En cette vesprée ensoleillée et chaude, je risquai mes béquilles et ma personne en dehors de mon lieu de claustration. Cela fait 3 mois que je suis allongé jour pour jour, les progrès tardent un peu à mon goût mais soit.
Parvenu au seuil de la porte, que je ne dépassai guère, mes narines privées de l’air libre depuis 3 mois, se sentirent assaillies de tous côtés par maintes effluves, agréables ou pas. Ce fut un maelstrom olfactif. Diverses fleurs, mais aussi les odeurs urbaines moins agréables, bref, un univers oublié rejaillissait.
Hier j’évoquais le croquet comme étant une de mes madeleines, la plupart de nos lecteurs et les zélèves sont certes très jeunes mais je pense qu’ils peuvent déjà avoir de ces souvenirs de jeux que l’on pratiquait enfant et qui nous font plonger avec délices dans l’univers étrange des souvenirs. Je désire faire porter ce soir le débat, la réflexion, sur les odeurs.
As-tu, ô lecteur, des souvenirs olfactifs qui te font tomber en transe?
Il me faut reconnaitre en avoir beaucoup, mais, je pense que, là aussi, la quantité de souvenirs est directement liée à l’âge de l’auteur. Age qui me permet de m’autoriser à vous gratifier de quelques exemples, en ce fort bref article, afin de lancer le mouvement et avant que vous ne complétiez les choses par vos propres remarques.
Ainsi, les odeurs de seringat, de muguet, de buis me renvoient sur les lieux de mon enfance, tout comme les feuilles mortes brûlées en automne, les sous-bois en cette même saison. Les tableaux et la craie avec le bois sec me renvoient dans mes salles de cours de collège, l’humidité et la fraicheur des églises en été à des voyages scolaires en Espagne ou Italie etc.
Je ne cesse de m’émerveiller devant les capacités de notre cerveau. Tant de choses nous semblent oubliées et, soudain, il suffit que quelques molécules parviennent à nos narines pour que, plus sûrement que par n’importe quel procédé de téléportation, nous nous retrouvions propulsés dans le temps et l’espace en des lieux et périodes dont nous n’avions plus aucun souvenir conscient. Et vous, ô lecteurs, quelles odeurs vous font voyager et retrouver une âme d’enfant?
A l’heure où l’on ne parle que de football, comme si cela pouvait avoir un intérêt quelconque, comme si ce sport pouvait avoir un intérêt, il me semble capital de parler d’une discipline olympique essentielle: le croquet.
J’ai en mémoire plusieurs boîtes de madeleines, et le croquet est rangé dans l’une de ces dernières. J’ai des souvenirs merveilleux de longues parties en plein air, en compagnie de la reine de coeur, naturellement, ou parfois simplement de mes cousins, sur pelouse ou sur terrain sablé. On entend encore beaucoup parler de croquet, enfin, quand on lit ou regarde Alice au pays des merveilles, sans quoi, il est exact que c’est plus, disons, confidentiel.
Cependant, je me précipite, avant d’exposer la quintessence de cet art, sur la confusion que vos jeunes esprits ne manquent pas de faire entre croquet et cricket. Je ne me soucie pas de possibles confusions dans les vieux esprits puisque je n’évoque ici que des souvenirs antédiluviens, de ce fait, la mémoire de nos lecteurs âgés, fussent-ils en pleine dégénérescence cérébrale, retrouvera automatiquement leurs souvenirs de jeunesse. Afin de me montrer concis et néanmoins précis, je me contenterai de dire que le croquet et le cricket n’ont tout simplement rien de commun. Dans le premier, tout est question de dignité, de mesure, de retenue, de force et de violence policée et contenue, d’esthétisme, n’ayons pas peur de le dire. Dans le second, eh bien, étant de mauvaise foi, je dirai qu’il n’y a rien de tout cela.
Passons à une rapide histoire du croquet et à son côté indéniablement visionnaire. Il semblerait qu’il soit dérivé d’un jeu pratiqué dans les campagnes françaises du Moyen-âge, qui, modifié par les uns et les autres, donna le billard cher à Louis XIV, le golf et le croquet à proprement parler chez les anglo-saxons qui réalisaient ici le tour de passe-passe qu’ils reproduiraient avec le jeu de paume devenu tennis. Avouez que la chose est cocasse.
Ce jeu, désormais pratiqué surtout en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Canada, eut son heure de gloire en France entre 1850 et 1940, ce qui explique que j’ai pu y jouer enfant, voire adolescent, ayant toujours été un grand enfant. Le croquet fut, j’y reviens, en 1900, discipline aux jeux olympiques d’été et les Français raflèrent TOUTES les médailles, y compris celles de la catégorie féminine puisque ce fut le premier sport féminin aux JO. Ah, on rigole moins n’est ce pas! Vous comprenez pourquoi je milite au sein du CPLRDCAJO (comite pour la réintroduction du croquet aux Jeux Olympiques) puisque la France a beaucoup plus de chances de gagner au croquet qu’à l’euro de football.
La pratique en est simple: à l’aide d’un maillet en bois on fait passer sous des arceaux une boule en bois, en buis normalement, pour aller d’une extrémité du terrain à l’autre. De nombreuses variantes existent, mais, le plus amusant est lorsqu’on “croque” une boule: il s’agit de mettre une boule sous son pied, de poser une autre boule à côté et de donner un violent coup dans celle sous le pied afin d’envoyer l’autre hors du terrain de jeu. Attention, il faut savoir bien viser si l’on tient aux os de son pied.
Quoi qu’il en soit, je joins ici deux images qui illustrent parfaitement la douceur de ce jeu. Maintenant, fermez les yeux, imaginez.. un peu plus loin, la table ronde, une nappe damassée, un pichet de sirop d’orgeat, quelques madeleines, une abeille qui bourdonne, entre les verres en cristal et les assiettes en Limoges, vous sortez votre mouchoir en lin pour vous éponger le front en cette belle journée de juillet, au loin, sous le kiosque, la fanfare joue une valse dont quelques mesures vous parviennent, perçues au travers des éclats de rire, ô temps suspends ton vol, …vous êtes au paradis…
Comme dit mon ami François, froid et revêche, c’est bien connu: “la frite c’est la fête, le gras c’est la vie”. Bien, certes, mais si je regarde les taux de mortalité dans le Nord, je ne suis pas persuadé que l’argument santé tienne la route, en revanche, pour tout ce qui est festivités, vous pouvez avoir confiance, les Nordistes savent faire la fête. J’ai plusieurs mariages d’anciens à mon actif et, croyez moi, ce n’est pas la peine de penser, ou espérer pouvoir dormir dans de telles occasions. Comme pour tous les mariages? Je ne sais pas…
Et quels plats peut-on trouver en de telles occasions, ou d’autre, dans les restaurants, ou les baraques à frites du Nord?
En raison de la situation géographique du Nord et du site de Fourmies, la cuisine et la gastronomie sont influencées par divers autres pays et régions, en premier lieu la proche Belgique. Fourmies se trouve ainsi, nous le savons, à la frontière belge, non loin de Chimay, célèbre pour sa bière et son fromage, on pourrait aussi citer le château et l’église mais…
Puisque nous en sommes au fromage, il y a le Maroilles, un carré orange fort odorant qui doit être entamé en biais, le Vieux-Lille et la boulette d’Avesnes. Ah, la boulette, un élève eut l’idée de m’en apporter une en cours, original, essayez! (c’est la photographie) Vous pouvez essayer aussi l’omelette au maroilles, mais, ne sortez pas après.
Si vous vous rendez à Lille début septembre, vous n’échapperez pas à la braderie et à ses tonnes de moules et de frites.
Si l’aventure ‘baraque à frites’ vous tente, là, le choix est large, pensez à la frite fricadelle, ou à l’américain, et, car elles le valent bien, redemandez une portion de frites en plus.
J’ai souvenir d’une visite, avec des terminales, d’une distillerie de genièvre, je n’en ai pas bu, mais, les vapeurs qui se dégageaient suffirent à me rendre quelque peu pompettes je l’avoue. Je ne savais pas que mes lycéens, à la descente affirmée, pouvaient endurer cela facilement alors que moi, abreuvé de lait de chèvre, je frisais le coma éthylique à simplement déambuler entre les alambics. Toujours est-il que le retour en bus fut… hilare.
Pour ceux qui aiment le chocolat, faites un tour en Belgique, un régal, si vous aimez terminer le repas par un café, idem. Le Nord a, de son côté développé la chicorée, ersatz de café, produit à partir de racines d’endives, (pardon, de chicons, tiens , on continue le vocabulaire aussi). Ce n’est pas ce que je préfère. Si vous avez la bouche sucrée, vous pouvez penser à la confiture de pissenlit, à la confiture de lait, à la tarte au sucre, au libouli (lait bouilli), à la coquille de noël qui est une brioche en forme de couffin que l’on destine plus aux garçons.
Et puis, on pourrait parler de la carbonnade flamande du potjevleesch, ce qui nous conduirait fort loin. Dans tous les cas de figure, vous trouverez des éclaircissements et des recettes sur internet, peut être Florian pourrait-il envisager de cuisiner cela chez lui? Ce serait du dépaysement. Mais avant, il y a le brevet à passer et à réussir.
Dépaysement, c’est bien le mot, lorsque l’on se rend dans le Nord. Les quelques articles publiés ces derniers temps l’auront, je l’espère, fait comprendre, mais, plus encore, j’eus souhaité qu’ils vous donnassent l’envie de vous rendre in situ, afin de voir, de ressentir, de goûter, tout ce que ce département, et plus encore ce petit coin de Fourmies, peut avoir, en dépit de tous ses soucis, comme atouts et attraits. Retourner à Fourmies, pour moi, c’est une cure de jouvence, c’est l’alpha de ma carrière, ce sont de bons moments assurés, quel que soit le temps, ce sont des personnes agréables quel que soit l’état du pays, ce sont des plats et des boissons qui conservent, pour moi, un caractère d’exotisme, c’est, tout simplement, un merveilleux moment de vie. A toutes celles et ceux qui le rendent possible, depuis des années, je dis merci.
C’est avec attention que j’ai pu lire l’article “en souvenir”, rédigé par Aloïs. J’y trouve bien des éléments de réflexion, intéressants, qui, tous, mériteraient des débats, de ceux que l’on peut entamer en cours ou bien à la fin d’un cours, dans un couloir, dans un bus lors d’une sortie, sauf que là, je suis réduit à l’immobilité, donc le débat se fera par écran, ce que je trouve navrant.
J’ajoute que ce ne sera pas véritablement un débat, plus un questionnement, un ensemble d’interrogations qui me sont venues en tête en vous lisant et que je couche sur le papier, sans prétention aucune à l’exhaustivité ou à l’apport de solution. Je serai aussi assez désordonné, dans un commentaire linéaire, je ne souhaite pas faire de plan ou de brouillon, ce serait fastidieux et le but n’est pas un exercice de style, le veillerai cependant à la clarté de mon propos. Ces précisions liminaires faites, le me lance:
Nous pourrions en premier lieu nous interroger sur la pertinence de ce souvenir, à différencier de la mémoire et de la commémoration ou pas, d’ailleurs? Pourquoi et comment se souvenir? Pour entretenir une sorte de culte, pour tenter d’éviter le retour du passé, pour se rassurer quant à notre présent, pour exorciser les peurs de l’avenir en se disant “ça ne pourra pas recommencer”? Vous apportez vos conceptions face à cela, je ne sais si tout le monde les partage, il serait bon aussi de savoir pourquoi une partie de nos contemporains estime qu’il n’est pas nécessaire de se souvenir.
Vous donnez une raison à la montée du nazisme, je pense que ce n’est pas la seule et surtout pas la principale. Cependant, n’ayant pas de lectures universitaires récentes à ce propos, je ne m’avancerai pas plus. Nous avons souvent tendance à chercher de grandes raisons, qui nous renvoient à des idéaux, parfois il faut être terre à terre et, dans le cas présent, ne pas oublier que c’est aussi, mais pas uniquement, un mieux être économique au quotidien qui a permis l’envolée d’Hitler lors des élections.
De la même manière, ce qui est évoqué pour les EU et pour le FN est un aspect de la question, de l’explication, je ne prendrai pas le risque de dire de la vérité. Mais un aspect seulement, il ne peut donc être absolutisé.
Enfin, vous mentionnez des “personnes simples d’esprit”, fichtre, heureusement que vous n’êtes pas une femme politique en vue, vous auriez déjà déclenché un raz-de-marée médiatique! Qu’entendez vous par “simple d’esprit”? A partir de quand l’est-on, selon quels critères? Celui ou celle qui pense ce que vous avez écrit se considère-t-il comme simple d’esprit ou vous comme arrogante, dissimulée derrière un savoir destiné à l’écraser? Il y a là une porte ouverte à bien des questions et débats, plus ou moins stériles. Cette “simplicité” ne renvoie-t-elle pas aussi à des déficiences de la société, du système éducatif, sans même parler des théories complotistes ou alarmistes qui nous valurent des titres de livres comme “la fabrique du crétin”.
Je crois humblement que, là aussi, nous ne pouvons pas comprendre, et nous devons faire des efforts pour être compris. Ce que je veux dire c’est que, ces “personnes simples d’esprit”, choisissent de penser comme elles pensent car, pour elles, il ne saurait en être autrement. Nous n’avons donc pas, en premier lieu, à vouloir les changer, eux et leur manière de penser, mais à nous adapter, nous et nos idées, afin de nous rendre accessibles, de pouvoir rentrer en pleine communication avec elles, dialoguer vraiment et leur faire comprendre alors l’inanité de leurs idées et propos. Sans quoi, on prend le risque de passer pour méprisant. Je profite, ici, de cette possible confusion pour mentionner le fait que le processus décrit dans les lignes qui précèdent est celui que doivent suivre les professeurs, qui, loin de mépriser les esprits simples aux idées étriquées qui sont face à eux doivent entreprendre un long, patient, délicat et exaltant travail de descente, de compréhension, pour repartir ensuite, avec l’enfant, qui est alors élevé, vers des idées plus complexes.
En conclusion, la question n’est pas, selon moi, de savoir si l’on se souvient comme l’on doit, mais si l’on vit et prépare la vie comme on devrait.
Tout le monde le sait, chez l’aigle de Meaux c’est Madame, chez Molière c’est le petit chat, dans les programmes de l’Education Nationale c’est le latin qui est mort, ou qui se meurt, ou qui agonise, normal, me direz-vous, pour une langue dite morte qui, depuis la chute de l’Empire d’Occident, n’en finit plus de sombrer.
Et pourtant, a priori, ce n’est pas le cas puisque, a minima, nolens volens, tous, nous utilisons quelques locutions latines. Le but ici ne sera donc pas de chercher un quelconque casus belli ou de chercher à revenir, à un statu quo ante bellum, arc bouté que je serais sur un mos maiorum passé depuis bien longtemps ad patres. Ce n’est donc pas ab irato que je lancerai une sorte de de profundis ou entonnerai un requiem pour le latin, d’autant plus que ab imo pectore, je sais que, tous, nous aimons ce vestige linguistique, cette racine qui ab aeterno nous relie, et cela per omnia saecula saeculorum, à notre culture antique.
Cependant, on ne peut dire amen à tout ou bien considérer qu’acta fabula est, même si je n’ose plus espérer de quelque deus ex machina une issue nouvelle à la réforme. Aussi, sans vouloir ameuter les foules et clamer urbi et orbi mon inquiétude, je m’autorise à revenir ab initio, ab ove devrais-je dire pour agréer ce cher Christophe Colomb, ou ab urbe condita, pour flatter l’ego des latinistes et historiens patentés, à l’importance de la maîtrise de quelques rudiments essentiels, nécessaires à la compréhension de pans entiers de notre culture, qui ne peuvent s’acquérir qu’avec un minimum de cours, de vrais cours.
Je poserai cette simple question: peut on imaginer un monde sans latin? Quid alors de la compréhension de tous ces monuments antiques? De tous ces frontons que l‘Urbs offrira à la contemplation des zélèves dans quelques semaines? Certes, le latin demande des efforts, mais, que diable, ad augusta per angusta, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire, n’est il pas? Je ne voudrais pas d’ailleurs être sentencieux ad nauseam mais plus rédiger une sorte de vade mecum ad usum delphini, (non, je ne parle pas de Flipper, je tentais une référence historique), et produire un opus ad hoc qui permettrait auxdits zélèves d’assurer leur culture afin de briller et de se trouver lauréats de leurs examens, obtenant ainsi un exeat pour sortir qui du collège, qui du lycée, qui de l’université, peut être même devenir docteur honoris causa, voire causa, un jour pas si lointain. Cela ferait merveille sur leur curriculum vitae et contribuerait grandement à leur cursus honorum.
De facto, il appert que pour atteindre cet objectif, il faut savoir quelques mots de cette langue morte qui ne l’est pas tant. Mais, sur l’agenda de nos vies, une fois de plus, alea jacta est et cette anno domini 2016 pourrait être une annus horribilis pour bien de jeunes esprits qui ne pourront s’ouvrir aux merveilles d’une culture antique, fondement de la nôtre. Moi qui crains de lire aperto libro dans les entrailles des bulletins officiels, craignant une fois de plus que ce soit aut omnia aut nihil, je redoute que ce soit une citation digne des arènes qui doive clore ce modeste laius, et horesco referens, je dis ave caesar, morituri te salutant. Adieu donc, ces comédies de Molière dont on apprenait que leur but était castigat ridendo mores, adieu les cave canem mis sur les portes de quelques atrabilaires misanthropes, adieu le carpe diem du cercle des poètes disparus, adieu la lecture de quo vadis, adieu les écoutes d’un stabat mater dolorosa, adieu Pascal et son cogito ergo sum, adieu nos soucis d’ego, et caetera tout cela ad vitam aeternam? Je ne peux m’y résoudre. Je pense cependant que point n’est besoin de poursuivre et que ces quelques lignes (oui, je sais, j’explose la taille réglementaire d’un écran) prouvent à quel point cette langue est présente dans la nôtre. Peut-on imaginer un cours d’histoire médiévale, à l’Université, sans un mot de latin? Que dire alors de l’histoire antique? Tout cela est tout bonnement impossible. Nous avons, tous, besoin d’un minimum de connaissances en latin, et pas uniquement d’un vernis prêt à se craqueler, comme sur ces fragiles peintures, ces ecce homo, ou pieta, ou corbeilles de fruit qu’il faut parfois faire restaurer.
Cependant, si de lege, constatant de visu que nous sommes contraints à ce nouveau repli du latin face à la marée montante du monde contemporain, il nous faudra nous résoudre à cela. Viendra alors l’heure de la résistance. Manier quelques mots de la langue de Cicéron sera signe de reconnaissance, on saura alors que l’on appartient au groupe de ceux qui refusent, au groupe de ceux qui, contre vents et marées maintiennent. Ce ne sera pas un village d’irréductible, non, ce sera bien plus…
Les cinéphiles ne manqueront pas de me pardonner ce pâle ersatz d’une phrase qui revient souvent dans le célèbre “out of africa”: j’avais une ferme en Afrique. Cette adaptation, au cinéma, du très célèbre roman de la baronne Blixen “la ferme Africaine” eut un grand succès, porté par Meryl Strepp et Robert Redford. Ce n’est cependant pas l’oeuvre que je préfère, de ladite baronne, j’affectionne bien plus “le festin de Babette” lui aussi admirablement adapté au cinéma, avec une manière filmer qui fait penser, à chaque plan, à des tableaux de la grande époque flamande.
Mais je m’égare, ce qui, d’ailleurs, aux dires d’Oscar Wilde, est le propre des sentiments et leur principal intérêt. Cela tombe à pique, comme l’eut dit un grand rapeur Français (oui, je connais des rapeurs) puisque je souhaite poursuivre dans la veine sentimentalo-affective ouverte il y a peu.
Le jardin, dans la pensée, dans nos expressions, dans les cultures mondiales, est toujours un lieu essentiel, de beauté, de promenade, de réflexion, de production. Que l’on pense à l’hortus deliciarum, au jardin à la française où tout n’est qu’ordre et beauté, pour reprendre Baudelaire, aux merveilleux jardins asiatiques si propices à la méditation, au jardin des simples de nos monastères médiévaux, etc.
Le jardin est ce lieu où l’homme, en s’humiliant, se penchant sur l’humus nourricier, s’élève. La marquise de Sévigné disait qu’il n’y avait rien de plus beau que de faner (pas de se faner!) je suis assez proche de cette idée à cela près que je considère que ce soit le jardinage qui soit la plus belle chose. Avant de disparaitre des écrans radar du collège j’avais eu l’occasion d’évoquer en cours devant quelques classes le documentaire “demain” qui mettait en avant de nombreuses expériences à travers le monde qui révélaient que le jardinage permettait, sur de petites surfaces, d’avoir, par un travail manuel, patient et régulier des productions plus importantes, plus respectueuses, de plus grande qualité, que dans l’agriculture conventionnelle. Allant jusqu’à affirmer, et c’est prouvé scientifiquement (summi fastiguii vocabulum) que l’agriculture bio et le jardinage pourraient nourrir 9 milliards de personnes, l’agriculture conventionnelle, peut être pas.
Bref, qui n’a pas jardiné ne connait pas le bonheur de vivre, et ce n’est pas le grand Talleyrand qui me reprochera de la plagier ainsi. Je conseille, et le corps médical aussi, à tous ceux qui souffrent d’angoisses ou de stress, de douleurs articulaires ou lombaires etc, de s’octroyer le bonheur de quelques travaux agrestes sur un lopin de terre. Se pencher sur des graines, des pousses, des fleurs ou des légumes, la faune qui s’y développe, les adventices qui squattent le terrain, tout cela est une source d’apaisement qu’il me tarde de retrouver et que je souhaite à tous de découvrir.
A ce propos, n’étant plus trop en capacité de m’occuper de mon jardin, pour le moment, je désirais savoir si l’on ne pouvait ouvrir un chantier de jeunesse ou bien transformer les TIG du collège en une forme de corvée, les 5è pourraient expérimenter la rigueur de la seigneurie banale de la sorte, ce serait pédagogique, afin que l’entretien dudit jardin soit assuré. Nous partagerions le travail: je donne les consignes, les punis travaillent. je décide, ils exécutent. Cela sonne un peu comme un rapport président/ministre, mais il n’en est rien.
N’avez-vous jamais entendu, voire, prononcé cette phrase, ces quelques mots, sur un ton souvent pensif, ou plein de regrets: “maintenant, je comprends…”
Une compréhension qui, de fait, confine en effet bien souvent au regret, à moins que ce ne soit une véritable révélation, mais on préfère alors le célèbre “eurêka”.
Depuis ce que je pourrais reprendre d’Alice au pays des merveilles et nomme mon jour frabieux, ce fameux 9 mars 2016, celui où mon fémur gauche jugea bon de s’appliquer à lui même des principes géologiques ou physiques de calcul de forces, de point de rupture ou de tectonique des plaques, que sais-je, donc, disais-je, depuis ce 9 mars, je ne fais que confirmer ce que sera sans doutes pour moi l’année 2016, celle du “maintenant je comprends”.
J’aimais la solitude car elle était pour moi une pause salutaire dans la vie trépidante qui était la mienne. Maintenant je comprends qu’elle puisse peser aux personnes âgées seules à l’hôpital.
J’aimais marcher, me déplacer en vélo, faire du jardinage, tel monsieur Jourdain, sans m’en rendre compte. Maintenant je comprends celles et ceux qui pleurent leurs capacités physiques ou intellectuelles envolées définitivement. (j’espère que pour moi ce n’est qu’une question de semaines)
J’aimais le silence, maintenant je comprends les adolescents qui peuvent lui trouver un côté angoissant.
Les exemples sont à multiplier, quasiment ad libitum, mais ce n’est pas cela qui importe.
Nous sommes tous, et plus encore les lecteurs de ce Torchon, enclins à un certain altruisme, hommes et femmes de bonne volonté. Nous avons ce que nos grand-mères nommaient un bon coeur (au fond!). Nous faisons de notre mieux pour comprendre nos prochains et faire preuve de compassion, de sympathie, et je prends les mots au pied de leur étymologie. Eh bien, ô lecteur, ceci ne suffit pas, ceci est un leurre.
Notre compréhension intellectuelle des choses et des situations est vaine. Certes, il nous faut persévérer et toujours agir de la sorte, mais cela ne suffit en rien. Ce n’est pas notre faute mais, ma modeste expérience me le prouve, tant que l’on a pas vécu une situation, on ne peut pas vraiment être pris aux tripes et ressentir pleinement l’émotion de celui avec lequel on essaye de partager le sentiment vécu. Si l’on faisait du latin, surtout cette année, nous parlerions ici de la miséricorde et de la racine hébraïque du mot, mais ne forçons pas les choses.
Je retire donc de tout cela que tout ce que nous vivons, de pénible mais aussi de joyeux, au cours de nos existences, sont de précieux moments qui, élargissant le panel de nos émotions nous permet de rentrer plus pleinement en contact avec nos contemporains, afin de les comprendre et de les soutenir, si besoin. Naturellement, nous aimerions tous éviter le pénible de nos vies, et, je le confesse, je serais bien plus heureux de monter 10 fois par jour mes 3 étages que de demeurer allongé immobile, je serais bien plus heureux de devoir sermonner les uns et les autres, de devoir endurer les pitreries, les inattentions etc de hordes d’élèves que de devoir me contenter de m’en souvenir. Cependant, je n’ai pas le choix. Je suis en revanche persuadé que j’ai le choix de savoir ce que je vais faire de cette expérience. Eh bien je choisis d’en tirer du positif: maintenant je comprends, bien plus de personnes, bien plus de souffrances, de solitudes et j’aurai bien plus de joie à retrouver les escaliers du collège, la marche et le jardinage.
En revanche, ce que je ne comprends pas, ce sont les hérons, car, bon sang, quand on a la chance d’avoir ses pattes qui servent, on s’en sert et on ne reste pas que sur une seule des deux que l’on possède!
Petit conseil de lecture pour convalescent 😉
Cher L.,
A J + même pas 24, tout le collège est en émoi : score 😉 Les réactions fusent, dans la cour, à l’annonce d’une convalescence prolongée, et du remplacement qui en serait la conséquence : “M. Mastorgio est ir-rem-pla-ça-ble-eueueueu !”
Quant à moi, je vais de ce pas en 310 récupérer notre fiston et mon brin d’immortelle : garde alternée compromise, merci pour les corvées qui vont m’échoir pendant que tu te feras dorloter par les jolies petites blouses blanches de 20 ans :