30. octobre 2019 · Commentaires fermés sur La Cour du lion · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,
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La dimension  satirique est l’une des dimensions les plus commentées des fables mais elles ne comportent pas toutes le même degré de satire et surtout , ne font pas la satire des mêmes objets; tantôt le fabuliste se moque des défauts des hommes , soit sur le plan individuel (l’appât du gain, l’avarice, le manque de générosité ) , soit sur un plan plus collectif ( la flatterie  des courtisans, les femmes incapables de garder un secret , la vénalité des juges  ) tantôt il met en évidence une anecdote qui débouche sur une philosophie de l’existence (leçon de sagesse , de prudence ou de modestie ) ; La fable est alors davantage un enseignement et le trait satirique se  fait plus discret . Dans la Cour du lion, la satire occupe une place importante : les animaux sont utilisés pour reproduire et dénoncer  le fonctionnement  féroce de la Cour . Vous trouverez dans l’article ci-dessous la lecture linéaire de la Cour du ion et quelques réflexions sur le fonctionnement de la satire ainsi que le poème de La Fontaine qui a déclenché la colère de Louis XIV.

Au moment de la parution de son second recueil de fables en 1678 , le poète Jean de La fontaine, qui s’inspire des auteurs antiques en remettant le genre de la fable à la mode, souffre encore d’une forme de disgrâce royale ; le roi lui tient rancune d’avoir soutenu publiquement Nicolas Fouquet qu’il a  pourtant condamné injustement. La Cour du lion , sixième apologue du livre VII, peut ainsi se parcourir comme une satire, à peine dissimulée,  de la cour . Voyons comment le récit fait voir cette dimension satirique .

D’emblée le personnage du lion, est présenté avec son titre de noblesse : Sa Majesté, au vers 1, et les détails choisis par le conteur , évoquent la monarchie absolue de son époque : le lion règne grâce au Ciel qui l’avait fait maître</b> ; on note ici la référence à l’exercice du pouvoir de droit divin et le caractère absolu de la monarchie, est traduit grâce à l’expression “fait maître “</b>; la domination naturelle du roi sur ses vassaux est donc une donnée du récit.La nature féodale du pouvoir est rappelée ici, au vers 4, par l’emploi du terme vassaux qui illustre la réalité de l’exercice du pouvoir à cette époque. Le roi est, de fait , le suzerain de tous les seigneurs du royaume de France  ; Ainsi, de toute nature, peut faire référence à la diversité des sujets du roi car il gouverne aussi bien les princes, les ducs, les comtes , les clercs, les paysans qu’il soient fermiers ou métayers. De toute nature en parallèle avec de tous les côtés est également une indication de l’ampleur du pouvoir royal et le détail du vers suivant “circulaire écriture “ corrobore cette idée d’une domination qui s’étend sur l’ensemble du peuple ainsi que sur l’ensemble du territoire. Le sceau rappelle  les armes du roi, son titre et son pouvoir ; Il est la métonymie du pouvoir .

La situation initiale est, dès lors, mise en place avec la mention des réjouissances offertes</b> ; Le conditionnel “tiendrait cour plénière”  ici a la valeur d’un futur proche et le détail de la cour plénière reprend l’idée d’un pouvoir illimité , qui s’étend à tous. Le roi veut donc faire étalage de sa puissance  et rendre la cérémonie attractive en offrant à ses sujets un  fort grand festin, au vers 10   et des spectacles  extraordinaires. L’hyperbole “fort grand festin “ marque le caractère quelque peu excessif de ce qui est promis et il est plaisant de constater que l’attraction qui sera donnée à voir est un spectacle d’un singe savant . On peut d’ores et déjà , y deviner une satire des courtisans à travers ce singe dressé, Fagotin ,au vers 11, qui imite les gestes des humains , à la manière dont un courtisan s’efforce d’imiter les moindres gestes du roi et de copier son attitude . Le conteur mentionne alors, de manière fort malicieuse, les intentions du monarque-lion que les lecteurs avaient déjà devinées : “par ce trait de magnificence /le prince à ses sujets étalait sa puissance”. On observe d’une part , l’emploi du terme magnificence pour désigner un festin et des tours de foire : à la rime avec puissance , on peut peut être y lire l’idée que la puissance d’un souverain se mesure à l’éclat de ses fêtes . Du moins, c’est ici  ce que  comprend le lecteur avisé : le roi souhaite que ses vassaux admirent le faste de la Cour; le surnom du roi Louis XIV, le roi Soleil , peut ainsi se lire , à la fois comme un symbole de puissance mais également d’éclat ; Il voulait impressionner son peuple et les puissances voisines en organisant notamment de somptueuses fêtes à Versailles . Le vers 14 précise que le roi reçoit chez lui, dans son palais  : son Louvre . A cette occasion, La Fontaine, en profite pour rappeler que contrairement à tous ses prédécesseurs, le roi a choisi de ne pas continuer à exercer le pouvoir au Louvre mais a préféré  se faire construire un château digne de lui, à Versailles .La phrase nominale exclamative   “Quel Louvre “ peut , dès lors , traduire différents sentiments . Si elle imite l’admiration, alors la suite du vers, nous révèle qu’ il s’agit d’ironie car la  demeure princière est décrite comme nauséabonde.  La transformation de la demeure royale en charnier peut se lire , sur le plan satirique, comme une critique de la politique meurtrière du roi qui ,  élimine de manière violente et sans procès, certains de ses opposants . La Fontaine fait sans doute allusion aux répressions qu’encourent , par exemple, les protestants, à la Cour, faussement accusés et qui , pour certains choisiront l’exil plutôt que la prison ou qui,pour d’autres, furent  sauvagement assassinés. L’utilisation, ici , du caractère anthropomorphique du personnage du lion, permet ainsi de faire passer la satire de manière plaisante, en ayant recours à un animal .

La suite du récit décrit les conséquences  dramatiques des maladresses des courtisans : l’ours est d’abord choisi , au vers 16 , pour incarner les Puissants , les Grands de la Cour, c’est à dire les courtisans du premier cercle du roi: il désigne les aristocrates redoutés, eux aussi , en raison de leur position dans la société animale; L’ours, en effet, est craint ; Dans d’autres fables, il est associé à des prédateurs aussi dangereux que le tigre, le côté exotique en moins, et les mâtins qui sont des chiens féroces ( cf Animaux malades ) . Paradoxalement, l’ours ici a fait preuve de délicatesse parce qu’il “ boucha sa narine “ C’est vraiment un trait humoristique de choisir , pour un ours, ce caractère anthropomorphe, qui souligne une forme de délicatesse car cet animal est plutôt associé à une forme de balourdise et de brutalité .  Ce geste esquissé  pour se protéger des odeurs pestilentielles de la Cour, va causer sa perte  . Au vers 17, le conteur présente d’ailleurs ce réflexe de protection comme une “grimace “ ; le roi a ainsi jugé qu’il s’était moqué de lui , que quelque chose lui déplaisait et il le fait tuer , pour une simple moue; On notera, à la fois, le caractère dérisoire de la cause de sa mise à mort (tué pour une grimace ! cf animaux malades ) et la cruauté expéditive du monarque soulignée par différents procédés. Tout d’abord, le fabuliste précise, au vers 18, que le monarque est irrité  : ce participe passé, à valeur d’adjectif ici, est l’une des principales critiques de la seconde partie du règne personnel de Louis XIV . Les colères du roi étaient particulièrement redoutées à la Cour et de nombreux personnages , notamment l’ami  et le mécène de La Fontaine, Nicolas Fouquet, en ont fait les frais . D’autre part, le conteur note également que son principal crime est de déplaire au roi . Il donne ainsi l’image d’un pouvoir royal capricieux qui ne prend pas en compte les mérites de ses sujet ou les véritables fautes de ses vassaux, mais simplement leur capacité à lui plaire . La cruauté du roi est également illustrée par le recours à l’euphémisme du vers 18 l’envoya chez Pluton pour désigner la décision de le faire exécuter. Le fait également de rappeler la grimace de dégoût qui est à l’origine de sa condamnation est également humoristique . Le recours ici à la mythologie donne un côté burlesque à la situation . Les références à l’Antiquité sont , en effet, omniprésentes dans les Fables mais elles sont parfois associées à des réalités triviales et ce singulier mélange a des effets comiques . De plus, La Fontaine, en campant ensuite le personnage du singe , fait la satire des courtisans zélés .

En effet, le singe qui symbolise le plus souvent l’imitation servile , paraît ici tout indiqué , pour représenter les courtisans , eux aussi serviles , qui ne cherchent qu’à plaire au roi , dont ils redoutent les réactions et l’emportement . Ainsi le singe commence tout naturellement par  approuver et louer les actions du lion. On note ici la gradation : approuver signifie simplement être d’accord alors que louer a le sens plus précis de faire un compliment , vanter les mérites de quelqu’un ou de quelque chose . Le singe se comporte en flatteur excessif et c’est d’ailleurs cette qualification qui le désigne dès son apparition au vers 21. Le conteur , une fois de plus, emploie un euphémisme pour désigner la cruauté sanguinaire du monarque qui est présentée par le singe, comme de la simple sévérité. Au sens antique, le terme désigne l’exercice de la justice sans concession et on l’associe  assez souvent avec l’adjectif juste ; Les empereurs devaient être sévères mais ils n’en étaient pas moins justes; Rien de semblable dans la fable où le roi-lion  vient de tuer un courtisan pour une simple grimace : il n’a pas supporté que ce dernier puise oser critiquer l’odeur de son palais. L’habileté de La Fontaine consiste à passer sans cesse du domaine animal au domaine humain et de montrer , par l’anthropomorphisme de ses personnages, à quel point justement, certains hommes se comportent sauvagement. Si le terme colère apparaît au vers 21 pour désigner le comportement “humanisé” du souverain-animal, il est aussitôt associé à deux caractéristiques purement  animales : sa griffe , métonymie de sa force ou plutôt ici de sa violence , et son antre , qui renvoie à son animalité car le mot antre désigne la tanière d’un animal sauvage .

La flagornerie du singe est traduite par une accumulation aux vers 23 et 24 : l’odeur affreuse est tour à tour comparée à des senteurs délicieuses comme l’ambre, une matière précieuse et odorante et la fleur . D’ailleurs  dans le langage populaire, l’expression “ne pas sentir la fleur” restera associée à des odeurs désagréables . Au moyen-âge, le verbe fleurer déformation de flairer , était utilisé pour désigner des odeurs particulières marquantes ; Le dernier terme qui introduit la comparaison, qui ne fut ail au prix au vers 24 , marque , une fois de plus, de manière comique, la parole excessive du singe qui semble ne pas avoir de mots assez forts pour désigner la suavité des odeurs qui émanent du palais.  Le conteur met alors en parallèle les deux sanctions en employant un paradoxe : sa sotte flatterie eut un mauvais succès

L e second hémistiche du vers « et fut encore punie » renforce le caractère féroce du monarque qui passe ainsi pour un tyran étant donné qu’il punit ,à la fois, ceux qui le contrarient et ceux qui le flattent excessivement . La référence à Caligula est ainsi préparée : le roi est assimilé à cet empereur dont la cruauté et les caprices sont légendaires et qui n’hésitait pas faire exécuter ses opposants . Le vers 26 comporte une dimension humoristique avec la mention de « ce Monseigneur du lion -là. » Le fabuliste présente le roi lion comme un roi parmi d’autres et sous- entend ainsi que seul ce dernier désigné par le démonstratif ce -là fait preuve de cruauté. C’est une manière plaisante de souligner les ressemblances avec la figure historique de Louis XIV tout en réaffirmant le caractère fictif de la satire dans la fable . Le dernier acte de la fable est préparé avec l’entrée en scène du renard : l’adjectif proche peut avoir ici un double sens; Il indique, à la fois une proximité géographique et sans doute un degré d’intimité ( un proche désigne encore aujourd’hui un parent ou un ami cher ) . La Fontaine fait alors parler le roi : des phrases courtes et des questions directes qui appellent des réponse immédiates : « Que sens-tu ? » On notera également l’effet comique de l’injonction « parle sans déguiser »  au vers 29 qui peut paraître ironique ; En effet, exiger la sincérité dans un univers où chacun utilise la parole pour tenter de tromper l’autre et  mentir sur ses véritables sentiments, peut sembler drôle. Le renard invente alors un mensonge qui le tire d’affaire : le verbe alléguer signifie qu’il ment et privé odorat,  il se trouve ainsi privé de la possibilité de s’exprimer donc privé de parole . On peut même affirmer que c’est son silence qui lui sauve la vie et le conteur joue sur les mots en expliquant comment il s’en tire (vers 32 ) sans pouvoir  sentir ( au sens propre ) . On retrouve au vers 32 un lien important dans les Fables entre le fait de parler, d’ouvrir la bouche et le fait de subir une sanction, juste ou injuste. Les quatre derniers vers contiennent la morale explicite de l’histoire racontée ; Le vers 33 a la forme d’une maxime et rappelle la dimension didactique de la fable : sa fonction première en quelque sorte . Le second vers du quatrain énonce un conseil sous la forme d’une leçon de prudence ; dans l’univers de la Cour, il est préférable de ne pas avoir d’avis trop tranché . Le Courtisan qui veut « plaire » doit apprendre à garder ses véritables sentiments cachés et se contenter d’une parole publique mesurée . Avec humour le fabuliste souligne le caractère impossible d’en telle entreprise en associant « fade »  à « adulateur » et « parleur » à l’adjectif « sincère » ; Ce deux couples d’oxymores nous montrent à quel point il est difficile de plaire au roi car pour cela, il faut être capable , justement , de concilier les contraires; En effet, un adulateur est quelqu’un qui va louer celui qu’il admire de manière tout à fait excessive : cela correspond vraiment à une flatterie, un panégyrique et ce type de discours n’est jamais fade ; bien au contraire, il s’efforce de mettre en évidence le caractère exceptionnel de la personne dont on vante les qualités.   De la même manière , le terme « parleur » désigne souvent une personne qui cherche à tromper en enjolivant la vérité ; Un beau parleur est celui qui se sert de la parole pour tromper les autres donc il n’est jamais sincère. L’auteur montre ainsi à quel point il est périlleux de s’exprimer à la Cour et qu’il est préférable de taire son avis ; Le dernier vers poursuit la leçon et rappelle un exemple de sagesse populaire : il faut faire comme les  Normands qui ont la réputation de ne jamais dire ni oui ni non et de différer ainsi  la réponse et par là-même la prise de décision.

Cette anecdote  comme le titre l’indique La Cour du lion, éclaire certains aspects du fonctionnement du pouvoir royal et engage les courtisans, et les lecteurs, à la plus grande prudence dans leurs propos s’ils ne veulent pas faire les frais de la colère du Prince ; Le roi y apparait sous les traits d’un tyran capricieux et très difficile à contenter . La Fontaine garde sans doute en mémoire le fait d’avoir été évincé de la Cour pour avoir osé prendre publiquement la défense de son ami Fouquet condamné à la prison par une  décision de Louis XIV ; La Fontaine avait alors écrit une lettre au roi dans laquelle il s’attristait de cette décision .

 

Le fabuliste utilise ici les animaux dans le but de dresser un portrait satirique de la Cour .

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– Le lion. Sa puissance, son orgueil démesuré, son attitude rappellent le comportement de Louis XIV. A l’image de l’animal qui le symbolise, le roi règne en maître sur sa Cour. Jaloux de son pouvoir, méfiant d’une Noblesse remuante de nature, il convoque régulièrement auprès de lui les princes de sang pour mieux les surveiller. Une invitation à Versailles ne se décline pas. Il faut s’y soumettre, quitter sur l’heure sa résidence provinciale et accourir au plus vite. La violence que le lion déploie quand un courtisan commet l’erreur de lui déplaire (L’Ours grimace de dégoût lorsque lui parviennent les relents du charnier) souligne avec quelle facilité le souverain peut briser la réputation, la renommée de celui qui ne satisfait pas ses exigences.  Si le lion n’est pas dupe des courbettes du singe ce qui signifie que Louis XIV n’apprécie pas davantage les hypocrisies trop marquées d’un courtisan empressé et soucieux d’obtenir sa faveur.

– Le singe, l’ours et le renard évoquent les attitudes possibles des nobles de la Cour. Le bonheur qu’éprouve le singe quand l’ours endure la colère léonine n’est pas sans rappeler que de profondes tensions animent les couloirs de Versailles : la déchéance de l’un fait le bonheur de l’autre, la disgrâce du malheureux arrange les affaires de l’ambitieux.

– La morale de la fable résonne comme un avertissement. Le Renard est le plus malin de ses compères. Il a compris qu’au palais de son maître, il n’est jamais bon de dévoiler trop haut ses opinions.

– Enfin, la comparaison que l’auteur utilise quand il évoque la Cour dévoile des sentiments sans concession à l’égard d’un univers où il ne s’est jamais senti à son aise. Le message est clair : par delà les dorures des tableaux et l’éclat brillant de la Galerie des Glaces, les corridors du palais ne sont guère plus avenants qu’un affreux charnier. Comportements écœurants, attitudes répugnantes découragent l’honnête homme de pénétrer à Versailles…où règne la férocité des moeurs.

 

 

 

Beaucoup de critiques ont mis en relation le lien entre la disgrâce personnelle de La Fontaine et sa peinture féroce des moeurs de la Cour.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du poème que La Fontaine a composé pour prendre la défense de Fouquet lorsqu’il a été condamné par le roi sous prétexte qu’il avait organisé une fête trop somptueuse dans son château de Vaux le Vicomte ; On prétend que le roi était jaloux de sa réussite et de sa gloire.

 

Élégie aux Nymphes de Vaux

Pour M. Fouquet

 

Remplissez l’air de cris en vos grottes profondes ;

Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,

Et que l’Anqueuil enflé ravage les trésors

Dont les regards de Flore ont embelli ses bords

On ne blâmera point vos larmes innocentes ;

Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes :

Chacun attend de vous ce devoir généreux ;

Les Destins sont contents : Oronte est malheureux.

Vous l’avez vu naguère au bord de vos fontaines,

Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines,

Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des mortels,

Recevait des honneurs qu’on ne doit qu’aux autels.

Hélas ! qu’il est déchu de ce bonheur suprême !

Que vous le trouveriez différent de lui-même !

Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits

Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,

Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.

Voici le précipice où l’ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité !

Dans les palais des rois cette plainte est commune,

On n’y connaît que trop les jeux de la Fortune,

Ses trompeuses faveurs, ses appâts inconstants ;

Mais on ne les connaît que quand il n’est plus temps.

Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,

Qu’on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,

Il est bien malaisé de régler ses désirs ;

Le plus sage s’endort sur la foi des Zéphyrs.

Jamais un favori ne borne sa carrière ;

Il ne regarde pas ce qu’il laisse en arrière ;

Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit

Ne le saurait quitter qu’après l’avoir détruit.

Tant d’exemples fameux que l’histoire en raconte

Ne suffisaient-ils pas, sans la perte d’Oronte ?

Ah ! si ce faux éclat n’eût point fait ses plaisirs,

Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,

Qu’il pouvait doucement laisser couler son âge !

Vous n’avez pas chez vous ce brillant équipage,

Cette foule de gens qui s’en vont chaque jour

Saluer à longs flots le soleil de la Cour :

Mais la faveur du Ciel vous donne en récompense

Du repos, du loisir, de l’ombre, et du silence,

Un tranquille sommeil, d’innocents entretiens ;

Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens.

Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle.

Vous, dont il a rendu la demeure si belle,

Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appâts,

Si le long de vos bords Louis porte ses pas,

Tâchez de l’adoucir, fléchissez son courage.

Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ;

Du titre de clément rendez-le ambitieux :

C’est par là que les rois sont semblables aux dieux.

Du magnanime Henri qu’il contemple la vie :

Dès qu’il put se venger il en perdit l’envie.

Inspirez à Louis cette même douceur :

La plus belle victoire est de vaincre son coeur.

Oronte est à présent un objet de clémence ;

S’il a cru les conseils d’une aveugle puissance,

Il est assez puni par son sort rigoureux ;

Et c’est être innocent que d’être malheureux.

 

Dans cette élégie (poème antique lyrique qui exprime la plaine et les regrets ) , il peint Fouquet sous les traits d’Oronte  (un vieillard personnage d’une pièce de Molière amoureux d’une jeune femme  ) et imagine les nymphes (statues de pierre qui représente des sirènes ou des jeunes femmes )  de son château de Vaux le Vicomte pleurer en pensant à son triste sort (emprisonné, accusé à tort et démis de ses fonctions ). Il engage alors le roi Louis à faire preuve de clémence et à se montrer juste.  Louis XIV avait très peu apprécié ce poème dans lequel il apparaissait  directement sous les traits de Louis .