12. janvier 2016 · Commentaires fermés sur la casquette de Charles · Catégories: Divers · Tags:

Madame Bovary comporte un certain nombre de scènes révélatrices et on évoque souvent , au sein de l’incipit, l’épisode de la casquette de Charles ; Que nous apprend  au juste cette scène sur l’identité de ce personnage et ses rapports avec Emma  ? 

Flaubert
élabore avec
Madame
Bovary

le portrait d’une femme prisonnière des hommes et de son
environnement. . Très tôt dans le texte on annonce la couleur des
ténèbres : la redondante rengaine des journées domestiques pousse
Emma à vouloir atteindre un plus haut degré d’existence, au sens
littéral d’une sortie de soi (
«Elle
s
ouhaitait
à la fois mourir et habiter Paris»
.
Emma Bovary, jusque dans son nom de mariage, porte sur elle une
douloureuse marque d’engourdissement. Jadis pensionnaire au couvent
des Ursulines et sujette aux motifs d’une «
belle
éducation
»
, Emma Rouault, en s’unissant avec Charles Bovary, contracte du
même coup la maladie du bovarysme, une affection grave passée à la
postérité littéraire et qui signifie l’impossibilité de
réaliser la moindre part de fantasme en nous.

Si
Emma est tout de même un peu responsable de ses noces avec Charles,
elle ne pouvait en revanche pas connaître les détails fondateurs de
la jeunesse de son mari. Qui plus est, tout un équipage de malins
génies semble avoir conspiré à la rencontre et à la formation
d’un élan amoureux entre Emma Rouault et Charles Bovary. D’une
part l’accident du père Rouault (la jambe cassée) constitue un
premier signe de fatalité, celui-ci étant d’autre part recouvert
par l’ambiance chagrine du veuvage (la mère Rouault est morte
depuis deux ans, laissant son mari et sa fille dans la solitude subie
d’une vie monotone).

C’est
donc une souffrance que Charles découvre lorsqu’il arrive à la
ferme des Bertaux pour soigner le père Rouault – le gémissement
du corps meurtri et la discrète déploration d’une âme délaissée.
On l’a fait appeler à la ferme alors que Charles est le médecin
de Tostes, une commune située à «six bonnes lieues de traverse»
des Bertaux . Sans doute qu’il eût été possible de faire appel à
un autre praticien, cependant ce choix en apparence anodin domine de
tout son hasard la nécessité d’une troisième souffrance dans la
maison des Rouault, à savoir l’entrée du bovarysme parmi les
affligés. Le bovarysme est imperceptible et facilement
transmissible, surtout lorsque le malade originel s’avère
insatisfait d’un premier mariage (avec Héloïse Dubuc) et qu’il
fait la connaissance d’une jeune femme peinée (Emma Rouault). de
l’Étude à travers lequel on voit débarquer un Charles Bovary de
quinze ans, paradigme de l’anti-héros, «nouveau» de la classe
qui ne correspond à rien de brillant et d’un tant soit peu
prometteur .

Le
nouveau de la classe est par définition un objet fondamental de
curiosité; il ne fait rien comme il faudrait.
Il
est précisé en amont, à la toute première page du livre, que
Charles dépasse tout le monde en taille, attribut qui le rend
immédiatement différent. . On le regarde comme on observerait une
anomalie. Non seulement il ne ressemble pas à la communauté des
élèves, mais en plus il ne détient aucune sorte de créance ou
d’intuition sur ce qu’il serait convenable de faire en vue de
faciliter son intégration. Pour preuve, Charles n’ose pas
esquisser un mouvement ; il est pétrifié par son introduction à la
fois sociale et romanesque («
la
prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur
ses deux genoux»
).Par
son absence de mouvement et son allure de statue maladroite, Charles
est tout de suite caractérisé par un état de grande pesanteur. Il
apparaît au lecteur à l’instar d’un être dépourvu d’énergie,
une victime dont on se moque volontiers. Effrayé par des
collégiens, comment Charles pourra-t-il s’affirmer dans la
carrière d’une vie adulte ? Comment pourra-t-il assumer les
devoirs qui incombent à l’homme mûr ? Le jeune Charles est en
réalité déjà intimidé par les événements et par la découverte
du nouveau.

Quand
le professeur demande à Charles de se lever, ce dernier devient
réellement le centre de toutes les attentions. Faisant tomber sa
casquette à cette occasion, la maladresse de Charles suscite le
«rire éclatant» du public juvénile, donnant à la scène une
atmosphère de cirque. Charles est un clown malgré lui. Il est un
objet de railleries, un défouloir. Les persécuteurs doivent
profiter au maximum de cette nouvelle attraction. En outre, tout au
long de sa vie, Charles sera toujours une espèce de «nouveau». Il
sera un homme
déplacé,
un homme intempestif qui ne semble jamais être à sa place .

Ce
pauvre caractère est d’autre part indirectement indiqué par un
vêtement. La casquette du collégien Charles Bovary constitue le
parfait symbole de ce personnage. Il s’agit d’un petit objet
étrange («
une
de ces pauvres choses»
)
assez inqualifiable («
une
de ces coiffures d’ordre
composite»).
En premier lieu, lorsque Flaubert évoque l’incertitude esthétique
de l’objet, en somme sa banalité constitutive, il évoque de
manière sous-jacente la petitesse de l’être-Bovary. Si Charles
est physiquement fort, il est caractériellement faible à bien des
égards. Embarrassé par sa condition, il est semblable à un animal
qu’on aurait arraché de son milieu naturel. Or quel est le milieu
naturel de Charles Bovary sinon la passivité et la vie conditionnée
de bout en bout ? D’ailleurs, une fois son mariage consommé avec
Emma, il joindra la vie d’un esprit croupissant à celle d’un
corps accommodant : il empâtera .

En
second lieu, ce couvre-chef présente de nombreuses nuances
animalières. On parle d’un «bonnet de poil», d’une
«casquette de loutre», «ovoïde et renflée de
baleines
», pourvue de «poils de lapin». Ce bestiaire du
vêtement transforme Charles en un personnage qui ne fait plus partie
du règne classique des hommes. Il subit une forme de déclassement.

D’une
certaine façon, la casquette de Charles traverse tous les mondes
possibles en vertu de ses multiples matières, néanmoins elle semble
étrangère à toute notion fixe. Elle est partout à la fois et
partout rejetée . Cet accoutrement résume clairement la condition
de son propriétaire. N’empêche que le pire concerne la dernière
partie de cette description cruelle : «[…] d’où pendait, au
bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or,
en manière de gland. Elle était neuve ; la visière
brillait»
. Pour commencer par l’élément le plus objectif, la
casquette est aussi neuve que Charles est nouveau dans la classe.
C’est sur lui probablement la seule chose capable de briller. Par
conséquent, lorsque la casquette tombe, on ne voit que cela. Le
scintillement de la casquette met en relief la médiocrité des
gestes de Charles. Finalement vaincu par l’oisiveté et par une
somnolence qu’il hérite de son père Charles effectue à Rouen
des études passables qui ne feront pas tout à fait de lui un
docteur en médecine mais plutôt un officier de santé. En étant un
cran en-dessous, il est exactement à sa place.

Composée
d’un amas de matières, cette casquette est la première pièce
montée du roman. Elle précède la description du gâteau de mariage
servi pendant les noces de Charles et d’Emma Autant le chapeau du
jeune Charles fait éclater des rires, autant la pièce montée de
son mariage «[fera] pousser des cris» . Les rires et les
cris procèdent d’un rassemblement d’émotions divertissantes au
détriment de Charles. Au même titre que la casquette, cette pièce
montée n’impressionne pas; elle subjugue par sa grotesquerie.

Pour
finir cet épisode de la salle de classe, notons que le texte dénote
par sa quasi-absence de parole. La voix injonctive du professeur et
les borborygmes de Charles mis à part, personne ne parle car en
réalité tout le monde s’esclaffe. Dès le début de la scène, le
poids du silence est perceptible. Charles et son couvre-chef
accaparent l’attention. Le public est suspendu à cette double
présence insolite. La voix qui s’introduit dans le silence général
est celle du professeur – c’est la voix de l’ordre et elle
enjoint Charles à se lever. L’ordre du professeur renforce la
dimension subalterne de l’adolescent. Charles est quelqu’un de
subordonné qui ne paraît pouvoir agir que sous l’effet d’un
ordre ou d’une obligation formelle. Dans le silence pesant de la
salle de classe, on comprend que c’est un être qui obéit
davantage qu’il ne s’exprime. . En fin de compte le professeur
confirme Charles dans sa place de bouc-émissaire ; il autorise le
couronnement de l’humiliation.

Puis
les rires surgissent, puissants et concertés, annulant toute
velléité de parole chez le souffre-douleur. Cette faille du langage
justifie la figure d’un Charles bredouillant. À mesure que les
ordres s’intensifient, la gêne et l’angoisse s’emparent de
Charles, aggravées par le despotisme croissant des écoliers. Ainsi
lorsque le professeur demande à Charles son nom, ce n’est pas son
identité conventionnelle qui sort. C’est plutôt son identité
propre qui se révèle par le biais d’une crase en laquelle se
concentre toute l’agglutination des platitudes qui président à ce
tempérament étouffé : «
Charbovari».
Ce «
Charbovari»
déclenche le «vacarme» des élèves qui n’attendaient qu’une
opportunité supplémentaire pour se vautrer dans le ricanement. En
d’autres termes, on assiste au triomphe du bruit aux dépens de la
parole intelligible.

Enfin,
tandis que le «
Charbovari»
s’estompe lentement, il demeure cependant comme à l’état
d’écho, telle une persistance de ce que sera l’existence de
Charles Bovary : une série de vexations et de dissonances. Dans ce
«
Charbovari»
caractéristique, on distingue une identité gluante, mal formée,
mal née, inexprimable, uniquement fonctionnelle à travers la
littérature.

12. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Un lecteur perspicace : le jugement d’une époque et d’un homme sur un livre · Catégories: Divers · Tags:

Albert Thibaudet ( 1874/1936 )  est un critique littéraire qui a lu avec une attention tout particulière Madame Bovary, plus de quarante ans après sa parution : je vous livre ici l’article tel qu’il l’a rédigé pour le journal dans lequel il écrivait ses critiques littéraires . Partagez- vous l’avis de  ce lecteur érudit ? 

Madame
Bovary par Gustave Flaubert

La
publication en volumes de Madame
Bovary

est le bruit et l’événement du monde littéraire. On se souvient
que le roman, paru d’abord dans la
Revue de Paris
,
avait attiré les menaces du parquet, et que, sur l’éloquente
plaidoirie de Me Sénart, il fut acquitté par un arrêt
in extenso
qui
fixera désormais la jurisprudence en matière littéraire.

Le
banal reproche d’immoralité adressé au livre tombe devant une
lecture attentive qui montre avec une évidente clarté le but de
l’auteur, – la punition de l’adultère. Qu’est-ce, en effet, que
Madame. Bovary ? une petite provinciale prise d’un faux élan de
don quichottisme, une femme menée et surmenée par ses sens, roulant
de chute en chute et de faute en faute dans la fange de la perdition.
C’est le spectacle navrant et profondément philosophique d’une âme
déchaînée et rebelle voulant échapper de son corps, quelque chose
comme l’ascension d’une Icare bourgeoise fondant aux rayons du soleil
ses ailes de cire et de papier peint.

En
un village de Normandie, sentant le cidre doux dans la floraison de
ses pommiers, un pauvre médecin de campagne a établi sa résidence.
À son sort il a associé une triste femme, sèche, malingre, une
fourmi de ménage pour l’épargne ; quand il rentre fatigué et
poudreux de ses courses, il rencontre un visage noir, des bras
osseux, non pas une femme mais une femelle. Une maladie rapide le
débarrasse de cet être anguleux dont la démarche à ressort laisse
dans l’esprit un bruit de mécanique. Bovary est né sous une étoile
fâcheuse, pâtira au collège, carabin misérable à Rouen, marié à
une pauvre créature, ayant peu de clients et mal payé, le voici
veuf, et si revêche que fut sa femme, isolé comme il l’est, il la
regrette.

Cependant
à quelques lieues de là habite un gros fermier avec sa fille, une
demoiselle élevée à la ville et qui, sous les coiffes rustiques de
la paysanne, cache déjà la scélératesse  d’un petit cœur
ambitieux. Lorsqu’elle jette les yeux à l’entour d’elle, elle ne
voit que grossiers valets de ferme, gens rustauds, épais, coqs de
village lourdement endimanchés, ayant ramassé leur gaîté dans les
cabarets et leurs grâces dans les almanachs.

Imaginez
une campagnarde habituée aux chatteries du couvent, au chant de
l’orgue, aux effusions de la prière, au parfum de l’encens, aux
caquetages mignards et chaussant tout d’un coup les plus gros sabots
de l’églogue. Tout la froisse, la blesse, la rebute. L’humiliation,
la rage, l’envie l’obsèdent de mauvais désirs et enfièvrent sa
cervelle. De la ferme elle ne sent que les dégoûts, la mare, le
fumier, le vagissement des étables, le suint des moutons, le toit
des porcs ; son imagination échauffée de lecture, voltige vers
la ville. Maintenant mettez sur sa route un visage humain, fût-ce
celui d’un pauvre médecin de campagne, Bovary, par exemple, en lui
elle entrevoit un sauveur qui l’arrachera à la besogne ingrate de la
ferme, elle se croit dame déjà, elle se rêve à Rouen, marchant de
pair avec les filles des commerçants, ses anciennes camarades de
couvent.

Emma
Rouault est jolie, plus que jolie, charmante, et lorsque Bovary la
compare à son acariâtre défunte, le pauvre hère s’enflamme vite.
Le père Rouault s’est cassé la jambe, Bovary la lui remet ; de
là des visites, puis l’intimité, la demande en mariage et les
épousailles, noces copieuses où festoie une parenté venue de dix
lieues à la ronde.

À
quelque temps de là, Monsieur . et Madame. Bovary étaient
invités au château de la Vaubyessard, chez le marquis
d’Andervilliers, un des clients du médecin. Dans un château
seigneurial, paré de tout le luxe du confort et des recherches
parisiennes, le jeune ménage descend, mêlé à une société rare,
fine, aristocratique, vannée sur l’almanach de Gotha. Emma ouvre de
grands yeux, aspire à pleins poumons, aussi éblouie à la table du
marquis qu’un gardeur de pourceaux antiques admis dans l’Olympe à la
table des dieux. Les hommes lui semblent beaux, fringants,
d’accomplis cavaliers ; les femmes, des créatures vaporeuses,
éthérées, supérieures, pétries d’un limon plus noble et plus pur
que le vulgaire bétail de l’humanité ; et lorsqu’après deux
jours de fête miraculeuses elle rentre dans son froid intérieur, le
souvenir de ces deux jours la poursuit obstinément comme un duc
exilé dans ses terres regretterait Versailles.

Malgré
elle, Madame Bovary jetait les yeux sur son mari, et, le comparant
aux merveilleux seigneurs de la Vaubyessard, elle le trouvait
mesquin, mal appris, médiocre, et se sentait rongée de tristesse.
Le contact d’un homme commun, les mesquins détails d’une vie
bourgeoise, la monotonie des mêmes jours s’amassant sur les mêmes
jours exaspéraient son âme tumultueuse. Elle dévorait des livres,
des journaux, elle prenait son entourage en horreur, elle avait des
idées de suicide, tantôt bavardant avec exaltation, tantôt gardant
un silence farouche. Une maladie de langueur, dont il ignorait la
cause, força Bovary à quitter le pays de Tostes et à se fixer au
bourg de Yonville, à huit lieues de Rouen.

Le
roman ainsi posé en prémisses si simples et si vraies va se
dérouler désormais en s’accélérant avec une imperturbable
logique. Bovary restera ce qu’il est, un être bon, affectueux et
nul, Emma se développe, les mauvaises semences germent et éclatent.
Cette odieuse vie bourgeoise qu’elle fuit à tire-d’aile en colombe
blessée la pourchasse, l’étreint, lui pèse. A Yonville elle
retrouvera le personnel habituel des villages, des marchands
usuriers, des maires importants, des hôteliers bavards, des paysans
soupçonneux, des pharmaciens empesés, plus barbouillés de fausse
science qu’une étiquette de bocal. Je vous recommande surtout
l’apothicaire Homais, une majestueuse figure de sot, qui a l’ampleur
satisfaite, la niaiserie cossue et le rengorgement avantageux d’un
Prudhomme de village. À lui seul Homais est une création et jamais
la dindonnerie affectée et bouffie n’eut de plus magnifique
représentant.

Après
son installation à Yonville, Madame Bovary s’ennuie et de quel
ennui lourd, accablant, léthifère. En vain elle porte un enfant
dans son sein, pour elle la maternité n’est pas une douceur, une
attache à la vie et à ses devoirs, c’est un accident, une maladie
passagère, car son enfant ce n’est point elle, c’est encore Bovary
et Bovary multiplié, quelle croix ! Du mépris du mari au choix
d’un amant il n’y a qu’un pas. Mais sur qui arrêter ses regards. Il
y a bien un jeune clerc de notaire, mince jeune homme, freluquet
imberbe, bon tout au plus à réciter des vers de romance, à frôler
en rougissant les doigts d’une cousine, ignorant s’il aime ou non,
timide à l’excès, pourpre comme une cerise, aimant mieux se faire
hacher menu que de se déclarer. N’y tenant plus et pressé aussi par
sa famille notre petit bonhomme quitte Yonville, ne se doutant pas
qu’il ait pu faire songer Emma et rêvant d’ailleurs de plus libres
et de plus faciles amours dans la capitale.

 Madame Bovary
n’a pas failli encore, qu’elle est corrompue déjà, gangrenée
jusqu’à l’âme, et nous assistons de jour en jour et d’heure en
heure à une rapide décomposition morale qu’envenime un incurable
ennui. Mère, elle a parfois pour sa petite fille des effusions de
tendresse et d’autres fois des élans de fureur, elle la câline,
elle la dorlotte, elle l’accable de caresses rageuses ou la rejette,
la brusque et la renvoie. Où elle aurait dû trouver une force, un
refuge et une consolation, elle redoute un remords, un embarras, une
accusation. En vain elle se plonge dans d’immenses lectures, elle
fait des excès de musique, de promenades ; elle arrange sa
maison, employant son activité à parer sa chambre, à poser des
papier neufs et frais, à enjoliver ses fenêtres de rideaux, à
mettre des tapis, à fleurir des jardinières de bouquets, innocentes
et puériles distractions. Si pour rafraîchir ses lèvres brûlantes
elle s’approche des piscines de l’Église, elle se trouve en face
d’une benoîte et simple figure de curé de village, accomplissant
ses devoirs avec une monotone bonhomie comme une faction de
sentinelle, mais ne soupçonnant pas les orages de ce cœur
bouleversé, impuissant à les conjurer d’ailleurs. Il lui aurait
fallu un directeur mystique et délié, elle trouve un bon prêtre,
mais un homme ordinaire, et la religion lui semble lettre close.
Ainsi meurtrie, anxieuse, désespérée, elle court au-devant de
l’adultère.

Un
hobereau du voisinage, un gros garçon vif, bien découplé, superbe,
à bonnes fortunes, en fera sa proie. Chasseur intrépide, bon
cavalier, franc buveur, Rodolphe est un ogre sensuel. Il ne conçoit
que les brutales amours et il domine Emma comme un maître. Elle
l’aime et le craint, elle se rend à lui avec des soumissions
d’esclave tremblante devant son robuste autocrate. Non contente des
longues promenades à cheval dans les bois voisins, au risque de se
compromettre, elle va le trouver dès l’aube à son château, ou le
reçoit nuitamment dans son propre jardin, le danger même l’excite,
car l’extrême péril a en lui l’inquiétude et la nouveauté d’une
émotion poignante. Le premier, Rodolphe se dégoûte de cette
insatiable maîtresse. Au moment où elle organise sa fuite avec lui,
il la quitte, ou pour mieux dire il la plante là, en bourru et en
lâche.

À
la suite d’un pareil abandon, une terrible maladie de rage rentrée
plus que de remords s’empare de Mad. Bovary et la met à deux
doigts d’une mort qu’elle accueillerait avec reconnaissance, tant
elle est confuse et désabusée. Sa vivace nature, secondée par la
tendresse et les soins de son mari, la tirent de sa maladie, et
revenue à la vie, la pauvre créature est plus faible et plus
pâlissante encore. Ce n’est point son corps, c’est son âme qui
souffre, ce à quoi ne peuvent rien, ni la sollicitude de Bovary, ni
les médicaments saugrenus d’Homais.

À
tout prix il faut se distraire, s’étourdir, noyer son chagrin,
étouffer ses souvenirs. Et voyez la fâcheuse chance : quand
Bovary emmène sa femme à Rouen, c’est au spectacle, sous
l’impression de la Lucie,
cette mélancolique partition de Bellini, qu’elle rencontre Léon,
son premier amoureux, le petit clerc d’Yonville, aujourd’hui dans une
étude achalandée de Rouen. Combien un an de la vie de Paris a
changé le jouvenceau timide ; sa gaucherie s’est redressée en
fierté, son regard incertain s’assure, une légère moustache ombre
sa lèvre ; la coupe élégante de ses habits, la frisure de ses
cheveux l’ont métamorphosé. À sa vue, les souvenirs mal endormis
d’Emma se ravivent, les cendres mal éteintes de sa passion se
rallument, et le petit clerc d’Yonville, devenu jeune-premier et
dégourdi de sa niaiserie villageoise par les grisettes du quartier
Latin, met à profit les tendres dispositions de Madame Bovary.
L’ingénieux prétexte de leçons de piano à prendre permet à Emma
de revenir à Rouen trois fois par semaine sans éveiller les
soupçons de son mari. Il faut voir alors quelles amours, quelles
mignardises, quelles parties fines, quels roucoulements de
tourtereaux ! Timide avec Rodolphe, hardie avec Léon, elle
l’entraîne, l’enivre, le fascine. Jamais courtisane rompue aux
artifices de la galanterie ne déploya plus de séductions, n’inventa
plus de fantaisies folles, ne trouva plus de ruses amoureuses.

Pendant
que cet amour flambe par les deux bouts et que la fête recommence
toujours, la maison Bovary, minée par les dilapidations d’Emma
s’écroule, les intérêts des sommes empruntées s’accumulent, le
passif gonfle, les créanciers se montrent, les dettes criardes
aboient, les huissiers et les recors à face patibulaire déchaînent
les protêts et les papiers timbrés. Le crédit épuisé, que
faire ? Mendier la pitié des créanciers, demander l’aumône à
des bourse fermées, renouveler la ressource des hypothèques, vendre
des biens, grever des terres ? Rien ne peut combler l’abîme du
déficit. Et de quel front avouer à son mari ces dépenses ? Où
tout cet argent a-t-il passé, tandis que le pauvre diable, confiant,
se fatigue dans les labeurs qui, assouvi déjà, la rebute, et
d’humiliation en humiliation, elle s’en va frapper à la porte de son
ancien amant, de ce Rodolphe qui lui a faussé parole et l’accueille
avec l’impudence satisfaite d’un amant heureux.

Il
ne reste à Madame Bovary qu’une dernière et fatale ressource, le
suicide, elle s’y cramponne et prend bravement de l’arsenic. Elle
meurt ainsi dans toute la force obstinée de sa volonté en Madeleine
qui ne se repent pas, humiliée, vaincue, déchirée, emportant dans
la tombe le secret ou la rage de ses illusions perdues.

Le
triste Bovary, attaché à cette femme, alors même qu’il a surpris
la trace de ses perfidies, meurt également de douleur.

Tel
est ce livre navrant, d’une vérité désespérante et logique,
analysant la chute de la femme avec une impitoyable cruauté, avec
une puissance de déduction et un enchaînement de faits qui ont la
valeur et l’évidence d’une leçon de dissection.

Autour
de la figure de Madame Bovary, belle d’impudeur, élevée
au-dessus de tous les qu’en dira-t-on, mais si caressante, si souple
et si féminine, parée de l’attrait et des séductions du fruit
défendu, l’auteur a crayonné vingt portraits d’un tour net, exact
et précis, si vivants qu’il passent dans la rue. Nous avons indiqué
ce qu’était Homais, sans rien dire du père Rouault, du père
Bovary, du curé Bournisien, du marchand l’Heureux [
sic

], de la noble tête du docteur Larivière, un Dupuytren provincial.
Tout ce monde est observé, saisi, pénétré dans ses mœurs, dans
son langage, dans ses attitudes, ses vêtements, ses manies et ses
vices avec une fidélité passionnée et mouvante qui est la vie
même. Ce ne sont pas des poncifs copiés sur des livres, ni des
mannequins ajustés d’oripeaux, mais des êtres de chair et de sang,
et quand on les appelle, volontiers on se retournerait comme à des
noms de vieilles connaissances.

Voilà
de la bonne et franche réalité et non du réalisme pour prendre le
mot d’ordre d’une école qui, née sur la borne de Restif, n’a
produit jusqu’à présent que des ramasseurs de clous fouillant tous
les ruisseaux littéraires.

Comme
la femme est comprise, devinée, interprétée, quelles roueries
délicieuses, quelles scélératesses charmantes, quels mensonges
caressants, quelles grâces câlines de sirène et d’enchanteresse.
Timorée et superbe, déliée et forte, Madame Bovary vous attache
invinciblement, tant émane d’elle de volupté, d’œillades et de
sourires. Elle demeure comme un type parfait et définitif, et prend
son rang à la suite des héroïnes connues, des Clarisse Harlowe,
des Corinne, des Lélia, des Marneffe, sans être accablée ou
diminuée par ses illustres devancières.

Le
paysage, peint d’une touche large et sûre, rend l’aspect de la
Normandie dans son intimité et dans son ensemble comme les maîtres
hollandais et flamands rendent La Hollande et les Flandres depuis les
grasses prairies où tourne l’aile des moulins à vent, depuis les
mers calmes ou tempétueuses jusqu’aux fins cavaliers, jusqu’aux
paysans terreux, façonnés à coups de serpe et humant le piot dans
les tavernes.

C’est
toujours une grande joie pour nous de signaler une œuvre hors ligne,
et nous en sommes assurés, Madame Bovary restera, car après l’avoir
lu, on s’apercevra vite que Balzac [a] laissé un héritier, Gustave
Flaubert ; retenez bien ce nom, il est de ceux qu’on n’oublie
pas.

05. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Livres, lecteurs et lecture dans Madame Bovary · Catégories: Divers

Emma a semble-t-il , lu beaucoup de livres dès son plus jeune âge mais lesquels ?  Quel rôle joue la lecture dans sa vie et dans le roman ? Nous évoquerons d’abord ses lectures au couvent avant de montrer comment évoluent ses goûts littéraires et quelle place joue la lecture dans sa vie. 

Certaines
de ses
lectures favorites sont mentionnées dans le roman ;
d’autres sont simplement évoquées de manière allusive :
« Elle
avait lu Paul et Virgine et elle avait rêvé la maisonnette de
bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle…
 »
(I ,6)

Commençons
par les lectures religieuses d’Emma. La jeune fille, dès son
arrivée au couvent, est transportée par le Génie du
christianisme
: « Comme elle écouta […] la lamentation
sonore des mélancolies romantiques se répétant à tous les
échos de la terre et de l’éternité
! » Mais durant la
messe, elle est occupée à regarder les vignettes dans son livre ;
Déjà, la force des images triomphe. Or, au XIX siècle, savoir
médical et savoir religieux prononcent une même condamnation de
la littérature et en particulier du genre romanesque.Après
Paul et Virginie, les premiers livres qu’Emma fréquente
sont des catéchismes : Emma « comprenait bien le catéchisme,
et c’est elle qui répondait toujours à M. le vicaire dans les
questions difficiles »
Cependant, elle préfère rêver à
partir des illsutrations des livres plutôt que de suivre la
liturgie. : « Au lieu de suivre la messe, elle regardait dans son
livre les vignettes pieuses bordées d’azur »
. Quant au
missel, il apparaît comme un objet liturgique détourné ,
dénué de toute parole efficace. Devenu simple réceptacle, le
missel n’est pas lu : Emma y contemple les images qu’elle y a
serrées, à l’instar d’un keepsake.Au
contraire, lors de la « lecture religieuse » faite « le soir,
avant la prière », des ouvrages précis sont mentionnés : «
C’était, pendant la semaine, […] les Conférences
de l’abbé Frayssinous, et, le dimanche, des passages
du
Génie du christianisme » . L’imagination
d’Emma, renfermée toute la semaine dans les limites étroites
d’ennuyeux récits bibliques s’épanouit brusquement le
dimanche dans la prose colorée de Chateaubriand. L’ouvrage sert
de point de bascule entre bibliothèque purement religieuse et
bibliothèque littéraire : les livres évoqués ensuite seront
les romans tout profanes que la vieille lingère fournit en
cachette à Emma
.

A
15 ans, elle découvre Walter Scott et rêve d’être une châtelaine
qui regarde son prince charmant venir du fond de la campagne sur son
cheval noir. Elle se met à admirer les femmes célèbres te martyrs
de l’Histoire et lit en cachette les albums, d’auteurs inconnus pour
elle mais qui signent comte ou vicomte et écrivent sur du papier de
soie, des poèmes amoureux illustrés. Ces images vont devenir pour
elle, celles du monde réel Son esprit aime la lecture pour « ses
excitations passionnelles
 » (I,7) Après son
mariage, et après le Bal, elle s’achète un plan de Paris qu’elle
parcourt du doigt, s’imaginant arpenter les rues de la Capitale. Elle
s’abonne à des revues : La Corbeille, journal des femmes et le
Sylphe des Salons. « Elle dévorait , sans en rien passer,
tous les comptes rendus des premières représentations. » ;
Elle lut Balzac et George Sand.
Dans
Eugène Sue, elle étudia les descriptions d’ameublements. Elle
apporte ses livres à table et les lit pendant que Charles mange ;
Au fond de son âme , elle
semble attendre un événement : «
 j’ai tout luse disait-elle »
. Lorsqu’elle arrive à Yonville, Homais lui offre de partager sa
bibliothèque : « Voltaire, Rousseau, Delille, Walter
Scott » ainsi que différents journaux périodiques. »
Aux soirée
s
de M Homais, Emma
feuilletteavec
ostentation
L’Illustration
car c’est un signe de consécration sociale de faire partie des
abonnés. (II,4) Avec Léon, elle entretient un commerce de livres
e
t cela
crée entre eux une complicité.
Après
son départ à
Paris,
malheureuse, pour chasser
son vague à l’âme,
elle
essaie les lectures sérieuses : de l’histoire e
t
de la philosophie ; « 
Mais il en était de ses
lectures comme de ses tapisseries, qui toutes commencées,
encombraient son armoire.Elle les prenait, les quittait, passait à
d’autres  » (II,7) L
a
mère de Charles pense que sa bru souffre parce qu’elle est
désœuvrée ; Elle accuse les livres qu’elle lit d’avoir un
effet pernicieux sur Emma : il faut qu’elle cesse de « l
ire
des romans, de mauvais livres, des ouvrages qui sont contre la
religion. » (II,7) Donc il fut résolu qu’on empêcherait Emma
de lire des romans.
Sa
belle-mère propose de mettre un terme à tous ses abonnements et
traite le libraire d’empoisonneur.
Mais
Charles ne parvient pas totalement à obéir à sa mère et Emma
continue à lire.

Au
moment où elle devient la maîtresse de Rodolphe, Emma repense aux
femmes
adultères
de ses livres et elle se considère désormais comme leur
sœur
« a
lors elle se rappela les héroïnes des livres
qu’elle avait lus. »
Il
faut attendre la crise mystique de la fin de la deuxième partie du
roman pour retrouver chez elle un quelconque intérêt pour les
choses spirituelles et elle change de type de lectures. Après la
fuite de Rodolphe, Emma sombre dans la maladie au point qu’elle
croit mourir et demande à communier. Le sacrement lui procure un
apaisement immédiat, et pour cultiver les délices qu’elle y a
trouvées, elle ambitionne la sainteté. Inquiet de la tournure «
extravagante » que prennent les événements, le brave abbé
Bournisien veut « ramener [Mme Bovary] à la raison et lui
conseille des lectures édifiantes . Mais ces livres sont d’emblée
présentés dans la fiction comme ne pouvant être d’aucun
secours pour la pauvre Emma. Flaubert fait recommander trois types
d’ouvrages ; le premier est appelé «une pastorale de la peur
» ; il rend, le discours catholique menaçant afin d’obtenir
la conversion massive des populations, et insiste sur les thèmes
du péché, de la mort, du jugement et de l’enfer. Madame Bovary
entreprend ses lectures avec trop de précipitation et les livres
pieux lui tombent des mains (II, 14)Le
troisième livre retenu par le romancier s’intitule : les «
Erreurs de Voltaire, à l’usage des jeunes gens ». Dénué
d’auteur, il est intéressant pour son contenu ouvertement
polémique (la controverse avec l’idéologie des Lumières) .En
tout cas, l’envoi du « libraire de Monseigneur » – ou plutôt
la manière dont Flaubert en élabore la description du contenu –
présente un intérêt car elle évoque, le négoce des livres
pieux » à la fin de la monarchie de Juillet, c’est-à-dire une
librairie de propagande. L’arrogance du contenu polémique de cet
ouvrage déplait fortement à Emma.

Mais
Emma n’est pas la seule à lire ou à évoquer des livres
religieux dans le roman. Homais convoque implicitement des textes de
l’Ancien et du Nouveau testament lorsqu’il prononce son credo
de libre-penseur (p. 79-80). Quant à l’abbé Bournisien, il
les appelle à son secours pour contrer les assertions du pharmacien
;utilisés comme caution argumentative, ils doivent permettre de
répondre à la charge menée par la partie adverse.

Justin ,
le commis de Homais est surpris avec un livre d’initiation sexuelle
dans sa poche intitulé Tableau de l’ ‘amour…conjugal.et
Homais s’emporte contre ce livre infâme pourtant
écrit par un médecin ajoute-t-il
et
qui contient des enseignements pour les hommes.

Pendant
la veillée mortuaire du corps d’Emma, Homais et Bournisien
s’affrontent ainsi à coup de livres :
— Lisez Voltaire !
; lisez d’Holbach, lisez l’Encyclopédie !

— Lisez
les Lettres de quelques juifs portugais ! disait l’autre ;
lisez la Raison du christianisme, par Nicolas, ancien
magistrat !

Homais
lit essentiellement des revues médicales et le fanal de Rouen et
Charles son journal de médecine pour essayer d’apprendre à lire à
Berthe.

On
retrouve dans le roman la plupart des arguments contre la littérature
romanesque et Emma lit beaucoup durant son adolescence mais
finalement assez peu de romans lorsqu’elle rencontre Charles. Ses
lectures lui ont donné une vision déformée du monde et de l’amour
et ont façonné ses rêveries et son imaginaire.

05. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Un curé ordinaire ou une satire de la religion ? · Catégories: Divers · Tags:

Pour comprendre quel est le rôle du personnage de l’abbé Bournisien , nous montrerons d’abord que c’esr un père représentant de la religion avant de révéler qu’il forme avec Homais un duo comique et nous étudierons la réception de ce personnage lors du procès.

On ne peut que noter que l’auteur le dote d’un physique qui le prédispose à la satire dont il sera l’objet« la figure rubiconde et le corps athlétique » / L’aubergiste, le présente comme quelqu’un qui « en plierait quatre comme (Homais) sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille; il en portait jusqu’à six bottes à la fois tant il est fort »: donc plus de force physique que spirituelle.Son physique le stigmatise d’emblée comme un être défaillant et emblématique de la bêtise, mais aussi avide de plaisirs terrestres. On note à la fin de la partie II qu’il trinque quotidiennement au bon rétablissement d’Emma avec un verre de cidre.

– idée selon laquelle il est en osmose avec la bêtise du lieu: chap 2, partie II, Homais évoque en effet une bourgade campagnarde dans laquelle la médecine et la science ont peu de poids face aux croyances. Dans ce contexte de la superstition, il constitue un duo antithétique avec Homais . Le terme « curé » employé souvent en lieu et place de « prêtre » a une connotation quelque peu péjorative, ce qui se trouve renchérie par la périphrase « le vieillard à soutane ».

Il intervient peu dans le roman mais souvent à des moments clés.

– scène du baptême: il s’indigne lorsque Charles baptise sa fille avec du champagne: parodie sacrilège du premier des sacrements.

– chap 6 partie II: Emma lui rend visite sur son territoire, l’église, et s’entretient avec lui. C’est l’occasion de constater que malgré sa stature imposante et son statut, Bournisien ne parvient pas à se faire respecter par les gamins du village. Il s’emporte et fait montre de violence « distribua sur tous une grêle de soufflets »/. C’est un gourmand à la tenue négligée « Des taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la ligne des petits boutons, et elles devenaient plus nombreuses en s’écartant de son rabat, où reposaient les plis abondants de sa peau rouge; elle était semée de macules jaunes qui disparaissaient dans les poils rudes de sa barbe grisonnante. Il venait de diner et respirait bruyamment. »

Il n’est alors d’aucun réel secours pour Emma et s’impose comme un homme d’Eglise défaillant

Ce « médecin […] des âmes » (p.120), comme il se qualifie, faillit à sa mission.

– Il recourt à des formules toutes faites, des clichés, des sentences. « Enfin! que voulez-vous nous sommes nés pour souffrir, comme dit saint Paul. » impression d’un automatisme aux allures comiques puisque Bournisien de réfère à saint Paul qui évoquait des douleurs spirituelles pour évoquer des peines physiques ».

Flaubert orchestre un quiproquo : lorsque la jeune femme veut parler de sa souffrance morale et s’adresse à lui, il n’entend le mot « souffrance » que dans son acception physique, les peines terrestres. « — Comment vous portez-vous ? ajouta-t-il. — Mal, répondit Emma ; je souffre. — Eh bien, moi aussi, reprit l’ecclésiastique. Ces premières chaleurs, n’est-ce pas, vous amollissent étonnamment ? Enfin, que voulez-vous ! « / « c’est la digestion, sans doute? ».

– on perçoit l’ironie de Flaubert dans le contraste ménagé entre l’attitude du prêtre et ses propos: « Car nous sommes certainement, lui et moi, les deux personnes de la paroisse qui avons le plus à faire. Mais lui, il est médecin des corps, ajouta-t-il avec un rire épais, et moi, je le suis des âmes! »

On retrouve Bournisien au chap 11 de la partie II, au chevet d’Hippolyte. Ironie de Flaubert lorsque ce dernier, devant les horribles souffrances du jeune homme, explique qu’il faut s’en réjouir « puisque c’était la volonté du Seigneur » et « profiter vite de l’occasion pour se réconcilier avec le ciel. »/ Critique de son ton paternaliste et de ses propos qui n’ont rien de réconfortant. On ne peut que percevoir le décalage entre les douleurs et les propositions de prières: « Qu’est-ce que ça coûte? ». Bournisien ne semble pas persuadé lui-même des bienfaits de ces prières .Sa défaillance est en outre soulignée par les bavardages et les rires qu’il échange avec l’aubergiste les jours suivants au lieu de tenter de soulager le malade.

Il exerce sa religion et sa mission à la manière d’un automate hypocrite: « dès que la circonstance le permettait, il retombait sur les matières de religion, en prenant une figure convenable. ». Il donne l’impression d’exercer son sacerdoce machinalement, sans vraiment comprendre ou maîtriser le sens de ses prières. Il semble parfois jouer un rôle.

Sa réponse spirituelle n’est pas adaptée lorsqu’il rend des visites quotidiennes à Emma après la trahison de Rodolphe: « C’était à cette heure-là que M. Bournisien venait la voir. Il s’enquérait de sa santé, lui apportait des nouvelles et l’exhortait à la religion dans un petit bavardage câlin qui ne manquait pas d’agrément. La vue seule de sa soutane la réconfortait. » La description de la crise mystique d’Emma, empreinte d’une forte sensualité, témoigne d’une confusion chez elle entre sentiment religion et plaisir sensuel. C’est une façon pour l’auteur de signifier l’échec de Bournisien qui est par ailleurs si aveuglé qu’il s’émerveille des dispositions d’Emma alors qu’elle frisait « l’hystérie et même l’extravagance. »Au fil de la narration, nous ne pouvons que constater combien Emma est déçue par les secours de la religion. Ceci trouve son paroxysme finalement lorsqu’elle retrouve Léon dans la cathédrale de Rouen.

Il forme ainsi  un duo grotesque avec Homais au service de la satire:

A travers ce personnage, Flaubert dénonce certes certains travers de la religion, mais il s’attaque surtout à la bêtise.

– l’anticlérical [Homais] et la figure du clergé [Bournisien] sont l’objet de la satire de Flaubert pour leur égale bêtise. Ils lui apparaissent comme des concentrés de bêtise. Chacun est le faire-valoir de la bêtise de l’autre .

– Ceci est perceptible dans leurs disputes perpétuelles, jusque devant la dépouille funéraire d’Emma.

– Homais ridiculise les valeurs des Lumières et le scientisme en prétendant les défendre tandis que Bournisien, avilit le christianisme qu’il est censé représenter.

– il s’illustre par un manque d’intelligence, un défaut de réflexion et des propos vides ou reposant sur des clichés. Ainsi est-il sourd à la demande d’Emma et débite des banalités sur la misère.

Flaubert met en scène une série de querelles au sein du roman:

– Une première opposition arbitrée par Mme Lefrançois qui prend « la défense de son curé » en l’absence de ce dernier: « Vous êtes un impie ! vous n’avez pas de religion ! », réplique, scandalisée, l’aubergiste au pharmacien qui vient de suggérer que la force physique de l’ecclésiastique est un danger pour les… filles ! « Envoyez donc vos filles en confesse à des gaillards d’un tempérament pareil ! Moi, si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par mois. » Et l’anticlérical de pontifier : « 

– La controverse au sujet du théâtre : « Le théâtre, prétendait-il [Homais], servait à fronder les préjugés, et, sous le masque du plaisir, enseignait la vertu. — Castigat ridendo mores, monsieur Bournisien ! » Réponse de Bournisien : « si l’Église a condamné les spectacles, c’est qu’elle avait raison ; il faut nous soumettre à ses décrets. »

. Il reprend à son compte le discours usuel tenu sur le théâtre comme l’indique la formule « Telle est du moins l’opinion de tous les Pères » ou le recours à l’argument d’autorité « si l’Eglise a condamné les spectacles, c’est qu’elle avait raison. » Une telle remarque suggère qu’il débite ces paroles sans réfléchir par lui-même et sans exercer son esprit critique. Son discours est de l’ordre des idées reçues. Il supporte d’ailleurs peu la contradiction et la discussion et se montre impatient ou farouche ce qui constitue une preuve d’intolérance surprenante pour un homme d’Eglise.

– Enfin on peut considérer les échanges virulents durant l’agonie d’Emma comme l’apothéose de la bêtise. Tout d’abord Homais reprend un topos et compare les prêtres à des corbeaux qu’attire l’odeur des morts. Au chevet de la mourante, puis de la morte, ils ne songent qu’à débattre et se chamailler, totalement oublieux du contexte qui les réunit. Chacun est sourd au discours de l’autre et ils finissent par s’endormir. « — Ils s’échauffaient, ils étaient rouges, ils parlaient à la fois sans s’écouter ; Bournisien se scandalisait d’une telle audace ; Homais s’émerveillait d’une telle bêtise ; et ils n’étaient pas loin de s’adresser des injures ». A

Au terme de la veillée funèbre, ils se laissent aller aux plaisirs terrestres : « puis ils mangèrent et trinquèrent, tout en ricanant un peu, sans savoir pourquoi, excités par cette gaieté vague qui vous prend après des séances de tristesse ; et, au dernier petit verre, le prêtre dit au pharmacien, tout en lui frappant sur l’épaule : — Nous finirons par nous entendre ! ».

A la parution de son roman Flaubert fut accusé d’outrage aux bonnes moeurs et à la religion. A la lecture de son réquisitoire, on ne peut que constater que le procureur Pinard avait bien perçu l’enjeu d’un personnage comme Bournisien.

Le réquisitoire du procureur Pinard

Extrait du réquisitoire :

« Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagé au point de vue philosophique, n’est point moral. Sans doute madame Bovary meurt empoisonnée ; elle a beaucoup souffert, c’est vrai ; mais […] elle meurt après avoir eu deux amants, laissant un mari qui l’aime, qui l’adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de Léon, qui lira les lettres d’une femme deux fois adultère, et qui, après cela, l’aimera encore davantage au-delà du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre ? Personne. Telle est la conclusion. Il n’y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l’adultère soit stigmatisé, j’ai tort. Donc, si dans tout le livre, il n’y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tête, s’il n’y a pas une idée, une ligne en vertu de laquelle l’adultère soit flétri, c’est moi qui ai raison, le livre est immoral !

Serait-ce au nom de l’honneur conjugal que le livre serait condamné ? Mais l’honneur conjugal est représenté par un mari béat, qui, après la mort de sa femme, rencontrant Rodolphe, cherche sur le visage de l’amant les traits de la femme qu’il aime […] il n’y a pas dans le livre un seul mot où le mari ne s’incline devant l’adultère.

Serait-ce au nom de l’opinion publique ? Mais l’opinion publique est personnifiée dans un être grotesque, dans le pharmacien Homais, entouré de personnages ridicules que cette femme domine.

Le condamnerez-vous au nom du sentiment religieux ? Mais ce sentiment, vous l’avez personnifié dans le curé Bournisien, prêtre à peu près aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu’aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales, à peu près matérialiste .

Le condamnerez-vous au nom de la conscience de l’auteur ? Je ne sais pas ce que pense la conscience de l’auteur ; mais, dans son chapitre X, le seul philosophique de l’œuvre, je lis la phrase suivante : « Il y a toujours après la mort de quelqu’un comme une stupéfaction qui se dégage, tant il est difficile de comprendre cette survenue du néant et de se résigner à y croire. »

Ce n’est pas un cri d’incrédulité, mais c’est du moins un cri de scepticisme. […] Et moi je dis que si la mort est la survenue du néant, que si le mari béat sent croître son amour en apprenant les adultères de sa femme, que si l’opinion est représentée par des êtres grotesques, que si le sentiment religieux est représenté par un prêtre ridicule, une seule personne a raison, règne, domine : c’est Emma Bovary. »

Il critique également la scène dans laquelle Bournisien tend le crucifix devant le visage de la mourante (« alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût jamais donné »: confusion de la religion et de la sensualité), et lui administre l’extrême-onction d’une façon que Pinard juge non conforme aux « paroles saintes et sacrées » de ce sacrement, notamment parce qu’il semble précipiter les oraisons.

La plaidoirie de maître Senard:

Face à la perspicacité du procureur, Senard, avocat de la défense cherche à minimiser la portée du personnage et à inverser ses significations, faisant lui-même preuve d’une mauvaise foi rendue nécessaire par la situation ou d’une certaine bêtise (incompréhension du texte).

Extrait de la plaidoirie :

« On nous a dit encore que nous avions mis en scène un curé matérialiste. Nous avons pris le curé, comme nous avons pris le mari. Ce n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne. Et de même que nous n’avons insulté personne, que nous n’avons exprimé aucun sentiment, aucune pensée qui pût être injurieuse pour le mari, nous n’avons pas davantage insulté l’ecclésiastique qui était là.

[…] Si vous voulez des prêtres qui soient la honte du clergé, prenez-les ailleurs, vous ne les trouveriez pas dans Madame Bovary. Qu’est-ce que j’ai montré, moi ? Un curé de campagne qui est dans ses fonctions de curé de campagne ce qu’est M. Bovary, un homme ordinaire. L’ai-je représenté libertin [dico], gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela. Je l’ai représenté remplissant son ministère, non pas avec une intelligence élevée, mais comme sa nature l’appelait à le remplir. […] Dans ces querelles avec le curé, qui est-ce qui est continuellement battu, bafoué , ridiculisé ? C’est Homais. »

04. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Le personnage de l’Abbé Bournisien dans Madame Bovary · Catégories: Divers · Tags:

Si l’on en croit son défenseur, Maître Senard, Flaubert n’aurait pas fait preuve d’anticléricalisme dans sa peinture de l’abbé Bournisien :« L’ai-je représenté libertin, gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela ».

Libertin, il ne l’est, en effet, certainement pas, vu l’incrédulité, puis l’indignation avec laquelle il accueille les propos de M. Homais :« J’en ai connu, des prêtres qui s’habillaient en bourgeois pour aller voir gigoter des danseuses


— A
llons
donc ! fit le curé.— (…)
Parbleu ! ils en font bien d’autres ! exclama
l’apothicaire.


— Monsieur !…
reprit l’ecclésiastique avec des yeux si farouches, que le
pharmacien en fut intimidé
 ».

Qu’il
fût gourmand, rien ne permettrait de l’affirmer ; quant à
ivrogne, son refus du petit verre d’alcool que lui offre Madame
Lefrançois nous montre qu’il ne l’est pas :


« Voulez-vous
prendre quelque chose ? Un doigt de cassis, un verre de vin ?L’ecclésiastique
refusa fort civilement ».

Flaubert,
d’ailleurs, souligne dans sa correspondance que Bournisien
« est
très chaste et (qu’) il pratique tous ses devoirs »

. C’est donc un honnête homme, un bon curé qui s’indigne
lorsque, comme M. Bovary père, on se moque de la religion en
parodiant le sacrement du baptême, qui accomplit sa tâche avec
conscience, faisant réciter le catéchisme aux enfants, visitant les
malades : il vient voir Hippolyte après son opération et, lors
de la maladie nerveuse d’Emma, il se dérange tous les après-midi.
Enfin, on peut conclure avec l’avocat de la défense :
« Ce
n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique
ordinaire
,
un curé de campagne 
»
.

Mais,
là encore, toute l’habileté de Flaubert consiste à faire passer
ceci pour tout à fait normal. Il ne s’est pas formé de
conspiration contre Bournisien dans le village, il ne semble aberrant
à personne qu’il soit curé, il est tout à fait bien accepté
dans sa charge. Seul Homals le critique, mais il n’a pas toujours
le beau rôle ; de plus, il met moins en cause l’abbé
Boumisien lui-même et la façon de remplir ses fonctions que la
religion dans sa totalité. Enfin, Flaubert lui-même se garde bien
de porter un jugement direct sur son personnage. Ainsi, lorsqu’il
évoque, dans sa
Correspondance,
la scène où Emma, venant chercher près de Bournisien un réconfort
moral, ne trouve en lui que des préoccupations matérielles,
Flaubert écrit :
« Cela
doit avoir 6 ou 7 pages au plus et sans une
réflexion
ni une
analyse
 ».

Il
marque ainsi la volonté de s’effacer, de devenir simple miroir,
simple reflet de la réalité. L’abbé Bournisien perd dès lors
son caractère de personnage : on ne voit plus en lui la
création littéraire mais un être bien vivant, non pas inventé,
mais décrit.

Le
lecteur alors est amené à tenir le raisonnement suivant :
l’abbé Bournisien est bien un « infirme d’esprit » ;
il est en même temps curé. Or, cela n’étonne personne, cela ne
pose de problèmes à personne. C’est donc normal. Enfin, si cela
est normal à Yonville, pourquoi ne le serait-ce pas dans tous les
autres villages de France, puisque Bournisien est « un curé
ordinaire ». De là à conclure que tous les curés sont des
infirmes d’esprit, il n’y a pas très loin.

Examinons
maintenant les reproches formulés par l’accusation. Nous avons vu
que Bournisien n’était ni ivrogne, ni débauché, ni libertin,
qu’il remplissait avec conscience ses fonctions. De quoi alors
l’accuse-t-on ? D’être
« à
peu près matérialiste »
.
L’accusation n’est guère sévère en utilisant cette réticence
« à peu près ». En effet, dans la présentation même
de Bournisien, Flaubert met l’accent sur l’homme, sur l’aspect
physique dont il fait ressortir à dessein la robustesse. Ainsi, la
première fois que nous voyons le curé, dans l’auberge de Madame
Lefrançois :
« On
distinguait, aux dernières lueurs du crépuscule, qu’il avait la
figurerubiconde
et  le
corps
athlétique
. »

Cette force est soulignée par l’aubergiste :
« D’ailleurs,
il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l’année
dernière, aidé nos gens à rentrer la paille ; il en portait
jusqu’à six bottes à la fois, tant il est fort ! 
»

C’est
sa vigueur encore qui est mise en relief lorsqu’il admoneste les
gamins dans l’église :« Les
prenant par le collet de la veste, il les enlevait de terre et les
reposait sur les pavés du chœur, fortement comme s’il eût voulu
les y planter
 »
.

De
plus, Flaubert nous le montre presque toujours dans les occupations
les plus prosaïques : manger, boire, dormir, ronfler, se
moucher, priser. Quand Emma vient le trouver, dans sa détresse,
« il
venait de dîner et respirait bruyamment »

et il lui raconte une plaisanterie qu’il a faite sur le nom d’un
de ses élèves ;

Il
plaisante encore quand il rend visite à Hippolyte, estropié par la
malencontreuse opération de Charles :
« Il
causait avec l’aubergiste et même racontait des anecdotes
entremêlées de
plaisanteries,
de
calembours
qu’Hippolyte ne comprenait pas. »

Enfin,
alors que Charles, Homais, Binet et le curé se retrouvent tous
ensemble dans le jardin pour boire du cidre doux au rétablissement
d’Emma, si le bouchon saute et que le cidre déborde,
« alors
l’ecclésiastique ne manquait jamais cette
plaisanterie :« —Sa
bonté saute aux yeux ! »

Et
comment oublier le spectacle de Bournisien et de Homais, tous deux
endormis près du cadavre d’Emma :
« Ils
étaient en face l’un de l’autre, le
ventre
en avant
,
la figure bouffie, l’air renfrogné (…) se rencontrant enfin dans
la mêm
e
faiblesse
humaine
 »et
qui, se réveillant, « mangèrent
et trinquèrent ».

L’homme,
toujours, l’emporte sur le prêtre. Symboliquement, la soutane de
Bournisien, signe de sa fonction, est maculée de taches de
nourriture et de tabac. :
« Des
taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la
ligne des petits boutons, et elles devenaient plus nombreuses en
s’écartant de son rabat, où reposaient les plis abondants de sa
peau rouge »
.

Parle-t-il
de son état de prêtre ou s’aventure-t-il à discuter religion,
presque toujours est alors souligné un détail qui détruit l’effet
de ce qu’il dit et crée souvent un contraste comique.

Ainsi,
quand il se compare à Charles :
« Mais
lui, il est le médecin des corps, ajouta-t-il avec un
rire
épais
,
et moi, je le suis des âmes »
.

Mais,
plus grave encore : ce côté matérialiste se retrouve dans les
propos de Bournisien. Inutile de rappeler la scène si connue entre
Emma et le curé, lors de laquelle la jeune femme recherche un
réconfort moral tandis que le prêtre ne
« songe
qu’au physique ».

Si,
lors de ses visites à Hippolyte, le curé incite l’infirme à
reprendre ses pratiques religieuses, quels arguments emploie-t-il ?
L’espérance d’une vie future ? Non, il évoque avant tout
des raisons sentimentales :
« Oui,
fais cela !
pour
moi
,
pour

m’obliger
 ».

Sa
foi est fondée sur une sorte de pari mesquin où il n’a rien à
perdre. C’est en somme une assurance pour le cas où, par hasard,
Dieu existerait :
« Ainsi,
par
précaution
,
qui donc t’empêcherait de réciter matin, et soir un « Je
vous salue Marie, pleine de grâce » et un « Notre Père,
qui êtes aux cieux ? »
Et
quand Hippolyte témoigne du désir de faire un pèlerinage, «
 M.
Bournisien répondit qu’il ne voyait pas d’inconvénient ;
deux
précautions

valaient mieux qu’une.
On
ne risquait rien
 ».
La religion est toujours rabaissée par lui. Quand Emma est malade,
après la fuite de Rodolphe,
« il
l’exhortait à la religion dans un
petit
bavardage câlin

qui ne manquait pas d’agrément »
.

Enfin,
lorsqu’il vante à Homais les mérites de la confession, c’est
pour en souligner l’intérêt pratique :
« Il
s’étendit sur les restitutions qu’elle faisait opérer »
.

C’est
pourquoi Flaubert, lorsqu’il montre Bournisien dans l’exercice de
son culte, s’attache à le décrire de l’extérieur. Nous ne
voyons plus alors que des gestes qui semblent absurdes, parce que
dénués de toute signification. Ainsi, Flaubert ne nous dit presque
jamais que Bournisien est en train de prier, mais il écrit :
« Le
prêtre, appuyé sur un genou,
marmottait
des paroles basses »
.

Enfin,
la dernière image que nous garderons de Bournisien sera totalement
négative : c’est celle d’un homme acariâtre et presque
gâteux. Flaubert laisse alors la parole à Homais, le plus grand
adversaire du curé :
« D’ailleurs,
le bonhomme tournait à l’intolérance, au fanatisme, disait
Homais ; il fulminait contre l’esprit du siècle, et ne
manquait pas, tous les quinze jours, au sermon, de raconter l’agonie
de Voltaire, lequel mourut en dévorant ses excréments, comme chacun
le sait »
.

Le
portrait que Flaubert a tracé de Bournisien est donc extrêmement
sévère. Flaubert a traduit dans la peinture de ce prêtre tout le
ressentiment qu’il éprouvait contre une certaine forme de clergé
et peut-être contre tout clergé. .

Dans
son souci de faire de Bournisien un prêtre ordinaire, il en fait le
représentant du clergé. Or, quelle est son attaque fondamentale ?
Nous avons montré que tout tend à souligner le côté uniquement
humain de Bournisien : l’accent mis sur sa description
physique, le fait de le montrer la plupart du temps dans des
activités purement matérielles et de décrire, de l’extérieur,
les gestes sacerdotaux du prêtre ; enfin, les propos uniquement
matérialistes de celui-ci, qui sont le signe d’une religion
infantile, considérée comme une sorte de passeport pour une
éventuelle vie future et fondée sur une série de dogmes qu’il
s’agit de suivre à la lettre, sans les comprendre.

À
travers Bournisien est donc dénoncée la fonction même du prêtre :
les prêtres ne sont que des hommes, souvent bêtes, plus ou moins
grossiers et qui, bien évidemment, ne sont chargés d’aucune
mission divine, ne sont les représentants d’aucun dieu.

La
critique de Flaubert est d’autant plus grave que, contrairement à
Balzac et à Stendhal, il montre l’abbé Bournisien dans l’exercice
de ses fonctions — préparation des enfants à la communion ;
la messe ; l’extrême-onction — et que, à travers lui, ce
n’est pas seulement le clergé qui est attaqué, mais la religion
tout entière.

Un
article de Claudine Vercollier

04. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Un mal nommé bovarysme: explications et définitions . · Catégories: Divers · Tags:

Emma Bovary se nourrissait de rêves et de clichés romantiques pour combler une vie faite d’insatisfaction. Flaubert y a dépeint les ravages de l’ennui et de la bêtise ordinaire, mais il était aussi sujet à des crises d’épilepsie 

Oeuvre phare de Flaubert, Madame Bovary n’a rien d’un thriller moderne. On y trouve l’histoire banale d’une femme mal mariée, qui trompe son mari, le ruine et finit par se suicider, s’étant perdue dans la poursuite de chimères romantiques inspirées par des romans à l’eau de rose. D’où vient alors l’attrait exercé par cette femme dont la seule particularité est de rêver des aventures merveilleuses alors qu’elle mène une vie des plus ordinaires ? La description de ses états d’âme est tellement juste, qu’un terme a été forgé pour désigner le mal particulier qui la ronge : le bovarysme.

L’essayiste
Jules de Gaultier propose le terme dans deux livres successifs, en
1892, puis en 1902 : « (Emma Bovary) a personnifié en elle cette
maladie originelle de l’âme humaine à laquelle son nom peut
servir d’étiquette, si l’on entend par “bovarysme” la
faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il
n’est.
» Le bovarysme consiste donc à « se concevoir autre
que l’on est ». Cette faculté, ce pouvoir, renvoie donc non pas à
un vice ou à une faiblesse de caractère, mais à une fonction
psychologique qui est propre à l’espèce humaine.

S’il
existe un bovarysme intellectuel et un sentimental, les psychologues
ont été plus intéressés par les notions de bovarysme normal et
pathologique. Ce dernier représente certes un excès dans la
fausseté de la conception de soi, mais surtout l’absence d’esprit
critique vis-à-vis de son erreur. Le bovarysme clinique implique de
ne pas se rendre compte que l’on se conçoit autre que l’on est.

Mais
revenons à Emma Bovary. D’où lui vient son bovarysme ? Gaultier
met initialement en cause son éducation dans un couvent fréquenté
par des jeunes filles de la haute société, où elle fut soumise à
l’âge de 13 ans à l’influence d’une « vieille fille » qui
venait lui lire des sagas sentimentales et lui glisser des livres : «

Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées et
s’évanouissant dans des pavillons solitaires, […] forêts
sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers,
[…] messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux,
vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent
comme des urnes
.
» L’effet fut immédiat, déjà « e
lle
aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines
au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs
jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder
venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope
sur un cheval noir
».
Cette «
attirante
fantasmagorie des réalités sentimentales
»,
à un âge précoce, marque le début d’un tempérament qui ne la
quittera plus et ne fera que s’intensifier.

Par
la suite, Gaultier préférera mettre en avant la psychologie même
d’Emma, sa personnalité : « La nécessité interne qui la régit
choisit, parmi les circonstances qui l’environnent, celles qui sont
propres à satisfaire sa tendance. » Elle a donc en elle, depuis le
début, « ce besoin de se concevoir autre qu’elle n’est ».

Le
bovarysme a connu son heure de gloire en psychiatrie dans les années
1930 en France. , « le bovarysme pathologique est considéré comme
l’impuissance à s’adapter à la réalité ». Par la suite, la
notion de dégénérescence et d’hystérie sera souvent reprise, et
associée à l’idée de « spleen ». Plus tard, on fera un
rapprochement avec la paranoïa, dont le bovarysme ne serait qu’une
version allégée, mais comportant les mêmes symptômes, à savoir
surestimation de soi, méfiance, fausseté de jugement et
impossibilité de s’adapter à la vie sociale. D’autres psychiatres
viendront ensuite impliquer les notions de mythomanie, en
redéfinissant le bovarysme comme « le pouvoir départi à l’homme
de se concevoir mieux…

04. janvier 2016 · Commentaires fermés sur De quelle maladie souffre au juste Madame Bovary ? · Catégories: Divers · Tags:

Cet article, paru en 2011 dans une revue médicale, résume le bulletin d’un psychiatre qui a lu Madame Bovary et y reconnaît certains symptômes de la bipolarité appelée également épisodes maniaco-dépressifs ? 


Flaubert,
en écrivant son « Madame Bovary », en a fait un
prototype de dépressive – bien autre chose, déjà, qu’une
simple déprimée. Quand on dit de quelqu’un : « c’est
une Bovary », s’inscrit aussitôt en fond d’écran la
mélancolie d’une province qui s’ennuie ; un automne trop
mouillé, le soir qui tombe tôt, le silence qui entrecoupe de
chiches conversations au coin d’une cheminée, dans laquelle le feu
s’étiole aussi ; l’insupportabilité des lieux, des choses,
des gens… bref, tout ce qui fait qu’on « bovaryse ».Mot,
du reste, réservé au genre féminin, associé, sans doute dans
l’imaginaire collectif, aux fluctuations brusques et imprévisibles
de l’humeur, aux larmes (non, aux pleurnicheries), à
l’instabilité…

Mais
en relisant ce livre unique, à l’autre bout de ma vie de lectrice
(le premier passage étant là-bas, au temps de ma seconde), il y a
eu, comme une évidence clinique : Emma Bovary est une
bipolaire, Le trouble a commencé – avant l’histoire – à la
fin de son adolescence : « Melle Rouault ne s’amusait
guère à la campagne…
 » ; manquent
évidemment les informations essentielles sur l’hérédité… les
femmes, comenecent souvent la maladie par un moment dépressif :
« assise sur le gazon, Emma ne cessait de se répéter :
mais pourquoi, mon Dieu, me suis je mariée ?
 ».
L’environnement est souvent déclencheur, nous dit-on, alors, oui,
celui d’Emma est négativement porteur ; village enclavé,
paysage de bocage, huit clos, climat, belle-mère ! Ennui
absolu, invasif ; lignes de fuite se multipliant comme autant
d’éclairs en temps d’orage. Désir d’évasion : « elle
s’acheta un plan de Paris, et, du bout du doigt, sur la carte, elle
faisait ses courses dans la capitale… elle remontait les
boulevards, s’arrêtant à chaque angle, entre les lignes des
rues… ».


Sensations
terribles : « e
t
le chagrin s’engouffrait dans son âme avec des hurlements doux,
comme le vent d’hiver dans les châteaux abandonnés… cette
douloureuse rêverie que l’on a sur ce qui ne reviendra plus ;
la lassitude qui vous prend après chaque fait accompli…
 ».
; le corps ici parle plus souvent qu’à son tour : « 
elle
se plaignait d’éprouver, depuis le commencement de la saison, des
étourdissements ;

e
lle
demanda si les bains de mer lui seraient utiles
 » ; malaises,
défaillances, douleurs hystériques presque théâtralisées ;
hypocondrie, évidemment ; « 
malgré
ses airs évaporés, Emma ne paraissait pas joyeuse… elle gardait
aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la
figure des vieilles filles… elle était pâle partout, blanche
comme un linge… pour s’être découvert trois cheveux gris, elle
parla de sa vieillesse ».

Le
personnage s’engouffre alors dans les investissements amoureux –
Rodolphe, bien sûr, peut-être surtout Léon – entre le désir
réel ou fantasmé,  ; tout, butant au final sur l’absence de
décision, l’impossibilité du retour à l’agir propre au réel :
« alors les appétits de la chair, les convoitises d’argent,
les mélancolies de la passion, tout se confondit dans une même
souffrance, et, au lieu de détourner sa pensée, elle l’y
attachait davantage, s’excitant à la douleur 
» ;Le
retrait des affects dans la maternité notamment – on appelle la
chose « affects émoussés » – est palpable, chez Emma,
dans ses rapports ambivalents, mais fortement indifférents, à sa
fille (encore que là, cela se mélange à l’amour maternel,
version siècles anciens).

La
frénésie collectionneuse d’objets, souvent délaissés, dès leur
arrivée ; les achats compulsifs marquent
également l’avancée de la maladie  ;
Des études entières ont sans doute été faites sur le rapport à
l’argent de Madame Bovary, et, par là, de
son besoin
d’exister, d’être valorisé, de manifester surtout sa toute
puissance. Emma
passe par différentes phases :
agitation et irritabilité alternent
avec des phases d’abattement
« certains
jours, elle bavardait avec une abondance fébrile ; à ces
exaltations, succédaient tout à coup des torpeurs où elle restait
sans parler, sans bouger
… »

Le
suicide est la première cause de mortalité des maniaco-dépressifs :
prise
dans une tenaille
financière, la
fin de sa relation avce Léon
a sans
doute
tenu lieu de déclencheur. Les délires hallucinatoires qui
accompagnent parfois
la crise maniaque, apparaissent alors : « il
lui sembla tout à coup que des globules couleur de feu éclataient
dans l’air comme des balles fulminantes en

s’aplatissant… », délire de perception, plutôt que
d’interprétation, donc.Il
faut dire qu’en matière de troubles mentaux, Flaubert savait de
quoi il en retournait ! Atteint lui même (il parlait de ses
« maux de nerfs ») ; En
plus de son épilepsie avérée, Flaubert ne soufrait-il pas lui
aussi d’un
soupçon de bipolarité – la maladie des créateurs – « il
ne se passe pas de jours sans que je ne voie passer devant mes yeux,
comme des paquets de cheveux ou des feux debengale
 »
confie-t-il à un ami ; « mon
moi sombrait comme un vaisseau sous la tempête 
»
dit-il fort justement ici ; « dans
ma jeunesse, je m’ennuyais atrocement, je rêvais le suicide
 »
écrit-il encore

Il
paraîtrait pourtant qu’il n’aurait jamais dit « Madame
Bovary, c’est moi ! » pourtant que de points communs
dans l’expression et les manifestations du bovarysme.

 

 

01. janvier 2016 · Commentaires fermés sur Illusions et désillusions dans Madame Bovary · Catégories: Divers

On  présente souvent Madame Bovary comme une éternelle insatisfaite , qui vit d’illusions et souffre lorsqu’elle est confrontée à la réalité . Essayons de comprendre dans quels domaines elle s’illusionne et comment le roman organise-t-il le passage de la phase des illusions  à celle de la désillusion.

Les introductions doivent aller  droit au but et ne pas s’encombrer de détails inutiles car sans rapport avec le sujet.Les termes doivent être analysés avec précision et la réflexion, l’analyse doivent être apparentes. 

 On pouvait par exemple proposer comme accroché l’idée que le roman de Flaubert retrace le destin d’une héroïne qui se perd dans un monde d’illusions, qui va de déceptions en deceptions, et tout l’art du narrateur justement consiste à nous faire prendre conscience des illusions trompeuses qui gouvernent Emma et la mèneront, au terme d’une construction élaborée , à mettre fin à ses jours par désespoir. Une erreur fréquente a consisté à ne endure en compte que le rôle  de l’héroïne dans ce mécanisme . Les personnages secondaires , le cadre de l’intrigue ainsi que le narrateur et son ironie dévastatrice ainsi que sa satire parfois grinçante , pouvaient également faire l’objet de développements intéressants. 
“Le roman Madame Bovary paru en 1857, fut le résultat de cinq années d’écriture et de façonnage de Flaubert. Son personnage principal,  l’héroïne éponyme Emma Bovary , semble être plongée , dès son plus jeune âge dans une représentation illusoire de la réalité de la vie. Nous expliquerons  dans une  première partie l’origine de la plupart de ses illusions et comment elles se manifestent au sein de l’intrigue ( ou quelles sont leurs conséquences ) . Ensuite, nous verrons que l’amplification des illusions du personnage conduit à un mécanisme destructeur qui fait alterner espérances rompe use et désillusions cruelles. Ce processus conduira à la mort tragique du personnage ainsi qu’à la prise de conscience par le lecteur des dangers du romantisme . 
Autre possibilité d’introduction . On pouvait partir du conflit intérieur de Flaubert et montrer que le roman , et notamment son héroïne , incarne la lutte entre le cancer du lyrisme et les élans romantiques et la nécessité du principe de réalité , cette impersonnalité et cette absence d’épanchement sentimental revendiquées par le romancier . ” Emma Bovary est un personnage au destin tragique. En effet, sa vie ne lui a jamais donné entièrement satisfaction et elle s’aveugle avec des idéaux romantiques acquis des ses années au couvent. Elle vit donc dans un monde  imaginaire peuplé d’illusions et où les deceptions vont rapidement se succéder, à son plus grand désespoir. Comment Flaubert parvient- il à organiser le passage des illusions aux deceptions et quels sont les enjeux de ce mécanisme déceptif ? C’es ce que nous allons étudier en montrant d’abord une femme à la recherche d’un idéal , souvent ridiculisée par le narrateur ,avant de nous intéresser à la transformation de ce personnage, qui devient capricieux et passe à cotée de la réalité, au risque d’y laisser finalement la vie.
Les types de plans : les plans les plus astucieux se fondaient à la fois sur la chronologie des événements mais permettraient aussi de créer des liens entre les différentes épreuves vécues par le personnage.
Un exemple de développement sous formes de notes. Un exercice utile pourrait consister à y ajouter des citations précises tirées de l’œuvre .
1. Origines et matérialisation des illusions 
Le rôle de l’éducation au couvent et des lectures romantiques . Amants, amantes, échappées au clair de lunes, princesses délivrées, fuites. Clichés romantiques qui altèrent la perception de l’amour et de ses manifestations. 
L’apparition de Charles qui la délivre d’une vie à la ferme. Emma rêve d’une noce romantique avec cortège nocturne de flambeaux et rencontre Léon qui partage ses inclinaisons et ses goûts pour la,déclamation des vers de Lamartine , les harpes et les sanglots. Le déménagement contribue à maintenir l’illusion d’une vie nouvelle mais les interventions du narrateur démentent la vision idyllique du personnage. Maison humide et froide , Yonville bourg peu intéressant , Charles se transforme en  bête domestique , réduit à des fonctions corporelles.
Emma se rêve en femme de médecin, en bourgeoise obéie de ses domestiques, en amante passionnée et en mère accomplie. Le bal marque le point d’orgue de cette vie rêvée et le point de départ d’un  mouvement de déception. ” la crevasse dans la vie d’Emma” le regret cuisant de n’avoir jamais été réinvitée. Elle a entrevu ce qu’elle aurait pu devenir, son idéal de vie. 
Transition  Premiere série de confrontations avec la réalité décevante
2. Les désillusions se succèdent. La fuite en avant Or Charles n’est qu’un officier de santé et n’ a aucune ambition  , Berthe est une fille qu’Emma trouve laide et sa déception est cuisante ( altération du lien affectif  amorcé par le manque d’argent qui avait amené Emma à énoncer au plaisir des achats de naissance) , son mari la dégoûte. Après le départ de Léon pour Rouen, tombe dans les bras de Rodolphe,et se réjouit d’avoir découvert le plaisir charnel dans l’adultère . Elle a transgressé l’interdit et s’identifie enfin aux héroïnes romanesques de sa jeunesse. Son projet de fuite avorté en raison de la trahison de Rodolphe la conduit au bord du suicide. Reprise en main, retour à des valeurs morales, piété affectée ..
3. Accélération de sa chute. 
Convalescence se termine avec retour de Léon, nouvel adultère et augmentation des dettes (achats comme mécanisme compensatoire qui annihile en partie la frustration liée à cet écart entre rêves et réalité . )
Passion décevante qui évolue en platitude du mariage et Emma prend des airs de catin, courtisane dépravée . Aggravation du processus qui mène après le désengagement de Léon à la destruction du personnage acculé aux conséquences bien réelles de son endettement . Perte des dernières illusions en cascade. Refus de Rodolphe, chantage de Lheureux et avances directes du notaire. Emma choisit d’en finir en s’empoisonnant lorsqu’elle réalise à quel point elle s’est laissée aveugler par ses illusions ( rôle de l’aveugle)
Pour terminer, perception du lecteur sur le roman à comparer avec parcours du personnage principal. Lui aussi oscille entre illusion d’une intrigue, d’un élan romanesque et platitude du style, des dialogues, bêtise et médiocrité des personnages secondaires sont des sources de déception pour les lecteurs. Ses espoirs constamment déçus. Emma ne semble pas tirer les leçons de ses actes et reproduit les mêmes erreurs , passe à côté de la vraie vie et mène son entourage au désespoir et à la ruine. Donc  illusions dangereuses. Titre d’un roman de Balzac.les illusions perdues.  Faut- il se résoudre à accepter la réalité ? 
17. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Seconde sortie à Paris : dans Le Ventre de Paris · Catégories: Divers · Tags:

Pour illustrer un peu notre découverte du roman de Zola, nous sommes allés ce 17 décembre , découvrir le quartier des Halles en compagnie d’un guide .

Tout a bien commencé : la classe était au rendez-vous à l’heure dite en dépit des embouteillages malheureusement habituels de l’avenue du Général Leclerc . Le train lui aussi était à l’heure et c’est avec quelque minutes d’avance,  après un changement rapidement exécuté gare du Nord (on sent qu’il ont acquis l’expérience de la visite précédente)  et  5 stations de métro de la ligne 4 , que  nous avons rejoint notre guide, à la porte du Jour; Le temps était de la partie pour notre plus grand plaisir et nous avons pu profiter de la douceur exceptionnelle de ces veilles de Noël;

 Quelques mots en guise d’introduction sur le site des Halles, ancien marché depuis le douzième siècle et qui révéla l’architecte Baltard qui y fit ériger  une dizaine de pavillons en métal vert.  L’esplanade est en  travaux depuis plusieurs années, la réouverture des jardins est attendue avec impatience par les riverains. Une première étape  nous fit découvrir l’église Saint Eustache et la Halle au blé avec une curiosité architecturale: la tour de l’ancien palais de Catherine de Médicis; A l’origine, l’Eglise fut construite sous Louis- Philippe en prélevant une sorte de taxe sur chaque caisse de  poisson vendue aux halles.

 Dans l’église où Molière fut baptisé et où Louis XIV fit sa première communion, nous avons pu admirer le tombeau de Colbert, ainsi qu’une sculpture pour le moins originale qui représente le déménagement des maraîchers des Halles à Rungis.

 Le quartier Montorgueil nous mit en appétit avec tous ses commerces de bouche : spécialités d’escargots , de fruits de mer, ou de tripes (cuisinées à la mode de Caen, ce sont les 4 estomacs des boeufs qui cuisent pendant douze heures dans un bouillon..dixit le patron du restaurant A la belle Normande où François Mitterand venait souvent déjeuner. )  Pour ceux qui préfèrent les douceurs, ils purent admirer les babas au rhum (une invention que nous devons au pâtissier du roi Stanislas Leczinski) et les puits d’amour (un gâteau inventé pour célébrer les serments que les amoureux échangeaient devant un puits au carrefour des rues de la petite et de la grande Truanderie.) Nos pas nous menèrent ensuite vers l’hôtel du Duc de Bourgogne où Jean Sans peur finit par se réfugier avant de mourir de mort violente comme un autre personnage célèbre : le roi Henri IV poignardé par Ravaillac en 1610. 

Nous sommes passés sur les lieux du crime. La balade s’est achevée sur la dalle de l’ancien cimetière des Innocents ; par manque de place, les parisiens  se mirent à créer des entassements d’osselets d’assez mauvais goût selon les élèves.. juste avant l’heure du déjeuner; Ont-ils , à votre avis , dégusté des huîtres comme les héros de Balzac, des tripes ou des escargots ?  Disons que les géants de la restauration américaine ont sans doute eu leurs faveurs ; Il faisait trop beau pour es réfugier dans les 3 étages des boutiques du forum des Halles et ils n’avaient pas beaucoup de temps , mais espérons qu’ils ont pu profiter de ces moments pour flâner, le nez en l’air , dans ce quartier parisien très animé et agréable en raison de se nombreuse rues piétonnes; C’est déjà l’heure de rentrer  après avoir déjeune à la terrasse du père Tranquille;  il sont tous là ; certains sur un rocher au soleil, d’autres sagement assis à côté du lieu de rendez-vous ,tous ou presque : deux irréductibles  manquent à l’appel; Elles rentreront toute seules;

 On les comprend : elles ont voulu profiter un peu plus de cette ambiance parisienne. Quand recommence-t-on ? Quelles autres facettes de Paris découvrirons nous la prochaine fois ? 

16. novembre 2015 · Commentaires fermés sur Roman moral ou immoral : comment juger Madame Bovary ? · Catégories: Divers · Tags:

Lors du procès de Madame Bovary qui s’ouvre en janvier 1857, les trois principaux chefs d’accusation évoquent l’outrage à la morale publique , l’outrage à la religion et la couleur lascive qui porte atteinte aux bonnes moeurs  . Le défenseur de Flaubert, Maître Ménard va citer de nombreux passages du  roman pour tenter de démontrer que l’écrivain n’a commis aucune faute contre  la morale ; mais que faut-il entendre au juste par ce terme ? et comment savoir si les accusations dont a été victime le romancier sont fondées ? 

  En réalité, c’est le comité de rédaction de la revue de Paris qui publie le roman de Flaubert sous forme de feuilletons, qui décide collectivement  de supprimer certains passages du roman jugés “sulfureux” notamment la scène où Emma et Léon consomment l’adultère dans un fiacre qui roule  ; Du coup, Flaubert proteste et la justice s’empare de l’affaire dans un contexte politique qui révèle de la part du gouvernement impérial , un désir de contrôler la production artistique contemporaine. L’avocat Ernest Pinard est le porte-paroles de l’accusation.  Nous examinerons donc ses principaux arguments .Alors que l’outrage aux bonnes moeurs vise tout ce qui blesse la pudeur comme l’emploi de certains mots  orduriers ou grossiers qui désignent des réalités inacceptables pour la société de l’époque , on entend  par morale publique l’ensemble  qui demeure à définir, des valeurs sur lesquelles se fonde un  consensus social , et   sur lesquelles la plupart des gens sont d’accord comme par exemple l’institution du mariage ou la condamnation de l’adultère, le respect des parents; Reprenons donc les griefs du procureur afin de voir s’ils sont vérifiés par le roman ; Ensuite, nous examinerons les justifications apportées par le défenseur du romancier, maître Simard et enfin nous nous demanderons si l’écriture d’un roman, ouvrage de fiction doit obéir aux catégories de la morale.

 Que reproche-t-on au juste  à Madame Bovary ?  Le procureur débute son réquisitoire en faisant état de la couleur lascive du roman; il compte démontrer que Flaubert s’attache à des détails grivois comme par exemple le contentement sexuel de Charles après sa nuit de noces :  “ce mari du lendemain que l’on eut pris pour la vierge de la veille” Le mariage a donc satisfait a priori les sens de Charles qui est désormais “le coeur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente” On reproche évidemment  à Flaubert d’avoir ridiculisé le mariage dans la personne de Charles , un mari naïf, béat et stupide pour certains, qui va jusqu’à pardonner à l’amant de sa femme et qui refuse de croire qu’elle l’a vraiment trompée même quand il lit les lettres qu’elle recevait de Rodolphe  . Mais c’est surtout le personnage d’Emma et son immoralité qui est la cible principale des critiques du procureur.

 Pourquoi des accusations aussi virulentes ? Le contexte littéraire de l’époque a sans aucun doute joué un rôle important dans la réception du roman par ses contemporains. En effet, Flaubert fait partie de la génération réaliste  et opère , à sa manière, une rupture avec le passé romantique; Le roman devient un outil d’exploration du réel et tente de restituer la banalité et la  trivialité  de l’existence. Napoléon III porté au pouvoir par une frange cléricale et progressiste de la population, exerce un pouvoir autoritaire et n’hésite pas à censurer ou à exiler les artistes porteurs de ce qu’il considère soit, comme une modernité trop audacieuse, soit comme une opposition politique masquée. Flaubert appartient également à cette jeunesse qui refuse et critique les valeurs morales dominantes mais a grandi avec des modèles romantiques qui ont façonné son goût et qu’elle continue à admirer. Dans les cercles des romanciers réalistes, on milite pour un art sans lyrisme et le roman entre dans l’ère positiviste qui , suivant les préceptes de la philosophie d’Auguste Comte, s’efforce d’avoir une approche scientifique du réel.La critique conservatrice  ne mâche pas ses mots et évoque parfois une littérature putride, facile, dangereuse sur le plan moral car elle recherche le succès au moyen de l’immoralité des intrigues, des perversités des personnages et du cynisme des tableaux. Un article dans le Figaro parle même d’une “école monstrueuse de romanciers”. Seul le public qui va plébisciter les romans réalistes fera pencher la balance; le roman, genre jusque là considéré comme mineur, accède à la notoriété lorsqu’il élargit son champ de vison et embrasse, justement, la totalité du réel, l’ensemble des catégories sociales et lorsque sa matière s’inspire des faits divers relatés dans la presse régionale. Rien d’étonnant donc que les critique pleuvent sur le roman de Flaubert et une morale bien pensante veut voir en lui un farouche adversaire du mariage , considéré alors comme un des piliers de l’ordre social avec la religion. 

En effet , Emma est déçue par son mariage mais c’est parce qu’il ne comble pas ses attentes romantiques : ce n’est pas l’institution que Flaubert remet en cause mais bien plutôt l’éducation de la jeune fille qui se “considérait comme fort désillusionnée, n’ayant plus rien à apprendre, plus rien à sentir.” Emma est également déçue sur le plan social car la situation de son mari ne lui permet pas d’avoir le luxe dont elle rêvait et qu’elle avait imaginé à partir de ses lectures. Elle se considère comme supérieure à lui : ” Mais il n’enseignait rien celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. “Mais le père Rouault ne donne t-il pas une autre image de la félicité conjugale lorsqu’il évoque les souvenirs de son bonheur passé.  Tou else couples ne sont pas malheureux dans le roman et pour beaucoup, comme pour Léon, par exemple le mariage demeure un but.Le  reproche d’avoir évoqué “les souillures du mariage et la désillusion de l’adultère” est donc bien fondé mais il est fait partie de l’évolution du personnage.

De manière plus inquiétante, bon nombre de personnages qui gravitent autour d’Emma se livrent , en toute impunité à des escroqueries en tous genres: Homais pratique illégalement la  consultation médicale pendant que Lheureux pratique des taux d’usure scandaleux et pousse les petits bourgeois à s’endetter ; Il s’assure même la complicité d’huissiers et on pourrait presque évoquer une association de malfaiteurs. Le notaire n’hésite pas à demander à Emma des faveurs en profitant de sa détresse: il serait accusé ,sans doute, dans un tribunal si Emma portait plainte. Pourtant ces faits ne sont pas apparents dans le réquisitoire du procureur. Peut-être parce qu’il est plus facile d’accuser un personnage de représenter les vices qu’il incarne plutôt que d’imaginer que tous les personnages représentent la part de vices des individus auxquels ils font référence ? En fait, ce sont les personnages secondaire qui totalisent le plus d’outrages au bonnes moeurs et l’intention critique de Flaubert est ici sous-jacente. Il semble donc que le réquisitoire du procureur soit à charge uniquement contre Emma alors que le personnage s’intègre dans l’économie d’un ouvrage qui , d’une manière plus globale, vise à critiquer les moeurs de province et à montrer l’étroitesse d’esprit des bourgeois médiocres aux rêves de grandeur. On pourrait pardonner à Emma son bovarysme parce qu’elle en meurt mais Homais, lui, triomphe et personne n’y songe à mal . Ce qui tendrait à prouver qu’art et morale ne font pas forcément bon ménage et qu’on aurait sans doute tort de réduire un roman à sa portée morale, souvent sujette à caution et source de différentes interprétations.