20. septembre 2023 · Commentaires fermés sur Le Malade imaginaire : la consultation des Diafoirus · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

La dernière comédie de Molière , représentée en 1673, reprend un certain nombre de thèmes souvent abordés sur scène comme les mariages arrangés,  les conflits entre maîtres colériques et valets insolents,  la satire des médecins et les vieillards ridicules . Dans cette comédie -ballet spectaculaire, Molière, alors très malade,  ajoute une réflexion autour  de l’art de se soigner et de se guérir . Argan campe un vieillard persuadé qu’il souffre de tous les maux et qui compte sur les médecines prescrites par son médecin M Purgon et confectionnées par son apothicaire M Fleurant  pour aller mieux. Il a tellement peur d’affronter seul la maladie qu’il compte donner comme époux à sa fille Angélique, un jeune médecin Thomas Diafoirus, présenté par son père dans cette scène 6 du second acte . Le jeune homme, soucieux de faire bonne impression auprès de sa promise, s’embrouille,quelque peu ,dans les compliments qu’il a préparés et tient des propos conventionnels qui imitent le langage précieux .  Le public découvre rapidement qu’il est maladroit et quelque peu bêta mais Argan ne semble pas étonné par ses manières. Alors que les visiteurs s’apprêtent à prendre congé de leur hôte, Argan demande qu’on lui passe un examen afin de savoir s’il se porte bien. Le premier mouvement de l’extrait parodie une consultation qui débouche sur un diagnostic et le second met en évidence les contradictions entre les conclusions des différents examens.

L’extrait que nous présentons est , en fait , la sortie des Diafoirus qui n’ont fait qu’une brève apparition dans la pièce; Molière déploie à cette occasion plusieurs effets comiques qui complètent la satire de la médecine . Le premier effet est basé sur le couple père -fils . Une didascalie précisait , dès sa première apparition que Thomas devait avoir l’air ” d’un grand benet nouvellement sorti des écoles, qui fait toutes choses de mauvais grâce et à contretemps.” D’emblée, le comique de caractère désigne ce personnage dont le ridicule n’échappe pas au spectateur. Ce ridicule est accentué par l’attitude du père qui s’adresse à son fils comme s’il s’agissait d’un enfant  maladroit ou d’un pantin. Ainsi pour débuter l’auscultation, son père lui explique les gestes à accomplir ” Allons Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur” . Thomas paraît infantilisé durant toute la scène et un duo comique se forme sous nos yeux .

Mais il s’agit également d’un tandem de médecins et Molière exploite là encore cet effet comique: les deux personnages agissent de concert et semblent se copier l’un l’autre. On les imagine très bien se plaçant de part et d’autre du personnage d ‘Argan pour effectuer cette consultation qui a pour but de déterminer les causes de son mal car Argan aimerait savoir de quoi il souffre au juste.

Les deux médecins, comme on pouvait s’y attendre ,  parlent en latin et ont recours à des termes techniques que le public ne peut comprendre.  Les formules latines ” Quid dicis? dico, bene” se mêlent à leurs répliques et ils emploient de surcroît un lexique spécialisé avec des termes savants comme ” parenchyme , méats cholidoques” qui forment une sorte de galimatias comique; C’est à dire une langue incompréhensible formée de bribes de mots qu’on identifie vaguement  et qui ne vont pas ensemble. Dès sa première réplique ,Thomas produit un énoncé étrange en commençant par un verbe latin et en continuant avec la syntaxe de la phrase française  “dico que “: ce qui à proprement parler constitue un barbarisme . En effet, en latin  la phrase  qui comporte une subordonnée complétive ne se construit pas de cette manière . Le mélange fautif des deux langues a bien ici un effet comique et l’imprécision du diagnostic ” qui ne se porte point bien “ contraste avec la réponse du père qui lui semble satisfait . Le terme durisucule existe vraiment : il s’agit d’un diminutif de forme latine de l’adjectif dur. Il signifie donc un petit peu dur . Mais ce qui est drôle ici c’est qu’il est très vague là encore :il sert bien  pour décrire les pulsations du coeur . En effet, lorsqu’on prend le pouls de quelqu’un , on peut le qualifier de rapide ou de lent, de régulier ou d’irrégulier. Les pulsations traduisent en effet le rythme de l’activité cardiaque et il peut se mesurer à différents endroits du corps , le plus souvent sur l’artère radiale, au niveau du poignet.

Thomas émet donc un diagnostic totalement fantaisiste et  l’attitude de son père est comique car ce dernier semble fier de lui et le complimente : il est , en effet encouragé par son père qui abonde dans son sens même lorsqu’il qualifie le pouls de “repoussant” et ” même un peu caprisant” . Ce  dernier terme a effectivement un emploi médical et désigne bien un rythme inégal, irrégulier  du pouls qui est ici comparé, d’après l’étymologie , à des sauts de chèvre . Le diagnostic prend du temps et on peut imaginer un jeu d’acteurs basé ici sur le burlesque, c’est à dire le décalage entre le sérieux de la situation ( un examen médical ) et la dimension fantaisiste des réponses toutes plus vagues les unes que les autres ; L’effet produit sur le public est que le père paraît encourager l’ignorance du fils donc ne pas en savoir beaucoup plus que ce dernier . Molière fait ici la satire de l’ignorance de l’anatomie et de la physiologie de la plupart des médecins . 

A la ligne 15 , Thomas évoque  l’état des organes de son patient  comme le foie et la rate , siège des humeurs dans la théorie aristotélicienne, sans même effectuer un examen de ces organes en touchant l’abdomen d’Argan . On imagine mal comment le simple fait de mesurer l’activité du pouls peut évoquer des troubles dans les viscères. Le père continue à  valider ces constations idiotes en semblant les prendre au sérieux et en montrant sa satisfaction alors même qu’Argan donne l’impression de  se sentir de plus en plus mal, au fur et à mesure que les symptômes sont énoncés. On a bien ici un contraste entre l’enthousiasme du père qui va crescendo comme le montrent les locutions latines : Bon, Fort bien . Bene. Optime ; le passage au latin semble caractériser sa fierté  . On retrouve cet effet de mélange des langues et Molière utilise constamment le comique de langage et ces mots étrangers manifestent symboliquement le pouvoir des médecins sur leurs patients parfois incapables de comprendre ce qu edisent les médecins parce qu’ils emploient  une langue qui leur est inconnue.  

L’intempérie du parenchyme splénique est une expression médicale qui révèle un dysfonctionnement dans les tissus de la rate : le mal paraît donc identifié mais la contestation du patient a ici, un effet comique certain; Argan , en effet, qui n’avait jusque là rien dit, conteste le diagnostic en se basant sur les précédents examens réalisés par  son propre médecin , le Docteur Purgon. C’est ici l’occasion de se moquer des erreurs de diagnostics et des désaccord entre médecins. La formulation d’Argan semble donner raison à son médecin attitré qui a relié l’origine de la maladie au foie. La parole du médecin est ici posée comme un gage de vérité par le patient ” Monsieur Purgon dit que “ . Cependant Diafoirus va tenter de justifier le diagnostic établi par son fils en évoquant la proximité et la perméabilité des différents organes qui communiqueraient à l’intérieur du corps au moyen du ” vas breve ” du “pylore ” et des “méats cholidoques ” Le champ lexical de l’anatomie est ici employé à des fisn comiques  et Argan se trouve bien en peine de contester ce qui lui est affirmé. Les Anciens pensaient qu’il existait un petit vaisseau qui permettait à la rate de transporter des sucs gastriques dans l’estomac avant de réaliser qu’en fait ces vaisseaux étaient propres à l’estomac  Le pylore est bien un clapet musculaire situé entre l’estomac et l’intestin . Quant  aux méats cholidoques, ce sont des conduits qui transportent la bile du foie vers les intestins. La faculté de médecine est encore très loin d’enseigner une géographie exacte du corps humain. 

Cette exclamationEh oui » qui cherche à contrer le « non » opposé par Argan, a elle aussi un effet comique .Mais le recours au jargon médical ne paraît pas convaincant et cache , au contraire, une méconnaissance du fonctionnement des organes .  L’expression “étroite  sympathie qu’ils ont  ensemble » tente de démontrer que tout est lié dans le corps humain. Cependant Diafoirus va continuer à se discréditer aux yeux du public en prescrivant ses remèdes loufoques . Dans l’esprit des spectateurs , même lorsque lse médecisn ignorent ce dont souffre le malade, ils s’empressent de proposer des remèdes aux patients.

La piste du régime alimentaire est souvent suivie car, à cette époque, on avait déjà mis en évidence le lien entre la consommation de certains aliments et des difficultés de digestion . Monsieur Diafoirus se lance tout d’abord dans une première hypothèse et pose une question à Argan en paraissant  assez sûr de lui ainsi que le traduit la locution adverbiale” sans doute ” . C’est un nouveau non qui fait  pourtant écho au précédent ; Diafoirus est ici désavoué et une fois de plus, il tente de sauver la face en affirmant de manière totalement absurde que ” rôti; bouilli ” même chose; Une nouvelle fois, Molière emploie l’exclamation ” Eh oui” en écho à sa précédente affirmation : rien ne semble pouvoir atteindre ce praticien qui a réponse à tout  et qui assène des absurdités comme autant d’évidences.

Argan ne semble pas davantage mettre à mal le diagnostic des médecins, et continue à vouloir des explications , à faire confiance au jugement de Diafoirus qui lui,  semble s’abriter derrière le diagnostic de son confrère  “il vous ordonne fort prudemment et vous ne pouvez être entre de meilleures mains “  On sent ici la déférence des médecins entre eux qui peut trahir une certaine forme de corporatisme : ils se protègent les uns les autres et ne veulent pas se désavouer . Le public peut également comprendre que les Diafoirus sont des ignorants et cherchent à faire illusion ; Il est à noter que Thomas demeure désormais silencieux pour laisser place à la parole du père . Le point final de la scène culmine avec la bêtise des grains de sel à mettre dans un oeuf . Le bon sens attend une réponse qui les limite à une petite quantité mais le médecin préconise de n’utiliser que des nombres pairs : ” six, huit, dix “ et de n’employer que des nombres impairs pour lse médicaments . Ce qui est totalement saugrenu mais Argan ne relève pas l’aberration et donne congé au tandem de médecins. 

Pour conclure , la satire de la médecine résulte  ici de nombreux effets comiques : elle est d’abord liée à la parodie de consultation, au  verbiage médical  et par la suite, aux justifications erronées et  finalement absurdes. La scène cherche à montrer que certains  médecins sont des mystificateurs qui dissimulent habilement leur ignorance derrière des formules creuses et un galimatias savant. Le jeu de pouvoir entre savants qui sont montrés comme dominateurs, et les  malades,  totalement soumis à leurs préconisations , est mis en évidence par le dramaturge . Même si Argan fait preuve d’un certain bon sens et conserve une forme de lucidité , il est encore sous la coupe de ces charlatans , aussi dangereux qu’inefficaces. Comment faire pour le délivrer de ces fausses croyances ? 

Voici, pour terminer et compléter vos connaissances , un lien à suivre pour lire le commentaire de cette scène effectué sur le site de la gazette littéraire