16. novembre 2015 · Commentaires fermés sur Roman moral ou immoral : comment juger Madame Bovary ? · Catégories: Divers · Tags:

Lors du procès de Madame Bovary qui s’ouvre en janvier 1857, les trois principaux chefs d’accusation évoquent l’outrage à la morale publique , l’outrage à la religion et la couleur lascive qui porte atteinte aux bonnes moeurs  . Le défenseur de Flaubert, Maître Ménard va citer de nombreux passages du  roman pour tenter de démontrer que l’écrivain n’a commis aucune faute contre  la morale ; mais que faut-il entendre au juste par ce terme ? et comment savoir si les accusations dont a été victime le romancier sont fondées ? 

  En réalité, c’est le comité de rédaction de la revue de Paris qui publie le roman de Flaubert sous forme de feuilletons, qui décide collectivement  de supprimer certains passages du roman jugés “sulfureux” notamment la scène où Emma et Léon consomment l’adultère dans un fiacre qui roule  ; Du coup, Flaubert proteste et la justice s’empare de l’affaire dans un contexte politique qui révèle de la part du gouvernement impérial , un désir de contrôler la production artistique contemporaine. L’avocat Ernest Pinard est le porte-paroles de l’accusation.  Nous examinerons donc ses principaux arguments .Alors que l’outrage aux bonnes moeurs vise tout ce qui blesse la pudeur comme l’emploi de certains mots  orduriers ou grossiers qui désignent des réalités inacceptables pour la société de l’époque , on entend  par morale publique l’ensemble  qui demeure à définir, des valeurs sur lesquelles se fonde un  consensus social , et   sur lesquelles la plupart des gens sont d’accord comme par exemple l’institution du mariage ou la condamnation de l’adultère, le respect des parents; Reprenons donc les griefs du procureur afin de voir s’ils sont vérifiés par le roman ; Ensuite, nous examinerons les justifications apportées par le défenseur du romancier, maître Simard et enfin nous nous demanderons si l’écriture d’un roman, ouvrage de fiction doit obéir aux catégories de la morale.

 Que reproche-t-on au juste  à Madame Bovary ?  Le procureur débute son réquisitoire en faisant état de la couleur lascive du roman; il compte démontrer que Flaubert s’attache à des détails grivois comme par exemple le contentement sexuel de Charles après sa nuit de noces :  “ce mari du lendemain que l’on eut pris pour la vierge de la veille” Le mariage a donc satisfait a priori les sens de Charles qui est désormais “le coeur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente” On reproche évidemment  à Flaubert d’avoir ridiculisé le mariage dans la personne de Charles , un mari naïf, béat et stupide pour certains, qui va jusqu’à pardonner à l’amant de sa femme et qui refuse de croire qu’elle l’a vraiment trompée même quand il lit les lettres qu’elle recevait de Rodolphe  . Mais c’est surtout le personnage d’Emma et son immoralité qui est la cible principale des critiques du procureur.

 Pourquoi des accusations aussi virulentes ? Le contexte littéraire de l’époque a sans aucun doute joué un rôle important dans la réception du roman par ses contemporains. En effet, Flaubert fait partie de la génération réaliste  et opère , à sa manière, une rupture avec le passé romantique; Le roman devient un outil d’exploration du réel et tente de restituer la banalité et la  trivialité  de l’existence. Napoléon III porté au pouvoir par une frange cléricale et progressiste de la population, exerce un pouvoir autoritaire et n’hésite pas à censurer ou à exiler les artistes porteurs de ce qu’il considère soit, comme une modernité trop audacieuse, soit comme une opposition politique masquée. Flaubert appartient également à cette jeunesse qui refuse et critique les valeurs morales dominantes mais a grandi avec des modèles romantiques qui ont façonné son goût et qu’elle continue à admirer. Dans les cercles des romanciers réalistes, on milite pour un art sans lyrisme et le roman entre dans l’ère positiviste qui , suivant les préceptes de la philosophie d’Auguste Comte, s’efforce d’avoir une approche scientifique du réel.La critique conservatrice  ne mâche pas ses mots et évoque parfois une littérature putride, facile, dangereuse sur le plan moral car elle recherche le succès au moyen de l’immoralité des intrigues, des perversités des personnages et du cynisme des tableaux. Un article dans le Figaro parle même d’une “école monstrueuse de romanciers”. Seul le public qui va plébisciter les romans réalistes fera pencher la balance; le roman, genre jusque là considéré comme mineur, accède à la notoriété lorsqu’il élargit son champ de vison et embrasse, justement, la totalité du réel, l’ensemble des catégories sociales et lorsque sa matière s’inspire des faits divers relatés dans la presse régionale. Rien d’étonnant donc que les critique pleuvent sur le roman de Flaubert et une morale bien pensante veut voir en lui un farouche adversaire du mariage , considéré alors comme un des piliers de l’ordre social avec la religion. 

En effet , Emma est déçue par son mariage mais c’est parce qu’il ne comble pas ses attentes romantiques : ce n’est pas l’institution que Flaubert remet en cause mais bien plutôt l’éducation de la jeune fille qui se “considérait comme fort désillusionnée, n’ayant plus rien à apprendre, plus rien à sentir.” Emma est également déçue sur le plan social car la situation de son mari ne lui permet pas d’avoir le luxe dont elle rêvait et qu’elle avait imaginé à partir de ses lectures. Elle se considère comme supérieure à lui : ” Mais il n’enseignait rien celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. “Mais le père Rouault ne donne t-il pas une autre image de la félicité conjugale lorsqu’il évoque les souvenirs de son bonheur passé.  Tou else couples ne sont pas malheureux dans le roman et pour beaucoup, comme pour Léon, par exemple le mariage demeure un but.Le  reproche d’avoir évoqué “les souillures du mariage et la désillusion de l’adultère” est donc bien fondé mais il est fait partie de l’évolution du personnage.

De manière plus inquiétante, bon nombre de personnages qui gravitent autour d’Emma se livrent , en toute impunité à des escroqueries en tous genres: Homais pratique illégalement la  consultation médicale pendant que Lheureux pratique des taux d’usure scandaleux et pousse les petits bourgeois à s’endetter ; Il s’assure même la complicité d’huissiers et on pourrait presque évoquer une association de malfaiteurs. Le notaire n’hésite pas à demander à Emma des faveurs en profitant de sa détresse: il serait accusé ,sans doute, dans un tribunal si Emma portait plainte. Pourtant ces faits ne sont pas apparents dans le réquisitoire du procureur. Peut-être parce qu’il est plus facile d’accuser un personnage de représenter les vices qu’il incarne plutôt que d’imaginer que tous les personnages représentent la part de vices des individus auxquels ils font référence ? En fait, ce sont les personnages secondaire qui totalisent le plus d’outrages au bonnes moeurs et l’intention critique de Flaubert est ici sous-jacente. Il semble donc que le réquisitoire du procureur soit à charge uniquement contre Emma alors que le personnage s’intègre dans l’économie d’un ouvrage qui , d’une manière plus globale, vise à critiquer les moeurs de province et à montrer l’étroitesse d’esprit des bourgeois médiocres aux rêves de grandeur. On pourrait pardonner à Emma son bovarysme parce qu’elle en meurt mais Homais, lui, triomphe et personne n’y songe à mal . Ce qui tendrait à prouver qu’art et morale ne font pas forcément bon ménage et qu’on aurait sans doute tort de réduire un roman à sa portée morale, souvent sujette à caution et source de différentes interprétations. 

01. novembre 2015 · Commentaires fermés sur L ‘ironie selon Flaubert · Catégories: Divers · Tags:

Il est souvent question d’ironie dans Madame Bovary mais il n s’agit pas tellement pour l’artiste d’écrire le contraire de ce qu’il pense ; il s’agit plutôt d’un regard  distancié sur le monde qui juge les défauts de ce dernier et d’un manière de considérer ses personnages comme des créatures parfois grotesques ; de plus l’ironie est parfois difficile à percevoir car elle renvoie à des sous-entendus, à des façons de vivre sou d penser  qui peuvent paraître obsolètes pour des lecteurs contemporains; Pour étudier l’ironie dans le roman, on peut se demander d’où vient-elle, comment elle se manifeste et quelles sont ses fonctions.

Une réalité dévalorisée : on peut tout d’abord trouver de l’ironie dans la manière dont l’écrivain reproduit certains éléments de la réalité de l’époque: la scène des Comices, par exemple; est un exemple de traitement ironique de la réalité sociale; Flaubert, par l’intermédiaire du récit assumé par le narrateur  ridiculise , à la fois , ces paysans qui accordent une importance démesurée à un événement jugé peu important et le donjuanisme de Rodolphe qui finit par triompher de la réserve d’Emma. Ici , c’est le contexte qui permet de déceler l’intention ironique: les discours paraissent ennuyeux et truffés de généralités te le lecteur ne peut s’empêcher de penser que ces gens sont bien naïfs de s’enthousiasmer pour de pareilles platitudes. Même si le discours social est la principale cible de l’ironie dans le roman, ce regard désenchanté semble contaminer tous les compartiments de la narration. Dans une lettre à Louis Colet, Flaubert fait remonter son pessimisme à sa petit enfance : “L’ironie pourtant me semble dominer la vie. ”  Et il avoue qu’il aimait es regarder pleurer comme s’il était attiré par le spectacle edu chagrin; Ce penchant pour le grotesque triste définit sa manière décrire, alliance de comique qui ne fait pas rire, qui ridiculise ce qu’il montre et de pathétique car l électeur ne peut s’empêcher d’être parfois touché par certains aspects des personnages et par leur déception; Par exemple, le personnage de Charles , amoureux transi d’un femme qui le méprise révèle le regard ironique de Flaubert sur les inégalités dans l’amour; au sein du couple, l’un faim toujours plus que l’autre et ce déséquilibre est à la source des drames passionnels. Pour l’écrivain, ce ridicule est celui de la vie elle-même et chacun le port en soi; L’artiste, selon les dires de Flaubert, se contente de le transporter dans les personnages et dans l’intrigue de son roman. L’ironie flaubertienne prend donc ici la forme d’un regard sur le monde qui en révèle toute la cruauté.

Les personnages grotesques: une autre forme d’ironie peut apparaître  à travers la construction de certains personnages comme Homais, Binet et Bournisien; ces personnages représentent des aspects que Flaubert déteste et qu’il s’emploie à combattre en en révélant le côté ridicule , parfois dangereux; Ainsi, on eut prendre comme exemple les conversations entre Homais, violemment anticlérical et l’abbé Bournisien, lorsqu’ils veillent la dépouille d’Emma; Homais véhicule les poncifs des athées et se demande, par exemple, à quoi peut bien servir la prière; il sont tous deux campés sur leurs positions et leur querelle dégénère : “ils s’échauffaient, ils étaient rouges, ils parlaient à la fois  sans s’écouter; Bournisien se scandalisait d’un telle audace ; Homais s’émerveillait d’un telle bêtise; ils n’étaient pas loin de s’adresser des injures“.. le tout dans la chambre mortuaire ; Seule l’arrivée de Charles mettra provisoirement un terme à leur dispute qui reprend peu de temps après à propos du célibat des prêtres, de la confession. Cependant lorsqu’ils s’endorment, ils s ressemblent  “ils étaient l’un en face de l’autre, le ventre en avant, la figure bouffie, l’air renfrogné, après tant de désaccord se rencontrant enfin dans la même faiblesse humaine.”  Le regard ironique cette fois englobe les deux personnages et le mépris en même temps que la pitié du narrateur. 

L’ ironie politique : dans la scène des Comices, on peut lire au moyen des commentaires du narrateur, une vive critique des lieux communs dans le discours de Lieuvain: il y flatte les paysans en les traitant de vénérables  serviteurs” d “humbles domestiques” et affirme que jusqu’alors aucun gouvernement ne s’est soucié de leur sort; ce discours réactionnaire était combattu par Flaubert qui se méfiait de l’emprise de la religion sur la politique ; ce danger est souligné dans le discours de Derozerays qualifié ironiquement de “moins fleuri”; Flaubert lors de la récompense de Catherine Leroux met en évidence l’opposition entre “ce demi-siècle de servitude ” et “ces bourgeois épanouis” ; encore plus ironiquement, la paysanne décide de remettre sa pièce d’or au curé “pour qu’il me dise des messes” ; Lorsqu’il écrit l’article pour le fanal de Rouen, Homais insiste sur le déroulement  cordial de cette belle journée et évoque le brillant feu d’artifice  qui lui fait comparer Yonville à “un rêve des Mille et une Nuits” 

L’ironie et le romantisme : Flaubert se moque des aspirations romantiques d’Emma et de Léon dans un premier temps ; la jeune femme ne peut s’empêcher de penser à l’amour comme “un ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l’abîme le coeur entier.” (deuxième partie, fin du chapitre IV); Quant à Léon, elle lui semble hors de portée et elle “alla dans son coeur, montant toujours et s’en détachant à la manière magnifique d’une apothéose qui s’envole” ; en fait ,il a trop peur pour se déclarer et elle devient irritable à forcée refouler l’amour qu’elle éprouve pour le jeune homme; elle reporte alors sa souffrance en haine pour son mari; “elle aurait voulût que Charles la battit, pour pouvoir plus justement le détester, s’en venger.” ( P2, chap V); Le narrateur dévoile ici la réalité des sentiments et la fausseté des aspirations romantiques qui ne résistent pas face au poids des conventions et du réel.

En résumé, l’ironie est présente dans tous les compartiments  du roman; c’est une manière d’écrire et de décrire, un ton distancié, et moqueur qui tend à diminuer le pathétique de certaines scènes (exemple de l’agonie terrible d’Emma et de l’arrivée du docteur Larivière ) ; c’est un moyen de faire comprendre au lecteur que le romancier ne prend pas fait et cause pour ses personnages mais qu’il se sert d’eux comme des pantins afin de dévoiler ce qui se joue , en profondeur, sous les apparences et les faux -semblants; c’est une entreprise au service de la vérité mais d’une vérité intime qui n’est pas toujours bonne à dire; c’est aussi une entreprise de destruction qui révèle l’envers du décor et les petitesses des hommes; parfois le lecteur hésite entre une lecture ironique et une lecture sincère et il ne sait pas s’il faut es moquer des personnages ou les plaindre; Difficile de faire deux en même temps et c’est pourtant ce que réussit parfois à obtenir Flaubert.

31. octobre 2015 · Commentaires fermés sur La vie de Flaubert : un roman ? · Catégories: Divers · Tags:

D’aucuns prétendent qu’il ne faut pas chercher à expliquer une œuvre littéraire en s’appuyant uniquement sur la biographie d’un artiste, et ils ont souvent raison; Néanmoins, il est difficile d’échapper totalement aux événements qui ont façonné notre personnalité car l’écrivain puise toujours en partie en lui pour inventer ses personnages et leur univers; Voyons donc ensemble quels liens il est possible de créer entre le matériau biographique et les thèmes abordés dans Madame Bovary.

1821: naissance de Gustave Flaubert à Rouen; Son père est un émiment chirurgien qui jouit d’une excellente réputation et qui a été l’élève d’un illustre professeur. (milieu médical, personnage du médecin, désir de devenir médecin ?)

1832/1840 Au collège, Flaubert découvre et admire les romantiques : Hugo, qu’il rencontrera, Chateaubriand, Musset et Lamartine sont ses auteurs fétiches; cette influence perdurera même s’il cherche à s’en détacher ( romantisme = thème présent dans le roman, Emma et Léon se récitent des vers romantiques); Rencontre Elisa Schlésinger dont il s'éprend : il a 15 ans et elle 26; Il commence à écrire en pensant à elle

1842/44 Flaubert à Paris étudie le droit et fréquente les milieux artistiques ; le sculpteur Pradier lui fera rencontrer de nombreux artistes ; les drames : atteint d’un syndrome nerveux, proche de l’épilepsie, il renonce à sa carrière en droit et devient un écrivain à temps complet; décès de sa sœur après avoir mis au monde une petite fille ; chagrin de son beau-frère qui confie l’enfant à Madame Flaubert;  décès de son frère mort d’une septicémie. Convalescence de Flaubert à Croisset.( nombreux drames dans Madame Bovary, chagrin de Charles, fille orpheline, menace de la septicémie pour Hyppolite après son opération)

1846/1851 Flaubert fait la connaissance de Louise Colet avec laquelle il entretiendra d’abord une liaison (à laquelle il mettra un terme en 1855)  et surtout une correspondance où il confie à la jeune femme ses craintes et ses doutes d’écrivain.Commence à voyager avec Maxime Du Camp en Orient notamment. (déception amoureuse avec Louise, crainte qu’elle soit attirée uniquement par le mariage pour l’argent, contraste entre Paris et la Province où il vit reclus à la campagne)

1851/1856 Flaubert travaille à la rédaction de Madame Bovary et se plaint constamment de ses difficultés de style, il expérimente un gueuloir pour lire à haute voix ce qu’il compose et confie à son ami Du Camp la publication de l’ouvrage dans la revue qu’il dirige, en 6 feuilletons; Le procès fera de la publicité à l’ouvrage qui se vendra à plus de 6750 exemplaires en quelques semaines. Flaubert n’est pas condamné et ce succès le conforte dans sa vocation d’écrivain.

1858/1866 Il rassemble ses notes et rédige Salammbô qui paraîtra en 1862; Il voulait ressusciter Carthage et peaufiner son style impersonnel. Le succès du roman fait de Flaubert un écrivain à la mode et il est reçu dans les salons les plus prestigieux. Se lie avec George Sand, compose L’éducation Sentimentale qui n’aura pas le succès escompté ; cette histoire d’amour impossible dans le Paris des années 1848 comporte certains points communs avec Madame Bovary (sentiment de l’échec d’une vie, désillusions amoureuses et politiques)

1869/1880 Flaubert est ruiné par son gestionnaire, le mari de sa nièce  ; après le décès de sa mère, a un dernier succès en publiant les Trois Contes mais ne parvient pas à terminer Bouvard et Pécuchet et il accepte, humilié , une pension du ministre Jules Ferry “parce qu’il ne faut pas crever de faim”

  

27. octobre 2015 · Commentaires fermés sur Flaubert a dit ..composition et style … · Catégories: Divers · Tags:

Disserter sur Madame Bovary nécessite une bonne connaissance de l ‘oeuvre, de sa genèse, des thèmes abordés , du déroulement de l’intrigue et du projet de l’écrivain. Cependant , il n’est pas toujours facile de se fier à ce que Flaubert écrivait. Jugez plutôt ..

 Un livre sur rien ? Ce qui me semble le plus beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, ..un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible.”  16 janvier 1852 lettre à Louis Colet. L’expression livre sur rien a plusieurs sens : livre à propos de rien, sans événement majeur,  sans rien d’extraordinaire qui a comme point de départ une histoire banale, un fait divers commun ou livre qui parle des petits riens de tous les jours, du quotidien, de l’ennui. On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien dans le roman mais la plupart des actions ne servent à rien ou ne mènent à rien et conduisent à la mort des personnages, le rien définitif, le néant.

 Le sujet du romanIl n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et Yvetot donc vaut Constantinople; et en conséquence l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L’artiste doit tout élever.”   Lettre à Louise Colet, 1853 ; Flaubert affirme ici la primauté du style sur les sources mêmes du livre, le sujet . Il reprend en partie l’idéal des Parnassiens qui  considéraient le travail formel comme premier et refusaient le primat des émotions lié soit à l’engagement personnel soit au lyrisme. Maintenant cette affirmation mérite d’être nuancée car certains sujets sont propices à l’écriture. Il est clair que pour Flaubert l’écrivain ne doit pas se contenter de se faire l’écho de certains événements: il doit , au moyen de l’écriture, effectuer une transformation, une transposition du réel. Par élévation, on peut penser que le roman joue un rôle moral et que le lecteur peut ainsi s’affranchir du simple déroulement des faits; l’écrivain extrait du réel des éléments que l’art soumet au jugement du lecteur.
Le style idéalrythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences , et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle , des aigrettes de feu. Un style qui vous rentrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses…( lettre à Louise Colet, 1852.) Ses amis l’engagent à renoncer à son style lyrique et dès lors l’écrivain s’efforce de changer de style, de manière d’écrire ; il adopte souvent un rythme ternaire croissant et travaille ses clausules (les dernières phrases d’un chapitre) ; il s’emploie à bannir métaphores et comparaisons ou donne à ces dernières des référents dévalorisants (tempêtes  et pluies de l’amour comparées à des gouttières bouchées )  et concrets (conversation plate comme un trottoir pour Charles ou tristesse d’une maison démeublée pour le père Rouault au départ d’Emma ) Flaubert s’efforce de construire des joints entre les paragraphes qu’il travaille séparément; Le roman doit apparaître comme un mur uni et on ne doit pas y discerner le ciment entre les pierres; De plus, l’usage récurrent de l’imparfait et la monotonie de ses terminaisons participe à cette sensation de fluidité de la prose; 
de même, les glissements permanents entre discours indirect libre et récit contribuent à créer cet effet de monotonie que Proust admirait et qu’il  décrit comme un “grand trottoir roulant”.¨ L’étude des brouillons de l’auteur nous montre qu’il avait conçu un plan détaillé et qu’il réécrivait la même page plusieurs fois avant de la réduire d’environ 40 % ; Ensuite, il lit à voix haute et nomme cette étape l’épreuve du gueuloir qui , selon ses dires, lui permet d’éliminer les phrases mal écrites. Il accordait donc vraiment  une très grande importance au style : “l’art en soi paraît toujours insurrectionnel aux gouvernements et immoral aux bourgeois.”  déclarera-t-il au cours du procès de 1857.
Genèse et réception :  l’idée est née lors du voyage en Orient ainsi que le nom de l’héroïne; les thèmes sont la femme mal mariée, l’amour inassouvi et certains traits du mysticisme dans un cadre balzacien : affaires d’argent et étroitesse des mœurs provinciales ainsi que le souvenir d’un fait divers tragique de 1848; l’affaire Delamare: cet officier de santé dont la jeune femme adultère, en seconde noces, (Charles est lui aussi veuf d’Héloïse Dubuc) le trompe d’abord avec un gentilhomme (Rodolphe), ensuite avec un clerc (Léon) et s’empoisonne en laissant une fille; Ce dernier met fin à ses jours.(Charles meurt d’amour ?) Le premier scénario comporte les grandes lignes , le second précise les décors et les noms des personnages, les scènes clés et enfin la tonalité ainsi que les ajouts de personnages. Plus de 1700 feuillets de brouillons nous sont parvenus et Flaubert s’est plaint de la rédaction pendant au moins 5 ans. Le roman paraît en feuilletons dans La Revue de Paris dirigée par Maxime Du Camp en six numéros entre octobre et décembre1856 et certaines scènes jugées choquantes sont supprimées sans l’avis de l’auteur (la scène du fiacre). Flaubert est furieux de cette censure et son roman paraît chez Michel Lévy en avril 1857. L’avocat Ernest Pinard demande alors la condamnation de l’auteur, de l’éditeur et de l’imprimeur pour “couleur lascive ” et “délit d’outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs”; Selon le réquisitoire de maître Pinard, le roman fait l’éloge de l’adultère et ridiculise les tenants de l’ordre (pharmacien, médecin, prêtre, notaire) . Flaubert n’est pas condamné mais on lui reproche de ne pas avoir été assez sévère avec son héroïne. Le procès fait de la publicité au roman mais certains critiques littéraires  reprochent à Flaubert ses idées politiques; on trouve également le style trop impersonnel. La postérité: Maupassant et Zola admirent le style de Flaubert et le bovarysme, expression inventée par Jules de Gautier va définir une attitude psychologique qui consiste à trouver la réalité décevante par rapport aux modèles donnés dans la fiction et à se croire autre que ce qu’on est réellement.
28. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Le réalisme de Madame Bovary · Catégories: Seconde · Tags:

Une dissertation sur le réalisme suppose déjà de savoir de quoi il retourne quand on emploie ce mot dans un contexte littéraire …

Une  première définition du réalisme pourrait être celle d’une copie de la réalité mais cette définition semble restrictive. Si l’on oppose le réalisme ne peinture à l’idéalisme classique, on y voit généralement la volonté de montrer le réel avec la plus grande exactitude possible, dans un souci de réalisme mais aussi de Vérité. Ce qui  fait écrire à Stendhal, par exemple, que le roman ressemblerait à un miroir que l’on promène sur une grande route. De ce fait, la question du réalisme dans le roman est liée au mode de représentation : l’oeuvre y reflète une partie de l’expérience humaine et les personnages des romans dits réalistes  ressemblent à des individus particuliers qui évoluent dans un cadre authentique qui forme un arrière -plan à partir duquel le romancier extrait des éléments de leur comportement.D’où l’importance des descriptions vues sous cet angle car elles constituent un facteur important du mode de représentation réaliste.Cependant , Flaubert fait partie de cette catégorie d’écrivains qui se sentent incapables de restituer l’intégralité de la réalité: il avoue se contenter de transposer ce qu’il faut d’authenticité pour assurer la vraisemblance de son monde fictif et donner ainsi l’illusion d’une forme de réalité. Car  l’objectif de Flaubert va au delà d’un simple calque et quand il écrit qu’il “exècre le réel et qu’il écrit Madame Bovary “en haine du réalisme” , cela signifie qu’il remet en cause la perception même de “la fausse réalité dont nous sommes bernés par le temps qui court” ; C’est ce qu’il écrit dans une lettre en 1866 et il faut donc comprendre que dans son roman, il a tenté de déconstruire au moyen de l’ironie les discours convenus sur le monde. Il n’a pas cherché tant à représenter la réalité qu’à dénoncer ce que d’aucuns prennent pour la réalité alors que ce ne sont qu’illusions et mensonges. 

Examinons donc les éléments qui rattachent le roman au réalisme tel que nous l’avons défini au début de cette introduction. Il est indéniable que les description occupent une très grande place dans le roman , car comme nous l’avons montré, l’auteur a besoin de placer les personnages dans un cadre réaliste. La campagne normande forme le cadre principal à travers notamment les nombreux bourgs cités comme Yonville, Quincampoix Brideville, Yvetot et  les quartiers de Rouen , les noms des hôtels où descendent Emma et Charles, Emma et Léon. Le début de la seconde partie, l’arrivée à Youville occupe des dizaines de pages dans le roman, tout cela pour un “paysage sans caractère” ; le narrateur souligne à dessein la platitude du lieu. Rouen , cadre principal de l’idylle entre Emma et Léon est doublement décrite car elle est fantasmée par Madame Bovary qui s’imagine dans une “Babylone” et admire la capitale normande, pour elle lieu de délices .

Beaucoup d’autres éléments du roman, à commencer par son sujet, peuvent se rattacher à une esthétique réaliste; En , effet, Flaubert reprend avec Madame Bovary un motif courant, celui de la femme mal mariée qui reflète les moeurs de cette époque où les mariages d’amour n’étaient pas  majoritaires; Mariées à des hommes plus âgés, loin de leur famille, cantonnées aux tâches ménagères, de nombreuses jeunes femmes s’ennuyaient et cherchaient des distractions pour rompre la monotonie de leur vue conjugale. Le personnage d’Emma prend sa source d’ailleurs dans un fait divers dont fut témoin l’écrivain et de tels cas étaient fréquents. Mais l’art du romancier consiste alors à dépasser la réalité pour offrir au lecteur un portrait des dangers de ces errances sentimentales .

On pourrait également noter parmi les éléments réalistes l’importance des petits détails qui font vrai comme par exemple, tous ces objets dont certains jouent un rôle très important dans le roman. Ils déterminent les relations entre les personnages et leur circulation de l’un à l’autre joue un rôle dans l’intrigue. Non seulement ils renforcent l’illusion réaliste mais en plus, ils prolongent, en quelque sorte, le personnage auquel ils sont rattachés. Les objets durant le séjour à la Vaubyessard reflètent les rêves et les envies d’Emma: c’est pourquoi elle conserve comme une relique le porte-cigares tout bordé de soie verte du Comte que Charles ramasse sur la route. Mais ces objets apparaissent surtout à travers le champ d’un regard: celui du personnage qui les convoite ou les rejette. A l mort d’Emma, son mari sera d’ailleurs incapable de se séparer des objet qui garnissaient la chambre de sa femme : “il ne pouvait se retenir de toucher continuellement  à son peigne, à  ses bagues, à son fichu.” 

Un autre élément qui fait pencher le roman du côté de l’esthétique réaliste, c’est la manière dont Flaubert décrit les corps et les sensations qu’il déclenchent; Emma est d’ailleurs dépeinte comme une sensitive et elle remontrera particulièrement sensible aux odeurs, aux couleurs et aux changements de température.Le récit de l’amputation d’Hippolyte et surtout celui de l’agonie d’Emma regorgent de précisions cliniques; Il en va de même pour les indications de Homais et les termes scientifiques qu’il emploie. La précision du vocabulaire te le recours aux lexiques spécialisés sont ainsi des marques de réalisme et rappellent l’écriture de Balzac et celle de Zola. Les lecteurs de l’époque étaient choqués par ce vocabulaire cru et ces références à la sexualité, à la vie des corps aimants ou souffrants; Ce reproche est l’un des plus fréquents pour ceux qui condamnent ce type d’écriture qu’ils qualifient d’ordurière.

Flaubert a  beaucoup commenté ses difficultés durant la rédaction de Madame Bovary et  certains ont trait , justement, au conflit entre les préceptes du réalisme et la tendance naturelle de l’auteur qui le pousse au lyrisme. Conscient qu’à rester proche de la réalité, on peine à s’élever au-dessus du médiocre, des situations communes et de la trivialité des échanges, l’écrivain doit alors s’appuyer sur la force de son style pour séduire ses lecteurs et les tenir en haleine. Et il confie ce rôle à l’ironie.  Cette dernière a pour but de montrer la désillusion de ceux pour lesquels le réel n’est pas à la hauteur de leurs rêves. Ce regard désenchanté , c’est avant tout celui d’ Emma avant de devenir celui de Léon. Et cette ironie, Flaubert la trouve à l’œuvre dans l’action la plu simple, ou le geste le plus ordinaire ; Ce ridicule intrinsèque de la vie, il tente de le restituer dans son roman mais son ironie nous semble toujours briser les élans lyriques et dénoncer le romantisme des personnages.

En proportion, le romantisme conserve en effet une grande part dans le roman, aussi bien dans l’écriture que dans le contenu lui-même.Par bien des points , en fait Madame Bovary peut apparaître comme une oeuvre lyrique. On y sent en permanence cette tentation du romantisme, que de ce soit du côté des personnages (Emma n’est-elle pas une incorrigible rêveuse ?) ou du côté du narrateur en personne dont les élans lyriques semblent combattus en permanence par l’ironie qui finit par mettre tout esches à distance et par lui ôter sa capacité à nous émouvoir;

Du côté des personnages, en effet, nous trouvons de très fortes influences romantiques; Emma, tout d’abord, a été élevée dans un couvent et abreuvée de lectures sentimentales qui lui ont donné une vision déformée de l’amour; Elle ne rêve que de passions tragiques et s’imagine en héroïne romantique, bravant mille dangers pour aller retrouver son prince charmant. Elle découvre d’abord l’ennui du mariage et de la vie provinciale et lorsqu’elle rencontre Léon, compare cet amour à celui des romans. Rodolphe lui fera découvrir l’adultère et elle pense mourir d’amour quand il la quitte. Flaubert fait donc subir à son personnage l’épreuve de la confrontation avec le réel mais ses illusions ne sont pas encore toutes mortes. C’est ainsi que le projet d’écriture du roman dénonce, à travers ce personnage victime de ses rêves, les dangers d’une vision trop romantique du monde. 

La voix du narrateur, en effet, ne cesse de nous ramener au réel , parce que tout nous invite à le fuir; On a parfois l’impression que Flaubert ne s’attache à la réalité que pour mieux nous en montrer le caractère incontournable et parfois mortifère. Si la vraie vie pour Emma semble ailleurs, elle est pourtant victime d’un véritable empoisonnement et son agonie marque l’un des sommets de l’écriture réaliste de Madame Bovary; Il ne s’agit pas tant de décrire le réel que d’apprendre qu’il n’existe aucun moyen de lui échapper car il finit toujours par nous rattraper. Et ce n’est pas la moindre des leçons de ce roman qui nous laisse un arrière-goût d’échec et de gâchis, comme si quelque part la fiction finissait par ressembler à cet univers étouffant de la bourgeoisie provinciale bien-pensante;

De plus, la dimension réaliste du roman ne résiste pas aux intrigues amoureuses qui s’entrelacent et tissent les fils de la fiction.

21. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Madame Bovary : un roman anecdotique ? · Catégories: Divers · Tags:

Une dissertation sur un sujet à 12 points: suivez le guide pas à pas. Attention une heure par sujet seulement …top chrono.

  • Dissertation mode d’emploi : par où commencer
  • La recherche des limites du sujet : il est essentiel de délimiter son sujet en le reformulant et en définissant les notions (ou mots clés) en jeu; dans notre exemple, il est question de la valeur du roman (anecdotique serait alors synonyme de “sans grande importance”, “détail sans gravité”) mais le sujet peut également être compris comme une référence au contenu du roman (un roman qui raconterait des anecdotes, qui serait basé sur des détails) et on pense immédiatement au projet de Flaubert d'”écrire un roman sur rien”.
  •  On peut donc  commencer à chercher et à noter au brouillon, en vrac,  des illustrations concrètes , à la fois du côté de la postérité du roman (son succès ou son échec) et en réfléchissant aux sources d’inspiration de l’écrivain. on relève tout ce qui fait penser à des détails dans le roman.
  • Les idées notées au brouillons doivent ensuite être organisées méthodiquement à l’intérieur d’un plan. Le type de plan est étroitement lié au sujet. On distingue surtout le plan thématique du plan dialectique qui repose sur l’examen d’une thèse et en seconde partie sur  l’exposé des éléments qui constituent l’antithèse . La conclusion sert généralement de synthèse : elle rapproche et confronte elles éléments des deux parties précédentes et prose une réponse concrète à la question de départ .
Pour notre premier sujet , quel sont les éléments anecdotiques du roman  ?  phase de recherches 
  •  sa source principale est une anecdote ; il s’agit d’évoquer l’affaire Delamarre dont s’est servi Flaubert pour construire l’intrigue; ensuite le roman regorge de petits détails sans intérêt comme les conversations d’Hommes, les multiples descriptions du décor, du cheminement des moindres pensées des personnages; ensuite c’est un roman où il ne se passe presque rien d’important : même le décès de certains personnages comme la première femme de Charles est raconté comme une anecdote; on a l’impression que le romancier choisi un ton volontairement anecdotique pour révéler des informations au lecteur. Tous ces éléments pourront être regroupés dans la thèse qui consistera à prouver qu’il s’agit bien d’un roman anecdotique. 
  • l‘antithèse reposera elle aussi sur différents arguments et chacun d’eux sera illustré par un élément concret extrait du roman; tout d’abord le procès retentissant de 1857 confère à l’œuvre une dimension symbolique; ensuite l’histoire littéraire considère Madame Bovary comme une oeuvre phare, majeure de la littérature française car elle illustre le choc entre réalisme et romantisme ; enfin, derrière les détails on peut apercevoir la vision de l’auteur sur ses contemporains et c’est ce regard posé sur la société qui éclaire encore aujourd’hui notre compréhension des hommes.
  • CCL: un roman qui , parti d’une anecdote a su devenir un outil de découverte des consciences et joue ainsi un rôle de premier plan; Pour preuve; le bovarysme désigne même encore de nos jours une attitude de certaines personnes incapables de faire la différence entre le réel et son image dans les romans à l’eau de rose.
  • Vous trouverez en pièce jointe une dissertation rédigée et un plan détaillé. (il suffit de cliquer sur la clé USB rouge)