Déc
10

Chers zélèves,

Les étudiants en classe préparatoire sont dans la rue pour soutenir leurs enseignants, dont le salaire est menacé par un projet de réforme de Vincent Peillon, notre ministre de l’Education. On lit beaucoup de témoignages de ces enseignants, ceux-là mêmes qui forment les élites intellectuelles du pays. On entend moins, sur le sujet, les enseignants de ZEP (ECLAIR), les enseignants d’éducation prioritaire, que le ministre voudrait, on le murmure, voir mieux récompensés (entendez mieux rémunérés) qu’ils ne le sont aujourd’hui.

http://www.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2013/12/09/les-profs-de-prepa-on-nous-fait-passer-pour-des-profiteurs_3528163_1473692.html

De mon collège d’éducation prioritaire, tout ceci paraît bien nouveau : je note qu’un enseignant en classe prépa peut gagner beaucoup (beaucoup) plus que moi et ce, en enseignant beaucoup (beaucoup) moins que moi. Mais c’est là une vision simpliste : on le sait, le métier d’enseignant a cette particularité qu’on doit travailler à la maison aux préparations de cours et aux corrections de copies en plus de nos cours : si notre statut est incompris, c’est en partie  pour cette raison, notre temps de travail est difficile à évaluer.

Qu’importe : ce que ces articles sur la contestation des professeurs de classes prépas laissent apparaître, c’est un traitement très inégal des salaires (et du temps de travail en présence des élèves). Davantage, c’est la certitude, hélas, que sans coup de pouce à l’éducation prioritaire, nos zélèves les meilleurs (et croyez-moi, ils sont nombreux à m’étonner par leurs compétences, leur ouverture d’esprit, leur curiosité) ne pourront bénéficier de cette chance de rejoindre les rangs des plus grandes écoles : il n’y a qu’à écouter les préjugés dont souffre encore aujourd’hui notre collège pour s’en convaincre.

Alors, déshabiller Pierre (les enseignants de prépa) pour habiller Paul( nous-mêmes) ? Un peu schématique. Non, mais équilibrer, peut-être, un budget ministériel. Pour que nos zélèves soient formés par des enseignants dont la fonction serait valorisée, le travail encouragé-récompensé, mais peut-être, surtout, pour que les projets culturels, peut-être, vivent : et que l’on puisse réaliser nos rêves d’accompagner nos zélèves au théâtre, au cinéma, au parlement européen, dans les musées, sur les lieux de mémoire, que sais-je encore : toutes ces sorties pédagogiques  dont ils sont privés, faute de moyens pour les  financer. C’est là que le bât blesse. Et pas dans le salaire de mon collègue de prépa qui gagne (tellement !) plus que moi…

Chers zélèves, vous qui rêvez d’intégrer une classe prépa, vous avez la parole. Non pas sur la question des salaires de vos enseignants (on peine toujours, vous l’aurez remarqué lors de votre stage en milieu professionnel, à aborder la question du salaire auprès d’adolescents), mais davantage sur ce qu’est réellement un établissement scolaire d’éducation prioritaire : chaque année, des zélèves découvrent qu’ils sont scolarisés dans un établissement d’éducation prioritaire… Un comble, non ? Lenny, Théo, une idée pour un micro-trottoir en salle des profs ? Et auprès de nos parents délégués, qui sont sans doute les mieux à même de témoigner de la fameuse “réalité du terrain”…

Rencontre futuriste avec des lapins… pas si crétins que ça.

Cette semaine j’ai fait mon stage de 3éme au service artistique du Futuroscope !!!

Une semaine très enrichissante où j’ai pu voir une multitude de métiers qui m’ont tous intéressé :  Infographiste, Web master, Responsable événementiel, Photographe, Cameraman, Chargé de communication, Responsable de l’image du Futuroscope, Directeur marketing et communication. Avec une bonne ambiance quotidienne, un professionnalisme exemplaire et une bonne dose de crétinerie,  le service artistique a été une très bonne expérience pour moi.

J’ai eu de la chance car cette semaine, c’était le lancement de la nouvelle attraction du Futuroscope “La machine à voyager dans le temps” avec les lapins crétins. Une semaine très rythmée, j’ai assisté à l’interview de Dominique Hummel (PDG du Parc)  au sujet de l’attraction, j’ai vu la réalisation du dossier de presse 2014 et des revues de presses, j’ai eu un entretient avec la responsable de l’image du Futuroscope, j’ai fait l’attraction (en avant première) et samedi dernier j’ai été invité  à assister aux coulisse de l’inauguration  de l’attraction, où 1300 personnes étaient invités don 50 journalistes et quelques people.

Une semaine intéressante qui me conforte dans mon choix professionnel.

Déc
06
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 06-12-2013

Cette semaine s’achève : une semaine hors du temps ! Pas de troisièmes, mais un emploi du temps complet avec un petit groupe de quatrièmes volontaires pour inaugurer avec mes collègues d’arts plastiques et d’Histoire -et moi-même- un atelier sur le thème de l’Architecture. Quelle semaine ! Beaucoup de travail, trop de théorie sans doute, des zélèves parfois difficiles à canaliser : vive l’enseignement prioritaire !

Priorité a été donnée, au sein de cet atelier, à Louise, Neslihan, Boutaïna, Salim, Ziane, Maxence, Alison, Benjamin, Jules, Angeline, Emilie, Loïc, Kerahali, Valentin : aux zélèves, en somme. parce qu’ils étaient là pour apprendre autrement. Ils l’ont dit, l’ont écrit : ils préfèrent les activités dans lesquelles ils n’ont pas besoin de tenir un crayon ni de (trop) réfléchir. Sur ce plan, l’activité proposée par Mme Coirault, en arts plastiques, a recueilli tous les suffrages : réaliser une fresque à partir de leur rêve d’un quartier d’Ozon parfait, à partir des photos qu’ils ont prises dans la Plaine d’Ozon, avec de la colle, des ciseaux, des crayons de couleurs…  Pour un résultat surprenant : parce que, l’air de rien, on retrouve dans leurs réalisations l’inspiration Le Corbusier (tiens, tiens, ils ont tout de même bien retenu le “cours” sur Le Corbusier et sa cité radieuse !), l’inspiration Tour de Babel (comme quoi, un peu de culture, c’est très utile), la tour de Pise figure même sur la fresque réalisée par Salim et Kerahali… Penchée, comme il se doit. Pauvre Ozon, cet air penché… 😉

Et je crois parler au nom de mes collègues en écrivant que nous sommes, nous, enseignantes, ravies de cette semaine si particulière : les zélèves  se sont cultivés, ouverts à l’observation de l’architecture, et, cerise sur le gâteau, ont même réussi à considérer que voir le film Métroplolis était une “chance” parce que “rare”. Et le pari est gagné : un petit journal est né : Utopia. Il se compose de 16 pages, et sera diffusé au collège dès la semaine prochaine. Vous pourrez le consulter au CDI. Nos zélèves sont partis ce soir avec leur exemplaire en couleurs : et j’avoue n’être pas peu fière du résultat qu’ils obtiennent : c’est un petit journal dont on n’aura pas à rougir. Un grand merci à Mme Vétaud (notre secrétaire en or) qui a passé une heure sur la touche finale de la maquette et nous a permis d’éditer ce journal dans les temps…

Merci à tous ces zélèves qui ont joué le jeu et, par leur investissement, même inégal, certainement donné aux enseignants l’envie de retenter l’aventure l’année prochaine… Pour ma part, je signe de suite.

Un grand bravo, en passant, à tous les zélèves de l’atelier “Un déjeuner presque parfait” qui ont régalé nos papilles ce midi et nous ont étonnés par leur Très Grande Classe ! Pensez donc, Youssef et Sidi vêtus en garçons de salle, recherchant les mots les plus soutenus pour s’adresser le plus poliment possible aux adultes clients de leur restaurant d’un jour ! Kheira, Flora, Woudé, sourire et entrain à la demande, et toutes celles et ceux qui, dans l’ombre de la cuisine (en coulisses) ont permis à ce déjeuner d’être, non pas presque, mais parfait !

Déc
06
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 06-12-2013

Nelson Mandela en 2005.

Mardi, les zélèves de l’atelier Architecture ont réalisé un reportage-photos à Ozon : l’objectif était de mettre en images la rénovation de ce quartier, en montrant les points positifs de ces travaux de réhabilitation. A retrouver dans le journal réalisé par les zélèves…

Salim a pris des photos sous deux angles bien distincts : les espaces ouverts, lumineux, dédiés à la vie économique du quartier, aux loisirs des enfants et adolescents, à la sécurité des plus jeunes,  les artères de communication (rues, ronds-points, routes), l’importance redonnée à la Vienne et à l’habitat individuel moderne. Le soleil, très lumneux mardi après-midi, a permis de revisiter une plaine ouverte, lumineuse… Pourtant nous avons pu constater que certaines zones d’ombre demeurent : la rue Charles Peguy reste une rue en travaux, seul un côté de la rue a été rénové, le bâtiment H12 fait figure de vestige de l’ancien visage de la Plaine d’Ozon… La lumière réchauffera-t-elle les habitants de ce coin du quartier quand, enfin, ce bâtiment qui n’est plus habité que par trois familles -en attente de relogement- sera tombé à son tour ? Espérons-le.

Voici une vue aérienne de la Plaine en 2012 : depuis, les maisons individuelles ont été construites…

Déc
04
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 04-12-2013

Pour approfondir les connaissances de nos quatrièmes inscrits à l’atelier “Architecture”, un peu d’art… Nous avons parlé de la tour de Babel. Nous avons vu, dans le film Métropolis,  Maria, clônée en  être-robot (donc, le double mauvais de Maria l’angélique), être offerte aux regards concupiscents des fils de la ville haute : elle apparaît lors d’une orgie, vêtue comme une prostituée, et montant un monstre à sept tête représentant les sept péchés capitaux. On la surnomme alors “la Babylone”.

Babylone ? Babel ? Mais quelle est donc cette ville . Mythique ? Réelle ? A vous, chers zélèves, de mener votre recherche documentaire. Toujours est-il que Babylone, figure de la femme pécheresse dans l’Ancien Testament, occupe une place de choix dans l’Histoire des Arts.

File:Whore of Babylon.jpg

Déc
04

“Dis-moi où tu habites, et où tu rêverais d’habiter, je te dirai qui tu es”, voici comment peut se résumer cet atelier proposé à un petit groupe de quatrième cette semaine : Louise, Neslihane, Ziane, Kerahali, Jules, Boutaïna, Loïc, Salim, Emilie, Maxence, Benjamin, Alison, Walid et Angeline ont répondu présents pour participer à cet atelier proposé par Mmes Barret Coirault et Dibot. Probablement motivés par la perspective d’un voyage à Paris, programmé lors des vacances d’avril dans le cadre de l’école ouverte, ils sont venus, dès lundi, se cultiver en découvrant l’architecture.

Un bien grand mot… Quelques cours un peu théoriques avant de se lancer dans la réalisation d’un petit magazine d’information à destination des zélèves de quatrième : depuis lundi, nos chers zélèves ont appris ce qu’est l’architecture, l’art de concevoir l’habitat en respectant un idéal d’harmonie, de bien-être, d’égalité, de sécurité, de confort, de convivialité… Mais laissons-les vous informer d’eux-mêmes sans trop dévoiler les secrets des architectes… Vous lirez leur petit magazine, dont le nom, à lui seul, fait rêver : Utopia.

L’Utopie : une cité rêvée

Utopia (Thomas More, XVIème siècle)

Pour l’heure, ils ont découvert ce que l’Histoire et les arts nous enseignent : depuis l’Antiquité, l’homme civilisé rêve d’une cité, d’une ville idéale dans laquelle les citoyens vivraient en harmonie. De la Tour de Babel au gratte ciel de Dubaï, en passant par Utopia et les réalisations de Vauban, les zélèves ont redécouvert Eiffel et sa drôle de tour en fer, Le Corbusier et sa Cité radieuse à Marseille…  Nous avons osé leur projeter le film de Fritz Lang, Métropolis, un film muet réalisé en 1927 (“Y a pas d’action, M’dame ! Les effets spéciaux sont nuls !”), l’histoire d’une ville imaginaire  (c’est de la Science-Fiction) dans laquelle une partie de la population est opprimée, asservie, au service d’une population d’élite : les plus riches, les nantis.  Métropolis (non, rien à voir avec Superman) est une ville bâtie en hauteur, insiprée de l’architecture de New York : et les hommes y vivent selon leur classe sociale, soit dans les profondeurs des sous-sols, soit dans la lumière de la ville haute. Bien évidemment, Métropolis est un cauchemar. L’opposé d’Utopia, la ville rêvée par Thomas More…

Hier, les zélèves ont réalisé un reportage-photo dans le quartier d’Ozon : récemment restructuré en vue d’améliorer les conditions de vie des habitants. Vous pourrez lire leurs articles, voir leurs photos, connaître le sentiment des zélèves sur ces rénovations dans le petit journal qu’ils composeront pour vous, dès la semaine prochaine. Sous le regard artistique de Mme Coirault, certains ont photographié tel ou tel bâtiment, un morceau de ciel, un morceau de béton, un lampadaire ultra-moderne : avec ces clichés, Mme Coirault propose de réaliser un photo-montage, une maquette d’une ville de rêve : l’inspiration artistique est convoquée, ainsi que la part de rêve. Tous nos zélèves rêvent de vivre, un jour, dans une maison idéale… Nous attendons donc leurs réalisations plastiques pour rêver un peu nous aussi.

A l’origine de cette conception de la ville comme une tour, un récit biblique : le rêve d’harmonie, la tour de Babel… Nos zélèves connaissent aujourd’hui le sens du mot araméen “babel”, surprenant, ils vous le livreront… Ils vous raconteront également cette légende de la Tour de Babel… Rendez-vous est pris pour une visite parisienne de la Tour Eiffel, de la Tour Montparnasse, et de la cité de l’architecture et du patrimoine… Quand on vous dit qu’on les cultive, ces petits…

Déc
04
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 04-12-2013

Petit article pour mes chers zélèves de troisième, absents cette semaine, disséminés ici et là  : qui dans le centre ville, qui dans la galerie d’Auchan, qui en campagne, (jusqu’à Bordeaux pour les plus téméraires), qui en vente, qui en mécanique, qui en aéronautique, qui  en médecine, qui en , qui en boulangerie… Certains ont même choisi de rester dans le cocon du collège pour observer tel ou tel métier : à l’atelier, à la cantine… Vous l’aurez compris, cette semaine, c’est la célèbre semaine des stages en milieu professionnel pour nos zélèves.

Mais ce n’est pas des troisièmes que nous voulons parler ici, c’est pour eux : petit article d’information. Pendant que vous êtes éparpillés “façon puzzle”, pour citer les Tontons Flingueurs, vos professeurs (qui viendront malgré tout vous rendre visite cette semaine : parce que vous le valez bien) s’en donnent à coeur joie auprès des zélèves de quatrième ! Projet innovant (en tous cas, chez nous, c’est une innovation) : cette semaine est banalisée pour tout le niveau 4ème.

Les sixièmes et cinquièmes voient leur emploi du temps modifié : et pour cause ! Les professeurs qui enseignent en quatrième sont indisponibles puisqu’impliqués dans les projets avec les quatrièmes. Donc, pour les petits, c’est une semaine un peu hors norme : par exemple, je crois savoir que certains cinquièmes de M. Santa Cruz vont faire quelques heures de grammaire (de la conjugaison) avec Mme Le Nezet. Et pendant ce temps, pendant que ronronnent les petits, béas d’admiration devant ces nouveaux professeurs qui viennent remplacer, momentanément, les leurs, trouvant à Mme Le Nezet un charme tout à fait  envoûtant (“Vas-y, comment elle sait trop bien nous dire c’est quoi le passé simple de l’imparfait”), un ils-ne-savent-quoi de zen dans la posture qu’ils opposent mentalement à la bougeotte notoire de M. Santa Cruz, pendant que les petits, donc profitent d’une parenthèse dans leur quotidien de collégien, les quatrièmes, eux, font de grandes découvertes.

On leur a proposé différents projets, ils en ont choisi un : ils pouvaient passer une semaine à cuisiner, à sculpter de la pierre, à fabriquer des fusées à eau, à réaliser des portraits, à préparer le voyage en Auvergne, à faire du Hip-Hop, à découvrir l’architecture : on le voit, les activités sont variées. “Cuisiner pendant une semaine, c’est des vacances, ça !” , me répondrez-vous, chers zélèves de troisième… Que nenni ! Demandez à Youssef, à Kheira, si ce sont des vacances : ils doivent composer le menu, calculer le prix des matières premières et respecter un budget, élaborer (ou suivre !) des recettes, apprendre à équilibrer un menu, et à servir des clients. Par exemple, ce projet fat appel à plusieurs compétences et savoir-faire : et ceux qui n’en ont à la base pas, apprennent. Vendredi midi, nous sommes invités au restaurant de Miss Presque Parfaite !

L’objectif pédagogique est de travailler autrement avec nos zélèves de quatrième : le défi est relevé. L’air de rien, cette semaine, nous avons misé sur une pédagogie autre, et comptons bien éveiller, cultiver, intéresser nos chères têtes brunes et blondes… Pari relevé, en tous cas, par vos enseignants et, croyez-moi,les bruits de salle des profs sont unanimes : “C’est une semaine palpitante : les zélèves jouent le jeu et on ne s’ennuie pas !”

Nov
30
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 30-11-2013

Une du 4-5 décembre 1983

Nov
30
Classé dans (Le vendredi, c'est journalisme !) par Agnès Dibot le 30-11-2013

Chers zélèves,

A lire, ci-dessous, un article publié dans Le Monde le 3 décembre 1983 (une archive, donc…)

“Frisés ou pas, marchons ensemble”

LE MONDE | 06.12.1983 à 00h00 • Mis à jour le 27.11.2013 à 10h25 |Par NICOLAS BEAU et DANIEL SCHNEIDERMANN.

Près de soixante mille manifestants ont défilé, le samedi 3 décembre 1983 à Paris, de la place de la Bastille à la gare Montparnasse, au terme d’une marche de 1 200 kilomètres commencée le 15 octobre à Marseille par des jeunes d’origine immigrée, avec comme mot d’ordre l’égalité et la lutte contre le racisme. Deux autres marches suivront en 1984 et 1985.

S’il ne fallait garder qu’une image du 3 décembre, ce serait celle de Christian Delorme, prêtre devant l’Eternel, Rufus parmi les Beurs (1), encadré, soutenu au terme de ces 1 200 kilomètres par Toumi, le musulman, et Youda, le juif. Et eux trois, et les trente-deux marcheurs, portés à la fin de la manifestation par une foule grave, immense et silencieuse jusqu’au podium dressé à leur intention. Et là, une sono à faire vaciller la tour Montparnasse, des kilos de trac pour Nassira, ses notes devenues soudain illisibles, le ministre à la tribune tutoyé, rudoyé, applaudi et sifflé avec une même ferveur et enfin les formules-chocs de Farouk, le poète de la troupe, qui s’adresse à Paris avec des accents de Malraux. Au pied du podium, sœurs, mères, cousines des jeunes ” assassinés ” psalmodient des versets du Coran, chœur antique de la messe médiatique.

Une apothéose. La naissance dans ce quartier moderniste d’une conscience beur. Un de ces rares rassemblements à caresser l’histoire et le rêve d’un 3 décembre qui serait le 1er mai chaque année de l’égalité et de l’antiracisme. Une France métissée pour quatre heures de calme colère, qui a marché entre Bastille et Montparnasse avec la babouche et la pantoufle du comité de coordination des marcheurs, une France de toutes les couleurs qui a accueilli avec des vivats de 14 juillet ces trente-deux marcheurs, vedettes du jour, vedettes d’un jour. ” C’est trop d’un seul coup “, confie Abed.

Au premier rang du cortège, ils sont là, les trente-deux, émus, silencieux, interloqués. Abdou se retourne sur ces milliers de manifestants qui ont investi les rues : ” C’est la première fois, dit-il, que je goûte au bonheur. Je voudrais les compter un par un. ” Et Toumi, ce fils de harki, blessé grièvement par un policier, qui sur son lit d’hôpital eut le premier l’idée de cette marche, déjà une larme à l’œil et peut-être bien deux, affirme : ” Le message a été entendu, c’est parti, on réussirai ! ” ” On ne parlera plus jamais des Minguettes, estime Djamel, trésorier de l’association S.O.S.-Minguettes, cette ZUP près de Lyon, comme une cité de délinquants et d’incendiaires de voitures. ” La petite troupe s’est muée du pont Sully à la Bastille en une immense colonne de la fraternité.

Les marcheurs sont encerclés par un double service d’ordre. Syndicalistes ou militants, ces gros bras les protègent des nuées de photographes qui investissent les abris-bus, qui grimpent sur les bancs, qui occupent les camions. ” Ils ne vendront pas tous leurs clichés “, affirment les membres du service d’ordre, qui prennent une formidable revanche sur leurs manifestations ratées des dernières années. La marche est aussi une victoire, par procuration, d’un militantisme essoufflé.

” SEULE LA LÉGION EST ÉTRANGÈRE “

Derrière, sur deux rangs, graves et gauches, les familles des ” martyrs “. Chaque prénom sur chaque pancarte pleure un souvenir de sang. Certains noms, Toufik, Laïd, évoquent le 22 long rifle ou l’opération commando. Mais tant d’autres déjà oubliés ! ” Ils ont tué un jeune Algérien ! “, hurle la délégation de Bordeaux. Le cortège, devant l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, observe une minute de silence à la mémoire de Habib Grimzi, assassiné par des candidats légionnaires dans le Bordeaux-Vintimille.

” C’est dur à Dreux ? “, lance un spectateur à la délégation beauceronne. ” On résiste, réplique fièrement une militante. Certains couples refusent de se laisser marier par les élus du Front national. “

Derrière encore, noyée et encadrée, la classe politique. Claude Cheysson en col roulé bleu, Huguette Bouchardeau et Georgina Dufoix, que l’on se montre du doigt.

À mesure que s’éloigne la tête du cortège, le slogan se politise, la revendication se précise, le sigle, banni en tête, refleurit. Ce que taisent les banderoles, les badges ne résistent pas à le proclamer : M.R.A.P., JOC, C.F.D.T., C.G.T., CIMADE, Fédération anarchiste. Des locataires d’un foyer de Boulogne-Billancourt, en grève des loyers depuis neuf mois : la Ville de Paris, leur propriétaire, leur a coupé le chauffage et l’eau chaude. Ils tentent de gagner la rue à leur cause. ” Non, non, non aux expulsions “, crient des militants d’une ASTI (association de soutien aux travailleurs immigrés). Des Guadeloupéens se sont recouverts la bouche d’un bâillon tricolore.

Maigres foyers militants, cependant, submergé par le flot des sans-cartes. Et le voilà, l’événement : ce mélange de collégiens de banlieue et de la France profonde, déversés par classes entières et de vieux routiers pétitionnaires des manifs parisiennes tout à la joie étonnée d’avoir, le temps d’un samedi, arraché le macadam aux corporations en colère.

Un ciment a pris samedi : il mêle La Courneuve, Behren-lès-Forbach et Saint-Germain-des-Prés. Verlan et dialectique, keffieh et loden, youyous et slogans. Les jeunes de la cité des ” 4000 “, au coude à coude avec le prof en Sorbonne, Farid et Jack Lang, Gisèle Halimi et Nassira derrière les mêmes portraits.

Bouffées de spontanéisme : ” Enlève l’étiquette “, lance un lycéen beur à un vendeur d’œillets dûment badgé P.S.U. ” Tu peux en inventer, des slogans ! “, jette le conducteur de la camionnette C.F.D.T. à un camarade qui a égaré sa liste.

Bonheur du mélange. ” Frisés ou pas, marchons ensemble “, propose la cité La Caravelle, de Villeneuve-la-Garenne. ” Seule la Légion est étrangère “, crient des élèves du lycée Voltaire à Paris. ” La France est comme une mobylette, il lui faut du mélange pour avancer “, renchérit une pancarte solitaire. Mélange sélectif cependant : cette ” France de toutes les couleurs ” manque de noir et de jaune. Les Africains et les Asiatiques, ce jour-là, n’ont pas fait le déplacement.

Peu de fausses notes dans ce bonheur. ” Tu marches, ils crèvent “, lance, provocateur, un tract autonome. ” On lynche à Bordeaux, tu marches. On mitraille aux Minguettes, tu marches toujours. On t’attend à l’Élysée, tu ne marches plus, tu cours… ” Mais ils ne sont que trois punkets et punkettes à le distribuer timidement boulevard Henri-IV et soixante mille sur la chaussée. ” Sympa, n’est-ce pas ? “, confie Mme Georgina Dufoix à la fête de l’Espace Balard, au cœur de la nuit. On cherchait le mot.


(1) ” Beur ” est un terme qu’emploient les jeunes d’origine maghrébine pour se désigner eux-mêmes, en inversant les syllabes du mot ” arabe ” dans un ” verlan ” approximatif (le verlan étant l’inversion phonétique des mots français).