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Classé dans (Correspondance) par la Vieille Garde le 27-11-2013

“Quand 900 ans comme moi tu auras, fatigué aussi tu seras”

Maître Yoda au jeune Skywalker, dans le Retour du Jedi, 1983.

Cher Cassis,

j’eus pu vous rétorquer “tu sais c’qu’y t’dit l’grizzli” car je crains bien que l’ours mal léché ici décrit ne soit que vote humble serviteur. Nonobstant l’existence de cette possibilité laconique de réponse, laquelle ne me sied pas, et comme  tout ce qui est entrepris sur ce Torchon est à visée pédagogique, de plus, attendu que je cumule des points et des lignes depuis des mois en n’écrivant pas (je note l’ambiance jeux vidéo, alors, je m’adapte), je développerai ma réponse.

Permettez moi, monsieur du Cassis, de vous signifier en premier lieu à quel point je suis flatté que votre Altitude consente à abaisser son regard jusqu’à moi, tant il est vrai que le physique herculéen que vous développez vous peut de moi éloigner. Vous le soulignez fort bien, le Temps, qui vous fortifie chaque jours, accélère mon déclin et me voici au bord de l’abîme, tel ce cher vicomte François-René, prêt à descendre dans la fosse. Mme D., il y a peu, en ces pages, évoquait cet irrémédiable outrage qu’il nous faut subir, endurer, jusqu’à en mourir. Que tous ces voiles, que ces vains ornements du quotidien nous pèsent. Vos jeunes épaules, dignes de celles du divin Atlas, ne peuvent mesurer à quel point le quotidien de ces jours sans fin et sans soleil est une épreuve. La vie qui s’écoule en vos veines avec l’abondance et la vigueur d’un torrent de printemps dévalant les pentes alpestres d’une vie prometteuse, bercée par les cieux céruléens et quelques rares nuages adamantins, ne peut certes pas comprendre combien, à partir d’une certain âge, lequel vous conduit irrémédiablement à vous trouver dans un certain état, il s’impose à vous de regarder la cruelle vérité en face, de contempler votre miroir et vos analyses de sang, vos rides et votre bilan cardiaque et de vous dire que vous fûtes, que, certes, vous êtes encore et que, sous peu, hélas, vous ne serez plus. Vous savez ce non fui, fui, non sum, non curo des latin, au détail près que, moi, cela me soucie!

Monsieur du Cassis, je suis donc las.

Cependant, je dois aussi confesser que votre billet plein d’humour est parvenu à m’arracher tout à la fois un sourire et à me plonger dans des abîmes de perplexité et des affres de réflexion. Vous dérangez mon raisonnement, monsieur,  et voici qu’au sens pascalien du terme, vous me divertissez. Nous ne sommes maîtres de rien ni de personne, à peine parfois parvenons-nous à avoir sur nous-même quelque empire. Je le déplore. Toute chair un jour doit cesser de vivre et disparaître en un souffle. Il me semble qu’il est sage d’anticiper cela, afin de s’y préparer. Il me semble sage de se devoir du monde retirer, afin de réfléchir, de méditer, d’observer. Or, voici qu’à ces funestes et funèbres propos, indignes de Bossuet, à l’instar de vos camarades, vous vous présentez avec toute la folie de votre âge, de vos remarques de vos requêtes. Mon premier mouvement fut de ne voir dans vos propos que l’intrusion en ma quiétude, relative, d’un vent de folie. Me souvenant qu’ Erasme, en son temps, en rédigea l’éloge j’accédai au  second temps de cette valse hésitante et percevai ici un appel du devoir que je me fais d’être toujours présent pour les zélèves.

Monsieur du Cassis, je serai donc là.

Songez alors, jeune insouciant, que vous eûtes l’audace, l’impudence et l’inconscience de réveiller un vieux grizzli en lui promettant le miel de délices intellectuels. Que vous l’assurâtes de le griser et de l’enivrer de vos propos et réflexions et que vous poussâtes jusqu’à faire preuve d’une folle assurance, persuadé de le pouvoir satisfaire et d’être à la hauteur de ses attentes. Vous eûtes, monsieur, le verbe haut. Soyez à la hauteur de ce que vous promettez. Sans quoi, monsieur, c’est à juste titre qu’il vous faudrait me redouter: vous auriez à subir mes railleries, mes réparties cinglantes, vous seriez condamné au bagne de mes éternelles sorties culturelles à bicyclette, vous découvririez que plus encore qu’ Harry Potter, il y a en moi du Severus Rogue.

Monsieur du Cassis, êtes-vous toujours là?