Cet “article” n’évoquera pas la plus médiatique des pénuries du moment, à savoir celle qui touche nos stations services d’essence, nenni, nenni, mais une pénurie plus rare, voire exceptionnelle : la pénurie d’élèves dans nos classes cette semaine 🙁
Des enseignants bientôt au chômage technique ?
On voudrait bien ne pas y croire, pourtant, c’est bien ce qui se profile si nos chères têtes blondes ou brunes ne rallient pas dès demain les salles de cours… Plus (ne pas prononcer le “s”) d’élèves = plus (ne pas prononcer le “s” non plus) de profs : l’équation est aisée…
Nos zélèves sont-ils victimes de la raréfaction du carburant dans les stations services, raréfaction entrainant des restrictions dans l’approvisionnement des véhicules des français (ceux des profs y compris ;)) ? Nenni : ça se saurait si l’or noir ne coulait déjà plus dans le secteur… Non, nos zélèves sont victimes de flémingite aigüe.
Flémingite aigüe : kézaco ?
C’est la flemme : la flemme d’aller en cours quand la moitié des zélèves de la classe est qui en Italie, qui en Espagne, et se la coule douce sous le soleil du sud… Eh oui, c’est la semaine des voyages linguistiques et tous nos zélèves n’ont pas le bonheur d’y participer… Injuste, la vie ? Et encore, ce n’est qu’un avant-goût de la vraie vie 😉
Le problème qui se pose aujourd’hui (J + 3) aux enseignants qui n’ont, eux non plus, pas le bonheur d’encadrer ces voyages scolaires, c’est d’assurer aux ouailles restantes des séances de cours hautement pédagogiques, riches en animation, en réflexion, en dynamisme, en culture, en… Riches comme une séance de cours ordinaire quand elle se déroule grâce à la participation coopérative de quelques 25 élèves, en somme !
En trois jours, on a perdu, dans une certaine de mes classes de 3ème, 75% de l’effectif restant ! Comme si le Brevet était joué d’avance ? Alea jacta est ?
Travailler, c’est trop dur…
Que faire quand seuls cinq élèves seulement daignent faire l’effort de venir s’instruire ? Saluons, au passage, ces esprits assidus : les journées doivent leur paraître bien longues, cette semaine… Que faire ? Une analyse de sujet de brevet des collèges ? Ce fut fait lundi : Saint Exupéry au programme ! De la grammaire à cinq ? Moui… C’était envisageable, mais peu vivifiant… Une dictée ? Des exercices de réécriture ? Toujours possible…
“On r’garde un film, M’Dame ? Allez, siyouplaît, dites oui !!”
Comment lutter contre leurs yeux implorants ? Comment ignorer qu’ils sont en droit d’implorer un petit morceau de ciel bleu eux aussi, quand leurs pairs goûtent aux joies du tourisme latin ? Comment faire faire un exercice de grammaire à Melvin quand il s’est mis en tête de vous faire écouter tout Piaf, Brel et autres Brassens, voire même Boris Vian et que, vous ayant devancée dans la salle, il a déjà connecté votre PC sur YouTube ???
Alors on cède : faiblement, on ose suggérer un film PEDAGOGIQUE… “Ouais, on s’fait Django, M’Dame !” Euh, Tarantino ? Laissez-moi voir… C’est non. J’ai dit “hautement pédagogique”… La liste de Schindler… Spielberg, c’est bien, ça, Spielberg, en 3ème, non ?
Les collègues d’Histoire à la rescousse -c’est toujours prêt à rendre service, un collègue d’Histoire : ils me prêtent une heure sur leur programme pour que je ne “gaspille” pas toutes les mienens- et le ton hautement pédagogique est donné : on est dans l’autobiographie, puisque le film est basé sur les témoignages des “juifs de Schindler” recueillis en un livre par Thomas Keneally (ce même roman qui a longtemps trôné sur l’étagère dans ma salle mais qu’un élève a dû, un jour, omettre de me rapporter…), on est dans le programme d’Histoire, on est légitimes… Et quand les zélèves assistent à la liquidation du ghetto de Cracovie, il arrive même qu’on soit dans l’émotion…
Les voyages forment peut-être la jeunesse, mais pas toute la jeunesse : espérons que, demain, toutes mes têtes blondes ou brunes restées au pays reviendront voir la fin de cette épopée incroyable, et recevoir une leçon d’Histoire et d’humanité… A défaut de leçon de grammaire…