Ayant droit à “ma” rubrique, je m’autorise tout, et puis, c’est bien connu, il ne faut pas contredire les malades, surtout les quadragénaires, ils sont en crise de milieu de vie, si tant est qu’ils vivent jusqu’à 80 ans, ce qui est, certes, possible mais relève aussi d’une certaine confiance en l’avenir. Bref, je ne suis pas in articulo mortis, mais, de nombreux souvenirs affleurent en ma mémoire et le fait que je sois plus souvent en communication avec certains de mes amis oriente particulièrement ces souvenirs vers la période qui me vit exercer en des terres hostiles et lointaines, en des contrées qui relèvent à peine de l’autorité du roi de France, vers ce que l’on nomme encore le département du Nord, plus précisément vers la bourgade de Fourmies, laquelle n’est française que depuis 1659 et le traité des Pyrénées, et croyez moi, cela s’entend encore très bien. Je m’autorise donc à me faire mon propre biographe, il parait que l’on est jamais si bien servi que par soi-même, et vais faire défiler sous vos yeux quelques souvenirs qui feront comprendre à nos zélèves combien le monde change vite. Mon objectif est aussi de révéler les attraits d’un coin de département que j’aime toujours beaucoup, dans lequel je retourne tous les ans (sauf fracture du fémur) et, ainsi, de lutter contre une image particulièrement détériorée dudit coin de département. Regardez, c’est tout au Sud. Fourmies.
Ainsi, en ces temps antédiluviens, alors que je n’avais que peu subi des ans l’irréparable outrage, que seuls quelques fils d’argent indiquaient que j’étais plus âgé que les lycéens auxquels j’allais enseigner, je quittai mon Poitou natal et, au terme d’un périple qu’il me faudra narrer ici, j’arrivai, muté sur mon premier poste d’enseignant, à la cité scolaire Camille Claudel, ville de Fourmies, département du Nord, à la frontière de la Belgique.
C’était en été, je venais d’être titularisé, intégrant ainsi l’univers impitoyable de l’Education Nationale, avec toute la candeur et la naïveté qui me caractérisaient déjà. En ce 4 juillet, date de la proclamation de l’indépendance des Etats-Unis, je prenais le train, avec un mince bagage, effectuant un aller-retour de 14h de train sur la journée, pour une courte entrevue dans ce qui allait devenir mon premier établissement en tant que titulaire. Je partis ainsi fort tôt le matin, de Poitiers, arrivais à la gare de Montparnasse, pris le métro, ligne 4 direction porte de Clignancourt, descendant gare du Nord, pour prendre le train corail direction Maubeuge, (carte) dont je n’espérais même pas voir le clair de lune, ce qui, malgré tout, quelques années plus tard, fut fait. Le train cessait son trajet à Aulnoye-Aymeries (carte), ex grande gare de triage, de rang européen, qui, dès le début, montrait que le Nord sinistré n’était plus, pour moi, un sujet d’étude de carte ou de documents pour préparer mon concours, mais, une réalité. Je reprenais à nouveau le train qui s’arrêtait à Avesnes (carte), dont j’ignorais alors les splendeurs architecturales et les bastions, là je devais prendre un bus, lequel s’arrêta, fort heureusement, au feu tricolore, sis à la dextre d’une placette, enherbée et toute verte (j’y reviendrai, dans le Nord, la végétation est toujours verte, y compris le 15 août), sur laquelle se trouvait, tel un OVNI, pour mes yeux de Poitevin, une friterie!
Que ceux qui n’ont pas vu le spectacle de Dany Boon ‘as baraque’ remédient d’urgence à la chose, ils m’épargneront d’avoir à décrire ce qu’est une “baraque à frites” ou friterie. Qu’il me soit uniquement permis d’évoquer la stupéfaction qui était la mienne, jamais je n’avais vu ou entendu parler de quelque chose ressemblant à ce que je découvrais alors et, pendant que le bus reprenait sa route, je tournais la tête, collé à la vitre, ne pouvant détourner le regard de cette étrangeté. Je commençais alors à suspecter quelque chose. Le monde ne ressemblait-il pas au Poitou? Où étais-je en train d’arriver, qu’allais-je faire en cette galère?
Pour qui aime le Poitou, c’est à dire tout individu normalement constitué et sain d’esprit, pas simple d’esprit, (c’est ironique Aloïs, ironique!) une maison est faite de calcaire et couverte de tuiles plates ou d’ardoises. Allez savoir pourquoi, dans le Nord, c’est de la brique et de l’ardoise, au mieux, plus souvent des plaques, de… je ne sais trop quoi en fait. Ce fut un sentiment assez désagréable au premier abord, mon sens de l’esthétique se trouvait offusqué, seul l’usage de la pierre bleue, que l’on utilise aussi pour réaliser le ballaste sur les voies ferrées, trouva grâce à mes yeux.
En revanche, le paysage m’émerveillait, un paysage de bocage, des prairies que là-bas on nomme pâtures, (tout ce qui concerne le langage des autochtones sera abordé ultérieurement, il faut avancer avec prudence lors d’un choc culturel aussi flagrant), la verdure, sous le soleil, là, j’ai eu beaucoup de chance, il faisait soleil ce jour! (en ce qui concerne le climat, ce sera comme pour le langage, plus tard).
Et finalement, j’arrivai au terme de mon périple, le bus me déposant devant la gare, en briques, naturellement. Il me fallait désormais trouver la route du lycée. Je pensais naïvement que mes aventures s’achevaient sur ce parvis de gare, elles ne faisaient que débuter… je n’avais encore parlé à personne…