12. février 2020 · Commentaires fermés sur Une apparition troublante : Frédéric tombe sous le charme d’une mystérieuse inconnue dans l’Education Sentimentale de Flaubert .. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,

Un rencontre amoureuse peut constituer un moment décisif dans le parcours d’un personnage ou ne représenter qu’une possibilité qui tourne court. Gustave Flaubert peint dans L’Education Sentimentale un véritable coup de foudre qui va durablement marquer son héros à tel point qu’il ne réussira jamais à trouver la volonté ou le courage ou la force de transformer cet amour idéalisé en amour “vécu”.  L’individu se heurte à plusieurs obstacles de taille: barrière de la morale tout d’abord car la femme aimée est mariée et mère et barrière sociale car Frédéric,  doit élaborer des stratégies matrimoniales pour s’élever dans la société et Marie Arnoux ne peut lui, être, sur ce plan, d’aucune utilité . Voyons comment l’auteur nous décrit cette rencontre déterminante pour le destin du personnage .

D’emblée la rencontre est présentée comme une apparition et cette femme inconnue se pare des attributs d’une divinité. Sa solitude parait d’emblée subjective et soumise à caution car le narrateur précise “du moins il ne distingua personne “ Cette remarque laisse à penser que le regard du personnage est sous l’emprise d’un choc; En effet, sur ce bateau qui transporte de nombreux voyageurs de Paris à Rouen, il y a sans doute beaucoup de monde mais la rencontre est ainsi mise en relief dans sa dimension extraordinaire; Cet éblouissement que subit le héros à la ligne 3 , a pour origine les yeux de la mystérieuse inconnue; Le jeune homme , pour autant , ne l’aborde pas ; Son corps accuse lui aussi le coup de cette rencontre car “il fléchit involontairement les épaules ” ; ce geste souligné par le narrateur traduit une forme de soumission, de passivité  et même d’asservissement de Frédéric ; la femme est ici vue comme une déesse devant laquelle il se prosterne ; Il n’ose lever les yeux vers elle que lorsqu’il se trouve “plus loin” ;  Cette attitude du personnage peut passer pour une grande timidité ou une forme de peur, ou même une marque de son inexpérience ; Frédéric, rappelons, est âgé de 18 ans.

Le second paragraphe établit un portrait plus précis de la jeune femme  du point de vue du jeune homme ébloui comme l’indique le verbe : il la regarda.  La description suit  l’ordre canonique, du haut en bas; le chapeau de paille rappelle la lumière de cette belle journée d’été et les rubans roses sont ici personnifiés : comme le coeur de Frédéric qui s’emballe sous l’effet du coup de foudre, les rubans “palpitaient au vent ” Le regard descend et contemple les cheveux, dissimulés sous des bandeaux qui entourent “amoureusement” l’ovale du visage; Là encore, l’adverbe reflète les sentiments du jeune homme  et indique qu’il est bien à l’origine des perceptions ; La robe , autre élément de séduction , est également mise en valeur ; la légèreté du tissu, la mousseline, la couleur “claire ” évoquent un cadre lumineux: celui, romantique, à souhait d’une belle journée d’été. Flaubert fabrique un cadre idyllique à cette rencontre dont on devine pourtant la banalité; En effet, elle ne paraît extraordinaire que pour le personnage. Cette femme se donne à voir comme si elle était le sujet d’un tableau et ” sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu “.  Nous sommes déjà dans une visions fantasmée .  Cette belle inconnue va devenir l’incarnation du mystère amoureux :  elle demeure immobile telle la statue d’une divinité et le personnage se ridiculise à l’observer en la contournant de peur d’être vu; Cette tentative de dissimulation peut déjà nous transmettre certaines informations ; Frédéric craint d’être repéré et il paraît bien maladroit ; à la ligne 12, le verbe se “planta” a plutôt des connotations négatives et le choix de la position, derrière l’ombrelle, renforce l’idée d’un personnage peureux qui se cache et veut voir sans être vu. Il fait d’ailleurs semblant d’observer une chaloupe sur la rivière ” La passivité du héros est déjà bien présente au cours de cet épisode et l’un des enjeux du roman va, justement consister, à montrer son absence d’évolution .

Pour autant, c’est l’éblouissement qui domine encore avec l‘expression hyperboliquejamais il n’avait vu cette splendeur ” : la négation contribue à rendre encore plus exceptionnelle la beauté de la jeune femme : les éléments du portrait changent de nature et deviennent plus clairement l’expression du désir du jeune homme : le regard se porte sur “la séduction de sa taille ” ligne 14 et “cette finesse des doigts que la lumière traversait ” . Le narrateur montre la femme  en train de broder , activité somme toute, très ordinaire à cette époque et Frédéric semble quelque peu naïf et transporté par ses sentiments . C’est pourquoi on peut penser que la réalité est transfigurée grâce à l’utilisation du point de vue interne.  ; Les objets les plus triviaux lui apparaissent comme des trésors : il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement , comme une chose extraordinaire . ” On trouve, dans cette formulation, l’association d’un lexique très fort comme le mot “ébahissement ”  lui-même associé avec une comparaison quelque peu redondante , “extraordinaire ” : cette sorte de tautologie  rend le personnage un peu “ridicule “. Flaubert montre, de cette manière, à quel point la passion peut transformer notre vision des choses; Frédéric souffre déjà d’une sorte de désir insatiable qui se traduit par une litanie de questions ” quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ” peut -on lire à la ligne 15 . Il veut littéralement tout savoir de cette mystérieuse inconnue ; Son désir semble sans fin ; cette fois c’est l’ énumération des objets qui lui sont associés qui  permet de traduire la force de cette passion quasi instantanée : “ il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait .”  Le désir du héros tente de s’emparer de l’objet qu’il convoite dans une sorte de possession symbolique ; De même que son regard la cerne et l’entoure, ses pensées tentent  également de cerner de son existence toute entière . Cette convoitise est présentée comme douloureuse: on retrouve ici le paradoxe amoureux; En effet, le sentiment amoureux occasionne à la fois une grande joie et une grande souffrance à la pensée que l'objet que nous convoitons , pourrait nous échapper . Le narrateur tente de décrire avec davantage de précision, la nature du désir éprouvé par Frédéric: il élimine la simple possession physique pour faire référence à une forme de désir  supérieur , plus profond et plus total, qui n’est pas sans évoquer l’adoration religieuse. En effet, les mystiques s’efforçaient d’entrer en contact avec le divin  et d’unir leur esprit à une réalité supérieure : ils pouvaient parfois s’abandonner à des formes de contemplation qui pouvaient aller jusqu’au retrait du monde . La subordonnée finale ” une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites ” pourrait être empruntée au vocabulaire religieux pour, justement, caractériser, l’expérience mystique.

L’écrivain s’amuse maintenant à nuancer ce tableau religieux qui pourrait ressembler à une adoration de la Vierge avec l’apparition, non seulement de l’enfant mais également de la nourrice de ce dernier “une négresse”  ( l 20 ) ; le terme ici n’est pas péjoratif mais désigne simplement une femme de couleur . La mystérieuse inconnue est donc d’un statut bourgeois car elle a une domestique et probablement mère car elle prend l’enfant sur ses genoux. Il ne s’agit donc pas d’une rencontre entre deux jeunes gens qui semblent promis l’un à l’autre . Le jeune héros est ici fasciné par une mère de famille : ce qui peut heurter la moral et  on devine une liaison adultère se profiler si la femme est mariée. La précision “déjà grande ” ,  à propos de  l’enfant ,indique que les deux personnages n’ont pas le même âge et là encore, la différence d’âge ainsi que  le fait qu’un très jeune homme tombe amoureux d’une femme plus âgée, peut heurter certaines convictions morales d’un lecteur en 1860. Dès les premières lignes de cette rencontre amoureuse, le romancier prépare l’évolution de l’intrigue entre son héros, Frédéric et celle qu’il considérera comme le grand amour de sa vie mais aucun des deux personnages ne parviendra à vaincre les obstacles qui les séparent .

Marie Arnoux devient un objet de fantasme mais le héros ne transformera jamais cet amour en réalité partagée. Lorsqu’à la fin du passage, il se décide à intervenir pour rattraper son châle qui allait tomber à l’eau à la ligne 26, il peut , grâce à ce geste créer un premier contact mais il ne réussira pas à aller plus loin que de simples formules de politesse. C’est son imagination qui prend le dessus et il rêve à toutes les fois où son châle a servi à la réchauffer; Par l’intermédiaire de cet objet fantasmé, le narrateur nous fait lire son désir : “en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans. ” Les allusions sont claires et indiquent une forte attirance et un désir de partager l’intimité de Marie, d’être, en quelque sorte, à la place de son châle. Frédéric devient , par son geste , “le rattrapa ” une sorte de héros mais nous sommes bien loin de l’idéal chevaleresque .

Flaubert met en scène , au début du roman, une rencontre amoureuse qui s’apparente à un coup de foudre mystique et laisse deviner au lecteur perspicace que cette liaison est condamnée à échouer car le personnage a donné à la femme le statut d’une divinité inaccessible . En choisissant , qui plus est, une femme mariée et déjà mère, le romancier cherche également ,  à nous faire réfléchir à la manière dont la société de son époque tolère ce type de liaisons . Marie Arnoux sera sur le point de succomber à l’ardeur des sentiments du jeune homme mais , comme La princesse de Clèves, elle ne se résoudra pas à devenir la maîtresse de Frédéric; le jour où ils avaient rendez-vous à l’hôtel, son enfant est tombé malade et elle y a lu comme un signe du destin; elle ne s’est donc pas rendue au rendez-vous et Frédéric fut fou de rage et de tristesse. L’occasion se représenta quand elle fut plus âgée

 Vous trouverez la totalité de la fiche avec le lien suivant : http://keepschool.com/fiches-de-cours/lycee/francais/education-sentimentale.html

Le projet du roman et ses grandes lignes

Le romancier Gustave Flaubert s’est librement inspiré de l’amour absolu et platonique qui le lie à jamais à Mme Schlésinger, cette femme qu’il rencontra jadis, il n’avait pas seize ans. « Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération, écrit l’auteur ; “sentimentale” serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion telle qu’elle peut exister maintenant, c’est-à-dire inactive. » Comme on peut s’en douter dès leur première rencontre, cette passion en sera jamais assouvie car le héros idéalise cet amour .Le roman met en scène les ambitions passives de Frédéric Moreau. L’intrigue se résume à la vacuité d’une carrière amoureuse et sociale ratée. Loin de l’image d’un héros romantique entreprenant et ambitieux ,  Frédéric Moreau est bien plutôt un anti-héros. Sa passion pour Marie Arnoux, jamais démentie, jamais aboutie, se résume à une contemplation  plus ou moins perturbée par les mouvements sociaux et politiques de 1848. Ses ambitions sociales, politiques et matrimoniales échouent successivement, Il symbolise à lui seul toute une génération, l’échec d’une jeunesse romantique face à la société bourgeoise et à l’Histoire. Marie Arnoux est la femme adulée. Épouse d’un bourgeois , mère de deux enfants, elle est pour Frédéric l’amante idéalisée, une promesse de bonheur. À la voir, il éprouve « une sorte de crainte religieuse ». Vingt ans plus tard, il la retrouve, et voit « ses cheveux blancs.  » Son désir pour elle est contrarié par quelque chose « comme l’effroi d’un inceste », la crainte du dégoût ou de l’embarras, et le désir de « ne pas dégrader son idéal ». Autour de Frédéric graviteront d’autres figures féminines secondaires. Louise Roque, jeune fille riche et amoureuse qu’il finira par épouser et qu’il quittera, Mme Dambreuse, mondaine parisienne, dont il deviendra l’amant  et Rosanette, courtisane facile avec laquelle il aura une liaison mouvementée, faite de séparations et de retrouvailles  . Aucune de ces trois femmes ne semble pourtant rivaliser avec cet idéal incarné qui obsède Frédéric et qui constituera un échec supplémentaire dans sa vie faite de ratages successifs.

11. février 2020 · Commentaires fermés sur Ecrivain et voyageur : Sylvain Tesson dans les forêts de Sibérie · Catégories: Seconde · Tags:

Sylvain Tesson est un écrivain et voyageur français.
Géographe de formation, il est titulaire d’un diplome de géopolitique. Il effectue en 1991 sa première expédition en Islande, suivie en 1993 d’un tour du monde à vélo . C’est là le début de sa vie d’aventurier. Il traverse également les steppes d’Asie centrale à cheval , sur plus de 3000 km du Kazakhstan à l’Ouzbékistan. En 2003-2004, il reprend l’itinéraire des évadés du goulag . Ce périple l’emmène de la Sibérie jusqu’en Inde à pied.
En 2010, il réalise un projet souvent évoqué auparavant, en allant vivre six mois (de février à juillet) en ermite dans une cabane au sud de la Sibérie, sur les bords du lac Baïkal. Il relate cette expérience solitaire dans son journal publié l’année suivante sous la forme d’un essai autobiographique intitulé : “Dans les forêts de Sibérie”, qui est adapté au cinéma par Safy Nebbou en 2016.
Passionné d’escalade, il chute accidentellement d’une maison à Chamonix en août 2014, juste après avoir transmis à son éditeur le manuscrit de “Bérézina” et est placé en coma artificiel. Il a depuis retrouvé la santé. “Bérézina”, qui sort en janvier 2015  conte le récit de son voyage en side-car sur les traces de la Grande Armée lors de la retraite de Russie. En 2016, il publie un récit autobiographique, “Sur les chemins noirs”.

Assez tôt, j’ai compris, explique-t-il, que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. ” Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie. J’ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. là, pendant sis mois, perdu dans une nature démesurée, j’ai tâché de vivre dans la lenteur et la simplicité? Je crois y être parvenu? Deux chies,s un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à l’existence. Et si la liberté consistait à posséder le temps? Et si la richesse revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence, toutes choses dont manqueront les générations futures ? Autant d’interrogations existentielles qui sont posées à travers l’écriture de cet écrivain-philosophe . Son roman est bien plus qu’un simple carnet de voyages : il est surtout une méditation sur la condition humaine.A son retour de ces quelques mois passés à méditer au bord du lac Baïkal, Sylvain tesson accorde un entretien à un magazine ; Il y donne quelques réponses aux questions que nous pouvons nous poser : pourquoi part-on? Que cherche-t-on à travers le dépaysement : fuir ou se retrouver ou un peu les deux ? Le paradis pour Sylvain Tesson ressemble à un endroit froid, très froid et désert d’où il “pouvait capter les tressaillements de la nature ” Il avoue s’être métamorphosé et  avoir réussi à apprivoiser le temps; Il a noté ses pensées dans un cahier qu’il nomme un “journal d’ermitage ” .  Dès la première page , le lecteur est frappé par des détails qui peuvent sembler étonnants comme le fait de trouver “une quinzaine de variétés de sauces ” de la marque Heinz dans un supermarché d’Irkoutsk. Ce petit rappel surprenant  évoque la mondialisation de notre société de consommation et la diffusion de certaines habitudes alimentaires à l’échelle de la planète. L’écrivain , justement , nous fait partager son désir de fuir cette société . Et de se fondre dans une Nature qu’il admire tout particulièrement. Pourtant ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’il s’apprête à s’installer dans sa petite cabane au fond des bois. Il cite Malevitch en guise d’avertissement  ” Quiconque a traversé la Sibérie ne pourra plus jamais prétendre au bonheur” . Ce qu’il considère comme un vieux rêve va pourtant se réaliser et  il va pouvoir commencer sa retraite , c’est à dire son retrait du monde et de la civilisation pour devenir une sorte d’ermite . Notes du 18 février ” Je voulais régler un vieux contentieux avec le temps. J’avais trouvé dans la marche à pied matière à le ralentir. L’alchimie du voyage épaississait les secondes. Celles passées sur la route filaient moins vite que les autres; Il me fallait des horizons nouveaux. ….

30. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La Bruyère et les Caractères : une peinture imaginaire de la Cour et des Grands . · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Jean de La Bruyère est un moraliste français, qui a rédigé une œuvre unique et originale Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle ; Ce livre est composé essentiellement de portraits et maximes, regroupés parfois sous forme de chapitres qui présentent une unité thématique . Les “traits” dépeints dans les Caractères révèlent un esprit critique et indépendant, celui d’un homme de la fin du dix-septième siècle . Ses observations, souvent impitoyables envers la nature humaine, conservent une valeur intemporelle. Malgré l’objectif affiché par le titre de l’ouvrage, le moraliste recourt à l’imagination et à la fiction pour permettre l’exercice de la pensée critique . C’est ce que nous voyons à l’oeuvre dans cet extrait où il critique avec férocité les mœurs de la Cour en adoptant une sorte de regard étranger . Nous verrons d’abord le portrait des jeunes gens avant d’évoquer les reproches qu’il adresse aux femmes et celles qui visent l’adoration du Roi

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Portrait-Mme-Montespan-

Le premier procédé utilisé par le moraliste est celui du regard étranger sur une contrée imaginaire . Le narrateur , volontairement dissimulé sous un on global et indéterminé, évoque la Cour comme s’il s’agissait d’un pays éloigné dont il précisera d’ailleurs la position géographique avec les coordonnées de latitude et de longitude, à la fin de sa description, aux  lignes 21 et 22. La  peinture critique débute par une opposition entre les qualités des vieillards et les défauts des jeunes gens qui composent une partie de la population de ce pays imaginaire; Alors que les premiers sont galants, polis et civils, les jeunes ‘au contraire ,marque de l’antithèse, sont qualifiés de “durs, féroces, sans moeurs ni politesse” . Défauts et qualités s’opposent en tous  points et on constate que les défauts l’emportent car ils sont au nombre de quatre. Le moraliste affine sa critique en précisant que ces jeunes gens ne se comportent pas de manière habituelle et il les compare à tous les autres  qui se trouvent “ailleurs” ; Leurs moeurs seraient donc propres à ce pays imaginaire uniquement;  Il leur reproche d'être déjà dégoutés de l'amour des femmes très tôt et cela lui semble une aberration; Il utilise un terme plutôt mélioratif, le verbe s’affranchir qui signifie être capable de se détacher d’une passion, s’en libérer , pour montrer que ces jeunes hommes sont , prématurément, blasés et ne cherchent plus à connaître l’amour; Serait- ce le signe de trop de galanteries à la Cour ? La Bruyère nous renverrait ici une image proche de celle de Madame de La Fayette qui dépeint   les dangers des amours à la Cour et la multiplication des intrigues amoureuses;

Au lieu de se tourner vers les femmes , ces jeunes gens “leur préfèrent des repas ” peut on lire à la ligne 3, ainsi que des viandes; Ce choix peut paraître discutable d'un point de vue moral et il présente la nourriture , la bonne chère comme une alternative préférée à la chair , c'est à dire à l'amour. Néanmoins, à la fin de cette proposition, on découvre la mention d’amours ridicules ; ( ligne 4 ) Que veut indiquer ici le moraliste? Etablit-il , par allusion,  une différence entre amours sérieux et amours ridicules ? Est-ce une critique des nombreuses aventures adultères ou aux amours homosexuelles  qui désigneraient une partie de la Cour, autour de Monsieur, Philippe d'Orléans,frère du roi, réputé pour ses liaisons masculines et son goût de la fête , qui mettait fort en colère la reine . En effet, de nombreux mémorialistes et notamment Saint -Simon, qui était pourtant un ami personnel du frère du roi  , notent son goût immodéré pour le vin et pour la débauche en général . S’agirait-il donc d’une généralisation, dans l’extrait de La Bruyère d’une forme de décadence à la Cour , marquée à cette époque par le faste . En 1682, rappelons que lorsque Louis XIV s’installe à Versailles, il est entouré au quotidien de près de 10000 personnes.

La critique de l’alcoolisme outrancier des jeunes gens à la cours fait l’objet de plusieurs remarques sous la forme de notations paradoxales : ne boire que du vin est ainsi assimilé, chez eux , à de la sobriété car ils ont besoin d’alcools de plus en plus forts comme le traduit le superlatif de la ligne 6 “liqueurs plus violentes ” pour terminer par l’eau- forte associé à la débauche, lignes 6 et 7 . L’eau -forte désigne l’acide nitrique dont se servent les graveurs pour dessiner dans le cuivre ; mélangé à de l’eau, l’acide nitrique est un puissant décapant corrosif, mortel s’il est ingéré et La Bruyère fait- il référence aux nombreuse tentatives d’empoisonnement à la Cour en nommant un poison toxique capable de tuer l’homme. Il joue avec la parenté du mot eau de vie qui renvoie à des alcools très forts .

La seconde partie de la critique s’adresse particulièrement aux femmes de la Cour accusées d’être trop artificielles : Ces dernières , en effet, “précipitent le déclin de leur beauté “paradoxe pour signaler que leur maquillage excessif les enlaidit au lieu de les embellir. La Bruyère goûtait sans doute peu, les évolutions de la mode à la Cour qui avaient imposé ,des transformations dans les tenues féminines. Sous l’influence d’Anne d’Autriche, régente de son fils Louis XIV, la mode à la Cour était plutôt austère mais , dans la seconde moitié du règne du roi Soleil, les costumes avaient changé : les manches étaient devenues plus courtes, les coiffures plus travaillées et le maquillage avait fait son apparition ; La Bruyère note surtout le manque de pudeur de certaines tenues : le verbe étaler à la ligne 9 est péjoratif et reflète le comportement amoral des femmes de la Cour ; une fois de plus, le moraliste recourt à un paradoxe pour souligner sa critique de l’impudeur “comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire “ ; il monter qu'elles sont très dénudées et que leurs tenues sont impudiques. En révélant publiquement , par leurs toilettes, les parties jusque là cachées de leur corps notamment les bras, le haut de la poitrine et le cou;

L’évolution de la mode masculine est également fustigée avec une nouvelle coutune qui choque la Bruyère: il s’agit du port de la perruque alors en vogue; cette dernière est qualifiée, à juste titre de “cheveux étrangers “ à la ligne 12; En effet, les perruques sont composées de cheveux qui n’appartiennent pas, en propre, à ceux qui les portent et le terme étrangers peut ainsi renvoyer au contexte imaginaire de cette “région “étrange et lointaine. Le moraliste reproche au port de la perruque de rendre la physionomie “confuse ”  ligne 11 ce qui est présenté comme un défaut contraire à la netteté et au naturel ( ligne 12) ; De plus, la perruque est également accusée de modifier l’aspect de la personne qui la porte d’en “changer les traits ” ; Les apparences prennent ainsi le dessus sur le naturel ce qui est quelque peu contraire à l’esprit de l’honnête homme , le modèle que défendent les moralistes . De plus, les perruques brouillent les repères et semblent empêcher “qu’on connaisse les hommes à leur visage” ; Est-ce ici une référence à l’expression montrer son vrai visage qui signifie être franc , ne rien dissimuler. On retrouve ainsi les mêmes reproches que ceux formulés à l’encontre des courtisans par l’auteure de La  princesse de Clèves: des hommes et des femmes qui dissimulent leurs véritables sentiments.

labru7.jpgLa dernière partie de notre texte est consacrée à la critique du culte personnel rendu au roi. A la ligne 14, La Bruyère met d’ailleurs sur le même plan les deux entités  associées par la coordination : “leur Dieu et leur roi “; Il décrit ensuite le culte catholique et le rituel des célébrations religieuses comme s’il s’agissait d’étranges cérémonies païennes; Le vocabulaire qui est employé rappelle celui de la Grèce antique avec la mention à la ligne 15 du temple, devenu “église” et de la liturgie qui  est désignée au moyen de l’expression “ célébration des mystères” ; La religion catholique est définie au moyen de trois adjectifs : “saints, sacrés et redoutables ” : si les deux premiers d’ailleurs qeulque peu  redondants, sont laudatifs et rappellent la dimension sacrée des rites;   le dernier ferait plutôt référence à la peur qui animerait certains fidèles ; En effet, à la cour il est plus prudent d’assister aux offices et de ne pas être accusé d’hérésie comme le furent les Protestants; La période , en effet, est agitée et de vives tensions sont perceptibles dans l’entourage même du roi : en 1685 ce dernier, sous la pression de la reine, révoque l’Edit de Nantes et interdit ainsi aux protestants, de plus en plus nombreux à la cour, d’afficher et de pratiquer leur religion . Notons que La Bruyère est proche de la famille du Prince de Condé, cosuin du roi et  qui fut l’un des principaux opposants politiques de Louis XIV; il fut lle précepteur et ensuite le secrétaire de Louis III de Bourbon -Condé, petit-fils du grand Condé ; il donna également des leçons à l’épouse de ce dernier (le mariage eut lieu alors qu’elle n’était âgée que de 11 ans ) Mademoiselle de Nantes , qui était la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. ) A la ligne 19,l e narrateur met en doute la sincérité de la foi de certains courtisans qui “semblent avoir tout l’esprit et tout le coeur appliqués ” Il leur reproche de ne pas s’intéresser au déroulement même de l’office mais de préférer regarder le roi alors qu’ils tournent le dos au prêtre . Son dernier commentaire évoque une “espèce de subordination ” qu’il juge déplacée ; N’étant pas lui-même d’une grande noblesse, La Bruyère épingle la morgue de certains grands du royaume qu’il fréquentait mais en tant que subalterne ; Il dénonce ici l’affectation de leur piété: leur dévotion semble se tourner davantage vers la figure du roi que vers Dieu ; la construction de la phrase de la ligne 20, avec ses parallélismes,  traduit cet état de fait ” ce peuple paraît adorer  le Prince et le prince adorer Dieu “. La révélation de la localisation de cet étrange pays est donnée sous forme de devinette à la fin du texte et rappelle que La Bruyère enseignait l’histoire et la géographie; La référence aux Iroquois et aux Hurons fait passer les courtisans pour d’étranges personnages aux moeurs tout aussi étranges que celles des peuples cités qui font l’objet de la curiosité des Français .

 En conclusion de ce court extrait , on peut voir que La Bruyère aime le juste milieu et refuse tous les excès. La dimension morale des Caractères repose sur cette invitation au lecteur à ne pas imiter ses personnages décrits dans leur démesure. Il critique également les dangers de vivre dans les apparences et les fausses valeurs, comme c’était le cas à la cour de Louis XIV. Les courtisans se souciaient plus de leur apparence que de ce qu’ils étaient réellement, prêts à tout pour se faire une place dans la société, quitte à passer à côté de la morale. Il prône l’idéal de l’honnête homme, qui sait rester fidèle à ses principes sans tourner le dos à son prochain, qui est cultivé mais ne tombe pas dans le pédantisme, qui représente un idéal social d’équilibre, en somme. Du point de vue politique, La Bruyère dénonce tous les excès de la monarchie absolue, qu’il s’agisse de l’exaltation de la grandeur et de l’argent ou de la tyrannie hiérarchique exercée sur les classes sociales inférieures telles que celle des paysans. Les Caractères parurent de manière anonyme et l’écrivain a utilisé le pouvoir de l’imagination pour permettre, aux aristocrates, public lecteur ,  de réfléchir aux moeurs de leur temps ; Lorsque la critique est virulente et touche de près les lecteurs, le détour par l’imagination permet de mettre la distance nécessaire à la réflexion.

La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moraliste, tout comme Jean de La Fontaine ou François de La Rochefoucauld car si son écriture vise à plaire, elle vise avant tout à instruire son lecteur, à lui délivrer une morale. C’est en cela qu’il s’inscrit aussi pleinement dans le classicisme, prisant la mesure et refusant les excès. De plus, il défend la théorie des « Anciens » et se méfie de la nouveauté  car il pense que la littérature de l’Antiquité a atteint la perfection ; Dans la querelle des Anciens et des Modernes qui divise les Académiciens, , il prendra le parti de Racine, de Boileau et de La Fontaine contre Perrault et Fontenelle dont il fera le portrait à charge dans l’un de ses caractères.

A titre de complément, voilà un autre extrait qui dépeint la Cour comme un pays imaginaire

ll y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels.
La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des passions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.
Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan d’autant plus parfaite, qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.

 Un exemple maintenant, pour préparer l’écrit du bac, de plan de commentaire littéraire donné sur ce site  https://francaiscourbac.skyrock.com/2835430708-DE-LA-COUR-74-LECTURE-ANALYTIQUE.html
1. Un narrateur étranger. les indices de l’énonciation
Plusieurs formulations laissent penser que celui qui parle rapporte des paroles entendues et décrit ce qu’on lui a présenté mais qu’il n’a pas vu lui-même.
A. L’utilisation du « on ».
Ce pronom ouvre le texte sans que le lecteur puisse savoir si le narrateur s’inclut ou non dans le groupe. Ce n’est donc pas un indice révélateur à lui seul.
On remarque la présence d’un deuxième « on », « où l’on commence ailleurs à la sentir », qui peut poser le même problème, mais de l’un à l’autre, certains éléments laissent penser que cet emploi fait du narrateur le rapporteur d’un message relatif à des lieux qu’il ne connaît pas.
B. les références à une région étrange.
Le mot « région », caractérisé par la présentation de ceux qui y vivent, est repris par l’expression « cette contrée », puis par « pays ».
Le terme « peuple » (au singulier ou au pluriel), ou la périphrase « Ceux qui habitent » font également penser à un pays étranger dont la population aurait des comportements inattendus.La localisation géographique qui termine le texte, par rapport au pôle d’une part, de l’autre à des tribus indiennes, termine sur une note exotique qui accentue l’aspect « pays lointain » et inconnu de la région décrite.Le texte se trouve ainsi ouvert et fermé par l’évocation d’un pays original, dans lequel les comportements sont constamment dépaysants.
C. Les périphrases et l’insistance sur l’apparence.
Le pays n’étant pas nommé, on ne peut appeler ses habitants par leur nom.La périphrase « Ceux qui habitent cette contrée » permet de les désigner en jouant sur l’ignorance.D’autres expressions vont dans le même sens : « les cheveux étrangers » désignent les perruques.Par ailleurs la formulation « qu’ils nomment », « qu’ils appellent » insiste sur le fait qu’il s’agit de pratiques et de terminologies peu connues.La récurrence des verbes soulignant l’apparence joue le même rôle : « semblent », « paraît ».Ces différentes formulations se combinent pour brouiller l’énonciation : le lecteur ne sait pas de quoi il est question, ni dans quelles circonstances celui qui parle émet son message.Il ne sait pas non plus comment ce dernier se situe par rapport à ce qu’il rapporte des éléments de présentation entendus à propos d’un pays lointain dont les coutumes, présentées un peu approximativement, ne sont pas clairement élucidées : utilisation de « comme si » à propos des femmes (« comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire »), interprétation erronée de l’emploi des perruques (« (…) empêche qu’on ne connaisse les hommes à leurs visages »).L’emploi de ce procédé est de nature à créer l’étonnement du lecteur et sa curiosité : il devient de ce fait plus réceptif à un message qui présente l’intérêt de l’exotique ou de l’insolite.

2. Une présentation organisée et structurée. la structure du texte
Malgré l’absence de mots de liaison, on peut observer une organisation de la présentation, qui va de la « région » au « pays », en passant en revue les habitants à travers leurs façons de vivre, puis le roi et les relations qu’ils entretiennent avec lui.Cette structure se met en place par simple juxtaposition.
On observe successivement :* La présentation des jeunes gens, avec leur manière d’être en général, leur manière de manger puis de boire.
Cette présentation se fait par comparaison de ce groupe avec celui des vieillards (« L’on parle… de l’eau-forte »).* La présentation (« Les femmes… à leur visage ») des apparences vestimentaires des femmes d’abord (maquillage, vêtements) puis des hommes en général, avec une insistance sur les perruques et sur leur utilité (ici, empêcher que l’on reconnaisse ceux qui les portent, ce qui est une interprétation volontairement erronée).* L’existence de « grands », d’un prince, d’un dieu : c’est l’occasion de rapporter un rituel en le déformant et en le représentant sous un jour volontairement naïf . L’exposé est précis, relevant de ce qui est visuel, avec des notations brèves et simples qui traduisent un peu naïvement des cérémonies empreintes de toute la pompe versaillaise.
La progression qui suit le texte est donc perceptible :Le présentateur commence par des catégories d’âge et par ceux qui sont le plus éloignés du roi, pour aborder ensuite les courtisans plus proches, puis le roi lui-même.Cette hiérarchie inversée se retrouve dans l’analyse de la subordination : « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu ».Or, c’est précisément l’ordre suivi par le présentateur de cette « faune » insolite : peuple, femmes, grands, prince, Dieu.Cette classification permet à celui qui parle de mettre en relief de nombreux éléments critiques.

3. Les éléments de la critique.
La présentation de chaque catégorie est caractérisée par l’utilisation d’un vocabulaire très nettement dépréciatif : adjectifs connotés négativement, insistance sur les défauts, mise en relief des contradictions ridicules.
A. Les caractérisations négatives.
On observe l’emploi d’adjectifs comme « durs », « féroces », eux-mêmes hyperboliques, ou comme « pas nette », « confuse », « embarrassée ».
L’expression « sans mœurs ni politesse » marque également l’absence.Tout le comportement alimentaire et amoureux des jeunes gens souligne qu’ils sont blasés, excessifs, comme s’ils avaient déjà tout connu. Le narrateur fait ici le portrait rapide de libertins, comme le souligne le terme « débauche ».
B. L’expression des comportements outrés ou contradictoires.
L’utilisation de verbes d’action met en relief des gestes et des actions présentées sous une forme critique.
Toute l’attitude des femmes est rendue par l’activité (présentée comme néfaste) du maquillage. La première phrase qui leur est consacrée met en relief, par l’opposition « déclin de leur « beauté » / « servir à les rendre belles », les contradictions de choix qui conduisent à l’opposé des effets cherchés, sous l’influence de la mode, la « coutume ».
Les attitudes contradictoires et étonnantes, pour cette raison, sont aussi celles des courtisans qui sont avec le roi à l’Église : « les grands forment un vaste cercle… et tout le cœur appliqués » : au lieu de se tourner vers l’autel et vers le prêtre, ils regardent le prince dans une attitude d’idolâtrie.
C. Le ton naïf de certaines formulations.
La présentation du roi dans un rituel religieux est faite dans une tonalité presque naïve que l’on perçoit d’une part à la simplicité du vocabulaire, d’autre part au souci de précision :« les grands de la nation… faces élevées vers le roi ».
La simple juxtaposition des remarques, l’insistance sur les apparences donnent une apparente importance feinte à des comportements qui sont ceux, habituels, des courtisans.En affectant de faire passer pour insolite ce qui est usuel, La Bruyère en souligne les ridicules et les outrances.
D. La présence de critères, d’éléments de comparaison présents ou sous-jacents.
En utilisant constamment la référence au « pays » à la « contrée » particulière dont il est question, le narrateur attire l’attention sur le fait que tout ce qui est décrit pourrait être autre, ou autrement, ailleurs.Les démonstratifs font référence à une région précise, ce qui n’exclut pas d’autres pays et d’autres modes de comportement.Ainsi, ailleurs, les jeunes gens pourraient être polis, les femmes simplement belles, sans « étalage » inutile, les hommes pourraient ne pas se cacher derrière des perruques et le roi ne pas se faire adorer par des courtisans.
La dénonciation de ce qui se passe à un endroit précis, identifiable comme étant Versailles, laisse imaginer ce qui pourrait exister à la place.
La manière de procéder de La Bruyère est donc à double effet.
Parmi les critiques énoncées, beaucoup relèvent de la vie de cour et sont donc historiques (ce qui touche au roi et à ses relations avec ses courtisans).
Il en est de même pour la mode féminine ou celle des perruques. Parallèlement, on peut considérer que certains comportements stigmatisés sont simplement humains : le goût de l’excès chez les jeunes libertins se retrouve à diverses époques, l’hypocrisie des courtisans avides de montrer leur adoration du roi appartient à toutes les hiérarchies sociales, la coquetterie féminine et le goût du maquillage ne sont pas typiques de la cour de Louis XIV.
En ce sens, on peut dire que le texte, au-delà d’une critique de la vie de cour, et plus précisément de Versailles, s’applique à de nombreux comportements sociaux de tous les âges et de toutes les époques.Il est alors intéressant de faire le bilan des effets nés du « regard étranger » dans ce texte : le mélange d’insolite (dans la formulation) et de familier (dans la réalité réellement présentée) crée une distorsion entre l’apparence (ce qui est supposé vu par le regard inhabitué) et la réalité (connue des lecteurs).La non – coïncidence exacte attire l’attention sur ce qui est montré sous un jour nouveau, et qui est alors vu différemment.Le ridicule ainsi perçu devrait conduire à regarder Versailles comme une sorte de « zoo » monstrueux : peuplades bizarres, comportements incompréhensibles, décalages et contradictions.
CONCLUSION.
Par le biais d’une présentation insolite et dépaysante, La Bruyère dénonce dans ce texte les comportements des courtisans. Le tableau, d’un réalisme caricatural, passe par un regard qui dit ce que les courtisans ne voient plus à force d’habitude. Il est intéressant de remarquer que La Bruyère utilise, pour rendre sa critique plus mordante, et plus efficace, un procédé qui sera largement repris après lui, avec l’objectif de souligner le poids des traditions et des préjugés, par les partisans des modernes, les philosophes. Il est  paradoxal que ce soit un partisan des « Anciens » qui en ait donné le modèle.

 

29. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La fable et la vérité : Florian, fabuliste du dix-huitième siècle · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Les Anciens et notamment Esope , utilisaient la fable comme le préconisait Horace, à la fois , pour plaire et instruire . A l’époque classique, La Fontaine s’en servit lui aussi, comme d’une alliance entre la dimension plaisante d’un récit varié et la nécessité d’une finalité morale . Pour autant, toutes les fables ne délivrent pas le même type d’enseignement et certaines paraissent plus sérieuses que d’autres; L’univers des fables est varié :  on y rencontre des animaux qui parlent, des  personnages issus de contes orientaux et qui font place au  merveilleux et des allégories qui représentent des  observations philosophiques qui nous montrent la voie de la sagesse. Au siècle des Lumières, l’apologue  emprunte, le plus souvent, la forme du conte philosophique, mise au point par Voltaire . Néanmoins, quelques écrivains comme Jean-Pierre-Claris de Florian, continuent à écrire des fables . Ce dernier garde un esprit proche de celui du moraliste du siècle précédent avec  toutefois, une touche de cynisme en plus. Voyons comment se présente la rencontre entre la fable et la vérité .

La fable de Florian se présente clairement sous la forme d’une rencontre entre deux femmes : l’une est l’allégorie de la fable et l’autre représente la Vérité .
L’allégorie est double ici : elle se présente sous la forme d’une double personnification de la fable et de la vérité, c’est-à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence opposés. Toutes deux sont représentées, en effet, avec l’apparence de deux femmes diamétralement opposées par l’âge et la tenue.  Le récit débute par la présentation de la vérité qui est d’emblée qualifiée par sa nudité. Les deux premiers vers réactivent un proverbe ancien . « la vérité sort du puits »,. Ce surgissement de la vérité semble tout d’abord surprendre comme on le voit avec le passé simple qui illustre la rapidité de l’action de surgir , et  l’indication de temps « un jour » . La personnification montre la faiblesse de la vérité qui a une apparence repoussante ” ses attraits par le temps étaient un peu détruits” . On a l’idée ici , au vers 3, qu’elle est  encore reconnaissable mais abîmée , dégradée. Le lecteur est ému par l’état de faiblesse de cette  allégorie qui semble avoir du mal à faire face aux “outrages du temps ” comme on nomme la vieillesse.  Le fabuliste rajeunit une formule courante en la prenant au pied de la lettre et en imaginant une forme humaine pour une idée abstraite.

Le dénuement de la vérité est symbolisé par la brièveté du vers impair de 7 syllabes, qui inaugure l’apologue ; l’auteur joue  également sur le double sens du qualificatif « pauvre » (au v. 5). Ici antéposé , c’est à dire placé avant le nom auquel il se rapporte, il a le sens de “à plaindre, qui attire la pitié, la compassion” . Les effets produits par l’apparition de cette vieille femme nue  corroborent cette interprétation : elle provoque la fuite de toute la population “jeune et vieux” dès qu’elle montre le bout de son nez. On peut noter un aspect comique des réactions décrites et une forme d’exagération mais cette formulation traduit bien l’idée que la vérité effraie vraiment les gens. La vieille dame est alors présentée comme une mendiante qui est “sans asile” puisqu’elle ne peut retourner se terrer dans son puits, sous terre. Elle se trouve exposée à la vue de tous et éprouve un sentiment de tristesse et de désolation qu’indique l’adjectif “morfondue” . C’est alors qu’intervient le second personnage : la fable, qui fait elle, son entrée en scène, sous les traits d’une très belle dame “richement vêtue.” Le contraste est alors saisissant entre les deux représentations. Le costume rutilant de cette dernière est composé de “plumes ” et de diamants ” On retrouve ainsi au vers 9 , à la fois une idée de luxe car le diamant est une pierre précieuse mais également de chaleur et  de légèreté avec les plumes qui étaient des décorations très prisées à cette époque; On les utilisait pour agrémenter un vêtement ou un chapeau, par exemple mais aussi pour transformer un vêtement ordinaire en vêtement d’apparat.  Le vers suivant introduit l’idée de l’artifice et du faux semblant avec la mention du caractère “faux ” des diamants. Le spectateur sera avant tout frappé par leur brillance et risque d’oublier que ce ne sont pas d’authentiques pierres précieuses. Florian met ici en opposition le dénuement de la vérité et le bel habillage de la fable tout en soulignant le mensonge de la fiction .

C’est la fable qui prend la parole la première : elle semblait être à la recherche de la Vérité et la salue poliment : “bon jour “dit-elle ; Elle ne semble pas rebutée par l’apparence de la vieille femme mais elle s’étonne de la trouver seule et lui demande la raison de cet isolement au vers 12.  La réponse ne tarde pas à venir et prend le tour d’un constat, quelque peu désabusé . En fait, Florian a construit son anecdote à partir des différences et des contrastes entre les deux femmes jusqu’à la proposition d’alliance du vers 25 , L’absence de vêtement explique la réplique  de la vérité au vers 13, « je gèle ». À l’inverse, la fable est « vêtue » : à la pauvreté de la première répondent le « richement vêtu » du vers 8, les ornements et les bijoux (v. 9), l’éclat (« brillants », v. 10), le « manteau »  protecteur du vers 25. La mention  du vers 10 (« la plupart faux ») rappelle  adroitement et de manière imagée, le caractère hybride de la fable, mixte de vérité et de mensonge. Alors que la vérité est seule et rejetée de tous (vers 4, 6, 14, 16),  on apprend que la fable est  partout « fort bien reçue » (v. 20)  La vérité prend alors la parole pour expliquer sa situation et sa mise à l’écart : ses demandes d’abri sont des échecs comme le montre l’adverbe “en vain “ au vers 14 . Consciente que son apparence rebute les gens , elle impute cette situation à sa vieillesse avec une tournure proverbiale qui prend l’allure d’une vérité générale  “ vieille femme n’obtient plus rien ” . Cette impression est remise en cause par les paroles de la fable qui insiste  volontairement, avec une question rhétorique, sur la nudité de la vérité et lui propose de se cacher, en partie, sous son manteau au vers 25 . Toutes  deux sont alors présentées comme marchant de concert et leur union, leur sera à toutes deux, bénéfique. C’est ce que démontre Florian dans les 8 derniers vers de l’apologue.

En effet, leur alliance va leur permettre à toutes deux, de toucher tout le monde : le sage ne refusera plus la fable sous prétexte qu’elle est mensongère et fausse ; le fou, lui, ne maltraitera plus la vérité; A elles deux, elles sont complémentaires et tissent des liens entre raison et folie ; Ce qui les amène à servir chacun “selon son goût” ( v 30 )  Le récit es termine sur leur duo; elles forment une compagnie , qui va leur ouvrir toutes les portes. Cependant, on a bien l’impression que c’est la fable qui l’emporte .
La fable  est celle qui mène le jeu et le dialogue dans cet apologue :  c’est elle qui prend la parole au vers 18 et la conserve jusqu’à la fin de la fable. La vérité se tait désormais  comme si elle n’avait plus droit à prendre la parole. Bien que la fable manifeste du respect à son égard, à la différence des passants, en la qualifiant de « dame » (v. 21), elle propose ensuite une solution, un pacte intéressé (v. 24), un échange de bons procédés : la fable a besoin de la vérité pour entrer chez les sages et la vérité  a besoin de la fable pour convaincre les fous. Elle tire ainsi sa malheureuse compagne de la misère et de la solitude, et lui promet des jours meilleurs :  la fable semble posséder une certaine expérience  et rappelle qu’elle est plus âgée que la vérité; On peut peut être y lire une allusion à la préexistence des mythes par rapport aux récits explicatifs et sérieux. La fable paraît assez sûre d’elle  et sa fausse modestie “sans vanité ” est aussi une marque de son orgueil. Elle affirme connaître les hommes et exprime sa certitude  de la réussite de leur entreprise  commune à l’aide du futur « vous verrez » (v. 32). Au vers 23, la fable n’hésite pas à se montrer critique envers la vérité et lui reproche, notamment , sa maladresse : “cela n’est pas adroit.” Elle prétend savoir mieux y faire pour être accueillie par les hommes.
 En conclusion , Florian a  choisi astucieusement deux représentations imagées de la vérité et de l’imagination.Les hommes fuient la vérité , soit par ce qu’ils la redoutent  soit parce qu’ils ne veulent pas la voir; elle est même « maltraitée » par les « fous » . L’allégorie est claire : les hommes n’aiment pas « la vérité toute nue », illustration de l’adage « toute vérité n’est pas bonne à dire », la vérité n’est pas toujours belle à voir, sa laideur dérange, l’humanité préfère les enjolivements de la fable. Si les hommes préfèrent les fables, c’est parce qu’elles enrobent, elles habillent et masquent , en partie,  l’âpreté du vrai.  La fable  ménage l’orgueil humain. Mais sans la vérité, la fable n’est plus qu’un mensonge , un récit imaginaire – elle a donc besoin de s’allier à cette dernière pour se justifier. Florian se livre à un éloge de la fable, du pouvoir de celle-ci qui lui paraît supérieur à celui de la vérité.  Comme le rappelle d’ailleurs dame fable ,la vérité commet une erreur en se présentant « toute nue » : ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à ses fins. La leçon est moins pessimiste que lucide, il faut prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’il devrait être, pour reprendre La Bruyère. On rattachera cette morale implicite à la préface des Fables de La Fontaine.

 

 

28. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Médée trahie par Jason : les conséquences tragiques d’une passion. · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: , ,
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Jason à la conquête de la Toison 

En 1635, un jeune dramaturge, Pierre Corneille décide de construire une pièce de théâtre  en exploitant certains aspects du mythe de Médée . Il reprend des éléments utilisés par le grec Euripide et  le latin Sénèque et met l’accent sur la dimension spectaculaire de l’intrigue. Blessée par l’abandon de Jason qui est décidé à épouser sa nouvelle fiancée Créüse , Médée va se venger d’une manière terrible en empoisonnant la robe de sa rivale et en provoquant la mort du père  de cette dernière; le roi Créon. Toutefois, Corneille place le spectateur face à une figure de femme poussée par  sa vengeance meurtrière. Alors que dans la tragédie antique, la fatalité semblait peser sur les hommes et les accabler, dans la tragédie baroque, les personnages se trouvent confrontés à  des choix cruciaux et prennent des décisions qui engagent leur destin. Ainsi Corneille  choisit de mettre en scène le suicide de Jason à la fin de sa pièce comme pour montrer que le traître n’a pas survécu à sa trahison et à l’assassinat de ses enfants.  Fidèle au principe de catharsis défini par Aristote, Corneille tente de provoquer la pitié du spectateur en montrant une femme qui souffre et en tentant de justifier ses agissements .  

Le passage que nous étudions se situe à la fin du premier acte et complète les éléments d’exposition. La magicienne s’ adresse aux Dieux et les implore de l’aider à accomplir  sa vengeance contre celui qui l’a trahie. Ses origines divines et monstrueuses sont rappelées par Corneille qui la présente toutefois comme une femme bafouée et blessée. Ce sont ces deux aspects qui composent la tragédie intime de Médée. La lecture linéaire commencera , au dernier tiers du texte , à partir du  vers Tu t’abuses Jason ..elle comportera 28 vers

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1 . C’est d’abord  une femme monstrueuse et dangereuse 

Ses  origines maléfiques sont rapelées dans le premier mouvement de la tirade .

La colère de Médée éclate dès le début de sa tirade et elle en appelle à ses” soeurs”  “les Furies” . En effet, la mère de Médée, Idyie était la soeur de la célèbre magicienne Circé qui transformait les hommes en porcs . Toutes deux sont filles d’un Titan et elles représentent la génération des anciens Dieux qui précèdent les Olympiens. Médée est également fille d’un roi , celui de Colchide, Aétés et elle s’enfuira avec Jason et la Toison d’Or  bravant la colère d’Aetés. Elle ira jusqu’à découper son propre frère en morceaux pour ralentir la poursuite du roi lancé à leurs trousses. Les déesses qui sont invoquées  par la magicienne sont toutes maléfiques : elles sont des sorcières “troupe savante en noires barbaries” et poursuivent les criminels comme les Furies. En effet, dans la mythologie romaine, les Furies sont l’équivalent des Erynies chez les Grecs , divinités persécutrices infernales qui apparaissent souvent sous la forme de hideux spectres comme les larves et les pestes. Les Erynies sont trois avec Mégère à leur tête: on les représente sous la forme de femmes aux cheveux de serpent et aux yeux rouges .  Corneille mentions d’ailleurs les serpents  et les enfers au vers  Quant aux filles de l’Acheron, elle sont comme Médée, des Océanides car l’Acheron est un Dieu fleuve qui a été précipité aux Enfers par Zeus car il a étanché la soif des Titans. Il est le fils de la Terre Gaîa et du Soleil Hélios.  .  Médée a donc un aspect effrayant pour le spectateur à cause de ses origines maléfiques et sa dimension infernale est rappelée à plusieurs reprises . Sa colère pourrait donc aisément être mortelle ce qui apporte une première dimension tragique à ce passage .

 2 Mais c’est aussi une femme meurtrie qui souffre 

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Les Erynies

 Rappelons tout d’abord les faits : Médée est bien mal récompensée de l’aide apportée à Jason car elle lui a apporté une aide précieuse à plusieurs reprises; Il lui doit la vie et un amour envoyé par Vénus la lie à lui.

La colère mortelle de Médée peut, en partie, être justifiée par le rappel des faits : Jason s’est montré parjure et déloyal comme l’indique l’adjectif perfide a. Médée rappelle le rôle qu’elle a joué lors de la conquête de la Toison  : elle a en effet, utilisé sa magie pour que Jason puisse affronter le feu du dragon  en fabriquant pour lui un onguent qui le met à l’abri des blessures des flammes ; Elle a accompli “tant de bienfaits “   et Corneille met à la rime ce mot avec le parallélisme de construction au vers suivant “tant de forfaits ” ; On a l’impression que Jason a remercié la jeune femme de tout ce qu’elle a accompli pour lui,  en la trahissant et en la délaissant pour une autre . Médée n’avait pas hésité à sacrifier son propre frère, qu’elle a découpé en morceaux pour ralentir la poursuite menée par leur père , et toujours dans le but permettre la fuite de Jason . Incontestablement, elle se trouve ainsi, bien mal récompensée des meurtres accomplis contre son propre sang. On peut noter également que dans sa vengeance, elle fera périr sa rivale en la brûlant , punition symbolique inverse de ce qu’elle a accompli pour protéger Jason. 

Elle se veut menaçante lorsqu’elle rappelle l’étendue de ses pouvoirs : “ sachant ce que je suis, ayant vu ce que j’ose, croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ? ” Les questions rhétoriques ici ont pour but d’effrayer les spectateurs et de leur faire prendre conscience des pouvoirs du personnage . En effet, la tragédie baroque ne cherche pas à écarter le surnaturel mais se propose plutôt ici de considérer la dimension surnaturelle de cette femme et de la mettre en scène en tant que magicienne puissante. C’est un autre aspect tragique de  cette scène : la souffrance de la magicienne est liée à une trahison amoureuse.  L’amour malheureux est souvent associé au registre tragique.

3.  Et c’est surtout une femme qui se venge 

Le déferlement de colère est la caractéristique de  la fin ce passage qui révéle le caractère passionné de Médée.

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La trahison de Jason est bien présentée comme la cause de la colère de la magicienne ; Le faux serment rappelle son mensonge et sa trahison: alors qu’il a juré un amour éternel à la jeune femme après lui avoir fait deux enfants, il la répudie pour épouser Créüse. Et la mort semble bien le prix à payer pour cette trahison amoureuse comme : “la mort de ma rivale et celle de son père ” sont  deux actions présentées par la magicienne comme seules capables d’apaiser le courroux de Médée. Quant à Jason, il est  condamné à l’exil et à la solitude éternelle “ qu’il courre vagabond de province en province ” ;  rappelons toutefois que pour les Grecs, l’exil était considéré comme un châtiment plus dur que la mort car le criminel expiait plus longtemps ses fautes . On se souvient d’Oedipe exilé après la découverte de  son double crime (il a tué accidentellement son père et provoqué le suicide de sa mère ) et d’ Oreste poursuivi sans repos par les Furies après le meurtre de sa mère Clytemnestre.  Le sort  tragique de Jason est prédit : ” banni de tous côtés, sans bien et sans appui / accablé de frayeur de misère et d’ennui ” . L’énumération et la gradation montrent ici un personnage poursuivi par d’éternels remords et qui vit un véritable enfer. C’est ce qui est rappelé  avec ce présent dramatique : ” Jason me répudie ” et qui l’aurait pu croire ?  Le spectateur paraît ici partager l’étonnement de la jeune femme , sa stupéfaction. La colère de la magicienne éclate à grands coups d’imprécations : elle prend d’abord les Dieux anciens comme appuis et les appelle à l’aide pour accomplir sa vengeance. Ainsi elle se définit comme l‘éternel bourreau de Jason qu’elle compte bien poursuivre d’ailleurs  jusqu’à la mort , figurée ici par le tombeau

Analysons maintenant la dernière partie de la tirade qui fait l’objet de la lecture linéaire : le premier vers peut s’entendre comme une menace et la magicienne y rappelle ses pouvoirs. “je suis encore moi-même “ manifeste son orgueil et sa puissance.L’adjectif à la rime “extrême ” qui qualifie l’amour de Médée  est une périphrase pour désigner la passion désormais transformée en haine au   début du  vers suivant. Les verbes de volonté sont nombreux ce qui met en lumière la détermination sans faille de Médée : “je veux” dit-elle au vers 4 ; le dramaturge met en relation , grâce aux antithèses, le passé et le présent  : après avoir tué pour Jason et pour faciliter leur union , elle va désormais commettre un “forfait ” synonyme de crime , pour entériner leur séparation. ” Sépare ” et “joints” sont opposés au vers 4 ainsi que mariage et sanglant divorce aux vers suivants. La relation d’égalité est invoquée au début du vers 6 “s’égale ”  afin d’unir le présent et le passé dans l’abomination; Médée s’apprête à réitérer d’horribles crimes à l’image de ceux qu’elle a déjà commis et qu’elle ne cesse de rappeler aux spectateurs . La même idée est reprise avec l’identité du “commencement” de leur union et de sa fin pareille au vers 8; On remarque d’ailleurs que Racine mentionne la fin avant le début car c’est bien de ce dont il s’agit sur scène. La faute de Jason apparait une fois encore : le pronom tu est ici accusateur : ton changement au vers 7, est bien à l’origine de la rupture . L’idée de vengeance est alors complète . De plus; cette  sorte de vengance paraît suivre une logique implacable  qui va s’accomplir avec préméditation et calcul. L’abomination du crime est précisée au vers 9 et constitue une sorte d’acmé dans la scène : il s’agit de déchirer l’enfant aux yeux du père ” ; rien de moins qu’un infanticide présenté comme la première étape du plan :  l’expression “le moindre effet  de ma colère” tend à minimiser l’ampleur de ce qui va être accompli et le spectateur redoute alors bien pire; Corneille livre ici, comme il l’explique dans sa Préface une Médée “toute méchante ” ; Cette femme semble monstrueuse et redoutable ; Elle décrit d’ailleurs ses anciens meurtres abominables comme des ” coups d’essai”  au vers 11 ; ce qui laisse présager une nouvelle montée dans l’horreur avec le “chef d’oeuvre ” qu’elle promet au vers 13. Le dramaturge étonne ici le spectateur avec l’utilisation de termes mélioratifs sur le plan artistique pour rendre compte de la “perfection d’une criminelle ” ; Médée devient une virtuose dans le Mal et s’apprête à montrer ce qu’elle sait faire ; Le verbe savoir en fin de vers “sai” donne du personnage l’image d’une experte qui s’est d’abord initiée avec un “faible apprentissage “ au vers 14. Elle devient ainsi une exécutante avec un projet de grande envergure , une sorte d’héroïne chargée de l’extrême dans le Mal;  pour le moraliste, la Passion amène l’individu à adopter des positions extrêmistes et pour le dramaturge, l’héroïne qui se laisse diriger par sa passion, devient un monstre au sang froid. La dernière partie de la tirade est un retour au divin: Médée y sollicite, à nouveau , l’aide des Dieux mais cette fois, elle ne s’adresse plus aux Dieux chtoniens, des Enfers ; elle invoque et implore son ancêtre le Soleil; En effet, ce projet est tellement démesuré qu’elle a besoin de “grands secours ” ; les feux des Enfers ne suffisent pas pour son projet car ils torturent le plus souvent les ombres, c’est à dire les morts voués aux flammes des Enfers; elle a besoin du Soleil qui est présenté, à la fois comme l’auteur de sa naissance donc son ancêtre et l’auteur du jour, périphrase qui le désigne souvent dans la mythologie; La mention du Char du Soleil fait référence au mythe qui explique qu’Hélios, le Dieu soleil ,effectue chaque matin et chaque nuit le tour de la terre avec son quadrige pour ramener le jour et apporter la nuit . Elle implore son grand-père de lui venir en aide car un “affront “ est fait ” à sa race ” au vers 21 : en effet, chez les Grecs, la notion de génos, de lignée , était primordiale . De plus, le terme affront présente le projet de la magicienne comme une vengeance de sa famille , ce qui donne une forme de légitimité à sa propre vengeance : on dépasse ainsi le cadre strictement individuel pour aborder une dimension collective.  Médée nomme sa soif de meurtre “désir bouillant “: l’adjectif désigne ; à la fois, l’intensité de son désir et par métaphore, rappelle le feu , qui sera , dans un premier l’arme du  double crime ; elle va enflammer Créüse sa rivale avec un cadeau empoisonné, une robe; cette robe qui va prendre feu tuera également  le père de cette dernière Créon , qui va tenter de sauver sa fille qui brûle sous ses yeux et ensuite  elle mettra le feu à leur palais . La jeune femme se fait implorante en demandant au Dieu de lui accorder une “grâce “ : le Soleil ne prête pas volontiers ses chevaux car les conduire nécessite un véritable savoir-faire et les quelques mortels qui ont essayé, ont provoqué des catastrophes. La fin de la tirade la montre en action: elle s’imagine , en train de réaliser sa vengeance: “je veux choir sur Corinthe” : Racine évoque ainsi, par anticipation, la tragédie qui va s’abattre sur la totalité de la ville ; la passion de Médée se transforme en folie meurtrière et elle s’apprête à détruire une ville toute entière par déception amoureuse; On mesure ici à quel point la passion sera funeste pour les Corinthiens;  Afin de rassurer son grand-père, Médée précise qu’elle limitera sa destruction aux murs de la cité corinthienne . Les “odieux murs”  (on note ici la personnification de la ville  à travers la métonymie des murailles ) marquent les  limites de sa vengeance de femme blessée. Elle conclut en ajoutant qu’elle agit, mue par un “juste courroux ” : elle cherche à nouveau à justifier ses futurs meurtres et à les présenter comme la conséquence logique de la trahison de Jason, qui passe ainsi pour le véritable coupable. Le caractère inexorable de ce dénouement funeste est marqué par l’emploi de l’adjectif “implacable” : rien ne semble pouvoir arrêter Médée et faire obstacle à sa volonté.

 En conclusion de cette partie , la colère vengeresse de Médée sera l’objet du reste de la tragédie et le spectateur  qui sait que Jason a réussi à s’enfuir dans le mythe antique, sera étonné de voir que Corneille le fait mourir à la fin de sa version . C’est Médée qui, après avoir égorgé leurs enfants, réussit à s’enfuir dans un char envoyé par son aïeul, le Soleil. On peut donc définir cette Médée baroque  comme une tragédie de la vengeance qui s’abat sur un homme coupable, à ses yeux, de la plus haute des trahisons : avoir méprisé son amour passionnel et l’avoir quittée pour une autre femme . La trahison initiale de Jason est présentée comme la cause de tous ces tourments . L‘amour extrême de Médée  se transforme alors en haine et elle va s’efforcer de lui rendre la monnaie de sa pièce. Les meurtres à venir s’inscrivent comme l’envers de ceux qu’elle a commis autrefois pour préserver son époux; Le sacrifice du frère deviendra infanticide et au lieu de le protéger, il détruira l’homme que désormais elle hait plus que  tout. Avec Médée , Corneille a mis en scène une passion destructrice .

27. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Une princesse à la cour du roi Henri II: portrait d’un milieu dangereux et précieux conseils d’une mère · Catégories: Première · Tags:
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Diane de Poitiers, amante du roi Henri II 

En vous promenant dans les jardins du château de Chenonceau, vous pouvez vous dire que vous suivez les pas de Diane de Poitiers et de la reine Catherine de Médicis. A la mort de son royal mari, Catherine a confisqué à la maîtresse de ce dernier Madame de Valentinois, son château de Chenonceau dans lequel , du fond de son bureau à trois fenêtres, qui surplombe la rivière, elle a tenu à régner et à diriger la France; Aujourd’hui on peut encore admirer ce magnifique bureau et imaginer quelles décisions politiques importantes ont été prises par la souveraine dans cette  cette pièce. S’il y a bien un domaine qui pouvait sembler politiquement sensible à cette époque, ce sont les mariages à la Cour; En effet, tout un jeu d’alliances et de complots se forment pour que les familles allient leur puissance ou se neutralisent. Lorsque la Princesse de Clèves fait son apparition à la Cour, elle demeure avant tout une fille à marier dont la famille cherche un très beau parti. Elle va alors devoir affronter les dangers de la Cour et c’est un milieu dont elle ignore tout…

Ce ne sont pas les candidats qui manquent : le Duc de Guise, le Prince de Clèves et le Duc  de Nemours vont soupirer après la belle.Mademoiselle de Chartres qui n’est alors âgée que de 16 ans. Heureusement qu’elle pourra compter sur les conseils avisés de sa mère, la très sage Madame de Chartres. Un premier extrait se situe au début du roman et de l’intrigue : il s’agit avant tout pour l’auteure, Madame de Lafayette, de dépeindre la Cour comme un milieu dangereux et souvent hostile. 

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Galerie de Chenonceau

Voyons comment le personnage de la mère est ici construit par Madame de Lafayette . Le passage présente avant tout les dangers de la cour et le rôle d’une mère auprès de sa fille , novice, qui découvre un milieu qu’elle ne connait pas.  Etudions tout d’abord la peinture de la Cour. La Cour est tout d’abord personnifiée à la ligne 397 ” l’ambition et la galanterie ” étaient l’âme de cette cour ; Ces deux caractéristiques mêlent inexorablement politique et amour et subordonnent les liaisons amoureuses à des intérêts politiques qui dépassent l'individu. Ce dernier est perçu,en effet, comme membre d'un lignage auquel il appartient et dont il se doit de servir les intérêts. Cette idée d'un lien entre amour et politique  est reprise sous la forme d'un parallélisme de construction aux lignes 401: "l‘amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour. La  narratrice souligne ici à quel point la sincérité des sentiments peut être mise en doute; Les intrigues amoureuses apparaissent alors comme des manoeuvres destinées à fortifier son camp ou sa famille . Cette situation est voulue par les hommes aussi bien que les femmes et qui sont ainsi mis à égalité comme le traduit l’adverbe également dans l’expression ligne 398 “occupaient également les hommes les femmes “ 

Les dangers de la Cour sont liés à la fois à cette duplicité des nobles qui s’y côtoient mais aussi à la multiplicité des affaires  comme le traduit l’expression “il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes  “; ( 399)  Ainsi le danger semble vraiment réel et Mademoiselle de Chartres fait figure de jeune innocente au milieu de tous ces nobles ; Aucun, en effet ne semble trouver grâce aux yeux de la narratrice : “personne n’était tranquille ni indifférent ” Il faut donc se méfier de tout le monde à la Cour même de ceux qui se prétendent vos amis .  A la ligne 403, l’énumération des verbes à l’infinitif : “s’élever, plaire, servir ou nuire ” rend bien compte du mélange des ambitions de ces courtisans et du caractère changeant de leurs inclinations. L’un des traits des moralistes du dix-septième siècle consiste , en effet, à décrire l’homme comme un être changeant , victime de ses passions et régi par des forces qui lui dictent sa conduite; Madame de Lafayette se montre très proche des conceptions de Monsieur de La Rochefoucauld  , conceptions vulgarisées dans son recueil : Maximes où il écrit par exemple:  L’esprit est toujours la dupe du coeur ou La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend, et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. Ces écrivains s’efforcent de peindre les vices des hommes pour les corriger  et la peinture de la société qu’ils élaborent dans leurs ouvrages est assez noire.

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Les dangers de l’amour 

A la ligne 404 , on constate que les mot plaisirs et intrigues sont placés sur le même plan comme pour nous faire comprendre que c’est au moyen de ces différentes intrigues que les nobles trouvent du plaisir : comme si le fait de comploter faisait ,quelque part, partie de leur nature . La narratrice va ensuite peindre les différents réseaux d’influence qui se focalisent autour de cinq dames influentes : la reine Catherine de Médicis, la soeur du roi appelée Madame et les jeunes reines : la reine dauphine qui est l’épouse du fils aîné du roi Henri II ,Marie Stuart, la reine de Navarre qui est la fille de Henri II et la maîtresse du roi, Diane de Poitiers . Cette dernière déteste la jeune demoiselle de Chartres en raison de son lien avec le vidame de Chartres ; ce dernier , en effet, a refusé d’épouser l’une des filles de Diane de Poitier par amour pour la reine. On mesure donc à quel point la maîtresse du roi fait courir un danger à la jeune fille . 

Chacune de ces femmes d’influence va attirer une sphère de courtisans qui  vont se modeler aux qualités dont elles font preuve: ainsi la reine attire les femmes d’un certain âge et qui “faisaient profession d’une vertu plus austère ”  ( 410 ) alors que les jeunes et jolies femmes éprises de galanterie se rassemblent plus volontiers autour de la reine dauphine; Seule Diane de Poitiers paraît peu entourée ou dédaigneuse de l’intérêt qu’on lui porte, par une sorte de fierté : “la Duchesse de Valentinois avait toutes celles qu’elle daignait regarder mais peu de femmes lui étaient agréables. ”  (419)

Toutes ces intrigues font de la cour un milieu hostile  et dangereux dans lequel il faut être initié si on souhaite échapper aux périls qui règnent dans cet endroit ; ” il y avait une sorte d’agitation sans désordre”  ( l 429 ) est une expression pour le moins ambivalente , utilisée par l’auteure pour tenter de nous faire saisir ce curieux mélange entre dangers nombreux et recherche constante des plaisirs . Ce qui crée dans l’esprit du lecteur un lien entre plaisir et péril.

Voyons comment Madame de Chartres va pouvoir exercer une influence sur sa fille qui vient d’être introduite dans ce milieu périlleux. 

L’éducation de la jeune fille est présentée pour sa mère comme une entreprise extrêmement sérieuse comme on peut le voir avec l’expression ” avait eu tant d’application ” et “ne discontinua pas de prendre les mêmes soins ” Cette entreprise difficile est rendue d’autant plus nécessaire au vu de la dangerosité du lieu das lequel la jeune fille va désormais évoluer.

 Du coup, la peinture des dangers de la cour renforce le caractère ardu de l’éducation pour la mère préoccupée de l’avenir de sa fille. La Cour est vue par la mère comme une sorte d’enfer où se mêlent les séductions des plaisirs et les plus grands dangers pour les âmes innocentes . On comprend ainsi la valeur de ce qu’elle va inculquer à sa fille au moment où elle va se retrouver confrontée à “tant d’exemples si dangereux” ; D’emblée ; le destin de la future Princesse est présenté comme périlleux et le lecteur peut d’ores et déjà se demander si elle va succomber à toutes les tentations.

Madame de Chartes es caractérise par une lucidité hors du commun “elle voyait ce péril” et un désir de protection maternelle à son paroxysme: “elle ne songeait qu’aux moyens d’en garantir sa fille ” On peut toutefois souligner le paradoxe de la position de la mère qui, à la fois, offre sa fille à tous les regards afin de lui trouver le meilleur parti possible et en même temps, lui demande de se forger une carapace et de se méfier de tout le monde, en particulier des hommes.

La modernité de ce roman vient de la demande de la mère d’être considérée par sa fille comme une amie  et surtout comme une confidente sur le plan amoureux ; Madame de Chartres compte sur son expérience pour protéger sa fille des mensonges que les hommes de la Cour seraient tentés de lui dire afin de s’assurer ses faveurs ou de lui arracher une promesse de mariage ; Il est donc logique que sa mort  prématurée dans le roman plonge la jeune femme dans le plus grand désarroi car elle perd à la fois l’amour d’une mère mais également les précieux conseils d’une amie. La relation mère/fille ne se construit pas seulement sur le respect mais sur un attachement et une affection véritable. A cette époque, il était rare de constater une véritable complicité entre les parents et les enfants qui ne partageaient pas toujours le même toit, surtout durant leur enfance. Néanmoins, certaines auteures comme Madame De Sévigné ou ici , madame de La Fayette se font l’écho d’un nouveau mode de relations, plus intime , entre les mères et les filles.

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La chambre de Catherine de Médicis

  Grâce à la correspondance de Madame de Sévigné,  par exemple, nous savons qu’elle adorait sa fille et souffrait cruellement d’en être séparée après le mariage de cette dernière avec le Comte de Grignan.
 Ce passage nous présente donc à la fois les dangers de la Cour et le rôle que Madame de Chartres entend jouer auprès de la future Princesse de Clèves : une mère attentive et protectrice qui se donne comme mission de la guider : “elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l’on était  souvent embarrassée quand on était jeune.”

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Chenonceau 

 

22. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : une trahison triplement mortelle · Catégories: Première · Tags:
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 Jean Racine est un dramaturge du dix-septième siècle dont les pièces s’inspirent à la fois du théâtre antique et des théories jansénistes . D‘Aristote, il s’efforce de respecter les règles des trois unités , de la bienséance et met en scène la catharsis , ce mélange pour le spectateur de terreur et de pitié qui doit purger ses passions et le libérer  de leur  violence . Des Anciens, il reprend les  mythes , récits symboliques chargés d’enseignement pour ses contemporains mais il les modifie afin qu’ils soient plus proches des théories jansénistes dont il est le défenseur. A la différence du catholicisme,  inspiré des jésuites, qui  considère que l’homme dispose d’une liberté de choix, les jansénistes croient en la prédestination et pensent que tous les hommes n’ont pas la possibilité de sauver leur âme; Certains sont donc fatalement voués à la damnation . Racine s’accorde,en partie, avec la fatalité antique mais il va toutefois infléchir le déroulement de l’intrigue .  Ainsi  l’héroïne Phèdre, dans la tragédie éponyme de Racine, se suicide bien à la fin de la pièce, comme dans la version antique  mais seulement après avoir longuement  exprimé ses remords et avoué ses fautes et  son mensonge. Dans les versions d’Euripide et de Sénéque, Phèdre s’empoisonne certes mais sans jamais avoir avoué qu’elle a menti . Racine atténue donc , en quelque sorte, la noirceur du personnage afin de la rendre un peu moins coupable et surtout repentante, aux yeux du spectateur . 

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Phèdre parait surtout victime d’une vengeance de la part de Vénus; cette dernière qui trompait  régulièrement son mari le Dieu Vulcain avec un autre Dieu, Mars, le Dieu de la guerre, a été dénoncée par le grand-père de Phèdre, Hélios, le Dieu soleil, qui a découvert les deux amants . La déesse de l’amour , vexée décide  alors de se venger sur la descendance d’Hélios; elle a puni la mère de Phèdre , Pasiphaé en l’ensorcelant pour qu’elle s’accouple avec un taureau dont elle enfantera le Minotaure, ce monstre qui ravagera la Créte . Elle punit également Phèdre en lui insufflant un passion mortelle et coupable pour son beau-fils, le jeune Hippolyte, fruit de l’union de Thèsée et d’Antiope, la reine des Amazones. C’est d’ailleurs en combattant le Minotaure que Thésée va faire la rencontre d’Ariane, la soeur de Phèdre à laquelle il promet de l’épouser en échange du fil d’ Ariane, avant de finalement l’abandonner sur une île sur le chemin du retour. 

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Au moment où la tragédie débute, Thèse est parti depuis de longues années et sa jeune épouse souffre d’un amour qui lui empoisonne la vie : elle est tombée amoureuse de son beau-fils, retrouvant dans sa jeunesse les traits de son père à son âge. Cet amour peut être vu comme une sorte de malédiction divine et , le retour soudain de Thésée, coup de théâtre au début de l’acte IV, va précipiter le dénouement funeste. Phèdre laisse sa  confidente Oenone calomnier Hippolyte, l’accusant d’avoir tenté d’abuser de sa belle-mère. Phèdre est alors folle de jalousie car elle vient d’apprendre que le jeune homme, qui a repoussé ses avances , partage un amour réciproque mais impossible avec Aricie l’unique survivante des Pallantides, le peuple ennemi exterminé par Thèse avant de prendre le trône de Trézène. Racine réussit donc ici à concilier différents motifs tragiques de l’amour impossible .

Au début de la scène que nous étudions , Thésée qui vient d’apprendre le crime de son fils, laisse éclater sa colère et implore le Dieu Poséidon de l’aider à accomplir sa vengeance . Aux premiers regards échangés, Thésée peine à voir la trahison d’Hippolyte et voit plutôt la vertu sur le front de son fils. Il pose alors une question essentielle : à quel signes reconnait-on à coup sûr, la trahison : “ Ne devrait-on pas , à des signes certains / Reconnaître le coeur des perfides humains ? ” Tragédie amoureuse, Phèdre est également tragique à cause d’une erreur de jugement . Le père s’est fié à la parole d’une confidente , de son épouse et n’a pas pris en considération les dénégations de son propre fils qu’il condamne hâtivement , sous le coup d’une fureur qu’il peine à contrôler . 

Nous pouvons , dans cet extrait montrer comment la trahison apparaît et de quelle manière la colère de Thésée devient un instrument tragique ; 

La trahison

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Le mot perfide au vers 1 désigne à cette époque celui qui agit sournoisement, avec l’intention de nuire, en paroles ou en actions . Souvent associé  par métonymie comme adjectif à des parties du corps (regard perfide, gestes perfides) il peut désigner la personne toute entière  et devenir un substantif. Il est immédiatement suivi du mot monstre qui désigne celui qui n’appartient plus au genre humain ou qui se comporte de manière inhumaine.  Hippolyte est ensuite comparé à un ” reste impur des brigands ” triple dévalorisation ici ; Le mot reste , en effet, révèle des origines douteuses ; le qualificatif impur renvoie à la souillure de la trahison et remet en cause la naissance de cet enfant ; Son sort peut ainsi apparaître semblable à celui des brigands dont Thésée a purgé le pays; On voit à travers l’ emploi du verbe purger que la vengeance qui va s’exercer est justifiée par la monstruosité de l’acte commis ; Le roi mentionne  ensuite,au vers 4, un amour plein d’horreur et le mot fureur à la rime de l’alexandrin suivant , dresse un portrait peu flatteur de ce fils meurtrier monstrueux

La Punition du “traître ” 

Le vers 6 identifie Hippolyte comme une tête ennemie ce qui connote une hostilité du père et il lui reproche son infamie , mot utilisé pour qualifier des actes ignobles. La condamnation est l’exil qui frappe les criminels les moins pardonnables car les Anciens pensaient que le bannissement et l’opprobre, c’est à dire le fait d’être rejeté par tous, étaient des châtiments plus durs que la mort qui délivrait le coupable de ses tourments. La souffrance infligée par l’exil s’accompagne souvent d’une vengeance des Dieux qui poursuivent les criminels avec , par exemple, les Furies ou Erynies ( comme Oreste et Oedipe ) . L’ignominie du fils entache toute la lignée et le déshonneur va nécessairement rejaillir sur Thésée comme l’indiquent les vers 14 et 15 . S’il devient infanticide  et tue son fils de ses propres mains, Thésée déshonore son nom et craint qu’on ne retienne de lui que cet acte odieux : il a peur qu’en tuant son enfant cela ‘vienne souiller sa gloire “ . Sa réputation serait doublement ternie : elle l’est déjà à cause de ce “fils si criminel ” . Thèse menace alors Hippolyte et l’enjoint de fuir : l’anaphore de l’impératif aux vers 10,16 et 20 insiste sur la nécessité d’un décret immédiat et “sans retour “(vers 20) . Pour el spectateur, il est facile d’imaginer la fuite  éperdue du jeune homme ; c’est en fuyant pour avoir la vi sauve que le monstre marin va le précipiter vers sa fin de manière tragique te non sans faire preuve une dernière fois de bravoure.  Sa mort va alors attirer la compassion du spectateur qui le sait innocent du crime dont son père l’accuse. Le récit du messager Théramène qui rapporte à Thésée la mort de son fils est un des moments d'”émotion de la tragédie . En nous faisant revivre cet épisode , avec comme principal spectateur le père éploré , Racine emploie ici la double énonciation propre au spectacle théâtral. 

Une intercession divine : le prix de la vengeance 

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La colère de Thésée fait place à une invocation de la colère divine : le père furieux se tourne alors vers les Dieux pour qu’ils accomplissent sa vengeance en récompense des actes héroïques commis en leur honneur; Il s’agit d’une sorte d’échange de bons procédés et Thésée rappelle qu’il rendit service à Neptune en tuant “d’ infâmes assassins” et que le Dieu lui doit donc une faveur ” pour prix de mes efforts heureux / tu promis d’exaucer le premier de mes voeux ” Cette idée selon laquelle les Dieux s’engagent auprès des hommes et sont liés par leurs serments, contraste avec l’idée d’une fatalité aveugle et implacable; Neptune agit ici à la demande du père et parce qu’il lui doit un service. Le spectateur peut se douter que la promesse sera exaucée et il sait que le jeune homme est perdu doublement ; " j’abandonne ce traître à toute ta colère / étouffe dans son sang ses désirs effrontés . ”  Cette imprécation est véritablement tragique car d’une part, elle signe la mort d’Hippolyte injustement : il  est innocent du crime pour lequel son père l’a condamné et d’autre part, la trahison et le mensonge de Phèdre ont eu des conséquences tragiques : cette dernière se donnera la mort , suivant ainsi celle d’Oenone qui s’est jetée dans la mer en réalisant ce que sa fausse accusation avait déclenché .

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En conclusion, la colère du roi a ici des conséquences tragiques . Alors qu’il pense punir un traitre, Thésée sacrifie un fils innocent et n’ a pas démasqué la véritable trahison : celle de son épouse. Aveuglé par la colère et le ressentiment , il s’abandonne à ses passions et perd la raison en déclenchant le courroux des Dieux . La tragédie classique montre à quel point il est dangereux de suivre ses sentiments et de se laisser emporter par ses passions . Les Dieux finissent toujours par triompher et se vengent de ceux qui les ont offensés ; Vénus punit , à travers  la passion coupable de  Phèdre, les descendants d’ Hélios . Et Thésée paraît ici puni pour son orgueil démesuré et ses crimes passés. L’ironie tragique réside dans le fait que c’est à sa propre demande que s’empresse de répondre Neptune  en tuant son fils et en accomplissant une vengeance inutile. 

21. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Les pouvoirs de la parole : qui domine dans un dialogue ? · Catégories: Spécialité : HLP Première

Peut-on dominer l’Autre en lui parlant, en s’adressant à lui ? Comment la parole peut-elle marquer une forme de domination sociale ? Exerce-t-on une forme de pouvoir sur autrui rien qu’en prononçant certains mots  ? La parole peut-elle devenir une arme ? Le philosophe Jean Paul Sartre a déclaré qu’il ne croyait plus vraiment au pouvoir de la parole face aux actions ; “j’ai longtemps pris ma plume pour une épée, écrivit-il , à présent je connais notre impuissance. ” Son autobiographie Les Mots , parue en 1964 reflète un constat d’impuissance des mots mais pourtant le philosophe poursuit en affirmant qu’il faut continuer à écrire des livres car cela peut avoir quand même une utilité. Au théâtre, justement , les mots sont les armes principales des échanges entre les comédiens. Les mots sur scène montrent autant qu’ils disent . Examinons ce qui se joue dans cette scène entre Georges Dandin et ses beaux-parents, des nobles ruinés qui lui ont donné sa fille à épouser car , même s’ il est d’origine paysanne , il a fait fortune; Ce mariage va ainsi redorer le blason de cette famille noble qui  témoigne  ici son mépris pour ce gendre qui n’est pas du même milieu qu’eux.

GEORGE DANDIN.Puisqu’il faut parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville, que j’ai lieu de…

M. DE SOTENVILLE.Doucement, mon gendre. Apprenez qu’il n’est pas respectueux d’appeler les gens par leur nom, et qu’à ceux qui sont audessus de nous il faut dire Monsieur tout court.

GEORGE DANDIN.Hé bien, Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j’ai à vous dire que ma femme me donne…

M. DE SOTENVILLE.Tout beau. Apprenez que vous ne devez pas dire ma femme, quand vous parlez de notre fille. GEORGE DANDIN.J’enrage. Comment, ma femme n’est pas ma femme?

MME DE SOTENVILLE.Oui, notre gendre, elle est votre femme, mais il ne vous est pas permis de l’appeler ainsi, et c’est tout ce que vous pourriez faire, si vous aviez épousé l’une de vos pareilles.

GEORGE DANDIN.Ah! George Dandin, où t’estu fourré? Et de grâce, mettez pour un moment votre gentilhommerie à côté et souffrez que je vous parle maintenant comme je pourrai. Au diantre soit la tyrannie de toutes ces histoireslà. Je vous dis donc que je suis mal satisfait de mon mariage.

M. DE SOTENVILLE.Et la raison, mon gendre?

MME DE SOTENVILLE.Quoi, parler ainsi d’une chose dont vous avez tiré si grand avantage?

GEORGE DANDIN.Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a? L’aventure n’a pas été mauvaise pour vous, car sans moi, vos affaires, avec votre permission, étaient fort délabrées, et mon argent a servi à reboucher d’assez bons trous<span style="left: 459.883px; top: 837.717px; font-size: 18.4px; font-family: sans-serif; transform: scaleX(0.911742);">; mais moi de quoi y aije profité, que d’un allongement de nom, et au lieu de George Dandin, d’avoir reçu par vous le titre de Monsieur de la Dandinière?

MOLIÈRE, George Dandin ou le Mari confondu, acte I, scène 4, 1668

Question d’interprétation littéraire  : Selon vous, qui domine dans le dialogue cidessus?

Question de réflexion philosophique  La parole peutelle être une arme sociale?

Pour construire votre réponse, vous vous référerez au texte cidessus, ainsi qu’aux lectures et connaissances, tant littéraires que philosophiques, acquises durant l’année.

  Le contenu complet du corrigé est publié sur eduscol « Selon vous, qui domine dans le dialogue ci-dessus ? »On distingue, dans les remarques suivantes, la réflexion du professeur, qui doit prendre en considération la variété des traitements possibles, et le travail de l’élève, qui trouve un fil, une intuition, et qui n’a évidemment pas à maîtriser l’ensemble du panorama.L’analyse du texte pourrait donner lieu à une réflexion essentiellement contextuelle : le public du XVIIème siècle, d’un divertissement joué à la Cour, ne pouvait guère hésiter quant au ridicule de Dandin, si bien que la supériorité sociale de ses beaux-parents et adversaires dans le dialogue ne fait alors aucun doute, quelque caricaturés que soient les Sotenville.Cependant, les ambiguïtés du texte sont réelles, et encore soulignées par le découpage : aussi bien n’attend-on pas ici des élèves des connaissances générales de l’œuvre, mais au contraire une lecture attentive de l’extrait choisi.La formule « Selon vous », qui ouvre la question d’interprétation, n’est pas un simple appui rhétorique et mérite d’être prise au sérieux. Comme l’ont rappelé les indications données dans l’introduction aux ressources, c’est bien une parole personnelle qui est attendue. La diversité des réponses ne constitue sur ce point aucun frein à l’évaluation. On peut en effet attendre, dans des développements eux-mêmes susceptibles d’adopter des formes et des progressions variées :a. soit que ce sont les nobles qui dominent (comme le montre l’empêchement de progression de la parole de Dandin, notable dès les premières répliques, qui ne peut faire entendre son discours, constamment contesté et réprimandé quant à ses formes et usages) ; l’argument d’histoire littéraire (et sociale) peut alors corroborer cette analyse, de même que d’autres éléments du texte également (le ridicule de son titre, la grossièreté de ses usages) <strong>;b. soit que Dandin finalement domine : même s’il est au début malmené, il parvient non pas à se soumettre à l’ordre discursif des bienséances, mais à faire éclater une vérité économique de dépendance de ceux qui prétendent l’éduquer ; le découpage choisi et la fin de l’extrait rendent cette lecture très nette ; c. soit une réponse attentive aux effets de symétrie et finalement d’égalité dans la scène de querelle, renvoyant les deux camps dos à dos et niant même l’idée de domination discursive : la parole de l’un est inadéquate et ridicule ; la position des autres ruine l’impression de supériorité dans laquelle ils s’installent, mais pour laquelle ils ne sont finalement pas crédibles ; l’onomastique met aussi à égalité le ridicule entre « M. de la Dandinière » et de plus anciens aristocrates toutefois appelés « M. et Mme de Sotenville » La formule même d’ « arme sociale » pourra conduire les élèves à une certaine forme d’étonnement : il ne va pas de soi en effet, ni que la société soit un champ de bataille (de quelle bataille s’agit-il alors et quelles en sont les formes ?), ni que la parole puisse être une arme (le terme d’ « arme » doit-il être compris au sens propre ou en un sens figuré ? Et relativement à quel type d’affrontement ?). l’attention portée grâce au texte lui-même, à l’instabilité et à la mobilité des positions respectives des personnages : que serait une arme qui se retournerait sans cesse contre son utilisateur ? ne manquerait-elle pas d’efficacité ? qui domine en réalité dans ce passage ? On peut imaginer que certains élèves seront sensibles à l’orientation même du texte et à sa dynamique propre : Dandin se voit couper la parole ; mais il la reprend, et la tirade finale ajoute à l’affrontement une dimension de manifestation et de dévoilement qui pourrait participer, sinon d’un retournement, en tout cas d’un équilibrage des positions.– 

 

18. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Une femme fatale : Milady de Winter dans les Trois Mousquetaires · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Lorsque le roman -feuilleton qui  pour titre Les Trois Mousquetaires paraît  au cours de l’année 1844 dans le Journal Le Siècle, c’est un succès tel qu’il faut immédiatement  faire imprimer le roman afin de satisfaire un public plus large. Alexandre Dumas y raconte, avec de multiples rebondissements,  les aventures de quatre vaillants  soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche qu’un complot du cardinal de Richelieu, alors premier ministre ,  menace de déshonorer. Les mousquetaires doivent se rendre en Angleterre afin de retrouver des bijoux que la reine a offerts à Lord Buckingham, son amant. Pour mener à bien leur mission, ils devront vaincre la redoutable espionne du cardinal, la belle et mystérieuse Milady de Winter qui se nomme en réalité Anne de Breuil . Plus »

15. janvier 2020 · Commentaires fermés sur Les moralistes du siècle classique et la satire des courtisans. · Catégories: Première

La Fontaine, Madame de La Fayette, La Bruyère et La Rochefoucauld, ainsi que Molière et Racine ont vécu au dix-septième siècle et ont fréquenté la Cour du Roi ; Ils ont observé le manège des courtisans et les moeurs de ceux qui gravitent autour de la famille royale. Chacun à leur manière, ils ont dénoncé certains aspects de la Cour et certains défauts des Grands.  Mais leur méthode et leurs objectifs varient.

En effet, La Fontaine, en choisissant la forme de la fable et l’anthropomorphisme, dresse des tableaux plaisants des manigances des nobles pour entrer dans les bonnes grâces du roi; Il montre également la peur qu’inspire Louis XIV à ses courtisans et dépeint un roi cruel, colérique et capricieux , sous la figure d’un lion tyrannique, mais aussi un roi fort, qui cherche à exercer le pouvoir royal du mieux possible pour préserver les intérêts du royaume et de ses sujets . Nous rions des déboires de l’âne , du cerf et du loup, tout en songeant à la part de cruauté que révèlent ces pratiques.  Sous l’habit du singe ou du léopard, Le fabuliste épingle l’ambition des seigneurs prêts à tout pour plaire ,allant jusqu’à la servilité et l’hypocrisie  .

En choisissant le roman d’analyse psychologique, même s’il demeure dans un cadre historique, Madame de La Fayette prend elle aussi, ses distances par rapport aux travers de ses contemporains, En effet, elle situe l’action de son roman un siècle plus tôt , au temps de Henri II et de son successeur François II; Elle s’intéresse, à la fois, aux intrigues amoureuses et à leurs conséquences politiques et démontre qu’amour et ambition sont inextricablement liés; A travers le regard et les mésaventures de son héroïne, elle met en évidence les dangers de la Cour et la nécessité d’en décrypter les codes, d’en comprendre le fonctionnement .  Elle fustige particulièrement la dissimulation et la galanterie qui semblent régner: la jeune femme réussira à faire triompher la Vertu mais elle paraît bien seule dans cet univers de faux-semblants, régi par les lois de la dynastie et la place que chacun occupe dans la hiérarchie des grandes familles. Plus »