30. mai 2023 · Commentaires fermés sur La peau de chagrin : un dénouement tragique · Catégories: Lectures linéaires · Tags: , ,

Introduction : Le roman est écrit par un jeune écrivain de trente ans , Honoré de Balzac ,qui, comme son héros, rêve de faire fortune et de devenir célèbre . Malheureusement , dernier héritier d’une famille ruinée par les bouleversements politiques de ces années troublées, Raphaël effectue de mauvais choix et perd le peu d’argent que son père lui a confié. Il pense alors mourir mais découvre un mystérieux objet doté de pouvoirs magiques, qui exauce tous ses désirs; D’abord incrédule, Raphael doit se pourtant rendre à l’évidence quand un mystérieux  héritage de plusieurs millions fait de lui un homme richissime ; Il comprend alors que la peau de chagrin réalise ses moindres désirs en échange d’une partie de sa vie; Son premier réflexe est de fuir à la campagne loin de tout  et de mener une existence austère mais son amour pour Pauline finit par le faire revenir à Paris.  Dans l’extrait que nous allons étudier , qui constitue elle dénouement du récit , il   se décide à révéler la vérité à Pauline. Comment Balzac met- il en scène de manière dramatique et théâtrale la mort du héros ? Dans un premier mouvement, nous verrons les aveux de Raphael et sa peu; ensuite nous montrerons que le désir est plus fort que lui et nous terminerons par la tragédie que constitue sa mort . 

Premier mouvement : des effets de dramatisation avec l’apparition de la peau / caractérisations révèlent sa faiblesse :  fragile / petit , adj qualificatifs + comparaison avec une fleur surnommée la violette des morts ” pervenche “ indiquent le dénouement fatal ; Objet mis en valeurs présenté comme un terrible secret : “tira de dessous ceci formule déictique et présentait “vois ”  , mot talisman a des connotations magiques ; s’adresse à Pauline et cherche à l’effrayer, à la faire fuir “ si tu me regardes encore, je vais mourir ” : la rend responsable alors que c’est lui qui ne peut réfréner son désir pour elle .  L’incrédulité de Pauline rappelle celle de Raphaël au début du roman : le croit fou ; cherche à vérifier ce qu’il dit en procédant à un examen minutieux et attentif de l’objet ” alla chercher la lampe, examina très attentivement “ ; Elle effectue des cations logiques qui contrastent avec les pouvoirs magiques de l’objet pourtant qualifiée de “peau magique ” on reste dans l’univers du fantastique avec cette hésitation entre explication rationnelle et irruption, dans un univers raisonnable, du surnaturel . Pauline réagit émet l’hypothèse de la “folie” avec ” crut devenu fou “. Le personnage alors ne parvient plus à se contrôler à la vue du visage de la jeune femme ” en la voyant belle de terreur et d’amour ” le gérondif ici a une valeur causale ; Le désir est associé à la mort mais également à la beauté et peut être, ne partie, avivé par la “terreur” qu’il lit dans cette atmosphère fantastique que rappelle cette “lueur vacillante ” . Le mot passion indique, à la fois, la force de son amour et l’impossibilité pour le jeune homme de se maîtriser ; ce surgissement du désir est renforcé de manière dramatique par l’expression “joie délirantes “ qui indique qu Raphaël est en train de perdre la raison, de devenir fou te d’être emporté par la puissance de son désir . La métaphore des flammes qui indique la dangerosité de l’amour  apparait sous la forme d’une comparaison avec un foyer mal éteint : tous les efforts du jeune homme ont donc été inutiles et la passion finit par l’emporter .

Deuxième mouvement : la force du désir 

Balzac démontre que malheureusement il est impossible de résister à cet amour trop fort qui va emporter le héros vers la mort ; c’est le côté dramatique de ce dénouement ; La victoire ici du désir sur l‘ascèse , sur le contrôle des émotions, mène le héros vers une mort annoncée et qui semble inéluctable . Son appel est traduit, comme par jeu d’écho, par un terrible cri poussé par la jeune femme qui ressemble à une bête blessée ; Son émotion est telle qu’elle est , en partie déshumanisée, avec des changements marquants, qui là encore , rappellent aux lecteurs, les transformations du héros lorsqu’il prit conscience des pouvoirs de l’objet magique . Sa terreur la défigure : “ses yeux se dilatèrent, ses sourcils s’écartèrent avec horreur ” ;Sous l’effet de la douleur Pauline est méconnaissable  car elle comprend que le désir que  Raphaël  éprouve pour elle, est mortifère. Si sa réaction est aussi violente, c’est pour montrer qu’elle aussi, l’aime passionnément et qu’elle réalise brutalement qu’elle ne pourra le sauver ; C’est une torture de penser qu’il va mourir à cause de ce qu’il éprouve pour elle.  Elle décide alors de s’enfuir et “ferma la porte ” . Les deux personnages semblent ici métamorphosés comme dans une tragédie : Pauline lit dans les yeux de son amant “un de ces désirs furieux ” ; l’adjectif ici évoque le contexte des tragédies classiques du dix-septième siècle ; Les amants y périssent à cause de leurs amours interdites qui les font littéralement , sortir d’eux-mêmes. Un nouveau cri jaillit de la bouche du jeune homme déjà qualifié de “moribond” afin de montrer que la mort le cerne de toutes parts . Il se jette alors, dans un dernier élan, vers la porte pour s’emparer de sa maitresse après lui avoir avoué se sentiments dans un terrible gradationje t’aime je t’adore je te veux ” 

Troisième  mouvement : la fatalité du désir 

Après ce cri d’amour qui montre la puissance du désir du jeune homme qui poursuit Pauline, Balzac fait de lui une sorte de possédé ; par une force singulière , dernier éclat de vie, il jeta la porte à  terre ” La violence ici se manifeste de plusieurs manières : d’abord par ce gérondif “en courant” qui traduit l’empressement du héros, et par l’épisode de la porte fracassée alors que Raphaël tient à peine debout et a beaucoup de mal à respirer . La dimension fantastique est suggérée par l’adjectif singulier qui est synonyme ici d’extraordinaire, de très étonnant , presque étrange. Le registre pathétique fait alors son apparition avec cette jeune femme victime de son amant qui devient son bourreau ; la dimension diabolique du pacte est suggérée avec l’idée de cette malédiction proférée par Raphaël qui semble prêt  à tout pour satisfaire son désir . Il se jette sur la jeune femme qui cherche à le sauver en se donnant la mort . L’agitation semble identique chez les deux personnages ; la folie furieuse parait communicative ; Pauline est présentée “à demi nue” se roulant et tente de déchirer le sein ” On retrouve l’atmosphère de la tragédie classique et de son dénouement fatal qui voit mourir sur scène le héros , victime de sa passion. La jeune fille se sacrifie pour tenter de prolonger la vie de celui qu’elle aime . Elle ne cherche pas à lui échapper : elle cherche à “se donner une prompte mort” afin qu’il survive  : “si je meurs, il vivra” : la principale au futur est présentée comme résultant de la réalisation de la condition ; Pour qu’il puisse continuer à vivre, il faut que je meure pense Pauline qui est donc prête à donner sa vie pour préserver celle de Raphaël ; Toutefois son sacrifice est inutile et il va même renforcer le désir du jeune homme . Le romancier détaille l’apparence de Pauline avec une série   de compléments : cheveux épars, épaules nues, vêtements en désordre , visage enflammé, se tordant sous un horrible  désespoir; cette série contient des suggestions lascives; La description pourrait faire croire que la jeune fille s’apprête  à se donner à son amant : on peut lire ici une sort d’érotisation du portrait de Pauline qui a pour effet de raviver encore plus le désir du jeune homme. Balzac emprunte certains traits aux descriptions du deuil dans l’Antiquité quo’n retrouve notamment dans l’univers de la tragédie classique .  Raphaël est décrit comme “ivre d’amour ” : la métaphore suggère clairement qu’il ne possède plus la capacité de discerner ce qui l’entoure; Le désir agit sur son esprit et brouille sa perception du monde et de la réalité . D’ailleurs il est qualifié d’homme en “délire ” : la folie caractérise ici le triomphe de la passion . Le personnage passe alors à l’acte ainsi que l’indique le verbe d’action “ se jeta sur elle ” ; Balzac tente toutefois de nous faire comprendre que le héros conserve une sorte de désir de protection et que son étreinte ne se veut pas mortelle; Il est certes comparé à un oiseau de proie, c’est à dire à un prédateur, mais son geste est caractérisé par une forme de “légèreté” . On sent bien que le dénouement approche et que ce geste sera le dernier du personnage .

Il est d’ailleurs qualifié de moribond pour la seconde fois et il ne pourra jamais expliquer son geste ; C’est trop tard : le “désir dévorait toutes se forces ” ; La métaphore ici montre la force du désir et sa puissance de destruction mortifère. Le mot râle traduit l’agonie du héros qui meurt sous les yeux de sa bien-aimée comme s’il se vidait de son souffle. La précision des notations descriptives suggère cette impression avec le personnage qui se vide de ses derniers souffles ” chaque respiration creusée plus avant semblait partir de ses entrailles ” ; le héros souffrait de phtisie et cette maladie provoquait des inflammation et des obstructions des bronches qui pouvaient être fatales. Le dernier geste de Raphaël est une morsure ; il n’a plus les mots et se raccroche à celle qu’il aime et  la mordit au sein comme pour aspirer la vie qui est encore en elle. On peu peut être trouver ici une allusion à une sorte de vampirisme doublée de connotations sensuelles . L’arrivée du valet Jonathas met fin à la scène ; Son émotion est traduite par l’adjectif “épouvanté ” . Balzac a choisi une dernière image qui rappelle, là encore e, l’atmosphère de la tragédie antique; La jeune fille est curieusement présentée “accroupie ” sur le cadavre comme pour signifier qu’à la manière d’une créature mythologique , une  sirène , ou une harpie, elle a provoqué la mort de l’homme qu’elle avait envouté de ses charmes .