10. novembre 2021 · Commentaires fermés sur Résiliences : lecture de Pistes et atelier d’écriture par Penda Diouf · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags: , ,

Nous avons la joie d’accueillir ce matin une invitée de marque : une dramaturge, Penda Diouf qui va nous faire partager son travail d’ écriture  et de création  et nous faire réfléchir à ce qu’on nomme la résilience . Quelques éléments de sa biographie  extraits du site Babelio : Née à Dijon d’un père sénégalais et d’une mère ivoirienne, Penda Diouf s’est sentie toute son enfance  en marge, coincée entre le monde essentiellement  blanc en France et l’univers de ses cousins au Sénégal. A 19 ans, elle écrit sa première pièce, ‘Poussière’. Elle fait des études de lettres modernes et elle subvient à ses besoins en travaillant  dans les théâtres  de Seine-Saint-Denis. Grâce à sa première pièce, elle bénéficie d’une bourse du Centre national du Théâtre . En 2010, elle entreprend  un voyage  en Namibie, sur les traces de Frank Fredericks, Elle raconte son périple dans un monologue , ‘Pistes’, qu’elle a elle-même joué sur scène. Elle y évoque également le premier génocide du XXème siècle : le massacre des Héréros et des Namas commis par les troupes coloniales allemandes. Engagée et militante, son écriture nourrit une quête identitaire et interroge, met en jeu nos propres représentations du monde qui nous entoure. 

 Pistes est publié aux éditions Quartett en 2021   et a été écrit, en 2017, à la demande de la SACD sur le thème du courage ; Voici  un extrait de l’Avant- Propos rédigé  par Myriam Saduis. Elle  tente de définir ce qu’elle a ressenti en découvrant cette oeuvre  : ” Pistes… est un tracé géographique qui part des plaines d’une enfance en France pour aboutir à la traversée d’un désert africain. Une topographie de la violence du monde dont les strates profondes parcourent la terre entière. C’est tout un atlas, légendé, avec précision, par une enfant noire, brillante et solitaire, qui fait apparaitre des chemins peu connus, sinon irreprésentables. Chaque obstacle est ainsi reconstruit comme une  bifurcation nécessaire. Chaque violence est relevée avec minutie comme faisant partie d’un vaste chemin. Chaque mot blessant, entendu, allume des zones de colère et de transmutation qui parcourent le texte comme une fièvre.” 

J’ai choisi de vous faire découvrir, à mon tour , trois extraits qui m’ont particulièrement touchée : le premier évoque les blessures d’enfance .

Corps dans la cour

Je me revois dans la cour de l’école, au CM2. Je viens de déménager à Moulins, dans l’Allier. Nous sommes la seule famille noire à des kilomètres à la ronde. Je n’en connais pas d’autres exceptés mes parents et mon frère. Je n’en vois ni à la télé, ni dans les publicités. Mon corps reste en périphérie, souvent seul. Je n’ai pas d’ami.e qui reste avec moi à l’étude.Alors j’attends, à côté du mur. Je suis comme punie, au coin. Je regarde les autres courir, se chahuter, s’amuser pendant que j’attends. L’envie d’être invisible. Personne ne prête attention à ma présence, ne vérifie que tout va bien. Parce que je ne vais pas bien. Je suis seule et je suis mal. Sans personne pour me prendre dans ses bras, me rassurer, me dire que tout ira bien. J’attends patiemment, sans bruit, dans mon coin, fixant le sol, les poings serrés que la cloche retentisse pour me cacher dans la salle de classe et faire mes devoirs. Je ne trouve pas ma place. Je n’ai jamais trouvé ma place. Mon corps ne sait pas ce qu’est être à l’aise. Mon frère lui est en maternelle au même moment. Ma mère et moi l’observons de la fenêtre de la maison, poursuivre ses premiers
pas de socialisation dans la cour de récréation. Il ne déroge pas à la règle. Lui aussi est seul. Sans ami, sans soutien, sans rires. Il passe sa récréation à pousser un pneu en courant, suivant les aller-retours des maitresses. Comme une balle de tennis, je le suis du regard, d’un côté, puis de l’autre. D’un côté puis de l’autre.
Nul ne fait attention à lui. Seul dans la cour de récréation. A pousser un pneu. J’aurais tellement aimé être dans la cour en même temps que toi et te tenir la main. J’aurais tellement aimé être dans la cour en même temps que toi, te sourire et te tenir la main….

Le second évoque une forme d’injustice particulièrement criante : 

La Namibie a été le lieu du 1er génocide de l’histoire du XXè siècle. Bien avant la Shoah exterminant les deux tiers des juifs d’Europe. Heinrich Göring était gouverneur du sud-ouest africain jusqu’en 1890. Il est le père d’Hermann Göring, commandant en chef de la Luftwaffe sous le régime nazi. C’est à son départ que sont créés les premiers camps de concentration. Sur le territoire africain. Pourquoi personne n’en parle aujourd’hui ? 75% de la population Herero et 50% de la population Nama sont tués, sciemment, méthodiquement, pendant cette période. Qui parle d’eux ? Qui répare ? Qui raconte ? Qui raconte les crânes des guerriers Hereros et Namas, envoyés à Berlin ?
Plaie Lésion Creux Crevasse Faille
Fente Enfonçure Blessure Egratignure
Déchirure Béance Brèche Orifice
Trou Vide
Il reste plus de 300 crânes dans les musées berlinois. Crânes qu’une historienne namibienne, Memory Biwa, professeure à l’université de Cape Town en Afrique du Sud cherche à rapatrier. Les ramener chez eux, enfin. Leur offrir une sépulture. Enfin. Organiser des funérailles et leur rendre les hommages qui leur sont dus. Enfin. Il semblerait que la Shoah ait des racines dans le sud-ouest africain.
L’OUVRAGE TERMINE FAIRE UN NOEUD

Le troisième passage que j’ai choisi revient sur les points de départ de l’écriture , ce regard rétrospectif que les écrivains portent sur l’œuvre terminée dont ils tentent de saisir une partie des origines , de ce qui a fait jaillir le texte en eux .

A la source

Qu’est ce qui m’a finalement décidée à partir en Namibie ? Est ce qu’il s’agit de cette fin d’année 2010 où mon ami mettait un terme à dix années de vie commune et où cette décision, jointe à des fragilités héritées de l’enfance, de la condition de femme noire, en France, me conduiraient finalement à une dépression, des tentatives de suicide et à plus d’un mois d’hospitalisation ? Me suis-je dit qu’avant de mourir, je devais réaliser ce rêve, partir seule dans ce pays que personne ne connaît, si vieux et si jeune à la fois ? Est-ce là que ce voyage a commencé ? Ou bien était-ce plus tôt encore ? Le 18 septembre  1981, à l’hôpital du Bocage à Dijon. Bébé aux narines bouchées qui ne pouvait pas respirer. Dont le cœur s’est arrêté. Réanimé. Couché en couveuse. Attaché. Est-ce pour ça que je ne tiens plus en place ? Ces premiers jours, pieds et poings liés ? Ma mère aime me raconter que mes pieds pédalaient, comme sur un vélo. Pour partir loin. Loin. Là où mon passeport me permettrait d’aller. Là où mes privilèges de femme élevée au nord, en occident, me porteraient.

 Lorsqu’on réfléchit aux pouvoirs de la parole et notamment de l’écriture, on rencontre parfois le concept d’écriture thérapeutique : une forme d’écriture qui permettrait de guérir certaines blessures, d’accomplir une résilience.   Si l’on en croit les dictionnaires, le terme résilience apparaît au début du vingtième siècle ; Au sens physique, la résilience est d’abord une propriété des corps confrontés à des chocs violents: les ingénieurs calculent ainsi  le coefficient de résistance de certains matériaux pour construire des avions ou des voitures.  ; Au sens psychologique, on désigne ainsi la capacité des humains de résister à certains traumatismes infligés par la vie comme un deuil, une agression , de la maltraitance.  La résilience est plus connue en tant que phénomène psychologique. Chez les enfants en particulier, elle désigne leur capacité à triompher des traumatismes qu’ils ont subis comme une séparation, de la violence, un viol, un deuil, une guerre afin de continuer à se construire et à se réparer.En prenant conscience de cet événement et en décidant de ne plus vivre affectés par celui-ci, ils tentent de se reconstruire socialement et psychologiquement. Ce faisant, il font preuve de résilience.

Ce concept a été évoqué dans les années 1940 par des psychologues américains et a été popularisé par Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et psychanalyste français. Il définit la résilience comme étant “ la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants ”. L’individu triomphe ainsi des épreuves qui auraient pu l’affecter gravement et surmonte son traumatisme.Le fonctionnement de la résilience  peut se décomposer ainsi  : le temps du traumatisme : la personne (adulte ou enfant) résiste à la désorganisation psychique en mettant en place des mécanismes de défense qui vont lui permettre de s’adapter à la réalité. et le temps de l’intégration du choc et de la réparation.La reconstruction  passe par la nécessité de donner un sens à sa blessure. Et l’écriture peut entrer en jeu à ce moment  de la nécessaire reconstruction.

On rencontre notamment dans ce cadre des formes d’écriture autobiographiques ou qu’on  qualifie d’autofictionnelles : on désigne par ce mot le lien entre la matière artistique, la fiction et les tentatives du sujet pour se définir au moyen de l’écriture . On peut penser notamment au travail de Charles Juliet dans Lambeaux ou à l’écriture des survivants comme celle de Primo Levi, ou de Jorge Semprun . 

Après la lecture du texte de Penda, nous ne restons pas sans voix et tentons de mettre des mots sur ce que nous ressentons , ou plutôt d’écrire le premier mot que le souvenir de cette lecture partagée , a fait naître en nous . Très vite , le tableau blanc et nu, se colore et les mots prennent forme, s’associent et tissent des fils invisibles , véritable patchwork qui met en lumière le courage d’où tout est parti  ” You are a brave woman” a-t-elle pu entendre lorsqu’elle s’est rendue seule en Namibie  ” : voyage effectif où on rencontre le désert, le chant des dunes , les images des corps martyrisés des guerriers Namas et Herreros ployant sous le joug des colons allemands , la mémoire des grains de sable qui continuent à donner forme aux cohortes de fantômes de ce génocide oublié ; Mais voyage intérieur également qui fait ressurgir les ombres des blessures  d’enfance, des douleurs d’adolescence : ce petit garçon solitaire qui pousse un pneu , minuscule Sisyphe , cette petite fille qui rêve de se déguiser et qui gardera du carnaval etde son premier black face,  un goût amer . Histoires de corps  aussi : ceux  triomphants , des athlètes admirés comme Franckie Fredericks , ceux des morts outragés , peaux ravaudées, aiguilles qui marquent les chairs , souvenirs des fers et des marques qu’on imprime sur les chairs brûlées . Mot après mot, les adolescents inscrivent leurs émotions et la partagent . C’est l’occasion pour eux  aussi de se découvrir : le groupe de la spécialité Humanités  Littérature et Philosophie côtoie les jeunes adultes du Diplôme des métiers d’art ,spécialité ébénisterie; Ces jeunes artistes et  créateurs doivent justement cette année fabriquer un objet sur le thème de la résilience 

Vient alors le moment de se mettre en écriture et Penda leur propose un exercice ludique de bibliomancie . Chacun choisit un livre au CDi et répond à une série de questions en ouvrant une page et en notant les mots de la page : qui suis -je et qui ne suis-je pas ? qu’ai je envie d’écrire ? l’écriture est .. chacun laisse venir les mots et rend son texte, à notre animatrice, au terme du temps imparti . Ils sont tous impatients de retrouver Penda dans quelques semaines et de partir avec elle sur des pistes d’écriture !