24. février 2020 · Commentaires fermés sur L’aveu d’une passion coupable : I, 3 Phèdre se confie à Oenone · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

 En guise d’introduction :  Le XVII eme siècle s’illustre par une profusions d’œuvres théâtrales comiques et tragiques. Racine, écrit en 1677, une tragédie  Phèdre en s’inspirant  de la mythologie et notamment de deux tragédies antiques : Hippolyte de Euripide et Phèdre de Sénèque. Il choisit de recentrer l’action tragique autour des tourments de l’héroïne Phèdre
L’auteur place au centre de l’intrigue le personnage éponyme déchiré entre  la raison et une passion qui la pousse à vouer un amour incontrôlable à son beau-fils Hippolyte.
Dans  la scène 3 de l’acte I, nous sommes encore dans l’exposition et assistons au difficile aveu de Phèdre. Cette dernière, pressée par les questions d’Oenone, sa nourrice, avoue, un peu malgré elle, sa passion coupable . La machine tragique est ainsi lancée. La tirade de l’héroïne révèle qu’elle est déjà prête à mourir.

Ce qui précède notre extrait ( en résumé )
I  Le coup de foudre / La naissance d’un amour violent causé par Vénus v.269 – 278
1. Le bonheur du mariage avec Thésée aussitôt troublé par le coup de foudre pour Hippolyte – coup de foudre qualifié péjorativement, amour = douleur : « mal » : « Mon mal vient de plus loin ». Phèdre va exposer les origines de son amour; Il faut remonter jusqu’à la malédiction dont elle est la victime- « Mon mal » s’oppose à « Mon repos, mon bonheur », deux vers plus loin. L’amour pour Hippolyte fait une irruption violente au milieu d’un amour plus calme, traditionnel et légitime car scellé par les liens du mariage. Le personnage tente de retenir la vérité : cet aveu qui lui brûle les lèvres  : la périphrase  « superbe ennemi »  monter que la passion est l’enjeu d’une lutte : l’adjectif « superbe » veut dire fier et le substantif ennemi renvoie non pas au champ lexical de l’amour mais à celui du combat. Phèdre se sent donc vaincue par cet amour qu’elle sait coupable. .Les symptômes de la passion sont alors rappelés .Depuis les philosophes Grecs, on considère la passion comme une émotion forte qui prend le contrôle de notre corps. On le voit ici par – l’énumération « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » => rythme ternaire, allitération en « i », propositions juxtaposées => soulignent la précipitation des réactions qui succèdent immédiatement la vue de l’être aimé. – « Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue » : la raison est enrayée ; on remarque d’ailleurs que le je n’est plus sujet des phrases, il subit l’action, subit le trouble qui va jusqu’à la perte des sens : « Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler » : une fois encore,  la juxtaposition des propositions souligne la rapidité de cette invasion croissante d’un amour qui paralyse le sujet. – Le je  ne redevient sujet que pour sentir, faire l’expérience de la douleur : ce qui nous renvoie à l’étymologie du mot passion « patior » = souffrir : « Je sentis tout mon corps et transir et brûler » : la construction parallèle de termes antithétiques montre que Phèdre passe du chaud au froid sous le coup du vif sentiment qui l’anime.   « Je reconnus Vénus et ses feux redoutables » : Vénus a lancé sur la famille (« d’un sang ») une malédiction dont Phèdre est la nouvelle victime. « Feux » renvoie ici à l’amour associé au champ lexical de la brûlure pour souligner la douleur que l’amour procure. – On note les adjectifs à la rime « redoutables » « inévitables » qui mettent en place la dimension tragique. Phèdre apparaît  ainsi , dès l’exposition ,comme une héroïne tragique, qui subit pleinement un destin qui la dépasse, ici un amour terrible qui lui cause du tort et la déchire.
II. Un amour idolâtre et obsessionnel v. 279 à 290
L’héroïne pense pouvoir  adoucir Vénus en lui offrant des prières et des sacrifices — Phèdre ne se contente pas de faire des prières : « vœux assidus », elle fait construire un lieu de culte pour Vénus « Je luis bâtis un temple », qu’elle décore « et pris soin de l’orner », elle multiplie ensuite les offrandes « Des victimes moi-même à toute heure entourée  La description de al passion est alors liée à la maladie – « incurable » « remèdes » :sont  deux termes en chiasme dans le même vers désignent cet amour comme un mal qu’on ne peut soigner. Ainsi ,au moyen de ces adjectifs « incurable » et « impuissants » nous voyons que les tentatives de Phèdre sont vouées à l’échec,ce que laissait percevoir aussi le verbe « croire » dans la proposition « je crus les détourner » : c’était une illusion que de penser pouvoir infléchir Vénus. On remarque même que le culte se destine, en réalité, à Hippolyte. – «- « Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse, / J’adorais Hippolyte » => Phèdre ne maîtrise plus sa propre parole (ce qui explique ses révélations en partie involontaires), mais ici elle se rend coupable d’impiété,; Elle prend un simple mortel  pour un dieu, comme le montre le verbe « adorer ». + « J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer ». « ce dieu » :  il s’agit ici d’une nouvelle périphrase  pour ne pas nommer  le jeune homme , objet de son culte et à cause duquel elle devient sacrilège- – La vue même joue des tours à Phèdre : « le voyant sans cesse » ; « Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ».=>Phèdre perd peu à peu sa lucidité qui est justement l’art de la clairvoyance et  ainsi sa raison .

Notre extrait commence au vers 291
Phèdre rappelle qu’elle fut une marâtre pour son beau-fils , pensant ainsi vaincre sa passion en le tenant à distance ; « j’excitai mon courage à le persécuter » ; Il devint ainsi la victime, à son tour, de la passion de sa belle-mère . Pour l’éloigner, elle doit le bannir et feindre d’éprouver de la haine ; Ainsi, elle joue publiquement le rôle d’une méchante belle-mère «  injuste marâtre » jalouse d’un enfant qui n’est pas le sien et soucieuse de préserver les intérêts de son union avec Thésée , notamment les enfants de leur mariage.  Elle rappelle alors les souffrances endurées par le jeune homme séparé de son père ; Le verbe arracher traduit la violence de cette séparation imputable à Phèdre qui peut ainsi trouver un repos momentané  “depuis son absence<strong>; je respirais : Racine insiste sur le caractère oppressant de la passion et on retrouve les symptômes physiques qui traduisent la force du sentiment : A l’abri de l’agitation des sens , Phèdre apparaît comme une épouse modèle : “soumise ” à son époux; Néanmoins, elle tait ses tourments et trouve une forme de consolation dans les soins accordés à ses enfants:l’expression “cultivais les fruits ” semble indiquer qu’elle s’occupe de l’éducation des enfants nés de son union avec Thésée. La double exclamative traduit sa colère et sa tristesse : le registre tragique est dominant avec “vaines précautions ” qui démontre l’échec du personnage et  le second hémistiche “cruelle destinée ” ravive la compassion du spectateur. L’être aimé prend alors les traits de l’ennemi ; le champ lexical de la guerre, du combat est dominant avec le terme blessure au vers suivant associée à l’hyperbole  “trop vive ” et à la conséquence funeste : “a saigné” On retrouve cette idée d’une physiologie des transports amoureux : la souffrance se matérialise et s’expose aux yeux de tous . Ce qui était caché devient alors visible : c’est ainsi que la révélation se manifeste ; la déesse Venus devient le bourreau de Phèdre au vers 306 ; elle devient “victime” ainsi que l’indique le substantif “proie” ; cette présentation permet d'atténuer la dimension monstrueuse de la jeune femme et de renforcer la pitié que nous éprouvons pour elle et les fautes qu’elle confesse . En effet, Phèdre paraît consciente de mal agir; lorsqu’elle évoque son amour incestueux, elle le nomme “crime” et ne cherche pas à atténuer la portée de son geste ; Elle en conçoit une “juste terreur” ; L'adjectif ici, peut se comprendre au sens de légitime; Il est donc logique qu'elle soit effrayée et le châtiment paraît ainsi justifié. Elle présente alors ,une nouvelle fois, son désir de fuir la vie pour se punir ; Elle a pris sa "flamme en horreur “; A la rime avec terreur, ce mot , loin de chercher à minimiser le geste de Phèdre, en révèle toute l’atrocité et renforce, une fois de plus,  la dimension pathétique de la tirade. La mort seule permettrait de préserver la “gloire” du personnage et d’éviter le déshonneur  qui pourrait rejaillir sur sa lignée. L’euphémisme “dérober au jour une flamme si noire ” , combiné ici avec une antithèse, fait presque apparaître la mort de l’héroïne comme un effacement et rappelle qu’elle n’ose plus se montrer à la lumière ; Elle souhaite se terrer dans l’ombre;

La dernière partie de la tirade est adressée à Oenone qui a provoqué la libération de cette parole : “je n’ai pu soutenir tes larmes” Phède a avoué parce qu’elle souhaitait réconforter sa nourrice et calmer ses inquiétudes; Au lieu de cela, elle a déclenché la stupeur de celle-ci. Ses aveux n’ont donc servi à rien dans la mesure où elle semble plus que jamais déterminée à se donner la mort : elle s’adresse d’ailleurs à Oenone en lui demandant de la laisser faire ” pourvu que de ma mort respectant les approches ” : la subordonnée marque ici le but et interdit l’action à la nourrice qui devient , par le fait, spectatrice d’une mort annoncée comme inévitable. La tragédie devient le lieu de l’inaction souhaitée : “tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches ” Phèdre a souhaité parler pour éclaircir , auprès de sa nourrice, les motifs de son désir de disparaître et elle entend désormais faire cesser les reproches ; On retrouve l’adjectif “vain” qui qualifie cette fois les secours ; Racine désigne ainsi les tentatives d’Oenone pour  maintenir Phèdre en vie; cette dernière demande à ce qu’on ne l’aide plus et sa mort paraît inévitable; Le dernier alexandrin ” un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler ” rappelle le dernier souffle avant d’expirer et rend cette mort d’autant plus imminente; Plus rien ne fait désormais obstacle  à la disparition programmée du personnage .

 

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12. février 2020 · Commentaires fermés sur Une apparition troublante : Frédéric tombe sous le charme d’une mystérieuse inconnue dans l’Education Sentimentale de Flaubert .. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

Un rencontre amoureuse peut constituer un moment décisif dans le parcours d’un personnage ou ne représenter qu’une possibilité qui tourne court. Gustave Flaubert peint dans L’Education Sentimentale un véritable coup de foudre qui va durablement marquer son héros à tel point qu’il ne réussira jamais à trouver la volonté ou le courage ou la force de transformer cet amour idéalisé en amour “vécu”.  L’individu se heurte à plusieurs obstacles de taille: barrière de la morale tout d’abord car la femme aimée est mariée et mère et barrière sociale car Frédéric,  doit élaborer des stratégies matrimoniales pour s’élever dans la société et Marie Arnoux ne peut lui, être, sur ce plan, d’aucune utilité . Voyons comment l’auteur nous décrit cette rencontre déterminante pour le destin du personnage .

D’emblée la rencontre est présentée comme une apparition et cette femme inconnue se pare des attributs d’une divinité. Sa solitude parait d’emblée subjective et soumise à caution car le narrateur précise “du moins il ne distingua personne “ Cette remarque laisse à penser que le regard du personnage est sous l’emprise d’un choc; En effet, sur ce bateau qui transporte de nombreux voyageurs de Paris à Rouen, il y a sans doute beaucoup de monde mais la rencontre est ainsi mise en relief dans sa dimension extraordinaire; Cet éblouissement que subit le héros à la ligne 3 , a pour origine les yeux de la mystérieuse inconnue; Le jeune homme , pour autant , ne l’aborde pas ; Son corps accuse lui aussi le coup de cette rencontre car “il fléchit involontairement les épaules ” ; ce geste souligné par le narrateur traduit une forme de soumission, de passivité  et même d’asservissement de Frédéric ; la femme est ici vue comme une déesse devant laquelle il se prosterne ; Il n’ose lever les yeux vers elle que lorsqu’il se trouve “plus loin” ;  Cette attitude du personnage peut passer pour une grande timidité ou une forme de peur, ou même une marque de son inexpérience ; Frédéric, rappelons, est âgé de 18 ans.

Le second paragraphe établit un portrait plus précis de la jeune femme  du point de vue du jeune homme ébloui comme l’indique le verbe : il la regarda.  La description suit  l’ordre canonique, du haut en bas; le chapeau de paille rappelle la lumière de cette belle journée d’été et les rubans roses sont ici personnifiés : comme le coeur de Frédéric qui s’emballe sous l’effet du coup de foudre, les rubans “palpitaient au vent ” Le regard descend et contemple les cheveux, dissimulés sous des bandeaux qui entourent “amoureusement” l’ovale du visage; Là encore, l’adverbe reflète les sentiments du jeune homme  et indique qu’il est bien à l’origine des perceptions ; La robe , autre élément de séduction , est également mise en valeur ; la légèreté du tissu, la mousseline, la couleur “claire ” évoquent un cadre lumineux: celui, romantique, à souhait d’une belle journée d’été. Flaubert fabrique un cadre idyllique à cette rencontre dont on devine pourtant la banalité; En effet, elle ne paraît extraordinaire que pour le personnage. Cette femme se donne à voir comme si elle était le sujet d’un tableau et ” sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu “.  Nous sommes déjà dans une visions fantasmée .  Cette belle inconnue va devenir l’incarnation du mystère amoureux :  elle demeure immobile telle la statue d’une divinité et le personnage se ridiculise à l’observer en la contournant de peur d’être vu; Cette tentative de dissimulation peut déjà nous transmettre certaines informations ; Frédéric craint d’être repéré et il paraît bien maladroit ; à la ligne 12, le verbe se “planta” a plutôt des connotations négatives et le choix de la position, derrière l’ombrelle, renforce l’idée d’un personnage peureux qui se cache et veut voir sans être vu. Il fait d’ailleurs semblant d’observer une chaloupe sur la rivière ” La passivité du héros est déjà bien présente au cours de cet épisode et l’un des enjeux du roman va, justement consister, à montrer son absence d’évolution .

Pour autant, c’est l’éblouissement qui domine encore avec l‘expression hyperboliquejamais il n’avait vu cette splendeur ” : la négation contribue à rendre encore plus exceptionnelle la beauté de la jeune femme : les éléments du portrait changent de nature et deviennent plus clairement l’expression du désir du jeune homme : le regard se porte sur “la séduction de sa taille ” ligne 14 et “cette finesse des doigts que la lumière traversait ” . Le narrateur montre la femme  en train de broder , activité somme toute, très ordinaire à cette époque et Frédéric semble quelque peu naïf et transporté par ses sentiments . C’est pourquoi on peut penser que la réalité est transfigurée grâce à l’utilisation du point de vue interne.  ; Les objets les plus triviaux lui apparaissent comme des trésors : il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement , comme une chose extraordinaire . ” On trouve, dans cette formulation, l’association d’un lexique très fort comme le mot “ébahissement ”  lui-même associé avec une comparaison quelque peu redondante , “extraordinaire ” : cette sorte de tautologie  rend le personnage un peu “ridicule “. Flaubert montre, de cette manière, à quel point la passion peut transformer notre vision des choses; Frédéric souffre déjà d’une sorte de désir insatiable qui se traduit par une litanie de questions ” quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ” peut -on lire à la ligne 15 . Il veut littéralement tout savoir de cette mystérieuse inconnue ; Son désir semble sans fin ; cette fois c’est l’ énumération des objets qui lui sont associés qui  permet de traduire la force de cette passion quasi instantanée : “ il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait .”  Le désir du héros tente de s’emparer de l’objet qu’il convoite dans une sorte de possession symbolique ; De même que son regard la cerne et l’entoure, ses pensées tentent  également de cerner de son existence toute entière . Cette convoitise est présentée comme douloureuse: on retrouve ici le paradoxe amoureux; En effet, le sentiment amoureux occasionne à la fois une grande joie et une grande souffrance à la pensée que l'objet que nous convoitons , pourrait nous échapper . Le narrateur tente de décrire avec davantage de précision, la nature du désir éprouvé par Frédéric: il élimine la simple possession physique pour faire référence à une forme de désir  supérieur , plus profond et plus total, qui n’est pas sans évoquer l’adoration religieuse. En effet, les mystiques s’efforçaient d’entrer en contact avec le divin  et d’unir leur esprit à une réalité supérieure : ils pouvaient parfois s’abandonner à des formes de contemplation qui pouvaient aller jusqu’au retrait du monde . La subordonnée finale ” une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites ” pourrait être empruntée au vocabulaire religieux pour, justement, caractériser, l’expérience mystique.

L’écrivain s’amuse maintenant à nuancer ce tableau religieux qui pourrait ressembler à une adoration de la Vierge avec l’apparition, non seulement de l’enfant mais également de la nourrice de ce dernier “une négresse”  ( l 20 ) ; le terme ici n’est pas péjoratif mais désigne simplement une femme de couleur . La mystérieuse inconnue est donc d’un statut bourgeois car elle a une domestique et probablement mère car elle prend l’enfant sur ses genoux. Il ne s’agit donc pas d’une rencontre entre deux jeunes gens qui semblent promis l’un à l’autre . Le jeune héros est ici fasciné par une mère de famille : ce qui peut heurter la moral et  on devine une liaison adultère se profiler si la femme est mariée. La précision “déjà grande ” ,  à propos de  l’enfant ,indique que les deux personnages n’ont pas le même âge et là encore, la différence d’âge ainsi que  le fait qu’un très jeune homme tombe amoureux d’une femme plus âgée, peut heurter certaines convictions morales d’un lecteur en 1860. Dès les premières lignes de cette rencontre amoureuse, le romancier prépare l’évolution de l’intrigue entre son héros, Frédéric et celle qu’il considérera comme le grand amour de sa vie mais aucun des deux personnages ne parviendra à vaincre les obstacles qui les séparent .

Marie Arnoux devient un objet de fantasme mais le héros ne transformera jamais cet amour en réalité partagée. Lorsqu’à la fin du passage, il se décide à intervenir pour rattraper son châle qui allait tomber à l’eau à la ligne 26, il peut , grâce à ce geste créer un premier contact mais il ne réussira pas à aller plus loin que de simples formules de politesse. C’est son imagination qui prend le dessus et il rêve à toutes les fois où son châle a servi à la réchauffer; Par l’intermédiaire de cet objet fantasmé, le narrateur nous fait lire son désir : “en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans. ” Les allusions sont claires et indiquent une forte attirance et un désir de partager l’intimité de Marie, d’être, en quelque sorte, à la place de son châle. Frédéric devient , par son geste , “le rattrapa ” une sorte de héros mais nous sommes bien loin de l’idéal chevaleresque .

Flaubert met en scène , au début du roman, une rencontre amoureuse qui s’apparente à un coup de foudre mystique et laisse deviner au lecteur perspicace que cette liaison est condamnée à échouer car le personnage a donné à la femme le statut d’une divinité inaccessible . En choisissant , qui plus est, une femme mariée et déjà mère, le romancier cherche également ,  à nous faire réfléchir à la manière dont la société de son époque tolère ce type de liaisons . Marie Arnoux sera sur le point de succomber à l’ardeur des sentiments du jeune homme mais , comme La princesse de Clèves, elle ne se résoudra pas à devenir la maîtresse de Frédéric; le jour où ils avaient rendez-vous à l’hôtel, son enfant est tombé malade et elle y a lu comme un signe du destin; elle ne s’est donc pas rendue au rendez-vous et Frédéric fut fou de rage et de tristesse. L’occasion se représenta quand elle fut plus âgée

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Le projet du roman et ses grandes lignes

Le romancier Gustave Flaubert s’est librement inspiré de l’amour absolu et platonique qui le lie à jamais à Mme Schlésinger, cette femme qu’il rencontra jadis, il n’avait pas seize ans. « Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération, écrit l’auteur ; “sentimentale” serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion telle qu’elle peut exister maintenant, c’est-à-dire inactive. » Comme on peut s’en douter dès leur première rencontre, cette passion en sera jamais assouvie car le héros idéalise cet amour .Le roman met en scène les ambitions passives de Frédéric Moreau. L’intrigue se résume à la vacuité d’une carrière amoureuse et sociale ratée. Loin de l’image d’un héros romantique entreprenant et ambitieux ,  Frédéric Moreau est bien plutôt un anti-héros. Sa passion pour Marie Arnoux, jamais démentie, jamais aboutie, se résume à une contemplation  plus ou moins perturbée par les mouvements sociaux et politiques de 1848. Ses ambitions sociales, politiques et matrimoniales échouent successivement, Il symbolise à lui seul toute une génération, l’échec d’une jeunesse romantique face à la société bourgeoise et à l’Histoire. Marie Arnoux est la femme adulée. Épouse d’un bourgeois , mère de deux enfants, elle est pour Frédéric l’amante idéalisée, une promesse de bonheur. À la voir, il éprouve « une sorte de crainte religieuse ». Vingt ans plus tard, il la retrouve, et voit « ses cheveux blancs.  » Son désir pour elle est contrarié par quelque chose « comme l’effroi d’un inceste », la crainte du dégoût ou de l’embarras, et le désir de « ne pas dégrader son idéal ». Autour de Frédéric graviteront d’autres figures féminines secondaires. Louise Roque, jeune fille riche et amoureuse qu’il finira par épouser et qu’il quittera, Mme Dambreuse, mondaine parisienne, dont il deviendra l’amant  et Rosanette, courtisane facile avec laquelle il aura une liaison mouvementée, faite de séparations et de retrouvailles  . Aucune de ces trois femmes ne semble pourtant rivaliser avec cet idéal incarné qui obsède Frédéric et qui constituera un échec supplémentaire dans sa vie faite de ratages successifs.

30. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La Bruyère et les Caractères : une peinture imaginaire de la Cour et des Grands . · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Jean de La Bruyère est un moraliste français, qui a rédigé une œuvre unique et originale Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle ; Ce livre est composé essentiellement de portraits et maximes, regroupés parfois sous forme de chapitres qui présentent une unité thématique . Les “traits” dépeints dans les Caractères révèlent un esprit critique et indépendant, celui d’un homme de la fin du dix-septième siècle . Ses observations, souvent impitoyables envers la nature humaine, conservent une valeur intemporelle. Malgré l’objectif affiché par le titre de l’ouvrage, le moraliste recourt à l’imagination et à la fiction pour permettre l’exercice de la pensée critique . C’est ce que nous voyons à l’oeuvre dans cet extrait où il critique avec férocité les mœurs de la Cour en adoptant une sorte de regard étranger . Nous verrons d’abord le portrait des jeunes gens avant d’évoquer les reproches qu’il adresse aux femmes et celles qui visent l’adoration du Roi

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Portrait-Mme-Montespan-

Le premier procédé utilisé par le moraliste est celui du regard étranger sur une contrée imaginaire . Le narrateur , volontairement dissimulé sous un on global et indéterminé, évoque la Cour comme s’il s’agissait d’un pays éloigné dont il précisera d’ailleurs la position géographique avec les coordonnées de latitude et de longitude, à la fin de sa description, aux  lignes 21 et 22. La  peinture critique débute par une opposition entre les qualités des vieillards et les défauts des jeunes gens qui composent une partie de la population de ce pays imaginaire; Alors que les premiers sont galants, polis et civils, les jeunes ‘au contraire ,marque de l’antithèse, sont qualifiés de “durs, féroces, sans moeurs ni politesse” . Défauts et qualités s’opposent en tous  points et on constate que les défauts l’emportent car ils sont au nombre de quatre. Le moraliste affine sa critique en précisant que ces jeunes gens ne se comportent pas de manière habituelle et il les compare à tous les autres  qui se trouvent “ailleurs” ; Leurs moeurs seraient donc propres à ce pays imaginaire uniquement;  Il leur reproche d'être déjà dégoutés de l'amour des femmes très tôt et cela lui semble une aberration; Il utilise un terme plutôt mélioratif, le verbe s’affranchir qui signifie être capable de se détacher d’une passion, s’en libérer , pour montrer que ces jeunes hommes sont , prématurément, blasés et ne cherchent plus à connaître l’amour; Serait- ce le signe de trop de galanteries à la Cour ? La Bruyère nous renverrait ici une image proche de celle de Madame de La Fayette qui dépeint   les dangers des amours à la Cour et la multiplication des intrigues amoureuses;

Au lieu de se tourner vers les femmes , ces jeunes gens “leur préfèrent des repas ” peut on lire à la ligne 3, ainsi que des viandes; Ce choix peut paraître discutable d'un point de vue moral et il présente la nourriture , la bonne chère comme une alternative préférée à la chair , c'est à dire à l'amour. Néanmoins, à la fin de cette proposition, on découvre la mention d’amours ridicules ; ( ligne 4 ) Que veut indiquer ici le moraliste? Etablit-il , par allusion,  une différence entre amours sérieux et amours ridicules ? Est-ce une critique des nombreuses aventures adultères ou aux amours homosexuelles  qui désigneraient une partie de la Cour, autour de Monsieur, Philippe d'Orléans,frère du roi, réputé pour ses liaisons masculines et son goût de la fête , qui mettait fort en colère la reine . En effet, de nombreux mémorialistes et notamment Saint -Simon, qui était pourtant un ami personnel du frère du roi  , notent son goût immodéré pour le vin et pour la débauche en général . S’agirait-il donc d’une généralisation, dans l’extrait de La Bruyère d’une forme de décadence à la Cour , marquée à cette époque par le faste . En 1682, rappelons que lorsque Louis XIV s’installe à Versailles, il est entouré au quotidien de près de 10000 personnes.

La critique de l’alcoolisme outrancier des jeunes gens à la cours fait l’objet de plusieurs remarques sous la forme de notations paradoxales : ne boire que du vin est ainsi assimilé, chez eux , à de la sobriété car ils ont besoin d’alcools de plus en plus forts comme le traduit le superlatif de la ligne 6 “liqueurs plus violentes ” pour terminer par l’eau- forte associé à la débauche, lignes 6 et 7 . L’eau -forte désigne l’acide nitrique dont se servent les graveurs pour dessiner dans le cuivre ; mélangé à de l’eau, l’acide nitrique est un puissant décapant corrosif, mortel s’il est ingéré et La Bruyère fait- il référence aux nombreuse tentatives d’empoisonnement à la Cour en nommant un poison toxique capable de tuer l’homme. Il joue avec la parenté du mot eau de vie qui renvoie à des alcools très forts .

La seconde partie de la critique s’adresse particulièrement aux femmes de la Cour accusées d’être trop artificielles : Ces dernières , en effet, “précipitent le déclin de leur beauté “paradoxe pour signaler que leur maquillage excessif les enlaidit au lieu de les embellir. La Bruyère goûtait sans doute peu, les évolutions de la mode à la Cour qui avaient imposé ,des transformations dans les tenues féminines. Sous l’influence d’Anne d’Autriche, régente de son fils Louis XIV, la mode à la Cour était plutôt austère mais , dans la seconde moitié du règne du roi Soleil, les costumes avaient changé : les manches étaient devenues plus courtes, les coiffures plus travaillées et le maquillage avait fait son apparition ; La Bruyère note surtout le manque de pudeur de certaines tenues : le verbe étaler à la ligne 9 est péjoratif et reflète le comportement amoral des femmes de la Cour ; une fois de plus, le moraliste recourt à un paradoxe pour souligner sa critique de l’impudeur “comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire “ ; il monter qu'elles sont très dénudées et que leurs tenues sont impudiques. En révélant publiquement , par leurs toilettes, les parties jusque là cachées de leur corps notamment les bras, le haut de la poitrine et le cou;

L’évolution de la mode masculine est également fustigée avec une nouvelle coutune qui choque la Bruyère: il s’agit du port de la perruque alors en vogue; cette dernière est qualifiée, à juste titre de “cheveux étrangers “ à la ligne 12; En effet, les perruques sont composées de cheveux qui n’appartiennent pas, en propre, à ceux qui les portent et le terme étrangers peut ainsi renvoyer au contexte imaginaire de cette “région “étrange et lointaine. Le moraliste reproche au port de la perruque de rendre la physionomie “confuse ”  ligne 11 ce qui est présenté comme un défaut contraire à la netteté et au naturel ( ligne 12) ; De plus, la perruque est également accusée de modifier l’aspect de la personne qui la porte d’en “changer les traits ” ; Les apparences prennent ainsi le dessus sur le naturel ce qui est quelque peu contraire à l’esprit de l’honnête homme , le modèle que défendent les moralistes . De plus, les perruques brouillent les repères et semblent empêcher “qu’on connaisse les hommes à leur visage” ; Est-ce ici une référence à l’expression montrer son vrai visage qui signifie être franc , ne rien dissimuler. On retrouve ainsi les mêmes reproches que ceux formulés à l’encontre des courtisans par l’auteure de La  princesse de Clèves: des hommes et des femmes qui dissimulent leurs véritables sentiments.

labru7.jpgLa dernière partie de notre texte est consacrée à la critique du culte personnel rendu au roi. A la ligne 14, La Bruyère met d’ailleurs sur le même plan les deux entités  associées par la coordination : “leur Dieu et leur roi “; Il décrit ensuite le culte catholique et le rituel des célébrations religieuses comme s’il s’agissait d’étranges cérémonies païennes; Le vocabulaire qui est employé rappelle celui de la Grèce antique avec la mention à la ligne 15 du temple, devenu “église” et de la liturgie qui  est désignée au moyen de l’expression “ célébration des mystères” ; La religion catholique est définie au moyen de trois adjectifs : “saints, sacrés et redoutables ” : si les deux premiers d’ailleurs qeulque peu  redondants, sont laudatifs et rappellent la dimension sacrée des rites;   le dernier ferait plutôt référence à la peur qui animerait certains fidèles ; En effet, à la cour il est plus prudent d’assister aux offices et de ne pas être accusé d’hérésie comme le furent les Protestants; La période , en effet, est agitée et de vives tensions sont perceptibles dans l’entourage même du roi : en 1685 ce dernier, sous la pression de la reine, révoque l’Edit de Nantes et interdit ainsi aux protestants, de plus en plus nombreux à la cour, d’afficher et de pratiquer leur religion . Notons que La Bruyère est proche de la famille du Prince de Condé, cosuin du roi et  qui fut l’un des principaux opposants politiques de Louis XIV; il fut lle précepteur et ensuite le secrétaire de Louis III de Bourbon -Condé, petit-fils du grand Condé ; il donna également des leçons à l’épouse de ce dernier (le mariage eut lieu alors qu’elle n’était âgée que de 11 ans ) Mademoiselle de Nantes , qui était la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. ) A la ligne 19,l e narrateur met en doute la sincérité de la foi de certains courtisans qui “semblent avoir tout l’esprit et tout le coeur appliqués ” Il leur reproche de ne pas s’intéresser au déroulement même de l’office mais de préférer regarder le roi alors qu’ils tournent le dos au prêtre . Son dernier commentaire évoque une “espèce de subordination ” qu’il juge déplacée ; N’étant pas lui-même d’une grande noblesse, La Bruyère épingle la morgue de certains grands du royaume qu’il fréquentait mais en tant que subalterne ; Il dénonce ici l’affectation de leur piété: leur dévotion semble se tourner davantage vers la figure du roi que vers Dieu ; la construction de la phrase de la ligne 20, avec ses parallélismes,  traduit cet état de fait ” ce peuple paraît adorer  le Prince et le prince adorer Dieu “. La révélation de la localisation de cet étrange pays est donnée sous forme de devinette à la fin du texte et rappelle que La Bruyère enseignait l’histoire et la géographie; La référence aux Iroquois et aux Hurons fait passer les courtisans pour d’étranges personnages aux moeurs tout aussi étranges que celles des peuples cités qui font l’objet de la curiosité des Français .

 En conclusion de ce court extrait , on peut voir que La Bruyère aime le juste milieu et refuse tous les excès. La dimension morale des Caractères repose sur cette invitation au lecteur à ne pas imiter ses personnages décrits dans leur démesure. Il critique également les dangers de vivre dans les apparences et les fausses valeurs, comme c’était le cas à la cour de Louis XIV. Les courtisans se souciaient plus de leur apparence que de ce qu’ils étaient réellement, prêts à tout pour se faire une place dans la société, quitte à passer à côté de la morale. Il prône l’idéal de l’honnête homme, qui sait rester fidèle à ses principes sans tourner le dos à son prochain, qui est cultivé mais ne tombe pas dans le pédantisme, qui représente un idéal social d’équilibre, en somme. Du point de vue politique, La Bruyère dénonce tous les excès de la monarchie absolue, qu’il s’agisse de l’exaltation de la grandeur et de l’argent ou de la tyrannie hiérarchique exercée sur les classes sociales inférieures telles que celle des paysans. Les Caractères parurent de manière anonyme et l’écrivain a utilisé le pouvoir de l’imagination pour permettre, aux aristocrates, public lecteur ,  de réfléchir aux moeurs de leur temps ; Lorsque la critique est virulente et touche de près les lecteurs, le détour par l’imagination permet de mettre la distance nécessaire à la réflexion.

La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moraliste, tout comme Jean de La Fontaine ou François de La Rochefoucauld car si son écriture vise à plaire, elle vise avant tout à instruire son lecteur, à lui délivrer une morale. C’est en cela qu’il s’inscrit aussi pleinement dans le classicisme, prisant la mesure et refusant les excès. De plus, il défend la théorie des « Anciens » et se méfie de la nouveauté  car il pense que la littérature de l’Antiquité a atteint la perfection ; Dans la querelle des Anciens et des Modernes qui divise les Académiciens, , il prendra le parti de Racine, de Boileau et de La Fontaine contre Perrault et Fontenelle dont il fera le portrait à charge dans l’un de ses caractères.

A titre de complément, voilà un autre extrait qui dépeint la Cour comme un pays imaginaire

ll y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels.
La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des passions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.
Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan d’autant plus parfaite, qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.

 Un exemple maintenant, pour préparer l’écrit du bac, de plan de commentaire littéraire donné sur ce site  https://francaiscourbac.skyrock.com/2835430708-DE-LA-COUR-74-LECTURE-ANALYTIQUE.html
1. Un narrateur étranger. les indices de l’énonciation
Plusieurs formulations laissent penser que celui qui parle rapporte des paroles entendues et décrit ce qu’on lui a présenté mais qu’il n’a pas vu lui-même.
A. L’utilisation du « on ».
Ce pronom ouvre le texte sans que le lecteur puisse savoir si le narrateur s’inclut ou non dans le groupe. Ce n’est donc pas un indice révélateur à lui seul.
On remarque la présence d’un deuxième « on », « où l’on commence ailleurs à la sentir », qui peut poser le même problème, mais de l’un à l’autre, certains éléments laissent penser que cet emploi fait du narrateur le rapporteur d’un message relatif à des lieux qu’il ne connaît pas.
B. les références à une région étrange.
Le mot « région », caractérisé par la présentation de ceux qui y vivent, est repris par l’expression « cette contrée », puis par « pays ».
Le terme « peuple » (au singulier ou au pluriel), ou la périphrase « Ceux qui habitent » font également penser à un pays étranger dont la population aurait des comportements inattendus.La localisation géographique qui termine le texte, par rapport au pôle d’une part, de l’autre à des tribus indiennes, termine sur une note exotique qui accentue l’aspect « pays lointain » et inconnu de la région décrite.Le texte se trouve ainsi ouvert et fermé par l’évocation d’un pays original, dans lequel les comportements sont constamment dépaysants.
C. Les périphrases et l’insistance sur l’apparence.
Le pays n’étant pas nommé, on ne peut appeler ses habitants par leur nom.La périphrase « Ceux qui habitent cette contrée » permet de les désigner en jouant sur l’ignorance.D’autres expressions vont dans le même sens : « les cheveux étrangers » désignent les perruques.Par ailleurs la formulation « qu’ils nomment », « qu’ils appellent » insiste sur le fait qu’il s’agit de pratiques et de terminologies peu connues.La récurrence des verbes soulignant l’apparence joue le même rôle : « semblent », « paraît ».Ces différentes formulations se combinent pour brouiller l’énonciation : le lecteur ne sait pas de quoi il est question, ni dans quelles circonstances celui qui parle émet son message.Il ne sait pas non plus comment ce dernier se situe par rapport à ce qu’il rapporte des éléments de présentation entendus à propos d’un pays lointain dont les coutumes, présentées un peu approximativement, ne sont pas clairement élucidées : utilisation de « comme si » à propos des femmes (« comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire »), interprétation erronée de l’emploi des perruques (« (…) empêche qu’on ne connaisse les hommes à leurs visages »).L’emploi de ce procédé est de nature à créer l’étonnement du lecteur et sa curiosité : il devient de ce fait plus réceptif à un message qui présente l’intérêt de l’exotique ou de l’insolite.

2. Une présentation organisée et structurée. la structure du texte
Malgré l’absence de mots de liaison, on peut observer une organisation de la présentation, qui va de la « région » au « pays », en passant en revue les habitants à travers leurs façons de vivre, puis le roi et les relations qu’ils entretiennent avec lui.Cette structure se met en place par simple juxtaposition.
On observe successivement :* La présentation des jeunes gens, avec leur manière d’être en général, leur manière de manger puis de boire.
Cette présentation se fait par comparaison de ce groupe avec celui des vieillards (« L’on parle… de l’eau-forte »).* La présentation (« Les femmes… à leur visage ») des apparences vestimentaires des femmes d’abord (maquillage, vêtements) puis des hommes en général, avec une insistance sur les perruques et sur leur utilité (ici, empêcher que l’on reconnaisse ceux qui les portent, ce qui est une interprétation volontairement erronée).* L’existence de « grands », d’un prince, d’un dieu : c’est l’occasion de rapporter un rituel en le déformant et en le représentant sous un jour volontairement naïf . L’exposé est précis, relevant de ce qui est visuel, avec des notations brèves et simples qui traduisent un peu naïvement des cérémonies empreintes de toute la pompe versaillaise.
La progression qui suit le texte est donc perceptible :Le présentateur commence par des catégories d’âge et par ceux qui sont le plus éloignés du roi, pour aborder ensuite les courtisans plus proches, puis le roi lui-même.Cette hiérarchie inversée se retrouve dans l’analyse de la subordination : « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu ».Or, c’est précisément l’ordre suivi par le présentateur de cette « faune » insolite : peuple, femmes, grands, prince, Dieu.Cette classification permet à celui qui parle de mettre en relief de nombreux éléments critiques.

3. Les éléments de la critique.
La présentation de chaque catégorie est caractérisée par l’utilisation d’un vocabulaire très nettement dépréciatif : adjectifs connotés négativement, insistance sur les défauts, mise en relief des contradictions ridicules.
A. Les caractérisations négatives.
On observe l’emploi d’adjectifs comme « durs », « féroces », eux-mêmes hyperboliques, ou comme « pas nette », « confuse », « embarrassée ».
L’expression « sans mœurs ni politesse » marque également l’absence.Tout le comportement alimentaire et amoureux des jeunes gens souligne qu’ils sont blasés, excessifs, comme s’ils avaient déjà tout connu. Le narrateur fait ici le portrait rapide de libertins, comme le souligne le terme « débauche ».
B. L’expression des comportements outrés ou contradictoires.
L’utilisation de verbes d’action met en relief des gestes et des actions présentées sous une forme critique.
Toute l’attitude des femmes est rendue par l’activité (présentée comme néfaste) du maquillage. La première phrase qui leur est consacrée met en relief, par l’opposition « déclin de leur « beauté » / « servir à les rendre belles », les contradictions de choix qui conduisent à l’opposé des effets cherchés, sous l’influence de la mode, la « coutume ».
Les attitudes contradictoires et étonnantes, pour cette raison, sont aussi celles des courtisans qui sont avec le roi à l’Église : « les grands forment un vaste cercle… et tout le cœur appliqués » : au lieu de se tourner vers l’autel et vers le prêtre, ils regardent le prince dans une attitude d’idolâtrie.
C. Le ton naïf de certaines formulations.
La présentation du roi dans un rituel religieux est faite dans une tonalité presque naïve que l’on perçoit d’une part à la simplicité du vocabulaire, d’autre part au souci de précision :« les grands de la nation… faces élevées vers le roi ».
La simple juxtaposition des remarques, l’insistance sur les apparences donnent une apparente importance feinte à des comportements qui sont ceux, habituels, des courtisans.En affectant de faire passer pour insolite ce qui est usuel, La Bruyère en souligne les ridicules et les outrances.
D. La présence de critères, d’éléments de comparaison présents ou sous-jacents.
En utilisant constamment la référence au « pays » à la « contrée » particulière dont il est question, le narrateur attire l’attention sur le fait que tout ce qui est décrit pourrait être autre, ou autrement, ailleurs.Les démonstratifs font référence à une région précise, ce qui n’exclut pas d’autres pays et d’autres modes de comportement.Ainsi, ailleurs, les jeunes gens pourraient être polis, les femmes simplement belles, sans « étalage » inutile, les hommes pourraient ne pas se cacher derrière des perruques et le roi ne pas se faire adorer par des courtisans.
La dénonciation de ce qui se passe à un endroit précis, identifiable comme étant Versailles, laisse imaginer ce qui pourrait exister à la place.
La manière de procéder de La Bruyère est donc à double effet.
Parmi les critiques énoncées, beaucoup relèvent de la vie de cour et sont donc historiques (ce qui touche au roi et à ses relations avec ses courtisans).
Il en est de même pour la mode féminine ou celle des perruques. Parallèlement, on peut considérer que certains comportements stigmatisés sont simplement humains : le goût de l’excès chez les jeunes libertins se retrouve à diverses époques, l’hypocrisie des courtisans avides de montrer leur adoration du roi appartient à toutes les hiérarchies sociales, la coquetterie féminine et le goût du maquillage ne sont pas typiques de la cour de Louis XIV.
En ce sens, on peut dire que le texte, au-delà d’une critique de la vie de cour, et plus précisément de Versailles, s’applique à de nombreux comportements sociaux de tous les âges et de toutes les époques.Il est alors intéressant de faire le bilan des effets nés du « regard étranger » dans ce texte : le mélange d’insolite (dans la formulation) et de familier (dans la réalité réellement présentée) crée une distorsion entre l’apparence (ce qui est supposé vu par le regard inhabitué) et la réalité (connue des lecteurs).La non – coïncidence exacte attire l’attention sur ce qui est montré sous un jour nouveau, et qui est alors vu différemment.Le ridicule ainsi perçu devrait conduire à regarder Versailles comme une sorte de « zoo » monstrueux : peuplades bizarres, comportements incompréhensibles, décalages et contradictions.
CONCLUSION.
Par le biais d’une présentation insolite et dépaysante, La Bruyère dénonce dans ce texte les comportements des courtisans. Le tableau, d’un réalisme caricatural, passe par un regard qui dit ce que les courtisans ne voient plus à force d’habitude. Il est intéressant de remarquer que La Bruyère utilise, pour rendre sa critique plus mordante, et plus efficace, un procédé qui sera largement repris après lui, avec l’objectif de souligner le poids des traditions et des préjugés, par les partisans des modernes, les philosophes. Il est  paradoxal que ce soit un partisan des « Anciens » qui en ait donné le modèle.

 

29. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La fable et la vérité : Florian, fabuliste du dix-huitième siècle · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Les Anciens et notamment Esope , utilisaient la fable comme le préconisait Horace, à la fois , pour plaire et instruire . A l’époque classique, La Fontaine s’en servit lui aussi, comme d’une alliance entre la dimension plaisante d’un récit varié et la nécessité d’une finalité morale . Pour autant, toutes les fables ne délivrent pas le même type d’enseignement et certaines paraissent plus sérieuses que d’autres; L’univers des fables est varié :  on y rencontre des animaux qui parlent, des  personnages issus de contes orientaux et qui font place au  merveilleux et des allégories qui représentent des  observations philosophiques qui nous montrent la voie de la sagesse. Au siècle des Lumières, l’apologue  emprunte, le plus souvent, la forme du conte philosophique, mise au point par Voltaire . Néanmoins, quelques écrivains comme Jean-Pierre-Claris de Florian, continuent à écrire des fables . Ce dernier garde un esprit proche de celui du moraliste du siècle précédent avec  toutefois, une touche de cynisme en plus. Voyons comment se présente la rencontre entre la fable et la vérité .

La fable de Florian se présente clairement sous la forme d’une rencontre entre deux femmes : l’une est l’allégorie de la fable et l’autre représente la Vérité .
L’allégorie est double ici : elle se présente sous la forme d’une double personnification de la fable et de la vérité, c’est-à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence opposés. Toutes deux sont représentées, en effet, avec l’apparence de deux femmes diamétralement opposées par l’âge et la tenue.  Le récit débute par la présentation de la vérité qui est d’emblée qualifiée par sa nudité. Les deux premiers vers réactivent un proverbe ancien . « la vérité sort du puits »,. Ce surgissement de la vérité semble tout d’abord surprendre comme on le voit avec le passé simple qui illustre la rapidité de l’action de surgir , et  l’indication de temps « un jour » . La personnification montre la faiblesse de la vérité qui a une apparence repoussante ” ses attraits par le temps étaient un peu détruits” . On a l’idée ici , au vers 3, qu’elle est  encore reconnaissable mais abîmée , dégradée. Le lecteur est ému par l’état de faiblesse de cette  allégorie qui semble avoir du mal à faire face aux “outrages du temps ” comme on nomme la vieillesse.  Le fabuliste rajeunit une formule courante en la prenant au pied de la lettre et en imaginant une forme humaine pour une idée abstraite.

Le dénuement de la vérité est symbolisé par la brièveté du vers impair de 7 syllabes, qui inaugure l’apologue ; l’auteur joue  également sur le double sens du qualificatif « pauvre » (au v. 5). Ici antéposé , c’est à dire placé avant le nom auquel il se rapporte, il a le sens de “à plaindre, qui attire la pitié, la compassion” . Les effets produits par l’apparition de cette vieille femme nue  corroborent cette interprétation : elle provoque la fuite de toute la population “jeune et vieux” dès qu’elle montre le bout de son nez. On peut noter un aspect comique des réactions décrites et une forme d’exagération mais cette formulation traduit bien l’idée que la vérité effraie vraiment les gens. La vieille dame est alors présentée comme une mendiante qui est “sans asile” puisqu’elle ne peut retourner se terrer dans son puits, sous terre. Elle se trouve exposée à la vue de tous et éprouve un sentiment de tristesse et de désolation qu’indique l’adjectif “morfondue” . C’est alors qu’intervient le second personnage : la fable, qui fait elle, son entrée en scène, sous les traits d’une très belle dame “richement vêtue.” Le contraste est alors saisissant entre les deux représentations. Le costume rutilant de cette dernière est composé de “plumes ” et de diamants ” On retrouve ainsi au vers 9 , à la fois une idée de luxe car le diamant est une pierre précieuse mais également de chaleur et  de légèreté avec les plumes qui étaient des décorations très prisées à cette époque; On les utilisait pour agrémenter un vêtement ou un chapeau, par exemple mais aussi pour transformer un vêtement ordinaire en vêtement d’apparat.  Le vers suivant introduit l’idée de l’artifice et du faux semblant avec la mention du caractère “faux ” des diamants. Le spectateur sera avant tout frappé par leur brillance et risque d’oublier que ce ne sont pas d’authentiques pierres précieuses. Florian met ici en opposition le dénuement de la vérité et le bel habillage de la fable tout en soulignant le mensonge de la fiction .

C’est la fable qui prend la parole la première : elle semblait être à la recherche de la Vérité et la salue poliment : “bon jour “dit-elle ; Elle ne semble pas rebutée par l’apparence de la vieille femme mais elle s’étonne de la trouver seule et lui demande la raison de cet isolement au vers 12.  La réponse ne tarde pas à venir et prend le tour d’un constat, quelque peu désabusé . En fait, Florian a construit son anecdote à partir des différences et des contrastes entre les deux femmes jusqu’à la proposition d’alliance du vers 25 , L’absence de vêtement explique la réplique  de la vérité au vers 13, « je gèle ». À l’inverse, la fable est « vêtue » : à la pauvreté de la première répondent le « richement vêtu » du vers 8, les ornements et les bijoux (v. 9), l’éclat (« brillants », v. 10), le « manteau »  protecteur du vers 25. La mention  du vers 10 (« la plupart faux ») rappelle  adroitement et de manière imagée, le caractère hybride de la fable, mixte de vérité et de mensonge. Alors que la vérité est seule et rejetée de tous (vers 4, 6, 14, 16),  on apprend que la fable est  partout « fort bien reçue » (v. 20)  La vérité prend alors la parole pour expliquer sa situation et sa mise à l’écart : ses demandes d’abri sont des échecs comme le montre l’adverbe “en vain “ au vers 14 . Consciente que son apparence rebute les gens , elle impute cette situation à sa vieillesse avec une tournure proverbiale qui prend l’allure d’une vérité générale  “ vieille femme n’obtient plus rien ” . Cette impression est remise en cause par les paroles de la fable qui insiste  volontairement, avec une question rhétorique, sur la nudité de la vérité et lui propose de se cacher, en partie, sous son manteau au vers 25 . Toutes  deux sont alors présentées comme marchant de concert et leur union, leur sera à toutes deux, bénéfique. C’est ce que démontre Florian dans les 8 derniers vers de l’apologue.

En effet, leur alliance va leur permettre à toutes deux, de toucher tout le monde : le sage ne refusera plus la fable sous prétexte qu’elle est mensongère et fausse ; le fou, lui, ne maltraitera plus la vérité; A elles deux, elles sont complémentaires et tissent des liens entre raison et folie ; Ce qui les amène à servir chacun “selon son goût” ( v 30 )  Le récit es termine sur leur duo; elles forment une compagnie , qui va leur ouvrir toutes les portes. Cependant, on a bien l’impression que c’est la fable qui l’emporte .
La fable  est celle qui mène le jeu et le dialogue dans cet apologue :  c’est elle qui prend la parole au vers 18 et la conserve jusqu’à la fin de la fable. La vérité se tait désormais  comme si elle n’avait plus droit à prendre la parole. Bien que la fable manifeste du respect à son égard, à la différence des passants, en la qualifiant de « dame » (v. 21), elle propose ensuite une solution, un pacte intéressé (v. 24), un échange de bons procédés : la fable a besoin de la vérité pour entrer chez les sages et la vérité  a besoin de la fable pour convaincre les fous. Elle tire ainsi sa malheureuse compagne de la misère et de la solitude, et lui promet des jours meilleurs :  la fable semble posséder une certaine expérience  et rappelle qu’elle est plus âgée que la vérité; On peut peut être y lire une allusion à la préexistence des mythes par rapport aux récits explicatifs et sérieux. La fable paraît assez sûre d’elle  et sa fausse modestie “sans vanité ” est aussi une marque de son orgueil. Elle affirme connaître les hommes et exprime sa certitude  de la réussite de leur entreprise  commune à l’aide du futur « vous verrez » (v. 32). Au vers 23, la fable n’hésite pas à se montrer critique envers la vérité et lui reproche, notamment , sa maladresse : “cela n’est pas adroit.” Elle prétend savoir mieux y faire pour être accueillie par les hommes.
 En conclusion , Florian a  choisi astucieusement deux représentations imagées de la vérité et de l’imagination.Les hommes fuient la vérité , soit par ce qu’ils la redoutent  soit parce qu’ils ne veulent pas la voir; elle est même « maltraitée » par les « fous » . L’allégorie est claire : les hommes n’aiment pas « la vérité toute nue », illustration de l’adage « toute vérité n’est pas bonne à dire », la vérité n’est pas toujours belle à voir, sa laideur dérange, l’humanité préfère les enjolivements de la fable. Si les hommes préfèrent les fables, c’est parce qu’elles enrobent, elles habillent et masquent , en partie,  l’âpreté du vrai.  La fable  ménage l’orgueil humain. Mais sans la vérité, la fable n’est plus qu’un mensonge , un récit imaginaire – elle a donc besoin de s’allier à cette dernière pour se justifier. Florian se livre à un éloge de la fable, du pouvoir de celle-ci qui lui paraît supérieur à celui de la vérité.  Comme le rappelle d’ailleurs dame fable ,la vérité commet une erreur en se présentant « toute nue » : ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à ses fins. La leçon est moins pessimiste que lucide, il faut prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’il devrait être, pour reprendre La Bruyère. On rattachera cette morale implicite à la préface des Fables de La Fontaine.

 

 

28. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Médée trahie par Jason : les conséquences tragiques d’une passion. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,
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Jason à la conquête de la Toison 

En 1635, un jeune dramaturge, Pierre Corneille décide de construire une pièce de théâtre  en exploitant certains aspects du mythe de Médée . Il reprend des éléments utilisés par le grec Euripide et  le latin Sénèque et met l’accent sur la dimension spectaculaire de l’intrigue. Blessée par l’abandon de Jason qui est décidé à épouser sa nouvelle fiancée Créüse , Médée va se venger d’une manière terrible en empoisonnant la robe de sa rivale et en provoquant la mort du père  de cette dernière; le roi Créon. Toutefois, Corneille place le spectateur face à une figure de femme poussée par  sa vengeance meurtrière. Alors que dans la tragédie antique, la fatalité semblait peser sur les hommes et les accabler, dans la tragédie baroque, les personnages se trouvent confrontés à  des choix cruciaux et prennent des décisions qui engagent leur destin. Ainsi Corneille  choisit de mettre en scène le suicide de Jason à la fin de sa pièce comme pour montrer que le traître n’a pas survécu à sa trahison et à l’assassinat de ses enfants.  Fidèle au principe de catharsis défini par Aristote, Corneille tente de provoquer la pitié du spectateur en montrant une femme qui souffre et en tentant de justifier ses agissements .  

Le passage que nous étudions se situe à la fin du premier acte et complète les éléments d’exposition. La magicienne s’ adresse aux Dieux et les implore de l’aider à accomplir  sa vengeance contre celui qui l’a trahie. Ses origines divines et monstrueuses sont rappelées par Corneille qui la présente toutefois comme une femme bafouée et blessée. Ce sont ces deux aspects qui composent la tragédie intime de Médée. La lecture linéaire commencera , au dernier tiers du texte , à partir du  vers Tu t’abuses Jason ..elle comportera 28 vers

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1 . C’est d’abord  une femme monstrueuse et dangereuse 

Ses  origines maléfiques sont rapelées dans le premier mouvement de la tirade .

La colère de Médée éclate dès le début de sa tirade et elle en appelle à ses” soeurs”  “les Furies” . En effet, la mère de Médée, Idyie était la soeur de la célèbre magicienne Circé qui transformait les hommes en porcs . Toutes deux sont filles d’un Titan et elles représentent la génération des anciens Dieux qui précèdent les Olympiens. Médée est également fille d’un roi , celui de Colchide, Aétés et elle s’enfuira avec Jason et la Toison d’Or  bravant la colère d’Aetés. Elle ira jusqu’à découper son propre frère en morceaux pour ralentir la poursuite du roi lancé à leurs trousses. Les déesses qui sont invoquées  par la magicienne sont toutes maléfiques : elles sont des sorcières “troupe savante en noires barbaries” et poursuivent les criminels comme les Furies. En effet, dans la mythologie romaine, les Furies sont l’équivalent des Erynies chez les Grecs , divinités persécutrices infernales qui apparaissent souvent sous la forme de hideux spectres comme les larves et les pestes. Les Erynies sont trois avec Mégère à leur tête: on les représente sous la forme de femmes aux cheveux de serpent et aux yeux rouges .  Corneille mentions d’ailleurs les serpents  et les enfers au vers  Quant aux filles de l’Acheron, elle sont comme Médée, des Océanides car l’Acheron est un Dieu fleuve qui a été précipité aux Enfers par Zeus car il a étanché la soif des Titans. Il est le fils de la Terre Gaîa et du Soleil Hélios.  .  Médée a donc un aspect effrayant pour le spectateur à cause de ses origines maléfiques et sa dimension infernale est rappelée à plusieurs reprises . Sa colère pourrait donc aisément être mortelle ce qui apporte une première dimension tragique à ce passage .

 2 Mais c’est aussi une femme meurtrie qui souffre 

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Les Erynies

 Rappelons tout d’abord les faits : Médée est bien mal récompensée de l’aide apportée à Jason car elle lui a apporté une aide précieuse à plusieurs reprises; Il lui doit la vie et un amour envoyé par Vénus la lie à lui.

La colère mortelle de Médée peut, en partie, être justifiée par le rappel des faits : Jason s’est montré parjure et déloyal comme l’indique l’adjectif perfide a. Médée rappelle le rôle qu’elle a joué lors de la conquête de la Toison  : elle a en effet, utilisé sa magie pour que Jason puisse affronter le feu du dragon  en fabriquant pour lui un onguent qui le met à l’abri des blessures des flammes ; Elle a accompli “tant de bienfaits “   et Corneille met à la rime ce mot avec le parallélisme de construction au vers suivant “tant de forfaits ” ; On a l’impression que Jason a remercié la jeune femme de tout ce qu’elle a accompli pour lui,  en la trahissant et en la délaissant pour une autre . Médée n’avait pas hésité à sacrifier son propre frère, qu’elle a découpé en morceaux pour ralentir la poursuite menée par leur père , et toujours dans le but permettre la fuite de Jason . Incontestablement, elle se trouve ainsi, bien mal récompensée des meurtres accomplis contre son propre sang. On peut noter également que dans sa vengeance, elle fera périr sa rivale en la brûlant , punition symbolique inverse de ce qu’elle a accompli pour protéger Jason. 

Elle se veut menaçante lorsqu’elle rappelle l’étendue de ses pouvoirs : “ sachant ce que je suis, ayant vu ce que j’ose, croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ? ” Les questions rhétoriques ici ont pour but d’effrayer les spectateurs et de leur faire prendre conscience des pouvoirs du personnage . En effet, la tragédie baroque ne cherche pas à écarter le surnaturel mais se propose plutôt ici de considérer la dimension surnaturelle de cette femme et de la mettre en scène en tant que magicienne puissante. C’est un autre aspect tragique de  cette scène : la souffrance de la magicienne est liée à une trahison amoureuse.  L’amour malheureux est souvent associé au registre tragique.

3.  Et c’est surtout une femme qui se venge 

Le déferlement de colère est la caractéristique de  la fin ce passage qui révéle le caractère passionné de Médée.

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La trahison de Jason est bien présentée comme la cause de la colère de la magicienne ; Le faux serment rappelle son mensonge et sa trahison: alors qu’il a juré un amour éternel à la jeune femme après lui avoir fait deux enfants, il la répudie pour épouser Créüse. Et la mort semble bien le prix à payer pour cette trahison amoureuse comme : “la mort de ma rivale et celle de son père ” sont  deux actions présentées par la magicienne comme seules capables d’apaiser le courroux de Médée. Quant à Jason, il est  condamné à l’exil et à la solitude éternelle “ qu’il courre vagabond de province en province ” ;  rappelons toutefois que pour les Grecs, l’exil était considéré comme un châtiment plus dur que la mort car le criminel expiait plus longtemps ses fautes . On se souvient d’Oedipe exilé après la découverte de  son double crime (il a tué accidentellement son père et provoqué le suicide de sa mère ) et d’ Oreste poursuivi sans repos par les Furies après le meurtre de sa mère Clytemnestre.  Le sort  tragique de Jason est prédit : ” banni de tous côtés, sans bien et sans appui / accablé de frayeur de misère et d’ennui ” . L’énumération et la gradation montrent ici un personnage poursuivi par d’éternels remords et qui vit un véritable enfer. C’est ce qui est rappelé  avec ce présent dramatique : ” Jason me répudie ” et qui l’aurait pu croire ?  Le spectateur paraît ici partager l’étonnement de la jeune femme , sa stupéfaction. La colère de la magicienne éclate à grands coups d’imprécations : elle prend d’abord les Dieux anciens comme appuis et les appelle à l’aide pour accomplir sa vengeance. Ainsi elle se définit comme l‘éternel bourreau de Jason qu’elle compte bien poursuivre d’ailleurs  jusqu’à la mort , figurée ici par le tombeau

Analysons maintenant la dernière partie de la tirade qui fait l’objet de la lecture linéaire : le premier vers peut s’entendre comme une menace et la magicienne y rappelle ses pouvoirs. “je suis encore moi-même “ manifeste son orgueil et sa puissance.L’adjectif à la rime “extrême ” qui qualifie l’amour de Médée  est une périphrase pour désigner la passion désormais transformée en haine au   début du  vers suivant. Les verbes de volonté sont nombreux ce qui met en lumière la détermination sans faille de Médée : “je veux” dit-elle au vers 4 ; le dramaturge met en relation , grâce aux antithèses, le passé et le présent  : après avoir tué pour Jason et pour faciliter leur union , elle va désormais commettre un “forfait ” synonyme de crime , pour entériner leur séparation. ” Sépare ” et “joints” sont opposés au vers 4 ainsi que mariage et sanglant divorce aux vers suivants. La relation d’égalité est invoquée au début du vers 6 “s’égale ”  afin d’unir le présent et le passé dans l’abomination; Médée s’apprête à réitérer d’horribles crimes à l’image de ceux qu’elle a déjà commis et qu’elle ne cesse de rappeler aux spectateurs . La même idée est reprise avec l’identité du “commencement” de leur union et de sa fin pareille au vers 8; On remarque d’ailleurs que Racine mentionne la fin avant le début car c’est bien de ce dont il s’agit sur scène. La faute de Jason apparait une fois encore : le pronom tu est ici accusateur : ton changement au vers 7, est bien à l’origine de la rupture . L’idée de vengeance est alors complète . De plus; cette  sorte de vengance paraît suivre une logique implacable  qui va s’accomplir avec préméditation et calcul. L’abomination du crime est précisée au vers 9 et constitue une sorte d’acmé dans la scène : il s’agit de déchirer l’enfant aux yeux du père ” ; rien de moins qu’un infanticide présenté comme la première étape du plan :  l’expression “le moindre effet  de ma colère” tend à minimiser l’ampleur de ce qui va être accompli et le spectateur redoute alors bien pire; Corneille livre ici, comme il l’explique dans sa Préface une Médée “toute méchante ” ; Cette femme semble monstrueuse et redoutable ; Elle décrit d’ailleurs ses anciens meurtres abominables comme des ” coups d’essai”  au vers 11 ; ce qui laisse présager une nouvelle montée dans l’horreur avec le “chef d’oeuvre ” qu’elle promet au vers 13. Le dramaturge étonne ici le spectateur avec l’utilisation de termes mélioratifs sur le plan artistique pour rendre compte de la “perfection d’une criminelle ” ; Médée devient une virtuose dans le Mal et s’apprête à montrer ce qu’elle sait faire ; Le verbe savoir en fin de vers “sai” donne du personnage l’image d’une experte qui s’est d’abord initiée avec un “faible apprentissage “ au vers 14. Elle devient ainsi une exécutante avec un projet de grande envergure , une sorte d’héroïne chargée de l’extrême dans le Mal;  pour le moraliste, la Passion amène l’individu à adopter des positions extrêmistes et pour le dramaturge, l’héroïne qui se laisse diriger par sa passion, devient un monstre au sang froid. La dernière partie de la tirade est un retour au divin: Médée y sollicite, à nouveau , l’aide des Dieux mais cette fois, elle ne s’adresse plus aux Dieux chtoniens, des Enfers ; elle invoque et implore son ancêtre le Soleil; En effet, ce projet est tellement démesuré qu’elle a besoin de “grands secours ” ; les feux des Enfers ne suffisent pas pour son projet car ils torturent le plus souvent les ombres, c’est à dire les morts voués aux flammes des Enfers; elle a besoin du Soleil qui est présenté, à la fois comme l’auteur de sa naissance donc son ancêtre et l’auteur du jour, périphrase qui le désigne souvent dans la mythologie; La mention du Char du Soleil fait référence au mythe qui explique qu’Hélios, le Dieu soleil ,effectue chaque matin et chaque nuit le tour de la terre avec son quadrige pour ramener le jour et apporter la nuit . Elle implore son grand-père de lui venir en aide car un “affront “ est fait ” à sa race ” au vers 21 : en effet, chez les Grecs, la notion de génos, de lignée , était primordiale . De plus, le terme affront présente le projet de la magicienne comme une vengeance de sa famille , ce qui donne une forme de légitimité à sa propre vengeance : on dépasse ainsi le cadre strictement individuel pour aborder une dimension collective.  Médée nomme sa soif de meurtre “désir bouillant “: l’adjectif désigne ; à la fois, l’intensité de son désir et par métaphore, rappelle le feu , qui sera , dans un premier l’arme du  double crime ; elle va enflammer Créüse sa rivale avec un cadeau empoisonné, une robe; cette robe qui va prendre feu tuera également  le père de cette dernière Créon , qui va tenter de sauver sa fille qui brûle sous ses yeux et ensuite  elle mettra le feu à leur palais . La jeune femme se fait implorante en demandant au Dieu de lui accorder une “grâce “ : le Soleil ne prête pas volontiers ses chevaux car les conduire nécessite un véritable savoir-faire et les quelques mortels qui ont essayé, ont provoqué des catastrophes. La fin de la tirade la montre en action: elle s’imagine , en train de réaliser sa vengeance: “je veux choir sur Corinthe” : Racine évoque ainsi, par anticipation, la tragédie qui va s’abattre sur la totalité de la ville ; la passion de Médée se transforme en folie meurtrière et elle s’apprête à détruire une ville toute entière par déception amoureuse; On mesure ici à quel point la passion sera funeste pour les Corinthiens;  Afin de rassurer son grand-père, Médée précise qu’elle limitera sa destruction aux murs de la cité corinthienne . Les “odieux murs”  (on note ici la personnification de la ville  à travers la métonymie des murailles ) marquent les  limites de sa vengeance de femme blessée. Elle conclut en ajoutant qu’elle agit, mue par un “juste courroux ” : elle cherche à nouveau à justifier ses futurs meurtres et à les présenter comme la conséquence logique de la trahison de Jason, qui passe ainsi pour le véritable coupable. Le caractère inexorable de ce dénouement funeste est marqué par l’emploi de l’adjectif “implacable” : rien ne semble pouvoir arrêter Médée et faire obstacle à sa volonté.

 En conclusion de cette partie , la colère vengeresse de Médée sera l’objet du reste de la tragédie et le spectateur  qui sait que Jason a réussi à s’enfuir dans le mythe antique, sera étonné de voir que Corneille le fait mourir à la fin de sa version . C’est Médée qui, après avoir égorgé leurs enfants, réussit à s’enfuir dans un char envoyé par son aïeul, le Soleil. On peut donc définir cette Médée baroque  comme une tragédie de la vengeance qui s’abat sur un homme coupable, à ses yeux, de la plus haute des trahisons : avoir méprisé son amour passionnel et l’avoir quittée pour une autre femme . La trahison initiale de Jason est présentée comme la cause de tous ces tourments . L‘amour extrême de Médée  se transforme alors en haine et elle va s’efforcer de lui rendre la monnaie de sa pièce. Les meurtres à venir s’inscrivent comme l’envers de ceux qu’elle a commis autrefois pour préserver son époux; Le sacrifice du frère deviendra infanticide et au lieu de le protéger, il détruira l’homme que désormais elle hait plus que  tout. Avec Médée , Corneille a mis en scène une passion destructrice .

18. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Une femme fatale : Milady de Winter dans les Trois Mousquetaires · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Lorsque le roman -feuilleton qui  pour titre Les Trois Mousquetaires paraît  au cours de l’année 1844 dans le Journal Le Siècle, c’est un succès tel qu’il faut immédiatement  faire imprimer le roman afin de satisfaire un public plus large. Alexandre Dumas y raconte, avec de multiples rebondissements,  les aventures de quatre vaillants  soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche qu’un complot du cardinal de Richelieu, alors premier ministre ,  menace de déshonorer. Les mousquetaires doivent se rendre en Angleterre afin de retrouver des bijoux que la reine a offerts à Lord Buckingham, son amant. Pour mener à bien leur mission, ils devront vaincre la redoutable espionne du cardinal, la belle et mystérieuse Milady de Winter qui se nomme en réalité Anne de Breuil . Plus »

30. octobre 2019 · Commentaires fermés sur La Cour du lion · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,
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La dimension  satirique est l’une des dimensions les plus commentées des fables mais elles ne comportent pas toutes le même degré de satire et surtout , ne font pas la satire des mêmes objets; tantôt le fabuliste se moque des défauts des hommes , soit sur le plan individuel (l’appât du gain, l’avarice, le manque de générosité ) , soit sur un plan plus collectif ( la flatterie  des courtisans, les femmes incapables de garder un secret , la vénalité des juges  ) tantôt il met en évidence une anecdote qui débouche sur une philosophie de l’existence (leçon de sagesse , de prudence ou de modestie ) ; La fable est alors davantage un enseignement et le trait satirique se  fait plus discret . Dans la Cour du lion, la satire occupe une place importante : les animaux sont utilisés pour reproduire et dénoncer  le fonctionnement  féroce de la Cour . Vous trouverez dans l’article ci-dessous la lecture linéaire de la Cour du ion et quelques réflexions sur le fonctionnement de la satire ainsi que le poème de La Fontaine qui a déclenché la colère de Louis XIV.

Au moment de la parution de son second recueil de fables en 1678 , le poète Jean de La fontaine, qui s’inspire des auteurs antiques en remettant le genre de la fable à la mode, souffre encore d’une forme de disgrâce royale ; le roi lui tient rancune d’avoir soutenu publiquement Nicolas Fouquet qu’il a  pourtant condamné injustement. La Cour du lion , sixième apologue du livre VII, peut ainsi se parcourir comme une satire, à peine dissimulée,  de la cour . Voyons comment le récit fait voir cette dimension satirique .

D’emblée le personnage du lion, est présenté avec son titre de noblesse : Sa Majesté, au vers 1, et les détails choisis par le conteur , évoquent la monarchie absolue de son époque : le lion règne grâce au Ciel qui l’avait fait maître</b> ; on note ici la référence à l’exercice du pouvoir de droit divin et le caractère absolu de la monarchie, est traduit grâce à l’expression “fait maître “</b>; la domination naturelle du roi sur ses vassaux est donc une donnée du récit.La nature féodale du pouvoir est rappelée ici, au vers 4, par l’emploi du terme vassaux qui illustre la réalité de l’exercice du pouvoir à cette époque. Le roi est, de fait , le suzerain de tous les seigneurs du royaume de France  ; Ainsi, de toute nature, peut faire référence à la diversité des sujets du roi car il gouverne aussi bien les princes, les ducs, les comtes , les clercs, les paysans qu’il soient fermiers ou métayers. De toute nature en parallèle avec de tous les côtés est également une indication de l’ampleur du pouvoir royal et le détail du vers suivant “circulaire écriture “ corrobore cette idée d’une domination qui s’étend sur l’ensemble du peuple ainsi que sur l’ensemble du territoire. Le sceau rappelle  les armes du roi, son titre et son pouvoir ; Il est la métonymie du pouvoir .

La situation initiale est, dès lors, mise en place avec la mention des réjouissances offertes</b> ; Le conditionnel “tiendrait cour plénière”  ici a la valeur d’un futur proche et le détail de la cour plénière reprend l’idée d’un pouvoir illimité , qui s’étend à tous. Le roi veut donc faire étalage de sa puissance  et rendre la cérémonie attractive en offrant à ses sujets un  fort grand festin, au vers 10   et des spectacles  extraordinaires. L’hyperbole “fort grand festin “ marque le caractère quelque peu excessif de ce qui est promis et il est plaisant de constater que l’attraction qui sera donnée à voir est un spectacle d’un singe savant . On peut d’ores et déjà , y deviner une satire des courtisans à travers ce singe dressé, Fagotin ,au vers 11, qui imite les gestes des humains , à la manière dont un courtisan s’efforce d’imiter les moindres gestes du roi et de copier son attitude . Le conteur mentionne alors, de manière fort malicieuse, les intentions du monarque-lion que les lecteurs avaient déjà devinées : “par ce trait de magnificence /le prince à ses sujets étalait sa puissance”. On observe d’une part , l’emploi du terme magnificence pour désigner un festin et des tours de foire : à la rime avec puissance , on peut peut être y lire l’idée que la puissance d’un souverain se mesure à l’éclat de ses fêtes . Du moins, c’est ici  ce que  comprend le lecteur avisé : le roi souhaite que ses vassaux admirent le faste de la Cour; le surnom du roi Louis XIV, le roi Soleil , peut ainsi se lire , à la fois comme un symbole de puissance mais également d’éclat ; Il voulait impressionner son peuple et les puissances voisines en organisant notamment de somptueuses fêtes à Versailles . Le vers 14 précise que le roi reçoit chez lui, dans son palais  : son Louvre . A cette occasion, La Fontaine, en profite pour rappeler que contrairement à tous ses prédécesseurs, le roi a choisi de ne pas continuer à exercer le pouvoir au Louvre mais a préféré  se faire construire un château digne de lui, à Versailles .La phrase nominale exclamative   “Quel Louvre “ peut , dès lors , traduire différents sentiments . Si elle imite l’admiration, alors la suite du vers, nous révèle qu’ il s’agit d’ironie car la  demeure princière est décrite comme nauséabonde.  La transformation de la demeure royale en charnier peut se lire , sur le plan satirique, comme une critique de la politique meurtrière du roi qui ,  élimine de manière violente et sans procès, certains de ses opposants . La Fontaine fait sans doute allusion aux répressions qu’encourent , par exemple, les protestants, à la Cour, faussement accusés et qui , pour certains choisiront l’exil plutôt que la prison ou qui,pour d’autres, furent  sauvagement assassinés. L’utilisation, ici , du caractère anthropomorphique du personnage du lion, permet ainsi de faire passer la satire de manière plaisante, en ayant recours à un animal .

La suite du récit décrit les conséquences  dramatiques des maladresses des courtisans : l’ours est d’abord choisi , au vers 16 , pour incarner les Puissants , les Grands de la Cour, c’est à dire les courtisans du premier cercle du roi: il désigne les aristocrates redoutés, eux aussi , en raison de leur position dans la société animale; L’ours, en effet, est craint ; Dans d’autres fables, il est associé à des prédateurs aussi dangereux que le tigre, le côté exotique en moins, et les mâtins qui sont des chiens féroces ( cf Animaux malades ) . Paradoxalement, l’ours ici a fait preuve de délicatesse parce qu’il “ boucha sa narine “ C’est vraiment un trait humoristique de choisir , pour un ours, ce caractère anthropomorphe, qui souligne une forme de délicatesse car cet animal est plutôt associé à une forme de balourdise et de brutalité .  Ce geste esquissé  pour se protéger des odeurs pestilentielles de la Cour, va causer sa perte  . Au vers 17, le conteur présente d’ailleurs ce réflexe de protection comme une “grimace “ ; le roi a ainsi jugé qu’il s’était moqué de lui , que quelque chose lui déplaisait et il le fait tuer , pour une simple moue; On notera, à la fois, le caractère dérisoire de la cause de sa mise à mort (tué pour une grimace ! cf animaux malades ) et la cruauté expéditive du monarque soulignée par différents procédés. Tout d’abord, le fabuliste précise, au vers 18, que le monarque est irrité  : ce participe passé, à valeur d’adjectif ici, est l’une des principales critiques de la seconde partie du règne personnel de Louis XIV . Les colères du roi étaient particulièrement redoutées à la Cour et de nombreux personnages , notamment l’ami  et le mécène de La Fontaine, Nicolas Fouquet, en ont fait les frais . D’autre part, le conteur note également que son principal crime est de déplaire au roi . Il donne ainsi l’image d’un pouvoir royal capricieux qui ne prend pas en compte les mérites de ses sujet ou les véritables fautes de ses vassaux, mais simplement leur capacité à lui plaire . La cruauté du roi est également illustrée par le recours à l’euphémisme du vers 18 l’envoya chez Pluton pour désigner la décision de le faire exécuter. Le fait également de rappeler la grimace de dégoût qui est à l’origine de sa condamnation est également humoristique . Le recours ici à la mythologie donne un côté burlesque à la situation . Les références à l’Antiquité sont , en effet, omniprésentes dans les Fables mais elles sont parfois associées à des réalités triviales et ce singulier mélange a des effets comiques . De plus, La Fontaine, en campant ensuite le personnage du singe , fait la satire des courtisans zélés .

En effet, le singe qui symbolise le plus souvent l’imitation servile , paraît ici tout indiqué , pour représenter les courtisans , eux aussi serviles , qui ne cherchent qu’à plaire au roi , dont ils redoutent les réactions et l’emportement . Ainsi le singe commence tout naturellement par  approuver et louer les actions du lion. On note ici la gradation : approuver signifie simplement être d’accord alors que louer a le sens plus précis de faire un compliment , vanter les mérites de quelqu’un ou de quelque chose . Le singe se comporte en flatteur excessif et c’est d’ailleurs cette qualification qui le désigne dès son apparition au vers 21. Le conteur , une fois de plus, emploie un euphémisme pour désigner la cruauté sanguinaire du monarque qui est présentée par le singe, comme de la simple sévérité. Au sens antique, le terme désigne l’exercice de la justice sans concession et on l’associe  assez souvent avec l’adjectif juste ; Les empereurs devaient être sévères mais ils n’en étaient pas moins justes; Rien de semblable dans la fable où le roi-lion  vient de tuer un courtisan pour une simple grimace : il n’a pas supporté que ce dernier puise oser critiquer l’odeur de son palais. L’habileté de La Fontaine consiste à passer sans cesse du domaine animal au domaine humain et de montrer , par l’anthropomorphisme de ses personnages, à quel point justement, certains hommes se comportent sauvagement. Si le terme colère apparaît au vers 21 pour désigner le comportement “humanisé” du souverain-animal, il est aussitôt associé à deux caractéristiques purement  animales : sa griffe , métonymie de sa force ou plutôt ici de sa violence , et son antre , qui renvoie à son animalité car le mot antre désigne la tanière d’un animal sauvage .

La flagornerie du singe est traduite par une accumulation aux vers 23 et 24 : l’odeur affreuse est tour à tour comparée à des senteurs délicieuses comme l’ambre, une matière précieuse et odorante et la fleur . D’ailleurs  dans le langage populaire, l’expression “ne pas sentir la fleur” restera associée à des odeurs désagréables . Au moyen-âge, le verbe fleurer déformation de flairer , était utilisé pour désigner des odeurs particulières marquantes ; Le dernier terme qui introduit la comparaison, qui ne fut ail au prix au vers 24 , marque , une fois de plus, de manière comique, la parole excessive du singe qui semble ne pas avoir de mots assez forts pour désigner la suavité des odeurs qui émanent du palais.  Le conteur met alors en parallèle les deux sanctions en employant un paradoxe : sa sotte flatterie eut un mauvais succès

L e second hémistiche du vers « et fut encore punie » renforce le caractère féroce du monarque qui passe ainsi pour un tyran étant donné qu’il punit ,à la fois, ceux qui le contrarient et ceux qui le flattent excessivement . La référence à Caligula est ainsi préparée : le roi est assimilé à cet empereur dont la cruauté et les caprices sont légendaires et qui n’hésitait pas faire exécuter ses opposants . Le vers 26 comporte une dimension humoristique avec la mention de « ce Monseigneur du lion -là. » Le fabuliste présente le roi lion comme un roi parmi d’autres et sous- entend ainsi que seul ce dernier désigné par le démonstratif ce -là fait preuve de cruauté. C’est une manière plaisante de souligner les ressemblances avec la figure historique de Louis XIV tout en réaffirmant le caractère fictif de la satire dans la fable . Le dernier acte de la fable est préparé avec l’entrée en scène du renard : l’adjectif proche peut avoir ici un double sens; Il indique, à la fois une proximité géographique et sans doute un degré d’intimité ( un proche désigne encore aujourd’hui un parent ou un ami cher ) . La Fontaine fait alors parler le roi : des phrases courtes et des questions directes qui appellent des réponse immédiates : « Que sens-tu ? » On notera également l’effet comique de l’injonction « parle sans déguiser »  au vers 29 qui peut paraître ironique ; En effet, exiger la sincérité dans un univers où chacun utilise la parole pour tenter de tromper l’autre et  mentir sur ses véritables sentiments, peut sembler drôle. Le renard invente alors un mensonge qui le tire d’affaire : le verbe alléguer signifie qu’il ment et privé odorat,  il se trouve ainsi privé de la possibilité de s’exprimer donc privé de parole . On peut même affirmer que c’est son silence qui lui sauve la vie et le conteur joue sur les mots en expliquant comment il s’en tire (vers 32 ) sans pouvoir  sentir ( au sens propre ) . On retrouve au vers 32 un lien important dans les Fables entre le fait de parler, d’ouvrir la bouche et le fait de subir une sanction, juste ou injuste. Les quatre derniers vers contiennent la morale explicite de l’histoire racontée ; Le vers 33 a la forme d’une maxime et rappelle la dimension didactique de la fable : sa fonction première en quelque sorte . Le second vers du quatrain énonce un conseil sous la forme d’une leçon de prudence ; dans l’univers de la Cour, il est préférable de ne pas avoir d’avis trop tranché . Le Courtisan qui veut « plaire » doit apprendre à garder ses véritables sentiments cachés et se contenter d’une parole publique mesurée . Avec humour le fabuliste souligne le caractère impossible d’en telle entreprise en associant « fade »  à « adulateur » et « parleur » à l’adjectif « sincère » ; Ce deux couples d’oxymores nous montrent à quel point il est difficile de plaire au roi car pour cela, il faut être capable , justement , de concilier les contraires; En effet, un adulateur est quelqu’un qui va louer celui qu’il admire de manière tout à fait excessive : cela correspond vraiment à une flatterie, un panégyrique et ce type de discours n’est jamais fade ; bien au contraire, il s’efforce de mettre en évidence le caractère exceptionnel de la personne dont on vante les qualités.   De la même manière , le terme « parleur » désigne souvent une personne qui cherche à tromper en enjolivant la vérité ; Un beau parleur est celui qui se sert de la parole pour tromper les autres donc il n’est jamais sincère. L’auteur montre ainsi à quel point il est périlleux de s’exprimer à la Cour et qu’il est préférable de taire son avis ; Le dernier vers poursuit la leçon et rappelle un exemple de sagesse populaire : il faut faire comme les  Normands qui ont la réputation de ne jamais dire ni oui ni non et de différer ainsi  la réponse et par là-même la prise de décision.

Cette anecdote  comme le titre l’indique La Cour du lion, éclaire certains aspects du fonctionnement du pouvoir royal et engage les courtisans, et les lecteurs, à la plus grande prudence dans leurs propos s’ils ne veulent pas faire les frais de la colère du Prince ; Le roi y apparait sous les traits d’un tyran capricieux et très difficile à contenter . La Fontaine garde sans doute en mémoire le fait d’avoir été évincé de la Cour pour avoir osé prendre publiquement la défense de son ami Fouquet condamné à la prison par une  décision de Louis XIV ; La Fontaine avait alors écrit une lettre au roi dans laquelle il s’attristait de cette décision .

 

Le fabuliste utilise ici les animaux dans le but de dresser un portrait satirique de la Cour .

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– Le lion. Sa puissance, son orgueil démesuré, son attitude rappellent le comportement de Louis XIV. A l’image de l’animal qui le symbolise, le roi règne en maître sur sa Cour. Jaloux de son pouvoir, méfiant d’une Noblesse remuante de nature, il convoque régulièrement auprès de lui les princes de sang pour mieux les surveiller. Une invitation à Versailles ne se décline pas. Il faut s’y soumettre, quitter sur l’heure sa résidence provinciale et accourir au plus vite. La violence que le lion déploie quand un courtisan commet l’erreur de lui déplaire (L’Ours grimace de dégoût lorsque lui parviennent les relents du charnier) souligne avec quelle facilité le souverain peut briser la réputation, la renommée de celui qui ne satisfait pas ses exigences.  Si le lion n’est pas dupe des courbettes du singe ce qui signifie que Louis XIV n’apprécie pas davantage les hypocrisies trop marquées d’un courtisan empressé et soucieux d’obtenir sa faveur.

– Le singe, l’ours et le renard évoquent les attitudes possibles des nobles de la Cour. Le bonheur qu’éprouve le singe quand l’ours endure la colère léonine n’est pas sans rappeler que de profondes tensions animent les couloirs de Versailles : la déchéance de l’un fait le bonheur de l’autre, la disgrâce du malheureux arrange les affaires de l’ambitieux.

– La morale de la fable résonne comme un avertissement. Le Renard est le plus malin de ses compères. Il a compris qu’au palais de son maître, il n’est jamais bon de dévoiler trop haut ses opinions.

– Enfin, la comparaison que l’auteur utilise quand il évoque la Cour dévoile des sentiments sans concession à l’égard d’un univers où il ne s’est jamais senti à son aise. Le message est clair : par delà les dorures des tableaux et l’éclat brillant de la Galerie des Glaces, les corridors du palais ne sont guère plus avenants qu’un affreux charnier. Comportements écœurants, attitudes répugnantes découragent l’honnête homme de pénétrer à Versailles…où règne la férocité des moeurs.

 

 

 

Beaucoup de critiques ont mis en relation le lien entre la disgrâce personnelle de La Fontaine et sa peinture féroce des moeurs de la Cour.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du poème que La Fontaine a composé pour prendre la défense de Fouquet lorsqu’il a été condamné par le roi sous prétexte qu’il avait organisé une fête trop somptueuse dans son château de Vaux le Vicomte ; On prétend que le roi était jaloux de sa réussite et de sa gloire.

 

Élégie aux Nymphes de Vaux

Pour M. Fouquet

 

Remplissez l’air de cris en vos grottes profondes ;

Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,

Et que l’Anqueuil enflé ravage les trésors

Dont les regards de Flore ont embelli ses bords

On ne blâmera point vos larmes innocentes ;

Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes :

Chacun attend de vous ce devoir généreux ;

Les Destins sont contents : Oronte est malheureux.

Vous l’avez vu naguère au bord de vos fontaines,

Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines,

Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des mortels,

Recevait des honneurs qu’on ne doit qu’aux autels.

Hélas ! qu’il est déchu de ce bonheur suprême !

Que vous le trouveriez différent de lui-même !

Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits

Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,

Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.

Voici le précipice où l’ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité !

Dans les palais des rois cette plainte est commune,

On n’y connaît que trop les jeux de la Fortune,

Ses trompeuses faveurs, ses appâts inconstants ;

Mais on ne les connaît que quand il n’est plus temps.

Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,

Qu’on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,

Il est bien malaisé de régler ses désirs ;

Le plus sage s’endort sur la foi des Zéphyrs.

Jamais un favori ne borne sa carrière ;

Il ne regarde pas ce qu’il laisse en arrière ;

Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit

Ne le saurait quitter qu’après l’avoir détruit.

Tant d’exemples fameux que l’histoire en raconte

Ne suffisaient-ils pas, sans la perte d’Oronte ?

Ah ! si ce faux éclat n’eût point fait ses plaisirs,

Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,

Qu’il pouvait doucement laisser couler son âge !

Vous n’avez pas chez vous ce brillant équipage,

Cette foule de gens qui s’en vont chaque jour

Saluer à longs flots le soleil de la Cour :

Mais la faveur du Ciel vous donne en récompense

Du repos, du loisir, de l’ombre, et du silence,

Un tranquille sommeil, d’innocents entretiens ;

Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens.

Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle.

Vous, dont il a rendu la demeure si belle,

Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appâts,

Si le long de vos bords Louis porte ses pas,

Tâchez de l’adoucir, fléchissez son courage.

Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ;

Du titre de clément rendez-le ambitieux :

C’est par là que les rois sont semblables aux dieux.

Du magnanime Henri qu’il contemple la vie :

Dès qu’il put se venger il en perdit l’envie.

Inspirez à Louis cette même douceur :

La plus belle victoire est de vaincre son coeur.

Oronte est à présent un objet de clémence ;

S’il a cru les conseils d’une aveugle puissance,

Il est assez puni par son sort rigoureux ;

Et c’est être innocent que d’être malheureux.

 

Dans cette élégie (poème antique lyrique qui exprime la plaine et les regrets ) , il peint Fouquet sous les traits d’Oronte  (un vieillard personnage d’une pièce de Molière amoureux d’une jeune femme  ) et imagine les nymphes (statues de pierre qui représente des sirènes ou des jeunes femmes )  de son château de Vaux le Vicomte pleurer en pensant à son triste sort (emprisonné, accusé à tort et démis de ses fonctions ). Il engage alors le roi Louis à faire preuve de clémence et à se montrer juste.  Louis XIV avait très peu apprécié ce poème dans lequel il apparaissait  directement sous les traits de Louis .