dans les tragédies des personnages exprimer des souffrances “dignement ” et en se touchant à peine,  le public a réagi assez mal à cette fin : Hugo  livre ici sa version théâtrale de la mort passionnelle .

Le héros , au moment de mourir, se retrouve lui-même : “je m’appelle Ruy Blas ” et semble ne plus réagir aux marques d’amour de la reine ; Il ne la regarde pas mais se tourne , comme l’indique la didascalie externe vers Dieu “levant les yeux au Ciel ” qu’il implore . La dimension christique du héros est réaffirmée avec la mention de son “coeur crucifié ” au vers 48 . La construction  du vers 49 précise les enjeux du drame et reflète les contradictions . ” vivant par son amour ,mourant par sa pitié “; Il faut comprendre ici que  l’amour de la reine a réjoui le coeur du héros quand il était vivant et que maintenant la pitié de  la reine réjouit son coeur au moment où il est mourant . Le caractère inexorable de la mort du héros est reprécisé sur scène dans les répliques finales; Alors que la reine se sent, à son tour , coupable et se demande ce qui se serait passé si elle avait pardonné plus tôt, Ruy Blas rappelle d’une manière claire que cela n’aurait rien changé . L’avant dernière réplique “ je ne pouvais plus vivre ” souligne cette idée . On remarque que si les personnages se tenaient à distance respectueuse l’un de l’autre au début de cette scène , ils se sont très vite rapprochés pour s’étreindre et l’ une des  dernières didascalies montre la reine “ se jetant sur son corps ” ; On peut retrouver dans ce choix l’influence d’un dramaturge comme Shakespeare que Hugo admirait particulièrement.

Ce final comporte donc de nombreux éléments tragiques : certains sont habituels et d’autres le sont un peu moins pour le public. La mort du héros est , à la fois prévisible et attendue ; elle vient sceller une passion impossible entre deux personnages qui s’aimaient sincèrement mais qui n’ont pas d’avenir ensemble; Si le dramaturge montre, sur scène, et pour la première fois,  la possibilité d’un amour entre un “ver de terre “et une “étoile ” il ne permet pas à ces deux personnages d’être heureux; la mort demeure l’unique issue pour un homme qui a menti sur ce qu’il est et cette femme pourra toujours se reprocher de ne pas avoir choisi l’amour à temps; Le drame romantique tente une synthèse entre un héritage tragique et des préoccupations contemporaines et il est parfois difficile de comprendre ce nouveau genre. La passion amène toujours l’homme à effectuer des choix souvent irréversibles et qui le condamnent à se perdre .

 

06. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les liaisons dangereuses : le libertinage selon Laclos · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

Le roman épistolaire de Laclos,  Les liaisons dangereuses paru en 1782, eut un très grand succès et déclencha une polémique autour du libertinage car il est bien difficile de savoir si l’auteur dépeint un couple de libertins pour en dénoncer l’orgueil et le cynisme ou s’il décrit des personnages pour lesquels il éprouve une sorte d’admiration . Composé d’une centaine de lettres échangées entre une dizaine de correspondants, les intrigues amoureuses en sont la trame principale. Les premières lettres dressent des portraits des deux principaux protagonistes ; un ancien couple, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont dont la relation demeure ambigüe , savant mélange de tendresse et de rancune.  La Marquise souhaite que le vicomte la venge en séduisant une jeune fille Cécile de Volanges , avant le mariage de cette dernière mais il a d’autres projets : il cherche à conquérir la Présidente de Tourvel, une jeune femme dont la vertu semble inattaquable. Dans cette quatrième lettre du roman, Valmont s’apprête à annoncer à la Marquise , son projet de conquête. Voyons quel portrait du personnage de Valmont , Laclos nous offre-t-il  dans cette lettre  ?

Dans cette lettre que le vicomte adresse à la marquise, le romancier dresse le  portrait d’un séducteur sûr de lui ,  qui part conquérir une femme comme un soldat qui s’apprête à livrer une bataille et qui prêche une nouvelle forme de religion : la gloire des conquêtes amoureuses. Un commentaire littéraire pourrait adopter le plan d’étude suivant : a) un conquérant b) sa religion : la séduction c) sa vision de l’amour . La lecture linéaire se base sur les 23 premières  lignes  de cette lettre.

Il s’agit de la quatrième lettre du roman:l’occasion pour le lecteur de décourvrir le projet de conquête du Vicomte : une femme à la réputation inattaquable. Plus sa victime sera difficile à conquérir et plus il en tirera de gloire. La première ligne peint sa relation avec son ancienne maîtresse: la Marquise de Merteuil  dont il critique finement de l’autoritarisme : en effet, il mentionne ses ordres et les associe, deux fois , à un adjectif mélioratif : “charmant ; leur relation se place donc sous le signe d'une rivalité qu'on distingue sous le badinage; vous feriez chérir le despotisme L’oxymore ici manifeste la contradiction entre un régime politique souvent détesté qui se fonde sur l’imposition de la force  et le verbe chérir qui évoque une forme de tendresse et de douceur . La seconde phrase révèle, plus en détails, la nature de la relation entre les deux libertins :  cetet relation s’est dégradée car elle le traite de “monstre ” alors qu’elle lui “donnait des noms plus doux ” c’est à dire des surnoms amoureux lorsqu’ils étaient amants ; Valmont rappelle ici, à dessein, leur passé commun car l’enjeu de son pari avec Madame ed Tourvel, c’est de reconquérir, d’une certaine façon, le coeur de la Marquise, de lui prouver qu’il est le plus fort et de la soumettre à nouveau .  Pour dépeindre leur relation, il emploie également le terme esclave , qui rappelle l’idée d’être esclave de ses passions. Or, justement, le but d’un libertin est de s’affranchir des passions et notamment de la passion amoureuse en exerçant sa volonté et en se montrant plus fort que ses propres sentiments, en cherchant en permanence à les contrôler ; Le Vicomte balaie d’un mot leur ancienne liaison en rappelant , avec un peu de mépris ” de plus grands intérêts nous appellent ; ce comparatif de supériorité monter qu’il s’agit de son objectif principale, indiqué sous la forme d’une sorte de maxime “ conquérir est notre destin . Le mot destin ici doit être compris , non pas dans le sens de fatalité mais dans le sens de but fixé. Et la volonté est manifeste avec l’expression, toujours impersonnelle: il faut le suivre ” L’individu met donc toute son énergie dans la conquête et il ne la fait pas apparaître comme  un  simple projet personnel mais comme une force supérieure justement à sa volonté individuelle, une sorte de mission “divine ”   . Il glisse ensuite une série d’allusions au libertinage de la marquise , et par provocation, il emploie des termes religieux;  Néanmoins, il tient à garder la première place dans leur “concours” comme l”indique la précision ” vous me suivez au moins d’un pas égal ” ; Il reste donc le numéro un et il sait que cela risque de froisser l’orgueil de la Marquise ; La précaution oratoire ” soit dit, sans vous fâcher ” montre ici son cynisme et traduit sa volonté de blesser l’amour-propre de Madame de Merteuil.  Il ironise ensuite sur les cause de leur séparation “pour le bonheur du monde ” : ce sous-entendu évoque, par antiphrase , au contraire, tous les gens qu’ils vont rendre malheureux à cause de leur hypocrisie et de leurs mensonges. ” Nous prêchons la foi chacun de notre côté ” . Ce constat marque d’une part l’échec de leur couple : ils se sont séparés  car aucun deux ne voulait renoncer à sa liberté de conquête et on note ici , la perversion des valeurs religieuses ;

Laclos emploie, en effet, le champ lexical de l‘endoctrinement : les libertins considèrent souvent la religion comme une forme de contrainte ; leur impiété est généralement le signe d’une révolte contre l’ordre social et la religion, qui fait partie des valeurs transmises par la société. Le romancier associe donc ici des mots comme “mission d’amour ” “prosélytes ” “ardente ferveur ” “patronne ” “saint ” à des entreprise amorales de séduction . D’une certaine manière, on peut dire qu’il pervertit les valeurs religieuses.  On peut même évoquer une forme directe d’impiété avec  la référence de la ligne 9 ” et si ce Dieu -là  comme l’autre nous juge sur nos oeuvres ” ; Soit le vicomte remet en cause le jugement divin en se moquant des croyants qui pensent qu’on les juge sur leurs actions, soit il montre à quel point ils sont, tous deux , actifs dans le domaine de la séduction et mériteront d’être récompensés pour leurs faits glorieux; Notons que cette fois, il attribue la victoire à la Marquise mais la première place qu’il lui accorde demeure virtuelle comme on le voit avec l’emploi du futur ” vous serez un jour la patronne de quelque grande ville  ” Il relie ensuite ce vocabulaire religieux à son projet de séduire la Présidente : comme cette dernière est très pieuse, il doit jouer le rôle d’un homme épris de foi et de vertu afin de mieux la tromper. Pour s’entraîner à ce rôle de composition, il s’exerce donc à employer un vocabulaire religieux. Une fois de plus, il revient aux liens qui l’unissaient avec Madame de Merteuil en se prétendant ” forcé de vous désobéir ” . Il prépare , en effet, son annonce et multiplie, pour la rendre plus attractive, les adresses à sa destinataire  “ne vous fâchez pas, écoutez-moi “ Ces adresses au lecteur rendent la lettre plus convaincante et en  même temps, touchent le le véritable lecteur qui se voit ainsi apostrophé, en lieu et place du personnage fictif . On a souvent dit que la structure particulière du roman épistolaire donne au lecteur le rôle d’un voyeur ; il connaît les secrets de tous les personnages et assiste à toutes leurs confidences; Il voit ainsi, les personnages naïfs comme la Présidente ou Cécile Volanges tomber dans les pièges que leur tendent les séducteurs . Ce qui accroit , en quelque sorte, la dimension pathétique et dramatique du récit.

A la ligne 14 , le personnage apparaît comme un “conquérant” et confie ‘son plus grand projet ”   Ce superlatif montre l’importance qu’il accorde à son objectif ; Il s’agit; non pas  d’une jeune fille  “qui n’ a rien vu, ne connaît rien ” ; On retrouve ici, l’un des principaux problèmes de société, entrevu avec La Princesse de Clèves  : l’absence d’éducation des jeunes filles confrontées dès leur sortie du couvent, à la galanterie des hommes. On se souvient que dans son roman, Madame de Chartres éduque, justement  sa fille pour la prévenir des dangers de l’amour et lui dresse un tableau effrayant des passions; Un siècle plus tard : le constat est le même; Les jeunes filles sont  encore des proies faciles pour les séducteurs de tous ordres; Valmont lui, dédaigne ce qui lui semble , une proie trop facile qui lui “serait livrée sans défense ” comme il est précisé , à la ligne 16; Il décrit d’ailleurs, avec beaucoup de mépris la facilité avec laquelle on peut “perdre l’honneur d’une jeune femme;  Cela semble à la portée du premier venu comme il l'explique , ligne 17 " vingt autres peuvent y réussir comme moi “. Il tient justement à exceller et à se démarquer des autres, par orgueil. . Il décrit les étapes de la séduction en mentionnant  d’abord : “un premier hommage ne manquera pas d’enivrer ” ; Ensuite, on aiguisant sa curiosité; En effet, les jeunes femmes, à qui personne n’a jamais parlé d’amour, veulent avant tout découvrir ce qu’est une relation ; Elles agissent plus par “curiosité “ que par amour.  Valmont dédaigne donc la facilité et se fait une gloire d’atteindre un objectif beaucoup plus ambitieux.

Au passage, on notera à quel point sa vision des femmes est teintée de mépris. Son orgueil le conduit à priser la difficulté pour recueillir “ la gloire et le plaisir ” . On retrouve ici deux motivations essentielles chez les libertins : briller et prendre du plaisir ; Ce mélange d’orgueil et d’épicurisme marque,  le courant libertin et caractérise Valmont. Il qualifie sa future proie selon trois valeurs qu’il va s’empresser de défier :” sa dévotion, son amour conjugal et ses principes austères;“, ligne 19. Dans l’ordre, la jeune femme est qualifiée de pieuse : elle croit en Dieu et sa foi devrait lui servir de barrière contre l’entreprise du Vicomte; Il s’attaque donc ici à  la religion  et va chercher à tester sa foi.D’autre part, elle avoue aimer sincèrement son époux : ce qui là aussi contribue à la protéger des tentatives d’un séducteur par crainte de l’adultère; Enfin, elle obéit à des valeurs morales nobles comme la vertu, le sens du devoir, le respect de la morale; Elle paraît donc la cible idéale pour tester les compétences du Vicomte ; Il termine en citant ,tout en les déformant , des vers de La Fontaine tirés de sa préface à Monseigneur le Dauphin;Le fabuliste y dépeint son projet au futur roi : chanter les aventures des animaux et faire des peintures légères pour instruire et  divertir . Il termine son épître par ces mots “ et si de t’agréer je n’emporte le prix , j’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.” Il faut comprendre ici que Valmont craint de déplaire à la Marquise et il cherche à se prémunir contre les conséquences de sa désobéissance . Lorsqu’elle recevra sa lettre , la Marquise de Merteuil répondra en en le traitant d’insolent  car elle a bien compris qu’il n’agissait pas dans le but de lui plaire mais pour son propre plaisir et pour lui ravir un titre de gloire . D’ailleurs , elle tente de lui faire changer d’avis et dépeint la Présidente de manière très critique; On sent toutefois une pointe de jalousie chez elle et une très forte dose de cynisme . Voilà un extrait de sa réponse : “ ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce. “

En synthèse , quelques éléments du portrait d’un libertin  pour compléter le parcours Individu, Morale et Société  et  pour vous servir à constituer des éléments de conclusion   : source : site magister

  L’étymologie de ce terme (il vient du latin libertinus qui signifie affranchi donc qui cesse d’être esclave)  est précieuse pour comprendre la relation entre l’individu et la société ; Le libertin est celui qui s’affranchit des conventions sociales et de la morale . “Grand seigneur méchant homme” aux dires du valet de Don Juan, son activité va à l’encontre des valeurs communément admises. A travers Valmont et Merteuil, le romancier entend faire le portrait de deux libertins au sens de l’époque . A vrai dire, nos deux personnages sont plutôt des “roués”, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire deux hypocrites qui font du mensonge un signe aristocratique . Il n’a donc pas grand chose à voir avec le “petit maître” de la Régence, jeune débauché courant de conquête en conquête, ni surtout avec le libertin au sens philosophique qui prône l’impiété et se fait l’adepte d’une morale épicurienne.  Le vrai triomphe du libertin dépeint par Laclos est de s’assurer l’estime d’une société éprise de respectabilité tout en étant un parfait scélérat.

  • être protéiforme, le libertin peut endosser toutes les apparences que réclame une situation : ainsi Valmont qui,  simule la générosité et la charité pour séduire Madame de Tourvel , feint d’être “amoureux et timide” (lettre LVII) ou déguise dans ses lettres à Mme de Tourvel “le déraisonnement de l’amour”

  • comédien consommé, le libertin excelle dans la représentation, et le mensonge.

  • orgueil et mépris caractérisent également le personnage de Valmont. Il se place au-dessus du commun des hommes et célèbre la perfection de ses actions.
      Cet orgueil veut trouver ses signes manifestes : c’est d’abord l’assujettissement des faibles et le cynisme affranchi de toute valeur morale

  • la séduction est une guerre : il s’agit pour le conquérant de dissiper d’abord chez sa victime les scrupules de la raison. Cette séduction dépasse parfois la raison dans la fascination “serpentine” que Valmont exerce sur Mme de Tourvel

   
 

 

02. mars 2020 · Commentaires fermés sur Imagination et pensée dans les Fables : Le Curé et le mort · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Le parcours de lecture associé à l’étude des fables propose de réfléchir aux relations entre l’imagination et la pensée; Autrement dit : comment se servir , par exemple de l'imagination pour permettre la pensée . Grâce à l'utilisation des animaux  et de la satire, comme dans La Cour du lion ou Les animaux malades de la peste ,  le fabuliste nous plonge dans un univers imaginaire et fabrique des ressemblances humoristiques avec le monde contemporain; La fable  permet ainsi  de divertir le lecteur et de le faire réfléchir , grâce notamment à la morale ;  Avoir recours à l’imaginaire , c’est   d’ailleurs le principe utilisé par la fiction lorsque qu’elle se donne comme objectif d’apporter un regard qui éclaire le monde .Mais on peut également envisager la relation entre pensée et imagination sur un autre mode en se demandant comment l’imagination  peut-elle être parfois un obstacle à la création “d’une pensée raisonnable” ; C’est un peu ce qui est à l’oeuvre dans Perrette et le pot au lait : la jeune fermière, emportée par les délices de son imagination, perd le sens des réalités et renverse son lait . Or, c’est la vente de ce lait qui devait lui permettre d’acheter tout ce dont elle a rêvé. Le retour à la réalité est brutal dans son cas . Voyons un peu comment La Fontaine reprend ce schéma dans Le Curé et le mort qui est la fable suivante du livre VII.

Les figures de clercs apparaissent souvent dans la littérature comme cible privilégiée sur laquelle les auteurs exercent leurs moqueries parfois acerbes. Avec « Le Curé et le Mort » tiré de ses Fables, La Fontaine ne déroge pas à cette satire anticléricale .  Cet apologue découpé en deux parties, le récit et la morale, présente en effet un curé accompagnant un mort à sa dernière demeure ; la cérémonie est alors l’occasion pour le clerc de se réjouir des bonnes choses qu’il pourra se procurer avec les dons et autres salaires qu’il tirera de l’enterrement.
Aussi pouvons-nous nous intéresser à la manière dont ce décalage entre la situation macabre et les rêveries agréables du curé permet au fabuliste de montrer le rôle de l’imagination qui révèle ici les véritables pensées du curé, dissimulées derrière son apparente piété; La satire démasque ici les faux -semblants .
 

La fable  débute  en créant une atmosphère macabre attendue d’après le sujet choisi  mais quelque peu déroutante “ un mort s’en allait tristement ”  On remarque que le fabuliste donne vie au défunt en le rendant sujet d’un verbe : on imagine ainsi le cercueil se déplacer ; L ‘utilisation de l’ euphémisme « dernier gîte », peut être interprétée comme une forme de  pudeur à évoquer la mort qui témoigne  soit d’une certaine tristesse soit d’une volonté de la nier.  Toutefois le verbe s’emparer dénote dans ce cadre car on l’associe plus souvent à l’avarice et à la volonté de prédation . La Fontaine rend donc ce mort étrangement vivant et le  présente comme le  premier personnage de l’histoire. Mais  le récit lui-même , vient rompre ensuite la monotonie et la tristesse attendues. .  Ces deux premiers vers contrastent , en effet , avec l’apparition  joyeuse du prêtre  “un curé s’en allait gaiement ” Tristement et gaiement sont deux opposés: le Curé semble es réjouir pour une raison inconnue  ;  Tout ceci paraît bien mystérieux. On retrouve également  des indices qui montrent que ce curé est pressé : “au plus vite” : ces détails aiguisent la curiosité du lecteur . Qu’est-ce qui presse ce curé ? Eh bien la réponse ne va pas tarder : il se réjouit de l’argent qu’il va toucher grâce à la cérémonie d’inhumation. La fable décrit ensuite les conditions de transport du défunt, très vite comparé à une marchandise dont on va tirer profit; Il est “bien et dûment empaqueté ” et autre détail qui va devenir crucial, il voyage sur le toit d’un carrosse; On a fixé son cercueil  sur le toit  du charriot pour pouvoir le transporter au cimetière. On rapatrie son corps en quelque sorte et La Fontaine continue à en faire un personnage à part entière en décrivant sa “robe “ . Le terme bière désigne le cercueil dans lequel on dépose les défunts qu’on a auparavant revêtus d’un linceul . Ces allusions, au vers 9, à la robe “que les morts ne dépouillent guère ” peut être une référence aux robes que le curé va acheter pour les jeunes femmes dans l’espoir qu’elles les enlèvent  . On pense aux cotillons du vers 28 qui sont des “jupons de paysanne” . Le vers 10 nous donne un premier aperçu de ce qui est attendu dans ce genre de situation : le pasteur doit cheminer à côté du défunt et “récitait à l’ordinaire maintes dévotes oraisons et des psaumes et des leçons et des versets et des répons. ” L’accumulation ici alourdie par les 5 répétitions du et donne une impression d’accélération comique ; Un peu comme un dessin animé qui passerait les images en accéléré , on imagine ce prêtre en train de réciter des prières à toute vitesse; Et on se souvient qu'au début de la fable, il voulait justement "enterrer ce mort au plus vite ” La Fontaine dénonce ici l’appât du gain, du profit qui pousse le curé à bâcler son travail ; Pire, on peut penser qu’il récite mécaniquement des prières sans véritablement être concentré sur sa foi. Au vers 15, le fabuliste traduit la pensée du curé avec trois vers au style direct qui pourraient révéler justement ses pensées secrètes .  Au vers 17, le mot salaire est à double sens car d’une part, il désigne les prières comme la récompense offerte aux défunts  par les vivants: on dit des prières en leur honneur, pour eux. Mais ce mot désigne aussi l’argent que les prêtres touchent pour célébrer une cérémonie  religieuse destinée à  une famille; A l’occasion d’un décès, les parents du défunt doivent, en effet, donner de l’argent au curé afin qu’il célèbre une messe d’enterrement; A l’époque de La Fontaine, la plupart des messes étaient payantes; De nos jours encore, certaines familles font dire des messes pour certaines occasions comme l’anniversaire d’une disparition, et elles rémunèrent le prêtre .

Au vers 18 la satire pressentie devient cette fois explicite avec l’expression “couvait des yeux son mort ” ; Le Curé considère ce défunt comme sa propriété et il y tient dans la mesure où il va lui permettre de gagner de l’argent; C’est pourquoi , au vers suivant, le mort est qualifié de “trésor “; On retrouve forme de  satire fréquente dans les fables: celle de la vénalité: les gens qui ne pensent qu'à l'argent ; Le curé est ainsi assimilé à un vulgaire marchand qui prend soin de sa marchandise et craint qu'on la lui vole comme l'indique le vers 19 "lui ravir ce trésor ” . La Fontaine fait à nouveau parler le prêtre en réutilisant le discours direct. Il s’adresse cérémonieusement au mort en l’appelant, avec déférence , Monsieur , au vers 21 ,mais il le considère surtout comme une source de revenus et imagine ce qu’il va lui rapporter en argent ( le salaire versé par la famille ) et en cire ( l’argent qu’on met dans les troncs des églises pour payer les cierges qu’on achète )  Cette opposition entre le contexte de la cérémonie mortuaire et le ton joyeux sur lequel est fait le récit crée alors une distorsion à l’effet comique. Cette distorsion est repérable également entre l’air affiché par le Curé et ses véritables pensées, dévoilées par le style direct qui ,rappelons le ne correspond, dans le récit , qu’à de simples “regards” comme au vers 20.

  Le travail de l’imagination du Curé débute au vers 24 par le verbe “fondait là-dessus”  qui fait référence aux bénéfices escomptés. La désinvolture du curé accentue ainsi le comique de cette fable. La Fontaine , en effet, nous prépare à certaines allusions grivoises qui rappellent l’univers de la farce. D’une part  le nom  qui sera précisé au vers 31 « Messire Jean Chouart réfère au personnage de Rabelais qui lui aussi, critique vertement l’ Eglise pour la dépravation de ses prêtres.  ». D’autre part, les  centres d’intérêt du curé sont pour le moins étonnnants pour un religieux ; Il imagine d’abord une grande quantité de vin ; Cette précision du vers 25 montre quel sera son premier achat avec l’argent de la cérémonie; Et son second centre d’intérêt  est défini  avec  “une certaine nièce assez proprette” qui a tout l’air d’une maîtresse  qu’il entretient et sa chambrière Pâquette; Ce prénom est surtout donné à des prostituées;  Noter curé n'est donc pas un philanthrope mais plutôt un bon vivant qui aime le vin et les plaisirs de la chair.  En effet, le mot « cotillons » situe l’intérêt du curé un peu en dessous des réflexions sur la condition humaine auxquelles nous nous attendrions lorsqu'un religieux accompagne un convoi mortuaire; On s'attendait à ce qu'il réfléchisse à la vanité de la condition humaine .  Loin de faire preuve de la gravité attendue dans de telles circonstances , ce curé est plongé dans une "agréable pensée”
 
 Mais son bonheur imaginaire sera de courte durée car, en bon moraliste, La Fontaine, met fin à son existence , et par là même à ses pensées.  On peut comparer l’accident du convoi au saut de Perette , sur le chemin qui la mène au marché  ; L’action est très rapide : “Au vers 31, c’en est fini du Curé “Voilà Messire Jean Chouart qui du choc de son mort a la tête cassée ” La chute est brutale dans tous les sens du terme.   Le comique de la scène transparaît également avec ce que l’on pourrait appeler l’ironie du sort puisque la fin de la fable nous propose un renversement de situation pour le moins inattendu. Alorsque nous avions « un mort » et « un curé », qui marche « à [ses] côté[s] », bien dissociés par l’article indéfini et le point-virgule du deuxième vers,  on constate qu’ils partagent désormais le même sort « Tous deux s’en vont de compagnie » à la fin du récit. Le curé meurt et rejoint le mort dans l’au-delà. Le fabuliste montre , de manière comique, que le mort est responsable de la mort du curé : “le paroissien en plomb ”  est une périphrase comique qui désigne le défunt  et il entraîne son pasteur , dans sa chute justement.L’ironie se fait encore ressentir de façon grinçante avec l’évocation du nom « Chouart » qui rappelle  le verbe choir qui signifie tomber en ancien français ; On pense aussi, dès le début, d’ailleurs, à la chute de la laitière au Pot au lait et surtout, à la chute du curé dans la mort. Le comique de la fable permet de rendre plus acceptable la satire du clergé. La morale qui clôt le récit tient en trois vers et nous fait réfléchir aux dangers de l’imagination lorsqu’elle semble nous déborder . La dimension tragique n’est pas absente du dénouement  avec l’idée énoncée par La Fontaine, au vers 36 et 37  que notre vie ressemble à ce personnage : nous nous réjouissions, parfois à tort et dissimulons nos véritables pensées aux autres ; Peut être veut-il nous avertir qu’il n’est pas prudent de se réjouir du malheur des autres et de se lancer dans des “projets imaginaires”  ! Mieux vaut garder les yeux grand ouverts , les deux pieds sur terre et l’esprit clair !

En conclusion, La Fontaine parvient à  critiquer le clergé dans cette fable en dévalorisant le curé, en pointant son attachement aux biens et aux plaisirs terrestres, puis  il introduit la dimension morale lui en faisant payer le prix fort de son inconscience.     Si cette fable constitue un diptyque avec « Perette et le Pot au lait » car elle présente des similitudes de construction , elle évoque en plus de la précédente, une satire anticléricale très répandue dans la littérature  d’idées du XVIe siècle et qui perdure au siècle suivant . Cependant, La Fontaine se met en partie à l’abri des critiques ,en proposant une morale qui s’adresse au commun des mortels et non pas seulement aux hommes d’église. L’imagination du curé révèle sa véritable nature et démasque son hypocrisie .
          

01. mars 2020 · Commentaires fermés sur Les derniers mots de Phèdre : lecture linéaire de la dernière tirade de l’héroïne tragique · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

  Dès sa première apparition sur scène, Phèdre veut mourir pour échapper à sa passion dévorante et interdite. Oenone, sa vieille nourrice, qui a peur pour elle, décide de la faire renoncer à ses noirs projets et réussit à la convaincre de  la laisser mentir  à Thésée . Au début de l’acte IV, Oenone, en brandissant l’épée d”Hippolyte comme preuve accuse ce dernier d’avoir tenté de violer sa belle-mère:  Phèdre ne dément pas. Thésée, furieux, accable son fils et demande à Neptune de le punir. Ce dernier est banni et Phèdre, quant à elle, se sent terriblement coupable d’avoir sali la vertu d’un innocent :elle accuse Oenone et la chasse; Cette dernière se suicide en se jetant dans la mer. Hippolyte dans sa fuite mais il meurt,  est tué par un monstre marin.  le récit de sa mort est relaté par Théramène, son plus fidèle serviteur . C’est en père éploré que Thésée vient annoncer à son épouse la mort de son fils. Phèdre es décide alors à  tout lui avouer.

 En quoi la mort de Phèdre illustre-t-elle le tragique de la passion amoureuse ? L’extrait que nous étudions débute au vers 1622 et se termine au vers 1644.  “De : les moments me sont chers …à toute sa pureté” 

 Juste avant la  dernière tirade, on entend l’aveu de la culpabilité de Phèdre : On note d’abord la fermeté du ton  : – « Non » est son premier mot au vers 1617 et il marque, à la fois , une  rupture et annonce négation. L’utilisation de la forme injonctive avec « il faut » qui est répété deux fois (v.1617-1618) souligne la détermination du personnage qui exécute son devoir .Elle coupe la parole de Thésée qui est dans la lamentation : elle n’a pas le temps d’écouter Thésée et sa douleur car il lui faut agir , et donc parler vite .

L’emploi de l’impératif présent : « écoutez-moi » traduit le fait que Phèdre est consciente de l’urgence de la situation; sa mort est proche, et elle ne peut pas perdre du temps : « les moments me sont chers » reprend cette idée d’urgence . Phèdre vient rendre justice à un innocent : Le champ lexical de la justice : « injuste », « innocence », « coupable », « condamné »  illustre ce point . Avant d’expirer, Phèdre veut rétablir la vérité. On assiste à une sorte de plaidoirie et elle se désigne comme la principale coupable avec une forme emphatique : “ c’est moi qui “qui semble faire peser tout le poids de la culpabilité sur le personnage ; L’objet est séparé du verbe comme pour accentuer l’horreur de son crime “jeter un oeil profane, incestueux. L’adjectif profane rappelle ici qu’elle n’a pas respecté les liens sacrés de la famille : elle a donc offensé les Dieux et son crime s’apparente à une forme de sacrilège. Le contraste est alors maximal entre les deux personnages : l’innocent mort injustement et la coupable dont la vie paraît injuste. L’idée est peut -être de faire davantage accepter cette mort par le public en la justifiant ici de manière naturelle.Ce n’est plus seulement l’héroïne qui cherche à échapper à sa passion en se donnant la mort, c’est une femme criminelle qui mérite de mourir pour le mal qu’elle a fait.  Phèdre reprend alors l’enchainement dse faits qui ont mené à la tragique mort d’un innocent : au  vers 1625 : « le ciel mit dans mon sein » :  les deux métonymies   rappellent l’origine de sa funeste passion, cette malédiction dont elle fut ma victime . C’est une manière de rejeter en partie sa  culpabilité car elle est seulement en position d’objet : « dans mon sein ». Elle se présente,une  fois de plus , victime de cette cruauté des Dieux qui s’acharnent à punir son sang pour une faute commise par les ses ancêtres ( le Soleil, son grand-père qui  a dénoncé les amours secrètes de Mars et Vénus  ) . Ensuite, dans un second temps, le personnage dresse un véritable réquisitoire contre Oenone qu’elle qualifie, au moyen d’ un vocabulaire dépréciatif:  de «détestable», au vers 1628 et de « perfide » au vers 1630. – Elle l’accuse d’avoir “conduit ” la trahison et même d’avoir abusé de la situation car elle se trouvait dans une “faiblesse extrême ”  v 1629 .  Le dramaturge rappelle une dernière fois les circosntances qui ont mené à cet enchaînement tragique : l’aveu de l’amour de Phèdre s’est déroulé alors qu’elle croyait son époux mort et le retour de Thésée a modifié la donne ; le danger , c’est désormais que le jeune homme confie à son père, à son arrivée, les révélations de sa belle-mère; c’est pour prévenir ce danger que la nourrice a alors l’idée d’accuser Hippolyte;  Phèdre peut-elle vraiment passer pour une victime de la fidélité poussée à l’extrême d’Oenone ?  Elle apparaît en position d’objet, comme si elle subissait la volonté de la vieille femme: « abusant de ma faiblesse » tandis qu’Oenone est le sujet de tous les verbes d’action : « a conduit », « a craint », « s’est hâtée »: Phèdre donne sa version de la mort d’Oenone car Thésée voulait la faire chercher ; “elle s’en est punie” : la mort est ici un choix assumé lié sans doute au remords de la nourrice; Ensuite, elle a été chassée par Phèdre qui évoque sa colère “fuyant mon courroux”  Cette réécriture  n’est pas totalement fidèle dans la mesure où Phèdre cache , en partie, sa complicité : elle n’a rien fait pour dissuader Oenone : acte II, scène 4 : elle lui confie en effet  ” fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi/ dans le trouble où je suis, je ne peux rien pour moi” En gardant le silence , Phèdre a une part de responsabilité. Quant à la périphrase qui désigne la mort comme un  « supplice trop doux » , on peut entrevoir le caractère identique de la situation des deux femmes .   

La mort semble cerner le personnage qui évoque  sa première véritable tentative de suicide : lorsqu’elle a demandé à Hippolyte de lui ouvrir la poitrine et, symboliquement de lui percer le coeur; :  « Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée » Dans ces vers, Racine rompt avec la tragédie de Sénèque dans laquelle Phèdre se donne la mort avec une épée. Ce refus d’une mort prématurée s’explique par sa volonté de prendre la parole pour rétablir l’innocence d’Hippolyte te le choix du poison peut sans doute renvoyer à cet amour qui l’a littéralement empoisonné. Elle présente Hippolyte comme l’incarnation de la vertu : « la vertu soupçonnée », rétablissant ainsi l’honneur qu’elle a bafoué. On peut aussi penser qu’il s’agit d’une forme de repentir : elle ne peut réparer le mal commis mais elle s’efforce de rendre au jeune homme sa dignité. D’ailleurs elle prononce le terme remords et justifie le délai qu’elle s’accorde pour disparaitre :   elle peut prendre le temps de s’expliquer face à Thésée. Pour le spectateur, c’est aussi l’occasion de découvrir une forme de sacrifice : la précision « chemin plus lent » :  peut être interprétée de deux manières :  on peut, en effet, comprendre qu’elle a agi pour retarder sa propre mort mais cela montre également une forme de souffrance plus longue car on imagine le poison qui se diffuse, goutte à goutte, dans ses”brûlantes veines” . On retrouve également l’image de la descente aux Enfers qui peut évoquer les voyages de  Thésée .
En précisant l’origine du  poison “que Médée apporta dans Athènes »  1638 , Racine introduit une autre figure de femme meurtrière : la magicienne Médée, première femme de Thésée et sorcière qui elle  aussi, sera victime d’une passion pour son  nouvel époux, le perfide Jason, passion qui va la conduire à tuer sa rivale, le père de cette dernière avant d’immoler ses propres enfants .  Les deux figures féminines dessinent une sorte de  filiation,  qui rappelle la dimension monstrueuse de la famille de Phèdre: un demi-frère taureau qui mourra sous les coups de Thésée et une mère, Pasiphaé qui mit au monde un monstre.

 La tirade s’achève avec l’agonie du personnage qui est détaillée : elle indique avec précision l’écoulement du poison dans son corps  Sur scène , le spectateur assiste à chaque étape de sa mort : “j’ai pris, j’ai fait couler » :  la dimension pathétique est mise en oeuvre ici avec le parallélisme de construction ; L’héroïne met en scène sa mort et le dramaturge doit ici, mimer l’agonie. Ce qui explique que le discours de Phèdre se fait moins assuré et un peu plus maladroit comme le montrent les répétitions de l’adverbe « déjà » (1639-1641) :la parole semble se ressentir des effets du poison comme si elle se déréglait. Les conséquences physiques des effets du poison  sont précisées elles aussi :  elle ressent un « froid inconnu »  qui atteste de l’approche de la mort; sa vue se trouble également :  « je ne vois plus qu’à travers un nuage » . La nuit, métaphorique de la fin de la vie, tombe en même temps que le rideau qui viendra marquer la fin du spectacle  .L’ annonce de la mort apparaît encore comme un soulagement  pour le personnage : c’est la fin de  la brûlure incessante causée par la passion amoureuse. Phèdre s’éteint en chrétienne avec  la présence du champ lexical de la réparation de la faute : « outrage », « souillaient ».  La faute est rappelée dans sa double dimension : religieuse et conjugale  : « et le ciel et l’époux que ma présence outrage ». L’héroïne rappelle qu’elle a offensé les Dieux par la faute de ses ancêtres et qu’elle a offensé son époux en laissant condamner un innocent après l’avoir laissé accuser d’un crime odieux. L’imminence  de la mort se lit aussi à travers le champ lexical de l’ombre : « dérobant la clarté », je ne vois plus qu’à travers un nuage » mais cela s’oppose avec avec la lumière retrouvée, celle de la pureté : « rend au jour (…) toute sa clarté ». Ce retour de la lumière peut être interprété comme le signe que, par sa mort, Phèdre atteint la rédemption.

Si on se réfère aux règles du théâtre classique et notamment à la règle dite de bienséance, les personnages ne devaient pas offrir leur mort , à la vue du public: : « Elle expire, seigneur » :ces quelques mots peuvent laisser penser que  Phèdre meurt bien sur scène : cela accentue le pathétique mais aussi le tragique . Cette mort agit presque comme une fin moralisatrice : la passion conduit à la perte, à la destruction et à la mort. Les spectateurs doivent alors se purger de cette émotion.

 En conclusion : La fin répond au début de la pièce où Phèdre apparaissait déjà comme une mourante. Cette mort sans cesse reculée a permis de mettre en scène tout au long de la pièce la honte, la culpabilité et le tragique. Cette agonie du personnage est cependant ambiguë car jusqu’au dernier moment elle ne semble pas vraiment se remettre en question en rejetant la faute sur Vénus ou bien sur Oenone. Par ailleurs, elle ne mentionne pas la mort d’ Hippolyte et ne fait nullement référence au chagrin de son époux.  Elle ne revient que sur son malheur et choisit de quitter la  vie comme on sort de scène , par un dernier éclat .

28. février 2020 · Commentaires fermés sur Les aveux d’une passion tragique : le face à face Phèdre -Hippolyte II, 5 · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

La tragédie racinienne libère la parole amoureuse qui marque souvent une  forme de transgression : Hippolyte avoue, dès la première scène,  un amour interdit pour Aricie et cet aveu est suivi de très près par les confidences de Phèdre à sa nourrice Oenone; cette dernière recueille la parole de la reine malade, qui brûle d’une passion dévorante pour le fils de Thésée,  son mari; fils que ce dernier a conçu avec la reine  des Amazones, la fière te farouche Antiope; Le dramaturge, construit ainsi en parallèle deux parcours amoureux qui vont s’entrecroiser lorsque Phèdre fait l’aveu, malgré elle, de sa passion face à Hippolyte. Au moment où elle sort de sa chambre , elle croise celui-ci qui  s’apprête à  quitter le palais  pour partir à la recherche de son père . La tirade de Phèdre commence par une déclaration d’amour à Thésée qui , par glissements successifs, finit par révéler , une passion pour le “charmant” Hippolyte. Le jeune homme , honteux , pense tout d’abord qu’il s’est mépris et qu’il a accusé , à tort sa belle-mère d’être amoureuse de lui .  Alors qu’il souhaite se retirer , Phèdre entreprend alors de le détromper et avoue, cette fois sans détour, son amour .

Cette lecture linéaire débute au vers 671 et se termine au vers 701 de ” Ah cruel, tu m’as trop entendue..à délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” Comment Phèdre exprime-t-elle les souffrances de sa passion  et son caractère monstrueux ?
Situation du passage : Phèdre est venue trouver Hippolyte pour plaider la cause de ses enfants qu’elle croit en danger suite à la mort supposée de Thésée. En effet, son fils est en lice dans la succession au trône, au même titre que son demi-frère Hippolyte et Aricie que ce dernier à délivrée. Bien malgré elle, confrontée à celui pour lequel elle brûle d’une passion effroyable, Phèdre lui déclare sa flamme.
Le premier  mouvement – V.670 à 682 :présente , une fois de plus , Phèdre comme la  victime d’une fatalité incontrôlable.
– On note un changement de ton brutal et de registre avec la tirade précédente. Phèdre retrouve , en partie, sa lucidité grâce à la réplique d’Hippolyte qui la ramène à la réalité. L’émotion poussée à son paroxysme, prend le dessus ainsi que le montre les points d’exclamation et l’interjection « Ah », ainsi que le terme d’adresse « Cruel » qui paraît ici peu approprié pour désigner le jeune homme qui vient justement  de présenter des excuses  .  On entend davantage la cruauté d’un amour non réciproque et la cruauté de la souffrance qu’il inflige, malgré lui , à sa belle-mère, par sa simple vue.  La ponctuation expressive marque ici  la violence verbale, voire physique.-La présence de verbes injonctifs pourrait cependant traduire une forme de colère  qui serait libérée par l’aveu mais il s’agirait plutôt d’un emportement contre la fatalité de cette passion. .  Phèdre a désormais le pouvoir, celui de la parole libératrice : « Connais », « ne pense pas » : le temps n’est plus à la réflexion. Et la parole de Phèdre s’apparente à une révélation qui montre ce qu’on ne devait pas voir, qui met à jour ce qui était dans l’ombre . –  D’ailleurs le terme ” fureur” qui peut être considéré comme  manifestation de l’Hybris, cet orgueil humain  démesuré, propre à la tragédie, est également une manière de rendre visible ce qu’on ne voyait pas  : Phèdre est à présent hors de contrôle. La fureur ne désigne pas tant la colère que l’emportement du personnage : elle semble poussée par une force incontrôlable, propre à la passion .Le contraste est particulièrement frappant avec son aveu , qui tient en 2 mots : « J’aime ». et qui, pour le coup, est d’une grande sobriété alors que le mouvement précédent annonçait une montée en puissance . Cette sorte de chute , d’adoucissement , montre que  c’est bien là l’essentiel de ce qu’elle voulait dire . Et pourtant, ce « J’aime »  ressemble à une bombe à retardement. La  précision en fin de vers « je t’aime » paraît touchante et fait résonner aux deux extrémités de l’alexandrin l’amour de Phèdre comme s’il emplissait la scène. Pourtant , très vite il apparaît que cet amour doit être combattu car il a un  caractère infamant (dégradant )  : « fol amour », « trouble ma raison », « lâche complaisance », « poison », « feu fatal ».
Phèdre se présente  donc , avant tout, comme une victime de la malédiction de Vénus, lancée contre toute sa lignée. Le terme « dieux » revient par trois fois, renforcé par la métaphore « vengeances célestes » et la métonymie «contre tout mon sang ». – Pour insister sur le caractère odieux de la machination dont elle est victime, elle se qualifie de « faible mortelle », sorte d’antithèse qui vient en contrepoint de « dieux » et qui démontre son impuissance ; le registre pathétique est déployé pour faciliter la compassion du spectateur, ressort essentiel du spectacle tragique. Il est en effet, important que le spectateur puisse, sous certains aspects, considérer l’héroïne tragique comme une victime d’une fatalité qui la dépasse. Phèdre évoque d’ailleurs la cruauté des Dieux et cette cruauté fait écho à celle manifestée par le personnage d’Hippolyte qui ne partage pas les sentiments de Phèdre. Le personnage explique donc l’origine de cette passion incontrôlable , pour mieux tenter de se justifier aux yeux du spectateur et présente  cet amour qui lui fait horreur comme le montre l’acmé de ce premier mouvement : « Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes » :  formule frappante où on note , à la  fois une gradation descendante et  des effets d’ hyperbole. le verbe abhorrer signifiant un rejet très fort d’elle-même : elle se juge elle même coupable et se dégoûte.
–  On retrouve également dans cette tirade l’idée que Phèdre a tenté de se prémunir contre cette passion  mais que ces précautions ont été inutiles “ inutiles soins au vers 687 ”  ce qui renforce l’ironie tragique : elle est justement confrontée avec cette arrivée à Trézène à ce qu’elle voulait “fuir ” : la tragédie est  souvnet décrite comme un piège qui se referme sur un personnage et plus il cherche à éloigner le péril, plus le filet se resserre autour de lui  . On voit donc ici qu’elle mène une lutte inutile contre elle-même. –  Alors que le présent dominait le premier mouvement, c’est le système du passé qui est dès lors employé (passé composé + imparfait). : Phèdre se remémore la façon dont elle a cherché à lutter et fuir cet amour qui s’imposait à elle.- Elle cherche ainsi à prouver qu’elle n’est pas à l’origine de ses sentiments monstrueux, qu’elle n’a pas subi passivement le feu de la passion qui s’est mis à la consumer : elle a tenté d’agir en chassant le jeune homme ; Le champ lexical de la haine montre qu’elle l’a persécuté : «fuir », «chassé », «odieuse », «inhumaine », «j’ai recherché ta haine », « tes malheurs ». Cette idée est corroborée par le verbe « résister » et  son échec est marqué par le vers 688 ” Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ”  Le dramaturge a  combiné  ici trois procédés d’écriture pour obtenir un effet maximal ; l’effet de chiasme avec ce croisement Je  et Tu , l’ antithèse avec l’opposition haïr et aimer et enfin , la litote car ” je ne t’aimais pas moins ” signifie qu’elle ne parvient pas à chasser cet amour  ;  ce vers illustre  ainsi les limites de cette lutte interne.Racine montre ensuite , de manière assez traditionnelle, les manifestations physiques de cette passion destructrice : ” J’ai langui, j’ai séché, dans les feux , dans les larmes ”  Le vers 690 illustre par le chiasme ( languir est associé à larmes et signifie être triste et le verbe sécher est associé à l’action du feu ) les douleurs de Phèdre .- Malheureuse, elle inspire la pitié et elle implore Hippolyte ; La proposition subordonnée circonstancielle  de condition « Si tes yeux un moment pouvaient me regarder » a des allures de prière.  Elle aimerait qu’il al regarde afin d’être convaincu de al sincérité de ses sentiments Cette didascalie interne laisse imaginer l’attitude du jeune prince : en effet, on peut imaginer qu’il a détourné les yeux, sous le coup de cette révélation ; La honte qu’il ressent est d’avoir pu, à son corp sdéfendant, inspirer cette passion à celle qu’il respecte comme étant l’épouse de son père .
Le vers 692 marque une nouvelle étape dans cet aveu  : Phèdre revient sur la force qu’elle subit comme une fatalité . Les questions rhétoriques des v. 693/694 réaffirment qu’elle n’agit pas cette fois, de son plein gré  mais poussée par des circonstances exceptionnelles . ” cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ” le ton ici n’est plus celui de la supplique . La reine rappelle, avec lucidité,  les circonstances de son aveu tragique au vers 695 et 696 ; Elle fait retour sur sa situation qui  vient d’évoluer et met en avant son rôle de mère protectrice; En effet, en apprenant la  “fausse “mort de Thésée son mari , elle craint  les luttes pour le pouvoir; elle a peur que son beau-fils cherche à éliminer d’autres héritiers potentiels les  jeunes enfants qu’elle a eux avec Thésée. Elle venait donc le prier “de ne le point haïr ” . On retrouve ainsi, un parallélisme de situation: elle le supplie , en quelque sorte, deux fois: une première fois en tant que mère et une seconde fois, en tant que femme amoureuse . Cette situation rappelle que les tragédies de Racine sont toujours sous-tendues par des drames politiques : l’amour n’y joue pas un rôle de premier plan.La ponctuation exclamative  marque à nouveau l’effervescence qui anime la jeune femme. L’interjection « Hélas » souligne la perte de toute forme d’illusion et ne laisse à Phèdre que l’espoir d’une mort libératrice.  Elle conjure Hippolyte d’abréger ses souffrances grâce à de nouveaux verbes à l’impératif qui forment un parallélisme et une antithèse : « Venge-toi » / « Punis-moi » : de victime, elle devient coupable et présente sa mort comme une solution avantageuse alors que quelques instants plus tôt, elle venait plaider pour la protection de ses enfants; On remarque la contradiction du personnage en proie à un accès de folie passionnelle ; Souvent , sous l’effet de la passion, les sentiments se mêlent et et le discours peut paraître incohérent. La cause de la mort est rappelée à travers cet “odieux amour ” qui fait justement du personnage, une femme odieuse   Sa prière fait appel aux qualités héroïques du jeune homme qui en la tuant, accède au même rang que son père et répète les exploits de ce dernier; On se souvient, en effet que Thésée est un chasseur de monstres célèbre et qu’il a accompli de nombreux exploits comme le fait de tuer le Minotaure . Hippolyte peut ainsi , symboliquement, se hisser au même rang que son père . Le dernier vers de notre extrait , le vers 701 contient cette idée  « Délivre l’univers » est une hyperbole qui accentue la monstruosité de Phèdre et permet au jeune homme de “devenir un digne fils de héros ” c’est à dire d’agir, à son tour , en héros. En se jetant sur son épée, Phèdre fait appel, à la fois à son orgueil et à son sens du devoir . Le registre amoureux trouve encore sa place dans une sorte de gradation tragique : « ne le point haïr », « un cœur trop plein de ce qu’il aime », « un odieux amour»: on assiste à une métamorphose de cet amour, qui correspond à la métamorphose monstrueuse de Phèdre elle-même : elle fait corps avec ses sentiments.  Le dernier vers résonne comme une sentence irrévocable.  Notons enfin qu’elle emploie une périphrase pour se désigner «  la veuve de Thésée » mettant en lumière les relations familiales qui unissent malheureusement les protagonistes et nomme explicitement Hippolyte. C’est l’inverse de l’aveu fait à Oenone I,3  « Ce fils de l’amazone, ce prince si longtemps par moi-même opprimé » .

 En conclusion : Phèdre, en se déclarant à Hippolyte, vient de franchir un point de non-retour. Déclenchant , à plusieurs reprises , la pitié du spectateur  elle s’inscrit dans cet aveu monstrueux comme une véritable héroïne tragique, victime de la fatalité et de l’hybris.  A la fois victime et se jugeant coupable, elle fait corps avec ses sentiments et envisage la mort comme remède à ses tourments.  La réaction d’Hippolyte ne es fait pas attendre  : un mélange de honte et de dégoût.  Phèdre cherche alors à flatter son orgueil pour qu’il devienne son bourreau mais cette dernière a pris soin de lui arracher l’épée avec laquelle elle l’enjoignait de la tuer.   Cette épée va ensuite jouer un rôle crucial dans la tragédie car elle va servir de preuve à la tentative de viol dont Oenone va accuser Hippolyte .  ‘III 3 : elle demande à Phèdre d’accuser Hippolyte la première et évoque ” son épée en vos mains heureusement laissée” . Le quatrième acte s’ouvre avec l’entrevue Thésée/ Oenone et les fausses  accusations d’Oenone : le roi reconnait l’épée de son fils entre les mains de la nourrice ” j’ai reconnu le fer, instrument de sa rage/ ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage .” ( vers 1009/1010 ) Thésée  va alors convoquer son fils et convaincu de sa culpabilité , il lui lance  ” il fallait en fuyant ne pas abandonner le fer , qui dans ses mains aide à te condamner . ( ” IV, 2  v 1084)La tragédie est en marche, et rien ne pourra plus l’arrêter. Cette épée est devenue l’agent du destin d’Hippolyte et signe son arrêt de mort.