26. mars 2020 · Commentaires fermés sur Voltaire fait dialoguer des volailles : quand les animaux jugent les hommes · Catégories: Spécialité : HLP Première

Voltaire est un écrivain  mais également un philosophe majeur qui fit partie du courant des Lumières . Il combattit pour un certain nombre d’idées comme la tolérance religieuse ; déiste, il pensait que Dieu existait mais qu'il était le grand horloger de l'univers et qu'il n'intervenait pas dans les décisions des hommes. Dans ses contes philosophiques comme Candide ou Zadig,ou encore l’Ingénu il dénonce la cruauté de l’homme envers ses semblables et particulièrement  ceux qui ne lui ressemblent pas ainsi que le fanatisme qui pousse , notamment certains religieux, à faire tuer ceux qui ne partagent pas leurs croyances. Humaniste, il dénonce également, de manière plus générale, la pratique de la torture notamment, ordonnée par des juges lors des procès et  lors des interrogatoires de prisonniers ou dans le cadre de l’inquisition, ces tribunaux religieux où l’on condamne des hérétiques à mourir dans d’atroces souffrances ; Il fustige également également les pratiques des esclavagistes qui considèrent leurs esclaves comme des objets et leur infligent les pires châtiments ; Tous ces actes de barbarie , Voltaire les juge infâmes .

 Ce qu’il faut retenir de ce dialogue entre un chapon et une poularde  : En choisissant deux animaux et en les faisant dialoguer, Voltaire imite la forme du dialogue philosophique, qui sert de base , à la méthode de Platon et de Socrate; Un maître s’efforce d’inculquer des idées à son disciple qui l’interroge longuement. Cette tradition peut mener à la dispute : lorsque les deux interlocuteurs ne parviennent à se mettre d’accord sur la thèse défendue par le maitre . Ces dialogues ont pour fonction de faire “accoucher de la vérité “ on les appelle maieutiques.

Voltaire se sert de deux animaux pour dénoncer la cruauté des hommes et le fait qu’ils infligent de la souffrance soit à des animaux , soit à d’autres hommes . S’ils tuent les volailles pour les manger, il les font d’abord engraisser en les mutilant; Voltaire donne  deux exemples où l’on inflige la même barbarie à des hommes : les chanteurs castrats et les eunuques, gardiens des harems. On les mutile pour qu’ils ne puissent pas avoir de relations avec les épouses des sultans.

Les souffrances des volailles font référence à celles subies par certains prisonniers qu’on envoie se faire exécuter publiquement (mettent en prison, font rôtir ) ; En se servant des volailles, Voltaire rappelle les tortures commises par des hommes de pouvoir comme les empereurs chrétiens ;Même dans la mythologie, on inflige des souffrances et des supplices à ceux qu’on considère comme des criminels particulièrement lorsqu’ils se révoltent contre le pouvoir des Dieux comme Prométhée ou Tantale ou Atlas. Voltaire fait allusion à des rituels religieux comme celui de l’eucharistie dans lequel , symboliquement, les fidèles absorbent une partie du corps du Christ sous la forme d’une hostie.

Cependant tous les hommes ne sont pas aussi cruels envers les animaux  et les volailles ont entendu parler d’un pays où on ne mange pas de chair animale car on croit en la réincarnation et donc, il est possible qu’un homme se réincarne sous une forme végétale ou animale; Ces croyances dérivent de deux philosophies antiques initiées par Pythagore et Orphée  ;  les disciples de ces philosophies épargnent les animaux car ils voient en eux “des alliés et parents des hommes ” Pour Voltaire, les animaux sont des êtres vivants dotés de sens donc sont capables de sensations et comme ils sont également dotés d’un cerveau, sont capables de penser et donc de sentiments ; du moins , ils peuvent ressentir de  la souffrance ; Les philosophes établissent une différence entre les sensations qui découlent de nos 5 sens et les sentiments qui se forment ensuite à travers notre cerveau , qui sont une sorte d’intellectualisation de nos sensations  ou peuvent en être indépendants ; par exemple, on peut , parfois ,se sentir bien physiquement et souffrir moralement même si bien souvent, il existe une corrélation entre nos sensations physiques et nos sentiments .

Voltaire ridiculise la théorie de Descartes des animaux -machines qu’il qualifie de “comble du ridicule et vaine excuse de la barbarie ” . Le philosophe  critique également les coutumes religieuses qui exigent que les animaux soient tués selon des rituels sacrés et qu’on prétende ne pas consommer leur sang ou des parties soi disant impures . Pour  le philosophe, qui dénonce ainsi la pratique des sacrifices d’animaux dans le judaïsme et dans l’ islam ( rite casher et  viande hallal ), l’essentiel est d’éviter à l’animal de souffrir donc de le tuer le plus rapidement possible ;

Les volailles traitent les hommes de monstres  et leur cruauté s’étend à de nombreux domaines .  “ils ne font des lois que pour les violer, et ce qu’il y a de pis, c’est qu’ils les violent en conscience.” Voltaire se sert ici du point de vue des animaux pour dénoncer la cruauté de son espèce , la plus cruelle de toutes selon lui sur cette planète : les êtres humains.  Et il condamne les dogmes des religions qui selon, lui, sont  contradictoires  .Ce dialogue se termine avec l’arrivée du cuisinier qui vient chercher les volailles pour les faire cuire;  le chapon accepte son destin avec philosophie et s’en remet à dieu auquel il recommande son âme . Il paraît résigné  et se console avec la religion . Voltaire fait de l’ironie ici  .La poularde ,elle, se révolte  et aimerait se venger en donnant une indigestion à celui qui la mangera ; Voltaire conclut sur une remarque désabusée  “mais les petits se vengent des puissants par de vains souhaits, et les puissants s’en moquent ”

Pour prolonger ces réflexions de Voltaire, je vous fais découvrir un extrait d’une intervention de la philosphe Elisabeth de Fontenay, qui s’exprimait sur France Inter en 2012 à propos des sacrifices d’animaux . 

“Beaucoup de nos concitoyens ont été scandalisés par la campagne publicitaire pour la viande hallal, qui a eu lieu il y a quelques mois: cette vache triomphante regarde le ciel en le remerciant d’avoir été égorgée sans étourdissement préalable…Dans cette société à la fois chrétienne et laïque qui est le cadre dans lequel vivent beaucoup d’entre nous, on a peine à expliquer comment il peut y avoir aujourd’hui, en France, des sacrifices animaux. Il faut comprendre que la question est à la fois historique et politique. Historique, parce que le rite qui consiste à offrir des animaux aux dieux ou à dieu est la manifestation la plus ancienne de la piété humaine : chez les Hébreux et chez les Grecs de l’Antiquité. Politique, parce que les sacrifices animaux ont toujours encore cours dans l’Islam et que pour les juifs religieux, comme pour les musulmans, la viande ne peut être consommée qu’à la condition que l’animal ait été sacrifié, ce qui veut dire qu’il ait été égorgé et se soit vidé entièrement de son sang sans avoir été préalablement étourdi.

Pourquoi ? Parce que, dans ces traditions religieuses, le sang c’est l’âme et qu’on ne doit pas manger l’âme d’un animé, d’un animal, car ce serait commettre un terrible péché que de lui prendre son âme en plus de son corps. Il faut donc que l’âme s’écoule avent qu’il ne meure Vous allez dire ce sont des bêtises, tout ça. La seule chose à retenir c’est la manière cruelle dont cette mort est administrée.

J’ai longtemps pensé, pour ma part, que le sacrifice était radicalement différent de l’abattage industriel, le rapport sacrificiel à l’animal me semblait plus acceptable que l’incorporation de viande sans autre forme de procès. Mêler Dieu ou les régles liturgiques à la mise à mort implique un certain respect de la créature vivante. Dans le sacrifice, effet, il y a trois éléments : l’animal offert, l’homme qui fait l’offrande et la divinité à laquelle on s’adresse. Dans le sacrifice, l’animal n’est pas une chose, on le respecte c’est en quelque sorte un partenaire.

C’est donc ainsi que je tentais de penser les choses. Mais ce que j’ai pu lire sur cette mort sacrificielle infligée désormais dans les abattoirs m’a fait changer d’avis. La cruauté particulière de cette obligation de la saignée à vif, de ces vingt minutes parfois que l’animal met à mourir s’aggrave encore de l’emploi technique fait des blocs de contention rotatifs qui font basculer l’animal la tête en bas ? Certaines vaches cherchent à se relever. Il y a beaucoup de mauvaise foi et beaucoup de profits douteux derrière ces rites et j’ai compris que le sacrifice finissait par ne plus se distinguer de l’abattage industriel, du fait notamment de la considérable production de viande hallal. Du reste, dans certains abattoirs, on profite de la dérogation accordée aux Juifs et aux musulmans, de l’autorisation d’égorger des bêtes en pleine conscience, et l’on égorge sans prendre la peine et le temps de les étourdir, parce que c’est plus rapide.”

Elisabeth de Fontenay, indique dans cet entretien, qu’elle a changé sa manière de considérer le sacrifice des animaux

1 Quel est le point de départ de sa réflexion ? 2. Quelles différences fait- elle entre un animal sacrifié et un animal juste tué pour être consommé ? 3.Relève des éléments  précis du texte qui prouvent et explique pourquoi elle a changé d’avis

Fabrique un tract sous la forme d’une affiche ( photo montage ) dans lequel tu dénonces les violences infligées aux animaux.    Tu peux regarder quelques exemples avec le lien suivant

https://www.out-the-box.fr/x-publicites-puissantes-protection-animaux/

 

25. mars 2020 · Commentaires fermés sur Faire des fiches de français à partir de ses textes de bac · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Vous êtes nombreux,chaque année , à demander à vos professeurs comment on fait des fiches de  français . Tout d’abord, pour être efficace une fiche doit être fabriquée avec soin et selon un modèle qui ne variera pas . En effet, la fiche est essentiellement un outil de mémorisation et permet de concentrer sur un espace de stockage réduit un maximum d’informations utiles. Peu importe le format choisi: on conseillera du bristol A 5 à ceux qui ont une écriture plutôt fine ainsi qu’une pointe de stylo extra fine . Mais certains préfèrent conserver le format A 4 et des feuilles de classeur  qui ont l’inconvénient d’être plus fragiles .Une fois que votre choix est fait, vous aurez besoin des élément suivants: d’abord le texte sous les yeux , ensuite vos notes en classe et  la lecture analytique du blog; Comptez 45 minutes de travail par texte environ. Une fiche réussie tient sur un recto/verso de A 5 et permet de parler 10 minutes à l’oral.  Vous pouvez créer des fiches pour chaque texte et également des fiches de révisions pour chaque objet d’étude des points essentiels de l’histoire littéraire (particulièrement utiles pour l’entretien de français ) ; Prévoir deux heures environ de travail pour chaque objet d’étude : poésie, théâtre, roman, argumentation . Les plus motivés d’entre vous pourront également faire des fiches d’entraînement à la dissertation en notant les sujets traités sous forme de plans détaillés.

Quelques règles de base ; pas de phrase, juste des mot clés, des idées et des abréviations autant que vous pouvez ; on ne passe pas de lignes ; on utilise des repères visuels clairs (surlignement, soulignement et surtout couleurs ) ; Le citations doivent apparaître (notez les lignes est inutile mais le jour du bac il faudra penser à les citer à haut voix ) ; Les procédés d'écriture doivent également être mentionnés (métaphores, comparaison, paradoxe, ); Chaque fiche est construite du la même manière : le titre de la séquence, le numéro du texte, et en haut à gauche on commence par écrire : INT (introduction en abrégé ) avec les éléments importants à ne pas oublier en respectant l'ordre canonique exigé par l'épreuve (contexte, date, auteur, oeuvre, situation du passage) et axe d'étude retenu . Essayez d'utiliser une ligne par remarque .

 Il faut distinguer les fiches sur les textes qui seront présentés à l’oral  ( entre 20 et 24 : 3 extraits pour chacune des 4 oeuvres obligatoires et 2 textes qui constituent un parcours autour de l’oeuvre obligatoire  (présentation 10 minutes et 2 minutes pour le point de grammaire à traiter )  et la fiche sur l’oeuvre  au choix de l’élève qui sera retenue pour la seconde partie de l’oral ( présentation de 8 minutes : 2 à 3 minutes librement sous forme d’exposé et ensuite dialogue avec l’examinateur à propos des thèmes traités dans le livre choisi  )  .

Vos fiches textes :une recto/verso par texte  une par texte, des intros et des ccl, des mots clés , des figures de style, les mouvements du texte ; A revoir régulièrement et à préparer au minimum durant les congés de printemps . Compter environ une heure par fiche .

  Votre fiche-oeuvre:  deux recto/verso chaque fiche  résume les principales analyses effectuées à partir des thèmes dégagés en classe et notamment les sujets de dissertation ; A la fin de votre verso, notez des idées de conclusion sous la forme CCL. Faites les liens entre les différents textes de votre séquence et les parcours ; notez vos impressions de lecture, la trame du récit ou la tonalité du recueil; terminez par des abécédaires de citations ; a comme amour , m comme morale, t comme tragédie..l’idéal est d’en préparer deux différentes mais vous n’en retiendrez qu’une sur votre liste de bac;

Pour les parcours, vous pouvez reprendre sur une  seule fiche l’explication des notions  autour des 4 parcours en reprenant par exemple les définitions proposées pour passion, tragique,  alchimie, individu, morale et société et rappelez les liens entre les notions et les textes. Quelques citations sont aussi les bienvenues pour imager vos réflexions.

...Attention, une fiche n’est efficace que si ensuite vous l’utilisez vraiment comme support pour vos oraux; Autrement dit, à la maison, entrainez -vous à parler sur les textes , réfléchissez au livre que vous allez retenir quand vous les aurez tous lus …et chronométrez-vous . L’efficacité le jour J passe par un entrainement régulier ..

 

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21. mars 2020 · Commentaires fermés sur L’homme est -il vraiment un animal comme les autres ? · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:

Pour aborder la seconde partie du programme d’Humanités, intitulée Les représentations du monde , nous pouvons nous poser plusieurs questions et notamment quelle est notre place dans le monde et comment nous le représentons nous . Il conviendra donc d’aborder la découverte des nouveaux mondes , de l’altérité ( la rencontre avec l’Autre ) , nos possibilités de connaître le monde qui nous entoure ; à travers les voyages , les découvertes scientifiques et les progrès de la Science . On pourra également s’interroger sur nos représentations du monde , de nos espaces de vie et de socialisation comme les villes, les mondes imaginaires également , utopiques ou dystopiques. Mais pour aborder ce nouveau volet de notre second thème, nous intéresserons tout d’abord, à l’évolution de  la relation entre l’homme et l’animal. Comment l’homme considère-t-il l’animal ? L’espèce humaine a -t-elle des devoirs envers les animaux ? L’animal est-il le miroir de l’homme ? Comment les deux espèces peuvent-elles communiquer ? Commençons par ce premier chapitre inspiré  : de l’animal à l’homme , une frontière énigmatique ou l’homme est-il vraiment un animal comme les autres ?

L’animal est -il dépourvu de raison ?  N’est-il qu’ une machine ?  à partir du texte de Descartes p 244 édition Hachette

 On définit l’homme par l’usage qu’il est capable de faire de sa raison : il serait donc un animal doué de raison contrairement aux autres espèces . Comment cette théorie a -t-elle été construite ? Commençons tout d’abord par chercher ce qui pourrait nous différencier de l’animal. Des philosophes , et notamment René Descartes , ont ainsi émis l’idée que les animaux seraient dépourvus de raison . Selon lui, les bêtes agissent naturellement et par ressort , ainsi qu’une horloge, écrit -il en 1646 . Il prend l’exemple de la migration des hirondelles, des grues, des animaux qui  cherchent à enterrer , par instinct, dit -il leurs excréments.  Pour lui  ” bien que les bêtes ne fassent aucune action qui nous assure qu’elles pensent, toutefois, à cause que les organes de leur corps, ne sont pas fort différents des nôtres, on peut conjecturer qu’il y a une pensée jointe à ces organes. ” .  Descartes poursuit en expliquant que si les animaux pensaient alors ils “auraient une âme immortelle ” et ceci lui parait tout à fait invraisemblable. Il n’exclut pas que pour certaines espèces comme les chiens ou les chats ou certains oiseaux, on puisse aller jusqu’à le penser mais il le réfute pour des espèces qu’il juge “trop imparfaits” : il cite comme exemple les huîtres, les éponges ; On pourrait ajouter de nombreux animaux à cette liste; Descartes pose donc la prépondérance de l’instinct chez les animaux  et relie la présence d’une pensée à celle de l’existence de l’âme alors qu’aujourd’hui, de nombreux éthologues ont démontré la présence d’un raisonnement  et d’opérations mentales liées à l’apprentissage chez de nombreuses espèces animales .  Cette théorie  dite des animaux-machines sépare donc radicalement les deux espèces : l’homme possède une âme et  il est doué de  raison ; Ce n’est pas le cas des animaux pour Descartes.

Un siècle plus tard, le philosophe Jean -Jacques Rousseau poursuit le raisonnement de son prédécesseur et affirme ” Je ne vois dans l’animal qu’une machine ingénieuse ,à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même , et pour se garantir, jusqu’ à un certain point , de tout ce qui tend à la détruire ou à la déranger. ” Il pense que l’homme est une machine également mais qu’il concourt en tant qu’agent libre à effectuer les opérations que la bête effectue en tant que prisonnière de son instinct; L’homme aurait donc des choix de comportements là où l’animal serait contraint de suivre ce que lui dicte son instinct .L’homme suivrait parfois sa volonté au détriment de sa nature et se livrerait à des excès dommageables pour lui et sa survie .Rousseau utilise l’exemple  d’un animal qui mange  habituellement des graines et qui  serait incapable de se nourrir de viande ; Il  mourrait ainsi près d’un tas de nourriture  faute d’avoir pu changer son régime alimentaire . L’homme serait ainsi davantage capable de s’adapter mais surtout d’aller vers les excès .  ” Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins ” Rousseau cherche donc à montrer que le Mal existe chez l’homme mais pas chez l’animal : l’homme peut choisir et décider d’être raisonnable ou au contraire de se livrer à des actes barbares ; Cette comparaison entre l’homme et l’animal a été établie dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes  , en 1755.

Jean de La Fontaine , dans ses Fables , a cherché lui aussi à comparer le comportement de l’homme et celui des animaux ; La comparaison n’est pas en l’honneur de l’homme et plusieurs apologues comme L’homme et la couleuvre, par exemple,  ou Le loup et les bergers montrent sa cruauté envers les autres espèces; Le fabuliste a beaucoup observé les animaux et il est admiratif de leur ingéniosité ; Dans son Discours à Madame de la Sablière, il critique explicitement la théorie de Descartes et prête aux animaux des sentiments, et la capacité d’effectuer des choix volontaires.  Il prend l’exemple des castors et montre que leur travail est organisé; Les plus vieux forment les jeunes et chacun est utilisé pour ses compétences ; C’est ainsi que leurs barrages sont qualifiés de ” savant ouvrage ” et de “fruit de leur art ” . La Fontaine conclut ”  que ces castors ne soient  qu’un corps vide d’esprit / Jamais on ne pourra m’obliger à le croire “; Cependant si la Fontaine démontre que les animaux sont capables de penser , de réfléchir et de  mettre en place des  systèmes perfectionnés d’organisation du travail ( on pourrait penser aux insectes, aux fourmis par exemple, aux abeilles ), il n’ évoque pas le point principal pour Descartes, à savoir la présence ou l’absence d’une âme qui serait indissociable de la raison.

Un philosophe contemporain, Pascal Quignard , démontre même que dans L’ Odyssée d’Homère, le premier être qui est capable de reconnaître Ulysse sous son déguisement alors qu’il est de retour à Ithaque après plus de 10 ans d’absence, c’est son vieux chien Argos. Ce dernier grâce à son flair a su démasquer son maître et l’a reconnu à son odeur; Homère aurait utilisé, en grec,  le verbe penser pour désigner l’action du  très vieux chien qui meurt de joie en retrouvant son maître . L’intelligence animale consiste ici à voir ce que les humains ne peuvent voir , à démasquer la vérité sous les apparences ; Ulysse est déguisé en mendiant et seul son chien est capable de lui redonner sa véritable identité . On dit que les animaux sentent la peur, ressentent, dans l’air l’arrivée des séismes et certains  chiens détectent des cellules cancéreuses invisibles à l’oeil nu. S’agit-il de pensée animale ou d’instinct supérieur à celui de l’espèce humaine dans certains domaines ?

Lisez le texte suivant : partagez-vous l’opinion de La Mettrie ? Sur quel point n’est-il pas d’accord avec Descartes ? Proposez une définition claire du matérialisme en philosophie

HOMME MACHINE *

 L’homme est une machine.

Il n’y a, dans l’univers, qu’une seule substance diversement modifiée. L’homme est une machine fort bien faite qui remonte elle-même ses ressorts qui ne sont rien d’autre que la vie elle-même. Ces ressorts se distinguent entre eux par leur fonction et leur degré de force, et non par leur nature. Le principe de l’animal-machine de  Descartes s’applique également à l’homme ; le dualisme corps-esprit est une illusion. L’âme n’est rien d’autre que la partie pensante du corps physique dont elle dépend totalement, et sans lequel elle ne saurait exister.

L’athéisme n’est pas plus un signe de dépravation que la religion ne garantit la probité. L’Être Suprême existe probablement mais il représente une théorie qui ne nécessite en rien l’obligation d’un culte religieux. La raison d’être de l’existence se justifie par l’existence elle-même. « La Nature nous a tous créés uniquement pour être heureux ; oui tous, depuis le ver qui rampe, jusqu’à l’aigle qui se perd dans la nuée. »

Dans cet ouvrage paru en 1748, ce médecin  part d’une hypothèse : l’homme aurait reçu la capacité de distinguer le Bien du Mal et pas l’animal . La Mettrie n’est pas convaincu et il va le démontrer ; “Nous savons que nous pensons , dit il ” et que nous avons des remords ” mais nous ne pouvons juger les autres d’après notre connaissance de notre conscience car “pour juger des remords d’autrui, ce sentiment qui est dans nous est insuffisant”  Autrement dit , nous ne pouvons pas savoir ce que pensent vraiment les autres hommes ; Nous ne pouvons qu’observer “les signes sensibles et extérieurs que nous avons remarqués en nous-mêmes lorsque nous éprouvions la même conscience et les mêmes tourments ”  Et  le savant donne l’exemple d’un chien qui après avoir mordu, semble le regretter . Il cite également des témoignages  de cas d’animaux sauvages qui se prennent d’affection pour les hommes qui les recueillent et  les nourrissent . Un animal, si l’on en croit , ses signes , serait ainsi capable d’éprouver du regret, de la culpabilité, de la reconnaissance . En réalité, c’est plus complexe car nous interprétons des signes comme s’ils avaient été émis par un humain dans les mêmes circonstances et nous ne pensons qu’avec des outils qui nous sont propres; Nos déductions sont parfois faussées ; Ainsi un chien qui a détruit un meuble ou un canapé ou fait ses besoins dans la maison sera apeuré par la voix que nous prendrons pour le gronder ; Il ne s’agit pas ici de culpabilité mais de peur quand il entend qu’on est en colère .

La littérature a souvent utilisé les animaux pour faire ressortir la cruauté des hommes et leur pseudo supériorité; En 1960 , le romancier Pierre Boulle imagine une dystopie dans laquelle la Planète terre est gouvernée par des espèces de singes qui utilisent les humains comme du bétail ; dans ce roman, les singes sont des êtres savants, des scientifiques intelligents et les hommes eux, ne savent pas parler, Leur intelligence est rudimentaire; Les singes proposent l’explication suivante : ” le cerveau du singe s’est développé, compliqué et organisé, tandis que celui de l’homme n’a guère subi de transformation. Certains savants songent à une mystérieuse intervention divine ; D’autres soutenaient que l’esprit du singe tenait avant tout à ce qu’il possédait quatre mains agiles.  Avec deux mains seulement, aux doigts courts et malhabiles, il est probable que l’homme a été handicapé dès sa naissance, incapable de progresser et d’acquérir une connaissance précise de l’univers. ” Ici le romancier a réutilisé, avec humour,  certains des arguments dont les hommes se  servent pour expliquer leur évolution “supérieure “: soit parce que Dieu les a créés supérieurs, pour dominer les autres espèces, soit parce qu’ils sont devenus bipèdes.. Pierre Boulle s’amuse à reproduire , dans la bouche des grands singes, les principaux raisonnements que l’homme utilise pour justifier sa supériorité.

Que faut -il retenir de ce corpus ?  Voilà les éléments essentiels du cours résumés .

La question de l’âme : pour Aristote chaque être vivant , homme, animal et plante, possède une âme ou principe de vie ( appelée psyché en grec ) mais ce principe est plus ou moins développé et l’homme disposerait de mémoire et d’imagination , deux facultés qu’il ne partagerait qu’avec certaines espèces animales.

Descartes lui soutient que les animaux n’ont pas d’âme, de principe spirituel ; ce sont juste des machines et ils agissent mécaniquement : c’est la théorie des animaux-machines.

Les philosophes des Lumières réfutent la théorie de Descartes et affirment la primauté des sensations dans la formation de nos émotions et de nos pensées; Ils attribuent aux animaux une sensibilité mais doutent , comme Rousseau,de l’existence d’un libre-arbitre chez l’animal .

Qu’est-ce qui est le propre de l’homme ? C’est une méthode qui consiste à rechercher ce qui fait la particularité de l’espèce humaine : certains évoquent le langage et la pensée ; Aristote utilise le mot grec logos qui désigne à la fois la pensée et le fait de parler. L’homme est donc un animal doué de logos . Le romancier de la Renaissance , Rabelais a lui pensé à définir l’homme par le rire , faculté qui n’existerait pas , selon lui, chez les animaux, à l’exception toutefois des singes. Rousseau ,lui, définit l’homme par sa capacité à agir librement, sans être dépendant de son instinct. Cette théorie sera remise en cause par les découvertes de la psychanalyse deux siècles plus tard.

De nos jours, on cherche encore à identifier certaines de nos facultés propres comme la conceptualisation , notre capacité à nous projeter dans le futur et notre sens esthétique , notre production artistique. Nous sommes donc des animaux pas tout à fait comme les autres  : nous avons des ancêtres communs avec les singes mais l’évolution de notre espèce a été différente

Exercice : Pourquoi les animaux ne parlent-ils pas ?

Voilà des éléments de réponse d’un savant appelé Buffon qui vivait au siècle des Lumières. Selon lui, le langage servirait à l’homme à rendre compte de ce qui se passe en lui; il communiquerait sa pensée par sa parole; Les hommes sauvages eux aussi peuvent parler et  ils parviennent à apprendre le langage des autres hommes , de ceux , par exemple, qui viennent conquérir leurs territoires ; Pour Buffon ce n’est pas une histoire d’organes mais c’est le signe que les animaux n’ont pas de pensée . Même si on parvient, selon lui, à enseigner des mots aux animaux , notamment à leur faire répéter des sons comme on entend parfois certains perroquets reproduire des mots qu’ils ont entendus, il est ,  toujours selon Buffon, impossible à un animal d’avoir l’idée que ce mot représente; Les animaux donc ne parleraient pas parce qu’ils ne penseraient pas  et  parce qu’intellectuellement , ils n’ont pas accès au monde des idées .  Il réfute ainsi l’idée selon laquelle il s’agirait d’une déficience liée à leur constitution physique : il donne comme preuve incontestable le fait que certains animaux sont justement capables de reproduire des sons similaires à ceux du langage  humain . On peut toutefois objecter à Buffon que les animaux communiquent , entre eux, en émettant des signes que nous ne comprenons pas toujours mais qui constituent une forme de langage élaboré.

Voilà une petite présentation de la tentative d’un écrivain :Tristan Garcia pour “traduire ” le langage d’un chimpanzé  nommé Doogie dans Les Mémoires de la Jungle . Qu’en pensez-vous ? Cela vous donne-t-il envie de lire le roman ? Quel est le parti-pris de l’écrivain ?

 

20. mars 2020 · Commentaires fermés sur Le poète en oiseau : l’Albatros de Baudelaire · Catégories: Commentaires littéraires, Lectures linéaires, Première · Tags:
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  Le dix-neuvième siècle est  marqué par la succession de différents mouvements littéraires : le romantisme est contesté par les fondateurs du Parnasse et après eux, les Symbolistes définiront un nouvel art poétique. Charles Baudelaire se trouve  précisément au carrefour de ces trois courants . Son recueil Les Fleurs du Mal qui paraît  1857  fit scandale et lui vaudra un procès retentissant ; Le poète sera contraint de censurer des pièces jugées scandaleuses et de livrer ainsi , au public, une version expurgée de son recueil . Dans la continuité du mouvement romantique, on retrouve  des thématiques communes et notamment l‘expression du  mal de vivre, qui chez Baudelaire, s’amplifie et devient le Spleen . Nous verrons comment Baudelaire, dans « l’Albatros », propose une image du poète en oiseau; Il   oppose l’Idéal au Spleen,  et met en scène une vision pessimiste de la société, dans laquelle le poète ne trouve pas sa place. Plus »

19. mars 2020 · Commentaires fermés sur Un dénouement tragique et une passion tragique : la mort de Ruy Blas · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Le drame romantique, inventé par Victor Hugo , est un type de spectacle qui  tente d’effectuer la synthèse entre des éléments issus de la tragédie  , et d’autres  issus de la comédie. En 1827 Hugo dans la Préface d’une de ses pièces , définit ce théâtre comme un mélange de sublime te de grotesque. Avec son drame  Ruy Blas ,  en 1838 il mêle une intrigue amoureuse et une trame politique; Un valet, manipulé par son ancien maître chassé de la cour, va révéler  progressivement son amour à la reine d’Espagne mais il cache un terrible secret: son identité véritable. Lorsque Don Salluste revient à la Cour et fait éclater la supercherie, il le tue sous les yeux de la reine. Cette dernière est atterrée par ce qu’elle vient d’apprendre et demeure sans voix “immobile te glacée” ; Quel dénouement Hugo a -t-il choisi ? la passion va-t-elle triompher ? On peut en douter . Commençons la lecture linéaire …

Ruy Blas reste à distance comme l’indique la didascalie interne du vers 2 : “je n’approcherai pas “ . Cet aspect solennel est celui de la tragédie classique dans laquelle les personnages s’expriment avec solennité. Le personnage de Ruy Blas tente de se faire pardonner ce qui peut être qualifié de “trahison ” comme on le lit au vers 6 . Il a, en effet, accepté de se faire passer pour un noble alors qu’il est d’origine modeste et a menti sur sa véritable identité, allant même jusqu’à accepter les fonctions de premier ministre en l’absence du roi . On remarque que les alexandrins sont “disloqués ” ainsi que le voulait Hugo qui a tenté de créer ainsi un langage théâtral plus naturel . L’agitation du personnage se traduit également par un bouleversement de la syntaxe et de nombreux enjambements comme aux vers 5 et 6 . Le champ lexical de la faute est très présent au début du passage avec le terme trahison déjà mentionné au vers 6. Ruy Blas se sent fautif mais il tente de se justifier et on le remarque notamment l’atténuation de sa culpabilité avec la négation partielle je ne suis point coupable autant que vous croyez ” au vers 3. L’aveu  explicite de la faute apparaît au vers 9, à la fin de la première tirade et la cause est précisée : “cet amour m’a perdu ” ; On retrouve un thème important dans la tragédie classique: les dangers de la passion qui mène les hommes à leur perte; Il n’est plus question ici de fatalité ou de malédiction divine comme dans Phèdre mais le personnage, sous l’effet de sa passion amoureuse pour la reine, est devenu malhonnête et a renoncé à des valeurs comme la droiture, la sincérité. Il a, malgré lui, accepté de participer à la tentative de disgrâce de la reine; Il est devenu complice d’un criminel et criminel à son tour, en devenant le meurtrier de Don Salluste.

A genoux, dans une attitude de supplication , devant la reine, il ne la laisse pas s’exprimer et poursuit, au vers 11 , ses aveux , qu’il diffère pourtant à plusieurs reprises je vais de point en point tout dire ” lit-on aux vers 13 et 14 avec un nouvel  enjambement qui marque une sorte d’étirement de la révélation. Le personnage répète, comme pour mieux nous en convaincre qu’il n’a pas l’âme vile ; l'adjectif vil rappelle qu'il est de basse extraction (c'est un valet au départ, un serviteur ) ; Hugo veut montrer dans ce drame que les qualités morales et intellectuelles  d'un homme ne sont pas liées à sa condition sociale et qu'on peut devenir un dirigeant politique même lorsqu'on n'est pas de haute naissance. Les idéaux révolutionnaires ont fait leur chemin et au moment où la France est redevenue provisoirement une royauté, Hugo marque ici son engagement pour le peuple qu'il souhaite associer au pouvoir. Le personnage de Ruy Blas se transforme , à ce moment , en une sorte de figure christique et le dramaturge utilise des symboles pour accentuer la ressemblance entre son héros et le Christ; Ainsi, “une femme du peuple “ au vers 18 est venue essuyer la sueur de son front; Ce geste symbolique rappelle celui de la Passion . Dans  ce récit religieux qui décrit le parcours du Christ qui a du porter sa croix jusqu’au mont Golgotha , on distingue 13 étapes qui sont les 13 stations du chemin de croix; A l’étape 6, une femme prénommée Véronique  s’approche et brave l’hostilité de la foule pour essuyer le visage du Christ souffrant sous le poids de son fardeau; A l’époque romantique, les auteurs se servent des images de la passion du Christ pour décrire leurs héros. Ici, Hugo cherche à faire naître la pitié du spectateur et applique ainsi le principe  que recommande Aristote pour réussir une tragédie . La tirade d’ailleurs se termine avec un vers pathétique : “Ayez pitié de moi, Mon Dieu, mon coeur se rompt ” La métonymie finale illustre à la fois la douleur du personnage mais préfigure également sa mort et la rend imminente.

Les échanges vont alors devenir plus intenses et plus resserrés comme une sorte de duo final . Au mots vont bientôt succéder les gestes tragiques car au théâtre , la parole se fait geste et devient action. Les didascalies externes qui précèdent les vers 25 et 27 montrent le héros qui se lève et avale un liquide ; Hugo s’est ici fortement inspiré de la  tragédie  classique et notamment de Phèdre qui offre un dénouement du même genre ; La coupable s’empoisonne de remords et sa mort purifie le jour qui se lève ; Ruy Blas se comporte donc comme un personnage de tragédie : il met fin à ses jours pour expier sa faute  et demande le pardon de ses offenses.  Alors que Phèdre se punit par sa mort , d’avoir provoqué celle d’un innocent, Ruy Blas se punit d’avoir menti, sur son identité et  trahi celle qu’il aimait ; D’autant qu’il risque de provoquer sa perte car si leur liaison est découverte, elle sera déshonorée et  contrainte d’abdiquer ainsi que l’avait prévu Don Salluste.

Le suicide dans le drame romantique était préparé et il apparaît comme la conséquence directe du refus du pardon de la reine qui, par deux fois ,affirme qu’elle ne pardonnera “jamais ” vers 23 et 26. C’est pourquoi le revirement de situation qui suit a pu paraître un peu étrange aux spectateurs de l’époque qui étaient habitués aux dénouements tragiques plus classiques. Lorsque  Ruy Blas s’écrie ” Triste flamme , Eteins -toi ” , on pourrait penser que ce sont ses dernières paroles .  Il indique qu’il meurt d’amour ; La construction ici associe la métaphore amoureuse à l’image d’une vie qui s’arrête; En effet, la flamme désigne à la fois le sentiment amoureux mais également la vie du personnage: ils ne font plus qu’un .La fin de l’amour marque donc irrémédiablement la fin de la vie.

A partir de ce moment, la tragédie devient un drame et offre aux spectateurs des moments déconcertants . Tout d’abord le changement d’attitude de la reine peut surprendre : elle se précipite vers le héros mourant pour l’entourer de ses bras et d’ailleurs , il donnera d’abord l’impression de mourir dans ses bras : “ l’entourant de ses bras”,  tenant la reine embrassée  “la reine le soutient dans ses bras ” au vers 45; Hugo reprend ici l’image du Christ avec plusieurs allusions comme l’obtention du pardon qui évoque les dernière paroles du Christ adressées à son père . La reine qui jusque là , était demeurée stoïque, se met alors à vibrer d’une passion qui a pu surprendre ; Elle lui dit qu’elle l’aime et l’appelle dans un premier temps , César, qui était son faux nom avant de lui donner , au dernier vers, sa véritable identité. Mais ce pardon arrive trop tard ! Et c’est aussi ce qui rend ce dénouement particulièrement tragique !

Qu’a t-on reproché encore au dramaturge dans ce dénouement inédit ? En plus du revirement de la reine, on a également  reproché au dramaturge d’avoir “allongé “la mort du personnage sur scène avec une agonie spectaculaire et surtout un dernier merci qui a été critiqué de nombreuses fois, pour son caractère invraisemblable. On se souvient en effet qu’une des règles du théâtre classique insistait sur le caractère vraisemblable des actions qui devaient être montrées au public; Ici, ce n’est pas du tout vraisemblable et les gens ont trouvé que Victor Hugo en faisait trop avec le risque que cela devienne ridicule. Il faudra, en effet, attendre des dizaines d’années, pour que ce drame obtienne un certain succès. En accentuant la dimension spectaculaire, le dramaturge prive le public d’une partie de ses repères ; Jusque là habitué à voir dans les tragédies des personnages exprimer des souffrances “dignement ” et en se touchant à peine,  le public a réagi assez mal à cette fin : Hugo  livre ici sa version théâtrale de la mort passionnelle .

Le héros , au moment de mourir, se retrouve lui-même : “je m’appelle Ruy Blas ” et semble ne plus réagir aux marques d’amour de la reine ; Il ne la regarde pas mais se tourne , comme l’indique la didascalie externe vers Dieu “levant les yeux au Ciel ” qu’il implore . La dimension christique du héros est réaffirmée avec la mention de son “coeur crucifié ” au vers 48 . La construction  du vers 49 précise les enjeux du drame et reflète les contradictions . ” vivant par son amour ,mourant par sa pitié “; Il faut comprendre ici que  l’amour de la reine a réjoui le coeur du héros quand il était vivant et que maintenant la pitié de  la reine réjouit son coeur au moment où il est mourant . Le caractère inexorable de la mort du héros est reprécisé sur scène dans les répliques finales; Alors que la reine se sent, à son tour , coupable et se demande ce qui se serait passé si elle avait pardonné plus tôt, Ruy Blas rappelle d’une manière claire que cela n’aurait rien changé . L’avant dernière réplique “ je ne pouvais plus vivre ” souligne cette idée . On remarque que si les personnages se tenaient à distance respectueuse l’un de l’autre au début de cette scène , ils se sont très vite rapprochés pour s’étreindre et l’ une des  dernières didascalies montre la reine “ se jetant sur son corps ” ; On peut retrouver dans ce choix l’influence d’un dramaturge comme Shakespeare que Hugo admirait particulièrement.

Ce final comporte donc de nombreux éléments tragiques : certains sont habituels et d’autres le sont un peu moins pour le public. La mort du héros est , à la fois prévisible et attendue ; elle vient sceller une passion impossible entre deux personnages qui s’aimaient sincèrement mais qui n’ont pas d’avenir ensemble; Si le dramaturge montre, sur scène, et pour la première fois,  la possibilité d’un amour entre un “ver de terre “et une “étoile ” il ne permet pas à ces deux personnages d’être heureux; la mort demeure l’unique issue pour un homme qui a menti sur ce qu’il est et cette femme pourra toujours se reprocher de ne pas avoir choisi l’amour à temps; Le drame romantique tente une synthèse entre un héritage tragique et des préoccupations contemporaines et il est parfois difficile de comprendre ce nouveau genre. La passion amène toujours l’homme à effectuer des choix souvent irréversibles et qui le condamnent à se perdre .

 

18. mars 2020 · Commentaires fermés sur Eldorado : l’aventure des migrants · Catégories: Seconde

Laurent Gaudé est un écrivain soucieux de développer dans ses fictions, des événements en lien avec la réalité ; Ainsi, après avoir écrit un roman sur les souffrances des jeunes combattants dans les tranchées  en 14/18 intitulé Cris, il a ensuite publié un roman en relation avec l’ouragan nommé Katrina , ce cyclone tropical qui a dévasté une partie de la Louisiane en 2005 , défigurant la ville de la Nouvelle-Orléans et plongeant ses habitants dans le chaos; Pour écrire Eldorado, il s’est inspiré d’une réalité tragique , celle que les journaux illustrent presque quotidiennement et  qui touche aux vagues migratoires . Chaque jour ,  en effet, nous entendons parler, depuis plusieurs années , de  ces milliers de migrants qui quittent leurs pays en guerre pour tenter de rejoindre l’Europe, leur Eldorado à eux ! Examinons ensemble comment les réalités des flux migratoires sont présentées à travers le roman.

L’histoire commence à Catane , une ville portuaire du Sud de la Sicile,  construite sur les pentes de l’Etna  et célèbre pour son marché aux poissons . Elle se situe en Sicile , à quelques centaines de kilomètres au Nord de l’île de Lampedusa   qui voit arriver des centaines de bateaux de migrants . Dans notre roman, il est question de plusieurs candidats à l’émigration; Tout d’abord une jeune femme  raconte sa traversée à bord du Vittoria, en 2004. Victime de passeurs criminels, elle a payé 4500 dollars pour un passage en Europe ,pour elle et son bébé , qu’elle a vu mourir, jeté par dessus bord . Voilà comment le romancier raconte leur rencontre à bord du bateau qui dérivait ”  Jusque là il n’avait vu qu’un corps emmitouflé, qu’une femme éreintée de fatigue, une pauvre âme déshydratée qui ne voulait pas quitter la nuit. mais lorsqu’il croisa son regard, il fut frappé par cette tristesse noire qui lui faisait serrer la rambarde de toute sa force. C’était le visage de la vie humaine battue par le malheur.Elle avait été rouée de coups par le sort. Cela se voyait.Elle avait été durcie par mille offenses successives”

Quel est le parcours de cette migrante ? Son point de départ est Beyrouth, capitale du Liban, pays ravagé par une guerre avec son puissant voisin Syrien ;le pays est lui-même divisé entre les sunnites et les chrétiens maronites ; en 2004 l’ancien premier ministre Rafic Hariri se range aux côtés des opposants à la Syrie mais les militaires syriens occupent toujours une partie du territoire libanais. Avant de prendre le bateau, elle doit attendre sur un quai où s’entassent des centaines de personnes ” tant de gens. tant de silhouettes peureuses qui convergeaient vers ce quai. des jeunes hommes pour la plupart. N’ayant pour seule richesse qu’une veste jetée sur le dos. ”  p 25  ” Il y avait là de tout ; des Irakiens; Des Afghans, des Iraniens, des Kurdes, des Somalis. ”  Tous ces pays sont en guerre et pour certains s’ajoutent les famines et les sécheresses . Durant la seconde nuit, l’équipage abandonne le navire et sa cargaison humaine. Le bateau dérivera ensuite trois jours durant lesquels les passagers ne purent ni manger ni boire . Sur 500 passagers, seuls 386 survécurent ( p 28 ) Cette terrible traversée s’inspire bien sûr des récits de migrants ; dans l’intrigue du roman, la femme demande une arme à Piracci afin de se venger : elle veut tuer l’armateur Hussein Marouk , celui qui a affrété le navire , battant pavillon Ouzbek . ce dernier est un homme d’affaires libanais , proche  des services secrets syriens et l’opération est, selon elle, politique; Damas entend ainsi faire comprendre à l’ Europe qu’elle n’a aucun intérêt à faire entendre qu’elle se prononce contre l’occupation du Liban par la Syrie; C’est une sorte de chantage qu’on retrouve , en ce moment , avec la Turquie qui ouvre ses frontières , laissant ainsi des milliers de personnes affluer vers l’espace européen.  ” ils nous ont envoyés sur la mer comme on envoie à son ennemi un paquet contenant  un animal mort; et nous avons payé notre mort.” ( p 33 )

Piracci s’interroge alors sur les vrais responsables de ces atrocités ; qui doit payer ? les membres de l’équipage qui n’ont aucun honneur ? les organisateurs qui exploitent la misère de “pouilleux condamnés à l’agonie ? ”  La femme sait qu’elle va repartir parce que pour elle “ la boucle est bouclée. Vous avez été le premier visage de l’Europe, vous en serez le dernier.” Plus tard, avec son ami Angelo, il essaiera d’imaginer le destin de cette femme et il prendra alors conscience qu’il ne peut plus supporter sa vie  : “Des barques vides . Des barques pleines. La migration des nations” Il décidera alors , à son tour, de devenir un migrant .

Le second chapitre s’ouvre sur les préparatifs du départ de deux frères qui vivent au Soudan : ils font les adieux à leur ville et sont déjà nostalgiques ; la mélancolie de l’exil est un thème majeur chez les migrants qui perdent leurs racines : ” J’ai vingt cinq ans; Le reste de ma vie va se dérouler dans un lieu que je ne connais pas et que je ne choisirai peut être même  pas.Nous allons laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres; Nous allons laisser notre nom, ce beau nom qui fait que nous sommes ici des gens que l’on respecte.”..” Là où nous irons, nous ne serons rien; des pauvres, sans histoire, sans argent “( p 44 ) Les deux frères sont conscients des difficultés qui les attendent mais semblent déterminés à partir ; ils pensent notamment à leurs enfants qui seront appelés “fils d’immigrés” mais leurs petits- enfants , eux seront libres , ce “seront des lions au regard décidé ” Soleiman est bien décidé à dire adieu à sa vie et le romancier emploiera les mêmes mots pour évoquer le départ de Piracci  au chapitre VII  ” je suis sur le point de dire adieu à ma vie , pensa-t-il ” . Les deux frères quittent leur maison en emportant “la longue traîne” de leur vie passée, tous leurs souvenirs d’enfance et de famille. On voit bien ici que le départ est un déchirement pour ceux qui laissent leur vie derrière eux .

Au moment où les deux frères se mettent en route, le capitaine sort en mer pour tenter de sauver des migrants  clandestins, pour la plupart “de jeunes chiots de vingt ans partis pour tenter leur chance, ou pour braver le sort “. Leur parcours est tout tracé : centre de détention d’abord et peut être renvoi dans leur pays d’origine. Pour beaucoup d’entre eux, un échec renouvelé qui n’en décourage pas certains.

 Après la séparation des deux frères , en raison de la maladie de Jamal, Le voyage de Soleiman sera mouvementé : il passe d’abord par la Libye, pays frontalier du Soudan ; Il a payé un passeur qui doit l’y conduire en voiture , jusqu’à la ville de Al-Zuwarah où un nouveau réseau de passeurs doit lui permettre d’accéder à un navire en partance pour Lampedusa.  Le trajet en voiture dura deux jours et deux nuits ; ensuite, il dut se cacher , avec d’autres migrants ,dans un appartement vide pour attendre les passeurs  “tout le monde craint de se faire voler; tout le monde est si fatigué que seul le silence convient à notre usure.” Lorsque le camion arrive, Soleiman a vraiment hâte de quitter l’Afrique et il est prêt à travailler comme un chien pour pouvoir envoyer l’argent des médicaments à son grand frère ( p 116 )  Mais subitement le camion s’arrête et les migrants  sont , frappés et dépouillés par les conducteurs armés; Soleiman qui attaque l’un d’entre eux , se retrouve mis à l’écart et roué de coups; Lorsqu’il  reprend conscience et qu’il parvient à se relever , il constate que tous les hommes sont partis sauf un, âgé de 35 ans environ, qui se prénomme Boubakar ; ce dernier  lui raconte qu’il est en route depuis 7 ans . Ensemble, ils décident de choisir une autre voie  que la voie maritime : la voie pédestre, beaucoup plus longue car il leur faudra parcourir des milliers de kilomètres pour  rallier l’Europe par l’Espagne en traversant l’Algérie et le Maroc. Ils vont prendre des camions dans lesquels s’entassent des hommes  qui cherchent à s’enfuir d’Afrique mais également des  Libyens  et des  Egyptiens qui se déplacent de village en village pour vendre leurs marchandises, le plus souvent.  En route pour Ghardaïa, Soleiman réalise qu’ils n’ont presque plus rien  et il décide alors d’agresser un passager, un Algérien nommé Ahmed, pour lui voler son argent au cours d’un arrêt à Ouargla.  Il se sent alors honteux ” je suis une bête charognarde qui sait sentir l’odeur de l’argent comme celle d’une carcasse faisandée”  ( p 146 ) .Soleiman partage l’argent avec Boubakar et lit dans les yeux de ce dernier une étrange tristesse; cet argent volé et obtenu par la violence, va leur permettre d’ économiser des semaines de travail pour payer la suite de leur voyage mais ce geste a ôté au personnage une part de son humanité . Il est devenu l’égal de ceux qui le dépouillent et profitent de sa faiblesse .  “le dégoût s’empare de moi; je suis laid. Je ne suis plus rien, plus rien qui vaille d’être sauvé ” . Les deux hommes vont pouvoir payer leur trajet de Ghardaïa à Oujda et Soleiman va offrir son collier à Piracci qu’il prend pour l’une des ombres du Dieu Massambalo. Il leur reste une dernière étape à franchir : traverser la frontière.

Que sait -on des conditions dans lesquelles ils voyagent ? Avec la chaleur, la peur des contrôles et des barrages, de se faire voler , les hommes dorment peu et mal. Ils sont éprouvés par la promiscuité et l’incertitude de leur sort. Ils montent à bord de camions bruyants et inconfortables  et parcourent des routes poussiéreuses . Souvent, ils sont obligés de mendier dans la rue et craignent que les policiers tentent de les disperser et d’évacuer leurs campements provisoires . Alors ils courent comme des rats dans la nuit pour échapper aux chiens qui les mordent et aux policiers qui les frappent . Cela fait maintenant 8 moi que Soleiman est parti alors que la traversée  par la Libye devait durer moins de 4 jours. Les migrants doivent également se ruer à l’assaut des frontières en franchissant les barbelés; C’est le cas notamment entre le Maroc et l’Espagne pour atteindre Ceuta . ( p 179 ) Il sont plus de 500 entassés dans la forêt : Maliens, Nigérians, Togolais, Camerounais , Guinéens, Libériens et décident de  passer en force et  de construire des échelles pour franchir les barbelés et dépasser les patrouilles de policiers espagnols qui montent la garde. L’assaut est brutal, dangereux et violent. “Nous allons courir comme des bêtes et cela me répugne..le temps de l’assaut nous allons redevenir des bêtes ” (180 ) Les policiers tirent des balles en plastique et les corps sont de plus en plus nombreux dans la bande de terre qui sépare les deux pays; c’est alors que Soleiman aperçoit une brèche dans le grillage et les deux hommes réussissent à ramper sous les barbelés .  Ceux qui ont réussi à passer sont alors regroupés et pris en charge, sur le territoire espagnol  par des associations humanitaires  d’aide aux migrants : ils sont cependant en état d’arrestation et vont être conduits dans un centre de détention . Ils seront ensuite relâchés et libres , explique Boubakar.

Les émigrants continueront à se presser aux portes de l’Europe, toujours plus pauvres, toujours plus affamés . Les matraques seront toujours plus dures mais la course des damnés toujours plus rapide. Un continent est à venir.. Nous laissions là des années perdues dans la misère et les guerres intestines, pensent les personnages à la fin du roman.  Les hommes du continent africain  continueront-ils à se lancer  encore longtemps à l’assaut des frontières de l’Europe ?

Ce roman est donc inspiré de faits réels : Laurent Gaudé a lu des articles de presse et a constitué un fonds documentaire avant d’écrire son roman: il a étudié notamment les itinéraires empruntés par les populations africaines pour passer en Europe, par la mer ou par les terres ; Il se sent préoccupé par le sort des migrants et souhaite changer le regard que nous autres , Européens, portons généralement sur ceux que nous appelons les “immigrés”  ou les clandestins . Ils voyagent et fuient  sans papiers peut être mais ne leur ôtons pas leur humanité ; Ce sont des hommes avant tout et pas simplement des réfugiés ou des étrangers .

17. mars 2020 · Commentaires fermés sur Un drôle de capitaine: Salavtore Piracci dans Eldorado · Catégories: Seconde

Un personnage de roman est un drôle d’individu qui a une existence uniquement virtuelle mais auquel on parvient toutefois à s’identifier, plus ou moins . Si à l’origine, le héros de roman est souvent un demi-dieu , dans les romans de l’Antiquité par exemple, ou un être exceptionnel, valeureux , il va subir, au fil des siècles, plusieurs transformations. De nos jours, les héros incarnent  différentes facettes de l’homme et souvent, comme dans les romans de Laurent Gaudé, on trouve des héros qui ne sont ni tout à fait admirables, ni tout à fait courageux . Dans Eldorado, Salvatore PIracci et Soleiman se partagent les premiers rôles . Examinons ensemble comment est construit ce personnage de Piracci .

Un personnage c’est d’abord un portrait : physique ou moral ; Il joue également un rôle dans une intrigue et possède des fonctions , Enfin, il a souvent une dimension symbolique ; C’est pourquoi nous nous demanderons qui est Piracci, quel rôle joue-t-il et quel type de héros représente-t-il ?

Le premier chapitre du récit s’ouvre avec son apparition : il déambule dans le marché aux poissons de la ville de Catane située en Sicile , près de Lampedusa.Il aime profondément la mer et la considère un peu comme une déesse nourricière . “ il respirait avec bonheur l’odeur de la mer ” ; C’est un homme solitaire ” séparé de sa femme quatre ans plus tôt ” “Il était seul; Le fils de plus personne; Ni père ni mari.Un homme de quarante ans qui mène sa vie sans personne pour  poser un regard dessus” Ce matin là, il sent comme une étrange présence derrière lui : c’est une femme qui le suit .

Piracci a un ami nommé Angelo qui vend des journaux sur le port . Lorsqu’il rentre chez lui, une femme l’accoste et son visage , sans lui être familier, lui rappelle un vieux souvenir . C’est une passagère du Vittoria, un bateau rempli d’émigrants qu’il a intercepté en 2004 , deux ans plus tôt. Son métier : marin, garde-côtes passionné de mer, fier de la rutilance de son uniforme et qui aurait avalé tous les océans avec un appétit féroce; ” Cependant c’est un homme usé par le spectacle de la misère . “ Vingt ans de ces nuits lui avaient usé le visage et cerné les yeux ” ( p 22 ) Il écoute la passagère lui raconter , en détails , l’horreur de la traversée et il se sent prêt à lui donner tout l’argent qu’elle possède mais elle lui demande une arme . Elle lui  explique qu’elle veut se venger et tuer Hussein Marouk, l’armateur libanais du bateau ; A sa place , Piracci songeait qu’il aurait voulu se venger des membres de l’équipage . Il finit par donner à cette femme une arme et “ loin d’en être terrifié, il éprouvait un étrange et inquiétant soulagement “

Le personnage de Piracci ne réapparaît qu’au début du chapitre III, intitulé Tempêtes . Plusieurs mois après sa rencontre avec la femme du Vittoria, il reçoit une lettre où elle lui indique qu’elle s’est embarquée à bord du Sakala pour rallier Beyrouth et ensuite Damas . En discutant avec Angelo, Piracci comprend que cette femme a fait de lui le témoin de son voyage et il commence à émettre l’idée de partir à son tour ” j’aurais du parti avec elle et le tuer moi-même. après tout cela entre dans la cadre de  mes fonctions . Ce serait un prolongement naturel de la lutte contre l’immigration clandestine.” ( p 58 ) Piracci commence alors à réfléchir à ce qu’on lui a appris à l’école de commandement “ Ils nous disaient que nous étions là pour garder les portes de la citadelle ” Pendant longtemps, Piracci s’est d’ailleurs senti un gardien mais il se déclare fatigué et se considère davantage comme “le mauvais oeil des désespérés” Lorsque le commandant décide de quitter son ami, ce dernier pense qu’il est en train de prendre une grande décision , peut être de songer  à un grand départ; A ce moment là , son second vient le chercher pour venir en aide à un nouveau navire . Il s’agit d’un navire qui transportait des clandestins : ce dernier a eu une panne et l’équipage s’est débarrassé des immigrants en les jetant à la mer dans des canots de sauvetage, en pleine tempête . Il retrouve quelques hommes en vie mais il sait qu’ensuite “ il va redevenir le commandant italien d’un navire d’interception” (72 ) Malheureusement il ne retrouvera plus aucun survivant dans la mer en furie et s’en voudra de ne pas avoir réussi à sauver d’autres vies.

Nous retrouvons le capitaine au chapitre V : il songe un instant à se jeter dans la mer ; Il sent alors comme l’impression de sortir de sa vie  “la foi en la nécessité de sa tâche l’avait définitivement quitté” . Il a alors l’idée de fuir cette vie qui lui donne la nausée. Lorsqu’un migrant vient lui demander de le cacher afin qu’il échappe au contrôle des policiers, il refuse sans vraiment savoir pourquoi . Au dernier moment, il est prêt à changer d’avis mais il est trop tard et l’homme crache à ses pieds : il cracha sur cet homme qui laissait les choses aller leur cours puis, l’instant d’après, le regrettait. A bout du quai, il agresse avec violence le capitaine libyen du bateau qui a mis les migrants à la mer avant d’ obéir aux ordres d’un colonel qui lui enjoint de s’en aller. “Tout se détraque” pensa-t-il alors ; “ Il se sentait épuisé d’une vieille fatigue qui le rongeait minutieusement.” ( p 109 ) Il se rend alors dans le cimetière de Lampedusa où il découvre que peu  à peu , les corps des migrants ne sont plus enterrés avec les familles locales comme au début . Un inconnu s’approche alors et lui parle de l’Eldorado : Piracci sut ” à cet instant que ce nom lointain allait régner sur chacune de ses nuits” ( p 114 )

En discutant , quelques semaines plus trad, avec son ami Angelo, Piracci réalise qu’il ne veut plus de cette vie et se justifie ainsi : “je ne peux plus supporter ces regards  de demande infinie puis de déception. Ces regards de peur et de dévastation. Je ne veux plus ” Il décide donc de ne plus retourner travailler  “il enterrait le commandant qu’il avait été. ”  Il explique alors qu’il a vidé son compte bancaire et qu’il va partir en barque .Il fait un dernier tour dans les ruelles de la vile de Catane endormie et symboliquement, il brûle sa carte d’identité ; Désormais , il n’était  plus personne: son nom, sa date et son lieu de naissance venaient de disparaitre .  Il a très peur mais en même temps il se sent vivant et ressent une drôle de sensation comme s’il commençait une nouvelle vie .  A la rame, il met le cap sur la Libye;  “il se sentait heureux. comme il était doux de n’être rien; Rien d’autre qu’un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l’Eldorado ” p 137

Arrivé à Al Zuwarah, il est emmené par un policier auprès d’une femme qui dirige un réseau de passeurs de migrants : elle cherche des capitaines pour conduire les bateaux sur lesquels elle entasse des pauvres gens après leur avoir demandé beaucoup d’argent . Piracci monte alors, au hasard,dans un bus pour lui échapper et tend l’argent au chauffeur; En chemin, les passagers lui demandent de parler de l’Europe et pour les dissuader de partir, il évoque l’absence de travail, la misère, le règne de l’argent  et le froid ; peu à peu , les visages deviennent hostiles et le chauffeur finit par le chasser du bus en pleine nuit , au milieu de nulle part ” ( p 187 ) On avait vu en lui un mauvais esprit et on avait préféré le laisser sur le bord de la route pour qu’il ne nuise pas davantage au sort des voyageurs” ( p 191)  Dans ce petit hameau, il entend un ivoirien raconter la légende des ombres du Dieu Massambalo; ce dieu veillerait sur les hommes qui quittent leur pays et enverrait des ombres , aux quatre coins du monde pour les aider; Il suffit, quand on en croies une , de prononcer le nom du Dieu et si l’ombre acquiesce , de lui offrir un cadeau; Alors on sera protégé jusqu’à la fin du voyage; Piracci aimerait croire à ces histoires qui font briller les yeux des hommes dans la nuit mais il sait lui “ qu’à l’heure des tempêtes, il n’y a pas d’esprit pour veiller sur les malheureux; ( p194)

Un peu à l’écart des hommes , il songe à mourir car sa vie n’a plus de sens , à ses yeux “il était sec. Usé. Plus rien ne pouvait ranimer son regard. ” ( 195 )  Me voilà arrivé au bout de ma course” .  Il pense alors à se fondre dans l’ombre pour y poser ses fatigues et songe à la femme du Vittoria qui est venue lui donner ce mystérieux signal de départ . Il décide alors de s’asperger d’essence et se dirige vers un des camions garés dans le village; Un homme s’approche alors du capitaine qui s’évanouit.On lui donne à manger et il reprend sa route vers Ghardaïa ; L’odeur de l’essence lui colle à la peau “il avait beaucoup maigri. ses traits s’étaient creusés. Une longue barbe lui mangeait le visage. Une peur était née dans ses yeux. “ (212 )  Un jeune homme le regarde depuis un long moment et finit par s’approcher de lui: c’est Soleiman qui prononce le nom Massambalo; Comment Piracci va-t-il réagir ? ” allait-il consentir ou renoncer ” Il finit par baisser la tête en signe d’assentiment et voit alors le visage du jeune homme s’illuminer ; Soleiman lui offre le collier de perles vertes que son frère lui avait donné lorsxqu’ils se sont quittés.

Le personnage est prêt à nous quitter . Mais de quelle manière ? Il choisit une route qui s’enfonce dans la nuit et s’apprête à devenir une ombre du dieu Massambalo, “une ombre qui donne du courage aux hommes ” . En traversant la route,  perdu dans ses pensées il se fait écraser par un camion et distingue des bruits autour de lui ; Sans doute des migrants ; Son corps fracassé lance ses dernières forces pour délivrer un ultime message à ces hommes en quête d’Eldorado : il leur dit de partir ,” sans attendre, à l’assaut des frontières ” ; Puis il mourut : il ne laissait rien derrière lui.Les perles du collier de Soleiman roulent à terre pour dessiner l’emplacement d’un tombeau ouvert. ( 220)

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16. mars 2020 · Commentaires fermés sur Ruy Blas un drame romantique et une remise en question politique ? · Catégories: Première
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Film de Jacques Weber 

 Ruy Blas peut se lire comme un drame romantique avec en son coeur, une histoire d’amour tragique entre un valet et une reine, mais cette pièce apparait également comme un drame historique qui soulève une interrogation politique.  Le nom du héros éponyme nous donne deux indications importantes : Ruy , diminutif de Rodrigue, le héros du Cid, connote la noblesse et la vaillance  alors que Blas rappelle les origines sociales modestes de ce valet au service d’un maître machiavélique. Ainsi Hugo a choisi de montrer, à l’intérieur même du nom de son personnage central ,son caractère mêlé, à la fois noble par son comportement et vil par son appartenance à la classe sociale des serviteurs. Et c’est là le centre de ce drame historique , sa force mais aussi son caractère quelque peu invraisemblable qui sera d’ailleurs souligné par les spectateurs de la pièce en 1838.

 Les faits : Manipulé par Don Salluste pour séduire la reine d’Espagne et assouvir ainsi , sans le savoir, la soif de vengeance de son maître , contraint à l’exil après avoir séduit une suivante du la reine, ce valet  amoureux en secret de cette “étoile” , la reine, va prendre, peu à peu , l’allure d’un grand seigneur, sous son déguisement de ministre et va devenir le porte-paroles des critiques  politiques de l’auteur. En effet, même si l’intrigue a pour cadre l’Espagne et la cour de Madrid vers 1690, il faut bien comprendre que bon nombre de critiques du gouvernement visent , en réalité, la France de 1838.

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Pour Hugo, auteur engagé, il s’agit de montrer et de faire prendre conscience au spectateur de la lente agonie d’un régime politique: autrefois forte et puissante, l’Espagne, dans la pièce , est ruinée ; Plusieurs causes sont mentionnées dans le drame : les luttes internes, les guerres et , le déclin commercial ; Hugo met en scène un roi absent et incompétent qui ne pense qu’à chasser (acte II) et des ministres qui  ne pensent qu’à s’enrichir en pillant les coffres de l’ Etat (acte III, scène 1 ) ; Ainsi , le député Hugo s’attaque indirectement à la monarchie de juillet et aux régimes qui ont succédé à l’Empire car il admirait tout particulièrement Napoléon et ses victoires militaires  ; Charles X est un roi extrêmement critiqué et il va devoir céder sa place, quelques années après la parution de la pièce. 

Hugo met au premier plan de la tirade de Ruy Blas ,des interrogations politiques qui lui sont personnelles: le rôle de la naissance , le rôle du peuple sur le plan politique, la notion de mérite individuel et des compétences ; l’idée selon laquelle le pouvoir devrait être exercé par des gens doués et pas nécessairement bien nés, fait son chemin depuis les Lumières ; de plus, la révolution française a contribué à partir de  1789, à diffuser l’idée d’une égalité des droits entre les citoyens ; pour en faire la démonstration, le dramaturge métamorphose le personnage de Ruy Blas en duc d’Olmedo et révèle aux spectateurs, que sous ses habits de courtisan, il a l’étoffe d’un véritable dirigeant alors qu’il est né valet; il confirme ainsi que la valeur d’un dirigeant n’est pas liée à sa naissance; Cependant, cette situation peut paraître invraisemblable . La mort du héros marque le pessimisme d’une génération désenchantée qui a vu échouer les révolutions de 1830 et 1831.

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Les critiques seront nombreuses à la sortie de la pièce en 1838 et il faudra attendre la version mise en scène à la Comédie Française de 1872 pour que le succès soit au rendez-vous. La mort du héros marque sa défaite en tant que force individuelle  .

09. mars 2020 · Commentaires fermés sur Phèdre : la passion est-elle une faiblesse de l’individu ? · Catégories: Dissertations sur oeuvre, Première · Tags: ,

Par définition, et depuis l’Antiquité qui met en scène des héros mythiques ,  le personnage tragique se confronte à des forces supérieures  et  lutte contre un destin imposé . Est-ce ce refus de la fatalité qui lui donne sa dimension héroïque ? En effet, on peut se demander ce qui caractérise le héros tragique et d’où lui vient sa force ou ,au  contraire, sa faiblesse ? Si l’on choisit les héros des pièces de Corneille, on constate qu’ils possèdent tous une force, un éclat, une forme de grandeur dans leurs actions; à l’exception du personnage de   Médée, qui est une meurtrière, Rodrigue dans Le Cid,  ou Auguste dans Cinna sont des modèles de bravoure et de courage; Ils possèdent également une grande force morale. Les héros de Racine paraissent davantage emprisonnés dans leurs passions et cette passion destructrice peut alors apparaître comme une faiblesse. Le tragique provient désormais davantage de la faute de ces héros imparfaits “ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants ” comme le dit Racine dans la Préface d’Andromaque. Voyons si la passion peut être considérée comme une faiblesse de l’individu , dans Phèdre et dans La Princesse de Clèves .

La recherche de la faute :  des personnages tous  coupables ? L’amour comme principale faiblesse ?

Lorsqu’on explore la matière tragique, on cherche souvent la faute des personnages afin de comprendre quel sens donner à la punition divine. Thésée, par exemple, est d’emblée qualifié de héros et son fils, admiratif sur ce point  rappelle ses nombreux exploits mais Hippolyte critique ouvertement ses conquêtes qui lui font horreur; Phèdre elle même le dépeint comme  “volage adorateur de mille objets divers ” : ( acte II, scène 5 ) Son fils fera mention de ses nombreuses conquêtes féminines dès le début de la pièce : “sa foi partout offerte , et reçue en cent lieux… trop crédules esprits que sa flamme a trompés. ( I, 1) On peut donc mesurer ici une part de responsabilité de Thésée qui justifie, en partie, les agissements de son épouse délaissée ; De plus, Hippolyte a une très mauvaise opinion de son père : ce qui ne facilitera pas leurs échanges. En étant séducteur, Thésée participe activement au malheur qui va le frapper et qui peut, sous un certain angle, apparaître comme une sorte de punition en rapport avec ses agissements passés. 

Le personnage de Phèdre incarne, à elle seule,  plusieurs facettes de la tragédie: d’une certaine manière, on peut penser que son point faible, c’est sa généalogie, cette famille  semi-divine qui lui  a, pourtant, transmis une hérédité monstrueuse. Petite fille du Soleil , qui a trahi le secret des amours de Mars et de Vénus, elle est également la fille d’une mère condamnée à s’accoupler avec un taureau .  La faute originelle semble incomber à son ancêtre  mais l’héroïne en subit les conséquences. Elle pourrait, de plus, à cause de son ascendance, partager ainsi une forme de fureur , sorte de rage animale, avec son demi-frère . Sa mort à la fin de la pièce rendrait au monde une forme de clarté, de pureté et servirait à effacer ses fautes .  Mais de quoi est-elle coupable au juste ? De se livrer à une passion incestueuse et immorale .  Dans sa préface, Racine précise qu’elle” est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur la première;" Et il ajoute qu'elle" fait tous ses efforts pour la surmonter“. Enfin, il admet qu’à ses yeux , “son crime est plutôt une punition des dieux qu’une manifestation de sa volonté “ ; Il va même jusqu'à adapter la tragédie d'Euripide dans laquelle le personnage de Phèdre accusait elle-même Hippolyte ; Ainsi le dramaturge la rend moins coupable mais la rend-t-il plus forte ? Sa volonté est vaincue en permanence par la force de sa passion; néanmoins, elle paraît, au début de la pièce, prête à mourir plutôt que d'avouer son amour odieux.Et elle finit par mourir après avoir révélé la vérité. Sa mort est- elle une forme de défaite ou marque-t elle le caractère inexorable de sa destinée ?

Oenone , dans la tragédie, incarne, elle aussi, une forme d’excès: celui de l’amour maternel passionné. Sa faiblesse : c’est son attachement pour Phèdre qu’elle a élevée et sur laquelle elle veille. Cet amour va la pousser à mentir et elle finira par être rejetée par Phèdre : ce qui causera sa mort; Voilà ce dont l’accuse la reine avant de la chasser : ” Et puisse ton supplice à jamais effrayer/ Ceux qui , comme toi, par de lâches adresses,/ Des princes malheureux nourrissent les faiblesses.”  Oenone est ici accusée d’avoir encouragé Phèdre à commettre une mauvaise action en laissant accuser un innocent  Le mot faiblesse  revient à plusieurs reprises  et désignerait,à la fois une forme de lâcheté morale et le fait de se laisser aller à cette passion criminelle. Oenone est donc accusée d’avoir encouragé la passion de sa maîtresse “les poussent au penchant où leur coeur est enclin ” Phèdre la renvoie en  la traitant de perfide et en l’accusant d’avoir abusé de sa faiblesse extrême .

Racine, par rapport aux versions antiques, a également modifié le personnage d’Hippolyte; Il a voulu en faire un jeune homme fier, qui s’est longtemps méfié du sentiment amoureux avant de rencontrer Aricie. Dans la pièce, Hippolyte est accusé d’avoir voulu abuser de sa belle-mère mais il aurait été repoussé à temps;  Cependant Racine avoue lui avoir donné” quelque faiblesse qui le rendrait un peu coupable aux yeux de son père , sans pourtant rien lui ôter de la grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre et se laisse opprimer sans l’accuser”; Voilà ce qu'ajoute Racine dans sa Préface :  ” j’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la soeur des ennemis mortels de son père ” On voit donc que la passion constitue bien , dans ce cas précis, une faiblesse de l’individu , que le dramaturge a choisie d’ajouter au caractère du personnage antique. Aux yeux du jeune homme, l’amour s’apparente donc à une tromperie et peut paraître comme une faiblesse ; Il va s’empresser de fuir Aricie lorsqu’il  se découvre un sentiment pour elle. “Et moi-même , à mon tour, je me verrais lié “ s’exclame – t-il en découvrant qu’il est amoureux

L’individu plus faible que les Dieux : l’homme écrasé par la fatalité

Deux dieux principaux sont à l’oeuvre dans la tragédie : Vénus qui  joue un rôle très important et Neptune , qui est à la fois , le père putatif de Thésée et celui qui va accomplir la vengeance de ce dernier en tuant son fils; En 1934, Cocteau définit ainsi la tragédie au théâtre : “une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un simple mortel ” On mesure à quel point l’homme paraît une faible créature dans ce contexte d’oppression divine.

Le rôle de l’idéologie janséniste dans la tragédie racinienne est important  : on peut , en effet,  lier le motif de la faiblesse à une lecture janséniste de la pièce ; Racine  aurait souhaité montrer , les tourments du péché. Dieu aurait abandonné le personnage de Phèdre à la perversité de son coeur en punition de ses fautes passées; Le jansénisme peut être défini comme un courant religieux, proche du catholicisme mais qui insiste sur la notion de faute et de péché originel; Selon ses adeptes, l’homme est une créature imparfaite et faible , par nature pécheresse . Le chrétien ne peut obtenir le salut que par la grâce divine et les élus sont très rares . “ vous aimez , dit Oenone à Phèdre/ On ne peut vaincre sa destinée/ Par un charme fatal, vous fûtes entraînée ( IV, 6 ) . En conclusion, la faiblesse du personnage serait un ingrédient essentiel dans la tragédie car elle permettrait aux spectateurs d’éprouver de la pitié pour les héros; Il faut qu’il puisse les plaindre sans trop les détester donc il faut les doter d’une bonté médiocre ou autrement dit , d’une vertu capable de faiblesse et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute. La notion de faute est bien ici une donnée intrinsèquement liée à l’idée de faiblesse.

L’individu confronté aux troubles de la passion : un combat perdu d’avance

Une lecture contemporaine nourrie des découvertes de la psychanalyse peut montrer Phèdre prisonnière d’un désir qui lui fait horreur mais qui s’impose à elle . Son sens moral et son sens du devoir combattent contre la force qui l’attire vers Hippolyte; cette force ne prend en compte ni les interdits de la société ni les liens familiaux ; On dit ainsi que le désir s’affranchit des loi set dse conventions ; Il n’a d’autre objet que la satisfaction d’une pulsion profonde de l’individu, indépendamment de ce qui l’entoure . La société peut juger Phèdre et parler de transgression ou de tabou, le personnage, animé par son désir , semble au-dessus des lois humaines . Impossible à vivre , cet amour interdit porte en germe la mort du personnage incapable de concilier une vie ne société avec une passion interdite et condamnée moralement. A plusieurs reprises , et notamment au premier acte , scène 3,  l’amour s’exprime donc comme une “fureur ”  “un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ” ; A la scène 5 de l’acte II, l’amour est ,cette fois, considéré comme une passion furieuse qu’il faut éradiquer pour purifier le monde ; Phèdre évoque le “feu fatal ” qui coule dans ses veines et les dieux qui s’efforcent de “séduire le coeur d’une faible mortelle” La passion paraît ainsi un instrument d’asservissement de l’individu : ce dernier , soumis tragiquement à cette force anihilante, peut tenter de la combattre mais il part perdant , vaincu d’avance, pourrait-on dire , du moins au sein de l’univers tragique; Il n’en va pas de même dans le roman précieux ou moral de la même époque ; l’être aimé prend les apparences d’un ennemi qu’il faut combattre de toutes ses forces alors qu’on l’idolâtre comme le rappelle Phèdre , à propos d’Hippolyte. La tragédie s’impose comme un tableau des dangers de la passion . Racine le fait dire à Oenone dans le quatrième acte , scène 6 : ” L’amour n’a t-il encore triomphé que de vous ? La faiblesse aux humains n’est que trop naturelle / Mortelle, subissez le sort d’une mortelle. ” Elle semble montrer ici que toute résistance est inutile pour Phèdre, condamnée.

Un combat réussi contre la passion : le cas de La Princesse de Clèves

Contrairement à Phèdre qui n’échappe pas à sa tragique destinée, l’héroïne inventée par Madame de La Fayette démontre qu’il est possible de vaincre sa passion. Si l’amour y demeure un combat violent et une force contre laquelle il est difficile de lutter , l’individu, en se raisonnant , peut lui échapper . La Princesse fuit la présence du Duc de Nemours et si les réactions de son corps trahissent parfois son violent émoi, elle reste fidèle à des principes moraux légués par sa mère ; Dans son cas, son patrimoine familial est un atout pour résister à la passion et la crainte des conséquences l’emportera sur son désir. L’amour est présenté non pas comme un simple sentiment mais plutôt comme un mal physique et il est fréquent depuis l’Antiquité qu’on utilise la peinture des passions comme une menace pour les liens de la famille, de la société ; En somme pour tout ce qui peut figurer l’ordre ; En semant le désordre au sein de l’individu, la passion sème également le désordre dans leur entourage et c’est une des raisons pour laquelle elle doit être vaincue . La victoire de l’ordre signe ainsi la défaite de l’individu qui ne peut donner libre cours à ses sentiments personnels; Madame de Clèves demeure fidèle à son époux , à son mariage, à sa vertu  et à ses devoirs familiaux mais, pour maintenir cet ordre, elle renonce à son épanouissement personnel; L’individu s’efface au profit de la société à laquelle il appartient . La Morale et la vertu triomphent de concert. Le roman accompagne ici une forme de moralisation de la société en adaptant ce thème du danger des passions . Cette héroïne force l’admiration car elle ne succombe pas à sa passion .

 

 

07. mars 2020 · Commentaires fermés sur Entre raison et passion : le combat de Madame de Tourvel dans Les liaisons dangereuses · Catégories: Première

Le roman épistolaire de Laclos, paru en 1782, retrace  , au premier plan, le parcours de deux libertins : La Marquise de Merteuil, féministe avant l’heure, se veut une femme libre et elle rejoint les hommes sur un terrain bien dangereux : celui de la séduction; Experte en manipulations de tous genres, la vengeance qu’elle exerce contre ses ennemis , est terrible; Elle finira ruinée, obligée de s’enfuir comme une voleuse, défigurée par la petite vérole et détestée de tous . Son destin tragique rejoint celui de son acolyte : le Vicomte de Valmont, qui lui aussi, mourra , tué ne duel par le fiancé d’une de ses victimes. . Ce libertin est une sorte de Don Juan cynique qui ne recule devant aucun mensonge pour séduire les femmes qu’il considère comme des proies sur son terrain de chasse. Pourtant , l’une d’entre elles lui résiste et mettra, un peu plus de temps que les autres , avant de tomber dans ses filets. Examinons le combat de la Présidente de Tourvel tel qu’il apparaît dans la lettre 56 où elle lui annonce qu’elle refuse désormais de continuer à  lui écrire .

Un commentaire littéraire pourrait s’articuler autour des axes suivants : un langage troublé ( les questions, les suppositions , les prières ) et une vision de l’amour duelle partagée entre un bonheur conjugal  (paix, estime, chéris ) et le devoir  , qui s’opposent à la tempête et aux grands dangers  des passions (plaisirs plus vifs, tempête, naufrage, débris,tumulte, orage ) ; Le point le plus important est le combat entre la raison et la passion (obstacles insurmontables, malheur et bonheur , regrets)

Voilà des éléments de lecture linéaire des lignes 1 à 22 :

La lettre se présente , tout d’abord comme une réponse à un courrier précédent dans lequel le Vicomte l’interrogeait sur ses sentiments et la pressait d’accepter son “amour respectueux “.  Elle commence par lui adresser une  série de questions rhétoriques qui révèlent le trouble de ses pensées : elle s’interroge en effet , d’emblée, sur l’authenticité des sentiments qu’il manifeste à son égard; Prévenue par son entourage que Valmont est un séducteur patenté qui ne cherche qu’à obtenir les faveurs des femmes qu’il convoite, elle  éprouve une véritable méfiance  envers lui ; Ce dernier multiplie les stratagèmes pour la convaincre de la véracité de son amour . Laclos , judicieusement, construit un raisonnement hypothétique : croire en vos sentiments, ne serait-ce pas  une raison de plus pour les craindre; C’est bien la peur qui est présentée, ici avec le verbe “craindre “  comme le sentiment dominant ; la Présidente est effrayée à la pensée de faillir, de manquer à ses devoirs de femme vertueuse et mariée.  Les parallélismes et la construction symétrique des verbes vouloir et devoir indique que les deux domaines, la morale et les sentiments,  sont en accord ; La double négation ici apparaît comme une fin de non recevoir et pourrait conclure cet échange; Mais le personnage n’est pas aussi assuré qu’il le prétend car elle émet un certain nombre d’hypothèses qui ont , semble-t-il,pour but de  se convaincre elle-même; A cet effet,elle utilise des arguments qui font appel à la logique, un raisonnement rationnel fondé sur des subordonnées hypothétique ( supposé que ..aurais-je  alors ) ; Elle présente ainsi un enchainement de faits incontestable  et les questions reviennent pourtant, comme pour montrer son trouble intérieur . La ligne 6 évoque le caractère impossible de leur liaison en mentionnant  la cause  de cette impossibilité: “les obstacles qui nous séparent ”  On remarque alors un glissement  depuis le début de cette lettre: là où elle mentionnait  sa volonté, elle mentionne maintenant  des faits concrets : la Présidente est mariée, Valmont a une réputation détestable et on lui connaît plusieurs maîtresses . Il est intéressant de noter que la première image qu’elll donne de son mariage est celui d’un obstacle à sa passion ! Entre les lignes, l’auteur nous montre le trouble qui agite la Présidente .

Néanmoins, elle se fait fort de décourager ce séducteur de deux manières: tout d’abord en souhaitant que ” vous pussiez vaincre cet amour ” : elle fait appel ici, à la volonté de Valmont et souhaite qu’il renonce à la poursuivre de ses assiduités;  La terminologie est alors la même que celle que Laclos utilise pour les conquêtes afin de traduire l’idée d’un combat, d’un affrontemment  (vaincre,  attaquer, défendre ,surmonter , obstacle)  On notera , toutefois, que le ton qu’elle emploie, est tout à fait policé et qu’il émane de ses mots ,une forme de douceur . Ensuite, elle es fait un devoir de l’aider à vaincre ses sentiments “en me hâtant de vous ôter tout espoir ” Pourquoi cela lui paraît il si urgent ? Le lecteur comprend , à demi-mots qu’elle se trouve dans une position de fragilité et qu’elle cherche,avant tout à se convaincre elle même , d’être raisonnable.La ligne 9 fait référence à un un sentiment “pénible “quand l’objet qui m’inspire ne la partage point “ . Cette phrase peut être entendue dans deux sens : elle peut signifier au Vicomte , que son amour pour elle, lui est pénible ou on peut aussi comprendre sa peur qu’il se moque d’elle en contrefaisant un langage amoureux et on retrouve alors, omniprésente, cette crainte  qu’il ne soit pas sincère.  En effet la lettre est insistante sur ce point  et la question de la sincérité revient à plusieurs reprises .

Les connecteurs logiques renvoient au caractère imparable du raisonnement : suppposé, alors , or, donc marquent des étapes incontournables qui aboutissent à une conclusion logique : cessez donc . Les impératifs qui sont employés peuvent avoir , à la fois une valeur de prière et d‘exigence d’autant qu’ils sont renforcés , par des expressions d’insistance telles que “je vous en conjure “ . La ligne 12 contient pourtant un aveu ” cessez de vouloir troubler un coeur à qui la tranquillité est si nécessaire ” ; La présidente avoue ici, clairement, qu’elle n’est pas indifférente aux déclarations du Vicomte et le terme tranquillité  est proche de son sens étymologique qui désigne la paix de l’âme; L‘adverbe intensif si associé à  nécessaire traduit, là encore une forme de souffrance . La jeune femme confesse, presque malgré elle, l’agitation de son coeur et celle de son esprit et la syntaxe traduit cette agitation. En effet, elle aurait pu ne pas répondre ou se contenter d’une réponse laconique mais elle prend vraiment la peine de justifier ses moindres actions  pour expliquer sa décision de ne plus entretenir de correspondance avec Valmont auquel elle a déjà demandé de partir et de quitter le château voisin où il séjournait. Elle trouvait , en effet, sa cour, trop pressante et se sentait de plus en plus troublée par sa présence comme on le voit dans les lettres qu’elle envoie à ses amies.

Le paragraphe central expose sa situation personnelle et peint le danger des passions; Pour conforter sa position de femme inattaquable, elle se réfugie derrière l'image d'un mariage heureux se définissante à la fois " chérie et estimée d’un mari “qu’elle même ” aime et respecte “ On note la symétrie de la construction des deux propositions ; Ses devoirs et ses plaisir sont ainsi confondus dans le même objet : elle donne l'image d'un bonheur parfait mais ce tableau idyllque est démenti par la présence de la phrase suivante "je suis heureuse, je dois l’être ” : la seconde proposition semble bien contredire la première. Comment, en effet, ne pas entendre ici une forme de regret ?  “je dois l’être ” peut être compris comme j”ai toutes les raisons de l’être , il faut que je le sois mais,.. je ne le suis pas vraiment car ….la phrase suivante développe le point qui lui fait défaut ” il est question de “plaisirs plus vifs :  elle désigne par cette périphrase la passion amoureuse , absente de sa vie ; L’ hypothèse qui introduit cette idéé, montre qu’elle doute même de leur existence mais elle s’empresse, une fois encore de braquer sa volonté  “je ne les désire point, je ne veux pas les connaître “ Le personnage de Madame de Tourvel semble tout aussi déterminé à refuser un sentiment qu’elle ne doit pas accepter que la jeune Princesse de Clèves lorsqu’elle se rend compte qu’elle est amoureuse de Nemours alors qu’elle vient d’épouser le Prince.; Agée de 22 ans dans le roman, la Présidente n’est guère plus expérimentée que Mademoiselle de Chartres; Mariée par devoir  à un homme qu’elle respecte certes mais qui a le double de son âge , elle n’a jamais connu la volupté même si  elle a pu en entendre parler et qu’elle sait que certaines femmes peuvent éprouver du plaisir physique avec un homme dont elles sont amoureuses..

La présidente définit alors le bonheur comme un état de “paix avec soi-même ” par opposition à la métaphore filée de l’orage des passions ” On retrouve cette idée , à la fois de violence et de danger,  idée contenue dans le choix des métaphores naturelles de la tempête. Elle oppose alors la “sérénité “ à l’agitation, l’ordre au désordre, le calme au tumulte ;  Ces couples d’oppositions montrent clairement une vision duelle du bonheur Elle affirme clairement sa peur lorsqu’elle évoque un “spectacle effrayant ” et prend position en concluant qu’elle “reste à terre” L’image est révélatrice de sa volonté de lucidité; elle privilégie le calme de son existence à l’exaltation d’un sentiment amoureux et l’attrait d’une relation extraconjugale ; Ici c’est davantage la peur qui la retient comme on le voit avec l’apparition de nouveaux questionnements  “ comment affronter ces tempêtes ? comment oser s’embarquer sur une mer couverte de débris  de mille et mille naufrages ”  L’hyperbole marque elle aussi , sa peur de l’échec et de la souffrance. On devine bien ici le trouble du personnage qui paraît quand même très tentée . Ce qui la retient comme ce qui a pu retenir la princesse de Clèves de ne pas céder à  sa passion pour Nemours, c’est la peur de souffrir ; On est bien loin ici des arguments logiques du début de la lettre ; C’est son coeur qui parle et la question “et avec qui ?” la trahit en partie; Elle semble quand même prête à se lancer mais redoute, elle aussi d’échouer et de faire naufrage; Ces images des débris évoquent les échecs des passions, ou la fin de l’amour , la séparation, les déceptions; Le mot naufrage lui aussi montre la fragilité de ceux qui se risquent à vouloir affronter “cet orage des passions “, oser braver la tempête. On retrouve, à la fois, cette notion de force et toujours ce danger présent dans la passion capable de briser la vie des hommes et surtout  des femmes. Le paragraphe se termine par une conclusion logique quoique paradoxale “ je chéris les lien qui m’y attachent ” Elle se présente à la fois comme une prisonnière qui se réjouirait de ne pouvoir échapper à ce qui la retient. Autrement dit, le fait d’être mariée lui donne un alibi pour refuser les avances du Vicomte .En réalité, elle a très envie d’accepter mais craint les conséquences catastrophiques que pourrait avoir cette passion sur son existence.

Le dernier paragraphe est un acte d’accusation contre le Vicomte: elle y critique son obstination à vouloir la séduire et les raisonnements captieux qu’il lui tient . Un raisonnement captieux ou fallacieux est un raisonnement qui cherche à induire quelqu’un en erreur . A la suite de cette réponse , le Vicomte reviendra auprès de la jeune femme et finira par la séduire ; Il s’en vantera auprès de la Marquise de Merteuil, et cette dernière, par jalousie, l’obligera à écrire une terrible lettre de rupture . La jeune femme , perdra alors le goût de vivre et se laissera mourir de chagrin, submergée par la honte et le remords. Sa raison et sa lucidité ont été vaincues par ce que lui dictait son coeur : Valmont s’est joué d’elle et va causer sa perte  en la scarifiant, pour respecter la volonté de la Marquise qu’il pense toujours pouvoir reconquérir.

Voici un extrait de cette  cruelle lettre de rupture  dictée par la Marquise en personne :

On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une Loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute. “

” Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute. “

” Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute. “

” Il suit de là que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute. “

” Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute. “

” Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la Nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute. “

” Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j’ai fait une autre Maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute. “

” Adieu, mon Ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. “