13. novembre 2021 · Commentaires fermés sur Slalom : comment filmer les violences faites aux femmes ? · Catégories: Première, Sorties · Tags: , ,

 

Slalom est le premier film de Charlène Favier , réalisé en 2020 et présenté au festival de Cannes . La jeune réalisatrice s’est inspirée de sa propre histoire pour écrire ce film qui fut tourné principalement à Tignes , en extérieur.. Elle a subi des violences sexuelles alors qu’elle suivait un cursus de sportive de haut niveau . Pendant des années , elle a gardé pour elle cette souffrance et a choisi  finalement de la transposer, à travers une forme cinématographique en créant des personnages comme celui de Liz , la jeune athlète âgée de 15 ans et celui de son entraîneur Fred, aux méthodes pour le moins sujettes à caution. La cinéaste a cherché à montrer l’emprise psychologique de Fred sur sa jeune protégée : tout d’abord, il est son entraineur et elle doit lui faire confiance pour réussir ; ensuite c’est un adulte alors qu’elle n’est encore qu’une adolescente , à la personnalité en construction et mineure de surcroît . Enfin, c’est un homme et il impose ses pulsions et son désir à la jeune fille qui n’a pas les moyens  psychologiques de lui résister . De plus, le milieu du sport de haut niveau entraîne un rapport différent à son propre corps qui devient un instrument de performance mais également un  objet de soins, de regards et de désir ici, pour l’adulte .

Mais Slalom ne se contente pas de montrer et de dénoncer cette forme de violence, c’est aussi un film sur la résilience:  Liz va passer par une palette de sentiments qui vont de la colère à la douleur, en passant par la joie et la rébellion. La réalisatrice a choisi de donner une note d’espoir avec le plan final sur le visage apaisé de Liz qui a compris qu’elle pouvait désormais dire non. La nécessité de la dénonciation est également un engagement très fort du film : ” en écrivant, je voulais briser la loi du  silence car dans le sport,  les agressions sexuelles sont le sujet tabou par excellence.” Cependant, la réalisatrice a choisi une fin ouverte : chaque spectateur peut imaginer ce que va faire Liz après sa course victorieuse ;Va -t-elle dénoncer Fred ? Possible. Va-t-elle simplement demander à changer d’entraineur ? Possible. Va -t-elle mettre un terme à sa carrière prometteuse ? Possible mais peu probable car ce dénouement accréditerait  la victoire de l’adulte déviant, qui aurait réussi à gâcher la vie de cette adolescente .

Un film parle un langage différent de celui d’un livre; la mise en scène est l”art de choisir les images et les angles de vues à partir desquels on va montrer ce qui se passe afin d’immerger le spectateur et de lui faire ressentir des émotions; Pour rendre la violence du récit, la caméra va recréer l’atmosphère mentale du personnage de Liz à travers les sons des courses de ski, la lumière rouge et la musique. Quant à l’entraîneur, il exerce sur la jeune fille une violence que les psychiatres nomment “verticale ” car elle émane d’une personne qui exerce un rapport d’autorité; De plus, il a accès au corps de sa victime durant les entraînements et il fait partie de son intimité : il confond geste d’encouragement et geste invasif. Pour en faire une victime il la maltraite d’abord psychologiquement en se montrant humiliant ,  très dur avec elle avant de la flatter et de tenter de la séduire en multipliant les petites attentions .  Cette attitude est particulièrement déstabilisante et entraîne souvent des troubles de la personnalité .On peut l’assimiler à de la maltraitance . La victime est sous l’emprise de cette relation et Liz se laisse imposer des rapports sexuels car elle craint que son entraineur ne choisisse une  autre athlète et la laisse tomber.   Le personnage de Liz,  montre  transforme et son mal être entraîne un changement de comportement : agressivité avec les adultes et notamment avec Lilou la compagne de Fred, perte de motivation à l’école, alcoolisation et conduite à risque (  elle se met à fumer, danse dans le froid à la soirée de la station, se couche dans la neige pour se faire du mal ) 

Filmer des scènes d’agression sexuelle peut être éprouvant pour les acteurs et les techniciens : l’actrice Noée Abita était majeure au moment du tournage . Son personnage semble comme anesthésié durant les agressions : les psychiatres expliquent qu’il s’agit d’une réaction de défense pour l’organisme qui  se concentre sur sa survie . La loi définit comme viol toute acte de pénétration sexuelle avec une partie du corps ou un objet, commis sur la personne d’autrui ou imposé à la victime sur la personne de l’auteur , par violence , contrainte, menace ou surprise . L’agression sexuelle est un acte de violence sexuelle commise sans acte de pénétration . Le viol sur mineur de plus de 15 ans est puni de 15 années d’emprisonnement. La peine est plus lourde si le criminel est une personne ayant droit ou autorité sur la victime comme un parent , un professeur ou un coach sportif. Souvent les agressions sexuelles ou physiques sont la conséquence d’une relation de dépendance qui s’installe :la victime pense qu’elle a besoin de son agresseur, qu’elle mourra si elle le quitte. C’est pourquoi certaines femmes ne quittent pas leur bourreau : elle craignent pour leur vie , sont terrorisées ou pensent que leur propre vie ne vaut pas grand chose et elles ne parviennent pas à mettre un terme à ce cycle de violence. La particularité de ce film est  justement de montrer , avec subtilité et nuances, comment se construit la relation affective entre Fred et Liz et de laisser le spectateur se faire son propre jugement. 

La caméra ne se contente pas de montrer des images, elle suggère également une atmosphère et la réalisatrice, fait des allusions explicites à un conte de fées : Le petit chaperon rouge; dans cette histoire , la jeune fille est victime d’un prédateur qui la “met dans son lit ” pour la dévorer ; Liz porte un sweat à capuche rouge et on aperçoit un loup dans la forêt. Fred est comparé au grand méchant loup du conte ; En l’envoyant vivre chez lui, on peut dire que l’institution scolaire la jette dans la “gueule du loup ” . Cette dimension du film est appelée symbolique .

On voit aussi dans ce film à quel point la sexualité fait partie d’une relation affective plus globale et qu’elle peut parfois être un enjeu de pouvoir.L’adulte  ici outrepasse sa fonction et au lieu de veiller sur la jeune fille qu’on lui confie, il l’abîme et lui impose ses désirs d’adulte en sachant qu’ elle s’en remet à lui et lui fait confiance en tant qu’entraîneur . Il lui parle comme à une femme, lui apprend à connaître son corps d’athlète mais c’est encore une toute jeune femme et il profite de sa situation de pouvoir.

Ce film s’ajoute aux récents témoignages de la patineuse Sarah Abitbol qui vient de publier un livre intitulé”  Un si long silence ” dans lequel elle dénonce les agressions dont elle a été victime dans le patinage artistique. Vanessa Springora a elle, dénoncé les violences dont elle a été la victime à l’âge de 14 ans de la part d’un écrivain, ami de ses parents dans un récit intitulé Le consentement. On peut également penser à Camille Kouchner qui elle a écrit ,très récemment, un livre qui témoigne des violences infligées par par son beau-père  à son  frère jumeau : La familia Grande 

Slalom montre bien les dangers qui guettent les jeunes athlètes dans le  monde du sport où certains sont prêts à tout pour gagner et devenir les meilleurs .Plus généralement , le film réussit parfaitement à montrer les fragilités de l’adolescence.Les petits chaperons rouges doivent apprendre à se  méfier des grands méchants loups même surtout  quand parfois  ils sont déguisés en agneaux .