Et non je ne veux malheureusement pas parler de Périclès, mais de cette application intrusive… Et John-Rachid nous a gratifié d’une vidéo plutôt bien ficelée sur le sujet…
La ville que nous venons de laisser, vous l’avez compris, était peuplée, puisqu’il me fut permis de mentionner la présence de ses habitants. Habitants dont j’appris à me rendre compte que d’aucuns conservaient un vocabulaire et des intonations très “ch’ti”, alors que d’autres, sans doutes sous les effets de la centralisation propre à notre Etat, avaient acquis une expression plus “lisse”.
Lors d’un de mes premiers cours, en seconde, j’interroge un élève du dernier rang, lequel me répond……eh bien, je ne sais pas quoi en fait. Je lui demande de bien vouloir redonner sa réponse, ce qu’il fait, plus fort, je m’en rends compte, sans que cela ne facilite en rien ma compréhension. Troublé je quitte mon bureau, m’approche de lui, lui présente mes excuses et lui redemande sa réponse. Laquelle je ne comprends toujours pas! Panique à bord. Suis-je, à moins de 25 ans, en train de faire un AVC? Mes oreilles sont-elles en train de me lâcher? Suis-je victime d’une émission de télévision humoristique, pire, d’un complot de la classe? Mon cœur bat très vite, j’ai du mal à déglutir derrière ma cravate (bien sûr que j’avais déjà une cravate!), j’ai des sueurs froides, je perds pieds c’est l’horreur, mon univers s’effondre, je suis grillé, je perds toute crédibilité, j’ai 32 garçons en face de moi qui veulent en découdre et me regardent attentivement, pour une fois, et nous sommes, seulement, le 5 septembre! Je ne finirai pas l’année, c’est certain.
En ultime recours, incapable de réfléchir, agissant au radar, je lui redemande une réponse et c’est alors, que, consterné il me répond en articulant “je sais pas”. Miracle, je comprends!!! J’évite, cette fois, le passage aux urgences et tente d’analyser la situation. Le brave garçon, Anthony P. par trois fois s’était contenté de me dire négligemment ‘ch’sais nin mi”. Ce qui, en français courant devient donc: “je ne sais pas, moi”.
Passons en revue quelques autres situations qui, passées ce choc, se montrèrent moins anxiogènes:
-Nicolas L.,( devenu depuis gendarme, passé par l’école de Châtellerault, j’ai assisté à sa remise de galons!) : “ch’uis en r’tard à cause d’la drache”. Il me fallait comprendre que le garçon, cycliste, comme beaucoup de monde dans le Nord, s’était vu victime d’une averse qui l’avait retardé. Chose curieuse, je n’avais pas de bicyclette dans le Nord, tous mes trajets se faisaient à pieds, ou bien véhiculé par quelques charitables personnes.
-Si un élève vous dit “m’sieur, j’vais quer une cayelle”, en dépit du suffixe en “el”, vous ne devez pas imaginer qu’il y a là une invocation hébraïque au Tout Puissant, non, mais, tout simplement, il manque une chaise dans la salle et il va en chercher une.
-Si un élève à un “trou a’m maronne”, il a un trou à son pantalon. Lequel peut être lié à une pointe dépassant de la cayelle précédemment évoquée.
-Si un élève vous parle de sa “jaquette”, inutile de penser qu’il assiste au derby d’Epsom ou à quelques mondanités locales chez la princesse de Chimay, non, il évoque sa veste, fut-elle de survêtement.
-Si un élève vous demande si vous aussi vous allez “a l’ ducasse”, oubliez encore les mondanités et un chef étoilé, il vous demande si vous allez à la fête foraine. D’ailleurs, de manière générale, il y a peu de mondanités dans le Nord.
-Si un parent d’élève vous dit, lors de la réunion parents-professeurs, que son fils, A., a “muché” son bulletin, vous comprenez, étant professeur principal de l’élève, qu’au vu de l’état du bulletin, il a préféré le subtiliser afin de le dissimuler. Ou bien il a raconté des “carabistouilles” à sa mère!
-Il y eut parfois des débats: “eh m’sieur, y’a des grêles”. Là, nous avons discuté 10 mn, dictionnaire à l’appui (rappel, toujours le XXIè siècle juste entamé, pas d’ordinateur dans les classes, de portable avec la 4G etc) afin que tous acceptent, ou plutôt fassent semblant, pour que je les laisse en paix, que l’on dit: il tombe de la grêle, sachant que cette dernière est constituée de grêlons.
Ce genre de débat nous en eûmes aussi pour la cliche, qui est en fait la clenche. Ou bien à propos de la prononciation du mot “oui”, que l’on entend plutôt sous forme de “u-i”.
Notons que le débat devait parfois atteindre la salle des professeurs, et cela faisait du monde, nous étions près de 200, avec 2000 élèves, puisque, là aussi on me parlait de réunions “entre les midis”. Comment ça entre LES midis? Y aurait-il parfois deux “midi” dans la journée?
Le vocabulaire n’est pas toujours utilisé de la même manière, dans le Nord, et donne à certaines tournures une saveur inimitable, qui permet de reconnaître un Nordiste, même dépourvu d’accent: “je ne peux pas le faire”devient “je ne saurais le faire”. Lorsque l’on tend ou rend quelque chose à une personne c’est toujours avec un “s’il vous plait”. On use plus souvent du “fort” que du “très” ainsi les élèves sont-ils “fort dissipés” et non “très dissipés”, j’aime bien, moi, le “fort” utilisé ainsi.
Ce sont là quelques exemples, je suis parti du Nord avec de nombreux cadeaux dont un livre du type “le ch’ti pour les nuls”, et le livre est épais! Ces quelques exemples, donc, sont autant de marqueurs sociaux ou régionaux. Certains s’en gaussent, ou raillent les intonations chuintantes que l’on trouvait, ou moquent l’accent un peu traînant. C’est finalement assez ridicule d’agir ainsi. Il s’agit là d’une question de racines, de particularités, d’un héritage, d’un patrimoine même.
Ainsi, Nordistes de tous les pays, sachez-le, je comprends le spectacle de Dany Boon “as baraque” sans recourir aux sous-titres et c’est la main sur le cœur, en bon Nordiste d’adoption, et fièrement, que je chante “le pt’it quinquin”, regrettant seulement de ne pouvoir le chanter aussi bien que vous!
C’est peut être ce qui explique le climat, car, là il faut aborder la vérité qui fâche, le climat, dans le Nord…