20. novembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone face à Créon : un choc de titans.. extrait 2 · Catégories: Première · Tags: ,
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Dans la tragédie de Sophocle, l’opposition entre le roi et sa nièce semble irréductible et leurs positions se radicalisent au fur et à mesure de leur entretien. Qu’en est-il dans la version proposée par Anouilh ? Créon est-il un roi tyrannique ou est -il juste un souverain écrasé par les devoirs de sa charge et pris dans un conflit tragique entre les intérêts du pays et son amour pour sa nièce? En effet, l’oncle semble avoir beaucoup d’affection pour cette jeune orpheline dont il se sent en partie responsable et c’est ce qui rend la pièce encore plus tragique car le spectateur a bien conscience que le roi tente en vain de retarder un dénouement qui s’annonce à la fois  fatal et inéluctable pour  la jeune fille. 

Tout d’abord, dans l’extrait à étudier, c’est surtout Créon qui argumente avec cette très longue tirade dans laquelle il formule un certain nombre de reproches . L’extrait débute par une question qui vise à vérifier qu’Antigone avait bien conscience des conséquences de ses actes; elle répond de manière minimale et son laconisme contraste avec les explications de Créon. Chacune de ses réponse est construit en reprenant le verbe principal de la question et cet effet de répétition crée une sorte de fermeture du dialogue que l’on devine serré. 

La première accusation de Créon vise l’orgueil de la jeun fille à travers sa lignée paternelle ; Créon oppose ici la loi et l’orgueil de la famille des Labdacides à laquelle il n’est pas associé, car rappelons le , il est le frère de Jocaste et donc l’oncle du côté maternel d’Antigone et d’Ismène. Dans sa réplique suivante, le roi met en avant la nécessité de l’exemplarité des puissants : en tant que fille de roi, elle devait être irréprochable . Cette dernière réplique est appuyée  avec une illustration qui tente du démontrer que son rang n’a pas déterminé sa réaction ; elle aurait agi de même “si j’avais été une servante “ ; Les détails triviaux comme eau grasse, tablier, faire la vaisselle ” renforcent l’idée d’une nécessité impérieuse de rendre les honneurs funèbres à un frère   ;Cependant cet argument ne convainc par son oncle qui n’est pas d’accord : “ce n’est pas vrai; Si tu avais été une servante, tu n’aurais pas douté que tu allais mourir ” Il persiste à établir un lien causal entre sa condition et son geste ; “race royale, nièce et fiancée de mon fils : ces trois qualificatifs montrent à quel point Antigone est liée à Créon . En effet , ce dernier sous- entend  qu’elle s’est permis d’agir de la sorte pensant ne pas être condamnée en raison de leurs liens . Le verbe oser qui a été employé pour traduire son infraction est désormais utilisé pour définir l’action de Créon: “tu as pensé (…) que je n’oserais pas te faire mourir” . Les deux gestes se font ainsi écho mais les certitudes de la jeune fille s’expriment et rendent ainsi le dialogue , la conciliation impossible : “j ‘étais certaine que vous me feriez mourir au contraire ” 

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version de 1944

On mesure à quel point ils sont en train de s’éloigner l’un de l’autre et la longue tirade de Créon est prononcée en murmurant comme l’indique la didascalie. Comment interpréter ce murmure ? Faut-il penser que Créon cherche à adoucir sa nièce en adoptant un ton mesuré ou est-ce davantage une sorte de monologue intérieur destiné  avant tout au spectateur ?  Cette tirade fait apparaitre une certain nombre d’ambivalences que nous allons tenter d’éclaircir . 

Le premier argument de Créon repose sur la personnalité même de son père Oedipe dont tout le monde connait le mythe et l’histoire. Le terme orgueil est ici repris  plusieurs fois et il n’est pas sans rappeler l‘hubris grec qui cause la perte des hommes . La mort est présentée comme un “dénouement naturel “pour Antigone et on note ici qu’Anouilh joue avec la réécriture de la pièce antique  ;  tous les signes convergent pour nous montrer que nous sommes bien dans une tragédie qui se soldera par la mort de l’héroïne. ” l’ humain vous gêne aux entournures dans la famille ” Ce trait d’humour et le ton prosaïque employé par le roi, soulignent spirituellement le destin de cette famille  et on retrouve ce mélange cher à Anouilh entre une situation tragique et un langage trivial;  L’humour allège le tragique . En voulant se situer au-dessus du commun des mortels, Antigone rejoint ainsi les figures des héros tragiques , foudroyés par des dieux cruels car leur fortune dépassait celle des autres hommes. La matière de la tragédie grecque demeure présente mais cette fois ce ne sont plus les dieux qui ont condamné Antigone , c’est son geste orgueilleux .

Créon semble penser qu’ Antigone cherche à se désolidariser du genre humain pour aspirer à devenir une héroïne tragique ; La métaphore des mots assimilés à une  boisson, vient renforcer cette idée avec des termes péjoratifs comme ” on les boit goulûment ” ou “quel breuvage , hein, les mots qui condamnent”. On retrouve dans cette expression le mélange  des tons et des genres avec une tournure triviale avec l’insertion du hein en incise et la référence à la condamnation à mort.   Pour faire suite à ces accusations de démesure , Créons va se construire le portrait d’un homme médiocre, (au sens antique d’homme moyen qui appartient à la norme )  d’un homme “sans histoire” . Il donne de lui l’image d’un homme solide ” j’ai mes deux pieds par terre , mes deux mains enfoncées dans mes poches “; cette attitude réaliste et pragmatique contraste avec l’idéalisme et les grands airs d’Antigone . La confrontation passe par deux façons d’être au monde. Et le spectateur se trouve ainsi confronté à un choix .

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Il définit ensuite le rôle du souverain qu’il entend être : un roi simple et moins ambitieux qu’Oedipe : “m’employer tout simplement à rendre l’orde de ce monde un peu moins absurde , si c’est possible” . L’hésitation finale montre l’ampleur de la tâche. En effet, bien que présentée de manière modeste, c’est une tâche ardue qui semble attendre Créon. Le mot métier pour qualifier l’activité royale tente de rendre l’idée que gouverner s’apprend comme un artisan apprend son travail . La comparaison “comme tous les métiers “ contribue encore davantage  à donner du pouvoir, l’ image d’une activité ordinaire.  

De manière humoristique, Créon reprend ensuite l’anecdote des origines d’ Oedipe et avance qu’aucun secret de famille ne pourrait le détourner de son travail de roi  “les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel ma petite fille ” Il prend donc très à coeur son rôle de souverain et entend exercer ses fonctions sans se soucier de ce qui peut lui arriver . Il adopte ici une attitude paternaliste face à sa nièce te on sent une familiarité entre eux , une affection également.  On mesure aussi à quel point la raison d’Etat prime aux yeux du roi sur toutes les considérations individuelles ; Il est l’instrument d’un collectif et doit oublier ses revendications personnelles . 

Juste après  s’être adressé à Antigone en la traitant de “petite fille “, son oncle s’approche d’elle et la didascalie précise qu’il lui prend le bras . Comment devons nous interpréter ce geste et mettre en scène ce passage ? Nicolas Briançon , dans sa mise en scène a choisi la violence mais il existe peut être une autre interprétation possible de ce passage .  Le sourire qui apparaît dans la didascalie suivante nous incite à penser qu’il lui prend bras amicalement mais ce qu’il lui dit n’est guère tendre car il évoque  une punition ” du pain sec et une paire de gifles ” Certes rien à voir avec une condamnation à mort mais les circonstances ont changé affirme Créon: “il n’y a pas longtemps encore ..tout cela se serait réglé par ..” A circonstances exceptionnelles, peines exceptionnelles : l’adage semble ici se vérifier . 

La dernière partie du la tirade de Créon s’adresse plus directement à la jeune fille qu’il surnomme affectueusement “moineau ” On remarquera que la nounou d’Antigone, elle aussi , la désigne affectueusement , par des noms d’oiseaux . Il entend ne pas la faire mourir et avance plusieurs raisons: elle va lui donner un petit-fils car le royaume dit-il “en a besoin plus que de ta mort”  et surtout, elle est bien trop jeune, trop maigre pour mourir : “tu es trop maigre “ s’exclame-t-il. Cet argument peut paraître quelque peu absurde.Anouilh présente Antigone comme une frêle jeune fille et la faiblesse de sa constitution a sans doute pour but de fair ressortir la force de ses convictions et son caractère jusqu’auboutiste.

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Créon, contre toute attente, la somme de rentrer chez elle et la chasse de manière péremptoire : “allez, va ” ; Il anticipe sur ses éventuelles objections en anticipant sur ce qu’elle pourrait dire . Elle pourrai le traiter de “brute ” mais il lui rappelle alors les liens étroits  qui les unissent “je t’ai fait cadeau de ta première poupée ” et surtout “je t’aime bien tout de même avec ton sale caractère ” On sent que le roi a pardonné à sa nièce et qu’il est résolu à étouffer l’affaire .

A la fin de cette tirade , le spectateur peut se demander si la jeune fille va marquer un temps d’hésitation ou si elle ne va tenir aucun compte des réparties de son oncle. Il se montre volontairement autoritaire et adopte un ton péremptoire pour que la jeune fille soit tentée d’obéir. Mai c’est pour la sauver d’une mort vers laquelle  elle entend se précipiter et c’est ce qui fait ici la complexité du personnage du roi: il se montre bon et magnanime tout en fustigeant l’orgueil insensé de cette famille. Orgueil qui causera comme chacun sait la perte d’Antigone.

En conclusion,  nous avons ici un passage déterminant où l’on mesure que l’affrontement entre l’oncle et la nièce se soldera par la victoire de l’oncle qui , ici, a laissé une dernière chance à Antigone, chance qu’elle ne va pas saisir ; un passage déterminant qui noue encore un peu plus le noeud tragique. 

A vous de construire le plan détaillé en répondant à la question par exemple: qu’est-ce qui dans ce passage resserre le noeud tragique ? 

06. novembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone : drame ou tragédie ? Extrait 1 · Catégories: Première · Tags:
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 Comme dans la tragédie de Sophocle qu’Anouilh adapte en 1944,  la petite Antigone vient d’être arrêtée pour avoir tenté de recouvrir de terre, selon les rites, la sépulture de son frère Polynice , mort en tentant de s’emparer du pouvoir et en tuant son  autre frère Etéocle; Le roi Créon avait pourtant ordonné qu personne ne vienne honorer son cadavre mais sa soeur Antigone a désobéi et a enfreint cette interdiction, au risque de se voir condamnée à mort par son oncle. Cet acte déclenche l’attente tragique et le spectateur se retrouve pris en tension  : c’est le propre du spectacle tragique de faire naître cette attente et c’est un peu le sens de cette intervention du choeur qui se situe avant la confrontation entre Antigone et Créon . Quel rôle joue ici le choeur et comment peut- on lire dans cette tirade une réflexion sur la nature du spectacle théâtral ? 

Habituellement présent au sein des tragédies antiques , le choeur représente un collectif de citoyens : formé d’une catégorie de population (des femmes, des jeunes filles, des vieillards) , il représente également  la présence sur scène et dans le spectacle, du spectateur ; Il s'adresse aux acteurs par l'intermédiaire d'un personnage qu'on nomme le coryphée ; Ce dernier dialogue avec les différents protagonistes  et commente les actions ou les paroles des personnages . On distingue ainsi des choeurs de pleureuses qui ont pour fonction de faire entendre la douleur collective, des choeurs de colère ou des choeurs qui soutiennent le héros et l'encouragent ou le mettent en garde contre les dangers de l'hubris. Anouilh a choisi de reprendre cet aspect de la tragédie de Sophocle en mettant en scène un choeur qui fait à cette occasion sa première apparition sur scène ; Dans la mise en scène de Briançon, c’est l’acteur qui interprète le rôle du prologue qui récite le texte du choeur .L’entrée du choeur dans la tragédie antique marquait le passage d’un épisode à un autre et se nomme la parodos ; Les épisodes chantés se nomment des stasima (un stasimon au singulier ) .

L’extrait peut être étudié en relation avec différentes problématiques mais toutes ont en commun les tentatives de  définition de la tragédie et de son déroulement . 

Introduction possible : En 1944, en choisissant un sujet antique , le destin tragique de la jeune Antigone, fille d’Oedipe, le dramaturge Jean Anouilh, décide d’évoquer par le biais de la mythologie , la situation de la France occupée,  qui doit choisir entre la résistance ou la collaboration avec le gouvernement d’occupation. Le personnage d’ Antigone représente souvent la révolte contre l’ordre établi et lorsqu’elle enfreint la loi de la Cité , c’est selon elle, pour rétablir la dignité de son frère mort privé de sépulture.    Situé juste avant le face à face entre Antigone et son oncle Créon , ce passage , marqué par l’apparition du choeur sur scène, peut marquer la fin de la parodos comme dans la cérémonie tragique antique. Le choeur tente d’y définir le fonctionnement de la tragédie et l’oppose au drame qui permet à l’homme de conserver une forme d’espoir.

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Le choeur débute sa longue tirade par un jugement plutôt fataliste ” et voilà..maintenant le ressort est bandé” Le dramaturge exhibe ici les mécanismes du tragique qui met en tension les spectateurs en créant une attente ; Cette mécanique est imagée par un champ lexical  qui peut s’apparenter à la mécanique justement  comme ressort bandé ‘ ( l 1) , “bien huilé ” “ça roule11 ça démarre 5 ) et qui peut avoir des effets comiques par sa trivialité avec une expression comme “on donne un petit coup de pouce l 4 . Cette dimension mécanique renforce le côté inéluctable de la fatalité tragique vue comme un engrenage que rien ne peut arrêter mais la trivialité de certaines expressions tente justement à minimiser la gravité de l’enchainement des faits

Le choeur tente de faire comprendre ce qui vient de se mettre en place avec l’arrestation de la jeune fille et sa future confrontation avec le roi et cette sorte de réflexion sur le déroulement de la pièce qui peut constituer une forme de mise en abîme, se traduit également par l’emploi du lexique du cinéma: “on dirait un film dont le son s’est enrayé” l 22 ; cette comparaison modernise la tragédie en évoquant le parallèle avec un film ; Anouilh établit alors une opposition entre le vacarme et le silence ; La tragédie est le lieu où “les éclats, les orages “ (14 ) voisinent avec “les silences, tous les silences” . Cette manière de définir la tragédie nous fait prendre conscience qu’elle comporte des moments où la parole semble inutile, presque dépassée; Ce qui est paradoxal car au théâtre, les acteurs portent justement cette parole. 

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Le contraste est saisissant entre “les cris de la foule” 20, la clameur ( 24 ) et la solitude du héros tragique qui se traduit par un silence au moment de sa mort “quand le bras du bourreau se lève à la fin ” l 16 ou lorsqu’il est vainqueur et qu’on l’acclame ( 21 ) alors qu’il est déjà paradoxalement “vaincu ” 25. De nombreux paradoxes nous signalement cette curieuse alliance du silence tragique qui alterne avec des moments d’agitation qu ‘Anouilh qualifie en utilisant des métaphores climatiques comme “orages ” l 14. Il tente en fait de saisir l’essence même de la tragédie en énumérant d’un part ses ingrédients ” la mort, la trahison, le désespoir sont là , tout prêts “ l 13 et en détaillant d’autre part, ses mécanismes. 

Il établit alors une distinction fondamentale entre le drame et la tragédie qui renvoie à l’histoire de l’évolution des genres théâtraux; au début du vingtième siècle,  en effet, de nombreux dramaturges utilisent le mélange des genres dans leurs pièces comme Ionesco, Beckett , Giraudoux ou Anouilh justement  qui réécrit ici une tragédie antique en la modernisant et en y intégrant des passages “comiques “. Que cherche t-il à conserver dans ce qu’il nomme tragédie ? “un côté “propre ” au sens pur, une sorte d’acceptation du destin avec par exemple l’adjectif “sûr “l 28. “On est tranquille” (l 35 ) , “c’est reposant” ( l 27 ) : Anouilh emploie ici deux expressions pour le moins étonnantes  qui valorisent et banalisent cette dimension inexorable de la fatalité tragique.  L’angoisse légitime, cette terreur qu’évoque pourtant  Aristote se transforme, semble-t-il ,  en un sentiment d’apaisement . Cette manière dont le dramaturge valorise l’absence d’espoir peut sembler déroutante dans la mesure justement où il entoure cet espoir de connotations péjoratives  : ” “le sale espoir ” (l 41) ;  “on est enfin pris comme un rat avec tout le ciel sur son dos ” Cette expression imagée montre le héros tragique comme un rongeur avec l’idée d’être pris au piège et la référence à la transcendance s’exprime ici au moyen d’une métonymie burlesque ( le ciel sur son dos ) . Le dramaturge fait bien sûr référence au fonctionnement de la tragédie classique dont il semble admirer le côté implacable et pourtant inhumain; En effet, dans la tragédie grecque, les Dieux jouent avec le destin des hommes et leur supériorité n’est jamais mise en cause

Le drame , à ses yeux, rend la mort “épouvantable ” car elle dépend de nombreux facteurs humains voir accidentels ; Il utilise d’ailleurs le terme “accident” pour la qualifier l 32 et les phrases au conditionnel passé évoquent les issues potentielles comme autant d’échecs : “on aurait peut -être pu se sauver ..arriver à temps ” Le côté fatal  semble alors lié à la victoire du camp des méchants sur celui des bons et l’univers devient manichéen en mettant face à face des “méchants acharnés ” face à une “innocence persécutée” . (29) Anouilh montre bien ici que dans Antigone nous ne trouvons pas dans ce type de face à face : il n’est pas question de caractère mais de “distribution”  des rôles; Antigone doit mourir car elle est faite pour ça et le roi doit se montrer inflexible car il représente la loi. Les enjeux du conflit dépassent largement les caractères qui les incarnent et les personnages ne sont que des illustrations d’un conflit entre l’humain et le divin , l’individuel et le collectif. 

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Anouilh reprend ensuite les caractéristiques de la tragédie antique qu’il a conservées dans sa pièce : “c’est pour les rois ” dit -il et “on est entre soi” ; pas de lutte des classes ou de revendications populaires comme dans le drame romantique de Hugo par exemple ;  dans l'histoire du théâtre, la tragédie se caractérise très longtemps par l'appartenance des personnages à des catégories sociales supérieures comme les rois ou les princes: ce que rappelle ici Anouilh;  . Il est intéressant de constater que le dramaturge refuse notamment le registre des lamentations et la dimension pathétique pourtant omniprésente dans le spectacle tragique  " pas à gémir, pas à se plaindre ” l 45 mais “gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire ” . Une fois encore ici le recours à un vocabulaire trivial permet de moderniser la dimension tragique . La tragédie devient un moyen d’exprimer enfin des vérités et de le faire “pour rien: pour se le dire à soi, pour l’apprendre soi ” l 48.

L’intervention du choeur se termine sur l’idée qu’il n’y a a plus rien à tenter ” et que justement “voilà que ça commence “; Anouilh invite ici le spectateur à se concentrer sur la nature des propos échangés entre Antigone et son oncle et à ne pas trop se soucier de savoir si elle sera sauvée ou non. En la condamnant par avance, il libère ainsi le spectacle d’une sorte de dimension utilitaire ;Antigone ne se débat pas parce qu’elle espère s’en sortir : elle va juste se révéler à elle-même “c’est à dire “pouvoir être elle-même pour la première fois “. Lieu de la révélation et de l’affrontement sans vainqueur ni vaincu, la tragédie selon Anouilh , est avant tout révélation de soi-même. C’est en étant écrasé par son destin que l’homme peut enfin être vraiment lui-même sans se soucier du qu’en dira-t-on…

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Le décor de la première en 1944

L’intervention du garde qui termine la scène, prolonge cette idée que les dés sont jetés et que l’homme désormais s’en lave les mains : le garde ne veut entendre aucune explication et ne cherche pas non plus à comprendre pourquoi elle a  agi ainsi; Il ne cherche ni à excuser son geste ni même à entendre ce qu’elle a à dire : “je ne veux pas le savoir ” répète-t-il à  deux reprises l 58 et l 65 ; Antigone a déclenché la tragédie parce qu’elle a agi : peu importe pourquoi. Ce ne sont plus les causes qui sont déterminantes nous explique Anouilh mais les gestes qui entrainent des actions : la tragédie c’est avant tout le passage à l’action...et l’attente de ce qui s’en suivra.Rien ne peut plus arrêter la mécanique tragique qui relève de l’enchainement obligatoire des actions: chaque geste a une conséquence qui à son tour entraîne une autre action.

 Dans cette apparition du choeur Anouilh  définit ce qu’il pense être l’essence même de la tragédie et explique son choix de réécrire une tragédie antique en conservant ainsi ce caractère “reposant ” de la mécanique tragique qui se déroule sous les yeux du spectateur ; On ne peut s’empêcher d’y voir un lien avec l’actualité tragique de la France occupée ; Et si le moment était venu de passer à l’action , semble nous glisser à l’oreille, le dramaturge ..Il faudra être prêt à en assumer les conséquences . A la fin de la pièce, le choeur se manifestera à nouveau pour tenter de faire changer d’avis Créon et prendra le parti d’Antigone ; il essaie d’imaginer que la condamnation à mort se transforme juste en réclusion et évoque même l’idée de pouvoir la faire fuir . Le choeur pense qu’Antigone n’est qu’une enfant et qu’on pourrait plaider la folie . Le choeur commentera ensuite le départ précipité d’Hémon et viendra sur scène annoncer la mort d’Antigone et celle à venir des autres protagonistes ” il va falloir qu’ils y passent tous ” Il continue à jouer son rôle de commenter l’action et il est le seul présent sur scène pour le baisser de rideau : “Et voilà. sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de même tranquilles; Tous ceux qui avaient à mourir sont morts…morts bien raides, bien inutiles , bien pourris..seuls les gardes continuent à jouer aux cartes pendant que sur le plais vide, un grand apaisement triste tombe sur Thèbes et Créon, dans le palais vide, attend lui aussi  la mort.

Idées de regroupements possibles

le personnage du choeur ; ses interventions dans la pièce , le rappel de ses fonctions

la description de la mécanique tragique : dérouler, démarre, cela roule ..bien huilé, // film , cinéma

 la variété des situations tragiques : amour, honneur, question de trop et leur caractère implacable

opposition drame /tragédie : propre, sale /   reposant /épouvantable  // gratuit/utilitaire

les paradoxes tragiques : l’opposition cris et silences ; /  vainqueurs et vaincus

l’arrivée d’Antigone : voilà ça commence, désintérêt du garde pour les explications

26. octobre 2017 · Commentaires fermés sur Qui est Antigone ? · Catégories: Première · Tags:

Fille maudite d’un héros lui-même maudit, Antigone voit son destin scindé en deux parties. 

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 Antigone est donc au départ de son histoire,  la fille d’un inceste tragique; son père Oedipe,  devenu roi de Thèbes après sa victoire sur le sphinx, a épousé la reine Jocaste,  sans savoir qu’elle était sa mère biologique. Abandonné à sa naissance par ses parenst  Jocaste et LaIos, oedipe n’a pas été sacrifié comme cela avait été prévu par ses parents par le serviteur destiné à le mettre à mort ; il a simplement été laissé attaché  dans le désert et recueilli par un berger qui l’a conduit auprès de ses maîtres : le roi et la reine de Corinthe qui l’ont adopté et lui ont caché ses véritables origines; Toutefois, des rumeurs laissaient entendre qu’il était un “enfant trouvé ” et pour en avoir le coeur net, Oedipe décéda d’aller consulter un oracle qui lui révéla la vérité mai sous une forme obscure ; Il tuerait son père et coucherait avec sa mère. C’est ce même oracle qui avait déjà prédit vingt an plus tôt à se parents biologiques que leur premier fils serait à tous deux la cause de leur mort. C’est pourquoi Laiös et Jocaste avaient décidé de sacrifier Oedipe, leur premier né.

Après avoir entendu l’oracle , Oedipe décide de ne jamais retourner à Corinthe où il pense qu’il pourrait faire du mal à ses parents ; il prend alors le chemin de Thèbes et en chemin, rencontre un vieillard qui refuse de lui céder le passage; Il tue ce dernier dans un accès  de colère devenant ainsi le meurtrier de son père biologique qu’il n’a jamais connu. En chemin, il triomphe de l’énigme du monstre qui terrorisait la région et reçoit comme trophée le trône de la ville de Thèbes occupé par Créon et sa soeur Jocaste depuis la mort de Laïos. Il devient ainsi le roi légitime. Il fonde une famille avec celle qui est à la fois sa mère et son épouse.  Mais les Dieux vont lui révéler l’étendu edu ses crimes et l’accomplissement de l’oracle.

 Après le suicide de Jocaste, honteuse de son inceste involontaire, Oedipe, qui s’est crevé les yeux, s’exile à Colone sous la conduite d’Antigone. Sa soeur Ismène les y rejoint. Le poète Ducis met ces mots dans la bouche d’Oedipe s’adressant à sa fille qui a su si bien s’occuper de lui. 

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Oui, tu seras toujours chez la race nouvelle
De l’amour filial le plus parfait modèle; 
Tant qu’il existera des pères malheureux 
Ton nom consolateur sera sacré pour eux: 
Il peindra la vertu , la pitié vive et tendre
Jamais sans tressaillir ils ne pourront l’entendre! 

 A retenir : Antigone devient , en quelque sorte, la fille modèle , entièrement dévouée à un père monstrueux et aveugle qui nécessite d’être aidé en permanence et qui dépend totalement d’elle . 
 

Après la mort d’Oedipe, les jeunes filles reviendront volontairement à Thèbes où le roi Créon, leur oncle, avait promis de marier Antigone à son fils Haemon ou Hémon. Une guerre de succession oppose  alors les frères d’Antigone :  Etéocle et Polynice qui finissent par  s’entretuer.    Créon , alors au pouvoir après la mort de sa soeur et l’exil d’Oedipe,  ordonne de  donner à Etéocle une sépulture décente, mais de laisser  le corps de Polynice, qu’il considérait comme un traître à sa patrie,  sans sépulture, à l’endroit  même où il était tombé. Antigone, convaincue que la loi divine qui exige qu’un corps reçoive les honneurs funéraires  devait l’emporter sur les décrets humains, décida, en dépit de l’interdiction proférée par Créon, de rendre les honneurs funèbres à son frère. Surprise par les gardes parce qu’elle avait jeté de la terre sur le mort, elle fut amenée devant le roi. 

 Créon la condamna à être enfermée vivante dans le tombeau des Labdacides où elle devait mourir de faim. Ismène voulut partager son sort mais Antigone refusa car elle n’avait pas eu, en son temps, le courage de s’opposer à Créon. Le devin Tirésias rapporta à Créon ces paroles à peine obscures où il devait sous peine de malédiction plutôt “enterrer les morts et  déterrer les vivants“. Créon comprit et se précipita au tombeau pour le faire ouvrir mais il était déjà trop tard.Antigone s’était pendue avec sa ceinture et son amant éploré, Haemon, chercha d’abord à tuer son père et en le maudissant, il se suicida à son tour suivi dans son acte par sa mère, Eurydice, la femme de Créon qui se trancha la gorge. Le destin tragique d’Antigone se poursuit donc avec ce combat qui l’oppose à Créon, la figure de l’autorité et des lois de la cité; la jeune femme incarne pour beaucoup l’héroïsme de celle qui ose braver la loi des hommes  quand elle ne lui parait pas juste; déterminée et farouche dans son obstination, elle se bat  pour imposer ses idées et faire triompher les loi divines; elle pourrait incarner aussi, dans se côtés obscurs, une part de fanatisme dans son intransigeance .

Antigone et Polynice (c.1806) 
Benjamin CONSTANT 
 

Il existe une autre version  d cela fin tragique d’Antigone racontée par Euripide. Créon imposa à son fils de châtier sa future épouse car ce pouvoir appartient au mari ou au fiancé. Haemon fit semblant d’obéir et cacha Antigone à la campagne où elle lui donna un enfant. Mais un jour que ce dernier participait à une épreuve sportive à Thèbes, Créon remarqua une marque en forme de fer de lance qui était une caractéristique héréditaire de la famille. Il comprit ce qui s’était passé et condamna à mort Haemon et Antigone. Mais Dionysos (ou Héraclès) en personne venu assurer la défense, obtint le pardon et ainsi Haemon et Antigone purent se marier et vivre librement. 

 

Antigone conduit Oedipe hors de Thèbes
Charles-François JALABEAT
 

 

Oedipe conduit par Antigone
Antoni BRODOWSKI (1828) 
 

 

25. septembre 2017 · Commentaires fermés sur Le face à face Créon/Antigone chez Sophocle et chez Anouilh · Catégories: Première · Tags:
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Sophocle est un des grands dramaturges de l’antiquité grecque avec Euripide et Eschyle. Antigone raconte le conflit qui oppose la fille d’Œdipe à son oncle Créon. Ses deux frères s’étant entretués, Antigone désobéit aux ordres de Créon, roi de Thèbes qui avait décidé que Polynice, considéré comme un traître, reste sans sépulture . Antigone, convaincue que les lois divines l’emportent sur les lois humaines, décide de rendre les honneurs funèbres à son frère au risque de sa propre vie. 

La pièce de Sophocle est à l’origine de nombreuses réécritures : au XXème siècle, Cocteau, Brecht et Anouilh écriront une Antigone, chacun reprenant selon ses préoccupations de dramaturge ce personnage. La pièce d’Anouilh (1910-1987) fut jouée la première fois le 4 février 1944, en pleine occupation et on a vu dans Antigone le symbole de la résistance face à l’occupant.

-Au moment de l’extrait, Antigone a été arrêtée après qu’elle eut tenté de rendre les honneurs funéraires à son frère. Créon, le roi, doit décider de son sort. C’est donc une scène de conflit où Antigone s’oppose à son oncle et souverain.

 

 

 

Ces deux textes présentent une confrontation entre deux mêmes personnages mais des différences existent.

I – Les personnages 

Il s’agit dans les deux extraits d’une scène qui oppose Antigone à Créon ; cependant dans la pièce de Sophocle, le chœur est présent alors qu’il est absent dans la pièce d’Anouilh .
a) Antigone 

chez Sophocle
– on peut constater la brièveté des répliques : Antigone accepte son sort et ne cherche pas à se défendre : « que te faut-il de plus ? » répond-elle à la longue tirade de Créon. La question pourrait clore le dialogue, c’est une question qui n’appelle pas de réponse. Les actes qu’elle a commis, elle les assume pleinement.
Le ton est sûr : pas de trace d’émotion, ni de trouble, la plupart des phrases sont déclaratives. Antigone dresse le constat d’une situation sans issue comme le soulignent les deux passages suivants : « Je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort », l’indicatif exprime la certitude, aucun espoir n’est permis. « Tout ce que tu me dis m’est odieux, (…) et il n’est rien en moi qui ne te blesse », la situation conflictuelle est affirmée sans possibilité d’évolution. Les protagonistes sont face à face physiquement comme dans les paroles : rien ne peut les unir.

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– Elle est présentée par Créon comme la figure de l’orgueil (hybris) : « l’orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d’autrui. », il insiste sur le fait qu’elle n’agisse pas comme une femme devrait le faire : « c’est elle qui serait l’homme si je la laissais triompher impunément », indiquant par là même qu’Antigone désobéit à la condition féminine, qu’elle agit, poussée par son orgueil, comme seul un homme aurait le droit de le faire. De plus, elle se place au-dessus du jugement de Créon : à l’accusation de ne pas agir comme tout sujet du roi le devrait « Ne rougis-tu pas de t’écarter du sentiment commun ? », elle en appelle à ce qui dépasse la condition humaine : les devoirs dus aux morts « II n’y a point de honte à honorer ceux de notre sang », formule impersonnelle qui rappelle que ces devoirs n’appartiennent pas à la volonté de l’individu mais au devoir de l’humanité.
➜ Antigone apparaît ici comme une héroïne déterminée, qui n’agit pas en son nom propre mais en celui du devoir des vivants pour les morts. 

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chez Anouilh
– l’Antigone d’Anouilh est bien différente : elle exprime fortement son mépris pour Créon. Malgré sa fonction de roi, elle n’hésite pas à le comparer à un chien, comparaison qui revient deux fois dans ses propos : premièrement adressé à Créon seul « tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os. » puis à tous ceux qui pensent comme Créon : « On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent ». D’autre part, le tutoiement, ici, semble aller de pair avec le manque de considération: il s’ajoute à cette expression du mépris.
– Le ton employé par la jeune héroïne est lui aussi bien différent : si l’héroïne de Sophocle s’exprimait avec solennité, la jeune héroïne d’Anouilh se caractérise par l’exigence affirmée:
– occurrences du pronom personnel 1ère personne sous sa forme tonique : “moi, je…”
– verbes de volonté : nombreuses occurrences “je veux”
– adverbe : “oui”
– enfin l’Antigone d’Anouilh montre sa révolte contre une conception de la vie qu’elle ne partage pas. Son discours est ponctué d’exclamations 

b) Créon 

chez Sophocle : le langage de Créon est soutenu en accord avec son statut de roi
– il utilise un lexique imagé : des métaphores et comparaison pour définir l’orgueil. Ainsi utilise-t-il l’image du « fer massif » pour le désigner et montrer sa fragilité « si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se rompre », puis celle des « chevaux rétifs » qu’il est toujours possible de dresser malgré leur volonté. Images qui définissent aussi bien entendu Antigone, rétive à l’ordre établi, que son oncle compte faire plier

– la longueur des répliques met en évidence son statut : il a le pouvoir, donc aussi celui de la parole. On peut constater cependant qu’au fil du dialogue, les répliques de Créon sont de plus en plus courtes : à la détermination de la jeune fille, il ne peut rien opposer.
le ton est catégorique : impératif : « apprends », subjonctif à valeur d’impératif « qu’on l’appelle », utilisation du présent de vérité générale dans des phrases qui ressemblent à des maximes « l’orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d’autrui », rappel de la situation d’infériorité d’Antigone qui « dépend du bon plaisir d’autrui », c’est-à-dire de lui-même, qui « s’est mise au-dessus de la loi ». L’emploi de la première personne du singulier souligne son pouvoir décisionnel : « j’accuse », « je déteste » 

chez Anouilh :

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– Créon n’a rien du roi tel qu’on se le représente : il utilise un registre de langue familier « imbécile », « commence, commence, comme ton père ! »
– il est en position inférieure : on peut remarquer la brièveté de ses répliques. D’autre part, il n’oppose aucun argument à Antigone ne faisant que rebondir sur le mot employé par la jeune fille « le tien et le mien », ou répétant le même ordre au début et à la fin de l’échange : « Te tairas-tu », « tais-toi », preuve qu’il n’arrive pas à imposer le silence.
➜ chez Sophocle : les personnages sont en accord avec leur rang ; le schéma tragique est respecté : la transgression entraîne la mort et son acceptation ; le débat est de haute teneur : bien de la cité contre les lois divines et intemporelles
➜ chez Anouilh : le statut des personnages ne renvoie pas à la représentation commune : familiarité du vocabulaire ; d’autre part, le conflit n’est plus entre lois humaines et lois divines mais porte sur conflit sur le sens de la vie 

II – La différence de traitement de la scène
a) Sophocle

C’est une scène de tragédie antique
– où les personnages ont un destin extraordinaire : Antigone va vers la mort sans émotion, acceptant son destin. Créon, roi de Thèbes, fait passer son rôle avant les liens familiaux : « Elle est ma nièce, mais me touchât-elle par le sang de plus près que tous les miens, ni elle ni sa sœur n’échapperont au châtiment capital », obéissant ainsi à son propre destin : il sera celui qui a mis à mort sa propre nièce. 

– on peut souligner la hauteur du dialogue : les sentiments des personnages, leurs préoccupations individuelles n’apparaissent pas. Le débat porte sur le rôle que doit tenir chacun selon sa conception du devoir. 
-Enfin, les références aux lois, à la cité l’emportent sur le particulier. Il s’agit moins de motivations individuelles que des règles du bon fonctionnement de la cité. Si Créon joue son rôle et fait mourir Antigone, ce n’est pas sur le fait que cette décision la concerne qu’Antigone s’oppose à lui, c’est parce qu’il outrepasse ses droits, devient un « tyran » pour elle comme pour tous. Antigone devient alors le porte-parole de tous comme elle le souligne elle-même : « Tous ceux qui m’entendent oseraient m’approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu’il lui plaît. », et elle le précise encore quand elle désigne le chœur, représentant le peuple : « Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres » 

b) Anouilh 

C’est une scène de conflit au langage actualisé : le lexique est familier, renverrait plutôt à un conflit d’ordre familial et non entre deux conceptions du pouvoir. L’oncle et la nièce parlent le même langage, comme dans la vie ordinaire. En cela, Anouilh s’échappe des règles communément admises pour la tragédie.
– le personnage de Créon est vidé de sa substance : c’est seulement un homme en colère qui ne comprend pas les exigences de son adolescente de nièce. Dans cette scène, il n’a aucun pouvoir, même pas celui de la parole. – quant à Antigone, ses motivations semblent complexes. Dans ce passage, il n’est pas question du devoir qu’elle s’est fixée : désobéir aux lois humaines, celles de Créon, pour obéir aux lois intemporelles et universelles, celles de donner des funérailles dignes à tout être humain. Elle apparaît ici comme une jeune fille qui défend son idéal, qui lutte pour un absolu qui ne concerne qu’elle. 

c) cependant l’une et l’autre sont des scènes tragiques 

– la présence de la mort intervient dans les deux passages : le destin des deux jeunes filles est de mourir, elles le savent et l’acceptent même si elles agissent et s’expriment de manière différente.
– dans l’un et l’autre extrait, on constate le courage des héroïnes : rien ne les fera reculer : l’Antigone de Sophocle parce qu’elle est consciente d’agir non pas pour elle mais pour le respect des lois divines et l’Antigone d’Anouilh, parce que son exigence d’absolu ne peut accepter la vie terne, commune qu’on lui propose. 

l’acceptation de la mort des deux jeunes filles en fait des héroïnes : l’une et l’autre choisissent la mort consciemment, en accord avec elles-mêmes et leurs exigences. 

Conclusion 

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– deux scènes de conflit, de confrontation ; même enjeu : l’autorité représentée par la personne du roi Créon face à l’exigence d’une jeune fille prête à tout pour la réaliser.
– mais si les personnages sont les mêmes, Créon et Antigone, les auteurs les font agir et parler différemment : leur personnalité varie sensiblement – de même, la scène de confrontation est traitée différemment : chez Sophocle, on assiste à un conflit tragique où les lois de la cité sont en conflit avec les lois divines ; chez Anouilh, les motivations des personnages semblent plus communes, plus proche du commun des mortels.
– par la réécriture de la pièce de Sophocle, le texte-source, Anouilh adapte le mythe à son époque : Antigone fut jouée pendant l’occupation et la jeune fille peut représenter le refus d’une quelconque compromission. Par cela, les auteurs qui reprennent un mythe le réactualisent, mettent en évidence ce qu’il a d’intemporel : ici, l’individu contre l’État, contre un pouvoir arbitraire et lui redonne force et actualité. 

 

25. septembre 2017 · Commentaires fermés sur Un résumé très résumé d’Antigone d’Anouilh · Catégories: Première · Tags:

Tragédie en prose , en un acte. 

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l’auteur 

Le personnage baptisé le Prologue présente les différents protagonistes et résume la légende de Thèbes ( Anouilh reprend cette tradition grecque qui consiste à confier à un personnage particulier un monologue permettant aux spectateurs de se rafraîchir la mémoire. Le Prologue replace la pièce dans son contexte mythique). Toute la troupe des comédiens est en scène. Si certains personnages semblent ignorer le drame qui se noue, d’autres songent déjà au désastre annoncé. Antigone est présentée de manière plutôt péjorative comme une petit fille noiraude maigre est frêle; En face d’elle, le roi Créon est décrit comme robuste et travailleur. Il n’hésite pas à se retrousser les manches  

 

Antigone rentre chez elle , à l’aube, après une sortie nocturne. Elle est surprise par sa nourrice qui lui adresse des reproches. L’héroïne doit affronter les questions de sa nounou. Le dialogue donne lieu à un quiproquo . La nourrice prodigue des conseils domestiques ( ” il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit”) tandis qu’Antigone évoque son escapade avec beaucoup de mystère ( ” oui j’avais un rendez-vous”) . Mais elle n’en dira pas plus.

La nourrice sort et Ismène, la sœur d’Antigone, dissuade cette dernière d’enfreindre l’ordre de Créon et d’ensevelir le corps de Polynice. Ismène exhorte sa sœur à la prudence (“Il est plus fort que nous, Antigone, il est le roi”) . Antigone refuse ces conseils de sagesse . Elle n’entend pas devenir raisonnable.

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La découverte du corps “honoré”

Antigone se retrouve à nouveau seule avec sa nourrice. Elle cherche à surmonter ses doutes et demande à sa nourrice de la rassurer. Elle tient aussi des propos ambigus pour ceux ( et c’est le cas de la nourrice) qui ne connaissent pas son dessein . Elle semble décidée à mourir et évoque sa disparition à mots couverts ” Si, moi , pour une raison ou pour une autre, je ne pouvais plus lui parler…”.

Antigone souhaite également s’expliquer avec son fiancé Hémon. Elle lui demande de le pardonner pour leur dispute de la veille. Les deux amoureux rêvent alors d’un bonheur improbable. Sûre d’être aimée , Antigone est rassurée. Elle demande cependant à Hémon de garder le silence et lui annonce qu’elle ne pourra jamais l’épouser. Là encore , la scène prête au quiproquo : le spectateur comprend qu’Antigone pense à sa mort prochaine, tandis qu’Hémon , qui lui n’a pas percé le dessein d’Antigone, est attristé de ce qu’il prend pour un refus. 

Ismène revient en scène et conjure sa sœur de renoncer à son projet. Elle affirme même que Polynice, le “frère banni”, n’aimait pas cette sœur qui aujourd’hui, est prête à se sacrifier pour lui et à lui donner sa vie alors même qu’il est mort.

Antigone avoue alors avec un sentiment de triomphe, qu’il est trop tard, car elle a déjà , dans la nuit, bravé l’ordre de Créon et accompli son geste ” C’est trop tard. Ce matin , quand tu m’as rencontrée , j’en venais.”

Jonas, un des gardes chargés de surveiller le corps de Polynice, vient révéler à Créon, qu’on a transgressé ses ordres et recouvert le corps de terre. Le roi veut d’abord croire à un complot dirigé contre lui et fait prendre des mesures pour renforcer la surveillance du corps de Polynice. Il semble également vouloir garder le secret sur cet incident : ” Va vite. Si personne ne sait, tu vivras.”

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Le chœur s’adresse directement au public et vient clore la première partie de la pièce. Il commente les événements en exposant sa conception de la tragédie qu’il oppose au genre littéraire du drame. Le chœur affiche également une certaine ironie et dévoile les secrets du dramaturge : “c’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre… C’est tout. Après on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul.”

Antigone est traînée sur scène par les gardes qui l’ont trouvée près du cadavre de son frère. Ils ne veulent pas croire qu’elle est la nièce du roi , et  ils la traitent avec brutalité. Ils se réjouissent de cette capture et des récompenses et distinctions qu’elle leur vaudra.

Créon les rejoint. Les gardes font leur rapport . Le roi ne veut pas les croire. Il interroge sa nièce qui avoue aussitôt. Il fait alors mettre les gardes au secret, avant que le scandale ne s’ébruite.

Créon et Antigone restent seuls sur scène. C’est la grande confrontation entre le roi et Antigone. Le roi souhaite étouffer le scandale et ramener la jeune fille à la raison. Dans un premier temps , Antigone affronte Créon qui tente de la dominer de son autorité.

Les deux protagonistes dévoilent leur personnalité et leurs motivations inconciliables. Créon justifie les obligations liées à son rôle d’homme d’état . Antigone semble sourde à ses arguments : (Créon : Est ce que tu le comprends cela ? Antigone : ” Je ne veux pas le comprendre.”) . A court d’arguments Créon révèle les véritables visages de Polynice et d’Etéocle et les raisons de leur ignoble conflit. Cet éclairage révolte Antigone qui semble prête à renoncer et à se soumettre. Mais c’est en lui promettant un bonheur ordinaire avec Hémon, que Créon ravive  son amour-propre  et provoque chez elle un ultime sursaut. Elle rejette ce futur fade et se rebelle à nouveau. Elle choisit une nouvelle fois la révolte et la mort.

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Ismène , la sœur d’Antigone entre en scène alors que cette dernière s’apprêtait à sortir et à se dénoncer publiquement , ce qui aurait obligé le roi à l’emprisonner. Ismène se range aux côtés d’Antigone et est prête à mettre elle aussi sa vie en jeu. Mais Antigone refuse , prétextant qu’il est trop facile de jouer les héroïnes maintenant que les dés ont été jetés. Créon appelle la garde , Antigone clôt la scène en appelant la mort de ses cris et en avouant son soulagement ( Enfin Créon !)

Le chœur entre en scène. Les personnages semblent avoir perdu la raison, ils se bousculent. Le chœur essaye d’intercéder en faveur d’Antigone et tente de convaincre Créon d’empêcher la condamnation à mort d’Antigone. Mais le roi refuse , prétextant qu’Antigone a choisi elle-même son destin, et qu’il ne peut la forcer à vivre malgré elle.

Hémon vient lui aussi, ivre de douleur, supplier son père d’épargner Antigone, puis il s’enfuit. 

Antigone reste seule avec un garde. Elle rencontre là le “dernier visage d’homme”. Il se révèle bien mesquin, et ne sait parler que de grade et de promotion. Il est incapable d’offrir le moindre réconfort à Antigone. Cette scène contraste, par son calme, avec le violent tumulte des scènes précédentes. Apprenant qu’elle va être enterrée vivante, éprouvant de profonds doutes ( ” Et Créon avait raison, c’est terrible maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs.” , Antigone souhaite dicter au garde une lettre pour Hémon dans laquelle elle exprime ses dernières pensées. Puis elle se reprend et corrige ce dernier message ( “Il vaut mieux que jamais personne ne sache”). C’est la dernière apparition d’Antigone.

Le messager entre en scène et annonce à Créon et au public la mort d’Antigone et la mort de son fils Hémon. Tous les efforts de Créon pour le sauver ont été vains. C’est alors le chœur qui annonce le suicide d’Eurydice, la femme de Créon : elle n’a pas supporté la mort de ce fils qu’elle aimait tant. Créon garde un calme étonnant . Il indique son désir de poursuivre ” la sale besogne ” et sort en compagnie de son page.

 Le chœur entre en scène et s’adresse au public : Il constate avec une certaine ironie la mort de nombreux personnages de cette tragédie : “Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris.”  . Il ne reste plus que Créon dans son palais vide . Les gardes , eux continuent de jouer aux cartes , comme ils l’avaient fait lors du Prologue. Ils semblent les seuls épargnés par la tragédie. 

25. septembre 2017 · Commentaires fermés sur Sophocle et le personnage d’Antigone : retour sur la tragédie grecque · Catégories: Première · Tags: ,
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Sophocle 

 Sophocle  est l’un des trois grands poètes tragiques grecs, avec Eschyle et Euripide.Ils écrivent tous trois de nombreuses pièces dont seules quelques unes sont parvenues jusqu’à nous. 
La structure de la tragédie grecque : Elle repose sur une alternance des parties parlées (épisodes) et des parties chantées (station) et comporte un choeur présent sur scène ainsi qu’un coryphée. 

 

  • –  le prologue est la présentation : il correspond à l’exposition de la situation. Antigone révèle à Ismène sa décision de rendre les derniers hommages à Polynice.
  • –  Parodos ou entrée solennelle du chœur : avec alternance de parties chantées et de parties parlées. 
  • –  Premier épisode : entrée de Créon qui marque la fin du prologue et le début de l’action (l’épisode correspond à l’acte des tragédies classiques). Arrivée du garde qui révèle que quelqu’un a eu l’audace de répandre une poussière sur Polynice. Créon est en colère. Sortie du garde.
  • –  Premier stasimon : intermède musical chanté par le chœur seul en scène.  
  • –  Deuxième épisode : entre le garde poussant Antigone. Il révèle à Créon que c’est elle qui a recouvert le corps de Polynice. Violent échange entre Créon et Antigone. Antigone refuse de céder devant la loi de la cité. Entre Ismène qui veut partager le sort d’Antigone, c’est-à-dire la mort. Refus d’Antigone. 
  • –  Deuxième stasimon : évocation par le chœur des malheurs des Labdacides. Le chœur classe Antigone et Créon dans la même situation comme s’ils avaient été frappés de folie par Zeus. 
  • –  Troisième épisode: Hémon s’oppose à son père Créon et affirme son soutien à Antigone. 
  • –  Troisième stasimon : le chœur chante l’amour. 
  • –  Quatrième épisode : c’est le kommos d’Antigone. Ce sont les adieux au soleil et au monde de celle qui va être enterrée vivante. Le kommos est un chant plaintif et Antigone se remémore ce qu’elle fut et ce qu’est son destin. 
  • –  Quatième stasimon : le chœur évoque des épisodes mythologiques terribles. 
  • –  Cinquième épisode : entre Tirésias, le devin qui s’adresse à Créon. Il lui dit que tous les signes sont de mauvais augure pour lui. Créon est furieux mais effrayé et persuadé par le coryphée, il court délivrer Antigone de son cachot. 
  • –  Cinquième stasimon : le chœur invoque Dionysos.
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– Exodos ou dénouement. Le messager vient rendre compte des malheurs. Hémon est mort, il s’est transpercé d’une épée. Antigone s’est pendue. Et Eurydice, épouse de Créon et mère d’Hémon, qui a tout entendu se donne la mort. Créon revient, portant Hémon dans ses bras, frappé par le destin. 
La tragédie sophocléenne expose une action où fatalité et volonté constituent les deux ressorts principaux, de sens contraire et où toute l’intensité dramatique repose sur la volonté inébranlable du protagoniste. Celui-ci, enfermé dans une situation où seul le compromis permettrait la survie, mène un double combat en s’opposant à l’autorité (incarnée par le roi, les chefs ou les dieux), mais également aux instances de ses proches : ainsi Antigone s’expose à la mort (et la subit) pour accorder les rites funéraires à son frère Polynice tué sur le champ de bataille, défiant ainsi l’autorité de Créon, maître de Thèbes, et n’écoutant pas les conseils de sa sœur Ismène.  

La mise en scène est bien comme le disait Vitez « l’art de l’interprétation ». En ce sens toute mise en scène est une « adaptation » de l’œuvre, dans la mesure où elle en est une interprétation. Le metteur en scène doit donc se poser un certain nombre de questions incontournables et y répondre en termes de choix. 

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 Le théâtre sophocléen met ainsi en jeu l’essence de la condition humaine certes mais aussi l’essence du politique. L’argument est connu et pourtant il fascine et interroge toujours autant. Autant de questions qui brûlent nos lèvres à la lecture de cette œuvre : pourquoi cette marche à la mort inexorable d’Antigone ? Pourquoi Créon, roi fraîchement couronné, déclare-t-il la guerre à un mort ? ) 

Antigone est l’une des héroïnes les plus problématiques, les plus sereinement violentes du répertoire. Vingt-cinq siècles plus tard, elle se révèle toujours aussi fascinante dans ses contradictions, son énergie adolescente et son attirance pour la mort. Elle se dresse avec une pureté nouvelle, inspirant terreur et pitié et son arme la plus acérée est l’« insolence sublime » qu’admirait tant Hölderlin. Elle nous semble presque inhumaine dans son entêtement à ne s’intéresser qu’aux dieux de l’Hadès, à refuser de vivre. 

La figure d’Antigone n’a cessé de susciter nombre de problématiques : les figures de la révolte, du sacrifice, de la charité… Antigone n’est pas loin de devenir le porte-parole de ce que l’on veut lui faire dire (…). Ainsi, Antigone en tant que mythe semble avoir pris le pas sur le personnage de la pièce et c’est actuellement cette lecture mythologique qui prévaut . Toutefois Antigone n’est pas l’unique figure de la pièce, elle ne prend véritablement corps qu’en présence de son principal opposant, Créon. On ne peut assurément pas isoler Antigone de Créon : ce sont deux figures qui s’opposent et s’éclairent l’une l’autre, deux façons différentes d’appréhender le monde. 

C’est la volonté d’hybris de Créon qui bouleverse l’ordre naturel des choses qui est à l’origine de la tragédie. Il transgresse en refusant d’enterrer Polynice car il refuse d’honorer les Dieux. Mais Antigone aussi bouleverse l’ordre : elle ne vit que pour les morts en ignorant les vivants. Tout comme Créon elle bouleverse l’ordre des choses. Malgré son rôle apparemment secondaire, Créon n’est pas un faire-valoir d’Antigone ; mais un tyran au fort caractère : il existe une véritable dualité entre lui et Antigone, tous deux, dans leur obstination, leur solitude et leur certitude sont de purs héros sophocléens. 

 Antigone et Créon sont tous les deux dans l’hybris, la démesure. Aucun d’eux ne saisit les limites du droit qu’il prétend défendre. Il faut percevoir cette symétrie profonde entre les deux protagonistes, qui seule permet de continuer à lire Antigone comme une tragédie et non comme un drame qui adopterait exclusivement le point de vue de l’héroïne. 

Monter Antigone, c’est oser questionner un texte qui nous parle de la relation entre les vivants et les morts, des liens du sang et de la présence des Dieux, qui explore la part d’ombre qui est en nous. 

 

06. mars 2017 · Commentaires fermés sur Comparer Antigone pour Sophocle et Antigone pour Anouilh …. · Catégories: Première · Tags:
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Comparer deux oeuvres qui sont aussi éloignées dans le temps est sans doute un pari risqué mais nous allons tenter de comprendre, à travers ces confrontations, comment Anouilh réécrit Antigone . Ces analyses proviennent essentiellement du livret audio dans lequel Jean Anouilh lit sa pièce et donne des explications sur son projet de réécriture de la tragédie antique . 

 

  Voyons d’abord leur composition : La suite des scènes chez Anouilh est à peu près la même que chez Sophocle. Il y a cependant quelques différences. Chez Sophocle, la pièce commence par la scène Ismène-Antigone qui oppose les caractères des deux soeurs et nous explique la mort des frères ainsi que la décision de Créon.

Anouilh lui commence par le choeur qui présente les personnages un par un et le sujet de la pièce, et tout de suite Antigone entre, venant au petit matin de tenter d’enterrer son frère Polynice. Le personnage de la nourrice, qui ne fait  pas partie du la tragédie de  Sophocle, l’accueille et s’inquiète de son absence nocturne. Anouilh ne fait pas intervenir le devin Tirésias.

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Oedipe guidé par Antigone 

Leur signification : La pièce de Sophocle est une pièce religieuse. Il faut l’imaginer dans le climat de ferveur religieuse des Grecs de cette époque, pour qui les Dieux et les lois sacrées de la Cité étaient une réalité vivante. Antigone, au-delà du cas de son frère, s’attache à faire la différence entre la loi écrite (la loi de Créon) et la loi non-écrite (celle des Dieux). L’Antigone de Sophocle meurt pour être fidèle à la loi divine : « J’aurai plus longtemps à plaire aux morts qu’aux vivants », dit-elle.

La pièce d’Anouilh semble plus proche de nous car les mobiles d’Antigone ne sont qu’humains. C’est une petite-fille qui ressent dans sa chair l’injustice faite à son frère. L’Antigone d’Anouilh meurt par fidélité pour elle-même.  C’est surtout une enfant qui refuse les compromissions  pourtant nécessaires du monde des adultes.

Les personnages: C’est sur le rôle de Créon que les différences entre la tragédie de Sophocle et la pièce d’Anouilh sont tranchées. Le Créon de Sophocle est un tyran borné. Il fait appel aux lois de la cité mais son langage est celui d’un homme politique, on sent que c’est surtout son orgueil qui est en jeu. Il demeure sourd aux arguments humains.

Le Créon d’Anouilh  a profondément pitié d’Antigone et il tente tout pour la sauver. Créon a pour devoir de respecter la loi écrite et pense qu’il ne peut pas écouter son coeur. Il agit en homme d’Etat qui fait passer la raison d’Etat avant sa famille.

 Ecoutons ce que dit Anouilh :  « L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges1. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre »

 Si l’on en croit cette déclaration de l’auteur,le personnage d’Antigone est l’allégorie de la Résistance s’opposant aux lois édictées par Créon / Pétain, qu’elle juge iniques. Elle refuse la facilité et préfère se rebeller, ne voulant pas céder à une prétendue fatalité… Créon pour sa part, revendique de faire un « sale boulot » parce que c’est son rôle et qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Anouilh s’inspire du geste de Paul Collette, un résistant français qui avait tiré sur Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le 27 août 1941. Jean Anouilh, en écrivant cette pièce de théâtre, trouve ainsi le moyen de dénoncer la passivité de certains français face aux lois dictées par les nazis. Antigone symbolise alors la résistance qui s’obstine malgré les dangers encourus et les risques pris. 

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 En résumé, les faits et l’intrigue sont les mêmes : Antigone qui a rendu à son frère les honneurs funèbres malgré l’ordre de son oncle Créon, paiera de sa mort sa désobéissance. Certaines s’inspirent directement de leur modèle grec : la conversation entre les deux soeurs, le récit du garde, la venue finale du messager annonçant la mort d’Antigone, d’Hémon et d’Eurydice. Les circonstances mêmes du dénouement n’ont pas été altérées.

 La pièce nous frappe par la familiarité du ton. Rien ou presque ne doit nous écarter de l’époque de la représentation.  : “Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas… L’orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats…” Les “petits voyous” se retournent dans la rue quand passe Antigone… Créon confie à sa nièce qu’il ne pouvait tout de même pas “s’offrir le luxe d’une crapule dans les deux camps”. Ne parlons même pas du langage de la nourrice ou de celui des gardes, il est normal qu’il soit vulgaire.  

  Anouilh use abondamment de l’anachronisme. On parlera donc de carte postale, de café, de tartines, de bar, de fusils, de film, de cigarettes, de pantalons longs, de voitures de course…

 Pour la mise en scène :

Le décor et  les costumes. C’est “un décor neutre” dit Anouilh. Donc aucune référence, ni à la Grèce, ni à un pays quelconque, ni à une pièce précise dans une maison. 

 Du point de vue vestimentaire, il faut naturellement oublier la pièce grecque. Les costumes ne seront pas modernes mais intemporels. Des vêtements de soirée pour le Choeur et Créon qui, ce dernier, portera en plus une cape. Des cirés noirs pour les gardes, une robe claire pour Ismène, sombre pour Antigone, très simple. 

 La pièce d’Anouilh n’offre plus aucune référence religieuse; elle est désacralisée et perd toute transcendance. Créon, cynique et railleur, n’a aucun mal à faire admettre à Antigone que son geste est dénué de toute valeur religieuse, qualifiant le cérémonial public de “passe-port dérisoire”, de “bredouillage en série” sur la dépouille du défunt. “Geste absurde”, dit-il, et le mot “absurde est repris par Antigone elle-même. Et si Créon a décidé de refuser la sépulture à Polynice, ce n’est pas pour des raisons morales, mais pour des considérations politiques très opportunistes : il s’est trouvé qu’il a eu besoin de faire un héros de l’un des deux frères : “J’ai fait ramasser un des corps, le moins abîmés des deux, pour mes funérailles nationales, et j’ai donné l’ordre de laisser pourrir l’autre où il était. Je ne sais même pas lequel. Et je t’assure que cela m’est égal.” 

 L’Antigone d’Anouilh n’est plus l’héroïne du devoir et de la piété filiale. Pour elle il n’est plus question de défendre la part sacrée du monde. Elle court à la mort, animée par le sentiment orgueilleux d’un devoir à remplir vis-à-vis d’elle-même. Et encore au dernier moment, le doute s’insinue en elle : “Je ne sais plus pourquoi je meurs”. L’acte d’Antigone semble avoir perdu tout contenu positif. 

 Dans cette existence, la mort est finalement la seule impasse, mais une mort privée de sens. Antigone est morte, entrainant avec elle Hémon et Eurydice pour une cause à laquelle elle ne croyait plus, condamnée par un homme au nom d’une cause à laquelle il ne croit plus. 

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  Le Créon de Sophocle reconnaissait sa faute, ébranlé par les menaces du devin Tirésias; le Créon d’Anouilh retourne tranquillement à ses activités quotidiennes. Il a le sentiment d’avoir vieilli et attend la mort lui-aussi ; tout se solde par un immense vide intérieur qu’il comble par l’action ( va au Conseil ). 

 L’oeuvre d’Anouilh est amère. Coupée de tout arrière-plan moral ou religieux, elle débouche sur une tragédie qui remet en question les valeurs de l’idéal et de l’héroïsme qui sous-tendaient la tragédie grecque.